LA BATAILLE DE LA MARNE VUE PAR LE GENERAL PALAT
CHAPITRE XIII
CHAPITRE XIII
LE 7 SEPTEMBRE A LA DROITE
La 4e armée. - La contre-offensive allemande. - La 3e armée. Le 5e corps. - La 7e division de cavalerie. - Le 6e corps. - La brigade Estève. - Les divisions de réserve. - Le 15e corps.
I
L'armée de Langle était vivement attaquée le 7 septembre, sans que, nulle part, la défense ou l'attaque prît une supériorité réelle. Les Allemands s'engageaient à fond, comme le prouve un ordre trouvé à Vitry-le-François, dans les papiers du général Tulff von Tscheppe, commandant le VIIIe corps : " Le but poursuivi par nos marches longues et pénibles est atteint. Les principales forces françaises ont dû accepter le combat, après s'être continuellement repliées; la grande décision est indiscutablement proche. Demain donc, la totalité des forces de l'armée allemande, ainsi que toutes celles de notre corps d'armée, devront être engagées sur toute la ligne allant de Paris à Verdun. Pour sauver le bien-être et l'honneur de l'Allemagne, j'attends de chaque officier et soldat, malgré les combats durs et héroïques de ces derniers jours, qu'il accomplisse son devoir entièrement et jusqu'à son dernier souffle. Tout dépend de la journée de demain " .
De nouvelles forces ennemies entraient en ligne contre la 4e armée. Le XVIIIe corps de réserve s'engageait à gauche du XVIIIe, fort éprouvé les jours précédents, et attaquait de Sermaize à Contrisson la droite de notre 2e corps. Le XIIe corps de réserve, jusqu'alors composé de la 23e division de réserve seulement et qu'allait rallier la 24e venant de Givet, entrait en action contre notre gauche, vers Sompuis où le 17e corps avait gagné quelque terrain sur le XIXe. Au centre, les VIIIe corps et VIIIe de réserve, après avoir progressé, étaient vigoureusement contre-attaqués par les coloniaux, qui gagnaient du terrain vers Vauclerc et Reims-la-Brûlée, à l'est de Vitry-le-François. A gauche du corps colonial, le 12e corps, bien que très réduit comme effectif, défendait efficacement son front.
Le 2e corps surtout, à notre droite, était très vivement assailli. L'ennemi reprenait Sermaize, attaquait violemment Pargny-sur-Saulx et la ferme du Sorton, le long de la ligne ferrée de Vitry à Bar-le-Duc. Il déclenchait sur Blesmes, dans la matinée, une offensive qui, vue du clocher, était arrêtée par notre artillerie (Lieutenant Deville, p. 104; G. Babin, p. 273.). Au 21e corps, la 13e division, qui venait de recevoir un nouveau chef, le général Baquet (Remplaçant le général Bourdériat.), était mise en marche le matin du 7. Partant de la vallée de la Blaise elle atteignait le soir Bailly, Jonereuil, Chassericourt, avec ordre de repartir dans la nuit du 7 au 8 pour la région de Sompuis. Quant à la 43e division, elle entamait son mouvement dans l'après-midi du 7, pour atteindre seulement dans la nuit du 8 au 9 le Puits à Dampierre et à Vaucogne. Ces mouvements, opérés par une très forte chaleur, imposaient un pénible effort à des troupes composées en grande partie de réservistes arrivant à peine des dépôts.
Le général de Langle assignait pour mission au 21e corps de prolonger et de renforcer sa gauche. Son entrée en ligne déclencherait la reprise générale de l'offensive à la 4e armée. A cet effet, la 23e division (12e corps) et un détachement du 17e occupant le front Humbauville bois et croupe au sud de Sompuis (cotes 187-197) étaient mis sous les ordres du général Legrand, afin de le relier au 17e corps vers l'est. On verra comment les espérances fondées sur le 21e corps furent en grande partie trompées.
Déjà, dans les troupes allemandes, certains indices de faiblesse se manifestaient. Un de leurs sous-officiers raconte que, dans la soirée du 5 (?), entre Sermaize et Pargny-sur-Saulx, une pluie diluvienne tombe sans interruption. La troupe n'a rien mangé depuis 4 heures du matin. Elle est sans liaison avec l'arrière, " à cause du feu nourri et violent de l'artillerie française qui tire de mieux en mieux ". Enfin, à 22 heures, deux cuisines roulantes approchèrent." Sans s'occuper (sic) à quel régiment elles pouvaient appartenir, les hommes se précipitèrent et eurent tout pillé en un clin d'œil ". Le régiment (88e, Mayence, 21e division, XVIIIe corps) reçoit dans la nuit des renforts venant de l'arrière. " Beaucoup étaient sous les drapeaux depuis six semaines à peine. Ils étaient hors d'eux à la pensée qu'ils allaient prendre part à une grande bataille. Ils criaient tellement que nous fûmes obligés de les faire taire, car les Français étaient à peine à trente ou quarante mètres de nous. A peine avais-je parlé que la fusillade reprit très violente, et il nous fut alors difficile de retenir ces vaillants guerriers, qui se mirent à courir dans toutes les directions, surtout en arrière... Beaucoup de ces jeunes soldats n'avaient même pas de plaque d'identité... ".
Derrière la ligne de feu, le pillage, les sévices contre la population sont de tous les jours. A Sagny-sur-l'Angle, on arrête le maire, " accusé de communiquer avec les Français... à l'aide d'un téléphone souterrain ". La base la plus sérieuse de cette accusation naïve était ce fait, " qu'une batterie allemande qui venait de prendre position avait été immédiatement détruite par les Français " . Là-dessus un sous-officier ordonnait d'arrêter tous les civils. " Trois femmes, dont une jeune fille de dix-huit ans, fille du maire, furent trouvées dans une cave où elles s'étaient cachées et traitées comme les hommes, c'est-à-dire avec la dernière brutalité... " (Souvenirs de guerre d'un sous-officier allemand, p. 82.)
Le 7, le 88e est obligé d'abandonner la ligne du chemin de fer pour reculer vers le nord. Le moral a beaucoup baissé : " Nous restâmes sur cette position toute la journée : l'artillerie française tirait derrière nous et nous empêchait de reculer. Elle tirait aussi sur nous, nous tuant toujours du monde, et notre position devenait intolérable. Les brancardiers ne savaient où donner de la tête... Quelques hommes commençaient à mettre leur mouchoir au haut de leur fusil pour montrer qu'ils voulaient se rendre. Mais les Français ne s'y fiaient guère et répondaient généralement par une balle... Tout le monde était démoralisé. Pour les calmer, les officiers supérieurs disaient aux hommes que nous reculions par mesure de sécurité, mais personne ne les croyait. Les soldats ne se gênaient pas pour, crier à haute voix devant les officiers : " Oui, vous avez chanté trop vite avec votre Paris ! Maintenant ce sont les Français qui nous ont f .. . une raclée que nous n'oublierons jamais " (Souvenirs de guerre d'un sous-officier alLemand, p. 86. Les dates n'y sont pas toujours exactes.).
II
Le matin du 7, la 3e armée restait échelonnée entre Mussey-sur-Ornain et Souilly, face au nord-ouest. Elle y était très vivement attaquée par des forces de beaucoup supérieures. Le G. Q. G., mal renseigné sur la répartition de l'ennemi, ne cessait de réclamer l'intervention de l'armée Sarrail.; pour dégager sa voisine de gauche, dont la droite, fortement attaquée, devait céder sur certains points. Il demandait le désaxement de la 3e armée vers l'ouest, quitte à laisser Verdun à ses seules ressources, solution qui eût présenté le double danger de compromettre cette place et de faire courir des risques à l'armée, changeant ses axes d'attaque en plein combat. Très justement, le général Sarrail n'en faisait rien. Il prescrivait même de porter à Osches la 67e division, jusqu'alors en seconde ligne, pour se relier d'une façon moins précaire à la défense mobile de Verdun. D'ailleurs il comptait sur l'arrivée prochaine du 15e corps, qu'il voulait porter entre les 4e et 3e armées, afin de rendre leur liaison mieux assurée. Sur notre front on constatait la présence du VIe corps entier, face à la gauche de la 3e armée; au centre, des éléments du XIIIe et d'une brigade du VIe de réserve, venue, par Les Islettes et Brizeaux, se glisser entre les XIIIe et XVIe corps. en face et sur la droite de notre 72e division le VIe corps de réserve s'était engagé pour protéger la ligne de communication ennemie (G. Babin, p.274 ). On signalait des troupes de toutes armes sur les Hauts-de-Meuse, au nord de Saint-Mihiel.
Le combat du 5e corps vers Laheycourt paraît avoir été malheureux. Un de ses régiments se porte de Louppy-le-Château sur Laheycourt, où le désordre est extrême. De l'infanterie, un régiment de dragons, des convois d'artillerie et du génie, des ambulances, des cyclistes de cavalerie s'y démènent sous les obus. On reflue sur Villers-aux-Vents, bombardé également, et on essaie d'en déboucher en formation de combat. Après un engagement assez vif , on se replie sur Villers-aux-Vents, puis sur Laimont. Il semble que la retraite soit générale vers Bar-le-Duc.(Galtier-Boissière, p. 138.).
La 7e division de cavalerie avait mission de relier les attaques des 5e et 6e corps. Sa tête se portait entre Louppy-le-Château et l'Isle-en-Barrois; dans l'après-midi, son artillerie venait en aide à la 17e brigade d'infanterie (9e division, 5e corps) (Général Canonge, p. 53.) .
Au 6e corps, le général Estève recevait de grand matin l'ordre d'aller occuper, à la faveur de l'obscurité, une position immédiatement au nord du tortillard (chemin de fer) de Bar-le-Duc à Verdun, à 2 kilomètres environ, au nord de Rembercourt, entre la cote 285 à l'ouest et la station de Courcelles à l'est. Il y creuserait des tranchées pour arrêter toute tentative de l'ennemi. Dans cette situation, la 107e brigade établirait la liaison entre le 5e corps et le gros du 6e. En attendant la fin du rassemblement du 302e, le général Estève dirigea le 304e sur la cote 285; le 302e suivit, par Rembercourt, la cote 287 et la Fontaine des Trois-Evêques, et porta son bataillon de première ligne au mamelon voisin de la station de Courcelles et au nord-ouest. Le 2e bataillon resta en réserve.
Le 301e avait été dirigé le matin du 6 sur la ferme de Vaux-Marie, en vue d'y établir des avant-postes sur la position qu'occupait le 7 la 107e brigade. Il les replia et vint former la droite de cette unité vers la cote 302, au nord de Vaux-Marie. Sur les entrefaites, le jour avait paru et, dés 5 heures, commençait un bombardement très régulier d'artillerie lourde, tirant par salves de quatre obus et battant sans arrêt le terrain entre la cote 285 et la ferme de Vaux-Marie. Malgré tout, la brigade occupait les positions indiquées et une compagnie du génie aidait à les mettre en état de défense. On commençait même à tracer une seconde ligne au sud du chemin de fer. Vers 14 ou 15 heures seulement, l'ennemi déclencha une attaque d'infanterie qui porta d'abord sur le 304e. Débordé par sa gauche, subissant de grosses pertes, il commençait à faiblir. Le général Estève jugea opportun de lancer son bataillon de réserve à la contre-attaque, mais il fut presque aussitôt grièvement blessé et le recul de sa brigade devint général (16 h. 30 environ), dans la direction d'Erize-la-Grande. L'artillerie du 6e corps, déployée entre Rembercourt et le signal d'Erize, intervint à propos pour arrêter les Allemands, qui ne dépassèrent guère la voie ferrée. Les pertes de la 107e brigade étaient lourdes : au 304e, tous les officiers supérieurs blessés, tous les commandants de compagnie tués ou blessés, moins un. Elle fut recueillie par le 29e bataillon de chasseurs, vers Rembercourt. Dans l'ensemble de cette journée l'infériorité de notre artillerie se manifestait " énorme ", au dire d'un témoin. La nôtre souffrait pourtant très peu, mais ne faisait aucun mal à celle de l'ennemi. Dans l'après-midi, le 6e corps recevait un avion, comme le général Verraux l'avait demandé, mais il était piloté par un sous-officier incapable de faire une reconnaissance. Il fallut lui adjoindre un officier qui avait fait deux ascensions. Un autre avion, mieux piloté, devait heureusement arriver le 8.
Les divisions de réserve annoncées débouchaient le 7 de Villers-sur-Meuse, à travers la forêt de Souilly, sur Heippes, sans prendre aucun dispositif approprié, en sorte que la 75e avait à souffrir de l'artillerie allemande dans Rignaucourt. Leur intervention à la droite du 6e corps ne se faisait sentir que par le tir de quelques batteries. L' infanterie ne paraissait pas.
Plus au nord, la 72e division était contre-attaquée dans la région de Ville-sur-Couzances et devait refluer vers la Meuse.
Heureusement le 15e corps arrivait dans la zone de la 3e armée, après un mouvement fatigant. Un témoin décrit l'arrivée d'un bataillon de chasseurs alpins à Bar-le-Duc, dans la matinée : " Le bataillon était émietté, désagrégé, et pourtant il avançait toujours... " Il se reconstituait à l'ouest de la ville, sur la route de Véel. " Toute la journée, par un ou par petits groupes, nos chasseurs rejoignent leur unité ", par une chaleur lourde. Dans l'après-midi , ils se portent sur la ferme du Goulot, puis vers Mognéville, au nord de la forêt de Trois-Fontaines. Ils bivouaquent au sud de ce village. Pas un ne manque à l'appel (Carnet de route d'un officier d'alpins, I, p. 63-69.) .
III
L'ordre général n° 7, daté du 7, à 17 h. 20, était ainsi conçu :
" 1. La Ire armée allemande semble se replier vers le nord-est, devant les efforts combinés des armées alliées de gauche.
" Celles-ci doivent suivre l'ennemi avec l'ensemble de leurs forces, de manière à conserver toujours la possibilité d'enveloppement de l'aile droite allemande.
" 2. La marche s'exécutera donc d'une manière générale dans la direction du nord-est, dans un dispositif qui permette d'engager la bataille si l'ennemi marque un temps d'arrêt et sans lui laisser le temps de s'organiser solidement.
" 3. A cet effet, la 6e armée gagnera successivement du terrain vers le nord, sur la rive droite de l'Ourcq.
" Les forces britanniques chercheront à prendre pied successivement au delà du Petit-Morin, du Grand-Morin et de la Marne.
" 4. La 5e armée accentuera le mouvement de son aile gauche et emploiera ses forces de droite à soutenir la 9e armée.
" 5. La 9e armée s'efforcera de tenir sur le front qu'elle occupe, jusqu'au moment où l'arrivée des forces réservées de la 4e armée, sur sa droite, lui permettra de participer au mouvement en avant.
" Limite des zones d'action entre la 5e armée et l'armée W : Dugny, Saint-Rémy, Sablonnières, Hondevilliers, Nogent-l'Artaud, Château-Thierry (cette route à l'armée W)".
Notons que la Ire armée ne se repliait nullement au nord-est, mais opérait un changement de front vers le nord, pour faire face à la 6e armée. L'idée émise par le général en chef était donc dangereuse, car elle procédait, semble-t-il, d'une idée préconçue, ayant des rapports lointains avec la réalité. Au G. Q. G. la confiance était revenue si entière que la 6e armée allait désormais recevoir directement les instructions du général Joffre, sans passer par l'intermédiaire de Gallieni, commandant les armées de Paris. Cette décision, au moins prématurée, trahissait le désir de réduire l'importance du gouverneur. Les inconvénients étaient évidents, car le G. Q. G. était trop loin de la 6e armée pour la diriger opportunément. De Chatillon-sur-Seine, le général en chef écrivait à Gallieni (7 septembre) : " ...En ce moment, la situation paraît très bonne. Devant Maunoury, les Anglais et la 5e armée, l'ennemi recule, mais sans qu'il y ait eu d'action très sérieuse. Il est probable qu'il cherche à se retrancher. Plus à l'est, devant Foch, de Langle et Sarrail, jusqu'à l'Argonne, des actions plus sérieuses sont engagées. Nous n'y sommes pas en mauvaise situation. Cette bataille durera vraisemblablement plusieurs jours; j'ai bon espoir sur l'issue, mais ce sera dur ".
On l'a fait remarquer avec raison; ce tableau donne un aperçu fort inexact de la situation. L'ennemi est très loin de reculer devant la 6e armée et il va opérer contre elle les attaques les plus violentes. C'est là que se joue la partie décisive et, de Châtillon, le général en chef n'a pas l'air de le soupçonner. Bien que sa confiance dans le succès final semble plus grande que celle du gouverneur, il écrit à l'un de ses principaux lieutenants : " J'ai bon espoir sur l'issue, mais ce sera dur " . Est-ce bien le moment d'émettre cette dernière appréciation ?
Des généraux Joffre et Gallieni, le véritable chef, celui qui à la rapidité et à la justesse des conceptions joint l'art de les traduire en faits, paraît être le gouverneur de Paris.
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