UN COMBAT DE RENCONTRE

LES 5 ET 6 SEPTEMBRE 1914 A LA 55e D. R.

CHAPITRE IX

LA RETRAITE ALLEMANDE

 

Le général von Gronau craignant un enveloppement ordonne la retraite.

Allons voir ce qui s'est passé chez les Allemands depuis 16 heures.

Nous les avons laissés au moment où l'attaque du général von Dressler dans le bois des Tillières arrivait à flot et où la contre-attaque du général Riemann débouchait de Penchard.

 

A. - La contre-attaque hessoise.

 

A 18 h. 30, la 44e brigade de réserve a atteint Neufmontiers, se livre au pillage et achève sauvagement les Marocains blessés, implorant du secours dans leur rude langage, au milieu des flammes des incendies.

Vers Chauconin, le 32e de réserve et des éléments du 27e pénètrent dans le village, mais sont tenus en respect par deux escadrons de dragons de la brigade Gillet. Devant Villeroy; le détachement de la 43e brigade encouragé par l'avance de la brigade Mühlenfels a franchi le Rutel et marche sur Villeroy. Il a éprouvé des pertes sévères. Le 11e chasseurs a laissé plus de 70 hommes dans les fonds du ruisseau. Le capitaine von Pritzelwitz, commandant le bataillon, est blessé ainsi que deux capitaines sur trois. Un lieutenant est grièvement touché. Le général Riemann, commandant la 22e division de réserve, est lui-même blessé. L'aumônier divisionnaire est tué.

A la chute du jour, l'offensive de la 22e D. R. mollit. La situation des unités est tout aussi confuse que celle de la 55e division de réserve française. Le terrain a disloqué les régiments.

Le 11e chasseurs est parvenu à 1 kilomètre à l'est de Villeroy, à l'entrée de la route qui va de la cote 107 au village. Il n'ose pénétrer dans la localité où Français et Anglais, croit-il, se sont retirés.

Les compagnies sont mélangées à des éléments des 66e (7e D. R.) et 82e R. I (44e brigade). Les hommes sont harassés. Certains se précipitent vers le ru de Rutel pour y étancher leur soif. D'autres s'endorment sur place d'un sommeil lourd. Sur le champ de bataille, s'élèvent les appels tragiques des blessés enfiévrés. " Autour de nous, écrit le capitaine Conrad, commandant la 2e compagnie de chasseurs, des blessés sénégalais réclament de l'eau. J'interdis qu'on leur en donne car ils pourraient profiter traîtreusement de cette circonstance pour poignarder nos hommes. " Plus loin, les détrousseurs de cadavres se mettent en besogne.

Dès que Penchard a été nettoyé d'ennemis, le 2e groupe du 22e d'artillerie de réserve est poussé vers 17 heures par échelons en avant d'Automne vers la lisière sud du bois du Télégraphe et prend sous son feu les tabors marocains refluant sur Chauconin et Neufmontiers; à coup d'obus incendiaires il enflamme ces villages. Peu après, la 1re batterie du I/22, qui était en position à l'ouest de Pringy, est conduite, par le colonel von Oertzen lui-même, à la lisière nord-ouest du bois du Télégraphe par un itinéraire défilé. Établie dans une magnifique position, ayant d'excellentes vues sur Iverny, cette batterie ouvre le feu sur le 5/276 devant Villeroy et sur l'attaque des 109e et 110e brigades qui débouchent d'Iverny, gênant ainsi la reprise de notre offensive.

 

B. - Les Saxons devant Monthyon.

 

Devant Monthyon, la brigade von Wienskowski reste clouée sur place par le feu des éléments de notre 110e brigade. Le bataillon du 66e de réserve, stationné près du 1er groupe du 7e R. A. C., a éprouvé de grosses pertes. Le terrain découvert a paralysé l'offensive du 66e de réserve et des éléments du 72e de réserve devant Iverny et Le Plessis-l'Évêque. A peine quelques patrouilles peu audacieuses ont-elles franchi la Sorcière et reconnu les abords d'Iverny au moment du repli très momentané du 246e. Le 1er groupe du 7e R. A. C., nous l'avons vu, a été anéanti : 7 officiers, 101 servants, 71 chevaux gisent sur la route et dans les champs (50 % de tués) autour de la ferme de l'Hôpital, près de 12 pièces de canons sont hors de combat. Jusqu'à la chute du jour, l'artillerie française ne tolère aucun mouvement autour de ces épaves.

L'attaque de la 13e brigade a assez fortement pénétré dans la corne est du bois des Tillières. Un farouche combat s'est livré sous bois : 4e bataillon de chasseurs de réserve, 72e de réserve, sont engagés pêle-mêle, sous la futaie. Vers 18 heures, le général von Dressler, apprenant que des forces ennemies marchent de Dammartin vers Saint-Soupplets, arrête son offensive sous bois et prescrit à quelques éléments de se retourner vers Saint-Soupplets pour parer à cette menace.

Son artillerie se trouve à ce moment dans la situation suivante .

La 6e batterie du 7e de réserve est toujours clouée sur place au sud de la ferme Goudailler, très éprouvée et impuissante. On ne peut la retirer de sa fâcheuse position; les deux groupes des 25e et 40e R. A. C. français établis vers Cuisy ne la lâchent pas.

Les 4e et 5e batteries du 7e de réserve établies vers le cimetière de Monthyon, repérées par l'artillerie des 55e D. R. (45e R. A.) et 56e D. R. (25e et 40e R. A.), éprouvant de fortes pertes, avaient dû se replier subrepticement vers 16 heures : canons poussés à la main jusqu'à la route de Saint-Soupplets, puis attelés aux chevaux rescapés des échelons. Elles s'étaient portées de là au sud-ouest de la ferme Fescheux où les avaient retrouvées les 2e et 3e batteries du 22e R. A. envoyées en renfort.

De cette dernière position, ce groupe de 4 batteries (24 pièces) avait appuyé l'attaque von Dressler. Mais rapidement repérées dans leurs nouveaux emplacements par le groupe du 45e R. A. C., elles avaient éprouvé de nouvelles pertes et, en fin de journée, plusieurs caissons étaient en feu.

 

C. - L'ordre de retraite.

 

Ainsi, depuis 16 heures, le général von Gronau était fixé sur ce qu'il voulait savoir : une armée considérable était en marche contre le flanc de la 1re armée allemande. Ces forces ennemies lui semblaient au moins égales en infanterie, mais supérieures en artillerie. Contre elles, tout son corps d'armée, soit trois brigades et demie d'infanterie ( 16 bataillons, 4 escadrons, 12 batteries) était déployé sur un front de 7 kilomètres.

Apprenant vers 16 heures que des mouvements de troupes importants se produisent dans la région de Dammartin, il craint un nouveau mouvement enveloppant. Son offensive n'a donc plus d'utilité. Il a d'ailleurs engagé ses dernières réserves sur Saint-Soupplets (3e bataillon du 27e réserve.). En conséquence, il ordonne à la 7e division de réserve de ne pas dépasser la ligne Le Plessis-l'Évêque, Neufmontiers, et il envisage, la nuit venue, le repli de ses forces sur la Thérouanne. L'adversaire engage d'heure en heure de nouvelles réserves et à 18 heures, il s'agit pour le IVe corps de réserve de tenir sur place jusqu'à la nuit pour faciliter le décrochage. Les attaques en cours sur les bois de Saint-Soupplets, au nord, et de Penchard, au sud, en allégeant la pression ennemie permettront le repli sans difficultés.

L'ordre de retraite est donné à 17 h. 30 :

" L'ennemi battu ne devra pas être poursuivi au delà de la ligne Cuisy, Iverny. A la tombée de la nuit, le corps de réserve se repliera derrière la coupure dé la Thérouanne pour se soustraire à une menace d'enveloppement par le nord et pour sortir du rayon de la Place.

La 7e division de réserve de Saint-Soupplets sur la Ramée et de Plessis-l'Evêque sur l'ouest d'Étrepilly,

La 22e division de réserve de la ligne Iverny, Penchard vers la ligne Etrepilly, Gué à Tresmes.

Les positions seront renforcées au cours même de la nuit. Postes de surveillance sur la coupure de Thérouanne.

4e D. C. : Brégy.

Q. G. du C. A. : Puisieux.

VON GRONAU."

Ainsi, dès la tombée de la nuit, favorisé par un clair de lune magnifique, le IVe corps de réserve se retire vers l'est sans être accroché. La retraite est extrêmement pénible pour les troupes. La marche de nuit, s'ajoutant à celle du jour, les combats et la chaleur de la journée, le manque de sommeil et de nourriture, la retraite, tout contribue à éprouver le moral des troupes allemandes qui avaient approché Paris de si près.

 

D. - Le Ve corps de réserve se retire vers l'est.

 

Nous avons dit la confusion qui régnait dans les unités de première ligne allemande, vers 20 heures. Aussi l'ordre de retraite parviendra-t-il plus ou moins tard dans la nuit aux diverses unités. Certaines même seront oubliées et ce n'est que grâce à leur initiative qu'elles ne tomberont pas dans nos mains.

Devant Monthyon, où la situation est plus nette, le 66e de réserve est touché dès 20 h. 30. Par contre, certaines compagnies du 11e chasseurs (3e compagnie par exemple) ne connaissent la retraite qu'à minuit, ayant envoyé à tout hasard un officier à l'état-major de la division. La 2e compagnie (capitaine Conrad) n'est prévenue que le 6, à 1 h. 30, par l'intermédiaire du capitaine von Brandenstein, qui remplace le capitaine von Pritzelwitz, blessé à la tête du bataillon.

Les unités de la 13e brigade confondues dans le bois des Tillières éprouvent la plus grande peine de se décrocher. Quelques éléments égarés tombent dans nos lignes où nous les capturons.

La retraite se fait rapidement, sans ordre, toutes les unités sont mélangées dans leur marche rétrograde. L'artillerie se retire la première au début de la nuit.

Seules les 2e et 3e batteries du 22e d'artillerie, qui, ainsi que nous l'avons vu, sont à la ferme Fescheux où elles ont été mises à la disposition de la 7e division de réserve pour compenser son affaiblissement en artillerie, sont généreusement oubliées par cette dernière et ne se replient que vers 4 heures du matin.

Fait hélas fréquent à la guerre : les invités sont mis à la place d'honneur, généralement la moins enviable, puis l'heure du danger passée, on les oublie. Le capitaine Gschwind, commandant le détachement d'artillerie, relate ainsi l'odyssée de son repli :

" Dans la nuit, vers 1 h. 30 du matin, le capitaine von der Decken vint me rendre compte que dans le voisinage de notre position il n'y avait plus aucune de nos troupes. J'envoyais de suite une patrouille commandée par le lieutenant de réserve Waldhausen. Peu de temps après, celui-ci me fit connaître par un coureur qu'effectivement, en dehors d'une compagnie sanitaire, il n'y avait plus personne devant nous. J'alertais le détachement qui se mit en marche vers le N. E., direction par laquelle nous étions venus le jour précédent. Le ciel était clair et étoilé par bonheur, et, avec l'aide de la polaire, on put conserver cette direction générale.

" Soudain, le sous-officier Joseph, que la 3e batterie avait envoyé en patrouille vers l'avant, se présenta et déclara :

" A 300 mètres notre chemin aboutit dans un autre qui, aussi loin que je puis voir, est couvert de colonnes françaises en marche. " Montant sur le talus de la route, nous aperçûmes alors ces colonnes ennemies semblant se traîner. Nous distinguâmes nettement la silhouette penchée des hommes chargés et aux pantalons rouges très visibles. Devais-je faire ouvrir le feu dans le tas et sacrifier les batteries ou bien poursuivre inaperçu la retraite ? On se décida pour la deuxième solution. Les servants remontèrent rapidement et les deux batteries disparurent au trot vers la gauche à travers champs. "

Les incendies allumés çà et là sur les hauteurs de Penchard et de Monthyon, puis sur la Thérouanne à Douy-la-Ramée, près des points de passage, et à Barcy éclairent la retraite et constituent des points de repère. Les troupes étant, en général, dépourvues de cartes, des civils sont réquisitionnés pour servir de guides. L'infanterie se retire en hâte, par tous les chemins et même à travers champs. Les hommes sont harassés. En route depuis la veille à 3 heures du matin, ils ont marché et combattu sans arrêt et aucun ravitaillement ne leur est parvenu.

" A 5 heures, terriblement épuisés, note le capitaine Conrad, du 11e chasseurs, nous faisons la halte pendant 1 heure 1/2 en pleins champs et nous nous couchons sur les gerbes de blés. Quelques chasseurs affamés glanent dans les champs des racines de maïs et des betteraves qu'ils dévorent. Pendant la pause, un sous-officier me rend compte que la route de Trocy que nous suivons est coupée par les Anglais. Nous reprenons en hâte notre marche vers Étrepilly en faisant un détour par des fonds défilés. "

" Nous marchons depuis hier 4 heures sans repas, sans boisson, relate le lieutenant de réserve André du 71e de réserve. On titube comme des ivrognes. Les projecteurs des forts de Paris fouillent le ciel. On n'en peut plus. Le jour arrive. Nous avons de nombreux traînards. Le lieutenant Wagner décide de faire une pause en plein champs. Pendant que les hommes dorment, 2 officiers veillent. "

De son côté, le sous-officier Schäeffer, commandant le train de combat du 11e chasseurs à Monthyon relate ainsi la retraite pénible de son convoi :

" Lorsque je revins au T. C., j'appris qu'une grande partie des troupes s'étaient déjà retirées vers l'est et j'entrepris de reprendre contact avec mon bataillon. Dans l'obscurité, il ne me fut pas aisé de retrouver mon chemin. Quelques isolés rencontrés ne me donnèrent que des avis contradictoires sur la situation du bataillon. Comme je rejoignais le T. C., un officier d'ordonnance survint et m'apostropha grossièrement parce que je n'étais pas encore parti. Le repli devait avoir lieu en direction d'Étrepilly. La retraite vers ce point offrit d'énormes difficultés. La route était embouteillée par deux colonnes d'infanterie marchant côte à côte ; aussi j'éprouvais la plus grande peine à réunir aux caissons de munitions les cuisines roulantes se trouvant loin derrière et à incorporer ma colonne dans l'ordre de marche.

Ainsi, si les colonnes françaises avaient pu entamer la poursuite dans la nuit ou seulement au petit jour, elles auraient encore pu glaner dans la plaine de Chambry de nombreuses unités allemandes, à bout de force, affalées dans les champs de blé, dormant d'un sommeil invincible, ou capturer des batteries ou trains de combat attardés et plus ou moins égarés.

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