LA BATAILLE DE LA MARNE VUE PAR LE GENERAL PALAT

CHAPITRE VII

CHAPITRE VII

LES ALLEMANDS AU 5 SEPTEMBRE

La marche sur. Paris. - L'oblique au sud-est.- Directive allemande pour le 5. - Elle est dédaignée par von Kluck. - Ses dispositions pour le 5. - La Ire armée. - La IIe armée. - Les IIIe, IVe et Ve armées. - Le général von Kluck.

I

 

Au moment où s'achevait leur grand mouvement de conversion, les Allemands avaient le choix entre plusieurs combinaisons (Dans son De La Marne à la mer du Nord, p. 26, le général Berthaut examine l'éventualité où l'ennemi aurait dirigé contre Paris la plus grande partie de ses forces, en laissant peu de monde devant nos armées du centre et de droite. Mais il paraît évident que cette combinaison ne pouvait se concilier avec le dispositif adopté pour le mouvement de conversion à travers la Belgique et la France. Il eût été en outre fort imprudent.) . Continuer la marche des Ire et IIe armées dans les directions prises dès le début eût conduit la Ire armée, au moins, devant Paris. On a cherché à démontrer que ni un siège, ni une attaque brusquée- n'étaient praticable. C'est l'évidence même pour un siège tant que nos armées tiendraient la campagne. D'ailleurs il eût entraîné une perte de temps que les Allemands ne pouvaient admettre, tous leurs projets étant basés sur une prompte terminaison de la guerre.

Quant à une attaque brusquée, il est beaucoup moins certain qu'elle n'aurait eu aucune chance de succès. On a dit le contraire : " Si peu en état qu'on suppose l'arme ment du camp retranché, les positions de défense existent et sont bonnes. Paris a son armée qui lui est spécialement affectée et qui comprend celle du général Maunoury, la 6e. Il n'est pas admissible que, dans ces conditions, Paris soit, enlevé de vive force, par une attaque brusquée, sans investissement, l'effort se limitant au front septentrional de la défense " (Général Berthaut, loc. cit. M. Victor Margueritte et le général Le Gros ont reproduit des documents d'où il résulte que le général Gallieni pensait exactement le contraire. Voir également ses Mémoires.).

Ces raisons paraissent contestables. Sans doute, Paris avait son armée. Mais celle-ci, même en y comprenant l'armée Maunoury, était presque uniquement composée d'éléments de réserve ou d'armée territoriale, alors de valeur faible ou presque nulle.

Les ouvrages du camp retranché étaient loin d'être en état, comme nous l'avons dit ailleurs. Les positions défensives existaient, il est vrai, mais la meilleure ne vaut rien sans défenseurs appropriés. Si la Ire armée avait attaqué Paris et l'armée Maunoury, les IIe, IIIe, IVe, Ve armées combattant de front l'armée britannique, nos 5e, 9e, 4e et 3e armées, il n'est nullement certain que la victoire eût favorisé nos drapeaux. Au cours de la bataille de la Marne, nous fûmes en effet puissamment aidés par le très faux mouvement de von Kluck, prêtant bénévolement le flanc à la 6e armée et aux forces britanniques, sans même prendre des dispositions suffisantes pour se couvrir.

On a longuement discuté les motifs qui portèrent la droite allemande à négliger Paris pour obliquer au sud-est. Voici, d'après les derniers documents (Notamment Der Marsch auf Paris und die Marneschlacht, du général von Kluck.), ce qui paraît s'être produit. Le 17 août, à 10 h. 30, le commandement suprême avait mis sous les ordres du général von Bülow, outre la IIe armée qu'il commandait, la Ire armée et le IIe corps de cavalerie, disposition qui présentait l'inconvénient de subordonner une grande unité à une autre, jouant un rôle moins important. L'action fort insuffisante du G. Q. G. sur ce nouveau groupement se bornait d'abord aux indications du 28 août pour la suite des opérations, qui prévoyaient encore la marche de la Ire armée sur la Basse-Seine, sans exclure un infléchissement vers le sud, dés lors dans les intentions du général von Kluck. Notre résistance obligeant la droite allemande glisser vers sa gauche, le commandement suprême se bornait à enregistrer le fait accompli. Dans la nuit du 2 au 3 septembre il lançait le radiogramme suivant : " Le plan est de couper les Français de Paris et de les rejeter dans le sud-est. La Ire armée suit la IIe en échelon et continue d'assurer la protection du flanc de l'armée " . Or, à ce moment précis, la situation n'était nullement celle résumée par le G. Q. G. Le 3, la Ire armée passait la Marne avec trois de ses corps, tandis que la IIe était encore à une forte marche en arrière, vers l'Aisne. Il eût donc fallu que Kluck consentît à marquer le pas dans un moment décisif, en attendant que Bülow le dépassât. Si, d'ailleurs, on prétendait couper les armées françaises de Paris, il était indiqué de pousser en avant la droite allemande, Ire armée, au lieu de la réserver au rôle de flanc-garde vis-à-vis du camp retranché, dont on ignorait ou dédaignait la garnison. La Ire armée continua donc le mouvement commencé, sans attendre la IIe, et le commandement suprême laissa faire. Le 4 au soir, il lançait une directive qui parvenait aux armées dans la matinée du 5 et les orientait définitivement pour la bataille (Hanotaux, X, p. 30, :d'après le général Baumgarten-Crusius, Bataille de la Marne. Le général von Kluck n'en publie qu'un résumé.

" L'ennemi a échappé aux attaques enveloppantes des Ire et IIe armées et assure, avec des détachements, la liaison avec Paris.

" Les rapports et renseignements amènent à conclure que l'ennemi a retiré de la direction de l'est des troupes sur la ligne Toul, Belfort. Il retire également certaines parties du front de la IIIe à la Ve armée (M. Hanotaux écrit de la 3e à la 5e armée, ce qui applique ces mots aux troupes françaises. Le sens général nous fait croire que c'est à tort.).

" En conséquence, un refoulement de toute l'armée française contre la frontière suisse en direction sud-est n'est plus possible.

" Il faut plutôt compter que l'ennemi amène des forces importantes et procède à de nouvelles formations dans la région de Paris, en vue de protéger la capitale et de menacer le flanc droit de notre armée.

" En conséquence, la Ire et la IIe armée doivent rester devant le front de Paris. Leur mission est de marcher offensivement contre toutes les entreprises ennemies débouchant de Paris et de se porter un appui mutuel.

" Les IVe et Ve armées sont encore en contact avec d'importantes forces ennemies. Elles doivent s'efforcer de les repousser constamment vers le sud-est. Par cela même la voie sera ouverte à la VIe armée sur la Moselle entre Toul et Epinal. Il n'est pas encore possible d'envisager si une action conjuguée entre les VIe et VIIe armées en cet endroit permettra de repousser sur la frontière suisse des forces ennemies importantes. Le rôle immédiat des VIe et VIIe armées est toujours de retenir les forces ennemies se trouvant devant leur front. L'attaque sur la Moselle entre Toul et Epinal en masquant ces deux places est à exécuter aussitôt que possible.

" La IIIe armée prend Troyes, Vendoeuvre comme direction de marche. D'après la situation, elle se portera en direction ouest en soutien des Ire et IIe armées sur la Seine, ou bien elle prendra part à l'action de notre aile gauche en direction sud ou sud-ouest.

" En conséquence, S. M. ordonne :

" I. Les Ire et IIe 'armées restent devant le front est de Paris pour s'opposer offensivement à toute tentative ennemie débouchant de Paris, la Ire armée entre l'Oise et la Marne, la IIe armée entre la Marne et la Seine (Le texte de von Kluck ajoute pour la Ire armée " occupant les passages de la Marne à l'est de Château-Thierry ", et pour la IIe, " occupant les passages de la Seine entre Nogent et Méry inclus ".), le Ier corps de cavalerie à la disposition de la Ire armée, le IIe corps de cavalerie à la IIe.

" II. La IIIe armée marche en direction de Troyes, Vendoeuvre.

" III. Les IVe et Ve armées, par une progression inébranlable (sic), doivent ouvrir aux VIe et VIIe armées le chemin sur la Haute Moselle. Droite de la IVe armée en direction de Vitry, droite de la Ve armée, Revigny. Le IVe corps de cavalerie éclaire le front des IVe et Ve armées.

" IV. Mission des VIe et VIIe armées : sans changement.

Il n'est pas besoin d'insister sur l'importance de ce document. Elle est capitale. Il montre que l'intention première de Moltke était bien d'envelopper notre gauche au moyen des Ire et IIe armées. C'est le but qu'il a constamment visé depuis l'entrée en Belgique. Mais, chose extraordinaire, il ne paraît pas se rendre compte du mouvement de la 6e armée, ni même de son existence. Il croit que la liaison entre Paris et le gros de nos armées est confiée à des " détachements " . En revanche, il connaît l'ensemble du mouvement qui affaiblit nos forces de l'est pour renforcer notre gauche; il ignore que le centre va également être renforcé (9e, 4e et 3e armées); il croit même le contraire.

Il a eu le projet, ignoré jusqu'ici de nos historiens, de refouler sur la frontière suisse la totalité de nos armées : idée mégalomane qui montre une singulière ignorance des réalités. Il sait par contre que nous groupons de nouvelles forces dans la région de Paris, en vue de couvrir la capitale et de menacer le flanc droit allemand. Il juge donc nécessaire de laisser les Ire et IIe armées face à Paris, la Ire entre l'Oise et la Marne, la IIe entre la Marne et la Seine, de façon à rejeter toute tentative provenant de Paris vers l'est.

Mais, pendant que ces deux armées feront ainsi face à l'ouest, la IIIe, au centre, poussera vers le sud, sur Troyes et Vendoeuvre; les IVe et Ve marcheront au sud-est, dans l'espoir incertain de refouler une partie notable de nos forces sur la frontière suisse, suivant la combinaison précédente. Ainsi Moltke aboutit à donner aux armées allemandes trois axes de mouvements divergents vers l'ouest, le sud et le sud-est !

Notons encore qu'aux deux offensives vers Paris et vers Troyes se lie une troisième opération, assez mal précisée : pendant que les IVe et Ve armées pousseront au sud-est, la VIe marchera sur la Moselle entre Toul et Epinal, c'est-à-dire au sud-ouest (4e axe de mouvement divergent.). La mission essentielle des VIe et VIIe armées n'en restera pas moins de fixer nos forces de Lorraine et des Vosges, ce qu'elles ont obtenu fort incomplètement, puisque nous effectuons constamment des prélèvements sur ces forces. L'état-major allemand n'a donc nullement prévu un enveloppement de notre droite dans la région de la Lorraine et des Vosges, comme ne cessent de le répéter certains historiens (Dont M. Hanotaux.). Il est évident, au contraire, que, pour refouler la totalité de nos armées sur la frontière suisse, il faudrait marquer le pas à l'est , tandis que l'aile ouest effectuerait un immense mouvement tournant du genre de celui de l'armée du Sud en 1870-1871.

Nous avons vu que la IIIe armée, au centre, devait marcher sur Troyes, Vendoeuvre; puis, selon les circonstances, converser vers l'ouest pour soutenir les Ire et IIe armées, ou continuer au sud et au sud-est en soutien des IVe et Ve armées. La tâche ainsi résumée. était embarrassante. Il ne pouvait appartenir qu'à la direction suprême de déterminer le rôle de la IIIe armée selon les circonstances.

En somme, le document que nous venons d'analyser montre combien était exagérée la réputation de l'état-major allemand. Dès ce moment, on peut dire que Moltke, écrasé sous le poids d'un grand nom, ne recevant de l'empereur aucune direction effective, est tout à fait incapable de diriger les sept armées du front occidental, sans parler de celles de l'est.

Au lieu de recourir à une combinaison aussi compliquée, aussi incohérente, il eût semblé naturel que le chef d'état-major de Guillaume II s'en tînt à la continuation pure et simple de son projet primitif, à savoir le vaste mouvement d'enveloppement esquissé contre la gauche française. Il paraît avoir ignoré la présence de l'armée Maunoury au nord-est de Paris et celle de l'armée French au sud-est. Dès lors il devait croire que la droite allemande, en se couvrant suffisamment vers Paris (Il était très exagéré de consacrer à cette tâche les Ire et IIe armées; la Ire eût amplement suffi.) , aurait la possibilité d'atteindre la Seine au sud de Provins et d'attaquer ensuite au sud-est, de manière à encercler et détruire une grande partie de nos forces. Dans ces conditions, l'avance rapide de von Bülow s'imposait.

Un fait certain est que la directive pour le 5 septembre ne fut pas respectée par von Kluck. Au lieu de rester face à l'ouest entre l'Oise et la Marne, il poussa vivement au sud de cette dernière, devançant très sensiblement la IIe armée, qui eût dû être à sa hauteur entre Marne et Seine. Comment pareil désaccord put-il se produire entre la direction et l'un des exécutants ? La directive intervint-elle tardivement, quand l'ordre de von Kluck était déjà en cours d'exécution ? La jugea-t-il inexécutable dans la situation présente ? Crut-il impossible de modifier une manœuvre en cours, pour en improviser une autre, toute différente ? Toujours est-il vrai qu'au début de la bataille de la Marne le gros de la Ire armée allait être au sud de cette rivière, en échelon avancé par rapport à la IIe armée et marchant comme elle au sud, alors que toutes deux auraient dû faire face à l'ouest. Sans doute avant d'avoir reçu la directive pour le 5 septembre, von Kluck aurait donné le soir du 4 des ordres que M. Hanotaux résume à peu près ainsi : la Ire armée se portera en avant le 5, attaquera l'ennemi partout où elle le rencontrera, le IXe corps marchant sur Esternay, le IIIe sur Sancy, le IVe sur Maisons, le IIe sur Coulommiers, le IVe de réserve à l'est de Meaux. Le 2e bataillon de chasseurs et la 4e division de cavalerie couvriront le flanc droit, vers Paris; le IIe corps de cavalerie (2e et 9e divisions) marchera en pointe sur Provins. Cette conception est juste l'opposé de celle du G. Q. G. Moltke " a déjà perdu pied. Celui qui doit commander ne commande plus, celui qui doit obéir n'obéit plus " (Hanotaux, loc. cit, p. 315.) .

La Ire armée va donc chercher à s'enfoncer dans la brèche ouverte entre l'armée britannique et la 5e armée, von Kluck croit à peu près négligeables les forces du maréchal French; il juge impossible que Gallieni jette hors du camp retranché la presque totalité de ses éléments mobiles. C'est donc une tentative de rupture qu'il va effectuer vers Coulommiers, tandis que la IIIe armée en opérera une autre, vers Troyes, Vendoeuvre.

II

 

Le 5 septembre, vers le milieu du jour, au Ier corps de cavalerie (von der Marwitz), la 9e division est au nord de Crécy, entre la Marne et le Grand-Morin; la 2e au nord de Coulommiers. Au IIe corps (von Richthofen), la 5e division est à l'ouest de la route de La Ferté-Gaucher à Provins, en route sur Choisy; la division de la garde marche sur Chartronges. Toutes deux auront franchi le Grand-Morin dans la journée. Les chevaux sont fatigués, mais nullement surmenés. Le moral des cavaliers est très haut " (Hanotaux, loc. cit, p. 114 et p. 190.) .

Le IIe corps d'armée est à peu près à la hauteur du corps Marwitz, dans la région Pommeuse, Villemareuil, Montceaux, la tête au Grand-Morin et la queue au sud de la Marne. La 4e division va passer à Pommeuse le premier de ces cours d'eau. Le IVe corps s'échelonne au nord et au sud du Grand-Morin, de Doue à Choisy et Chevru; le IIIe corps est sensiblement au sud, ses têtes vers Sancy et Montceaux-les-Provins, au nord-est de Provins. Le IXe corps au nord d'Esternay, en retrait sur le IIIe, n'atteindra ce bourg que dans l'après-midi du 6 (D'après Hanotaux, IX, p.118, la 17e division serait passée de la IIe à la Ire armée, la 18e, également du IXe corps, restant à la IIe. M. G. Babin, La Victoire de La Marne, Illustration du 11 septembre 1915, p. 269, donne une autre répartition de la Ire armée : IIe corps, une division entre Monthéraud et La Celle-sur-Morin, une division de Farmoutiers à Saint-Augustin; IVe corps, une division entre Beautheil et Amillis, une autre le Petit-Beaufour à Chevru; IIIe corps, une division sur le front Cerneux, Sancy; une division de Montceau-les-Provins à Courgivaux; IXe corps en profondeur, une division de Tréfols à Neuvy, une autre de Marsains à Esternay; IVe corps de réserve sur le front Marcilly, Barcy, Chambry, Penchard. Cette répartition est à peu près celle du général Canonge (La bataille de La Marne, p.17). Elle paraît inexacte.) .

Le IVe corps de réserve et la 4e division de cavalerie, celle-ci venant du corps Marwitz, ne restent pas, dit-on, en flanc-garde au nord-est de Paris le 5, mais descendent vers la Marne qu'ils doivent traverser avant de marcher sur cette ville avec le reste de la Ire armée (Le fragment d'un ordre signé Schwerin (5 septembre, 1 h. 45) et reproduit par P.-H. Courrières, Comment fut sauvé Paris, p. 40, porte que le IIe corps passera le Grand-Morin à Coulommiers et ,tournera ensuite vers l'ouest en direction de Paris; la 21e division de réserve (IVe corps de réserve) marchera à 4 h. 30 par Villers-Saint-Genest, Bouillancy, Puisieux; la 4e division de cavalerie quittera Droisilles à 4 h.30 pour aller sur Silly-le-Long (sud de Nanteuil-le-Haudoin) en couvrant à droite la 7e division de réserve. Le texte du même ordre reproduit par M. Fabreguettes (Nouvelles précisions sur La bataille de la Marne, p. 13) paraît incompréhensible. D'après l'auteur allemand des Batailles de la Marne, p.115-116, von Kluck savait qu'il nous restait des troupes à gauche des Anglais, mais ignorait leur force. Il n'est pas sûr, dit-il, que le IVe corps de réserve ait été avec intention laissé en arrière, prêt à faire face vers Paris.) . Etait-ce un compromis entre la combinaison de Moltke et les mouvements opérés par von Kluck ? Quoi qu'il en soit, si ce

fait est exact, il témoigne de la part de von Kluck d'une complète ignorance de la situation ou d'un mépris excessif de l'adversaire. Il renonce ainsi, en effet, à couvrir vers l'ouest sa ligne de communication au nord de la Marne.

Dans son dédain peu raisonné des forces adverses, ce général comptait, semble-t-il, engager simultanément deux opérations distinctes. Les IVe corps de réserve et IIe corps marcheraient à l'ouest vers Paris, entre Seine et Marne, au lieu de rester en flanc-garde entre Marne et Oise, comme le voudraient la situation et le G. Q. G. allemand. Les trois autres corps continueraient leur mouvement vers le sud à la hauteur de von Bülow. Il y avait imprudence majeure à entreprendre deux opérations aussi divergentes.

C'est dans ces conditions que survenait le combat de l'Ourcq (5 septembre) . Von Kluck avait installé son poste de commandement dans la région de Coulommiers. Il le reporta vivement à Barcy (au nord de Meaux) , après avoir reçu un avis de von Bülow, qui lui signalait une menace partant de Paris contre le flanc droit des Allemands (Hanotaux, IX, p. 136.).

A la IIe armée, le Xe corps de réserve est dans la région de Montmirail, le Xe corps vers Beaunay, Congy à l'est; la Garde marche le 5 sur Le Gault, Janvillers, quand on lui fait faire à gauche vers Toulon-la-Montagne et Ecury-le-Repos. Il s'agit de donner la main à la IIIe armée, par Normée et Lenharrée. Ainsi, dans la journée du 5, nos troupes et celles des Allemands opèrent des mouvements inverses au nord des marais de Saint-Gond.

Le VIIe corps est encore au nord de la Marne le 5, à midi. Il doit passer le Petit-Morin à Montmirail et à l'ouest. Le quartier général de von Bülow est dans cette ville. Il n'a donné aucun ordre d'offensive pour le 5, contrairement à von Kluck.

Suivant les intentions de l'état-major allemand, au moment où notre 9e armée s'installait au sud des marais de Saint-Gond, von Hausen (IIIe armée) devait déboucher sur Troyes, en mettant à profit la brèche ouverte entre nos 9e et 4e armées. Il serait ainsi possible d'encercler l'armée Foch par sa droite ou l'armée de Langle par sa gauche. Mais des retards coutumiers à la IIIe armée l'empêchèrent de déboucher en temps opportun. Après la bataille de Rethel, le XIIe corps eut, dit-on, trois jours : de repos. Le 5 au soir, ses éléments avancés n'étaient qu'à Normée, Lenharrée, sa queue à Tours-sur-Marne. Le XIIe corps de réserve (23e division seulement) (La 24e division de réserve était restée au siège de Givet.), venant de Châlons, atteignait Vatry, au nord-est de Sommesous. Le XIXe corps, après deux jours de repos à Châlons n'arrivait que vers Ecury-sur-Coole, sensiblement au nord.

A la IVe armée, le VIIIe corps était vers Vitry; le VIIIe de réserve vers Ponthion à l'est; le XVIIIe corps allait de Sainte-Menehould vers Somme-Yèvre et Possesse.

Le XIIIe corps de réserve suivait le XVIIIe en échelon de gauche et allait peu à peu le relever en raison de ses pertes .

Enfin, à la Ve armée, le VIe corps allait des Islettes sur Passavant et Charmontois; le XIIIe de Sainte-Menehould Triaucourt (G. Babin. Ces directions de marche sont peu vraisemblables, car elles se croisent.); le XVIe de Varennes à Clermont et Froides, le VIe de réserve dans la région de Montfaucon; le Ve de réserve sur la rive droite de la Meuse, vers Consenvoye.

Dans la soirée du 5, à 20 heures, le kronprinz donnait à la Ve armée un ordre d'attaque pour le 6, en direction générale de Revigny, Bar-le-Duc.

La IVe armée appuierait la Ve, notamment avec le XVIIIe corps de réserve, alors à Saint-Mard-sur-le-Mont et Givry-en-Argonne. Le VIe corps (Ve armée) se porterait de Charmontois et Triaucourt sur Laheycourt et Villotte, puis s'emparerait des ponts de Revigny et de Neuville. Le XIIIe corps, venant de Triaucourt et Evres, marcherait sur l'Isle-en-Barrois et Rembercourt, puis enlèverait les ponts dé Mussey, de Varney et de Fains sur le canal de la Marne au Rhin; le XVIe " prendrait Bar-le-Duc ". Le IVe corps de cavalerie, parti de Saint-Mard-sur-le-Mont, pousserait son exploration en avant des IVe et Ve armées sur la ligne " Dijon, Besançon, Belfort ".

Enfin le VIe corps de réserve tiendrait au nord la ligne Saint-André, Avocourt, et une division de landwehr celle d'Avocourt à la Meuse (G. Babin, p. 271; Hanotaux, La Manœuvre de la Marne, p. 306.), sans doute pour interdire à la défense mobile de Verdun des entreprises contre les communications allemandes. Si ces détails sont exacts, il faut en conclure que le kronprinz manifestait une singulière outrecuidance. Un peu plus de prudence lui eût été avantageuse, ainsi qu'à von Kluck. Un de leurs historiens officieux écrit à ce sujet : " Plus les Allemands progressaient et plus les Français et les Anglais s'échappaient habilement sans engager une action décisive, plus aussi l'avantage initial des Allemands passait peu à peu à leurs adversaires. Les Allemands s'éloignaient de plus en plus de leur base et s'épuisaient de plus en plus par leurs marches fatigantes. Ils consommaient leurs munitions et leurs vivres avec une rapidité effrayante, et le moindre trouble dans le service de ravitaillement pouvait devenir fatal à des armées immenses, comme celles que les Allemands lancèrent, au mois d'août, vers la Belgique et le nord de la France " (Hanotaux, IX, p. 108.) .

III

 

Le général von Kluck, qui allait jouer un rôle important dans la bataille de la Marne, est né le 20 mai 1846, à Munster (Westphalie). Malgré ses 68 ans, il allait montrer que l'âge n'exclut ni l'activité, ni l'énergie. Entré au service dès le 13 octobre 1865, au 55e d'infanterie, il était lieutenant en 1866, après avoir fait la campagne du Main. En 1870-1871, il prenait part aux grandes batailles sous Metz. Major en 1889 seulement, colonel en 1896, il était général-major en 1899, puis commandait successivement la 37e division d'infanterie, le Ier corps. En 1913 il devenait inspecteur d'armée (VIIIe inspection) (Les Batailles de La Marne, p. 107.). Après l'avoir loué outre mesure, comme fait l'auteur officieux des Batailles de la Marne, ses compatriotes l'ont souvent jugé trop sévèrement.

Un fait certain est qu'au début de septembre 1914, il croit les troupes britanniques tout à fait hors de cause, séparées de la 5e armée par une trouée que ne peut clore notre cavalerie. Il ignore les emplacement de la 6e armée et de l'armée britannique (Hanotaux, IX, p. 81, d'après Stegemann.), ce qui paraît au moins singulier. Il ne soupçonne pas la présence de cette dernière derrière la forêt de Crécy; à portée de tomber dans son flanc. Comme son état-major et l'ensemble des officiers allemands, il dédaigne ses adversaires et croit la guerre à peu près terminée.

Quant au soldat teuton, malgré des fatigues écrasantes, bien qu'il s'éloigne de Paris au lieu de s'en rapprocher, du moins à la droite, il vit dans un rêve où les satisfactions les plus prosaïques s'accordent avec les aspirations pangermaniques. Lui aussi croit à l'entrée prochaine dans Paris, à la paix sous bref délai. Il vit de pillage et se console en buvant de ses fatigues, des vides qui se creusent dans ses rangs. Un chasseur du 3e bataillon écrit à une amie (5 septembre) : " Bois-tu, à chaque surprenante nouvelle de victoire, une coupe de mousseux, quand il s'agit des Français ? Tu peux le faire tranquillement, car nous ne dépensons pas un pfennig. Tout est chipé, volé. On vole complètement toutes les épiceries, marchands de vins, de liqueurs, magasins d'approvisionnement. Chaque maison particulière est dévalisée de fond en comble, chaque armoire vidée : aucun soldat ne porte chemise et bas plus de deux ou trois jours et ce n'est que le principal... Les Français sont anéantis. Il doit y avoir une joie colossale à Berlin... Dans quelques jours, j'écrirai de Paris... "

Vers la même époque, d'après l'agence Wolf, " les aviateurs allemands déclarent que les Français se retirent en grand désordre. Leur retraite est entravée par la pluie qui dure depuis trois jours." (G. Jollivet, Six mois de guerre, p. 252, Cf. dans le même sens, tome V, p. 184-186.)

Partout, sur le front, à l'arrière, en Allemagne, la conviction est la même. A Reims, le 5 septembre, des chœurs de triomphe retentissent sur la place du Parvis, au faubourg de Paris. Dans un hôtel, un officier annonce à voix haute que Paris a été sommé de se rendre dans les vingt-quatre heures, faute de quoi il sera bombardé, " pulvérisé ". Ses camarades assurent n'avoir jamais vu l'armée française, " tant elle met d'empressement à reculer devant eux " (Isabelle Rimbaud, Dans les Remous de La BataiLle, p. 139-151.). Ils étalent impudemment toute la jactance, toutes les insolentes prétentions d'une race de proie qui se croit sûre de dominer le monde à bref délai. L'avenir leur prépare un dur réveil.

CHAPITRE SUIVANT DE L'OUVRAGE DU GENERAL PALAT

MENU DE LA BATAILLE DE LA MARNE VUE PAR LE GENERAL PALAT

MENU DES RESPONSABLES ET ECRIVAINS FRANÇAIS

RETOUR VERS LE MENU DES BATAILLES DANS LA BATAILLE

RETOUR VERS LA PAGE D'ACCUEIL