LA BATAILLE DE LA MARNE VUE PAR LE GENERAL PALAT

CHAPITRE XIV

CHAPITRE XIV

LE 8 SEPTEMBRE A LA GAUCHE

Ordre de la 6e armée pour le 8. - Gallieni. - Le corps Sordet. - La division Cornulier-Lucinière. - Son raid vers le nord-est. - Le 4e corps vers Nanteuil-le-Haudouin. - La 61e division. – Le 7e corps. - Le groupe Lamaze. - La 45e division. - L'armée French

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I:

 

A la 6e armée, l'ordre d'opérations pour le 8 septembre confirmait la retraite des Allemands, que la 5e armée poursuivait sur le Petit-Morin. La 6e armée avait eu affaire à une forte flanc-garde qu'il importait de bousculer. Dans la nuit du 7 au 8, les troupes stationneraient sur le terrain conquis, en se couvrant d'avant-postes de combat, retranchés pour arrêter " les attaques de nuit " . Elles reprendraient le 8, avec toutes leurs forces, une offensive violente et sans arrière-pensée, qu'elles continueraient sans interruption jusqu'à rupture de la résistance ennemie.

Cette offensive serait entamée par la 56e division, renforcée des neuf batteries de la 55e et de deux groupes de sortie. Dés que toute cette artillerie, placée sous les ordres du colonel Lépidi, serait en place, l'attaque de la 56e division se déclencherait, la 55e demeurant en réserve générale au nord et au sud de Gesvres. Toutes deux appelleraient en temps opportun leurs équipages de pont, en vue du passage de l'Ourcq (Général de Dartein, p. 119-120).

Il semble, d'après cet ordre, que le général Maunoury ait sous-estimé les forces de l'ennemi en face de lui. Sans doute il ne se rendait pas compte de l'effort que la Ire armée tentait pour prévenir notre manœuvre débordante, aidée qu'elle était par la mollesse de certaines attaques sur son front.

Au ministre de la Guerre, M. Millerand, Gallieni adressait (8 septembre), en dépit de la défense du général Joffre, des renseignements confidentiels sur l'ensemble des opérations de l'armée Maunoury. Il faisait ressortir les difficultés rencontrées : "..Je me suis occupé, avec les ressources très médiocres d'ailleurs que j'ai pu trouver ici, de lui envoyer officiers, hommes, chevaux, etc. (à la 6e armée). Puis, pensant que nous avions une bonne occasion de coincer les six corps allemands qui, depuis si longtemps, accrochaient notre aile gauche (5e armée) , à défaut d'indications nettes du G. Q. G., j'ai aiguillé cette armée sur notre front est, avec objectif général l'Ourcq. Mais pour que l'action combinée pût réussir, il était indispensable que l'armée anglaise prît elle aussi l'offensive. J'ai , donc multiplié les démarches auprès du maréchal French. Je ne le connaissais pas personnellement, mais j'avais été en relation avec plusieurs de ses officiers, alors qu'il opérait au Transvaal et que j'étais moi-même à Madagascar. Bref il a consenti à marcher, mais à la condition formelle d'avoir ses flancs appuyés. C'est ainsi que j'ai dû, à mon corps défendant, diriger au sud de la Marne la 8e division, du 4e corps, qui venait à peine de débarquer et qui eût été bien mieux placée sur le flanc gauche de la 6e armée, pour agir sur les lignes de retraite des Allemands... " .

Puis le gouverneur signalait l'importance de nos pertes. Les troupes engagées par la 6e armée " ont besoin d'être immédiatement reconstituées, surtout en cadres... ". Il attirait de nouveau l'attention de M. Millerand sur l'insuffisance de la garnison de Paris : " ...Je vous demanderai de ne pas oublier que Paris, avec ses territoriaux en nombre insuffisant, avec ses ouvrages médiocres et très exposés, avec son matériel d'artillerie démodé (nos pièces ne portent qu'à 8 kilomètres contre les pièces allemandes portant à 14), ne peut se défendre longtemps et dans de bonnes conditions... Aujourd'hui, je me suis démuni de tout pour le front... Quoi qu'il arrive, Paris doit toujours être couvert par l'armée... Le Gouvernement avait prescrit d'envoyer trois corps actifs pour la défense de Paris.

Actuellement, ils n'y sont pas. Le Gouvernement et le général en chef ne doivent pas perdre de vue cette situation " (Mémoires de Galliéni, p. 256-257.). Certes, Gallieni n'exagérait pas la confiance. C'est d'ailleurs l'impression qui résulte de l'ensemble des témoignages à la 6e armée. On y était disposé à considérer nos pertes comme hors de proportion avec les résultats acquis jusqu'alors.

Le 1er corps de cavalerie devait reprendre le 8 septembre l'opération de la veille sur le plateau de Bargny, Lévignen. A 9 heures, la 3e division était au nord de Macquelines, les 1re et 5e ayant reçu l'ordre de se diriger de Lévignen sur Crépy-en-valois. A ce moment, le général Sordet était avisé de son remplacement par le général Bridoux, qui commandait jusqu'alors la 5e division. Cette mutation, par laquelle le haut commandement tentait de rejeter sur un exécutant une série de fautes que lui-même avait commises, était au moins inopportune en pleine bataille. Dans nos escadrons " personne ne l'attendait ", bien qu'elle fût annoncée depuis longtemps, autour du général en chef. Certes nos effectifs en chevaux avaient fortement décru, mais ces pertes étaient en grande partie imputables à la direction, qui avait imposé à cette magnifique cavalerie des tâches incohérentes, la ballottant d'une armée à l'autre depuis le début de la guerre : " Dans cette énervante retraite qui a suivi le simulacre d'offensive de Belgique, ces pauvres bêtes n'ont pu se reposer. Constamment sellées, partant presque toujours par alerte sous l'insulte du canon, parfois sans avoir mangé, le plus souvent sans avoir bu, ayant froid la nuit et trop chaud le jour, elles ont marché jusqu'à épuisement de leurs forces. Dans beaucoup de régiments qui ont formé des escadrons divisionnaires après la mobilisation, ces escadrons ont pris, dans les dépôts, tout ce qui pouvait être utilisé. Ceux-ci ne pouvaient donc remplacer les chevaux tués ou disparus en cours de route... ".

Cependant la 3e division, qui devait former flanc-garde à Betz, trouvait ce village et le parc réoccupés par l'ennemi et devait, comme les 1re et 5e divisions, aller passer par Lévignen. L'une d'elles allait se porter sur l'Ourcq par un vaste mouvement débordant. On sait en effet que cette rivière suit deux directions générales. Après avoir coulé de l'est à l'ouest jusqu'à Troësnes, au sud-est de Villers-Cotterêts, elle décrit un coude brusque pour se diriger au sud-ouest jusqu'à la Marne. Il semblait possible d'aller la border à l'est de Troësnes, pour couper les lignes de retraite allemandes.

La 5e brigade légère faisait l'avant-garde avec une batterie. Elle poussait sur Lévignen pour assurer le débouché au delà des bois. Ces derniers étaient inoccupés, Lévignen tenu uniquement par des cyclistes que la brigade débusqua vers 9 heures, les refoulant vers Gondreville. Une reconnaissance annonçait que Crépy-en-Valois n'était pas occupé. C'est sur les entrefaites (10 heures) que le général Bridoux donnait à la 5e division (général de Cornulier-Lucinière) la mission dont nous avons parlé : " Quelles que soient la fatigue des chevaux et les difficultés à vaincre, gagner les derrières de l'ennemi qui défend l'Ourcq; arriver aujourd'hui même, coûte que coûte, sur la rive est de l'Ourcq, dans la région de La Ferté-Milon, y faire entendre le canon pour aider à déterminer chez l'ennemi un mouvement de retraite "(J. Héthay, p. 137-138. La 1re division devait d'abord être chargée de cette mission que le général Bridoux donna ensuite à la 5e.).

A ce moment, on savait Villers-Cotterêts, Gondreville, Ivors, Boursonne, Antheuil, La Ferté-Milon occupés, ces trois derniers points fortement. Les deux généraux ignoraient totalement les événements heureux déjà en cours sur d'autres points de l'immense champ de bataille et dont la connaissance eût sensiblement facilité le rôle de la 5e division. Laissant le 9e dragons opérer en liaison avec la 61e division (Deprez) vers Betz et la vallée de la Grivette, le général de Cornulier-Lucinière, décida de lancer le reste de sa cavalerie par Crépy sur Troësnes, en passant au sud de Villers-Cotterêts et en évitant toutes les autres agglomérations ennemies de la région difficile où il allait opérer. On chercherait le plus possible à passer inaperçu pour produire un effet de surprise.

La 5e brigade légère (colonel Robillot), continuait de faire l'avant-garde, le 15e chasseurs en tête (colonel Delécluse). Le reste de la division suivait de près. Au cas d'une difficulté sérieuse sur l'axe de marche, l'ordre était de déborder l'avant-garde " toujours par le nord ", afin de reprendre au plus tôt l'orientation primitive, les éléments arrêtés de front suivant dès que possible. La sécurité sur les flancs était réduite au minimum, ainsi que les impedimenta.

On se portait de Lévignen sur Crépy-en-Valois, puis on prenait la route de Villers-Cotterêts, sous bois, non sans avoir obligé des aviateurs allemands à incendier leur appareil qui venait de se poser en pleins champs. Jusqu'à hauteur de Boursonne, rien d'insolite. Un peu au delà on rencontre des auto-mitrailleuses allemandes venant de Bourgfontaine. Elles sont vivement enlevées par l'escadron de Fraguier, sans que les papiers des automobilistes fournissent aucun renseignement de valeur.

Au moment où le gros de la division sortait des bois pour descendre vers le pont de Troësnes, un avion allemand descendait sur le plateau sud, où étaient sans doute un parc d'aviation et des troupes. On jugeait nécessaire de brusquer l'attaque. Le 15e chasseurs escaladait le plateau dans plusieurs directions, bousculait de l'infanterie et obligeait une batterie à fuir après avoir tiré un ou deux coups.

Ne pouvant continuer cette offensive en raison des forces ennemies, la brigade d'avant-garde prolongeait son mouvement par la vallée, pour monter sur le plateau par un cheminement très raide, trouvé à l'est, hors des vues de l'adversaire. L'artillerie, dont les chevaux étaient extrêmement fatigués, eut la plus grande peine à suivre, mais, l'entrain de tous aidant, une pièce fut mise en batterie à force de bras et les autres suivirent. Elles prirent aussitôt pour objectif de fortes réserves marchant du nord au sud, " en ordre assez dense " vers le Buisson de Borny, à 4.500 mètres environ. Nos obus portèrent parfaitement, obligeant l'ennemi à une formation plus mince.

Sur les entrefaites, les troupes précédemment alertées faisaient intervenir leur artillerie dans cette direction inattendue. La brigade légère essayait vainement de se porter sur ces batteries, sur le parc d'aviation ou sur de l'infanterie en mouvement. Constamment elle était arrêtée par des mitrailleuses et par les clôtures en fils de fer, très nombreuses dans cette région. Il fallut se retirer sous la protection d'escadrons des autres brigades, mis au combat à pied. Nos pertes étaient assez fortes. A la nuit la division redescendait les pentes. Vers 22 heures, elle était au bivouac, en bordure de la forêt de Villers-Cotterêts, au nord de Faverolles, c'est-à-dire au milieu des lignes de marche allemandes.

Pendant cette brillante opération, les 1re et 3e divisions restaient sur le plateau de Bargny, la 3e à gauche, sans autre incident, semble-t-il, qu'une attaque infructueuse sur Ormoy-le-Davien. Dans la soirée, le général Bridoux croyait devoir, comme son prédécesseur la veille, reporter en arrière les deux divisions pour mieux assurer leur sécurité. Il les dirigeait sur la région Ormoy-Villers, Villeneuve, à l'ouest des bois et à la même distance de Betz qu'était la veille le bivouac de Nanteuil. Toute la nuit les cyclistes et deux escadrons de dragons (commandant Bucaut) tenaient les bois de Macquelines et la partie ouest de Betz. Un des escadrons contournait ce village par le nord et constatait son abandon par l'ennemi. Il s'y installait, mais l'infanterie de la 61e division, informée, ne croyait pas devoir le renforcer, en sorte que les Allemands reprenaient dès le matin suivant Betz ainsi que Bargny, où ils mettaient en batterie de l'artillerie de campagne (Notes inédites d'un témoin.).

II

 

Dans la soirée du 7, le général Boëlle avait reçu mission (ordre général n° 52 de la 6e armée) de se porter dès l'aube avec la 7e division (Trentinian) et les éléments non endivisionnés, sur le plateau de Thury-en-Valois, Mareuil-sur-Ourcq, pour chercher, lui-aussi, à déborder la droite ennemie. La 61e division et le corps Sordet avaient alors reculé vers Nanteuil-le-Haudouin. Ordre leur était donné de reprendre " coûte que coûte ", le 8 au jour, le terrain perdu (Cet ordre du général Maunoury, daté de Claye-Souilly à 0 h.45, le 8, était ainsi conçu : " J'apprends le mouvement de recul de la 61e division de réserve (général Deprez) et de la cavalerie du général Sordet sur Nanteuil-le-Haudouin. Il est indispensable que ce mouvement de recul soit réparé, dès le point du jour; ceci importe plus encore pour la réussite du plan arrêté par le commandant en chef que pour celle de la manœuvre de la 6e armée. " Le général exige donc que, ce matin, tous les éléments de la 61e division de réserve réunis à Nanteuil reprennent, par un mouvement offensif, ce qu'ils ont perdu hier. Ils seront suivis de tous les éléments de la 7e division d'infanterie qui, elle-même, se fera suivre des éléments de l'artillerie de corps du 4e C. A.... ". Le recul du corps Sordet paraît avoir été l'occasion déterminante du remplacement de son chef par le général Bridoux.). La division Trentinian et l'artillerie de corps appuieraient la 61e division dans son offensive, dont les premiers objectifs seraient le bois de Montrolle et Saint-Ouen ferme.

Dès 3 heures, le 7e corps attaquait Acy et Vincy-Manoeuvre, mais l'ennemi tenait ferme. La 61e division quittait Nanteuil vers 6 heures. Un ordre général de la 6e armée (n° 54, 7 heures), reçu vers 8 heures seulement par le général Boëlle, plaçait sous ses ordres la 61e division, avec injonction d'attaquer immédiatement suivant l'axe bois de Montrolle, plateau de Boullarre, Rouvres. A 8 h. 30, cette division avait ses deux brigades en ligne au nord et au sud de Villers-Saint-Genest. La liaison avec la 14e division (7e corps) devait se faire vers Gueux ferme, mais cette unité était vivement pressée sur sa gauche et se maintenait difficilement sur la croupe au nord-ouest d'Acy. A 9 heures, la division Trentinian débouchait en deux colonnes du front Nanteuil, Ognes, la 14e brigade par Chèvreville sur Bouillancy, la 13e brigade par la cote 124 et le sud de Villers-Saint-Genest. L'artillerie de corps était mise à sa disposition, avec l'invitation renouvelée de s'engager sans retard. Vers 10 h. 15, les deux attaques étaient déclenchées, celle de Chèvreville poussant sa droite vers les Ormes d'Hurluby, celle de Sennevières ayant sa gauche vers les Epinettes. L'artillerie prenait position entre ces deux points, le 14e hussards à droite, vers Brégy. On atteignait ainsi (11 h. 30) le chemin de Villers-Saint-Genest à Gueux ferme, alors que la division Villaret était fortement pressée vers Acy. La 61e division (12 heures) était non moins vivement engagée sur le front Macquelines, sud du bois de Montrolle. Son artillerie, renforcée d'un groupe du 4e corps (artillerie de corps) et disposée au sud de Villers-Saint-Genest, combattait des batteries au nord-est de Betz. Sur la demande du 7e corps, la division Trentinian prenait comme axe Gueux ferme, Etavigny. Le général Boëlle faisait organiser un point d'appui à Villers-Saint-Genest et prescrivait à la 61e division de marcher sur Betz (13 heures); avec l'appui de la division Trentinian.

Mais, dès 14 heures, on savait que la 61e division, après avoir pris pied dans le bois de Montrolle, ne pouvait en déboucher sur Betz, arrêtée qu'elle était par l'artillerie allemande. Le général Maunoury faisait connaître que l'ennemi s'était renforcé vers May-en-Multien et plus au nord, jusque sur le plateau de Thury (15 heures). Vers 15 h. 30, la division Trentinian tenait la corne sud-ouest, du bois de Montrolle, les fermes Gueux et du Château mais elle-même était arrêtée dans sa marche par un feu violent d'artillerie, venant des environs d'Etavigny. Un peu plus tard (16 h. 30) la cavalerie du général Bridoux essayait en vain de déboucher vers Cuvergnon, au nord-est de Betz. L'ennemi prenait Bargny et obligeait nos escadrons à refluer vers Lévignen.

Vers 18 heures toutes nos attaques étaient enrayées mais nous conservions nos emplacements, dont le bois de Montrolle. Les troupes stationnaient sur place, en se fortifiant, la 61e division à Villers-Saint-Genest, Fresnoy et Boissy; la 7e à Chèvreville, Senneviéres, aux fermes nord de Bouillancy. Le quartier général du 4e corps restait à Nanteuil-le-Haudouin. Le général de Trentinian estimant tout progrès impossible sur son front, tant que sur son flanc Betz ne serait pas tenu par nos troupes, proposait d'enlever ce village dès le matin du 9 (Notes inédites de témoins.).

A la gauche du 7e corps, la journée du 8, septembre débutait dès l'aube par une tentative sur Acy, le 35e attaquant par la vallée, le 42e tentant par les crêtes de déborder le village au nord. Cette offensive échoua, le mouvement du 42e ayant été arrêté par une puissante concentration de feux, tant de mitrailleuses que d'artillerie. La lutte continua donc, très violente, sur le même terrain que la veille, toujours face à l'est. On annonçait au général de Villaret l'arrivée d'une division de renfort, la 7e, qui allait étayer sa gauche " de plus en plus menacée et de plus en plus affaiblie " . Mais, à peine le général de Trentinian et ses colonels avaient-ils pris contact et s'étaient-ils mis au courant de la situation, que la 7e division était appelée plus au nord, pour combattre des troupes allemandes qui cherchaient à déborder notre gauche vers Betz (Notes inédites d'un témoin.). La 14e division dut donc se borner à tenir sur place, dans l'impossibilité de mieux faire. Le soir, l'ennemi restait maître d'Acy, mais nous tenions le bois triangulaire qui domine ce village vers l'ouest et qui était encombré de cadavres. Le combat cessait vers 20 heures. A la droite de la 14e division, la 63e ne parvenait pas davantage à gagner du terrain. On savait, depuis 14 heures, de gros renforts allemands arrivés à Lizy-sur-Ourcq, May et Rosoy-en-Multien. D'autres masses étaient signalées vers Brumetz, Saint-Gengoulph, vers Neufchelles-sur-l'Ourcq. On disait Thury fortement organisé. Von Kluck aurait, vers midi, donné l'ordre de détruire les ponts de la Marne, sans que l'exécution pût suivre, par suite de l'affluence des colonnes encombrant La Ferté-sous-Jouarre et les points de passage à l'est. Plus tard (13 h. 10) les Allemands installaient dans la boucle de Varreddes la grosse artillerie dont l'action allait être durement ressentie à Marcilly et à Barcy par la 45e division. A la même heure ils lançaient vers le Bas-Bouillancy, au nord-ouest d'Acy, une contre-attaque menée, croyait-on par des éléments du IVe corps. Vers 17 h. 30, une division de cavalerie était reconnue vers Thury. Enfin, à la nuit, on supposait des fractions du IIIe corps dans la région de Saint-Gengoulph, à l'est de l'Ourcq (G. Babin, p.274). Ainsi, quatre corps d'armée prenaient part à la contre-offensive sur cette rivière.

III

 

Au groupe Lamaze, la 56e division, soutenue par la 55e en réserve générale, était formée à 4 heures sur ses emplacements du 7 au soir, la 112e brigade, à droite; attaquant en direction générale d'Ocquerre; la 111e, à gauche, sur le sud du Plessis-Placy, Saint-Faron ferme, Vernelle. L'offensive devait être déclenchée à 4 h. 30, toute l'artillerie en position entre la ferme Nongloire et la Râperie, tirant sur le front Etrépilly, Trocy.

Les mouvements préparatoires étaient ralentis par des maladresses. L'équipage de pont et la compagnie de parc du génie (56e division) encombraient Marcilly de leurs lourdes voitures, et l'artillerie ennemie jetait le désordre dans un escadron de dragons au nord du village. Les chevaux effrayés refluaient sur l'équipage de pont et l'entraînaient dans leur fuite. Il fallait ramener ces impedimenta sur Saint-Soupplets, qu'ils n'auraient pas dû dépasser.

Le bombardement augmentant sans cesse, le général de Lamaze considérait comme impossible de marcher en avant. L'artillerie de la 55e division allait prendre position entre la Râperie et Barcy, les groupes de sortie au nord-est de Marcilly; ceux de la 56e restaient en place. Quant à l'infanterie, elle creusait des tranchées pour s'abriter : " Il tombe un véritable ouragan de fer et de feu, surtout dans les fonds qui se trouvent au nord-est de Marcilly, à la Fontaine-des-Nonnes, La Ramée, ainsi que sur le plateau de la ferme Champfleury, qui est absolument inabordable, même pour les isolés ". La liaison est toujours établie entre le 7e corps et la gauche de la 56e division, qui continue d'attaquer vers la ferme de Poligny.

Vers 16 heures, les batteries de sortie ayant subi des pertes sérieuses, on croyait devoir leur donner un ordre de repli. Elles allaient se reformer en arrière. L'artillerie demandait constamment des avions pour régler son tir; on en promettait un pour le lendemain. Le nombre des tués et des blessés était considérable (Général de Dartein, p.125.).

Loin de songer à prendre l'offensive, le général de Lamaze voulait d'abord faire mettre en état de défense Saint-Soupplets. Il décidait ensuite d'organiser une position de repli sur la croupe à l'est, de Gesvres. On y employait des travailleurs fournis par la 55e division et par les réserves de la 56e. Ce travail était en train : " A ce moment, il revient de Marcilly quelques groupes..., des troupes de seconde ligne avec leurs officiers. Ils sont absolument énervés par le bombardement incessant..., qu'ils ont supporté sans broncher, et ont besoin de remuer et de se détendre. Aussi nous les laissons circuler et ils rejoignent ensuite leurs emplacements pour la nuit, qui restent les mêmes, avec avant-postes de combat retranchés en avant. . . " (Général de Dartein, p. 125-126.).

A la droite de l'armée Maunoury, la 45e division (Drude) n'était pas plus heureuse que la 56e. Elle dessinait dès le matin son offensive sur la ligne Barcy, Chambry, avec Etrépilly et Varreddes pour objectifs. Le cimetière de Chambry était pris et repris, les murs et les tranchées qui les longeaient servant alternativement aux deux adversaires. Le 3e zouaves subissait là de fortes pertes (Fabreguettes, p. 53; G. Babin, p. 274; P.-L. Courrières, loc. cit.).

Vers 19 heures, une violente canonnade venant des environs de Varreddes ralentissait encore nos progrès, déjà très lents. Sur cette partie du front comme sur les autres, nous étions tenus en échec.

Quant à la 8e division (Lartigue), elle bordait à 8 h. 30 le front Villemareuil, Saint-Fiacre, avec flanc-garde à Fublaines, le long de la Marne. Elle se reliait à l'armée britannique, dont la gauche était à Pierre-Levée. Dans l'après-midi elle atteignait le château de La Noue, la cote 170 au sud de Montceaux et le château de Brinches. L'ennemi tenait encore par quelques éléments de la 3e division (IIe corps) Montceaux et les bois au nord. Dans la nuit du 8 au 9, la 8e division demeurait sur place, autour du château de Bellon (Notes inédites d'un témoin.; A. Joubaire, p. 67. Le maréchal French (Mémoires, p. 123) a nié, en des termes qui ne font pas honneur à sa bonne foi, d'avoir été pour quelque chose dans le mouvement de la 8e division. Voir ce qu'écrit, Gallieni à M. Millerand, le 8 septembre.), sans avoir coopéré d'une façon appréciable à l'offensive tentée par notre gauche.

Dans l'après-midi du 8, Gallieni se rendait au quartier général de la 6e armée, à Saint-Soupplets. L'impression du général Maunoury était " moins bonne que la veille ". Il craignait que l'ennemi, renforcé, prît l'offensive contre sa gauche (Mémoires de Gallieni, p.). Le gouverneur s'efforçait de le réconforter et confirmait ses assurances verbales par écrit (18 h.45), montrant une fois de plus la justesse de ses vues : " L'ennemi a senti le danger que votre offensive constituait pour son flanc. Insuffisamment accroché sur son front, il a pu ramener... dans les journées du 7 et du 8 des! forces importantes, en sorte que vous avez probablement en face de vous actuellement de deux à trois corps d'armée.

Dans ces conditions, il est possible que votre offensive se trouve enrayée.

" Mais, dans votre position actuelle, vous fixez l'ennemi, vous le retenez face à l'ouest, tandis qu'au sud l'arrivée de l'armée anglaise, sur la Marne constitue pour lui un danger nouveau.

" Il est donc essentiel. que demain vous vous mainteniez sur vos positions, En vous accrochant au terrain avec la dernière énergie.

" Il me paraît peu probable que l'ennemi qui vient également de déployer un effort considérable... soit en mesure de vous attaquer vigoureusement demain. Néanmoins, pour parer à tout imprévu et vous étayer en arrière, je porte la 62 D. R. à Dammartin-Montgé, prête à vous servir de soutien éventuel en cas de repli.

" Cette division sera rendue... à 6 heures. " Vous aurez à lui envoyer vos ordres au sujet de la position exacte... Mais, l'obligation où je suis d'assurer, quoi qu'il advienne, la garde du camp retranché ne me permet de vous la donner que comme repli éventuel et je ne puis pas vous autoriser à la porter en avant comme renfort en vue d'une reprise de l'offensive " (Mémoires de Gallieni, p.246-247).

Gallieni eût voulu, pour obtenir un résultat décisif, demander deux nouveaux corps d'armée pour les jeter en direction de La Ferté-Milon, sur les derrières ennemis. La lettre du général Joffre, reçue le 8 au matin, avait coupé court à ce projet, en restreignant son rôle à la défense de Paris. On ne saurait trop le déplorer. Dûment renforcée, la 6e armée aurait pu jouer un rôle capital en précipitant la retraite allemande, avec toutes les conséquences que l'on entrevoit.

Dans la soirée, l'état-major de la 6e armée la considérait comme impuissante à refouler l'ennemi à l'est de l'Ourcq. Mais, même si nos adversaires voulaient continuer leur retraite, il leur faudrait au préalable se débarrasser d'un voisinage gênant en nous refoulant vers l'ouest par une attaque brusquée. Le général Maunoury prenait donc des dispositions pour organiser, avec le concours de la 62e division, une ligne éventuelle de repli par Le Plessis - Belleville, Saint - Soupplets, Monthyon. Le gouverneur l'engageait d'ailleurs à manœuvrer, s'il était obligé à la retraite, de façon à maintenir l'ennemi face à l'ouest, afin de faciliter l'action éventuelle de l'armée britannique.

IV

 

Le matin du 8 septembre, les troupes du maréchal French étaient ainsi réparties : 3e corps dans la région de Haute-Maison, au sud-est de Meaux, 2e corps vers Aulnoy, au nord de Coulommiers, 1er corps de Chailly à Jouy-sur-Morin, à cheval sur le Grand-Morin, entre Coulommiers et La Ferté-Gaucher. Dès la nuit du 7 au 8, le commandement britannique savait que la 5e armée rencontrait une forte résistance, que de puissantes masses ennemies étaient encore devant elle. D'autre part la 6e armée menait de durs combats à l'ouest de l'Ourcq, contre la presque totalité dé la Ire armée allemande. Très justement, le maréchal French en concluait qu'il avait en face de lui, surtout, de la cavalerie appuyée par une forte artillerie et par des détachements d'infanterie. Mais le commandant de l'armée britannique avait longuement vu la cavalerie allemande aux manœuvres de 1911. Il en avait gardé, semble-t-il, une idée tout à fait exagérée ("A chaque brigade de cavalerie est rattaché un régiment de chasseurs à pied, tireurs triés sur le volet, choisis pour leur connaissance du feu et leurs qualités d'utilisation du terrain. " (Mémoires, p. 113.) Ce renseignement est absolument faux, comme on sait.). Malgré l'aptitude exceptionnelle qu'il lui prêtait pour la défense des rivières et des " positions de retardement ", il croyait que le passage des Grand et Petit-Morin pourrait être forcé assez facilement par de bonnes troupes, mais ne s'en demandait pas moins " comment donner l'appui le plus efficace à la 6e armée, si fortement engagée " .

I1 s'attendait à voir défendre énergiquement les passages de la Marne devant sa gauche, entre Changis et La Ferté-sous-Jouarre. Une masse d'artillerie lourde était signalée dans la boucle de Varreddes. Après avoir considéré la possibilité d'un concours direct à l'armée Mauroury, ou l'opportunité d'un renforcement du flanc gauche britannique pour obtenir plus vite le passage de la Marne, le maréchal arrivait à une conclusion qui s'imposait, semble-t-il, dès le premier moment, à savoir que le mieux serait de passer aussi promptement que possible les deux Morin et la Marne (Mémoires, p. 114.) . Après cette opération, l'armée serait face au nord-ouest, presque sur la ligne de retraite de la Ire armée, alors orientée à peu près de même et en contact étroit avec nos troupes à l'ouest de l'Ourcq.

Quoi qu'il en soit de ces hésitations, le maréchal prescrivait une attaque générale sur le Petit-Morin, le 8, " de bon matin " .

A La Trétoire (nord-est de Rebais) le 1er corps rencontrait une vive résistance au passage du Petit-Morin. La 4e brigade (2e division), appuyée par des batteries de campagne, l'attaquait de front. La 5e brigade et l'artillerie lourde entraient ensuite en scène. Finalement l'attaque était facilitée par le passage en amont de la cavalerie divisionnaire.

A la droite de la 4e brigade, la 1re (Guards) bordait la rivière sur un vaste front (Avec un peloton de cavalerie, un détachement de cyclistes, une compagnie du génie et une brigade (groupe) d'artillerie de campagne, elle constituait l'avant-garde de la 1re division, général Maxse (Mémoires French, p.115).), en marchant de Jouy-sur-Morin vers Bassevelle. Une division du corps Conneau opérait sur le front et la droite britanniques, cette dernière couverte par la division de cavalerie Allenby. A 9 h.15, un officier français informait le général Maxse que notre cavalerie occupait les hauteurs au nord de Bellot. On jetait en ce point un bataillon (Black-Watch) et une batterie sur lesquels, de Fontaine-Robert, une batterie allemande ouvrait le feu, mais pour être rapidement réduite au silence par l'une des nôtres. Nous avions déjà, une brigade de cavalerie dans Bellot, sous les obus allemands. Les troupes britanniques du colonel Grant-Duff se portèrent en avant (10 h. 40) pour enlever le passage du Petit-Morin, ce qui eut lieu vers 11 heures. Peu après, l'avant-garde était au contact d'un élément de chasseurs de la Garde, contre lequel un vif combat s'engagea, coûtant à l'ennemi des pertes relativement très fortes, une centaine d'hommes sur 250. Puis on reprit la marche sur Hondovilliers, la 1re brigade à l'est et la 3e à l'ouest du ravin. A gauche, l'avant-garde de la 2e division (4e brigade et 41e groupe de campagne) marchait de Saint-Siméon sur Rebais et La Trétoire.

Les éléments avancés des Coldstream-Guards venaient de dépasser La Trétoire, quand l'artillerie allemande ouvrait le feu du nord-est de Boitron. En outre, des mitrailleuses battaient efficacement le passage du Petit-Morin. Il fallut mettre en ligne le reste de la brigade, deux canons et des obusiers, puis faire intervenir le Worcestershire-Regiment vers le Moulin-Neuf et le Gravier, en aval. Vers 13 h. 30, le pont était pris, ainsi qu'une trentaine d'hommes; le 2e Grenadiers Guards passait également le Petit-Morin à la Forge, en amont, et l'ennemi se retirait, laissant sur place deux mitrailleuses.

Sur les entrefaites, la 3e division avait atteint Orly, en aval de La Trétoire, et poussait l'Highland Light Infantry sur Bussiéres, pour tenter de couper à l'ennemi la retraite sur La Ferté-sous-Jouarre. Vers 16 h. 30, les Allemands esquissaient une faible contre-attaque, avec des mitrailleuses, sur de l'artillerie au nord-est de Boitron. Ils étaient arrêtés par les Guards, qui capturaient le détachement de mitrailleuses tout entier, avec cinq pièces et une centaine d'hommes (Mémoires French, p. 117.) .

Vers Doue, le 2e corps rencontrait une résistance opiniâtre, dont il triomphait sur tous les points, en faisant des prises considérables (Rapport French du 17 septembre, p. 28. Les Mémoires se bornent à une sèche indication, peu compréhensible.) . Quant au 3e corps, il progressait également sur tout son front, engageant avec un plein succès la 3e brigade de cavalerie (Gough) et liant son mouvement à celui de notre division Lartigue vers la Marne. On apprenait que des forces considérables étaient dans les bois au sud de Lizy-sur-Ourcq, que 90 pièces environ battaient de cette région le flanc droit de la 6e armée.

Il semble qu'à la fin du jour le 3e corps ait eu sa tête entre Signy-Signets et Jouarre, face à La Ferté; le 2e bordait le Petit-Morin entre Jouarre, Archet et Saint-Cyr; le 1er corps était au nord de cette rivière, bordant par ses éléments avancés la route de La Ferté à Viels-Maisons (G. Babin, p. 274.).

Il semble aussi que la lenteur relative de l'avance britannique, surtout à sa gauche, ait facilité le mouvement de von Kluck. Le IVe corps, encore le 8 vers Rebais, put se porter le même jour en deux colonnes sur la Marne, la traverser et attaquer la gauche de la 6e armée vers Betz. " ...Pourquoi l'armée anglaise, composée d'officiers et de soldats pleins de force, de vigueur et d'énergie, a-t-elle mis plus de deux jours à parcourir les vingt kilomètres qui séparent le Grand-Morin de la Marne, quand il s'agissait pour elle, le 6, de marcher rapidement sur l'ennemi le plus proche ? " Le général Bonnal (Loc. cit. p. 5. Cf. Mémoires de Gallieni, p. 158.) attribue ce fait à l'inexpérience de nos Alliés en fait de manœuvres, au manque d'unité de doctrine et d'instruction supérieure de leurs état-majors. Nous ajouterons que, depuis la Crimée, leurs troupes n'avaient plus reparu sur un champ de bataille européen et que même leur dernière expérience d'une grande guerre de campagne remontait à 1815. Enfin il ne semble pas douteux que leur confiance en eux-mêmes et en nous surtout avait souffert des premières opérations, si peu encourageantes, impression que l'on eut retrouvé sans peine parmi certaines de nos troupes.

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