LA BATAILLE DE LA MARNE VUE PAR LE GENERAL PALAT
CHAPITRE V
CHAPITRE V
LA SITUATION LE SOIR DU 5 SEPTEMBRE
La 6e armée. - Dispositions prises pour le 5. - Le groupe Lamaze vers Montgé et Monthyon. - Résultats. - L'armée britannique. - La 4e et la 3e armée.
I
le 4 septembre, la 6e armée comprenait les éléments suivants : le 7e corps; où la 63e division de réserve remplaçait la 43e division restée dans les Vosges; le 4e corps, arrivant de la 3e armée; les deux groupes de divisions de réserve Lamaze (55e et 56e), et Ebener (61e et 62e), la division de cavalerie provisoire Cornulier-Lucinière et le Ier corps de cavalerie d'où cette division avait été tirée.
En prenant position au nord-est de Paris la 6e armée, avait ordre de résister énergiquement sur la position Dammartin, Juilly, contre une attaque venant de Nanteuil-le-Haudouin, et sur la ligne Marly-la-Ville, Vémars, Moussy-le-Neuf contre une offensive, débouchant du nord (Général de Dartein, La 56e division au feu, p. 93.) .
A sa droite, la division Cornulier-Lucinière était au sud-ouest de Lagny, pour maintenir la liaison avec l'armée britannique.
Dans la nuit du 4 au 5, elle y recevait l'ordre de rejoindre le corps Sordet, mais demeurait néanmoins en place pour remplir sa mission présente.
A sa gauche, au groupe Lamaze, les dispositions suivantes avaient été prises le 4 septembre. La 56e division (de Dartein) , ayant à l'ouest la 55e (Leguay) , et au sud la brigade marocaine Ditte, devait défendre la ligne Saint-Mard, hauteurs de Dammartin, butte de Monterépin. Des avant-postes tiendraient Montgé, Rouvres, Othis; une position de repli serait organisée le long du ruisseau de Thieux.
Le 7e corps (général Vautier) s'échelonnait à la gauche du groupe Lamaze, la droite en avant, vers Villeron et Luzarches. La 45e division (Drude) allait traverser Paris dans la soirée du 5, pour s'établir en réserve d'armée dans la zone Villeron, Chénevières, Le Mesnil-Amelot Mauregard, Epiais-les-Louvres, à l'ouest de Dammartin.
Le groupe de divisions de réserve Ebener (61e, Deprez, et 62e, Ganeval) était arrivé le 4 septembre autour de Pontoise " dans un état de délabrement fâcheux ". Nous avons vu que la 61e division devait atteindre le 6 Attainville et Mareil-en-France, au nord d'Ecouen. La 62e suivrait le lendemain dans la même direction.
D'autres éléments allaient renforcer successivement la 6e armée. Le 4e corps débarquait du 3 au 7 à Gagny et aux environs. Le 1er corps de cavalerie était encore le 5 au sud-ouest de Paris, autour de Saint-Cyr l'Ecole.
La garnison du camp retranché comprenait alors les 83e, 85e, 86e, 89e et 92e divisions territoriales, la brigade de fusiliers-marins récemment arrivée, sous les ordres du contre-amiral Ronarc'h, et divers éléments secondaires. Au cours de la bataille, Gallieni allait prélever sur elle trois groupes de batteries de sortie, qui seraient engagées dès le 6 en soutien du groupe Lamaze, et deux bataillons et demi de zouaves (réserve) qui, interviendraient le 9 seulement. Enfin une brigade de spahis débarquerait aux environs de Paris le 10 et serait aussitôt jetée contre les Allemands.
Nous avons dit que l'ennemi ne doutait aucunement de son prochain triomphe. La grande majorité des neutres pensait de même et l'ambassade américaine faisait tirer une affiche en deux langues, destinée à protéger les immeubles où vivaient ses ressortissants. Dans la matinée du 5, des rumeurs démoralisantes couraient Paris; on assurait qu'Arras avait capituLé avec 12.000 territoriaux. Mais la population ne se doutait guère du voisinage de l'ennemi, trompée qu'elle était par les communiqués officiels.
Du côté de l'ennemi, von Kluck paraît avoir ignoré l'armée Maunoury, et dédaigné celle du maréchal French. Il ne se souciait que de la 5e armée et télégraphiait qu'il fallait foncer pour la saisir avant qu'elle eût atteint la Seine. La Ire armée, croyait-il, y suffirait largement. Il était bien inutile de déranger (verschieben) avant l'heure les IIe et IIIe.
Von Bülow semble avoir eu des vues plus justes. Il signalait le 5 des transports de troupes vers Paris, pressentait une attaque de flanc dans cette direction et ne croyait pas à la possibilité d'une contre-attaque de front en quoi il se trompait lui aussi.
II
Le 5 septembre, en vue d'une offensive ultérieure dans la direction de l'est, la 6e armée devait se déployer sur le front Saint-Mesmes, forêt d'Ermenonville, le groupe Lamaze à la droite et le 7e corps à gauche. On se rappelle que ,la division Cornulier-Lucinière était au sud-ouest de Lagny. Vers 16 heures, elle recevait à la fois deux ordres contradictoires, à exécuter de suite. Le général Maunoury lui prescrivait de suspendre son retour au Ier corps de cavalerie, ordonné la nuit précédente, et d'aller flanquer la droite de la 6e armée, " en marche sur Château-Thierry ". Peu après, survenait le chef d'état-major du corps Sordet, porteur de l'ordre de rallier immédiatement cette formation. Entre ces prescriptions contradictoires, le général de Cornulier-Lucinière pensa justement que " l'honneur lui commandait d'obéir " à celle l'appelant " du côté où, visiblement, les coups étaient les plus proches ". Il acheva de donner des ordres dans ce sens. A 21 heures, la division arrivait à Fresnes (est de Claye) et bivouaquait entre ce village et Annet.
Le groupe Lamaze s'était rassemblé à Thieux dans la matinée du 5. Au sortir du village, la 56e division prenait la direction de Saint-Soupplets par Juilly et Montgé; la 55e allait de Thieux sur Monthyon par Nantouillet; la brigade Ditte sur Charny et Villeroy.
La vaste plaine qui s'étend au nord-est de Paris, entre les collines de Montmorency et la " Petite Suisse " de Vaujours, est barrée de la route de Senlis à la Marne par une ligne de crêtes très marquées qui commandent tout le terrain environnant. La hauteur de Dammartin se prolonge ainsi vers le sud-est par la colline de Montgé, puis par une série de mamelons isolés dont les principaux sont ceux de Monthyon et de Penchard. La possession de ces points d'appui eût évidemment été très avantageuse aux éléments ennemis qui couvraient vers l'ouest le mouvement de von Kluck. Heureusement ils n'en tenaient qu'une partie.
L'avant-garde de la 56e division se portait sur Montgé, village qu'elle trouvait évacué, ainsi que la hauteur qui le domine. On redescendait dans la plaine pour marcher sur Saint-Soupplets, le reste de la division contournant la hauteur de Montgé par Saint-Mard et Juilly, au nord et au sud. A sa gauche, le 7e corps devait occuper Dammartin.
Ces mouvements s'exécutaient sans encombre jusqu'à midi, heure à laquelle le canon retentissait vers Saint-Soupplets et Monthyon. En pénétrant dans le premier de ces villages, le 5e bataillon du 361e était soumis à un feu violent venant de batteries établies vers le nord, en direction de Saint-Pathus et d'Oissery. Il refluait sur le bois de Tillières, au nord de Montgé (Général de Dartein, p. 100.) . Le 5e bataillon du 350e attaquait Saint-Soupplets par le nord, sans pouvoir davantage s'y maintenir. Deux des groupes de la 56e division (25e et 40e) entraient en action avec succès aux abords de Cuisy, contre les batteries de Monthyon qui canonnaient alors la 55e division. La 56e tenait la ligne approchée Cuisy, ferme Goële.
L'avant-garde de la 55e division marchait de Nantouillet sur Monthyon par le Plessis-aux-Bois et Villeroy, quand, vers midi, les premiers obus allemands atteignaient, le 276e qui tenait la tête. Il y eut entre ces deux derniers villages un moment de grand désarroi. Heureusement notre artillerie intervint. Une batterie du 45e réussit à imposer silence aux pièces tirant de Monthyon; une autre s'établit vers Le Plessis-l'Evêque; puis le 276e reprenait son mouvement sur Villeroy, tandis que la brigade marocaine attaquait vers Neufmontiers et Chauconin, à sa droite. L'un des écrivains qui honoraient le plus la jeune génération, Charles Péguy, était tué ,aux abords de Villeroy, en se sacrifiant pour maintenir sa compagnie au feu.
Vers 17 heures seulement, nous tenions Le Plessis-l'Evêque, Iverny, Villeroy; l'artillerie du groupe Lamaze tirait du nord et du sud du Plessis-aux-Bois. Malgré sa protection, il était difficile de déboucher du terrain conquis, en face des positions dominantes de Monthyon et de Penchard.
A droite des divisions Lamaze, la brigade marocaine Ditte avait débordé Neufmontiers et s'était lancée à l'attaque de la hauteur du Télégraphe. Des mitrailleuses la mettaient en désordre et rejetaient les premières vagues. Une deuxième attaque lui permettait de prendre pied dans un bois, mais pour en être bientôt chassée. Après un troisième assaut, très meurtrier, les Marocains devaient être ramenés en arrière. Il était près de 16 heures. Vers 16 h. 15, le 2e bataillon du 276e :(55e division) recevait l'ordre d'attaquer en direction de Monthyon pour dégager la brigade Ditte. Il subissait de grosses pertes dans cette offensive.
Quant aux Marocains, ils évacuaient, dans la soirée Neufmontiers et Chauconin. La 55e division ne parvenait pas à dépasser les trois villages qu'elle avait occupés.
La 56e attaquait Saint-Soupplets où nous ne trouvions plus qu'un poste, qui était enlevé.
Quant au 7e corps, le 5, il se déplaçait vers l'est, la 63e division passant à la droite de la 14e, le tout face au nord-est. A la fin de ce mouvement, qui s'opérait sans incident, la 14e division cantonnait dans la région de Plailly, ses avant-postes sur la ligne Montabry, Saint-Sulpice, Loisy, Ver, Eve, observant les débouchés de la forêt d'Ermenonville; la 63e division autour de Dammartin ses avant-postes entre Eve et L'Essart ( à l'est de Rouvres) . " Le moral et la discipline, qui laissaient quelque peu à désirer les jours précédents, redeviennent excellents. "
En somme, à la 6e armée, les résultats de la journée du 5 étaient très peu marqués. Le terrain conquis n'avait qu'une faible étendue et les pertes étaient lourdes pour une partie des troupes. En outre, et surtout, le mouvement isolé de notre extrême gauche avait eu ce très fâcheux résultat de donner l'éveil à von Kluck. Au lieu de continuer son offensive au sud-est, il ramenait au nord la majeure partie de ses forces et parait ainsi à un enveloppement qui eût pu l'acculer à un désastre, si nous avions su faire usage de la surprise, cette arme toute puissante en stratégie comme en tactique.
On a parfois imputé à l'impatiente ardeur de Gallieni l'attaque prématurée de la 6e armée. Il suffit de rappeler que l'instruction générale du 4 septembre prescrivait que, le 5 au soir, le général Maunoury serait au nord-est de Meaux, prêt à franchir l'Ourcq. Il eût été plus judicieux de maintenir ces troupes en place, dans leurs emplacements du 4 au soir, jusqu'au début de l'offensive générale du 6.
III
Le soir du 3 septembre, l'armée britannique était au sud de la Marne, à peu près face au nord, le 3e corps à gauche, de Chanteloup à Saint-Germain-les-Couilly; le 2e corps au centre, de Couilly à Villemareuil; le Ier corps à droite, entre Villemareuil et Signy-Signets; la cavalerie aux ailes et sensiblement en arrière : les 3e et 5e brigades à droite, dans la région de Mauroy, au sud de Jouarre; la division Allenby à gauche, autour de Villeneuve-le-Comte.
Nous avons vu que, la nuit du 4 au 5, nos alliés opéraient un nouveau repli pour s'arrêter, cette fois, presque face à l'est de Villiers-sur-Morin à Fontenay. Le 5, après un dernier recul, ils étaient sur la ligne forêt d'Armainvillers, Tournan quand le maréchal French se décidait enfin à prendre part au mouvement général d'offensive. Il ramenait l'armée non sur la ligne Changis, Coulommiers qu'avait prévue le commandant en chef dans son instruction générale, mais au nord et au sud de Rozoy, c'est-à-dire très sensiblement en arrière, ce qui compromettait déjà l'exécution de nos projets. En outre nous l'avons vu, il amenait Gallieni à porter la première division débarquée au 4e corps (8e, général de Lartigue) à ,sa propre gauche, de manière à mieux assurer sa liaison avec la 6e armée. Cette unité fut d'une très faible utilité pendant la bataille. A coup sûr, elle eût rendu plus de services sous les ordres directs du général Boëlle, à la gauche de l'armée Maunoury. A la droite de l'armée britannique, celle du général Franchet d'Espérey (5e) recevait l'ordre suivant dans la soirée du 4 septembre. Elle continuerait les 5 et 6 son repli vers le sud. " Il s'agit d'arriver au sud de la Seine le plus tôt possible et avec le moins de pertes possible. En conséquence, en cas d'attaque, les arrière-gardes constitueront des échelons successifs d'artillerie de manière à combattre partout avec le canon et à ne pas laisser accrocher l'infanterie. " Rien, dans ces descriptions, ne laissait prévoir une offensive prochaine.
C'est le 2e corps de cavalerie qui tenait la gauche de la 5e armée, en liaison avec les troupes britanniques. Le général Conneau lui ordonnait ce qui suit :
(4 septembre, 21 h. 30) : " L'ennemi a franchi le Petit-Morin, sans atteindre le Grand-Morin. L'armée continuera demain, 5, sa retraite vers la Seine, le 18e corps d'armée (de gauche) entre les routes incluses Lescherolles, Cerneux, Rupéreux, Provins et Réveillon, Montceaux, Villiers-Saint-Georges. Il franchira le Grand-Morin à partir de minuit.
Le corps de cavalerie continuera sa mission qui est de couvrir le flanc ouest de l'armée et retarder l'ennemi... ". L'intention du général Conneau est d'opérer ce barrage " d'abord sur le Grand-Morin, puis de se porter sur le flanc gauche du 18e corps, au sud de La Ferté-Gaucher, enfin au sud du ruisseau d'Aubetin. La 4e division sera en conséquence prête à 5h. 30 à interdire le passage du Grand-Morin, de Meilleray- inclus à Lescherolles exclus. La 10e division, même mission, de Lescherolles inclus à Jouy-sur-Morin inclus, en se couvrant à gauche jusqu'à Choisy... La 8e division sera à 6 heures dans la région de Leudon (sud-ouest de la Ferté-Gaucher), avec mission d'interdire le passage de la voie ferrée entre Choisy et Beton-Bazoches.
" Une attaque de cavalerie étant à envisager dans ce pays de plaines, la résistance sera faite surtout par de l'artillerie avec un petit soutien et des fractions à pied, le groupe des divisions restant bien en main, à l'arrière et à l'abri... "
Les premiers renseignements reçus à la 4e division, datés de 5 h. 40 et de 6 h. 20, signalaient une colonne d'artillerie et d'infanterie descendant de Montolivet sur Meilleray. Le général Abonneau prescrivait à deux de ses brigades de renforcer la défense du Grand-Morin. Les sapeurs cyclistes détruiraient immédiatement les ponts de Cormeaux et de La Chapelle-Vérouge, puis celui de Meilleray après l'écoulement du 18e corps. La défense du Grand-Morin terminée, on prendrait pour direction générale Courtacon.
Vers 7 heures, un violent combat s'engageait aux abords des ponts. Près de la ferme Pothier, des dragons à pied résistaient vaillamment à des forces supérieures.
Sur les entrefaites, 7 h. 30, le général Conneau prescrivait à la 4e division de se porter, après la défense du Grand-Morin, au sud-ouest de Saint-Hilliers, vers Pivot, tenant les lisières nord-ouest de la forêt de Jouy, avec un régiment à sa corne sud-ouest. A sa droite, la 8e division viendrait dans la région ouest de Courchamp, gardant les ponts de l'Aubetin, de Beton-Bazoches à Dagny inclus, ainsi que les lisières nord des bois à l'est de Bezalles et du bois des Cordeliers.
La 10e division, se retirant la dernière, viendrait dans la région de Champcenest, au nord de Courchamp, tenant l'Aubetin, de Fortail au ruisseau des Marets, en liaison à droite avec les arrière-gardes du 18e corps.
Seuls les ponts de Cormeaux pouvaient être détruits par la 4e division; ceux de La Chapelle-Vérouge et de Meilleray étaient pris par un ennemi très supérieur en nombre.
Vers 10 heures, on annonçait le repli de la 10e division vers Rupéreux. Dans l'après-midi la 4e division se portait sur Pivot, puis sur le Grand-Boissy , en détachant un régiment à Saint-Just. L'ennemi ne troublait en rien ces mouvements et à 18heures, le corps Conneau recevait l'ordre de stationnement. La 4e division s'installait au sud-ouest de Provins, la 10e au nord-est et la 8e au sud. La sûreté éloignée était portée sur la ligne Nangis, La Croix-en-Brie, lisière nord de la forêt de Jouy, Beauregard, Rupéreux. Déjà une grande partie de cette région était désertée par ses habitants. Le village de Poigny, par exemple, avait été entièrement abandonné, moins une maison.
Le 18e corps tenait la gauche de la 5e armée, en liaison avec le corps Conneau. le 4 septembre, dans la soirée, il rompait en trois colonnes, la 36e division (Jouannic) à gauche, la 38e (Muteau) au centre, la 35e (Marjoulet) à droite. Cette dernière se portait d'abord sur Tréfols en réserve d'armée, la 36e marchant par Montolivet vers La Ferté-Gaucher. La 38e, où le général Schwartz remplaçait le divisionnaire, blessé, formait arrière-garde avec l'artillerie de corps, sur la même route.
Ces mouvements, opérés dans la nuit du 4 au 5 étaient très pénibles. La 38e division et le corps Conneau se voyaient talonner par l'ennemi à Montigny-les-Condé, à Fontenelle. Le 18e corps n'atteignait qu'à une heure avancée de l'après-midi, le 5, la zone au nord de Provins, où il s'établissait; le quartier général à Le Houssay, la 35e division et l'artillerie de corps autour de ce point, la 36e à Saint-Martin-des-Champs (vers l'ouest) et la 38e en deuxième ligne autour de Saint-Brice. Chose bizarre, on établissait les avant-postes à la fois face à l'ouest et au nord, sur la ligne Le Plessis-Poil-de-Chien, Savigny, Courchamp, Rupéreux, Château de Flaix. La raison était simple : la retraite prolongée des forces britanniques avait créé entre elles et la 5e armée, en dépit de la présence du corps Conneau, une brèche qui tendait à s'élargir au lieu de se restreindre.
Bien que l'on s'attendit à continuer le mouvement rétrograde jusque derrière la Seine, on organisait des centres de résistance au nord de Provins. L'ordre d'offensive ne parvenait qu'à 18 h. 30, le 5, à l'état-major du 18e corps (Notes communiquées par le colonel Bujac. On ne s'explique pas cette arrivée tardive.).
On se rappelle que le groupe Valabrègue (53e et 69e divisions de réserve) avait passé de la gauche à la droite du 18e corps. Le soir du 4 septembre il était au sud de Villiers-Saint-Georges, autour de Beauchery (Q. G.) et dans un profond désarroi. Le soir du 5, il avait opéré un nouveau recul, cette fois moins accentué, pour atteindre la région dé Saint-Martin-Chennetrou. Déjà il avait porté quelques-uns de ses éléments au sud de la Seine, à Nogent.
Le 3e corps tenait la droite du groupe Valabrègue. Dans la soirée du 4, il avait repris la marche vers le Grand-Morin en deux colonnes : à l'ouest la 37e division (Comby) et la 6e (Pétain) ; à l'est la 5e division (Mangin). La première suivait la route de Morsain, Esternay, Villegruis, en liaison étroite avec le 18e corps. Le soir du 5 elle était au sud du bois de Montaiguillon. Quant à la colonne Mangin, elle marchait par Fromentières,, Boissy-le-repos, Châtillon-sur-Morin, Les Essarts-le-Vicomte, Fontaine-sous-Montaiguillon. L'ensemble du 3e corps avait nettement appuyé vers l'ouest, pour aider à fermer la brèche entre la 5e armée et les Anglais. L'ordre d'attaquer le 6, dès l'aube, arrivait à 20 h. 30 et cette reprise de l'offensive changeait du tout au tout l'état moral des troupes.
On savait l'ennemi à Montceaux-les-Provins, à Bel-Air et dans le bois au nord d'Escardes. Une colonne était signalée marchant de Courgivaux par les bois au nord de Villouette.
A la droite du 3e corps, le 1er s'était arrêté le 4 septembre dans la région de Baye. Il recevait du général Deligny l'ordre (19 heures) de se mettre en mouvement la nuit suivante. Sa marche serait couverte par la 1ère division (Gallet), en deux colonnes et disposant du 6e chasseurs.
Leurs arrière-gardes tiendraient en fin de marche les hauteurs ouest et sud-ouest de Sézanne (cotes 204 et 202) et Bricot-la-Ville. Elles se relieraient à droite, vers les Grandes-Tuileries, au 10oe corps tenant les hauteurs de Broyes, et à gauche, vers le Buisson-de-Feu, au 3e corps.
Ce mouvement était en cours d'exécution, le 5 septembre, quand de nouveaux ordres le modifiaient brusquement. Le général d'Espérey décidait d'orienter la 5e armée en vue d'une offensive à prendre le 6 vers le nord-ouest. A 10 heures, le général Deligny prescrivait à la 1re division d'établir son gros dans la zone La Forestière, Les Essarts-le-Vicomte, Nesle-la-Reposte, et son arrière-garde à La Pimbaudière, Bricot-la-Ville, Eve, Le Haut-d'Escardes. Elle s'y retrancherait. Les impedimenta seraient renvoyés, le plus tôt possible, au sud de Pont-sur-Seine. On se relierait au 10e corps vers Mée-Saint-Epoing, au 3e vers Chomme.
Cet ordre provoquait une " allégresse générale. Les troupes harassées par des marches longues et pénibles ne ressentent plus la moindre fatigue, c'est une joie indicible... "
Le 10e corps tenait la droite du 1er et de la 5e armée. Le 4 son quartier général était à Sézanne, la 20e division couvrant la retraite sur les hauteurs au sud de la Marne. On devait atteindre le 5 la région de Romilly, Marcilly-sur-Seine, mais cet ordre était modifié dans la journée et la zone Moeurs, Launat, Barbonne, Saudoy, Sézanne affectée au cantonnement. Le soir les avant-gardes étaient à hauteur de Lachy, Les Essarts-les-Sézanne, la 20e division à la droite, la 19e à gauche et la 51e, provisoirement rattachée au corps d'armée, en deuxième ligne dans la région Le Plessis, Saudoy, Barbonne.
D'après l'ordre que donnait le général d'Espérey, le 5 à 18 h. 30, le 6, la 5e armée marcherait vers le nord, le 18e corps la droite à la route Villiers-Saint-Georges Baleine, en direction générale de Sancy, Meilleray, Montolivet. Le groupe Valabrègue suivrait en deuxième ligne sa gauche à la même route. Le 3e corps aurait pour axe de marche Courgivaux, Tréfols, Marchais-en-Brie, une division en réserve d'armée derrière la droite; le Ier corps irait sur Les Essarts-le-Vicomte, Esternay, Champguyon, Montmirail; le 10e corps sur Moeurs, Soigny, Vauchamps, se reliant à la 42e division (9e armée) sur la route de Lachy à Charleville. Il serait par divisions accolées, la 51e suivant en arrière à droite.
L'ensemble de ces mouvements commencerait à 6 heures pour les corps d'armée, à 7 heures pour le groupe Valabrègue. L'attaque serait appuyée à gauche par le corps Conneau, qui coopérerait effectivement au combat du 18e corps; à droite par la 42e division, qui agirait sur Vauchamps et le 9e corps sur Baye.
IV
L'ordre de la 9e armée, pour le 5 septembre, prescrivait la continuation de la retraite, le 11e corps, à droite, marchant sur Sommesous; le 9e au centre, sur Gourgançon et au sud; la 42e division, à gauche, sur Pleurs. La 52e division de réserve avait ordre de dépasser dès 3 heures la ligne Pierre-Morains, Colligny, afin de se porter dans la zone Boulages, Plancy, Viâpres, sur l'Aube, par les routes d'OEuvy et de Corroy. Cette disposition avait pour but de débarrasser notre front d'un élément beaucoup plus ébranlé par la retraite que les troupes voisines (La 60e division était rattachée provisoirement au 11e corps et la 52e au 9e. Il n'est pas exact que la division marocaine ait recouvré le 5 son indépendance, comme l'écrit M. Hanotaux, VIII, p. 257. Elle resta rattachée au 9e corps pendant toute la bataille et même ultérieurement.).
Le gros du 9e corps se mettait en marche à 3 h. 30, en deux colonnes : la 17e division par Voipreux, Bergères-les-Vertus, Pierre-Morains, Ecury-le-Repos, Fère-Champenoise, OEuvy; la division marocaine par Bergères-les-Vertus, Fère-Champenoise, Faux.
Le 7e hussards, maintenu sur la ligne Vertus, Chaintrix, reconnaissait les routes au nord en assurant la liaison avec le 11e corps. A 5 heures il rendait compte que l'ennemi demeurait tout aussi peu mordant, montrant à peine quelques patrouilles.
Au moment où ses têtes de colonne s'engageaient dans Fère-Champenoise, le 9e corps recevait l'ordre suivant, daté de 6 h. 45, premier indice de l'offensive prochaine, accueilli par tous avec un véritable enthousiasme :
" En vue de réaliser un dispositif permettant de passer a l'offensive le 6 septembre, le 9e C. A. arrêtera sa marche de façon qu'aucun de ses éléments combattants ne dépasse au sud la ligne Connantre, OEuvy (D'après Le Goffic, La Victoire de la Marne, Les Marais de Saint-Gond, p. 29, le 11e corps paraît avoir reçu simultanément l'ordre de ne pas dépasser la ligne Montépreux, Connantre.). Il maintiendra ses arrière-gardes sur la ligne Aulnay-aux-Planches, Morains, Ecury. La 52e division sera maintenue dans la région Corroy, Courcelles, au sud de la Maurienne. "
A 7 heures, le général Dubois prescrivait à la division marocaine d'arrêter ses gros vers Fère-Champenoise, son arrière-garde à Aulnay-aux-Planches, Morains, sur le prolongement des marais de Saint-Gond. Son artillerie surveillerait Colligny, la route de Vertus et Pierre-Morains. De même, la 17e division arrêterait ses gros au sud du ruisseau de la Vaure, entre le moulin de Connantray et OEuvy, son arrière-garde à Ecury-le-Repos, l'artillerie surveillant Pierre-Morains, Clamanges, la route de Châlons. On chercherait la liaison avec le 11e corps vers Normée, avec la 42e division vers Aulnizeux.
Les troupes se conformaient à cet ordre et les arrière-gardes se retranchaient sur place. Cependant. arrivaient au 9e corps (10 h.45) de nouvelles prescriptions (10 h. 30) changeant totalement son orientation : " En vue de couvrir la droite de la 5e armée, dont le 10e corps attaquera, demain 6 septembre, dans la direction générale de Sézanne, Montmirail et à l'est, le 9e corps fera occuper ce soir, par de fortes avant-gardes, Congy et Toulon-la-Montagne. Il disposera son stationnement en vue de pouvoir agir demain matin par Baye ou par Etoges. Il assurera les liaisons avec la 42e division par Villevénard et avec le 11e corps à Morains, qu'il continuera d'occuper. Les avant-gardes organiseront solidement leurs positions ".
Le général Grossetti donnait vers 14 heures son ordre à la 42e division : la 84e brigade, colonel Trouchaud, marcherait sur La Villeneuve, le bois de la Branle et Soizy-aux-Bois; la 83e, général Krien, sur Mondement, Oyes et le bois de Botrait; les trois groupes du 61e, colonel Boichut, s'établiraient aux environs de Broussy-le-Petit, Reuves et Mondement; les deux groupes du 46e, colonel Coffic, entre Montgivroux et Mondement.
Peu après un bataillon (2e du 61e) se portait vers l'ouest d'Oyes pour battre le bois des Usages et couvrir notre débouché sur Talus-Saint-Prix. A 16 heures, après un court combat, nous étions maîtres du pont et de l'église de ce village. L'ennemi se retirait sur le moulin de Touny où il se retranchait.
A 11 heures, le général Dubois prescrivait à la division marocaine de pousser aussitôt que possible un régiment au nord des marais de Saint-Gond, sur Congy, par Bannes et Coizard; à la 17e division de jeter une forte avant-garde dans Toulon-la-Montagne, tout en laissant de petits détachements à Vert-la-Gravelle, Aulnizeux, Aulnay-les-Planches, Morains. Les gros se rassembleraient, pour la division marocaine vers Broussy-le-Grand et Broussy-le-Petit; pour la 17e division vers Bannes et Fère-Champenoise. Dorénavant le front du 9e corps serait compris entre Morains et Saint-Prix, de la route de Sézanne, Champaubert à la ligne Fère-Champenoise, Ecury-le-Repos. Entre ces deux limites, les marais de Saint-Gond, qui s'étendent de l'est à l'ouest formaient un obstacle sérieux contre une offensive venant du nord ou du sud. Ils ne sont franchissables aux chevaux et aux voitures que par cinq étroites chaussées. Hors de ces chemins, un homme a pied peut en traverser une grande partie, mais avec certains risques, même dans la belle saison. De temps immémorial, une lumière, qui brille dans l'une des tours du château de Mondement, sert de phare au travers de ces dangereux marécages. Au sud, ils sont commandés par le mamelon isolé du mont Août et, à l'ouest, par le promontoire que dessine vers Allemant la falaise de Champagne, dominant de près de cent mètres toute la plaine à l'ouest, ce qui en fait une sorte de " clé de position " . Au nord des marais deux hauteurs isolées sont marquées par les villages de Toulon-la-Montagne et de Congy. Leur orientation à peu près nord-sud fait qu'elles ne se prêtent pas à la défense, ni même à un grand déploiement d'artillerie. D'ailleurs elles sont complètement encerclées par une série de hauteurs qui s'élèvent entre Champaubert, Etoges et le Mont-Aimé.
Qu'elle soit tentée du nord au sud ou du sud au nord, la traversée des marais est particulièrement difficile sous le feu des hauteurs dominantes, surtout dans le second cas. Le mieux paraît être de déboucher par les deux ailes de ces marécages, c'est-à-dire par les régions boisées de Morains et de Saint-Prix, cette dernière accidentée par surcroît.
Notons encore que le 9e corps allait avoir à tenir un front de vingt et un kilomètres devant trois corps d'armée allemands, la garde prussienne, les Xe et XIIe corps, tout en ne disposant que de trois divisions amoindries, auxquelles manquait une partie de l'artillerie de corps, restée en Lorraine (En outre, la division marocaine n'avait que deux groupes de 75 au lieu de trois.).
V
Au reçu de l'ordre précédent, le général Humbert arrêtait le mouvement vers le nord de la division marocaine et prescrivait au général Blondlat de gagner, avec un régiment, Congy par Aulnizeux et Joches, tandis qu'un autre se porterait sur Courjeonnet, par Bannes et Coizard, détachant une compagnie à Villevénard pour se relier à la division Grossetti. En même temps les régiments Cros et Fellert (Cette brigade était déjà réduite de 6.000 ;hommes à 2.000 (Historique du 7e de marche de tirailleurs algériens, p, 232) iraient à Broussy-le-Grand avec l'artillerie.
A 15 heures, le 7e hussards faisait connaître que l'ennemi débouchait en force de Vertus et que, déjà, il avait poussé des éléments avancés à Vert-la-Gravelle. D'autre part on rendait compte que la 42e division avait évacué la région au nord des marais pour se replier sur Broussy-le-Petit.
A 18 heures, la tête du bataillon colonial Pautel atteignait Coizard, sans pouvoir en déboucher (Une fraction de la IIe armée était entrée dans Baye dès 8 heures; la IIIe n'atteignit Vertus que vers midi (Le Goffic, loc. cit., p. 20)) . Le reste de la brigade recevait des coups de feu, pendant que l'artillerie lourde allemande canonnait Bannes et ses débouchés.
Vers 20 heures, le général Blondlat rendait compte qu'il ne voyait pas la possibilité de pousser au nord des marais pendant la nuit et qu'il s'établissait à Bannes. Le reste de la division marocaine était à Broussy-le-Grand et au Mesnil-Broussy.
Quant à la 17e division, le général Moussy lui avait donné l'ordre suivant (13 heures) : le colonel Eon occuperait Vert-la-Gravelle avec un détachement, tout en portant un bataillon à Toulon-la-Montagne, des fractions dans le château de la Gravelle et à Aulnizeux. Il ferait en sorte d'avoir le 6, au point du jour, tout son détachement à Toulon-la-Montagne, de façon à couvrir le débouché au nord des marais. Le gros de la division s'établirait entre Bannes et Fère-Champenoise, moins le bataillon du 32e et la cavalerie divisionnaire qui relèveraient les Marocains à Morains. Les avant-postes resteraient en place, pour surveiller les directions de Bergères-les-Vertus et de Clamanges, se reliant à Normée au 11e corps.
Le 2e bataillon du 135e occupait Toulon-la-Montagne sans coup férir. Celui du commandant Noblet (3e du 135e) trouvait l'ennemi à Vert-la-Gravelle et l'en délogeait (22 heures) , sans pouvoir enlever le château de la Gravelle (D'après Le Goffic, p. 240, ce bataillon prit une batterie allemande mal gardée, mais la 11e compagnie ouvrit par erreur le feu sur la 12e qui dut se reporter en arrière. Quand on voulut emmener ces canons, ils avaient été enlevés par les Allemands.) . La situation du détachement Eon allait devenir difficile dès le matin du 6, si la division marocaine ne parvenait à occuper Congy vers l'ouest. Le reste du 9e corps stationnait pendant la nuit du 5 au 6 entre Broussy-le-Grand, Aulnay-aux-Planches et Fère-Champenoise (ouest), moins la 52e division, répartie entre Connantre et Faux, vers le sud.
A droite, le 11e corps tenait Fère-Champenoise (est), Connantrey, OEuvy, avec des avant-postes sur la ligne Ecury-le-Repos, Lenharrée, la 21e division gardant l'intervalle de Morains à Normée; la 22e de Normée à Lenharrée. Les dernières instructions du G. Q. G. prescrivant de ne pas engager les divisions de réserve, autant que possible, jusqu'à ce qu'elles eussent pris de la cohésion, la 60e division restait fort en arrière, à la garde des convois, vers Semoine, Villiers-Herbisse et Herbissé, moins un bataillon du 202e, détaché à Fère-Champenoise (D'après les Notes inédites du général Eydoux, commandant le 11e corps. Dès 5, le combat s'était engagé à Ecury-le-Repos.).
A gauche du 9e corps, la division Grossetti cantonnait dans La Villeneuve-lez-Charleville, Soizy-aux-Bois et Mondement.
Le soir, l'armée recevait un ordre, daté de Pleurs, 5 septembre : " En vue de couvrir la droite de la 5e armée et d'appuyer son offensive vers le nord-ouest, la 9e armée prendra demain les dispositions suivantes : le 9e corps s'établira défensivement sur la ligne des Marais de Saint-Gond, d'Oyes à Bannes, en maintenant de fortes arrière-gardes au nord des marais et en tenant des forces prêtes à déboucher sur Champaubert, tandis qu'à droite le 11e corps tiendra intégralement le front Morains, Lenharrée et qu'à gauche la 42e division attaquera dans la direction générale Vauchamps-Janvillers... " On notera que cet axe d'attaque était très fortement oblique par rapport au front actuel de la 42e division, c'est-à-dire divergent à l'égard du 9e corps, ce qui n'allait pas faciliter leur tâche commune.
VI
On se rappelle que les 3e et 4e armées n'étaient pas visées. par l'ordre de contre-offensive donné le 4 aux armées de gauche. Elles continuaient donc leur retraite dans la journée du 5. Le soir, la 4e armée était établie au sud de la ligne Humbauville, Sermaize, le 17e corps à la gauche vers Humbauville; le 12e corps à Vauclerc, Huiron et Courdemanges au sud de Vitry-le-François; le corps colonial à Blesmes et Dompremy; le 2e corps vers Mauruht-le-Montoy et Sermaize (D'après Deville, p.97, l'arrière-garde de la 3e division s'arrête à Heiltz-le-Maurupt; son Q. G. est à Scrupt où l'on trouve une fraction du corps colonial.). La 9e division de cavalerie fermait d'une manière fort insuffisante la large brèche entre la gauche de la 4e armée et la droite de la 9e, d'Humbauville à Lenharrée, plus de vingt-cinq kilomètres.
Sur les quatre corps de la 4e armée, trois (les 17e, 12e et le corps colonial) étaient fort éprouvés déjà, à la suite de la bataille des Ardennes et d'une pénible retraite. Le 12e corps (général Roques) , en particulier, avait beaucoup souffert, au point que six de ses bataillons seulement étaient, dit-on, en état de combattre (G. Babin, La Victoire de La Marne, Illustration du 11 septembre 1915, p. 270. D'après un témoin, la 24e division traverse la Marne à Pringy (5 septembre), marche sur Blacy, Courdemanges, Châtel-Raould, Chapelaine, Somsois, où elle passe en réserve d'armée. Selon un autre témoin, la même division était, lors de la reprise de l'offensive (6 septembre) réduite à deux régiments de deux brigades différentes, les deux autres ayant été envoyés sur l'Aube par voie ferrée pour se refaire. Avec ces deux régiments, il fallut couvrir l'artillerie divisionnaire, l'artillerie de corps et la batterie d'artillerie lourde, celle-ci réduite un instant à une pièce en état de tirer.). Il avait fallu transporter en chemin de fer ou sur les convois des unités et quantité d'éclopés.
D'après la note du 2 septembre, la 3e armée devait se replier non plus au nord de Bar-le-Duc, mais jusqu'à Joinville (Et même jusqu'à Doulevant-le-Château, d'après V. Margueritte.) à plus de 50 kilomètres au sud. Le repli total de Montfaucon à Joinville, dépasserait 100 kilomètres en ligne droite, soit cinq jours de marche environ. Il était difficile que l'armée atteignît Joinville avant le 8, ce qui donnerait à croire que le G. Q. G. envisageait d'abord une retraite prolongée jusqu'à cette date (E. Renauld, Un Verdun inconnu, Renaissance des 15 février et 1er mars 1919.) .
Le soir du 4 septembre, l'arrière-garde du 2e corps (droite de la 4e armée) était à Vieil-Dampierre. Le général Sarrail arrêtait les queues des gros des 5e et 6e corps à Triaucourt et Beauzée-sur-Aire, les arrière-gardes tenant encore la route de Ste-Menehould à Verdun. La 3e armée était ainsi à une étape environ au nord de la 4e, ce qui permettait une manœuvre. Si l'ennemi attaquait, il pouvait être coincé entre les deux armées. L'instruction générale n°4 (1er septembre) n'avait pas prévu ce dispositif et l'officie d liaison du G. Q. G. ne cessait d'insister, dit-on, pour une accélération de repli. Toutefois on finit par admettre l'opportunité des dispositions prises par le général Sarrail, pour rester le plus longtemps possible en liaison avec Verdun. L'instruction générale n° 5 (5 septembre) permit à la 3e armée de " se replier lentement, en se maintenant, si possible, sur le flanc de l'ennemi ".
Le soir du 5, le quartier général était à Ligny-en-Barrois, l'armée tenant; le front Revigny, Souilly et ayant ses arrière-gardes à Beauzée (6e corps), à Vaubecourt (5e corps) ; la 7e division de cavalerie à Passavant avec un régiment d'infanterie en soutien à Triaucourt. Le groupe Pol Durand (65e, 67e, 75e divisions de réserve) avait passé la Meuse pour s'intercaler entre le 6e corps et Verdun; la 65e division, à gauche était entre Mondrecourt et Amblaincourt; la 75e, à droite, dans la région de Souilly; la 67e en seconde ligne.
Le départ du 4e corps pour la région de Paris ne laissait au général Sarrail que sept divisions d'infanterie dont trois de réserve (La 107e brigade (301e, 302e, 304e de réserve), général Estève, était provisoirement rattachée au 6e corps, ainsi que l'artillerie de la 54e division, général Chailley, dont elle faisait tout d'abord partie. Cette division avait été disloquée après moins d'un mois d'existence, suivant une déplorable pratique qui fut trop souvent mise en usage dans la suite. Nous avions moins de grandes unités que les Allemands et nous en réduisions encore le nombre, sans raison sérieuse, quitte à en improviser de nouvelles, forcément dépourvues de consistance au début. L'état-major de la 54e division et la 108e brigade, général Buisson d'Armandy, passèrent à la défense de Verdun (3 septembre). Le 5, la brigade Estève cantonnait à Marats-la-Grande et Marats-la-Petite.).
Sans doute la prochaine arrivée du 15e corps allait reporter la 3e armée à neuf divisions, mais on ne s'explique pas pourquoi ce corps d'armée, et non le 4e, n'avait pas été directement transporté sous Paris, ce qui eût laissé à l'armée sa cohésion et évité de l'affaiblir temporairement, dans un moment critique (Il était plus simple d'embarquer le 15e corps sur la grande ligne de l'Est, entre Nancy et Bar-le-Duc, que le 4e corps sur la médiocre ligne de Châlons à Verdun et sur les lignes au sud.) .
Le soir du 5, un ordre du général Sarrail portait que l'ennemi s'avançait contre la 3e armée en quatre colonnes de brigade, suivant la vallée de la Couzances, la route de Clermont à Beauzée, la vallée de la Bienne et une direction intermédiaire, à travers l'Argonne. L'armée allait se jeter sur ces brigades et les battre isolément. Le 6e corps attaquerait sur le front Nubécourt, Sommaisne; le 5e corps, au sud de la forêt de Belnoue, dans la région Laheycourt, Villotte-devant-Louppy. Deux des divisions de réserve seraient derrière la droite du 6e corps, vers Sailly, la troisième en réserve à Chaumont-sur-Aire.
La brigade de réserve du 6e corps se tiendrait vers Rembercourt-aux-Pots, et la 7e division de cavalerie refluerait à L'Isle-en-Barrois.
D'autre part, le gouverneur de Verdun, général Goutanceau, portait la 72e division de réserve vers ,Souhesmes-la-Grande, pour tendre la main au groupe Pol Durand ( G. Babin, p.270, loc.cit.) .
Ajoutons qu'un document trouvé le 11 septembre sur le cadavre d'un officier allemand allait montrer que quatre corps d'armée et non quatre brigades devaient marcher le 6 contre l'armée Sarrail. Le but était d'envelopper le 6e corps ou tout au moins de le couper du reste de l'armée. Il n'est pas douteux que, si la 3e armée avait précipité sa retraite vers Joinville, ainsi que le prescrivait le G. Q. G., la portée de la victoire de la Marne eût été réduite d'autant. L'investissement de Verdun aurait pu être effectué dès le mois de septembre, avec les conséquences immédiates et lointaines que l'on devine (D'après un témoin, des documents trouvés sur des prisonniers ou des morts allemands ne laissent aucun doute à cet égard. L'ennemi en escomptait l'effet moral.).
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