LA BATAILLE DE LA MARNE VUE PAR LE GENERAL PALAT

CHAPITRE XIX

CHAPITRE XIX

LE 9 SEPTEMBRE A LA DROITE

La 4e armée. - Le 21e corps. - Le gros de l'armée. - La 3e armée. - Les Allemands sur Saint-Mihiel. - Les 5e et 6e corps. - Le groupe Pol Durand.

I

 

Nous avons vu que, le 8 septembre, le 21e corps n'avait pu accomplir la mission pour laquelle il se portait à la gauche de la 4e armée. Elle était à reprendre en entier le 9, en y faisant concourir la 43e division, qui devait prolonger le front à gauche. Cette unité recevait à cet effet l'ordre de cheminer à travers la région boisée du camp de Mailly. Gagnant tout d'abord le signal d'Orgeval, elle marcherait ensuite droit au nord en direction du signal de Sompuis. A sa gauche, le régiment de cavalerie du 21e corps, 4e chasseurs, couvrirait le flanc ouest et assurerait la liaison avec la 9e division de cavalerie vers Mailly. Comme la veille, c'est par l'ouest que devait se prononcer le principal effort, mais en débordant davantage la position ennemie. Le succès dépendrait de la rapidité de l'aile marchante. Malheureusement cette avance ne répondit pas aux intentions du commandement. Deux raisons intervinrent : l'extrême fatigue des troupes, qui cheminaient sous un soleil ardent sur un sol absolument aride, qu'aucune source ne rafraîchit. La privation d'eau dans la marche fut particulièrement sensible aux troupes vosgiennes, habituées à fournir de rudes efforts, mais dans un région boisée et abondamment arrosée. En outre on craignit à tort une attaque sur la gauche du 21e corps. La 9e division de cavalerie avait en effet abandonné Mailly pour se replier sur Allibaudières, à plus de 12 kilomètres au sud. L'ennemi était signalé à Poivres-Sainte-Suzanne, à Mailly-le-Grand. On annonçait même qu'il incendiait le camp de Mailly. Ces nouvelles parvinrent au moment où la droite de la 9e armée était refoulée au sud de la ligne Semoine, Gourgançon, provoquant des mesures de sécurité sur le flanc gauche de la 43e division et ralentissant par suite sa marche. De même, au centre, la 13e division parvenait à reprendre la ferme Tillat, mais non celles de Paimbreaux et de Nivelet, où l'ennemi faisait preuve d'une extrême ténacité. A droite, la 23e division réussissait à gagner un peu de terrain en liaison avec la 13e, mais du côté du 17e corps, qui fléchissait légèrement, elle ne parvenait pas à progresser . De nouveau, l'intervention du 21e corps n'obtenait pas le résultat décisif sur lequel on comptait. La 13e division avait en face d'elle la 23e division (XIIe corps) qui se formait par brigades accolées pour attaquer entre Humbauville et les bois à l'ouest de la ferme de La Custonne, avec trois bataillons en réserve au sud-est de l'Ormet et au sud de l'Ancienne-Croix. L'engagement fut très violent. Malgré l'artillerie lourde qui la soutenait des environs nord-est de Sompuis, la ligne saxonne finit par céder; deux bataillons (11e chasseurs et 108e), mal engagés, recevaient ordre de battre en retraite et reculaient dans le plus grand désordre.

Quant au 2e corps, il continuait sa poussée sur Sermaize et Andernay, toujours appuyé par le 15e corps qui dès 8 heures, reprenait son attaque sur le front Contrisson, Moynéville Vassincourt. Toutefois ce dernier village, attaqué avec l'appui de deux batteries, l'une du 15e l'autre du 5e corps, restait, semble-t-il, occupé par l'ennemi; qui l'évacuait seulement dans la nuit. Les Allemands tentaient même une. contre-attaque à l'ouest, sans succès. Une de leurs compagnies avait pu creuser une tranchée à hauteur des nôtres. Elle fut enfilée par deux mitrailleuses, à 600 mètres, et complètement décimée. On retrouva ensuite 70 cadavres dans cet étroit espace (Carnet de route d'un officier d'alpins, I, p. 81.).

Dans la soirée (18 h. 30), la gauche de la 4e armée avait progressé vers Sompuis, jusqu'à la limite des bois au sud. On signalait la marche d'une colonne ennemie venant de Mailly vers Trouan-le-Petit. D'autre part, des forces semblaient se concentrer dans la région de Coole, Maisons-en-Champagne; une brigade de landwehr (49e) arrivait, disait-on, près de Vitry.

La situation de la droite et du centre étant satisfaisante dans l'ensemble, le général de Langle, qui avait reçu l'ordre d'accentuer son action à gauche, portait à l'ouest de la Marne deux divisions, l'une du corps colonial et l'autre du 2e corps. Elles y renforceraient les 17e et 21e corps (G. Babin, p. 276.) . Néanmoins, sur le front de la 4e armée, on n'avait pas encore l'impression d'une victoire. Rien ne semblait l'indiquer d'après les témoins. Si, du côté de l'ennemi, un témoignage isolé trahit le profond ébranlement de certaines troupes, il est tout à fait suspect (Cf. Souvenirs de guerre d'un sous-officier allemand (88e, XVIIIe corps). Il est impossible que, le 9, le 88e cantonne à Hans, entre Suippes et Sainte-Menehould.).

II

 

Pour la 3e armée, le 9 septembre, la situation continuait d'être délicate, non sur son front, devant lequel l'ennemi était contenu en général; mais sur ses derrières, vers Saint-Mihiel et Verdun. A 9 heures, le général Coutanceau faisait connaître que le fort de Génicourt était bombardé par de la grosse artillerie, sans doute quatre 305 autrichiens signalés la veille à Harville, en route sur Manheulles. A 11 heures, on signalait l'arrêt complet du tir au fort de Troyon. D'autre part on avait reconnu deux rassemblements, l'un au nord-est de Deuxnouds-aux-Bois (sept ou huit bataillons), l'autre au nord-est de Creuë (cinq bataillons), au total une division. Sur les crêtes de Deuxnouds, à Chaillon, à Buxières, étaient en action les batteries de deux divisions de cavalerie. Une brigade mixte stationnait au nord de Mouilly et une colonne d'artillerie (2 kilomètres environ) marchait entre Combres et Saint-Remy. On signalait ailleurs des parcs d'aviation, des convois, de l'artillerie. Visiblement l'ennemi menaçait la ligne de la Meuse, vers Saint-Mihiel (G. Babin, p. 276.). En outre, dans la soirée, on apprenait que des batteries allemandes étaient établies sur le Mort-Homme, bombardant le fort de Bois - Bourrus. Le général Coutanceau demandait l'appui de la 3° armée (Le général Sarrail, p. 568.), tandis que le G. Q. G. insistait pour que le général Sarrail ne se laissât pas couper de la 4e. La situation se tendait de plus en plus. Les pessimistes évoquaient, d'ailleurs fort mal à propos, le souvenir de Metz, croyant la 3e armée condamnée à être coupée de la 4e, attaquée en même temps par derrière et encerclée. On ne se souvenait pas de la coupable inertie qui, seule, perdit Bazaine autant que ses rêves de réaction politique. Un instant, dans la soirée, on annonçait le passage de la Meuse par un corps d'armée allemand, fait d'ailleurs controuvé (E. Renauld, Un Verdun inconnu, p.23.) .

Au 5e corps, nos troupes paraissent avoir à peu prés conservé leurs emplacements du 8 au soir. Un témoin mentionne, vers le bois de Laimont, le tir trop court de notre artillerie lourde, qui oblige son unité à quitter ses emplacements (Galtier-Boissière, p. 175.) . A la gauche du 6e corps, des fractions du 5e perdaient un peu de terrain.

Sur le front du 6e corps, la journée se passait sans encombre. Le 302e (54e division) remplaçait à la cote 318 (sud-est d'Erize-la-Petite) le groupe de bataillons de chasseurs qui y avait été placé le 7. Le général Verraux avait, lui aussi, de grosses inquiétudes pour ses derrières. Il détachait vers Saint-Mihiel son unique régiment de cavalerie, ne conservant que ses escadrons divisionnaires. Déjà il prévoyait l'occupation d'une position de repli passant par Seigneulles et Belrin (Notes inédites d'un témoin.) .

A sa droite, les divisions du groupe Pol Durand gardaient leurs positions. De même pour la 72e, qui continuait d'inquiéter les communications de l'ennemi, au sud-ouest de Verdun. Enfin, la 7e division de cavalerie (d'Urbal) s'était portée à Villotte-devant-Saint-Mihiel, prête à se jeter dans le flanc des Allemands qui viendraient à passer la Meuse en aval de cette ville .(Général Canonge, p. 54.). La situation n'en était pas moins délicate : elle eût même pu devenir tragique si l'ennemi, renonçant en temps opportun à ses coûteuses et inutiles attaques sur le Grand-Couronné et la ligne de la Mortagne, y avait prélevé des forces suffisantes pour assurer une véritable pression derrière le 6e corps. Mais, constamment pendant cette guerre, nos adversaires s'affaiblirent à vouloir mener simultanément plusieurs offensives. Ils ne surent jamais limiter leurs ambitions trahissant au point de vue moral l'avidité qui est l'une des caractéristiques de leur nature physique.

Dans l'ensemble la situation, favorable à la gauche et surtout au centre de nos armées, restait indécise à la droite. Mais les inquiétudes du général Maunoury ,pour son flanc gauche persistaient et le général en chef lui annonçait l'arrivée prochaine d'une division (37e), prélevée sur la 5e armée: Il lui prescrivait de reprendre l'offensive : " Les 5e et 6e armées et les forces anglaises se mettront en mesure d'attaquer les positions ennemies. Les forces anglaises s'efforceront d'atteindre les hauteurs rive sud du Clignon... La 6e armée continuera, en appuyant sa droite à l'Ourcq, à gagner du terrain vers le nord pour chercher l'enveloppement. . . ". Le corps de cavalerie tentera enfin la manœuvre qui s'impose et que l'on attend vainement de lui depuis deux jours : " prolonger l'action de la 6e armée en recherchant les flancs et les derrières de l'ennemi ".

Dans cette même journée du 9, à 14 heures, le G. Q. G. allemand prescrivait un commencement de retraite. Le mouvement vers le nord de von Kluck ayant découvert la droite de von Bülow et provoqué de sa part un mouvement rétrograde, le reste de cette dernière armée avait dû peu à peu céder également en découvrant la droite de von Hausen. Le lieutenant-colonel Hentsch, homme de confiance de Moltke, arrivait au quartier général de von Kluck avec des pouvoirs étendus. Là, cette sorte de missus dominicus déduisait de l'ensemble des renseignements la nécessité de replier les Ire, IIe, IIIe armées allemandes sur des positions en arrière, afin de pouvoir reprendre dans de meilleures conditions la manœuvre d'enveloppement qui venait d'échouer à notre gauche. Dans son esprit la retraite n'avait rien de définitif. La VIIe armée en voie de concentration à Saint-Quentin permettrait très prochainement la reprise de l'offensive (J. M. Bourget, Débats du 14 août 1920, d'après von Kluck, Der Marsch auf Paris und die Marne-Schlacht, p. 122, et von Hausen, Marnefeldzug, p.75.). Cet ordre était-il inopportun ? Avec plus de persévérance, les Allemands auraient-ils pu atteindre le but rêvé, comme l'affirment plusieurs de leurs anciens chefs ? Il est permis d'en douter quand on tient compte de l'ensemble des faits.

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