LA BATAILLE DE LA MARNE VUE PAR LE GENERAL PALAT

CHAPITRE XXII

CHAPITRE XXII

LE 10 SEPTEMBRE A LA DROITE

La 4e armée. - Le 21e corps. - Le gros de la 4e armé. - La 3e armée. - Contre-offensive allemande. - Le 15e corps - Les instructions du G. Q. G. - Les Allemands.

I

 

Tandis que le succès se dessinait nettement en faveur de la gauche et du centre des Alliés, il était plus disputé à la droite. A la 4e armée, notamment, si l'aile ouest, fortement renforcée par le 21e corps et par des fractions venues du centre, parvenait à refouler les Allemands en comblant une partie de la brèche entre les armées (Brèche à laquelle en correspondait une autre sur le front allemand.), l'aile est semblait un instant compromise, comme nous le verrons.

Au petit jour, le combat reprenait à l'ouest de la Marne. Le XIXe corps refluait vers le nord, en direction de Coole et de Maisons-en-Champagne; le XIIe corps (23e division) vers Coole et Soudé-Sainte-Croix. Les trois divisions groupées sous les ordres du général Legrand, continuaient leur offensive. Cette fois, placées en face de leurs objectifs et pourvues de tous leurs moyens d'action, elles marquaient une progression très nette. La 43e division chassait l'ennemi du signal de Sompuis, où il avait établi de l'artillerie et dépassait la voie ferrée qui court au nord de ce village, de l'ouest à l'est. La 13e s'emparait des fermes Nivelet et Pimbreaux, ainsi que des bois au sud de Sompuis. En fin de journée, elle attaquait les pentes qui descendent vers ce village, au nord de la voie ferrée. Enfin, la 23e division gagnait du terrain par sa gauche, qui entrait dans Sompuis, mais elle était arrêtée à droite, devant la ferme Galbodine, proche de cette ligne.

La journée si heureusement commencée se termina par des pertes cruelles pour la 13e division. Les états-majors des 25e et 26e brigades, poussés simultanément à l'ouest de Sompuis, étaient pris sous un feu d'artillerie lourde et écrasés. C'est ainsi que disparaissaient à la fois le général Barbade et le colonel Hamon, deux chefs de valeur, dont la perte désorganisait le commandement d'une division déjà éprouvée par la mort des colonels Aubry et Frisch, des 109e et 21e.

A la droite du 21e corps, le 17e gagnait également du terrain, mais, au sud de Vitry, le centre de l'armée était ralenti par des travaux considérables qui défendaient toute la région de Glannes, Feignicourt, Marolles. Le 12e corps arrivait néanmoins à hauteur de Blacy (ouest de Vitry). Cette ville ne fut évacuée que le 11, à partir de 4 heures.

A l'est, la situation était moins favorable. Sur le front du 2e corps, les Allemands forçaient nos lignes vers Sermaize. Maurupt-le-Montoy était pris et repris à plusieurs reprises. L'importante bifurcation de Blesmes subissait une forte attaque et des obus tombaient jusqu'à Heiltz-le-Hutier, au sud-ouest. " Bref, les choses tournent assez mal ", écrivait un témoin. La situation paraissait assez grave pour que le poste de commandement du 2e corps fût transporté à Ambrières, au sud de la Marne, mesure fâcheuse, faite pour ébranler le moral de troupes fatiguées par une longue lutte.

L'après-midi seulement on apprenait que les nouvelles étaient meilleures. Les attaques sur Blesmes avaient échoué (Lieutenant Deville, p.113).

A l'aile opposée de la 4e armée, le succès s'accentuait également vers la fin de la journée. Sous l'influence du recul précipité des troupes à sa droite, la 23e division saxonne accentuait sa retraite. Dans la nuit elle atteignait la Marne en amont de Châlons. (les Allemands préludèrent à leur retraite en allumant de nombreux incendies sur le front des 4e et 3e armée. Un artilleur vit flamber 17 villages dans la nuit du 9 au 10. C'est ainsi que Sermaize, Saint-Lumier, Maurupt, Contrisson, Revigny furent transformés en ruines fumantes)

II

 

La 3e armée était à peu près dans la même situation que la 4e l'une de ses ailes résistant avec effort à la poussée de l'ennemi et l'autre gagnant du terrain.

Dans la nuit du g au 10, vers 3 heures, la fusillade jusqu'alors intermittente et localisée prenait sur tout le front du 6e corps une intensité formidable. Soit pour dissimuler sa retraite, soit plutôt pour faire une tentative désespérée, le ,Kronprinz dessinait une violente attaque , à laquelle prenaient part des éléments des XIIIe et XVIe corps. Les deux axes, principaux de cette offensive passaient sur la rive ouest .de l'Aire, à la ferme de Vaux-Marie (ouest de Courcelles) et sur les hauteurs de Courcelles tenues par la 40e division, à la droite du 6e corps; à gauche, le groupe des 26e, 29e, 25e bataillons de chasseurs et une brigade de la 12e division ( 106e et 132e) . La brigade de la 54e division était en réserve. La seconde brigade de la 12e division restait sur la crête, entre Rembercourt et Chaumont.

Nous subissions des pertes sensibles. Le général de Féraudy était tué. La 4oe division se repliait entre Chaumont et Courouvre; les trois bataillons de chasseurs allaient jusqu'au signal de Belrain, au sud-ouest, où le général Verraux reportait son poste de commandement. Une brigade de la 12e division tenait le bois du Fay, entre Rosnes et Marats et, le soir, le Q. G. du 6e corps était à Rumont (Notes inédites d'un témoin.).

D'après un témoin (M. Génevoix, Les jour de la Marne, Revue de Paris, 15 avril 1916, p. 699. M. Dauzat, p. 16, porte que 11 batteries du XVIe corps furent détruites par notre artillerie, mais nous n'avons trouvé nulle part la confirmation de ce fait.); l'attaque de nuit allemande aurait été opérée au XIIIe corps par des hommes saoulés d'alcool et d'éther, comme l'avouèrent des prisonniers. Elle fut brisée au jour par notre artillerie, mais certaines de nos compagnies étaient réduites à une quinzaine d'hommes.

L'ordre donné par le général Sarrail pour le 10 septembre portait que la 3e armée combattrait sur place; les divisions de réserve à sa droite, dont l'une avait plié le 9, seraient ramenées un peu en arrière pour être remises en ordre et prêtes à un mouvement (Le groupe de D. R. se reportait dans la région Courouvre, Longchamps, Villotte-devant-Saint-Mihiel. Le 6e corps était à gauche, au sud d'Erize-la-Grande, Marats.). C'était abandonner la liaison avec Verdun.

A gauche, la 4e armée continuait d'être si vivement attaquée, au voisinage de la 3e, que son corps de droite, le 2e, se resserrait vers l'ouest, abandonnant Cheminon, où s'effectuait jusqu'alors la liaison entre les deux armées. D'autre part, le fort de Troyon paraissait être dans une situation désespérée, au point que la garnison détruisait ses appareils de télégraphie. Des éléments ennemis cherchaient à passer la Meuse, vers Lacroix, où ils étaient heureusement arrêtés par la division de cavalerie d'Urbal.

Le général Sarrail décidait que, dès la prise du fort, il renoncerait à garder le contact avec Verdun et replierait lentement sa droite au sud, en essayant d'attendre le mouvement offensif de la 4e armée.

Vers 12 heures, le G. Q. G. annonçait la retraite de l'ennemi devant la 5e armée et l'armée britannique. Il demandait seulement à la 3e armée de " durer ", l'autorisant, pour cela, à replier sa droite, ainsi qu'il l'avait fait les jours précédents (Le général Sarrail, p. 568; E. Renauld, loc. cit., p. 23.) .

Au 5e corps, la journée du 10 se passait sans faits saillants. Nos troupes restaient dans le bois de Laimont, en présence de l'ennemi retranché, sous une pluie à peu près constante. Elles étaient harassées, le ventre creux, grelottant de froid (Galtier-Boissière, p.180.) .

Au 15e corps; une série de combats se livraient autour de Vassincourt. Finalement, dans la nuit du 10 au 11, avant d'évacuer ce village, les Allemands y mettaient le feu. Des blessés français et ennemis périssaient ainsi dans les flammes. Notre artillerie poursuivait l'ennemi de ses obus, mais l'infanterie ne recevait pas l'ordre de se porter en avant. " Au reste, écrit un témoin cela nous serait

presque impossible, tant nous sommes épuisés ". Dans l'ensemble, le 15e corps avait sensiblement progressé. Il tenait les lisières de la forêt des Trois-Fontaines, les ruines de Sermaize, complètement incendié par l'ennemi, Andernay et la crête ouest de Vassincourt, après avoir fait de nombreux prisonniers (G. Babin, p. 277.).

La 3e armée avait eu devant elle, le 10 septembre, les VIe, XVIe et XIIIe corps, ces derniers renforcés par le VIe corps de réserve, que le Ve corps de réserve remplaçait à l'extrême gauche, devant notre 72e division, restée à Vadelaincourt, face au sud. Depuis plusieurs jours, elle inquiétait la ligne de communication ennemie par Damvillers, Consenvoye, Montfaucon, Avocourt et Clermont, bien que gardée par de l'infanterie bien retranchée et de l'artillerie. Dans la soirée avait lieu une assez vive contre-attaque du Ve corps de réserve. Nos réservistes commençaient à laisser voir des signes de fatigue (G. Babin, p.277).

L'état-major du Kronprinz (Ve armée) fonctionnait à Revigny (15 kilomètres à vol d'oiseau de Bar-le-Duc), ce qui montre assez combien était encore précaire la situation de la 3e armée. Pour mettre à l'abri les jours précieux de ce prince, une série d'excavations avaient été creusées dans la maison qu'il habitait et une galerie souterraine conduisait à un boqueteau voisin (Fabreguettes, p. 75.).

III

 

Le 10 septembre, le général en chef télégraphiait à la 4e armée que, désormais, loin d'attendre un secours de sa part, la 9e armée serait en mesure de l'aider. D'après les renseignements parvenus au G. Q. G., on jugeait qu'entre les Ire et IIe armées allemandes, de Soissons au massif boisé d'Epernay, s'ouvrait une brèche de trente kilomètres, occupée uniquement par de la cavalerie. Il ne paraît pas qu'on ait cherché à en profiter.

Quant à la marche générale des opérations, elle était réglée comme il suit par une instruction du G. Q. G (10 septembre, de Châtillon-sur-Seine) :

" Les forces allemandes cèdent du terrain sur la Marne et en Champagne devant les armées alliées du centre et de l'aile gauche. Pour confirmer ce succès et en tirer avantage, il est nécessaire de suivre énergiquement ce mouvement et de ne laisser aucun répit à l'adversaire.

" En conséquence, l'offensive se continuera sur tout le front, dans la direction générale nord-nord-est.

" a) La 6e armée continuera d'appuyer sa droite sur l'Ourcq, au ruisseau de Sapières et à la ligne Longpont, Chaudun, Courmelles, Soissons (inclus). Le corps de cavalerie Bridoux gagnera du champ à l'aile gauche et s'efforcera de gêner les communications et la retraite de l'ennemi.

" b) Les forces britanniques continueront leur avance victorieuse entre la ligne ci-dessus mentionnée et la route Rocourt, Fère-en-Tardenois, Mont-Notre-Dame, Bazoches, qui sera à leur disposition.

" c) La 5e armée, à l'est de la précédente, contournera la forêt au sud et au nord d'Epernay, vers l'ouest, se couvrant elle-même contre les éléments ennemis qui pourraient s'y trouver, et se tiendra prête à agir dans la direction de l'est, vers Reims, contre des colonnes qui se retirent devant la 9e armée.

" Le 10e corps d'armée se portera de la région de Vertus dans la direction Epernay, Reims, assurant la liaison entre les 5e et 9e armées et prêt à appuyer cette dernière en tout temps (Mémoires French, p. 129-130.) . "

Il est surprenant que cette instruction ne fasse aucune mention des 3e et 4e armées, malgré leur importance. D'autre part, on s'étonne de la voir passer sous silence le mouvement d'enveloppement qui s'imposait à notre gauche (armée Maunoury) contre la droite de von Kluck. Elle prescrit au contraire un mouvement général au nord nord-est, qui est de nature à interdire cet enveloppement. Les détails du mouvement de la 5e armée ne paraissent pas du domaine du commandant en chef, mais bien du commandant de l'armée, qui ne peut être ainsi tenu en lisières.

On peut conclure de l'instruction ,qui précède que le G. Q. G. ne prévoyait nullement, à cette date du 10, la phase si importante des opérations qu'on a désignée sous le nom de la Course à la mer, chacun des deux adversaires s'efforçant de déborder l'aile ouest de l'ennemi, afin de le couper de la Manche et de la mer du Nord. Peut-être même croit-il que les Allemands vont se retirer vers le Rhin. Il paraît pourtant certain que, dans les jours qui suivirent la bataille de la Marne, le moyen le plus simple et le moins coûteux de Łaire tomber la ligne de l'Aisne eût été de la déborder par l'ouest.

L'Ensemble de la situation nous était à ce moment très favorable. Un radiogramme de von Kluck (10 septembre, 18 h.10) portait : " Mon armée est fort épuisée et mise en désordre par cinq jours de combats ininterrompus et par la retraite qui a été ordonnée. Elle ne sera prête à reprendre l'offensive que le 12 au plus tôt " (A. Millerand, Le maréchal Joffre, loc. cit., p.301.). De fait les Allemands préparaient la défense du palais et du parc de Compiègne (A. Mourey, p, 87 et suiv.), bien qu'elle fut impossible face au sud et à l'ouest.

Plus à l'est, au XIIe corps, la 32e division exécutait, dans la région de Germinon, Villeneuve, d'importants travaux de défense, deux lignes à un kilomètre de distance. On travaillait jusqu'à 23 heures : " Il a en effet tout de même fini par transpirer que nous avions été obligés de nous retirer pour ne pas être enveloppés ", à la suite d'un échec des Ire et IIe armées. Une attaque de nuit faisait perdre aux Allemands une position avancée (De Dampierre, p. 57.). Jusque dans Reims des " masses d'infanterie " rentraient par les faubourgs de Paris, les officiers manifestant une mauvaise humeur croissante (Isabelle Rimbaud, p.161.). Evidemment il était survenu de graves événements, modifiant entièrement une situation que nos adversaires considéraient naguère comme permettant tous les espoirs.

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