LA BATAILLE DE LA MARNE VUE PAR LE GENERAL PALAT
CHAPITRE XXV
CHAPITRE XXV
LE 13 SEPTEMBRE SUR LE FRONT ALLIE
La 6e armée. - Combats au nord de l'Aisne. - L'armée britannique. - La 5e armée. - Combats vers Craonne. - Rentrée dans Reims. - La 9e armée. - La 4e armée. - La 3e armée. - Le télégramme du général Joffre. - L'orientation au nord-est.
I
Le 13 septembre, à Paris, le sentiment de la sécurité reconquise remplissait tous les cœurs. Beaucoup voyaient un " miracle " dans le succès inespéré de nos armées : " Miss Dryden... raconte avec émotion la grande prière qui se fit à Notre-Dame, le dimanche 13 septembre, où les saints patrons de notre France... s'offrirent sur les épaules de soldats de toutes armes à la vénération d'une foule innombrable, trop à l'étroit dans les vastes nefs trop à l'étroit sur le parvis et sur la grande place, débordant jusqu'à perte de vue dans les rues voisines. . . , un spectacle de foi comme le moyen-âge lui-même n'en a peut-être jamais vu... " (Paris in Herrick Days, par Félix Klein, Correspondant du 25 septembre 1915, p. 1136.).
D'après l'ordre d'opérations n° 82, de la 6e armée, pour le 13 septembre, nos avant-gardes étaient arrêtées par des éléments d'infanterie et d'artillerie, dont l'unique objet semblait être de gagner du temps. En conséquence, les ponts seraient réparés et nos fractions de tête passeraient l'Aisne la nuit même, pour prendre pied avec toute l'artillerie sur la rive nord et couvrir le passage des gros. La gauche de l'armée s'efforcerait d'atteindre l'Oise, de Noyon à Condren, le 4e corps opérant entre le groupe Ebener à l'est et la 37e division (Comby) qui venait d'arriver dans la région de Verberie. La 7e division se porterait sur Noyon par Attichy et Carlepont, en se couvrant vers la forêt de Laigue. La 8e division marcherait sur Compiègne par la rive sud de l'Aisne, puis franchirait cette rivière vers Choisy, pour opérer avec la 37e division. Elle ferait usage de l'équipage de la 62e division pour jeter un pont. Cette dernière prescription devait d'ailleurs être modifiée, ces bateaux ayant déjà été utilisés au pont de Lamotte.
A l'extrême gauche, le corps Bridoux continuait vers le nord; mais, en raison de la fatigue des chevaux par un temps affreux, des ravitaillements précaires faute d'une bonne organisation de convois, il s'arrêtait après une étape moyenne (28 kilomètres) dans la région de Warsy au nord-est de Montdidier, sur l'Avre. Dans l'intervalle, nos cavaliers réoccupaient Compiègne, où les dragons du lieutenant de Lastours déposaient une gerbe de fleurs aux pieds de la statue de Jeanne-d'Arc.
Au 4e corps, la 7e division, dont l'infanterie traversait l'Aisne à Couloisy et à Attichy, faisait passer dans la matinée son artillerie à Lamotte. Elle avait pour premier objectif la ferme Touvent et le plateau sud. Quant à la 8e division, elle allait marcher sur Noyon, par Tracy-le-Mont, Tracy-le-Val, Bailly, en se couvrant d'un régiment en flanc-garde vers Rethondes. Elle occuperait tout d'abord la ferme Morenval et le plateau ouest.
A 9 heures, survenait un nouvel ordre du général Maunoury (n° 84). La 8e division se rassemblerait dans la région Le Francport, Choisy, pour agir avec la 37e, le cas échéant, sur Venette, village situé immédiatement à l'ouest de Compiègne, sur la rive droite de l'Oise. Elle aurait à pousser des détachements sur cette y ville et sur le Plessis-Brion, au nord. De même la destination de la 7e division était modifiée. Elle se porterait sur Tracy-le-Val, prête à agir à l'ouest de l'Oise par Bailly. Evidemment, des renseignements erronés faisaient admettre au général Maunoury que l'ennemi résisterait en face de Compiègne, sur la rive droite de l'Oise.
Le 4e corps employait toute la matinée, à passer l'Aisne, sous la protection du 130e à gauche et de deux bataillons de la 7e division à droite. A midi seulement, les avant-gardes des deux divisions gagnaient du terrain en refoulant des fractions du IXe corps. Après avoir passé l'Aisne à Berneuil, sur un pont de bateaux, la 8e tenait les fermes de Malvoisine et de Morenval, chacune avec un bataillon du 130e; quatre autres bataillons et deux groupes étaient au sud de Malvoisine et à l'est de Morenval. Quant à la 7 division, elle portait son avant-garde sur la ferme de l'Arbre, provoquant le tir d'artillerie allemande postée entre Nampcel et la ferme des Loges. La canonnade était assez violente pour amener un moment de fléchissement à la droite du 130e (12 heures).
A 14 heures, le mouvement en avant pouvait être repris. Puis (15 h. 30) survenait un nouvel ordre de la 6e armée (n° 86) (14 h. 30), prescrivant de s'assurer par tous les moyens le passage de l'Oise dans la région du Plessis-Brion, Pimprez. A ce moment, la 7e division (Trentinian) avait deux régiments engagés au sud de la ferme Touvent; un autre entre Touvent et Morenval, le quatrième en réserve à la ferme Navet; un groupe au sud de la Faloise et deux vers l'Arbre de Bitry. Ces batteries arrêtaient une contre-attaque sur Touvent, mais cette ferme était vivement bombardée par les obusiers allemands.
A la 8e division (Lartigue), après un assez vif engagement, le 130e poussait de Malvoisine sur Tracy-le-Mont; le 124e était encore à l'est de Saint-Crépin-aux-Bois et deux groupes divisionnaires au sud de Malvoisine; la 16e brigade et un groupe marchaient sur Choisy par Rethondes et le nord de l'Aisne. Enfin, les 315e et 317e étaient engagés à l'est de la Bascule de Morenval, l'artillerie de corps entre les deux artilleries divisionnaires.
Jugeant dangereux de retirer du feu la 15e brigade (124e et 130e) déjà en marche sur Tracy-le-Mont, le général Boëlle prescrivait (16 heures) de la pousser sur Bailly, tandis que la 7e division irait par Puisaleine sur Carlepont. Pas plus que celui de la 6e armée, cet ordre ne pouvait être exécuté. A 18 heures, le gros de la 8e division était rassemblé au sud-ouest de l'Ecafaut. L'avant-garde n'entrait dans Tracy-le-Mont que vers 20 heures. A ce moment, une fusillade subite, venant d'un groupe de fantassins allemands allant du parc d'Offémont vers le nord-est, produisait une véritable panique dans la division.
D'après un témoin, la nuit, après quelques coups de fusil espacés, le silence se fait. Puis " la fusillade reprend, intense, ininterrompue. Les balles sifflent dans toutes les directions... Ce fut alors une panique folle. Les hommes surpris dans leur repos vainqueur, ignorant où se trouve l'ennemi qui les frappe sournoisement, s'enfuient dans toutes les directions, affolés, abandonnant tout. Des chevaux échappés galopent au milieu de ce désordre... Des hommes tombent tués, blessés, et l'ennemi invisible nous fusille toujours... J'entends devant moi le général de Lartigue qui, consterné, dit au colonel F. , pleurant presque : " Quel malheur, après une si belle journée !..
Enfin, de tous les coins de l'horizon les clairons sonnent les refrains des ...régiments. Les hommes se ressaisissent les unités se rassemblent et tout rentre dans l'ordre... ". On bivouaque sur place (Joubaire, p. 74.) autour de L'Ecafaut et de Morenval.
En fin de journée, les avant-gardes tenaient Tracy-le-Mont (8e division) et Puisa Leine (7e division); la 16e brigade, était à Choisy, gardant le pont du Plessis-Brion. Malgré ce mouvement excentrique, le 4e corps avait fait de 150 à 200 prisonniers dans la journée, mais il n'avait pas, à beaucoup près, atteint les objectifs qu'une malencontreuse série d'ordres lui avait assignés.
Au 7e corps, la 14e division a déjà passé l'Aisne à Vic en flèche par rapport aux unités voisines. Elle se porte néanmoins dans la direction Autrèches, Audignicourt, sa brigade de tête en formation de combat, s'étalant sur les plateaux droite et à gauche du ravin suivi. A hauteur de Chevillecourt, elle est vivement attaquée par des forces sérieuses et doit combattre ,sur place. Le soir, sa ligne n'a pas dépassé les hauteurs au nord de Chevillecourt Vingré au sud-est et Bonval, à un kilomètre ouest de Hautebraye. Visiblement nous allons nous heurter désormais à une résistance acharnée.
Au groupe Lamaze, la 56e division rencontrait à Pommiers des difficultés toutes particulières pour le rétablissement du pont. Les Allemands l'avaient détruit, ne conservant qu'une passerelle. On essayait vainement de rapprocher de l'Aisne les 65e et 69e bataillons de chasseurs (112e brigade). Ils ne pouvaient, sous le feu, dépasser les petits bois près de la station de Mercin. Puis le bombardement recommençait avec la plus grande intensité, obligeant les trois groupes de 75 à reprendre leurs positions de la veille ou à s'établir à cheval sur la route de Vaux à Mercin. Il devenait impossible d'avancer. En certains points, les Allemands envoyaient des obus même sur des isolés. Nous subissions des pertes.
Finalement, le lieutenant-colonel de Certain, du 350e, parvenait à trouver deux ou trois barques et, à 12 h. 30, une section traversait l'Aisne, pour occuper le hameau de Courtil. Puis une compagnie et un groupe de volontaires passaient à leur tour. Trois compagnies bordaient la route de Soissons, la gauche à hauteur de la ferme Canivet; le reste du 6e bataillon occupait le bois au nord-est de Mercin.
On tentait ainsi de prendre à revers les défenseurs de la sucrerie de Pommiers, pendant que le 65e bataillon de chasseurs les maintenait de front à l'ouest de la route de Mercin à Pommiers ( 18 heures) . Au bout d'une heure, il fallait s'arrêter, l'ennemi étant solidement installé dans des tranchées et à la lisière des bois au nord. 0n croyait même devoir ramener le détachement au sud de l'Aisne, opération qui n'était terminée qu'à 23 h. 30, faute de moyens.
On cantonnait sur place, couvert par des avant-postes de combat (Général de Dartein, p. 159.) . Là aussi la résistance de l'ennemi tendait à prouver qu'une nouvelle phase des opérations allait commencer.
A la droite de la 56e division, la 55e devait passer l'Aisne au sud de Pasly, et la 45e se jeter sur Cuffies, en liaison avec les Anglais. La 55e division effectua son passage et, de concert avec la 45e (89e brigade), attaqua la croupe 132, au nord-est de Cuffies, ainsi que la cote 129 au sud de Pasly. Cette offensive combinée échouait; on la suspendait jusqu'à ce qu'une attaque des Anglais facilitât notre tâche (L. Madelin, p. 815. Cet historien indique la 289e brigade comme faisant partie de la 55e division, ce qui est inexact. Il faut lire 89e brigade et 45e division. D'après H. d'Estre (Correspondant du 25 novembre 1915, p. 687); la 90e brigade serait simplement entrée dans Soissons, d'où elle aurait chassé les derniers Allemands, ceux-ci faisant sauter le grand pont, derrière eux.) .
La 37e division, arrêtée le soir du 12 entre Crépy et Senlis, avait ordre de se porter le 13 sur Verberie, d'y passer l'Oise pour gagner Margny et Venette. Elle effectuait ce mouvement sans difficulté, utilisant outre le pont de Verberie, celui de La Croix-Saint-Ouen et cantonnait dans la région indiquée en se couvrant du 3e zouaves et de l'escadron du 6e chasseurs d'Afrique, sur la ligne Bienville, Giraumont et Clairoix, où elle prenait le contact.
II
En face des troupes britanniques comme des nôtres les Allemands avaient si habilement utilisé le terrain qu'il était impossible de savoir à l'avance quelle résistance ils opposeraient aux tentatives de passage. Le maréchal French estimait que de fortes arrière-gardes, appartenant à trois corps d'armée au moins, tenaient les ponts dans les premières heures du 13 septembre.
Il avait donné l'ordre de forcer le passage. Au 3e corps on reconnut le matin que l'ennemi tenait en force le plateau de Vregny. Le pont de Venizel fut réparé et l'on fit une reconnaissance en vue d'en jeter un autre à Soissons. La 12e brigade d'infanterie put passer sans incident à Venizel et se rassembler (13 heures) à Bucy-le-Long, mais le pont était en si mauvais état qu'il fallut traîner l'artillerie à bras. On avait d'ailleurs commencé la construction d'un autre passage dans le voisinage.
A 14 heures, la 12e brigade attaquait en direction de Chivres et de Vregny, de façon à s'emparer de la hauteur à l'est de Chivres, qui couvrirait le débouché ultérieur. Cette attaque réussissait d'abord; mais, à 17 h. 30, l'artillerie et les mitrailleuses de l'ennemi tirant de Vregny devinrent si gênantes qu'il fallut s'arrêter jusqu'à la nuit noire.
Dans l'intervalle, le pont de bateaux avait été terminé à Venizel (17 h. 30), et la 10e brigade put traverser la rivière pour gagner Bucy-le-Long. La 10e brigade allait à Billy. Avant la nuit, toute l'artillerie de la division avait passé l'Aisne, moins les batteries lourdes et un groupe de campagne. Les tentatives pour jeter un pont de bateaux près de Soissons avaient échoué sous le feu des obusiers lourds.
Le soir, l'ennemi se retira pour se retrancher sur le plateau nord, à trois kilomètres environ de la rivière; des fractions d'infanterie solidement postées sur les points dominants gardaient les ravins, appuyées par une forte artillerie.
Le 2e corps avait trouvé tous les ponts coupés, sauf celui de Condé, encore aux mains de l'ennemi. La 5e division devait passer à Missy, mais l'espace découvert aux abords était tellement battu que la 13e brigade ne put s'y engager; la 14e brigade, dirigée à l'est de Venizel, dans une région moins exposée, traversa l'Aisne en radeau et, à la nuit, s'établit la gauche au hameau de Sainte-Marguerite. Elle fut suivie de la 15e brigade; plus tard, les deux brigades réunies soutinrent la 4e division à leur gauche, en repoussant une violente attaque sur le 3e corps (D'après L. Madelin, p: 812, le VIIe corps de réserve entre en ligne le 13 entre les IIIe et VIIe corps, au nord de Vailly.).
Le 1er corps et la division de cavalerie tenaient encore la droite. La 1re division se porta en direction de Chamouille par le pont du canal à Bourg-et-Comin, la 2e sur Courteau et Presles par Pont-Arcy, et sur le canal au nord de Braye par Chavonne.
A droite, la cavalerie du général Allenby et la 1re division ne rencontrèrent qu'une faible résistance et passèrent aisément la rivière au pont-canal. La 1re division put alors pousser en avant, couverte sur sa droite par la cavalerie et refoulant l'ennemi de front.
A gauche, la tête de la 2e division atteignit l'Aisne à 9 heures. La 5e brigade, dut passer en file indienne, sous un violent feu d'artillerie, en utilisant les débris du pont. On entreprenait en même temps la construction d'un pont de bateaux qui était terminé à 17 heures.
A l'extrême gauche, la 4e brigade des Guards rencontrait à Chavonne une violente résistance. La soirée était avancée quand elle put jeter en bateau un bataillon au nord de l'Aisne. A la nuit, la 1re division occupait la région Paissy, Moulins, Geny, un détachement à Vendresse. La 2e division bivouaqua au sud de l'Aisne, sauf la 5e brigade au nord, en tête de pont (Rapport French, 8 octobre 1914, p. 32-33. Les Mémoires French sont sans intérêt pour le 13.).
III
A la 5e armée, l'ordre général pour le 13 septembre portait que l'armée prendrait pour direction Château-Porcien, au nord-est, de manière à pouvoir appuyer à droite la 9e armée, à gauche l'armée britannique. On confirmait la retraite de l'ennemi sur tout le front, en dépit de la résistance opposée sur la Vesle le 12. A cette date, la 5e armée faisait face au nord et à l'est à la fois. Le 18e corps et le groupe Valabrègue étaient seuls à même d'agir au nord de l'Aisne, en répétant l'attaque du plateau de Craonne, telle que Napoléon l'effectuait le 5 mars 1814.
Le corps Conneau allait donc se jeter dans la région Nizy-le-Comte, Saint-Quentin, à l'est de Sissonne, avec mission de pourchasser l'ennemi en retraite entre ce dernier village et Rethel. En fin de journée, le 18e corps devait atteindre la zone Corbeny, Pontavert, Beaurieux, Craonne, derrière la cavalerie.
La 4e division marcherait par Merval, Maizy, Corbeny, Sissonne; la 10e par Baslieux-lès-Fismes, Roucy, Pontavert, Juvincourt, Sissonne; la 8e par Courville, Montigny, Cormicy, Berry-au-Bac, Guignicourt, Lappion. En fin de journée le corps Conneau atteindrait ainsi la région Sissonne, Sainte-Preuve, Lappion.
A la 4e division, la découverte était orientée sur Vervins et Rumigny, par les ponts de Pontavert et de Berry-au-Bac. Le bataillon du 45e se rendait en autobus à Glennes, puis à Maizy et à Beaurieux, où il devait s'installer pour couvrir le débouché de la division.
Vers 8 heures, celle-ci était dans la région de Merval. On signalait l'ennemi à Villers-en-Prayères, Révillon, Maizy; le canal latéral à l'Aisne était, disait-on, fortement tenu. En réalité l'ennemi évacuait Révillon avant 11 h. 30 et le pont de Maizy restait intact. La division y passait l'Aisne (12 heures), puis atteignait Pontavert (13 h. 45) sans incident. A sa gauche, une division du 18e corps occupait Maizy, marchant sur Beaurieux et Craonnelle.
A 14 h. 30, la 4e division se portait par la Ville-aux-Bois sur Amifontaine, où elle atteignait l'importante ligne ferrée de Laon à Reims. On savait à ce moment Craonne occupé par l'ennemi, sans qu'il parût disposer d'artillerie. Le 144e (18e corps) l'y attaquait. Craonnelle était inoccupé et Corbeny sous le feu de nos canons.
A 17 heures, on apprenait que l'ennemi continuait de tenir Corbeny, mais semblait faiblir; le 18e corps atteignait Craonne; à sa droite, le groupe Valabrègue était à Juvincourt et à sa gauche, les troupes britanniques à Courtecon, au sud de l'Ailette, après avoir dépassé ce Chemin-des-Dames qui allait devenir si célèbre. Le général Conneau arrêtait la 4e division vers Amifontaine, la 10e vers Sissonne et la 8e vers La Ville-aux-Bois. Son ordre pour le 14 débutait ainsi, dit-on : " Il n'y a plus d'ennemis devant nous. En conséquence, la 4e division de cavalerie prendra à revers les troupes allemandes qui attaquent le 18e corps sur le plateau de Craonne... " Malheureusement, le corps Conneau ne devait pas se maintenir longtemps au nord de l'Aisne.
La mission du 18e corps, le 13, était de couvrir la gauche du groupe Valabrègue, tandis que ce dernier s'enfoncerait délibérément dans la trouée de Corbeny Prouvais. La 35e division, à la droite, marchait par Pontavert sur Corbeny; les 36e et 38e, à gauche, débouchaient au nord-est de Cuiry-les-Chaudardes en direction de Craonnelle et de Craonne.
Le 57e était à l'avant-garde de la 35e division. Vers 14 heures, au sortir de Pontavert, le colonel Debeugny attirait l'attention du général Pierron sur les bois à l'ouest, qu'il serait imprudent de ne pas fouiller. A cet effet, le commandant de la 70e brigade détachait un bataillon du 144e (le 2e) . Vers 16 heures, le commandant Picot (Ier bataillon du 57e) arrivé un peu au nord de la ferme du Temple, recevait l'ordre d'enlever Corbeny, avec l'appui d'une seule batterie du 24e établie vers la route de Reims à Laon. Nos 75 canonnaient la lisière sud du village, notamment un long mur vers l'est. Le bataillon du 57e progressait ensuite, par bonds et presque sans pertes, jusqu'à 300 mètres d'un chemin creux parallèle à cette lisière et organisé pour la défense (18 h. 30). Le 2e bataillon suivait en soutien. Le commandant Picot faisait sonner la charge, mais l'élan était bientôt rompu devant des fils de fer, qu'il fallait contourner. Une compagnie du 2e bataillon intervenait alors entraînant le reste de la ligne. A 20 heures, nous pénétrions dans le village. Les deux bataillons s'y établissaient, couverts d'avant-postes de combat. Le 3e restait en réserve entre Corbeny et la ferme du Temple.
Sur les entrefaites, le 2e bataillon du 144e, après avoir été relevé par le 1er bataillon à la lisière nord du bois de Beaumarais, entrait également dans Craonne (22 heures), après une action " extrêmement vive " .
Le mouvement de la 36e division s'effectuait avec un certain retard, bien que le 5e chasseurs d'Afrique eût enlevé le pont de Maizy par un coup de main. A 15 heures, elle abordait les bois de Beaurieux en direction de Craonnelle. Mais l'ennemi, après s'être retiré un instant vers le nord, venait de réoccuper " l'isthme " de la ferme Hurtebise et le plateau du moulin de Vauclerc. Il arrêtait l'infanterie de la division à la lisière nord des bois au sud d'Oulches et de Craonnelle.
A gauche, la 38e division occupait le plateau de Paissy, en contact avec les Anglais. Mais la 36e, se jugeant isolée, croyait devoir reculer légèrement à la nuit sur ce même plateau de Paissy (Notes communiquées par le colonel Bujac; L. Madelin, p. 821. A la 38e division, la 75e brigade restait vers Maizy, la 76e allait au plateau de Paissy. Son régiment de tirailleurs cantonnait dans ce village avec trois bataillons de la 1re brigade britannique. Le reste de la 1re division se répartissait entre Moulins et Cuissy-et-Geny.). Notons que, dans la journée, des patrouilles françaises et anglaises avaient pu pousser jusqu'au presbytère de Chermizy, au nord de l'Ailette. Elles y engageaient même la fusillade contre des Allemands arrêtés au nord de ce village.
L'état-major de la 5e armée comptait si bien sur la continuation de la poursuite, que l'ordre du 1er corps (20 heures, 12 septembre) le portait dans la direction générale de Roizy à 20 ou 25 kilomètres au nord-est de Reims. Toutefois, les gros e passeraient le canal de l'Aisne à la Marne que lorsque le 10e corps, à droite, serait maître des hauteurs de Berru et le 3e corps, à gauche, de celles de Brimont. Les deux divisions du 1er corps se rassemblaient vers Ormes et vers Bezannes, en s'assurant les débouchés immédiats sur les routes de Reims à Neufchâtel et à Betheny, mais l'arrêt brusque des 3e et 10e corps allait rendre tout progrès ultérieur impossible pour les unités intermédiaires.
Dès 5 heures, on apprenait que le 10e corps, arrivant sur le canal, avait été immobilisé par des coups de canon partant du fort de la Pompelle. Néanmoins l'état-major du 1er corps se groupait à l'entrée du faubourg de Vesle vers 7 h. 30, en présence d'une foule d'habitants. On lui offrait des fleurs. A 9 heures, après une longue attente, on apprenait que le 10e corps était arrêté sur la ligne de Reims à Châlons et le 3e corps à Saint-Thierry. Des heures se passaient encore pendant lesquelles le 6e chasseurs ramassait dans Reims plusieurs centaines d'Allemands; puis le général Deligny décidait de porter en avant une brigade par division. Celle de la 1re atteignait péniblement La Neuvillette, sous une pluie de gros obus venant du nord; celle de la 2e parvenait assez vite à Bétheny par les boulevards extérieurs de Reims. Mais là, elle était prise d'écharpe par des projectiles partant de Witry et reculait tout d'abord. Le général Deligny la reportait en avant, et Bétheny était repris (16 heures). Malgré les obus, boulevards et routes étaient semés d'habitants endimanchés, venus là comme à une manœuvre. Ils envahissaient même la batterie de 120 installée au quartier de cavalerie et il fallait les en expulser pour continuer le tir (Carnet inédit d'un témoin. L'escadron de la 1re division capturait pour sa part deux officiers et une cinquantaine d'hommes).
Le gros de la 1re division n'entrait dans Reims qu'à 14 heures, pendant que, suivant les ordres donnés, le 3e corps marchait sur Brimont et le 10e sur le fort de Witry. La division ne devait déboucher de Reims qu'après l'occupation de ces deux points. Elle passait par Saint-Brice et atteignait le faubourg de Laon, où elle reçut un nouvel ordre : les 3e et 10e corps s'étant emparés des deux forts la 1re division se porterait sur Boult-sur-Suippe par Bourgogne. Mais, au moment où l'avant-garde allait déboucher du faubourg des avions allemands survolèrent la ville et aussitôt une pluie d'obus lourds, s'abattit sur la lisière nord de Reims. Les coups paraissaient provenir des forts de Brimont et de Witry, indiqués à tort comme étant entre nos mains.
Pendant qu'à droite la 2e division livrait un vif combat pour s'emparer de Bétheny, la 1re parvenait simplement à se maintenir sur la voie ferrée de Reims à Laon, à la ferme Pierquin et à la Neuvillette.
A 19 h. 30, le canon tonnait encore. Le 1er corps et le 10e étaient immobilisés aux abords de Reims. Le 3e avait poussé jusqu'à Loivre et Berméricourt, menaçant Brimont par le nord. La situation restait donc très incertaine. le 1er corps prenait des dispositions contre une attaque par surprise qui, dans une grande ville inconnue, aurait pu être dangereuse. D'ailleurs, pendant la nuit l'ennemi bombardait le Q. G. de la 5e armée, tuant un lieutenant-colonel de l'état-major. Le lendemain matin, la direction de l'arrière et le quartier général quittaient Reims pour aller à Jonchery-sur-Suippe (?? sur-Vesle !). Leur installation dans la ville du sacre avait été une erreur s'ajoutant à d'autres.
Le général Franchet d'Espérey avait fait dans Reims une entrée triomphale, entre 11 et 12 heures. La population accueillait nos soldats avec une joie délirante.
" Les femmes les couvrent de fleurs, leur distribuent du vin des gâteaux, toutes sortes de douceurs. L'allégresse est d'une intensité inimaginable et... gagne toutes les âmes. Les cloches sonnent à grande volée. On acclame les officiers et les soldats, on leur serre les mains, on les embrasse, on les porterait en triomphe, s'ils n'étaient pas si nombreux. On est pâle d'émotion joyeuse; on rit, on pleure, on crie, on donne n'importe quoi, on a besoin de donner... " On célèbre aussitôt à la cathédrale un service solennel : " Ah! ce Te Deum sous les bombes, ce cantique d'actions de grâce que scandent, à intervalles réguliers, les criminels éclatements! Ah! la stupeur de la foule, la voix des chantres se hâtant qui se met à trembler, le Te Deum triomphal se muant en sanglots! " Ayez pitié de nous, Seigneur, ayez pitié de nous ", grelotte enfin le choral au milieu d'un formidable tonnerre...".
Au 10e corps, la 19e division marchait par Cormontreuil, la Verrerie, La Pompelle. Le 41e s'avançait en colonne par quatre, " la musique en tête ", vers le fort qui porte ce dernier nom et qu'il croyait à nous, quand, brusquement, l'ouvrage ouvrait un feu de pièces lourde, qui causait des pertes. Néanmoins aucun désordre ne se produisait. On se formait en damier sous les obus, comme si l'on était au polygone de Rennes, et l'on allait s'abriter derrière une crête.
Le général Bonnier avait repris le commandement de la 19e division. Il était de nouveau blessé et le général Bailly le remplaçait encore. Un groupe du 7e (Dautriche) tirait une salve. Aussitôt quatre " énormes marmites " l'encadraient, brisant un canon, blessant tous les officiers. Il fallait abandonner provisoirement les pièces qu'on reviendrait prendre à la nuit (Docteur Veaux, p.151.) . Des faits analogues se produisaient à la 51e division, quand son avant-garde traversait le remblai du chemin de fer, près la ferme de la Jouissance.
Le fort de Saint-Thierry avait été pris avant midi par le 3e corps; celui de Montbré était dans nos mains. depuis la veille, mais les principaux ouvrages, La Pompelle, Nogent, Witry-les-Reims, Fresnes, Brimont restaient à l'ennemi pour un temps dont nul ne soupçonnait alors la longueur.
IV
L'ordre de la 9e armée pour le 13 septembre prescrivait la continuation de la poursuite vers le nord-est, avec la ligne de la Py et de la Suippe comme objectif , de Somme-Py à Heutrégiville (nord-est de Reims) . Le 9e corps borderait le front Heutrégiville, Pont-Faverger, encadré à droite par la 42e division marchant sur Mourmelon-le-Grand et Dontrien, à gauche par le 10e corps qui suivrait la route de Rethel à Reims. Nous avons vu ce qu'il advenait de ce corps d'armée. Quant au 9e, il formait quatre colonnes, de manière à permettre un déploiement très rapide si l'ennemi faisait tête.
La division du Maroc suivait l'itinéraire Trépail, Beaumont, Prunay, Beine, Heutrégiville; elle détachait sur la gauche une flanc-garde marchant par Prunay et Nogent-l'Abbesse pour se relier au 10e corps.
A droite, la 33e brigade devait passer par les Petites-Loges, Sept-Saulx, Nauroy, Pont-Faverger; la 36e par les Grandes-Loges, la Pyramide, Prosnes, Bétheniville.
La 52e division marcherait en deuxième ligne, deux colonnes de brigade suivant l'une la 33e et l'autre la division du Maroc.
Ce programme devait être fort incomplètement exécuté. Dès le lever du jour, les escadrons divisionnaires signalaient des forces ennemies dans des tranchées à Prunay au nord-est de Sept-Saulx et au nord-ouest de Mourmelon-le-Petit. Le 7e hussards, qui s'était glissé dans le bois à l'est de Thuisy, rendait compte qu'il ne pouvait aller plus loin : partout ses reconnaissances se heurtaient à des tranchées, à des points d'appuis garnis de mitrailleuses notamment à Prosnes, aux Marquises, aux Deux-Maisons, à la Maison-du-Garde et dans les bois au nord de la chaussée romaine. Ces positions, commandées par les hauteurs boisées qui s'étendent à l'est de Reims jusqu'à la Suippe, étaient très fortes.
A 9 heures, les avant-gardes du 9e corps arrivaient au contact et, des deux côtés, l'artillerie entrait en action. A midi, la division du Maroc s'emparait de Prunay et continuait ensuite vers le nord, rencontrant une résistance de plus en plus vive. Renforcée d'un bataillon, l'avant-garde enlevait néanmoins Les Marquises et les Deux-Maisons (17 heures), sans pouvoir dépasser la chaussée romaine.
A la17e division, les 36e et 33e brigades, un instant arrêtées au débouché de Sept-Saulx et de Mourmelon-le-Petit par l'artillerie allemande, refoulaient les éléments ennemis en position aux abords de ces localités, prenaient leurs tranchées et nettoyaient les bois avoisinants. Le général Guignabaudet (Remplaçant à la 17e division le général Moussy) mettait en action sur Prosnes ses trois groupes et l'un de ceux de la 52e division. Puis avec ses deux brigades, il opérait une attaque concentrique sur ce village, la 36e brigade partant de la Pyramide et la 33e de Thuisy. L'ennemi abandonnait les tranchées au sud de Prosnes et ensuite le village. Mais, dès que la 36e brigade y pénétrait, elle était soumise au feu violent d'une puissante artillerie lourde dissimulée dans le massif de Moronvillers. Faute d'avions, il était impossible d'en repérer les emplacements. La 36e brigade était donc contrainte de reculer sur les bois au sud, où elle passait la nuit. Quant à la 33e brigade, elle avait progressé vers la Maison-du-Garde, sans pouvoir aller à moins d'une centaine de mètres de la chaussée romaine, longée par des tranchées qui rendaient vaines toutes nos attaques.
En fin de journée, la division du Maroc bivouaquait dans la région Prunay, Beaumont, Verzy; la 17e division dans Wez, Thuizy, Sept-Saulx; la 52e dans Courmelois, Villers-Marmery, Billy-le-Grand. A la gauche du 9e corps, le 10e n'avait pu dépasser Sillery; à droite la 18e division, encore rattachée au 11e corps, s'était arrêtée vers Baconne et la 42e au nord du fort Saint-Hilaire, en bordure du Camp de Châlons.
Le général Eydoux avait donné au 11e corps un ordre qui peut se résumer ainsi : La 18e division marchera par Verdenay et Saint-Hilaire-le-Grand, de façon à atteindre avec le gros, en fin de journée, Saint-Souplet et Sainte-Marie. La 21e division suivra par Dampierre et Vadenay le même itinéraire que la 18e, avec Saint-Hilaire-le-Grand pour objectif final. L'artillerie de corps marchera par Saint-Etienne-au-Temple, Cuperly, Jonchery, qu'elle ne dépassera pas jusqu'à nouvel ordre. La 22e division se portera par la grand'route sur Suippes, avec Somme-Py comme objectif. La 60e division gagnera, par L'Epine, Saint-Etienne, l'itinéraire de la 22e qu'elle suivra jusqu'à Souain en assurant la liaison avec le 21e corps, dont l'avant-garde était le soir du 12 à La Cheppe. Enfin le 2e chasseurs devra chercher et garder le contact en avant du front.
A la 18e division l'avant-garde débouchait de Vadenay à 5 h. 30. A 8 h. 30 seulement elle traversait la voie romaine, quand elle était saluée par des salves d'artillerie. On reconnaissait bientôt qu'elles étaient du fait de la 42e division, à l'ouest. Il en résultait un retard de trois quarts d'heure au moins, après lesquels on assurait enfin la liaison avec cette colonne.
Dès la reprise de la marche, vers 10 h.40, une batterie ennemie était repérée vers la cote 141, à 3 kilomètres ouest de la ferme de Suippe, en plein camp de Châlons. Puis, en atteignant la crête des Ouvrages Blancs, l'avant-garde était de nouveau canonnée et croyait devoir s'arrêter dans le ravin à l'ouest et le bois à l'est. On apercevait des tirailleurs ennemis vers le fort Saint-Hilaire, à 2.500 mètres des Ouvrages Blancs.
Entre temps, le passage de la Marne ayant retardé la 42e division, il se produisait un intervalle marqué entre les 11e et 9e corps. Le général Eydoux prescrivait à la 18e division de le fermer ( 13 h. 45) . Au lieu de marcher de Saint-Hilaire-le-Grand sur Saint-Souplet, elle suivrait la vallée de la Suippe sur Vaudesincourt, Dontrien et Saint-Martin-L'Heureux. La 22e division aurait à occuper la ligne de la Py de Sainte-Marie à Saint-Souplet. A partir de Suippes, elle quitterait la grand'route réservée au 21e corps et se dirigerait par la ferme des Wacques sur Sainte-Marie-à-Py et Saint-Souplet, restant en liaison avec ce corps d'armée. La 21e division pousserait jusqu'à Saint-Hilaire-le-Grand. La 60e, à partir de Suippes, suivrait la 22e sans dépasser la ferme des Wacques.
Malheureusement la réalité ne répondait nullement à ce programme. La 18e division ne pouvant effectuer le mouvement prescrit, tant que l'ennemi tiendrait Saint-Hilaire-le-Grand, le général Lefèvre prescrivait d'attaquer ce village, le 32e opérant au sud, le 114e par l'est (16 h. 25). Il était alors en liaison avec la division Grossetti (42e), dont l'avant-garde atteignait le fort Saint-Hilaire, face à Aubérive, non sans être arrêtée par le tir d'une batterie d'obusiers (Un groupe de la 18e division cherchait à atteindre ces obusiers avec des feux à bêche enterrée, ses ,batteries étant en arrière des Ouvrages Blancs. L'artillerie de la 42e division était au sud-ouest du fort Saint-Hilaire, tirant également au nord-est.). Il paraissait impossible que la 18e division suivît la vallée de la Suippe comme il était prescrit : " Je me refuse absolument, écrivait le général Lefèvre au général Eydoux, à mener ma division sur Dontrien par la vallée de la Suippe, ainsi que le comportait l'ordre.. de 13 h. 45... ". Il allait donc attaquer Saint-Hilaire et s'y installer en se gardant " dans toutes les directions " .
Il faisait d'ailleurs remarquer que la marche sur Dontrien serait très lente et gênerait de la façon la plus grave la 42e division, dont l'axe de marche était presque perpendiculaire à la vallée de la Suippe. En outre, cette division serait placée, de ce fait, entre la 18e division et le reste du 11e corps, au prix d'inconvénients évidents (16 h. 40). Sur les entrefaites, le général Lefèvre était informé que la 18e division allait rallier le 9e corps, ce qui faisait tomber une partie de ses objections. Il demandait même (17 h. 30) que ce mouvement fût retardé de vingt quatre heures, en raison de l'extrême réduction de ses cadres et de la nécessité de ne pas dépasser la limite de tension pour la troupe.
A 23 heures seulement, on apprenait que le 32e avait pris Saint-Hilaire et arrêté des éléments de la 21e division " revenant en désordre du nord-est " . Dans la soirée, on bivouaquait aux Ouvrages Blancs, autour de Jonchery et de la ferme du même nom. Pas plus que la 42e division, la 18e ne dépassait sensiblement les limites du camp de Châlons. Il faudrait des mois et des mois, dans cette région, pour que fût réalisé un progrès sensible. Quant aux autres divisions du 1e corps, elles ne parvenaient pas davantage à atteindre la vallée de la Py et s'échelonnaient vers le sud-est, à la gauche de la 18e division.
V
Elle aussi, la 4e armée se heurtait à une résistance imprévue entre la Suippe et l'Aisne (D'après les premiers ordres reçus, le 21e corps devait atteindre la Suippe vers midi. Puis l'armée lui prescrivait de, pousser jusqu'à Somme-Py, ce qui ne pouvait être réalisé. Dans la journée, le général Legrand était remplacé par le général Maistre, colonel au début de a guerre. On faisait supporter au général Legrand la conséquence du faux mouvement prescrit au 21e corps de la droite à la gauche de la 4e armée : système du bouc émissaire.). Ses avant-gardes, arrêtées devant un ennemi retranché, fortement soutenu par son artillerie, ne parvenaient pas à dépasser, en thèse générale, la ligne que nous allions tenir pendant des mois, jusqu'à la bataille d'hiver en Champagne (1914-1915) . A droite, celle du 2e corps avait traversé Sainte-Menehould le 12 vers 23 heures. On croyait encore que la retraite allemande continuait. Mais le 13, les Allemands reprenaient Servon, où avait poussé un de nos bataillons; le général Cordonnier était blessé et le colonel d'artillerie Aubrat tué. Désormais, le 2e corps allait être fixé (Général Bon, p. 201. La 3e division était violemment canonnée à Daucourt, au sud de Sainte-Menehould où elle entrait dans la soirée (?) après avoir fait de nombreux prisonniers et pris un convoi de ravitaillement (lieutenant Deville, p. 121-123).).
En se portant au nord-ouest le 13, la 3e armée se heurtait à une ligne fortifiée s'étendant de Villers-aux-Vents par Louppy-le-Château à Rembercourt-aux-Pots, Souilly. Elle consacrait à la forcer les journées des 13 et 14. La Ve armée se repliait alors sur Vienne-la-Ville, Clermont, Varennes; Montfaucon et Consenvoye, qui devaient rester longtemps ses points d'appui dans cette région difficile. Le 6e corps ne disposait que d'une seule route, celle de Souilly à Verdun. Il la suivait par Mondrecourt, Souilly, Lemme, où il arrivait le 13 au soir, après une pénible étape sous une pluie violente.
Il faut bien dire que la poursuite de nos troupes ne fut pas toujours menée avec l'élan et la volonté qui eussent été nécessaires. Ecoutons un témoin du 15e corps : " Les colonnes d'infanterie se traînaient sur les routes à la suite, plutôt qu'à la poursuite des Allemands. L'artillerie manquait de munitions. Et les pauvres chevaux étiques qui traînaient les canons et les caissons faisaient peine à voir, tant ils étaient misérables... La plupart des pièces n'étaient tirées que par cinq ou même quatre bêtes de trait au lieu de six. .. " .
Le matin du 13, cette fraction du 15e corps (29e division) traversait Bar-le-Duc, Sommeilles, Marats-la-Grande et Rembercourt-aux-Pots où elle cantonnait. Tous ces villages avaient été impitoyablement dévastés, à commencer par Sommeilles (Carnet de route d'un officier d'alpins, I, p. 89.).
Une dépêche télégraphique du général en chef, reçue le matin du 13, était ainsi conçue : " Notre victoire s'affirme de plus en plus complète; partout l'ennemi est en retraite, partout les Allemands abandonnent prisonniers, blessés, matériel.
" Après les efforts héroïques dépensés par nos troupes dans cette lutte formidable; qui a duré du 5 au 12 septembre, toutes nos armées, surexcitées par le succès, exécutent une poursuite sans exemple.
" A notre gauche, nous avons franchi l'Aisne en aval de Soissons, gagnant ainsi plus de cent kilomètres en six jours de lutte.
" Nos armées du centre sont déjà au nord de la Marne. " Nos armées de Lorraine et des Vosges arrivent à la frontière.
" Nos troupes, comme celles de nos alliés, sont admirables de moral, d'endurance et d'ardeur.
" La poursuite sera continuée avec toute notre énergie. "Le gouvernement de la République peut être fier de l'armée qu'il a préparée (Débats du 15 septembre 1914. C'est sans doute ce télégramme qui, communiqué tardivement à la presse, provoqua une nouvelle dépêche du général en chef à laquelle M. Millerand répondit en ces termes : "...Je suis le coupable et je ne voudrais pas qu'il pût demeurer dans votre esprit l'ombre d'un doute sur les considérations qui m'ont poussé à mettre une sourdine à l'expression de notre joie. Il me paraît bon de ménager les nerfs de ce pays et j'ai préféré courir le risque de demeurer au-dessous de la vérité que celui de l'exagérer..." (A. Millerand, Le maréchal Joffre, Revue hebdomadaire, 15 février 1919, p. 301).). "
Ce télégramme, qui eut en France un immense retentissement, ne donnait pas une exacte impression de la situation. Il ne paraît pas douteux que, le 12 au soir, le G. Q. G. croyait encore à la continuation de la poursuite; il ne soupçonnait pas que, le lendemain, l'offensive de nos colonnes serait presque partout enrayée et qu'une nouvelle phase de la guerre commencerait pour durer des années. La dépêche du général en chef autorisait toutes les espérances (Le communiqué britannique du 13 annonçait la capture de 6.000 prisonniers et de 15 canons les 10 et 11. La 3e armée française a capturé, le 12, 160 canons. - Nous n'avons trouvé nulle part la confirmation de ce dernier fait.). La déconvenue devait être profonde, quand les communiqués laissèrent peu à peu entrevoir l'arrêt complet de nos attaques et le début de la guerre de tranchée, si fastidieuse et si épuisante à la longue.
Après avoir plusieurs jours orienté nos armées vers le nord-est; sans tenir compte de la nécessité de déborder la droite allemande, le général en chef en venait à penser que " le sort de la bataille engagée " dépendait de nos " forces de gauche " (12 septembre, L. Madelin, La Course à la Mer et la Mêlée des Flandres, Revue hebdomadaire, 21 février 1920, p. 303.). Dans la nuit du 13 au 14, il envoyait à la 5e armée l'ordre " d'orienter sa marche un peu plus vers le nord ", de façon à dégager l'armée britannique et la 6e armée. Cette prescription tardive ne devait pas sensiblement modifier la situation.
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