LA BATAILLE DE LA MARNE VUE PAR LE GENERAL PALAT

CHAPITRE III

CHAPITRE III

GENÈSE DE L'OFFENSIVE ALLIÉE

 

Premiers projets de contre-offensive alliée. - Le général Joffre et l'abandon de Paris. - Le général Gallieni. - Le maréchal French. - Note du 3 septembre. - Le glissement des Allemands au sud-est. - Le général Joffre et le camp retranché. - Intervention des gouvernements alliés. - Hésitations du maréchal French.

I

Dans un précédent volume , nous avons dit comment l'idée d'une contre-offensive alliée, interrompant notre retraite vers le sud, était émise par le G. Q. G. les 25 août et 1er septembre. Elles imposait avec une telle évidence que le maréchal French, dans une conférence tenue à Paris (Le 1er novembre, en présence de MM. Millerand et Viviani, avec lord Kitchener, ministre de la Guerre, et l'ambassadeur lord Bertie.), proposait d'arrêter le mouvement général de recul et de tenir sur la Marne en renforçant notre gauche ("J'ai reçu les propositions du maréchal French que vous avez bien voulu me communiquer : elles tendent à organiser sur la Marne une ligne de défense qui serait tenue par des éléments suffisamment dense en profondeur et particulièrement renforcés derrière le flanc gauche ..." (Le général Joffre au ministre de la Guerre, 2 septembre, maréchal lord French, 1914, p. 88).) . Cet arrêt eût dû être suivi d'une contre-attaque pour avoir sa raison d'être.

Le général Joffre déclinait la proposition de nos Alliés pour des motifs qui n'avaient guère que la valeur d'un prétexte " Les emplacements actuels de la 5e armée ne permettent pas de réaliser le programme tracé par le maréchal French et d'assurer à l'armée anglaise, en temps voulu, une aide efficace sur la droite " . Or, le soir du 2 septembre, la 5e armée était encore au nord de la Marne, dans des conditions lui permettant de border cette rivière le lendemain, en liaison avec les troupes britanniques. La raison mise en avant par le général en chef est donc inexistante. Il faut chercher ailleurs ses véritables motifs.

En réalité, il n'entrait pas dans ses vues de reprendre l'offensive avant un certain temps et l'une de ses caractéristiques est de s'attacher avec persistance aux conceptions qu'il a lentement élaborées. On l'a fait remarquer avec justesse, la tendance des instructions des 1er et 2 septembre est nettement défensive. Le G. Q. G. entend disposer nos armées derrière la Seine et l'Aube, sans qu'il soit question de leur assurer des têtes de pont, c'est-à-dire les moyens indispensables d'une contre-offensive. Elles y seraient dans des conditions très défavorables à ce genre d'opération. " Si, mettant son plan à exécution, a écrit le général Bonnal, le général Joffre s'était retiré derrière la Seine et l'Aube, jamais il n'aurait pu les repasser " (Général Le Gros, La Genèse de La bataille de la Marne, p. 63.). Gallieni pensait de même (Après avoir pris connaissance des instructions du général en chef (1er et 2 septembre), Gallieni s'écriait devant son chef d'état-major : " Mais, s'il passe la Seine, jamais il ne la repassera; il ne peut y avoir reprise d'offensive qu'entre Seine et Marne " (Général Le Gros, p. 64).) .

L'entourage du commandant en chef pesait d'un poids très lourd sur ses décisions et la raison en apparaît aisément. En 1913, le général Bonnal écrivait : " Le général Joffre... ne peut avoir acquis, aux abords de la vieillesse, des connaissances et une expérience des choses de la stratégie et de la tactique générale qui lui faisaient à peu près complètement défaut lorsqu'il est arrivé au généralat "( Questions de critique militaire et d'actualité, cité par le général Le Gros, p. 63.). Après avoir manifesté en toute occasion une confiance exagérée dans notre capacité d'offensive, les jeunes stratèges du G. Q. G. n'étaient pas loin de les nier. Au cabinet du ministre, un officier, " dont l'opinion ne pouvait être que le reflet des informations venant du G. Q. G. ", déclarait formellement, dans les derniers jours d'août, que " la situation se trouvait compromise par la faute des troupes qui s'étaient mal battues : il n'y avait plus d'espoir que dans les Russes qui, heureusement, étaient victorieux sur toute la ligne " (Général Le Gros, p. 49; Gallieni, Mémoires, p. 14. Au sujet du général, Joffre durant la crise précédant la bataille de la Marne, lire M. Tassin, Une semaine avec le G. Q. G , septembre 1914, Correspondant du 10 septembre 1919, p. 935-938. Le général en chef fait chaque jour la sieste pendant une bonne heure, avec défense de circuler ou de faire le moindre bruit dans la maison, ce qui ne l'empêche pas de se coucher à 9 heures et de se lever à six, sans avoir eu connaissance des dépêches de la nuit, les plus importantes. A comparer avec la vie de Napoléon en campagne.).

Ainsi le G. Q. G. ne reconnaissait pas sa part écrasante dans nos premiers échecs. Bien plus, il en imputait la responsabilité aux troupes, dont les cruels sacrifices, inutilement consentis, auraient certes mérité d'autres appréciations. Il comptait à peu près uniquement sur les Russes pour nous dégager et nous permettre de reprendre l'offensive, quand le front occidental des Allemands aurait été suffisamment affaibli (Cf. général Le Gros p.45 et suiv., les communiqués français du 24 au 25 août et les bulletins de renseignements du G. Q. G. des 28 et 30 août.). Est-il nécessaire d'ajouter qu'il y avait imprudence majeure à risquer de pareils calculs Si le général Joffre avait connu, comme il le devait, les germes de faiblesse recélés par l'armée russe, il eût moins compté sur un succès décisif de sa part.

Quoi qu'il en soit, un fait certain est que le G. Q. G. faisait entrer dans ses prévisions cette intervention providentielle. Dès lors la retraite sur la Seine et sur l'Aube

s'expliquait. On admettait même, au besoin, si le triomphe des Russes se faisait attendre, un nouveau recul sur la ligne Briare, le Morvan, Dijon, Besançon. On allait, dit-on, jusqu'à la faire reconnaître en vue d'y organiser des positions (M. Tassin, loc. cit., p. 935.).

Un habitant de Bar-sur-Aube, ayant abrité le général Joffre pendant plusieurs jours avant la bataille de la Marne, raconte qu'il ne put s'empêcher de lui dire : " Mais, mon général, il n'y a donc plus d'armée française ? Elle ne se battra donc jamais ? Va-t-elle retraiter jusqu'à la Loire et à la Garonne ? " Le général répondit : " Monsieur, quand on saura la vérité, on sera indulgent pour nous " . Et un officier du G. Q. G. ajoutait : " Monsieur, nous avons affaire à un ennemi qui a un moral et une organisation supérieurs ! " (Général Le Gros, p. 96. M. Tassin, loc. cit., p. 940.) N'y avait-il pas là une grossière injustice vis-à-vis de troupes dont la contre-offensive allait arracher des cris de surprise à l'ennemi ?

Dans les calculs du G. Q. G., la considération du sort de Paris n'intervenait en aucune façon. Il en avait fait son deuil. N'avait-on pas un instant, le 28 août, décidé sur son impulsion d'évacuer la capitale en la déclarant " ville ouverte " ? On était revenu, fort heureusement, sur cette décision; mais la défense du camp retranché n'était nullement assurée (Cf. la correspondance de Gallieni du 1er au 11 septembre reproduite par M. V. Margueritte, par le général Le Gros, etc. ) . Même l'arrivée de l'armée Maunoury ne suffisait pas à le garantir d'une attaque brusquée. Il y avait là, surtout, des divisions de réserve dont une partie au moins était fort ébranlée par les opérations précédentes, au point que, le 3 septembre, le général en chef écrivait au gouverneur de Paris : " J'espère que les divisions de réserve (61e et 62e) ne tarderont pas à reprendre quelque consistance " (Général Le Gros, p. 73. Le fait que le G. Q. G. prévoyait la perte de Paris résulte suffisamment du message téléphonique n° 3166, signé Belin, du 1er septembre, invitant l'état-major de l'armée, à Paris, à détruire les documents réunis dans les coffres-forts du Conseil supérieur de la Guerre, ainsi que les plans antérieurs au plan 17. Cet ordre ne fut exécuté qu'en partie, sans qu'aucun inventaire fût fait des documents détruits (Rapport de M. Engerand sur la perte de Briey, p. 6).) .

C'est dans ces conditions que, le 2 septembre, le général Joffre refusait de s'arrêter sur la Marne, bien que cette suggestion du maréchal French fût, selon toute apparence, appuyée par M. Millerand et par le reste du Gouvernement. Il croyait devoir proposer que l'armée britannique, seule, tînt " sur la Marne pendant quelque temps ", puis se retirât " sur la rive gauche de la Seine ", qu'elle défendrait " de Melun à Juvisy. Les forces anglaises participeraient ainsi à la défense du camp retranché et leur présence serait ", pour les défenseurs, " un précieux réconfort " (Le général Joffre au ministre de la Guerre, 2 septembre, loc. cit.) . Rien ne ressemble moins, on le voit, au rôle qu'allaient jouer les armées French et Maunoury à dater du 5 septembre.

Notons combien, vers le 2, sont encore flottantes et indécises les intentions du haut commandement français. Jusqu'alors, depuis leur échec du Cateau, les troupes britanniques ont constamment pris l'initiative de la retraite. Il était même convenu qu'elles seraient toujours d'une étape en avance sur la gauche de nos armées. Comment pourraient-elles s'arrêter brusquement derrière la Marne, sans être soutenues par la 5e armée à leur droite et avec l'appui incertain de la 6e armée à leur gauche ?

D'autre part, le général Joffre paraît viser surtout le renforcement du " camp retranché " de Paris. Il admet que l'armée britannique contribuerait à sa défense. Il ne prévoit l'offensive générale que " dans un délai assez rapproché " . Nous concluons de ce texte que l'idée maîtresse de la bataille de la Marne, l'attaque dans le flanc droit des Allemands lui est encore tout à fait étrangère et que ses préoccupations sont orientées surtout vers la défensive. Il en est encore de même pour Gallieni, mais ce dernier va bientôt modifier ses idées sous l'impression des faits (Dans Au bord du gouffre, p. 305, M. Victor Margueritte reproduit les notes suivantes, qui paraissent être des memoranda établis par le général pour lui-même :

" 2 septembre 1914. " 1° Avis Paris, exode. Instruction aux Compagnies de chemins de fer. Départ par toutes gares. Avis de repliement vingt-quatre heures avant au moins... Instruction gouvernementale au général Joffre. Rôle et protection Paris, quatre corps d'armée au moins... Ne plus toucher vivres Paris. Ne pas encombrer gares avec gros matériel; de même ponts. Repliement ressources pays au fur et à mesure avance allemande... M0es instructions pour Paris : Faut-il conserver l'armée, ou faut-il rester Paris ?

" 2° Dans le cas où camp retranché de Paris serait forcé, il serait fait toute résistance possible, mais je demande au Gouvernement 1° S'il faudrait organiser la défense de manière à pouvoir retraiter avec les troupes disponibles pour les conserver pour la défense nationale; 2° S'il vaut mieux ne pas se préoccuper de cette précaution, et tenir sans avoir égard au sort des troupes renfermées dans Paris ? Dans le premier cas, si je conduisais moi-même ces troupes, à quel personnage faudrait-il laisser le soin de sauvegarder les intérêts de la capitale et de la population ?")

Dans une lettre au maréchal French (2 septembre), le général en chef paraphrasait celle qu'il adressait le même jour à M. Millerand et dont il joignait copie. Le 3, à midi, le maréchal accusait réception du tout, dans les termes les plus courtois. Il avait reçu l'instruction générale du 1er septembre et la note du 2 aux commandants d'armée. Constatant qu'il était " maintenant complètement et clairement renseigné " sur nos projets et sur la par que le général Joffre souhaitait lui voir prendre à leur exécution, il ajoutait : " Vous pouvez compter sur ma plus cordiale coopération en toutes choses " (Maréchal lord French, 1914, p. 89.). Ce n'était pas la pensée de Gallieni, qui écrivait le 2, au général en chef, non sans raison : " ...J'ai l'impression qu'il (le maréchal French) va reculer encore, sans s'occuper ni de Paris, ni de la mission que vous lui avez confiée et que je ne connais pas.. " (Mémoires du Général Gallieni, p 264.).

Il n'en communiquait pas moins (2 septembre) au commandant en chef des forces britanniques les dispositions prises " pour couvrir les fronts nord et est de Paris, qui paraissaient les plus exposés, et d'autre part pour attirer " vers le camp retranché " les corps qui menaçaient le flanc gauche de nos armées " . En réponse, le maréchal (3 septembre, midi) promettait son " concours le plus cordial et le plus énergique " aux 5e et 6e armées (Maréchal lord French, 1914, p. 93-94.).). Il faisait même téléphoner au gouverneur (11 h. 30) : " Maréchal me charge de vous dire qu'il vient de recevoir ses premiers renforts, qui doivent être répartis demain dans les corps de troupe. Il ne pourra bouger pendant la journée, mais il est possible qu'il se mette en marche demain soir, 4, dans la direction de l'est, surtout si la 6e armée, qui ne paraît plus avoir personne devant elle, entamait dans la journée un mouvement analogue la portant à sa gauche et si la zone de débarquement du 4e corps pouvait être adaptée à la nouvelle situation, de manière à constituer, avec l'ensemble de ces forces, une armée aussi forte que possible " (Général Le Gros, p. 146-147;. Le 4e corps était alors transporté de la 3e à la 6e armée.). Ainsi le maréchal French semblait disposé à dépasser de beaucoup les demandes antérieures du G. Q. G. et de Gallieni. Il n'allait pas tarder à modifier encore une fois ses intentions.

Une note personnelle du général en chef à M. Millerand, datée du 3 septembre, précise l'état d'âme de notre haut commandement (Nous avons reproduit d'après M.Millerand, le texte de cette note. M. Hanotaux (La Manœuvre de la Marne. Avant la bataille, Revue des Deux-Mondes, 15 mars 1919, p. 302) en donne un texte différant sensiblement du nôtre et paraissant inexact) .

Accepter actuellement la bataille avec l'une de nos armées, disait en substance le général en chef, entraînerait fatalement une bataille générale pour laquelle nous serions dans des conditions défavorables. La situation spéciale de la 5e armée l'exposerait même à un échec qui courrait risque de se transformer en un désastre pour l'ensemble.

Au contraire notre situation particulière dans la coalition nous fait un devoir de durer, de gagner du temps, donc d'éviter tout accrochage décisif, pour lequel nous n'aurions pas les plus grandes chances de succès. Quel que soit l'inconvénient d'abandonner à l'ennemi une partie de plus en plus grande du territoire national, il n'est pas suffisant pour nous imposer un engagement prématuré.

Dans ces conditions, le général en chef est décidé à prendre en arrière un champ suffisant, à récupérer sur nos deux armées de droite (1re et 2e) deux corps d'armée au moins pour renforcer le reste, à préparer enfin une offensive prochaine, dans laquelle interviendraient l'armée britannique et les forces mobiles du camp retranché de Paris.

II

 

Diverses circonstances allaient forcer le général en chef à précipiter ses décisions. Nous avons dit comment, dès le 31 août, 1a division Cornulier-Lucinière constatait le glissement de la droite de von Kluck vers l'Oise. Ce renseignement si important était transmis sur l'heure à la 6e armée et sans doute au G. Q. G. Il était d'ailleurs confirmé le 1er septembre par une observation du commandant de Mauduit-Duplessis au nord-est de Lataule. Le 3, à deux reprises, la division Cornulier-Lucinière constatait encore le mouvement des Allemands au sud-est.

Tout d'abord ces renseignements paraissent avoir laissé le G. Q. G. indifférent. Rien, en effet, dans la correspondance du général Joffre, les 1er, 2 et 3 septembre, ne prouve qu'il y attache la moindre importance. Il a pris son parti de la perte éventuelle de Paris, obéissant aux théories qui ne prêtent aucune valeur aux points géographiques et aux forteresses, même quand il s'agit de la plus grande place du monde et de la capitale de la France. Il ne tient compte que des forces mobiles. Dès lors pourquoi s'inquiéter si Paris est exposé à une attaque brusquée, contre laquelle ses défenses seraient tout à fait insuffisantes ? L'ennemi y pénétrera sans doute; avec toutes les conséquences qu'on peut en attendre. Qu'importe ce sacrifice ajouté à tant d'autres, si nos armées restent à peu prés intactes, susceptibles d'attendre l'effet, lointain peut-être, des offensives russes ?

Au contraire, Gallieni ne cessait d'attirer l'attention du gouvernement et du général en chef sur l'insuffisance des défenses de Paris. Le 2 septembre, il écrivait au général Joffre : " Je vous rappelle encore une fois ce que je vous ai déjà dit dans trois conversations téléphoniques, ce que j'ai répété an Conseil des ministres, au Président de la République et au ministre de la Guerre : Paris, si vous ne lui donnez pas des troupes actives de renfort, au moins trois corps d'armée, est dans L'impossibiLité absolue de se défendre " (Mémoires de Gallieni, p. 264. Le 3, Gallieni et le camp retranché étaient placés sons les ordres du général en chef (Ibid., p. 268).).

D'autre part, cette situation même, faisait que l'état-major du gouverneur suivait comme lui, avec anxiété, la marche de la droite allemande. A la fin de la nuit du 2 au 3 , l'interprète Fréchet attirait , l'attention sur un fait qui en confirmait d'autres, antérieurs. Un réfugié de la Somme venant de Saint-Just-en-Chaussée, affirmait avoir vu dans ce bourg de l'infanterie allemande en marche vers l'est. Une autre colonne suivait la même direction dans la région de Creil, tandis que de la cavalerie marchait au sud.

Le 3 septembre, une reconnaissance d'avion signalait le mouvement vers le sud-est, à Etrépilly (18 heures), d'une colonne longue de 16 kilomètres environ. Une automobile allait sur Chambry, Lizy-sur-Ourcq, Meaux, entrant en contact, prés de Penchard, avec des patrouilles allemandes. Au nord et au nord-est des colonnes de fumée jalonnaient le passage de l'ennemi, qui incendiait des villages (Hanotaux, Manœuvre de la Marne, loc. cit., p. 322-323.) .

A midi, Gallieni avait pu signaler que devant la 6e armée les colonnes allemandes semblaient s'être orientées au sud-est. A 15 heures, il confirmait ce précieux renseignement. Le soir, le lieutenant-colonel Bourdeau présentait au chef d'état-major du gouverneur, général Clergerie, l'ensemble des recoupements obtenus. Tout indiquait le glissement de l'ennemi au sud-est. Le colonel Girodon (Tué en 1916 comme commandant d'une division.), à la suite d'une blessure grave, remplissait alors les fonctions de sous-chef d'état-major. Il voyait aussitôt le parti à en tirer et le général Clergerie disait :

" On va leur taper dans le flanc ". Puis il entrait dans le cabinet du gouverneur (Hanotaux, loc. cit.; général Le Gros, p. 101 et suiv.; d'après P. L. Courrières (La bataille de l'Ourcq, Renaissance du 1er septembre 1917 ) Gallieni déclarait au général Clergerie : " S'ils ne viennent pas à nous, nous irons à eux avec tout ce qu'il sera possible d'y mettre ". Suivant Gheuzi (Dans l'ombre de Gallieni., Renaissance du 21 juin 1919, p. 5), quand le gouverneur apprit le glissement de l'ennemi au sud-est, il dit qu'il n'osait y croire. Après sa conférence avec le général Clergerie et le colonel Girodon, son plan était fait : " Ça doit réussir ", déclarait-il.) .

Le soir du 3, ce dernier prescrivait une série de reconnaissances pour le 4. Il fallait savoir si la région au nord nord-est de Paris était évacuée et si toutes les forces allemandes se dirigeaient vers la vallée de l'Ourcq. Des avions allaient donc observer dès le matin les directions de Creil, de Villers-Cotterêts, de Neuilly-Saint-Front et la vallée de la Marne jusqu'à Meaux. En attendant, ordre était donné aux troupes de " se faire aussi petites que possible, de prendre toutes les mesures voulues pour dissimuler leur présence aux investigations aériennes, d'éviter tout engagement qui ne serait pas rendu indispensable pour la défense immédiate du camp retranché " (Général Le Gros, p. 103.). Avant 9 heures, le 4, il n'y a plus de doute. La 1re armée marche au sud-est, " sauf, peut-être, le IVe corps de réserve qui couvrirait le mouvement " . A 10 h. 25 l'armée britannique téléphone : " Le IVe corps de réserve. .. paraît rester à l'ouest. Mais les autres corps de la 1re armée semblent avoir tourné vers le sud-est et atteint hier soir la Marne entre Château-Thierry et Lizy-sur-Ourcq ". Les reconnaissances d'avions permettent de constater (10 h. 45) que les Allemands passent la Marne en trois colonnes, l'une à Citry (N.-E. de La Ferté-sous-Jouarre), la seconde à Nogent-l'Artaud (au moins deux corps d'armée au total), la troisième à Charly, vers l'est. De l'artillerie canonne Montfaucon, Roissy, Belleval. A 11 heures, on voit, près de Grisolles, 24 batteries rassemblées; à 11 h. 10, à Neuilly-Saint-Front, une brigade d'infanterie; 11 h. 30, une colonne de toutes armes marchant de Villers Cotterêts sur La Ferté-Milon; à 11h. 45, une colonne d'infanterie et un régiment de cavalerie se dirigeant de Crépy-en-Valois sur Betz.

De l'ensemble de ces faits il résultait clairement que la droite allemande, au lieu de marcher du nord au Sud vers Paris, obliquait au sud-est en prêtant le flanc à nos attaques. Le gouverneur se rendait compte du parti à tirer de cette faute grossière et en avisait la 6e armée (Cf. général Bonnal, La bataille de l'Ourcq, étude stratégique , Renaissance du 4 septembre 1915.) .

Entre temps, il s'informait du rôle assigné par le général en chef au camp retranché et à l'armée de Paris. Il rappelait que la garnison comprenait une proportion considérable de troupes territoriales, dont la valeur était très faible. Elles ne possédaient aucune espèce de trains, avaient peu d'artillerie et de munitions, aucun parc, aucun convoi aucune ambulance (Lettre au général Joffre, 3 septembre, Mémoires de Gallieni, p. 268-269. Cette lettre se terminait ainsi : " Sauf ordre contraire de votre part, je m'efforcerai de tenir dans Paris le plus longtemps possible ".

A cette date, une brigade territoriale de la zone nord comptait pour tout véhicule une voiture de réquisition affectée à l'état-major (de visu).). Contre toute évidence, le général Joffre s'efforçait de montrer le danger encore éloigné : " ...Les colonnes ...faisant partie de la Ire armée allemande étaient hier au sud de la forêt de Compiègne; elles ne pourraient être devant Paris avant quelques jours... ". Après avoir énuméré les, forces à la disposition de Gallieni, en exagérant leur valeur, le général Joffre ajoutait : " En ce qui concerne le renforcement de la garnison de Paris par un nouveau corps d'armée actif, cela m'est tout à fait impossible, tant en raison de la situation que des emplacements actuels de nos forces " (Le général Joffre au général Gallieni, 3 septembre, Mémoires de Gallieni, P. 266-267. Le texte, de M. Victor Margueritte, p. 282, diffère sensiblement de celui-ci.).

Il n'était pas dans ses intentions d'associer les divisions territoriales de Paris aux opérations actives. Mais il se réservait d'y faire intervenir les troupes actives et de réserve du camp retranché, " Particulièrement pour agir en direction de Meaux, lors de l'offensive prévue par l'instruction générale n° 4 et la note 3463 " dont il lui adressait un exemplaire (4 septembre, 2 h: 55, n° 3636, Mémoires de Gallieni, p. 221.) .

III

 

Le Gouvernement français ne voyait pas sans regret la retraite de nos armées découvrir Paris, exposant une vaste étendue du sol national aux ravages de l'ennemi. Il tentait, sans doute à plusieurs reprises, d'obtenir l'arrêt de ce mouvement rétrograde. Dans son 1914 (Dans un discours à Londres, l'ancien Premier Asquith a déclaré : "Les mouvements d French avaient rempli le cabinet de consternation; ils auraient eu pour résultat de laisser nos alliés dans l'embarras dans un moment extrêmement critique. La même consternation nous fut exprimée en termes émouvants par le chef du Gouvernement français. La politique alors adoptée par le Cabinet évita à notre pays un opprobre ineffable " (Débats du 6 juin 1919). Cf. au sujet de ces faits, une étude de M. Poincaré dans le matin du 4 septembre 1920.), le maréchal French écrit que, le 31 août; en arrivant à Dammartin, il y trouva le colonel Huguet, chef de la mission française, avec des renseignements et des " messages " du général en chef . " La demande instante d'arrêt et de combat sur place n'y était pas seulement renouvelée d'une manière pressante, mais elle était appuyée d'un message pressant (sic) du président de la République française, de lord Kitchener et du Gouvernement britannique... ". Il ne semble pas douteux que, lors de la conférence du 1er septembre, à l'ambassade d'Angleterre, des efforts furent faits dans le même sens. On a vu qu'ils se heurtèrent à l'opposition formelle du maréchal French. Ce dernier voulait bien participer à une bataille générale, mais non rester isolé sur la Marne, à la droite de la 6e armée, tandis que le reste de notre ligne continuerait sa retraite au sud. Son opposition aux vues du général Joffre était d'ailleurs amplement justifiée.

Dans l'intervalle, entre le 1er et le 4 septembre, il paraît certain également qu'une pression fut exercée par le gouvernement, sur les conseils de Gallieni, pour obtenir l'arrêt définitif du mouvement de retraite. A vrai dire nous n'en avons aucune preuve, mais seulement des indications concordantes. M. Ernest Renauld écrit : " En tout état de cause affirmer que la nouvelle orientation, offensive, ne provenait pas du G. Q. G. ne saurait être une erreur. . . " . Le général en chef " n'avait ni prévu, ni cherché, ni voulu cette reprise de notre offensive aux points où elle s'est produite les 5 et 6 septembre " (Un Verdun inconnu, Renaissance du 1er mars 1919, p. 22. Il résulte d'une lettre à nous adressée par M. E. Renauld le 17 juin 1919 que cette opinion est basée sur le témoignage oral d'un ancien ministre d'alors.).

Dans ses conséquences de la Guerre, M. Le Bon écrit également : " Devant la décision du généralissime de se replier au sud de Paris, le ministre de la Guerre de cette époque déclarait à ses collègues réunis en conseil qu'il refusait formellement d'intervenir dans les opérations militaires. A la suite d'une discussion où il fut appuyé par MM. Ribot, Thomson, Guesde, Sembat, Viviani et le président de la République, M. Briand finit par obtenir que l'ordre fût donné au généralissime d'arrêter la retraite et de livrer bataille aux Allemands.. ".

Qu'il y ait eu pression sur le général en chef de la part du gouvernement, cela ne paraît donc pas douteux. Un fait certain est que le gouverneur de Paris intervint activement pour provoquer une offensive qu'il considérait comme tout à fait opportune autant qu'indispensable.

Quoi qu'on en ait dit, il ne semble pas que, dès la soirée du 3, Gallieni ait soumis au général en chef deux projets d'opérations vers l'est pour l'armée de Maunoury, l'un au nord, l'autre au sud de la Marne. Cette double proposition dut être formulée le 4, par téléphone, après la rédaction de l'ordre général de 9 h. 01, dont nous allons parler. La réponse n'arriva qu'à 14 h. 50 sous la forme d'un télégramme chiffré parti à 13 heures : " Des deux propositions que vous m'avez faites relativement à l'emploi troupes général Maunoury, je considère comme la plus avantageuse celle qui consiste à porter la 6e armée sur la rive gauche de la Marne, au sud de Lagny. Voulez-vous vous entendre avec maréchal commandant en chef armée anglaise pour l'exécution de ce mouvement ?" (Mémoires de Gallieni, p. 222. Une lettre du général en chef au maréchal French, 4 septembre, ibid., p. 111-223, est dans le même sens.).

Ainsi, des deux combinaisons proposées, le G. Q. G. préfère la plus timide, celle qui menacerait le moins les communications allemandes et donnerait par suite de moindres résultats. Il est à croire que l'un des principaux motifs de ce choix était le désir de donner satisfaction au maréchal French, toujours inquiet pour ses ailes, même quand l'une d'elles était appuyée à la Marne, comme il arrivait pour l'instant. Le commandant des forces britanniques traversait une phase d'indécision et de doute sur laquelle nous aurons à revenir. Ainsi Gallieni devait lutter a la fois contre le G. Q. G. et contre le maréchal French pour faire adopter ses projets. Il n'y persévérait pas moins. Son intention était de jeter toute la 6e armée contre la flanc-garde couvrant le mouvement de von Kluck au sud-est, ce qui impliquait la nécessité d'agir au nord de la Marne, avec l'arrière-pensée de s'élever de plus en plus au nord-est et de réaliser l'enveloppement de la droite allemande, en coupant ses communications avec la région de Senlis d'où elle était descendue (Général Bonnal, loc. cit., p. 3.).

Depuis 7 heures, il était en relation fréquente par le téléphone avec le général en chef . Après avoir pris connaissance des derniers renseignements d'avions, sans savoir ce que déciderait le G. Q. G. ni comment se termineraient les hésitations du maréchal French, il adressait au général Maunoury (9 h. 01) l'ordre immortel qui déclenchait la bataille de la Marne :

" En raison du mouvement des armées allemandes qui paraissent glisser en avant de notre front dans la direction du sud-est, j'ai l'intention de porter votre armée en avant, dans leur flanc, c'est-à-dire dans la direction de l'est, en liaison avec les troupes anglaises.

" Je vous indiquerai votre direction de marche dès que je connaîtrai celle de l'armée anglaise. Mais prenez, dès maintenant, vos dispositions pour que vos troupes soient prêtes à marcher cet après-midi et à entamer demain un mouvement général dans l'est du camp retranché.

" Poussez immédiatement des reconnaissances de cavalerie dans tout le secteur entre la route de Chantilly et la Marne.

" Je mets la 45e .division, dès maintenant, sous vos ordres.

" Venez, de votre personne, me parler le plus tôt possible. " .

Le général Maunoury arrivait vers 11 heures. Quatre heures plus tard (Mémoires de Gallieni, p 112.) il était à Melun, accompagnant le gouverneur. Nous verrons quel f ut le résultat de cette démarche.

L'idée d'une offensive de la 6e armée sur l'Ourcq impliquait nécessairement celle d'une bataille générale pour l'ensemble des armées alliées. Autrement, les Allemands auraient eu beau jeu pour se reporter contre leur gauche et l'écraser à loisir, pendant que le centre et la droite continueraient leur retraite. Mais, pour livrer cette bataille générale, il fallait que le général en chef modifiât les instructions, des 1er et 2 septembre, qu'il venait, tout justement, d'envoyer à Gallieni dans la nuit du 3 au 4. Le gouverneur n'en entreprit pas moins d'amener le général Joffre à des décisions toutes nouvelles. Il se mit à trois reprises, dans la journée du 4, en communication téléphonique avec lui. Le premier entretien n'aboutit qu'à un refus, à la suite duquel le commandant en chef se plaignit au gouvernement de ce que Gallieni " le poussait à des offensives prématurées " .

Le gouverneur n'en revint pas moins à la charge et fit si bien, qu'après de longues discussions le général Joffre finit par céder : " le plan Gallieni prenait la place du plan Joffre, pour le plus grand bien de l'armée, de Paris et de la France ".

Dans la soirée, le gouverneur recevait une lettre autographe du général Joffre : " Mon cher camarade, je vous envoie dans une lettre officielle les instructions relatives à l'action militaire des forces sous vos ordres. Vous recevrez en même temps copie d'une lettre que j'adresse à French. Dès maintenant, une partie des forces du général Maunoury peut être poussée vers l'est comme menace sur la droite allemande, afin que la gauche anglaise se sente appuyée de ce côté. Il est utile de le faire savoir au général (sic) French et d'entretenir de fréquentes relations avec lui " (V. Margueritte, p.312.). Ainsi, la responsabilité de l'avance prématurée du 5, qui faillit coûter très cher à la 6e armée, est imputable au général en chef. Nous étudierons plus loin ses instructions et celles qui en résultèrent pour cette armée.

La coopération britannique était plus malaisément obtenue. Nous avons vu que, le 3 septembre, à 11 h. 30, le maréchal se déclarait prêt à marcher vers l'est, si la 6e armée se portait à sa gauche. Le 4, à 8 h. 15, la situation se modifiait brusquement et le colonel Huguet communiquait au gouverneur le message téléphonique suivant, adressé, au G. Q. G. :

" Maréchal, qui, hier après-midi, semblait très désireux de se porter vers l'est pour dégager gauche 5e armée, a modifié sa décision sous l'influence des conseils de prudence qui lui ont été donnés par son chef d'état-major.

" Les troupes auront en principe repos aujourd'hui, mais devront se tenir prêtes à partir au premier signal, pour commencer leur retraite derrière la Seine.

" Le mouvement s'exécutera en trois étapes, la première amenant les arrière-gardes sur le front Mauperthuis (sud de Coulommiers), Faremoutiers, Tigeaux, Chanteloup.

" Si la 6e armée débouchait de Paris dans la direction de l'est, l'armée anglaise serait encore en état de l'appuyer à droite.

" Mais si la gauche de la 5e armée était trop fortement rejetée vers l'est, ou si l'avance (allemande) devenait trop prononcée, l'armée anglaise serait obligée de continuer ce mouvement de retraite derrière la Seine, tenant Corbeil par sa gauche, Melun par sa droite.

" Le Q. G. des Anglais reste aujourd'hui, 4, à Melun " (Mémoires de Gallieni, p.224;).

Dans la journée, nous l'avons vu, Gallieni se rendait à Melun avec le général Maunoury. Il ne pouvait voir le maréchal, en tournée, mais conférait avec son chef d'état-major et avec plusieurs officiers. Malgré tout, l'état-major britannique croyait devoir persister dans son idée de retraite. Un télégramme chiffré du colonel Huguet (18 h. 30) le faisait connaître au gouverneur : " Maréchal non encore rentré, mais dès maintenant ordres donnés pour A. A. (armée anglaise) occuper demain, 5, ligne Ormeaux, Tournan, Ozoir " (Général Le Gros., p. 153. Cette ligne était très sensiblement au sud du front Mauperthuis-Chanteloup fixé en premier lieu. Les Mémoires de Gallieni p. 127-128, attribuent ce télégramme au général Wilson et lui donnent une autre forme.). Mais le maréchal French rentrait à Melun et recevait connaissance de l'entretien des deux généraux français avec son chef d'état-major. D'autre part, le général Joffre lui demandait de combler " le vide entre la droite de la 6e armée et la gauche de la 5e ". Il projetait ensuite une offensive générale en direction du nord, du nord-est et de l'est, pour chercher à étrangler la droite allemande (Nous croyons avec M. Margueritte que l'entretien du 4 n'eut pas lieu) .

A 21 heures, un nouveau télégramme du colonel Huguet apportait à Gallieni une décision du maréchal French " pour le moins inattendue " : " Accepte proposition retraite sur la Marne les 5 et 6. Préfère, raison changements continuels situation, étudier à nouveau à ce moment avant de décider sur opérations ultérieures ". Si l'on peut tirer de ce texte informe une conclusion quelconque, c'est assurément que le maréchal French persistait dans ses incertitudes ou plutôt dans son opposition. Gallieni n'en eut que plus de mérite à maintenir une décision qui restera son titre immortel à la reconnaissance de notre pays et dont de mesquines jalousies s'efforcèrent de diminuer le prix.

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