LA BATAILLE DE LA MARNE VUE PAR LE GENERAL PALAT

CHAPITRE XVII

CHAPITRE XVII

LE 9 SEPTEMBRE A LA GAUCHE

La division Cornulier-Lucinière. - Von Kluck et nos cavaliers. - Le gros du corps Bridoux. - Le 4e corps. - La 61e division. - Le 7e corps. - Le groupe Lamaze. - La retraite allemande. - Nos hésitations.

I

 

Nous avons laissé la 6e armée dans une situation difficile, le soir du 8 septembre. Dans la nuit, le général Maunoury en rendait compte au général en chef : ses troupes décimées, épuisées, paraissaient difficilement aptes à reprendre la lutte. Tout en reconnaissant l'exactitude de ces faits, le général Joffre lui prescrivait de tenir quand même, jusqu'au dernier homme (Fabreguettes, p. 61.) . D'ailleurs le gouverneur de Paris prenait des dispositions pour éclairer sa gauche. Dans la nuit du 8 au 9, il jetait un détachement de zouaves, provenant des dépôts de Saint-Denis, sur Senlis et Creil en automobiles. Son arrivée soudaine jetait le trouble sur les derrières de l'ennemi, qui perdait des prisonniers et du matériel (G. Babin, p. 275.) .

L'ordre d'opérations pour la journée du 9 prescrivait simplement à la 6e armée de garder les positions de la veille, tout en se tenant prête à reprendre l'offensive. Des instructions étaient annoncées pour l'organisation d'une position de repli (Général de Dartein, p. 127.). La pression de l'ennemi pouvait évidemment être allégée par l'intervention britannique à notre droite. A deux reprises, le général Maunoury adressait au maréchal French des messages dans ce but (Mémoires French, p. 123.), sans que l'allure de nos Alliés en fût. sensiblement accélérée, surtout à leur gauche. Mais leur avance rendait inutile la présence de la 8e division, entre eux et la droite de la 6e armée. En fin de journée, le général Maunoury allait lui prescrire de se porter vers Silly-le-Long, afin d'appuyer une nouvelle attaque de sa gauche le matin du 10 (G.Babin, p.275.).

La 5e division de cavalerie s'était arrêtée le soir du 8 aux lisières de la forêt de Villers-Cotterêts, au nord de Faverolles, c'est-à-dire sur les lignes de communication allemandes. L'intention du général de Cornulier-Lucinière était d'abord de porter le plus loin possible le trouble dans la vallée de l'Ourcq, en prolongeant son action de la veille. Il donna des ordres pour que, le 9, à la première heure, la 5e division gagnât la région à l'est de Noroy : elle y aurait des vues lointaines vers le sud. Un vol de reconnaissances était envoyé, non seulement dans cette direction, mais vers tous les points intéressants et notamment sur Villers-Cotterêts que l'on savait occupé et où l'on avait signalé quantité d'automobiles. Tous ces petits groupes devaient rejoindre la division à l'est de Noroy.

Elle s'y porta dans la matinée du 9 et de bons observatoires permirent de mettre en batterie dans des conditions excellentes. Pendant :deux heures, nos 75 purent " placer, comme avec la main ", des obus sur nombre d'objectifs se révélant successivement dans la plaine de Neuilly-Saint-Front : convois marchant, ou arrêtés, détachements en marche. Cependant les brigades se ravitaillaient en pain et en avoine dans les environs immédiats.

Une colonne de toutes armes, marchant de La Ferté-Milon sur Faverolles, puis sur Noroy, fut encore vivement canonnée. On pouvait dès lors considérer cette région comme sérieusement inquiétée et le moment semblait venu de pousser plus au nord. On se portait au sud-est de Villers-Hélon, après avoir fait cueillir au passage, à Chouy, par les deux escadrons du commandant de Beaufort, une quinzaine d'officiers des services de l'arrière, dont on ne put tirer, par malheur, aucun renseignement utile.

Du point où s'était arrêtée la 5e division, on apercevait les deux grandes routes venant de Soissons : à gauche, celle de Paris par Villers-Cotterêts, à droite celle de Château-Thierry par Oulchy-le-Château. Deux gros convois les suivaient alors vers le sud. Le général de Cornulier-Lucinière jetait vers Soissons, en découverte, l'escadron du lieutenant de Gironde (22e dragons). Avec un demi-escadron et une section de mitrailleuses, le commandant Jouillié avait ordre de désorganiser le convoi de la route d'Oulchy. Le gros de la division opérerait contre celui allant vers Villers-Cotterêts. Puis on chercherait à se rallier dans la direction générale de Nanteuil-le-Haudouin, au contact de la 6e armée. " L'état des chevaux, dont certains tombaient et mouraient sur place de fatigue, tout particulièrement celui des attelages de l'artillerie déjà si peu capables de donner la veille même un effort un peu brusque, le manque de vivres aussi " imposaient cette solution, non moins que l'absence de nouvelles, la cavalerie française n'ayant pas encore de télégraphie sans fil (J. Héthay p.162. Notons que, plusieurs années avant la guerre, la cavalerie allemande utilisait la T. S. F., comme en fait foi la Revue militaire des armées étrangères.).

L'escadron de Gironde poussa rapidement sur Soissons entre les deux routes, se faisant précéder dans cette direction de deux reconnaissances, non sans être suivi lui-même de deux forts pelotons allemands qui l'observèrent jusqu'à la nuit, tout en refusant le combat. Après avoir reconnu les abords de la ville, Gironde cherchait à regagner la forêt de Villers-Cotterêts, mais pour se heurter partout à des cyclistes ou à de l'infanterie ,en éveil.

Il fallut pousser franchement vers l'Ouest, tout en se maintenant au nord de la forêt. On tâta ainsi les ponts de Coeuvres et de Laversine, sur un affluent de l'Aisne qui entaille profondément ce plateau. Ils étaient barricadés tous deux. Après un instant d'attente, Gironde obligea un guide à lui montrer un gué dont des enfants venaient de parler et atteignit ainsi l'autre rive du ruisseau vers 22 h. 30. Mais " les chevaux étaient éreintés, beaucoup tombaient et ne se relevaient plus, leurs cavaliers démontés essayaient... de suivre la colonne marchant au pas mais certains d'entre eux étaient bien près du bout de leurs forces " (J. Héthay, p. 168.). Vers minuit il fallut arrêter l'escadron à la ferme de Vaubéron, isolée sur le plateau. On y trouva quelques aliments et on les mettait à profit quand un valet de ferme venait dire qu'à moins de 1.500 mètres un parc d'avions s'était établi dans la soirée, sur la route qui va de Vivières à La Râperie ,(ouest de Vaubéron). Gironde ne voulut pas laisser échapper cette unique occasion.. Après avoir fait reconnaître l'emplacement du parc, il divisa l'escadron en trois groupes : le plus fort, deux pelotons à pied, s'approcherait du bivouac allemand en se dissimulant, ouvrirait le feu à très courte distance et attendrait ainsi qu'un peloton à cheval fût intervenu par la droite pour atteindre les fuyards. Un peloton resterait en réserve à La Râperie.

L'attaque se fit dans les conditions convenues, les dragons à pied s'étant arrêtés à 50 mètres des premières voitures pour ouvrir aussitôt le feu. Des hurlement des cris de douleur, des ordres retentirent dans le bivouac; un des véhicules prit feu et fit voir le petit nombre des assaillants à cheval, sur lesquels les Allemands tirent eux aussi. Gironde fut mortellement atteint. Les dragons à pied donnèrent l'assaut. Après une mêlée, où nos cavaliers montrèrent le plus brillant courage, il fallut, se replier, laissant sur le terrain deux officiers et vingt-cinq dragons. Finalement, après une belle défense, les deux officiers et les cavaliers encore vivants étaient pris dans une cave où ils avaient tenu comme dans une forteresse. Le reste de l'escadron fut recueilli par les paysans des environs qui le pourvurent de vêtements civils. Il rentra ensuite dans nos lignes.

Quant au commandant Jouillié, il opérait, on s'en souvient, avec ses deux escadrons et ses deux mitrailleuses, contre le convoi de la route d'Oulchy-le-Château. Il ouvrit le feu d'un peu loin, semble-t-il, en sorte que l'escorte put se ressaisir. Jouillié fut blessé et pris; l'un de ses capitaines fut également blessé. Il fallut ,que le lieutenant Disson ramenât une partie des deux escadrons dans des conditions difficiles, " qui lui faisaient le plus grand honneur ". Le reste put être ensuite recueilli par la 3e division de cavalerie (de Lastours), lors de l'avance générale.

Le gros de la 5e division avait suivi un itinéraire traversant la forêt de Villers-Cotterêts dans sa plus grande largeur, de façon à recouper toutes les voies conduisant vers la Marne ou vers l'Aisne. De Longpont elle marchait ainsi sur Eméville, laissant Villers-Cotterêts au sud. Au passage, l'escadron du capitaine Wallace faisait sauter, sur la route de Soissons, la partie d'un convoi de camions automobiles chargés de munitions. Leurs débris étaient encore visibles plus d'un an après cet événement.

Naturellement l'éveil avait été donné partout, à l'ennemi . Deux attaques furent tentées, l'une, par des uhlans, contre l'arrière-garde; l'autre, dans le flanc gauche, par des cyclistes. Toutes deux furent enrayées, sans retard appréciable.

Près d'Eméville, on apprit que l'ennemi était dans l'ouest, à Feigneux; au sud-ouest, on disait Crépy-en-Valois occupé. On gagna le profond ravin ,de l'Automne qui court de l'est à l'ouest au sud de la forêt de Compiègne. Après l'avoir suivi jusqu'à Orrouy, on gravit le plateau au sud (entre 22 et 23 heures), pour aller bivouaquer autour de Verrines (Après avoir arrêté un cycliste, vêtu en Anglais et qui ignorait totalement cette langue (J. Héthay, p. 182).), au nord-est de Senlis.

Un détail permettra d'apprécier la portée du raid si brillamment conduit par le général de Cornulier-Lucinière. Dans la matinée du 9, von Kluck s'est fait annoncer au château d'Ancienville, au nord ,de Noroy, chez Mlle de Maucroix. Il doit y déjeuner à midi. En y arrivant vers 10 heures, il reçoit plusieurs estafettes, avance son repas d'une heure, puis quitte le château sans l'avoir pris. Or, dans cette même matinée, la 5e division était groupée vers Villers-Hélon, à quelques kilomètres au nord-est d'Ancienville. Le commandant de la Ire armée eût pu aisément tomber dans l'un de ses partis.

Pendant cette même journée, le général Bridoux s'était porté le matin, avec les 1re et 3e divisions, sur le plateau de Bargny, où il continuait de couvrir immédiatement la gauche de la 6e armée. Apprenant un mouvement de l'ennemi vers l'ouest, il partait avec la 1re division vers Lévignen, laissant la 3e à sa mission primitive. Bientôt, l'ennemi accentuait sa pression sur Gondreville, au débouché des bois en direction de Lévignen. Vers midi, il refoulait sur ce dernier village deux de nos escadrons qui, n'ayant pu rallier la 1re division, gagnaient Boissy par des sentiers de bois et se portaient ensuite à la gauche du 4e corps.

Quant au gros de la 1re division, il se rapprochait de Crépy-en-Valois par le nord de Rouville, de façon à pouvoir agir le plateau dans la direction de Gondreville, Bargny, ou gagner le nord des bois par le large couloir qui conduit à Villers-Cotterêts. La 5e brigade de dragons et une batterie s'établissaient au nord de Crépy, formant tête de pont; la 11e brigade et deux batteries sur la crête Rouville, Lévignen, face à Gondreville; les cuirassiers demeuraient en réserve. Dans cette situation, les deux brigades de dragons étaient fortement attaquées par des adversaires en force et débouchant des bois avec de l'artillerie. La 3e division se portait à la gauche du 4e corps, pour soutenir la division Trentinian alors vers Silly-le-Long, au sud de Nanteuil, comme nous le verrons.

De son côté, la 1re division tout entière allait par Ormoy-Villers sur Fresnoy-le-Luat, entre Crépy et Senlis.

Après avoir refoulé du plateau nord-est de Rozières une flanc-garde établie dans la ferme de Beaulieu, elle voyait arriver sur la route de Senlis à Nanteuil, vers Baron, une colonne d'infanterie, forte d'une brigade au moins. L'artillerie ouvrait sur elle, par surprise, un feu meurtrier: " La colonne s'est disloquée, a fui vers tous les abris, maisons, boqueteaux à proximité et les fuyards faisaient avec des mouchoirs le signal demandant la cessation du feu pour se rendre". Puis s'engageait un combat, véritable, assez confus. L'ennemi se ressaisissait, se déployait face à gauche et attaquait le plateau de Rozières, dont les deux brigades de dragons de la 1re division et la brigade Léorat, de la 3e, défendaient les abords pied à pied, avec leurs mitrailleuses et leurs canons. D'autres troupes arrivaient à la rescousse de Crépy vers Rozières; on signalait une colonne débouchant de Rully. Malgré la complication de ces attaques, le général Buisson tenait, non sans difficulté, jusqu'à la nuit, infligeant à l'ennemi des pertes sérieuses et couvrant efficacement la gauche du 4e corps, alors fort éprouvée. Finalement, la 1re division se dérobait sur le versant ouest du plateau pour gagner la région de Senlis. Le général avait l'intention d'y passer la nuit à l'abri des trois attaques qui avaient convergé sur lui et reprendre le combat dès le matin du 10. Fort inopportunément, le général Bridoux prenant texte des instructions de la 6e armée, croyait devoir reporter la 1re division derrière la gauche de cette armée, par une épuisante marche de nuit à travers la forêt d'Ermenonville. Les quatre brigades allèrent bivouaquer à Ver le 10 vers 2 heures, ayant fait plus de 50 kilomètres et combattu une grande partie du 9. "Les chevaux étaient fourbus, les hommes épuisés, n'ayant rien touché depuis deux jours; si ceux-ci marchaient avec leur cœur, ceux-là ne marchaient pas avec le ventre vide et sans fers aux pieds ". En passant, on avait constaté que Senlis était inoccupé.

II

 

En raison du renforcement de l'ennemi face à l'extrême gauche de la 6e armée, le général Boëlle prescrivait (ordre général n° 41) que, si le 4e corps ne pouvait entamer l'adversaire, il se maintiendrait coûte que coûte sur ses positions en les organisant et en se reconstituant des réserves. A Sennevières, la 7e division était renforcée du 3e bataillon du 103e, débarqué à Nanteuil-le-Haudouin le 8 au soir seulement. On savait en outre que, par ordre du général Maunoury, la 62e division organisait une position de repli sur le front Le Plessis-Belleville, Monthyon, derrière le centre de l'armée. Peut-être eût-il été préférable de la porter dès le 8 derrière le 4e corps, dont la gauche, sans aucune réserve, était tout à fait en l'air et allait courir de sérieux risques d'enveloppement la journée du 9.

Dès 5 heures, le corps Bridoux rendait compte que Betz avait été évacué par l'ennemi au cours de la nuit, mais que l'incendie avait empêché nos troupes de s'y réinstaller. Bargny n'était pas davantage occupé à 4 heures. Nos cavaliers tenaient Macquelines.

Comme la veille, le général de Trentinian disposait de l'artillerie de corps, qui était ralliée dans la matinée par les éléments lui manquant encore. La proportion de cette arme était donc très forte à la 7e division, en dépit de ses pertes précédentes.

Vers 7 heures, l'ennemi menaçait de nouveau notre gauche. La division, laissant un bataillon du 104e à la ferme Gueux et un autre (101e) à la corne nord-ouest du bois de Montrolle, avec deux groupes de 75 répartis entre ces deux fractions, se rassemblait au nord de Sennevières face à Betz. Sur le désir manifesté par le général de Villaret, ces deux bataillons et ces deux batteries étaient ensuite placés sous ses ordres et y restaient jusqu'à la fin du jour. Vers 8 heures, le 4e corps recevait l'instruction n° 62 de la 6e armée prescrivant de maintenir les troupes allemandes devant elle, tandis que les forces britanniques, qui avaient passé la Marne, se porteraient sur leur gauche et leurs derrières. Une demi-heure après, de l'infanterie ennemie était signalée à la lisière sud des bois au sud-est de Crépy. De l'artillerie canonnait vivement Lévignen de la même direction. Vers 9 heures, le commandant du 7e corps, général Vautier, demandait au 4e d'avancer la droite de la 7e division au nord-est de Gueux et de la renforcer en artillerie pour arrêter une attaque éventuelle de l'ennemi débouchant d'Etavigny.

A ce moment, la 61e division tenait par des éléments avancés le front Villers-Saint-Genest, Fresnoy, son gros à l'ouest de Villers, son artillerie vers le moulin de Fresnoy. Les 315e et 317e (4e corps) étaient à Boissy-Fresnoy (1 bataillon), à Péroy-les-Gombries et sur la route de Nanteuil à Ormoy-Villers (1 bataillon). Ils avaient un bataillon en réserve au nord-est de Nanteuil. La 7e division, dans le même dispositif que précédemment, se liait à la ferme du Château avec la 14e division (Villaret) dont la gauche tenait Bas-Bouillancy.

Le 14e hussards rendait compte de la réoccupation de Betz par l'infanterie allemande. Une colonne marchait sur le même village entre Cuvergnon et Thury.

A 10 h. 30, pour satisfaire à une demande du 7e corps, le détachement de la division Trentinian était renforcé d'un bataillon et d'un groupe vers Gueux. Mais de l'artillerie ennemie, du nord de la ligne ferrée Crépy, Senlis, canonnait Rozières, où était alors le convoi de la division Cornulier-Lucinière. On portait sur ce village un bataillon du 317e, précédé du 14e hussards et de huit auto-mitrailleuses. Le 1er groupe du 44e, débarqué vers 10 heures, se mettait en batterie au nord-est de Sennevières (12 heures) pour surveiller Boissy-Fresnois, Péroy-les-Gombries et les bois au nord. Le 4e groupe (2 batteries) était à l'ouest, vers La Croix-du-Loup où il avait été renforcé par la 7e batterie, qui venait de débarquer. Vers 12 heures, ces batteries tiraient sur les abords de Nanteuil et vers Droiselles, pour dégager le même convoi. Une double attaque se dessinait en effet au nord et à l'ouest de Nanteuil où le quartier général du 4e corps paraissait fort exposé. Il fallait se résigner ( 12 heures) à évacuer ce bourg et à reporter sur Ognes le poste de commandement. D'ailleurs, l'ennemi n'occupait pas Nanteuil de tout le jour, contre, version habituellement admise.

Sur les entrefaites (13 heures), au nord-est de Nanteuil, les 315e et 317e étaient attaqués par de l'infanterie et soumis à un feu de plus en plus violent. Bientôt ( 13 h. 50) les compagnies à l'ouest de Villers-Saint-Genest refluaient sur la crête 124, à l'est de Nanteuil. En même temps, un bataillon ennemi se portait de Rozières sur Versigny, à l'ouest de Nant,euil. Il était contenu par le 317e. Puis d'autre infanterie s'avançait à cheval sur la grand'route de Lévignen à Nanteuil. L'artillerie de la 61e division, encore vers le moulin de Fresnoy, se reportait vers le sud. Enfin, l'infanterie ennemie débouchait de Betz (14 h. 30). Peu après, Boissy-Fresnoy était attaqué et pris (15 h. 30). Les 315e et 317e se retiraient sous la protection du 1er groupe du 44e resté au nord-est de Sennevières. Il couvrait également la retraite de la 61e division qui évacuait Villers-Saint-Genest.

Vers 17 heures, la division Trentinian occupait le front Silly-le-Long, Chèvreville; en avant d'elle, la division Deprez (61e) tenait Sennevières et le chemin de ce hameau à Nanteuil, encore inoccupé. Une colonne ennemie semblait vouloir déboucher entre ce bourg et Silly. Néanmoins, la 61e division maintenait son front. D'ailleurs une accalmie se produisait dans la canonnade.

Peu après (17 h. 30), l'ennemi essayait de déboucher de Boissy-Fresnoy, mais était arrêté par deux de nos batteries au nord-est de Sennevières (1re et 2e du 44e). Une batterie de 77 venait audacieusement le soutenir en terrain découvert. Elle aurait été anéantie, sans l'intervention malheureuse, à deux reprises, du colonel commandant l'artillerie de la 61e division, qui croyait qu'on tirait sur une batterie française. D'ailleurs artillerie lourde et légère allemandes intervenaient bientôt ( Notes inédites d'un témoin. Vers 17 heures, l'ordre avait même été donné de réoccuper Nanteuil, ce qui ne fut fait qu'à la nuit. Vers 18 heures, la 3e division de cavalerie se rabattait , vers Ognes, venant du Bois du Roi, et se mettait à la disposition du général de Trentinian.)., Un moment, la 61e division évacuait Sennevières, malgré les efforts du général Deprez. Ordre était donné (18 h: 30) de réoccuper ce hameau. Une attaque en direction de Silly-le-Long était arrêtée net par des bataillons des 101e et 102e, avec de lourdes pertes.

A 19 heures, la 61e division avait une brigade et un groupe entre Nanteuil et Sennevières, l'autre brigade rassemblée aux abords de ce hameau. Les troupes du 4e corps tenaient Silly-le-Long, Ognes, Chèvreville, en deuxième ligne. Très justement, le général Boëlle prescrivait à la 7e division d'établir des avant-postes sur le front Nanteuil-Sennevières, tout en laissant ses autres éléments en place. La 61e division, épuisée, se replierait dans la région d'Oissery, Saint-Pathus, au nord de Saint-Soupplets, pour se réorganiser.

Dans la soirée, un ordre de la 6e armée (18 heures) prescrivait au 4e corps de garder le front occupé, le 7e corps repliant sa gauche sur Chèvreville, tandis que la 62e division de réserve viendrait en soutien, une brigade à Eve, Plessis-Belleville et une brigade à Dammartin. Ces dispositions étaient beaucoup plus défensives qu'offensives .

En marchant sur Betz, Nanteuil et Silly, c'est-à-dire en débordant notre gauche pendant que nous nous efforcions de le rejeter sur l'Ourcq, l'ennemi avait fait, avec des forces relativement peu importantes, une manœuvre hardie qui nous immobilisait le 9. L'absence de réserves derrière le 4e corps, déjà réduit par le malencontreux détachement de la division Lartigue à la gauche britannique, ne pouvait qu'augmenter la portée de ce mouvement. Peut-être les deux divisions restantes du corps Bridoux auraient-elles pu couvrir plus efficacement cette aile et empêcher, en tout cas, qu'elle ne fût attaquée par surprise dans une direction imprévue. Il semble qu'à ce moment la cavalerie française, sauf exception, ait été hypnotisée sur le combat de cette arme. Trop souvent les grandes unités restaient groupées, dans l'attente de rencontres qui ne se produisaient pas, tandis que, sur leurs flancs immédiats, comme à Rozières, de l'infanterie et de l'artillerie allemandes circulaient impunément, obtenant ainsi des effets de surprise qu'il eût été facile d'éviter en faisant usage d'un dispositif de sûreté plus dense et plus étendu.

III

Au 7e corps, tandis que la 27e brigade (14e division) et plus au sud la 63e division reprenaient la lutte sur leurs positions du 8 septembre, la 28e brigade, à la gauche du corps d'armée, était peu à peu contrainte de laisser s'émousser l'angle très saillant qu'elle dessinait au début par rapport aux emplacements du 4e corps et de la 61e division de réserve. Dans l'après-midi du 9, la 14e division était tout entière à l'ouest du ravin du Bas-Bouillancy, la 28e brigade ayant refusé sa gauche vers la ferme Gueux. On tint ainsi jusqu'à la nuit. Tout en étant exténuées, les troupes faisaient bonne contenance, mais leurs effectifs avaient à peu près décru de moitié et l'on pouvait craindre un grave échec si, le lendemain, les attaques allemandes devaient continuer avec la même violence. C'est sans doute ce genre de considération qui dicta dans la soirée un ordre de repli. La 14e division dut se retirer derrière une position préparée en deuxième ligne, qui s'arrondissait face à l'est et au nord sur le mouvement de terrain dominé par les Ormes d'Hurluby, englobant le petit village de Chèvreville. Evidemment, le commandement français jugeait indispensable de faire face à une offensive qu'il attendait venant du nord.

Ce mouvement s'opéra sans encombre, mettant la 14e division sur le prolongement de la 7e. A peine était-il terminé, que les troupes apprenaient, avec une joie indescriptible, la retraite de l'ennemi, comme nous le verrons.

Au groupe Lamaze, la journée du 9 était beaucoup moins agitée. Sur son front, la nuit du 8 au 9 avait été calme. Au petit jour, le général de Dartein envoyait de La Râperie une forte reconnaissance d'infanterie sur Etrépilly et Trocy; pour chercher le contact. Cette troupe traversait Brunoy, puis Etrépilly, sans voir aucun Allemand. A la sortie de ce dernier village, elle apercevait une section en retraite vers Trocy et la suivait un instant, jusqu'à ce qu'un feu très vif fût ouvert de la lisière. Il fallait se replier sur Etrépilly. Le général de Dartein prescrivait de garder un contact étroit.

A 9 heures, il recevait un ordre du général Maunoury faisant connaître que la 62e division allait organiser la forte position de repli dont nous avons parlé. Les 55e et 56e divisions se borneraient à terminer et améliorer les travaux déjà entrepris à l'est de Forfry et de la croupe de Gesvres. Ainsi, malgré la passivité de l'ennemi en face du centre de l'armée, les préoccupations de son chef étaient encore de nature défensive.

Dans l'intervalle les obusiers allemands avaient recommencé leur tir, mais l'avion demandé la veille à la 6e armée arrivait enfin (11 heures) et repérait l'emplacement de ces batteries. Vers 13 heures, une des nôtres (groupe Müller) ouvrait le feu sur elles à 6.000 mètres environ. Dès la quatrième salve elles étaient encadrées et, après un tir d'efficacité, cessaient entièrement le feu (13 h. 45). On n'entendait plus l'artillerie allemande et les trois groupes de la 56e division pouvaient tirer sur Trocy, où des rassemblements ennemis étaient signalés. Puis ils se taisaient eux-mêmes, faute d'objectifs, sans qu'on eût cherché les causes du silence ennemi, pourtant assez explicable.

Vers 15 h. 30 seulement, les avant-postes de la 56e division prévenaient le général de Dartein que les Allemands avaient évacué Trocy et étaient en retraite. Il en rendait compte au général de Lamaze et croyait devoir attendre un ordre de poursuite qui ne venait pas. A 17 h. 30 arrivait un ordre de stationnement : les divisions de réserve stationneraient sur les mêmes emplacements que la veille, se couvrant par des avant-postes retranchés et se tenant prêtes à repousser toute attaque ennemie. Les travaux cesseraient à la fin du jour pour permettre aux soldats le plus long repos possible (Général de Dartein, p. 130.).

Ainsi ni les troupes, ni le commandement de la 6e armée ne cherchaient à gêner la retraite de l'ennemi. Il semblait qu'on n'en tînt aucun compte, tant on restait sous l'impression des attaques imprévues survenues du nord et auxquelles on prêtait assurément beaucoup plus d'importance qu'elles ne le comportaient (Voir ce qu'écrit Ouÿ-Verzanobres, p. 65, de l'ordre dans lequel s'effectue la retraite de von Kluck. Il surprend tellement qu'on en est encore, le 16 septembre, à redouter un piège !).

A la droite du groupe Lamaze, la 45e division paraît être restée également le 9 dans l'attente. Quant à la 8e division, elle continuait de marcher vers l'est en liaison avec l'armée britannique. Elle atteignait ainsi la Marne à Saint-Jean-les-deux-Jumeaux (est de Meaux). Cette fois, l'inutilité de son rôle devenait palpable, la droite allemande ayant reflué au nord de la rivière. Sur un ordre du général Maunoury, elle se portait par une marche de nuit à Cuisy (nord-ouest de Meaux). Dans ce cas encore, il semble que le commandement ait obéi à des préoccupations défensives. A Cuisy, la 8e division était à même de se porter soit sur la route de Soissons à Paris par Dammartin, pour la barrer au prétendu ennemi venant du nord, soit derrière le centre de la 6e armée vers Puisieux, pour l'étayer.

Les Allemands étaient alors bien loin de vouloir prendre l'offensive. Vers midi, von der Marwitz télégraphiait à von Kluck : " Je ne puis plus résister aux attaques combinées des Anglo-Français ". Grâce à la lenteur de l'armée britannique, à la passivité d'une grande partie de la 6e armée dans la journée du 9 et la nuit suivante, la Ire armée sortait, avec des pertes relativement très faibles (Les Allemands n'auraient perdu dans la bataille de l'Ourcq qu'un petit nombre de canons et presque pas de prisonniers, tandis qu'ils prenaient 50 canons et plusieurs milliers d'hommes (Les Batailles de la Marne, p.124).), de la situation fort aventurée où l'avait jetée son chef .

C'est vers 15 heures que le général Maunoury apprenait la retraite de l'ennemi sur son front, couverte par, des arrière-gardes. Il savait déjà par le G. Q. G. les succès de la 5e armée. Ce premier renseignement était confirmé dans la soirée. Vers 17 heures, nos avions signalaient de nombreuses colonnes se dirigeant vers le nord. L'une d'elles, longue de 15 kilomètres, marchait de Coulombs (sud-est de Crouy-sur-Ourcq) au nord-est. Trois groupes d'artillerie allaient de Lizy-sur-Ourcq vers Cocherel, à l'est. D'autres colonnes, comportant les trois armes, se portaient de Mary et de Jaignes au nord-est (G. Babin, p. 275; général Canonge, p. 25-26; général Bonnnal, p. 8.). L'ensemble ne laissait aucun doute, bien que les événements survenus dans la journée aux environs de Nanteuil fissent admettre la possibilité d'une nouvelle offensive allemande venant du nord. Sans doute cette hypothèse était contredite par l'ensemble de la situation, mais nous restions encore, trop souvent, sous l'impression des insuccès récents et de ceux, encore inoubliés, de 1870-1871. De là des hésitations, des incertitudes qu'on a peine à s'expliquer aujourd'hui.

Un ordre général (n° 7), lancé à 23 heures par Gallieni montre nettement cet état d'esprit :

" I. Après quatre journées de bataille, pendant lesquelles elle a contenu trois corps d'armée ennemis, la 6e armée a été obligée à la fin de la journée du 9 septembre d'infléchir sa gauche en arrière devant la menace d'un débordement de troupes venant de Villers-Cotterêts et Nanteuil-le-Haudouin.

" A la fin de cette même journée, elle occupait la ligne générale Silly-le-Long, Chèvreville, Puisieux, Etrépilly. " II. En vue d'assurer la sécurité du camp retranché et de parer à toute éventualité, toutes les troupes de la défense devront être demain à 6 (six) heures sur leurs emplacements de combat.

" La brigade de fusiliers marins et les deux bataillons et demi disponibles du 1er et du 4e zouaves formeront une réserve générale à la disposition du gouverneur.

" Cette réserve, sous le commandement de l'amiral Ronarc'h, sera rassemblée à 9 (neuf) heures, dans le ravin de la Morée, en formation articulée, face au nord; les fusiliers marins entre Dugny et la grand'route, les zouaves entre Le Blanc-Mesnil et la même route.

" III. La brigade de spahis se portera dans la journée de Choisy-le-Roi dans la région de Bondy, Bobigny, Drancy où elle cantonnera... " (Mémoires de Gallieni, p. 247-248.).

Par contre, le général en chef faisait connaître à la 6e armée qu'il appréciait à leur valeur les " efforts surhumains " imposés à ses troupes. " En maintenant sur le front de l'Ourcq une notable partie des forces allemandes, écrivait-il au général Maunoury, vous avez obtenu un immense avantage qui permet aux opérations des armées alliées de se développer dans le sens que je désire. . . ". A l'égard de Gallieni, le général en chef gardait le mutisme, contre toute justice.

Quant à M. Millerand, il s'en tenait à des généralités complimenteuses, exprimant à Gallieni " la confiance absolue " du Gouvernement. Ce dernier, écrivait-il, " est unanimement résolu à s'en remettre à vous, sans discussion, pour la défense de Paris et à faciliter votre tache par tous les moyens ". Le gouverneur avait demandé mieux que ces phrases aimables : il avait montré l'insuffisance des forces qui lui restaient et la nécessité d'assurer toujours à Paris la protection de nos armées. M. Millerand poussait si loin la foi dans le général en chef qu'il ne lui soumettait probablement pas la requête du défenseur de Paris.

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