LA BATAILLE DE LA MARNE VUE PAR LE GENERAL PALAT
CHAPITRE XI
CHAPITRE XI
LE 7 SEPTEMBRE A LA GAUCHE
La mission de la 6e armée. - Le corps Sordet,. - La 61e division. - Le 7e corps. - Le groupe Lamaze. - La 45e division. - Le 4e corps. - La division Cornulier-Lucinière. - Gallieni et le G. Q. G.
I
L'ordre du général Maunoury, pour le 7, portait en substance que le gros des Allemands opposés à la 5e armée battait en retraite au nord et au nord-est. Il ne semblait pas qu'il restât des forces importantes d'infanterie en face de la 6e armée, à l'ouest de l'Ourcq. De plus le général Franchet d'Espérey faisait savoir qu'il était urgent pour l'armée Maunoury et pour les troupes britanniques d'agir sur le flanc des colonnes ennemies en retraite.
L'offensive de la 6e armée allait donc être poursuivie avec une extrême énergie sur tout son front, la 45e division prenant comme direction Lizy-sur-Ourcq, Cocherel; le groupe Lamaze, Ocquerre, Dhuizy; le 7e corps, May-en-Multien, Coulombe et au nord. Le front serait prolongé dans cette direction par la 61e division (groupe Ebener) et par le corps Sordet. La 7e division (Trentinian, 4e corps) resterait pour le moment en réserve d'armée (Général de Dartein, p. 113. La brigade Ditte et la brigade de cavalerie Gillet, la veille rattachées au groupe Lamaze, étaient le 7 à la disposition de la 45e division.).
Au corps Sordet, les 1re et 3e divisions, parties de la région de Gonesse, à 4 heures, se portaient sur Nanteuil-le-Haudouin et Betz, où les devançait la 5e division, qui avait été transportée par voie ferrée sur Dammartin. Leur mission commune était de couvrir la gauche de la 6e armée et de déborder la droite ennemie, tâche délicate dans le pays accidenté et boisé qui s'étend à l'est de la ligne Nanteuil, Crépy-en-Valois.
Pendant la marche de la 1re division (Buisson), la 5e brigade de dragons laissait 6e régiment à Nanteuil, en repli; le 23e avec l'artillerie et les cyclistes, engageait le combat entre Betz et le bois de Montrolle au sud. On portait en reconnaissance sur Ormoy-Villiers, au nord-ouest, une auto-mitrailleuse qui ne reparaissait plus. La 11e brigade de dragons et la 2e brigade de cuirassiers se rassemblaient à l'est de Nanteuil.
Sur les entrefaites, la 14e division (7e corps) attaquait Etavigny, comme nous le verrons. La division Buisson l'appuyait avec son canon et portait elle-même sur Betz ses cyclistes.
Cependant les trois divisions avaient terminé leur rassemblement. A 16 heures le corps de cavalerie recevait l'ordre de pousser l'ennemi, qui semblait appuyer vers l'est. La 3e division, suivie des 1re et 5e, passait le ravin de Betz à Macquelines, un peu à l'ouest; leur artillerie devait prendre comme objectif des batteries lourdes qui constituaient un point d'appui pour la droite allemande dans la région de Thury.
Entre Betz et Cuvergnon, au nord-est, la 1re division se heurtait à de sérieuses organisations défensives : des tranchées précédées de fils de fer, et armées de mitrailleuses, garnissant des lisières de bois. Il fallait faire intervenir l'artillerie; la 5e division parvenait à dépasser ces bois et à s'approcher suffisamment des batteries lourdes pour les canonner.
Elle avait même l'occasion d'entrer en contact direct avec l'ennemi. Sous le commandement du Colonel Delécluse, le 13e chasseurs menait très vivement une attaque pour forcer la traversée de Betz en direction de Thury, l'escadron Ravinel faisant l'avant-garde. Il atteignit presque la sortie du village, mais pour être pris sous le feu de maisons organisées défensivement et d'une tranchée coupant la rue. Il fallut regagner le plateau de Bargny avec perte d'une vingtaine d'hommes.
Vers le même moment, le colonel Hennocque, du 5e chasseurs, prenait l'initiative de faire sauter un gros approvisionnement de projectiles allemands, découvert aux lisières du bois.
A la fin du jour, la 5e brigade légère, dont le général de Cornulier-Luciniére avait repris le commandement, était au nord-est de Lévignen, en halte gardée, quand elle fut avisée que le corps Sordet se retirait près de Nanteuil-le-Haudouin, où aurait lieu le ravitaillement. Elle s'y porta et put être ravitaillée au petit jour, le 8 septembre.
Pour l'ensemble du corps de cavalerie, la journée se passait ainsi, sans résultats bien définis. Vers 20 heures, les trois divisions étaient réunies près de Lévignen, après avoir laissé au contact les cyclistes de la 1re division.
Un escadron resta également dans Lévignen et le corps de cavalerie alla, fort avant dans la nuit, bivouaquer au nord de Nanteuil-le-Haudouin. Son gros avait parcouru environ 120 kilomètres en 36 heures, malgré un mois de campagne très dure.
A Nanteuil, il retrouvait une partie de la 61e division qui, vers 14 heures, avait abandonné le combat à la gauche du 7 corps et dont la 1re division de cavalerie s'était efforcée de limiter la retraite en prenant sa place dans la région de Betz.
Le soir du 6, la 61e division était cantonnée dans la région de Gonesse. Son infanterie fut transportée par voie ferrée au Plessis-Belleville (sud-ouest de Nanteuil-le-Haudouin), tandis que l'artillerie s'y rendait par voie de terre. Dans la matinée du 7 elle prenait pied dans le bois de Montrolle et le 316e tentait d'en déboucher vers la ferme Saint-Ouen, à l'est. Un feu violent l'arrêtait et une contre-attaque le rejetait dans le bois, puis l'en délogeait. A droite et à gauche le recul gagnait les 264e et 265e. Sur les entrefaites les deux groupes de la division se mettaient en batterie au nord-est de Villiers-Saint-Genest, près des batteries de la 1re division de cavalerie, et ouvraient le feu sur le bois que deux bataillons attaquaient de nouveau sans succès (midi) . Vers 13 heures, les deux groupes se portaient en avant, à 1.000 mètres environ du bois et continuaient de tirer dans le voisinage immédiat de la ligne d'infanterie. Celle-ci ne tardât pas à plier et, jusqu'à la tombée de la nuit, ces six batteries faisaient du combat en retraite, par échelons. Vers 15 heures, les cyclistes de la division Buisson, placés à gauche de cette ligne, essayaient de l'entraîner à une contre-attaque sans y parvenir. Le recul continuait et l'infanterie ne s'arrêtait qu'à deux kilomètres environ à l'ouest de Nanteuil, où allait cantonner l'artillerie, fort avant dans la nuit.
II
Au 7e corps le combat avait violemment recommencé, surtout à la gauche, 14e division. Cette fois les Allemands attaquaient avec énergie. " Il ne s'agissait plus de progresser, mais de tenir " et ce n'était point chose aisée. Heureusement, malgré des pertes déjà fort élevées, l'ardeur des troupes restait grande, mais le général de Villaret, en prescrivant des contre-attaques, en demandant sans cesse de nouveaux efforts à ces régiments, ne voyait pas sans angoisse leur usure progressive.
Le général Maunoury annonçait au 7e corps l'intervention prochaine à sa gauche de la 61e division de réserve (D'après un ordre de la 6e armée, elle devait être en réserve générale à 8 heures au nord de Dammartin.) . Malheureusement, des renseignements peut-être exagérés amenaient à pousser cette unité plus au nord, en sorte qu'elle n'entrait pas en liaison avec le général de Villaret et ne lui était d'aucune utilité. D'autre part, malgré les efforts du corps Sordet, il ne semble pas que son action ait été ressentie à la gauche du 7e corps, qui demeurait tout à fait en l'air.
La journée du 7 se termina par une vigoureuse contre-attaque allemande, qui rejeta la gauche de la 28e brigade dans le ravin de Bouillancy. Mais cette offensive s'arrêta d'elle-même, soit qu'elle fut à bout de souffle, soit pour d'autres motifs, et un retour offensif nous rendit nos positions. Quant à la 27e brigade, elle continuait de combattre opiniâtrement entre Acy-en-Multien et la ferme Nogeon, sans perdre ni gagner sensiblement du terrain. La 63e division, qui formait la droite du 7e corps, était également réduite à la défensive. L'offensive ennemie devenait même menaçante quand le colonel Nivelle se portait en avant de Puisieux avec deux groupes de l'artillerie de corps (5é régiment). Calme et froid comme au polygone, il profitait du crépuscule pour dépasser l'infanterie et faisait mettre en batterie, puis ouvrir le feu sur les masses allemandes en mouvement. Elles étaient complètement disloquées. Nos tirailleurs arrêtaient leur recul et reformaient la ligne. On pouvait même reconstituer deux bataillons de réserve.
La ferme Nogeon, soumise durant plusieurs heures au tir convergent des batteries de Rosoy-en-Multien, était finalement enlevée par les Allemands à une fraction du 298e qui s'y faisait tuer sur place. Mais les 22e et 23e compagnies reprenaient l'attaque et, dans un corps-à-corps furieux, s'emparaient d'un drapeau du 38e, décoré de la Croix de fer en 1870.
Au groupe Lamaze la 56e division, partant du front Champfleury, la Râperie, devait continuer à attaquer, droit vers l'est, avec la plus grande énergie. L'objectif indiqué était le passage de l'Ourcq entre Marnoue-la-Poterie et Ocquerre. La 55e division suivrait en deuxième ligne.
La nuit du 6 au 7 s'était passée sans incident. A Barcy le 65e bataillon de chasseurs allait être relevé par un bataillon de la 45e division, le groupe du 25e se portant à l'ouest de la Râperie pour battre la longue croupe qui descend vers Gué-à-Tresmes, ainsi que la direction Etrepilly, Trocy.
De grand matin le combat recommençait sur les pentes de la ferme Champfleury, tenue par le 355e; le groupe du 32e était alors vers la Ramée et celui du 40e à l'ouest de la ferme Nongloire, où l'ennemi les contrebattait vivement. Néanmoins, à 7 h. 45, la 56e division progressait normalement sur Etrépilly et la ferme de Poligny , en débordant par les fonds la ferme de Champfleury, à mi-côte d'une large croupe. La division était alors en liaison avec la 45e, qui venait de dépasser Barcy au sud, et avec la 63e (7e corps) vers Puisette. L'ennemi avait une artillerie très puissante (du 77, du 105 et du 150) vers Trocy et au nord; des obusiers se révélaient également vers Gué-à-Tresmes.
Vers 10 heures, la 112e brigade (350e) atteignait Etrépilly en suivant la Thérouanne et y pénétrait, mais pour être accablée de feux venant des maisons et des tranchées au nord. L'ennemi se renforçait de deux batteries et de plus d'un bataillon. Malgré l'entrée en ligne de deux compagnies de chasseurs (69e bataillon), le régiment était contraint de se replier (14 h. 30) et de se reporter derrière la Thérouanne, entre la Chaussée et la Fontaine-des-Nonnes, très sensiblement à l'ouest. Le 361e tentait de déboucher par la crête à l'est de Marcilly, mais pour être bientôt arrêté par des feux violents d'artillerie.
Une autre attaque était dirigée, cette fois par la 111e brigade, sur la ferme de Poligny. Le 294e faisait la liaison entre le 350e et cette brigade jusqu'à Fontaine-des-Nonnes le 355e tenait les pentes de Champfleury sous un feu très vif d'artillerie lourde. Donnant la main à la 63e division, il marchait sur la ferme, mais était arrêté par les projectiles venant de tranchées à l'est. A 16 h.15, survenait un nouvel ordre d'offensive. Le général Cornille déployait au nord de Marcilly le 65e bataillon de chasseurs, jusqu'alors en réserve. Il se portait à hauteur de la Râperie, occupée par la gauche de la 45e division, qui venait également d'attaquer Etrépilly sans succès. La nuit tombait peu après, sans que la 56e division eût pu regagner le terrain perdu.
Sur les entrefaites (16 heures), l'état-major de la 6e armée apprenait que les corps opposés au général d'Espérey battaient en retraite au nord et au nord-est. De la 5e armée on ajoutait qu'il était urgent pour la 6e et pour l'armée britannique d'agir sur le flanc des colonnes allemandes. Une nouvelle attaque était donc décidée sur Etrépilly. Elle serait exécutée par le 350e (lieutenant-colonel de Certain) qu'encadreraient les 361e et 294e. La 45e division y coopérerait par une offensive du 2e de marche des zouaves sur la partie sud d'Etrépilly, le régiment de chasseurs indigènes Pomeyrau continuant d'attaquer vers la cote 107, à la droite.
Le 350e atteignait la croupe nord-ouest d'Etrépilly, où il capturait deux mitrailleuses et pénétrait même dans ce village. Mais il se produisait du désordre, comme il arrive dans les combats de nuit. Délogé de la lisière, le régiment se maintenait aux abords jusqu'à 22 heures. Le 6e bataillon du 294e ne pouvait intervenir par ses feux, tant était grand l'enchevêtrement des deux adversaires. Finalement le 350e se retirait au nord-est de la Chaussée, avec de très fortes pertes. Il avait fait quelques prisonniers (Général de Dartein, p. 115-119; Hanotaux, X, p.81.).
III
A la droite de la 6e armée, la 45e division prenait sa formation de combat à hauteur de Monthyon. A 9 h. 30 elle était en ligne, le général Trafford à Chambry avec le 3e zouaves; à gauche, vers Barcy, le général Quiquandon, avec le 2e de marche de zouaves, lieutenant-colonel Dubujadoux, et le 2e de marche de tirailleurs, colonel de Bonneval.
Une ligne de tirailleurs bordait la route de Chambry à Barcy, pendant que les trois groupes tiraient sur les positions allemandes. Le bataillon de zouaves d'Urbal atteignait la cote 124, au nord-est de Barcy, puis rétrogradait sous une nappe de plomb. A gauche, le bataillon Dechizelle marchait sur le clocher d'Etrépilly, le bataillon de Marcy en soutien. On gagnait ainsi plus de mille mètres, sans pouvoir faire plus. Le commandant d'Urbal était tué, presque tous les capitaines et les chefs de section hors de combat. Jusqu'à 15 heures, les deux bataillons de première ligne restaient cloués sur place. Il fallait enfin se replier vers l'ouest, à courte distance.
Vers 19 heures, fusillade et canonnade décroissaient d'intensité. Le colonel Dubujadoux recevait l'ordre de tenter une attaque brusquée sur Etrépilly. Avec les débris des bataillons d'Urbal et Lechizelle, des fractions des 3e de marche de zouaves et 2e de marche de tirailleurs, il se mettait en mouvement à la nuit tombante. Sans bruit on atteignait la lisière du village, on se jetait à l'intérieur sans tirer et l'on arrivait ainsi au cimetière, à 300 mètres vers le nord, où la résistance devenait très vive. Dubujadoux était tué et le régiment rejeté d'Etrépilly; plus de la moitié de l'effectif, les trois quarts des officiers étaient hors de combat (H; d'Estre, Loc. cit., p. 1059-1063; ;P.-L. Courrières, La bataille de l'Ourcq, Renaissance du 1er septembre 1917.) .
Quant à la brigade marocaine Ditte, elle formait la droite de la 45e division, à cheval sur la route de Meaux à Villers-Cotterêts, face à la cote 107, au sud-ouest de Varreddes. Un régiment de chasseurs d'Afrique, surveillait la vallée de la Marne à sa droite. Après un vif combat les Marocains enlevaient l'éperon 107 qui commande toute la boucle de Varreddes.
Derrière leur droite, la 8e division avait atteint Chessy à 5 heures, après une marche de nuit, et s'y était installée en halte gardée, sans qu'il y eût la moindre liaison entre elle et la 45e division.
A 6 h.40, une brigade de cavalerie (Brigade Gillet) qui lui était adjointe arrivait à Chessy et le général de Lartigue la poussait sur la rive est du Grand-Morin, en direction du plateau de Villemareuil., La Haute-Maison, avec mission de reconnaître Meaux et de garder les ponts de Condé-Sainte-Libiaire et de Couilly. La gauche britannique était alors vers Villiers-sur-Morin.
A 13 heures, la 8e division se portait, en deux colonnes, à l'est du Grand-Morin et, sans incident, allait cantonner le soir au sud de Meaux. Ses avant-postes tenaient les hauteurs au nord-est, se reliant aux Anglais vers Coulommiers.
L'ordre général n°51 de la 6e armée (7septembre) prescrivait au reste du 4e corps de se porter le 8 de Nanteuil-le-Haudouin sur Betz. Dans la soirée du 7, l'artillerie de corps et le 14e hussards marchaient sur Villeneuve-sous-Dammartin, puis sur Rouvres. Quant à la 7e division, de la zone Villemomble, Gagny, Neuilly, Plaisance, où elle cantonnait, elle était transportée pendant la nuit du 7 au 8 dans la région de Nanteuil-le-Haudouin, une brigade par voie ferrée, une brigade par taxi-autos. Le général Gallieni réunit 700 de ces véhicules, bientôt suivis de 400 autres, qui transportèrent, à raison de quatre hommes au moins par voiture et en faisant deux voyages, cette fraction de la division Trentinian de Sevran-Livry et de Gagny à Nanteuil et au Plessis-Belleville. Ce fut l'une des improvisations les plus curieuses de la Grande Guerre.
A Fresnes, où la division Cornulier-Lucinière avait passé la nuit du 6 au 7 septembre, son chef recevait l'ordre de rejoindre avec cette unité le gros du corps Sordet, à la gauche de l'armée Maunoury. Il ne laisserait à la droite qu'une petite brigade mixte, dragons et cavalerie légère, aux ordres du lieutenant-colonel de Brantes. Parmi ces derniers escadrons, celui du capitaine Lepic, du 5e chasseurs, fut envoyé en découverte en avant de Penchard. Après deux tentatives, l'escadron étant parvenu à passer entre l'aile gauche et une flanc-garde allemandes (J. Héthay, p. 128.), réussit ,à délimiter cette aile, grâce a un rapide combat à pied, qui lui valut des prisonniers dont un feldwebel du IVe corps. Les renseignements fournis par ce sous-officier furent particulièrement utiles tant à la 6e armée qu'à la 5e. La 45e division lança ensuite dans la région ainsi reconnue une attaque de six bataillons de zouaves, précédée par l'escadron Lepic en fourrageurs. Au contact, ces cavaliers refirent du combat à pied et se laissèrent traverser par l'infanterie, comme on leur avait prescrit.
Quant au reste de la division Cornulier-Lucinière, il quitta Fresnes, à 5 heures, pour se rendre à Nanteuil-le-Haudouin, où il se disloqua, chaque élément rejoignant son unité normale.
IV
D'après Gallieni, la situation de la 6e armée, le 7, à 16 heures, était la suivante : elle continuait de progresser vers l'Ourcq, malgré la résistance acharnée des IVe corps de réserve et du IIe corps. Le front atteint était Chambry, Barcy, Marcilly, la crête au nord-ouest de Brunoy, Puisieux, Acy-en-Multien, la crête à l'ouest d'Etavigny. Le général Maunoury comptait reprendre l'offensive au matin du 8 et chercher lui-même l'enveloppement avec la 61e division et le corps Sordet entier. " Toutes les routes partant du front de la 5e armée et se dirigeant
.. sud-nord sont signalées comme parcourues par longues colonnes sur la Marne " , écrivait encore Gallieni au général Joffre.
Parmi les troupes de la 6e armée, le sentiment du succès prochain paraît avoir lui dès le soir du 7, au moment où le soleil se couchait dans un beau ciel de septembre. " Brusquement une détente se produisit. Une bonne nouvelle parcourut et remua allègrement les troupes : c'était l'annonce d'un succès... Des fleurs garnirent et couronnèrent les fusils... Et les hommes parlèrent. Il y en avait qui venaient du Nord, d'autres qui disaient être descendus de l'Argonne. Tous exprimaient leur joie et leur enthousiasme de défendre Paris. Ils se sentaient invincibles. Ils manifestaient à l'égard de leurs chefs une confiance qui ne les avait jamais abandonnés pendant le cours d'une retraite dure et pénible. Je me rappellerai toujours la physionomie d'un petit canonnier qui, avant la mobilisation, travaillait aux Halles. Il était maréchal des logis et venait de Belgique. Il répétait qu'il n'était plus très loin de son Paris, de son foyer, de sa femme, de ses enfants.
Cette pensée, au lieu d'insinuer dans son cœur une sentimentalité affaiblissante..., lui donnait du réconfort et de l'élan... " .
La situation particulière de Gallieni, ad latus désigné pour remplacer le général en chef, plus ancien que lui et beaucoup plus autorisé par ses services antérieurs, en contacts fréquents avec le Gouvernement de par son commandement, cette situation, disons-nous, n'était pas sans créer des germes de difficultés entre lui et le général Joffre. Tout en le remerciant " chaleureusement " de la rapide mise en action dd la 6e armée et des résultats déjà obtenus, ce dernier lui écrivait (8 septembre) : " ...Je vous serais reconnaissant de ne pas envoyer au Gouvernement de renseignements relatifs aux opérations. Dans les comptes rendus que je lui envoie, je ne lui fais jamais connaître le but des opérations en cours, ni mes intentions; ou du moins, dans ce que je lui dis, je lui indique les parties qui doivent rester secrètes. En agissant autrement, certaines opérations pourraient parvenir à la connaissance de l'ennemi en temps utile pour lui... " .
Quoi qu'on en ait dit, la thèse du général en chef est parfaitement admissible, à la condition de ne pas l'exagérer. Sans doute le G. Q. G. devait être le seul juge des renseignements à donner au Gouvernement et au pays, puisqu'il couvrait de sa responsabilité l'ensemble des exécutants. On comprend également qu'il ne fît pas connaître à l'avance le détail de ses projets, ne fut-ce que pour éviter des fuites toujours possibles quand ces dangereuses confidences sont faites à un personnel purement politique, qui m'est pas tenu au secret professionnel et qui parfois en abuse comme on a pu s'en rendre compte trop souvent au cours de la Grande Guerre. Mais il semble que le Gouvernement ait laissé au général en chef une trop grande liberté d'action quant à la conduite de l'ensemble des opérations et que le G.Q.G. ait, lui aussi, abusé de cette facilité. La concentration s'était faite en dehors de toute participation gouvernementale, bien qu'elle touchât évidemment à la conduite politique de la guerre. De même, pour l'appui à donner aux Belges, pour l'envergure du mouvement de retraite sur la Seine, le général Joffre décida seul, sans en référer au Gouvernement. Ce dernier gardait pour lui le poids écrasant de sa responsabilité, mais n'exerçait pas sur la guerre le minimum d'influence qu'il eût dû imposer. En fait, le général Joffre, tout puissant dans l'armée depuis sa désignation en 1912, était devenu une manière de dictateur, aussi puissant à l'arrière que sur le front. Il devait en venir jusqu'à empiéter sur les attributions du ministre des Affaires étrangères. On allait le voir disloquer des divisions à peine constituées par le ministre de la Guerre; à travers mille difficultés, sans même lui en référer. Suivant le mot sévère de Gallieni, on aboutissait ainsi à la " substitution au gouvernement régulier d'une sorte de gouvernement irresponsable et sans mandat " .
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