LA BATAILLE DE LA MARNE VUE PAR LE GENERAL PALAT
CHAPITRE II
CHAPITRE II
LE THÉATRE DES OPÉRATIONS SUR LA MARNE
Le golfe de la Seine. - Sa formation géologique. - La Marne. - Ses affluents. - La Brie. - La Champagne. - L'Argonne. - La ligne d'arrêt.
I
Les opérations que nous allons décrire se sont déroulées dans l'angle compris entre la Seine et l'Oise, en amont de Paris, sur les deux rives de la Marne. On sait que le bassin de la Seine est constitué en grande partie par un ancien golfe des mers tertiaires, adossé aux formations plus anciennes des Ardennes, de l'Argonne, du plateau de Langres et du Morvan. Il décrit un vaste hémicycle s'ouvrant au nord-ouest, sur la Manche. La constitution géologique de cette région est très simple. A l'ouest, l'Ile de France, le Valois, le Tardenois, le Multien, l'Orvois, la Brie appartiennent au formations du terrain tertiaire inférieur (oligocène et éocène). Au centre, la Champagne (Haute-Champagne et Champagne pouilleuse) remonte à une époque antérieure (terrain crétacé). Enfin, à l'est, l'Argonne, le Perthois et le Vallage, sur les deux rives de la Marne, en amont du Vitry, sont constitués par des formations jurassiques.
A ces différences de constitution correspondent des changements de structure et d'aspect. Vers l'est, les calcaires du Verdunois et des Côtes de Meuse se relèvent en croupes nettement accusées. Puis les grès et les marnes de l'Argonne, plus récents, constituent des plateaux découpés par des pentes rapides et couverts de forêts encore très étendues, malgré des siècles de déboisement. Au centre les longues et molles ondulations de la craie sénonienne sont semées de plantations de pins aux formes géométriques et de date récente, puisqu'elles ne remontent pas au delà du XIXe siècle. C'est la Champagne, avec ses maigres cultures, ses rares lieux habités, son sol blanchâtre, tantôt réverbérant les ardeurs du soleil, tantôt transformé en boue tenace par les pluies d'hiver. Ces mornes étendues sont dominées a l'ouest par une escarpe qui se relève brusquement et que jalonnent à la base Montereau, Nogent-sur-Seine, Epernay, Reims. C'est la " falaise " de Champagne, constituée par le bord de la région occidentale, celle des assises du calcaire parisien. Les cours d'eau venus de la périphérie s'y sont creusé des vallées profondes, à versants rapides. De même pour ceux, tels que l'Ourcq et les deux Morin, qui ont leur origine dans la région même.
II
La Seine descend d'un massif bourguignon. D'abord orienté du sud-est au nord-ouest, elle est grossie de l'Aube au moment où elle commence à décrire, vers l'ouest, la vaste courbe qu'elle suit jusqu'à Paris. C'est aux abords de cette ville qu'elle reçoit deux de ses principaux affluents, la Marne et l'Oise. La Marne sort du plateau de Langres, non loin des sources de la Seine, à laquelle son cours est d'abord parallèle. Au sortir de la plaine du Perthois, après avoir reçu la Saulx, elle-même grossie de l'Ornain, elle continue au nord-ouest à travers la Champagne et décrit, de Châlons à Château-Thierry, une courbe allongée vers l'ouest. Puis son cours devient très sinueux. Elle reçoit sur la rive gauche le Petit-Morin, qui traverse les marais de Saint-Gond et passe au pied de Montmirail, le Grand-Morin, qui arrose Coulommiers. Le seul affluent important de la rive droite est l'Ourcq. Contrairement aux cours d'eau qui viennent d'être cités, dont la direction générale est du sud-est au nord-ouest, l'Ourcq est à peu près orienté de l'est à l'ouest, puis du nord au sud; il décrit avec la Marne un angle aigu, fait qui devait avoir son importance en septembre 1914. Sa vallée, à fond plat, large d'un à deux kilomètres, est encadrée entre des versants à pentes raides, taillés dans de fortes assises calcaires, comme il arrive aux cours d'eau du Soissonnais.
L'Ourcq, épuisé par le canal qui le longe, n'est pas un obstacle sérieux dans une grand partie de son cours, mais l'ensemble des versants, de la rivière et du canal permet une résistance prolongée. Le Valois, situé à l'ouest de sa partie supérieure, est un plateau calcaire couvert de limon fertile. Çà et là des buttes de sable cachent le calvaire et portent des bois. Au sud de la Marne, la Brie, que coupent les deux fossés parallèles du Grand et du Petit-Morin, est un autre plateau constitué par du calcaire siliceux, bien connu autour de Paris sous le nom de pierre meulière. Egalement recouvert de limon, il porte de belles moissons et quelquefois des massifs boisés ou des étangs. Dans sa partie est ces massifs prennent les dimensions de forêts véritables. Partout les rivières y sont rares et profondément encaissées, les lieux habités souvent situés sur les corniches du plateau qui les domine. L'espace compris entre Sézanne, Fère-Champenoise, Montmirail et Vertus a vu l'une des périodes les plus mémorables de la campagne de 1814, quand Napoléon, venant de la vallée de la Seine, on il avait eu affaire à Schwarzenberg, se porta au nord, coupa en deux les colonnes de Blücher et les rejeta sur l'Aisne.
III
La plaine champenoise n'est pas horizontale. Elle s'abaisse lentement vers l'ouest, donnant naissance à des rivières qui jaillissent du sol toutes formées, comme il arrive en pays calcaires. Leurs vallées, basses et tortueuses, en direction générale de l'ouest, changent de caractère quand elles quittent la Champagne. Le Petit Morin sort de vastes marécages situés dans un rentrant dé la falaise champenoise, entre Vertus et Sézanne; les Marais de Saint-Gond. C'est une nappe tourbeuse, longue de dix-huit kilomètres, sur quatre ou cinq de largeur. Ces 5.000 hectares, répartis en quatorze communes, constituent une zone de parcours difficile orientée de l'est à l'ouest, en prolongement de la haute vallée d'un ruisseau, la Somme, qui, à Ecury-le-Repos, change brusquement de direction pour couler au nord-est.
L'orientation de ces marais allait en faire l'un des traits saillants du théâtre des opérations. Déjà ils avaient joué en 1914 un rôle important. Le 25 mars, deux petites divisions françaises, Pacthod et Amey, en tout 4.300 gardes nationaux et conscrits, ,étaient en marche pour rejoindre les maréchaux Marmont et Mortier entre la Marne et la Seine. Elles tombèrent au milieu des armées prussienne et russe et furent anéanties après la plus glorieuse résistance.
A l'est d'une ligne idéale qui irait de Conflans-sur-Seine à Sézanne et à Vertus, l'aspect du sol se modifie entièrement. C'est une région de vastes étendues, de couleur blanchâtre, souvent nues, insupportables à regarder au soleil. De loin en loin, de petits cours d'eau aux rives basses et plates, jalonnées par des peupliers, fréquemment longées de prairies tourbeuses. Les rares centres habités s'égrènent le long de ces ruisseaux, séparés parfois par des sortes de déserts mesurant jusqu'à 15 ou 20 kilomètres de largeur. De l'Aube au delà de l'Aisne, entre la falaise champenoise et l'Argonne; les caractères du terrain ne varient guère qu'aux abords des principaux cours d'eau. C'est la Champagne, pays de ressources restreintes, peu peuplé, mal arrosé, où la moyenne annuelle des pluies est faible, relativement au reste de la France.
La bataille de la Marne allait être livrée sur le vaste espace compris entre l'Oise et Verdun, plus de 200 kilomètres, dont on a fait très improprement un couloir. De la région de Nanteuil-le-Haudouin à la Meuse, en passant par Coulommiers, Montmirail, Revigny, des combats acharnés allaient se succéder du 5 au 13 septembre, sans que le front des deux adversaires fût marqué d'une façon très nette par des accidents du terrain. L'un des principaux historiens de la Grande guerre cherche à démontrer que, dans le choix de notre front d'arrêt, destiné à servir de point de départ à l'offensive prochaine, de profonds calculs étaient intervenus : " Une armée située sur la falaise qui sépare ces deux régions, les deux " Champagnes ", la Champagne picarde et la Champagne briarde, est en situation de défendre à la fois les deux métropoles, Reims et Paris. Et ne résulte-t-il pas, avec la même évidence, que le général Joffre, en venant chercher les premiers gradins de l'hémicycle de la Seine, ceux qui sont au nord de la rivière... s'est conformé aux lois de la nature et aux lois de l'histoire. Il adopte ce point d'appui, parce qu'en fait - une fois le massif de Saint-Gobain perdu - il ne s'en trouve pas d'autre... " (Hanotaux, La manœuvre de la Marne, loc. cit., p. 305.)
Nous nous bornerons à faire observer que la ligne d'arrêt indiquée par le général en chef à la date du 2 septembre ne concordait pas du tout avec celle où s'arrêta réellement la retraite. Il n'y eut donc pas préméditation dans le choix de ces points de départ, qui résulta simplement des circonstances. En outre, un coup d'œil sur une carte suffit à montrer qu'après la perte du massif de Saint-Gobain, il reste deux grandes lignes de défense contre une invasion venant du nord, celles de l'Aisne et de la Marne, bien préférables assurément aux " premiers gradins de l'hémicycle de la Seine ", qui n'ont qu'une valeur verbale. A vouloir exagérer outre mesure la portée des combinaisons stratégiques on produit exactement le contraire.
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