UN COMBAT DE RENCONTRE

LES 5 ET 6 SEPTEMBRE 1914 A LA 55e D. R.

CHAPITRE VII

LA SITUATION DEVANT MONTHYON A 17 HEURES

 

Il est 17 heures. De la hauteur de Tillières à Penchard, la lutte atteint son paroxysme. Dans les bois de Cuisy, les troupes de 55e et 56e D. R. luttent pied à pied, mais sont refoulées progressivement.

Dans la plaine de Plessis-l'Évêque à Villeroy, les Allemands, qui se renforcent, deviennent menaçants. Sur la croupe de Penchard, les Marocains débordés par le nombre se replient. L'instant est critique.

Examinons cette situation en détail en commençant par les voisins de la 55e division de réserve, ce qui nous permettra de mieux juger la position de la 110e brigade à ce moment.

 

A - Plessis-l'Évêque menacé par les Allemands (Voir croquis général n° 10).

Dans les bois au nord-est de Plessis-l'Évêque, le 5e bataillon du 276e (Compagnie Truillet et 1/2 compagnie Dessat, qui a été envoyée en renfort) s'est efforcé de gagner la route de Saint-Soupplets à Monthyon pour faire tomber ce dernier village par le nord. Il est étayé à sa gauche par 2 compagnies du 65e B. C: P. et 2 bataillons du 361e R. I. qui ont pour objectif Saint-Soupplets. Mais, ainsi que nous l'avons vu, la tentative d'attaque a échoué et nos troupes ont été refoulées dans le bois. Bientôt, après une violente préparation d'artillerie et d'infanterie, les Allemands prononcent à leur tour leur mouvement offensif. C'est l'attaque du général von Dressler qui se développe: A 15 h. 40, le lieutenant-colonel Lejeune, commandant le 276e, a dû rendre compte au général de Mainbray que, par suite de la violence du feu de l'artillerie allemande, il avait dû interrompre l'écoulement du reste du bataillon de Plessis-l'Évêque vers la corne sud-est du bois, et qu'il s'efforcerait de reprendre la progression aussitôt que possible. Mais l'ennemi ayant fait irruption dans le bois par la corne sud-est, il rend compte vers 17 h. 5 que " les compagnies qui sont dans le bois des Tillières, malgré l'appui du 65e B. C. P., battent lentement en retraite, et qu'il craint de lâcher Plessis-l'Évêque ", où il n'a d'ailleurs plus qu'une compagnie et demie. A sa gauche, le 361e. R. I., écrasé par la supériorité de l'adversaire, débordé par la progression ennemie dans la partie sud-est du bois, est également contraint de reculer jusqu'à la route de Saint-Soupplets à Cuisy. Ses cadres sont décimés. De tous côtés filtrent dans le sous-bois de nouvelles forces feldgrau.

Le général de Dartein, commandant la 56e division de réserve, a poussé le 69e B. C: P. de Montgé sur Cuisy et vers la partie sud-est du bois pour la dégager; mais le mouvement de cette unité est très lent dans le bois et dans les vergers, et les chasseurs n'arrivent pas à temps pour faire sentir utilement leur action:

B. - La contre-attaque de la 22e division de réserve hessoise (Voir panorama n° 9).

Nous avons laissé les Marocains à 14 heures au moment où, emporté par son ardeur, le bataillon d'Ivry, passant au sud de Neufmontiers, s'est lancé à l'attaque de Penchard et l'a presque atteint, tandis que les autres bataillons sont arrêtés devant le bois de la cote 164 dans lequel ils ne peuvent pénétrer.

Le bataillon d'Ivry traverse Penchard, mais se heurte à l'ennemi au débouché est du village; cependant quelques sections ont réussi à pénétrer dans le bois du Télégraphe et menacent les défenseurs de la corne ouest.

Du côté allemand, à cet instant, la plus vive inquiétude règne. Au moment où le tabor marocain atteint Penchard, le gros de la 44e brigade hessoise est encore à plus d'un kilomètre de la localité (La 32e réserve (1er et 2e bataillons) était à ce moment à la lisière nord du bois au nord d'Automne en réserve. Le général von Gronau inquiet des événements de Penchard avait également mis à la disposition du général Riemann le II/27 réserve de C. A. vers Mansigny et lui avait prescrit de rétablir la situation vers Penchard.). Il n'y a donc personne pour le contenir. Le colonel von Oertzen, commandant le 22e d'artillerie, prescrit au groupe II/22 en position à Automne de prendre sous son feu la lisière est du village et pousse la 6e batterie au delà du village afin d'accueillir de près nos Marocains. Mais au moment où les canons vont se mettre en batterie, nos indigènes apparaissent et ouvrent le feu sur la batterie. Accompagnée de fusants et de balles, la batterie Rassmüssen se replie rapidement et cherche a s'établir à hauteur du reste de son groupe. Il est temps, Penchard est enlevé et les Marocains marchent résolument sur cette artillerie. La route de Chambry est encombrée par une longue file de voitures du train de combat de la division et de colonnes de ravitaillement d'artillerie au milieu des- quelles la panique se met. Le major von Anvers, commandant le II/22, fait ouvrir le feu à mitraille par la 6e batterie sur les Marocains du capitaine d'Ivry, qui subissent de lourdes pertes, tandis que la 44e brigade s'avance au pas de charge (Le II/32 enlève la corne est du bois de Penchard. Le I/32 se glissant entre Penchard et la lisière est du bois marche sur Chauconin. Le III/32 et le II/27 débordent Penchard par l'est et se portent sur Chauconin.).

L'artillerie allemande parvient à mettre le feu à Penchard par obus incendiaires et une violente bataille de rues se développe. Puis accablés par le nombre, privés d'officiers et insuffisamment soutenus par leur artillerie, qui trop souvent, hélas ! tire sur eux, et a par ailleurs elle-même éprouvé des pertes sensibles, - les Marocains se replient en combattant sur Neufmontiers.

Le 82e de réserve contre-attaque en masse par le bois du Télégraphe sur Neufmontiers, le 3e bataillon du 32e de réserve enlève Penchard et marche sur Chauconin, appuyé par le II/27 et le 1er chasseurs à cheval couvrant le mouvement vers Crégy. Neufmontiers est évacué.

Les efforts héroïques des Marocains, mal appuyés par une artillerie insuffisante, ont été meurtriers et vains.

C. - L'ordre donné au 231e R. I. de soutenir le 246e R. I. ne lui parvient pas.

 

Revenons maintenant à la 110e brigade.

Devant Iverny, les Saxons deviennent de plus en plus mordants. Le village est fortement attaqué par le feu. A 14 heures le général de Mainbray, sentant la pression ennemie augmenter et ne voyant pas le gros de division intervenir, a envoyé le lieutenant Whitecomb de son état-major au Plessis-aux-Bois avec ordre de prescrire au lieutenant-colonel Renard, commandant le 231e R. I., d'envoyer d'urgence un bataillon en renfort. Le lieutenant Whitecomb se hâte, mais au moment de sortir d'Iverny, une salve d'artillerie l'encadre et il tombe tué raide. L'ordre ne parvient pas à destination et jusqu'à 17 h. 30, le 246e R. I. supporte seul le combat.

Vers 16 heures, le général de Mainbray s'inquiète de la situation : le 246e et le 6/276e combattent depuis trois heures sans soutien. Le 231e R. I. n'arrive toujours pas. A 15 h. 40, le général commandant la brigade lui a réitéré son appel.

Le 5/276e (Bonnet) devait marcher sur Penchard. On ne sait ce qu'il est devenu. Ordre lui est renouvelé de poursuivre son attaque.

Un compte rendu de la situation a été envoyé au général Leguay, mais la 109e brigade ne donne toujours pas signe de vie. Le général de Mainbray a l'impression d'être abandonné.

D. - Le 5/276e se sacrifie devant Villeroy pour permettre aux Marocains de se dégager.

 

Mais, vers 16 h. 10, ébranlés par le repli du bataillon d'Ivry, les Marocains commencent à fléchir à la droite du 246e, l'aile droite de ce régiment qui s'étend jusqu'à 1.200 mètres au sud-est d'Iverny, fortement pressée par les Saxons (I/66 et III/66e réserve.), est en grand danger d'être tournée par les Hessois (11e B. C. P. réserve, III/71 réserve, et tout le 82e réserve.) débouchant du bois du Télégraphe. Cependant, elle tient encore.

Le général Ditte, commandant la brigade marocaine, a engagé ses 5 bataillons. Il ne dispose plus d'aucune réserve. Or, devant Villeroy, les troupes du détachement du lieutenant-colonel von Finckenstein (11e chasseurs et , III/71e) encouragées par le commencement de repli des tabors, ont repris leur progression et vont bientôt atteindre le ru du Rutel : la liaison déjà précaire avec la 55e division de réserve va être rompue, et si rien ne vient endiguer le flot, Villeroy et l'artillerie vont être enlevés. Dès 15 h. 45, le général Ditte avait déjà demandé au général commandant la 55e division de réserve l'appui de sa division vers Villeroy. Le général Leguay lui avait envoyé la 29e batterie du 45e R. A. C. qui s'était mise en batterie sur la crête au nord-est de Charny puis le groupe du 30e R. A. C. stationné à Vinantes. Celui-ci s'était installé vers 16 h. 30 au sud-ouest de Villeroy et intervenait efficacement vers Neufmontiers et le bois du Télégraphe; puis le 5e bataillon du 276e arrêté à la lisière nord de Villeroy touché par l'ordre du général de Mainbray avait été porté en avant vers 16 h. 15 en direction du bois du Télégraphe pour assurer la soudure entre la 110e brigade et les Marocains.

A 16 h. 30, ce bataillon déploie 3 compagnies, 17e au nord, en liaison avec le 246e R. I. ; 18e (capitaine Lemesle) au centre; 19e (capitaine Guérin) à droite, point de direction de cette compagnie : la cote 107. La 20e compagnie (capitaine Huguin) reçoit pour mission de contourner Villeroy, de rechercher la liaison avec les Marocains et de couvrir le groupe du 30e R. A. C.

Le bataillon Bonnet se porte magnifiquement à l'attaque. La première partie de la progression de Villeroy jusqu'à la route d'Iverny à la cote 107 (800 mètres est de Villeroy) s'effectue facilement. Le terrain d'approche du bataillon est extrêmement dénudé, cependant il est en partie inaccessible au feu de l'infanterie ennemie tapie dans le vallon du Rutel. A 16 h. 45, le bataillon atteint la route. L'artillerie de la 22e division de réserve est à ce moment en cours de déplacement pour appuyer la progression au delà de Neufmontiers, celle de la 7e division de réserve à Monthyon est anéantie, aussi aucun coup de canon ne vient troubler ce début d'attaque. Par contre, la nôtre redouble de violence. Mais en atteignant la route, les réservistes tombent dans la zone de feu des Saxons et des Hessois. Les mitrailleuses des 72e et 94e de réserve allemands crépitent. Nos soldats se terrent dans les fossés de la route d'Iverny et ouvrent le feu. Cependant, le bruit se répand sur la ligne qu'il est interdit de tirer, les Marocains étant devant. Aussi le moral se ressent-il de cette situation. Les pertes augmentent sur la ligne de feu. Les Allemands dissimulés dans les bouquets d'arbres du vallon sont invisibles.

Tout à coup, vers 17 heures, paraît sur le terrain d'attaque un officier d'état-major, enveloppé dans un vaste burnous. C'est le lieutenant Marché de l'état-major du général Ditte. Il monte une superbe jument arabe et est envoyé par son général pour exhorter le 5e bataillon du 276e à poursuivre son mouvement en avant. Sous le poids conjugué des attaques du détachement de la 14e brigade saxonne et de la 44e brigade hessoise, la brigade marocaine se replie en hâte sur Charny. Il faut à tout prix contenir le flot allemand pour faciliter le repli des tabors. Le lieutenant Marché, bravant la mitraille qui redouble de violence, passe successivement de compagnie à compagnie et les pousse en avant.

Le capitaine Guérin (19e compagnie) est un brave. Gravement blessé au Maroc en 1913, il marche péniblement appuyé sur une canne. Pendant toute la lutte, méprisant la mitraille, il est resté debout au milieu de ses hommes pour les galvaniser. A peine l'ordre du lieutenant Marché lui a-t-il été communiqué qu'il enlève sa compagnie et la porte en avant, en la maintenant à l'alignement. Les champs d'avoine, non coupés par place, paralysent la course. La compagnie progresse en vagues épaisses. Les hommes sont au coude à coude. Les mitrailleuses ennemies passent inlassablement leurs trajectoires meurtrières sur ces braves qui se sacrifient. Le capitaine Guérin s'effondre foudroyé. Le lieutenant de la Cornillère, ganté de blanc, très crâne s'efforce d'entraîner les réservistes qui privés, de leur capitaine, et décimés, hésitent à poursuivre leur course sur le glacis sans abri. Leurs pantalons rouges constituent de magnifiques cibles sur les javelles dorées. Le lieutenant de la Cornillère tombe à son tour, frappé à mort. La terrible moisson se poursuit. Dispersés derrière les mottes de terre, dans les plants de betteraves, sans abri, sans sacs protecteurs pour beaucoup, les soldats,. contraints de s'arrêter, ouvrent le feu au jugé vers les fonds du Rûtel. Les cartouchières sont presque vides et aucun ravitaillement n'est possible. Le lieutenant Ch. Peguy, l'illustre poète de " Jeanne d'Arc ", debout, la barbe au vent, indique flegmatiquement les hausses : une balle au front l'étend à terre. La 19e compagnie est presque anéantie.

A sa droite, la 20e compagnie déployée au sud de la cote 107 marche résolument à l'ennemi et bientôt se trouve en flèche.

Le capitaine Huguin s'effondre à son tour, percé de trois balles. Ses hommes commencent à se replier, menacés d'enveloppement par les chasseurs allemands aux shakos verdâtres. Le lieutenant Courtier s'efforce de les rameuter. Il est rejoint par le lieutenant Marché dont le cheval vient de s'abattre et qui audacieusement s'est porté sur la ligne de feu. Tous deux explorent du regard les lisières du bois du Télégraphe, d'où débouche en masse la contre-attaque du 82e régiment allemand. Les balles claquent de tous côtés, venant du nord de la 14e brigade allemande progressant vers Iverny et, de l'est, de la 43e brigade hessoise qui marche sur Villeroy. Courtier s'affale soudain, grièvement touché. Le lieutenant Marché prend alors le commandement et aux cris de " En avant " entraîne son entourage, mais à son tour la mort le fauche, tandis que les Allemands débouchant d'un pli de terrain capturent les débris héroïques de cette compagnie qui se sacrifie pour aider les Marocains.

Plus au nord, la compagnie Lemesle (18e compagnie) s'est également portée en avant, mais elle ne peut aller loin. Le terrain absolument nu est battu par des feux de flanquement et les pertes sont sérieuses.

L'attaque mollit. Le 5/276e s'est heurté à un mur de feu. Son sacrifice a détourné la menace allemande contre les Marocains et a permis au 246e de commencer son repli sans être trop pressé.

Le commandant Bonnet ordonne aux débris du bataillon de se replier sur Villeroy, où ils s'enferment avec des éléments du 1er marocain.

 

E. - Le 246e R.I., menacé d'enveloppement, reçoit l'ordre de se replier d'Iverny.

 

Ainsi, vers 17 heures, la situation est-elle sérieuse autour d'Iverny.

Le général de Mainbray apprend qu'à droite du 246e R.I., les Marocains sont en retraite. L'attaque du 5e bataillon du 276e a à peine progressé et les observateurs du général signalent que ses débris se replient en hâte sur Villeroy.

Vers le sud-est, à l'horizon, Chauconin et Penchard flambent, d'épaisses colonnes de fumée noirâtre s'élèvent de ce côté dans le ciel rougeoyant. La fusillade pétille vivement à l'ouest du bois de Penchard et on voit les Allemands sortir du bois en masse.Les nouvelles de la gauche ne sont pas meilleures. Le lieutenant-colonel Lejeune signale du Plessis-l'Évêque que les Allemands progressent sous bois et que le village va être débordé.Enfin, le bataillon Brun, du 246e, fait de sérieuse pertes sur la route de Neufmontiers par le fait de mitrailleuses du 94e hessois qui, placées sur la route de Neufmontiers à Iverny, à 1.200 mètres au sud-est de ce village, enfilent la route sur laquelle les 18e et 20e compagnies sont accrochées.Le 231e R. I., appelé depuis 14 heures en renfort, n'apparaît toujours pas et le gros de la division n'intervient pas. Le général commandant la 110e brigade expédie alors le capitaine Renault de son état-major au général Leguay pour lui exposer la situation.Puis, craignant que le 246e soit bientôt enveloppé, il prescrit vers 17 heures au lieutenant-colonel Chaulet de retirer son régiment sur la ligne La Baste, La Trace.Le mouvement s'exécute en ordre parfait malgré le feu des infanteries saxonne et hessoise et la ligne de combat du 246e va atteindre son objectif de repli, lorsque le 231e R. I., enfin touché par les appels du général de Mainbray, débouche de La Baste et marche sur Iverny.Le capitaine Renault s'est porté au galop sur La Baste et Le Plessis-sous-Bois où il rencontre vers 17 heures un bataillon du 289e R. I. (109e brigade) qui arrive à travers champs, puis le général Leguay à cheval, suivi de son état-major (lieutenant-colonel Largillier et capitaine Chardigny). A la suite de l'exposé de l'officier d'état-major de la 110e brigade, l'intervention de la 109e brigade est décidée.

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