UN COMBAT DE RENCONTRE

LES 5 ET 6 SEPTEMBRE 1914 A LA 55e D. R.

CHAPITRE III

LA RENCONTRE

 

La situation vers 12 heures (Voir croquis n° 3).

a) L'avant-garde de la 55e division de réserve à Iverny.

 

Vers 12 h. environ, après avoir exploré Iverny, le 246e R. I., qui marche à l'avant-garde, s'arrête dans le village. Du peloton du 32e dragons qui battait l'estrade devant le 5e bataillon, toujours aucune nouvelle. Depuis ce matin, 5 heures, les hommes n'ont rien dans l'estomac, le soleil est au zénith, la température est étouffante. Dès l'arrivée dans la localité, les hommes se sont précipités aux fontaines, certains plongent leur tête dans les abreuvoirs.

Le lieutenant-colonel Chaulet, commandant le 246e R. I., estime qu'avant de lancer l'avant-garde sur Monthyon il est absolument nécessaire de faire une pause un peu prolongée. Cela permettra aux éclaireurs montés de recueillir des renseignements sur la butte de Monthyon qui se dresse, à 4 kilomètres, estompée dans une sorte de brume provoquée par la chaleur (Voir aussi croquis panoramique n° 4). On ne peut, en effet, songer à lancer ainsi une colonne importante sur ce plateau dénudé sans savoir ce qui se passe sur la hauteur. Par ailleurs, on pourra rapidement faire le café et dans une demi-heure, les réservistes réconfortés et reposés reprendront plus allégrement leur marche vers l'objectif final.

Le bataillon Brun (5e) s'allonge- ainsi dans la rue sud-est du village. La compagnie Tournié (18e) qui constituait la pointe de l'avant-garde, est arrêtée à la sortie sud-est; ses premiers éléments sont engagés sur la route de Monthyon. Des sentinelles gardent les faisceaux et surveillent la plaine.

La 20e compagnie (capitaine L. Michel) et la 17e compagnie (lieutenant Martin) s'étendent entre le carrefour est d'Iverny et le carrefour de l'église. La compagnie Leboeuf (19e) est à proximité de l'église.

Le 6e bataillon (capitaine Robinet), qui vient d'arriver, occupe les ombrages de la partie ouest du village, autour du château.

Le colonel Chaulet et le commandant Brun, postés dans une ruelle qui se dirige d'Iverny vers la corne sud-est du bois des Tillières, scrutent à la jumelle le vallon du ru de la Sorcière. Tout a l'air paisible. L'air chaud s'élève en vapeur des lignes de peupliers jalonnant, de ci de là, la plaine.

Ils sont bientôt rejoints par le général de Mainbray, commandant la 110e brigade, et l'on s'entretient de la situation. On commente l'ordre du général de Lamaze : la journée de demain, sera sans doute rude. Tout le monde sent l'importance de la partie qui va s'engager : il faudra coûte que coûte arracher la victoire aux Allemands.

Le général annonce qu'il a fait dire au commandant du groupe du 13e R. A. C. de se remettre aux ordres de l'avant-garde.

Le groupe de 75 vient d'ailleurs d'arriver à Iverny où il stationne à l'ombre, pièces attelées, prêt à suivre l'avant-garde.

 

b) Le gros de la 110e brigade atteint ses cantonnements.

 

Pendant ce temps, le gros de la brigade est sur le point d'atteindre ses cantonnements de fin de marche, à l'exception de quelques éléments qui attendent que l'avant-garde ait évacué Iverny pour s'y établir.

Au 276e R. I., le 6e bataillon (commandant Batistelli) est arrêté dans le chemin creux au nord de La Baste. Il doit aller cantonner au Plessis-l'Évêque avec 2 compagnies du 5e bataillon, mais l'arrêt intempestif de l'avant-garde a forcé toute la colonne à stopper. Que se passe-t-il ? Des agents de liaison ont été expédiés à Iverny s'enquérir de la cause de cette interruption de la progression, d'autant plus étonnante que tout à l'air calme. Dès le retour de ces messagers, le lieutenant-colonel Lejeune, satisfait de savoir que cette pause n'est pas due à l'ennemi, expédie les campements sur le gîte d'étape pour préparer le cantonnement et ses deux bataillons font, en attendant, la grand halte sur place.

Le 5e bataillon (commandant Bonnet) s'est installé dans un petit sentier bordé d'arbustes entre La Trace et La Baste. Ordre est donné de faire la soupe. Les faisceaux sont formés, de nombreux hommes se mettent en bras de chemise. Dans les escouades, on se lance à la recherche de bois mort, des feux de bivouac vont s'allumer çà et là.

Le 6e bataillon du 231e R. I. est arrivé au Plessis-aux-Bois, son cantonnement, à 12 h. 20. Le 5e bataillon est encore vers Nantouillet et marche sur Le-Plessis-aux-Bois. Il formait l'arrière-garde de la brigade, ayant été relevé le dernier des avant-postes dans la région de Moussy-le-Neuf. Cependant une de ses compagnies, celle qui était en réserve d'avant-postes, est déjà dans le cantonnement et prépare l'installation du reste au bataillon.

Le village est ombragé. Il n'offre pas de grandes ressources, mais tout le monde est heureux à la pensée d'y goûter un bon repos.

Le groupe du 45e R. A. C., qui marchait dans le gros de la colonne entre les 6e et 5e bataillons du 276e, vient de traverser La Baste, s'apprêtant à y laisser une batterie qui doit normalement y cantonner. Le reste du groupe (Ce groupe du 45e R. A. C., commandé par le chef d'escadron Dutertre marchait dans l'ordre suivant : 29e batterie (capitaine Bernard), 27e (capitaine Jocard), 28e (capitaine Schwend).) attend que la route soit dégagée par l'infanterie pour gagner Iverny, son stationnement. Le campement opère déjà dans la localité et prépare l'installation de deux batteries dans la partie ouest du village.

Tandis que le général de Mainbray étudie la situation avec le colonel Chaulet à Iverny, le lieutenant Whitcomb de son état-major, et des dragons de son escorte se présentent au maire au Plessis-l'Évêque et lui demandent de préparer pour ce soir le logement du général.

Ainsi à la 110e brigade, tout se présente bien. Dans une heure presque tout le monde sera restauré et reposé et aura gagné ses cantonnements.

 

c) La 109e brigade s'installe.

 

La 109e brigade est presque entièrement dans la zone de stationnement prévue pour la nuit du 5 au 6.

Le général Arrivet et le général Leguay déjeunent à Nantouillet, poste de commandement, après avoir admiré les vestiges imposants de l'ancien château du cardinal Duprat, ex-chancelier de François Ier, aménagé maintenant en ferme et occupé, en partie, par le 289e R. I. Le régiment vient d'arriver et se montre enchanté du cantonnement. Devant la mairie, est planté le fanion du général commandant la 55e division.

Le 282e R. I. ainsi que le groupe du 30e R. A. C. qui marche avec lui, sont à Vinantes où ils logent. Les artilleurs détèlent les chevaux et les conduisent dans le ru de l'Abime et au lavoir. L'eau est bienvenue pour tous.

Le 204e R. I., par contre, a reçu l'ordre de se porter de Compans sur Trois-Villes, où il sera à proximité du Quartier général du général de Lamaze et plus près du gros de la 109e brigade.

 

d) Les Marocains progressent vers Penchard.

 

A droite de la 55e division de réserve, la brigade marocaine doit également, en exécution d'un ordre particulier du général de Lamaze reçu à 11 heures, atteindre Penchard au lieu de Charny, avec son avant-garde. Vers 12 heures, elle marche vers l'objectif, avec le 1er régiment de chasseurs indigènes en deuxième échelon, et traîne derrière elle son train de combat composé en grande partie d'arabas pittoresques attelées de mules et conduites par des convoyeurs aux uniformes étranges. De la sortie sud d'Iverny, on voit nettement les chasseurs kakis enturbannés du 1er bataillon du 2e marocain de l'avant-garde qui s'engagent en colonne de route précédés d'éclaireurs montés, burnous au vent sur la route de Villeroy à Neufmoutiers.

 

e) L'avant-garde de la 56e division de réserve marche sur Saint-Soupplets.

 

A gauche de la 55e division de réserve, la 56e D. R. a également reçu vers 11 heures un ordre analogue du général de Lamaze. Elle doit pousser son avant-garde sur Saint-Soupplets et la tête de son gros sur Montgé. Vers 12 heures, ces mouvements sont en cours d'exécution : l'avant-garde (361e R. I.) (lieutenant-colonel Saint-Agnès), 65e B. C. P. (commandant Rousselot) et groupe du 30e R. A. C. (commandant Vidal), s'enfonce dans le bois des Tillières et ses premiers éléments d'infanterie vont bientôt atteindre Saint-Soupplets. Le reste de la 112e brigade, composé du 350e R. I. (lieutenant-colonel de Certain), du 69e B. C. P. et d'un groupe du 25e R. A. C. (commandant Baratier), stationne à l'entrée ouest de Montgé sur une route sans ombrage, pendant qu'on prépare le cantonnement.

Le reste de la division est installé à Juilly et à Saint-Mard (111e brigade). Le général de Dartein a déjeuné tranquillement à Juilly, son quartier général, puis, accompagné de son chef d'état-major, le lieutenant-colonel Roux, de son commandant d'artillerie divisionnaire, le lieutenant-colonel Bunoust et de ses commandants de brigade, il se rend à Thieux, où le commandant Maison, de l'état-major de la 6e armée, doit leur communiquer les dernières instructions pour le 6 et leur faire une conférence sur l'emploi de l'artillerie au cours du passage de l'Ourcq.

Le général Cornille, commandant la 112e brigade, a donc remis le commandement de la brigade au lieutenant-colonel de Certain. Ainsi, tout respire la quiétude. L'ennemi est invisible.

Le Haut Commandement est d'ailleurs optimiste. La journée du 5 s'annonce sans histoires. Une reconnaissance de cavalerie du lieutenant de Large, de la brigade de cavalerie Gillet, a rendu compte de la ferme Chaillouet, au sud de Penchard, à 7 h. 15, que la région comprise entre la Marne au sud et la ligne Saint-Mesmes, Villeroy, Neufmontiers, Penchard au nord était absolument libre d'ennemis.

Le seul avion disponible ce jour-là à l'armée, envoyé en reconnaissance dans la région Meaux, Lizy-sur-Ourcq, n'est pas rentré (Cet avion avait été abattu par les Allemands à Varreddes et son pilote tué.), mais peut-être a-t-il eu une panne ?

A 12 heures, le général de Lamaze, devançant la réalité, rend compte au général commandant la 6e armée du dispositif de stationnement du groupe de divisions de réserve en fin de journée.

Les avant-postes, d'après ce compte rendu, sont déjà installés sur la ligne générale Crégy, Pringy, Gesvres, Forfry et cependant ils en sont encore à une heure de marche. Ils n'atteindront pas cette ligne le 5 au soir, parce que l'Allemand va prendre la parole.

La surprise

 

Vers 12 h. 30, le combat s'allume par surprise à Iverny (Voir croquis n°8, et panorama n° 4).

Revenons à l'avant-garde de la 55e division de réserve que nous avons laissée à Iverny, préparant le café avant de reprendre sa marche sur Monthyon.

Le village est presque abandonné par la population. Quelques rares habitants, parmi lesquels M. Brouet, conseiller municipal faisant fonctions de maire, ce dernier ayant été mobilisé, se prodiguent en soins pour nos soldats. Café, cidre, fruits, pain sont distribués généreusement. Les conversations vont leur train. M. Brouet relate qu'hier un enfant qui se rendait à Neufmontiers avait été interpellé par une patrouille de cavaliers se disant Anglais et qui lui avaient demandé où étaient " les Germains " puis s'il savait où étaient passés leurs camarades anglais. Ces patrouilleurs étaient en réalité des cuirassiers allemands qui n'avaient osé traverser le village. On craint donc fort la venue des " Alboches ". Dans une petite ferme de la localité, le capitaine Michel s'entretient avec ses hôtes; de funestes pressentiments l'envahissent et ému, il leur montre la photographie de ses enfants qu'il regardera pour la dernière fois.

Le village présente une vive animation; par ci, par là pétillent les feux de bivouacs, dans les ruelles ombragées ou au bord des routes. Des fourriers vont et viennent et préparent le cantonnement du 276e. A l'entrée ouest d'Iverny, voici le groupe du 45e R. A. C. qui pénètre dans la localité où il doit loger. A 12 h. 30, la 18e compagnie du 246e s'apprête à reprendre sa marche sur Monthyon. Ses patrouilleurs décollent sur la route de Monthyon, les campements suivent.

 

Soudain, des détonations ébranlent l'atmosphère, bientôt suivies de nouvelles salves. Tout le monde se regarde étonné ! Des obus viennent d'éclater sur le village !

La bataille de l'Ourcq est déclenchée:

Les premiers projectiles sont tombés en plein sur la batterie de tête du 45e R. A. C. (29e batterie (capitaine Bernard )) arrivant paisiblement dans le village.

 

 

La première pièce est touchée, une toiture à proximité s'effondre. De nouvelles salves suivent, une mercerie s'enflamme; la panique se met dans le village. Des coups de corne et de sifflet rappellent les troupes aux faisceaux. Des cris, des appels, des commandements s'entrecroisent. En hâte, les compagnies se rassemblent : si l'artillerie ennemie ouvre le feu, l'infanterie ne doit pas être loin. Il faut agir.

Les capitaines Michel et Tournié qui venaient précisément de rassembler leurs compagnies, prennent instinctivement l'initiative de se porter à l'ennemi. En tête, la 18e compagnie (Tournié), qui constituait la tête d'avant-garde et qui avait déjà mis en marche ses patrouilles de pointe, suivie de la 20e compagnie (Michel) gagnent au pas gymnastique la sortie sud-est du village et se portent vers Monthyon. Les hommes progressent un par un en suivant les fossés de la route. A peine débouchent-ils du village que les balles claquent à leurs oreilles. L'infanterie ennemie semble très rapprochée, mais elle est invisible. C'est la surprise complète.

Le capitaine Michel; méprisant le danger, stationne debout sur la route, et active les hommes qui s'attardent.

Quelques réservistes tombent. Scrutant de sa jumelle les fonds du ravin de la Sorcière, il cherche à y déceler les Allemands.

En voici à 800 ou 900 mètres, tapis sur les pentes est du ru. D'antres débouchent en colonne par 4 de la partie centrale de Monthyon et se déploient derrière les haies du chemin de terre qui entoure le village.

Du doigt, le commandant de compagnie indique à ses hommes l'objectif à battre, lorsqu'une salve de 77 éclate. Le capitaine L. Michel s'effondre, frappé à mort d'une balle de fusant à la tempe (Le capitaine L. Michel, tué glorieusement à Iverny, était le père de l'auteur de la présente étude. Sa magnifique attitude le 5 septembre 1914 lui valut la citation suivante de la part du général commandant la VIe armée :

" Conduisant sa compagnie au feu, a été frappé à mort au moment où, seul, debout au milieu de ses hommes, afin de leur donner confiance, il leur expliquait dans le plus grand calme la direction à suivre, le but à atteindre. ").

En arrivant au carrefour de la Croix-Blanche, à 200 mètres d'Iverny, la compagnie Tournié est assaillie par une mitrailleuse qui enfile la route de Monthyon. La progression dans cette direction est impossible, les pertes deviennent sensibles, aussi le commandant de compagnie pousse ses hommes sur la route de Neufmontiers d'où l'on couvrira au moins les abords sud d'Iverny. Le sous-lieutenant Bertrand, jeune Saint-Cyrien, et le sergent Bessières, excellent sous-officier, poussent énergiquement leurs hommes en avant et, petit à petit, un front défensif s'organise.

Pendant ce temps, dès les premières manifestations de l'ennemi, le général de Mainbray et le lieutenant-colonel Chaulet se sont reportés rapidement à la lisière est du village et à la jumelle explorent le terrain. On aperçoit nettement sur la crête au nord-ouest de Monthyon quelques cavaliers allemands qui galopent, puis une forte colonne d'infanterie et d'artillerie ennemie qui débouche du village et atteint l'Hôpital à 500 mètres au sud de Monthyon, où déjà quelques pièces de 77 sont en action.

En même temps, ils découvrent à travers un rideau de peupliers entre Monthyon et la corne sud-est du bois des Tillières, des lueurs de départ de coups de canon. Une batterie tire dans la direction de Cuisy tandis qu'au loin une fusillade pétille au delà du bois vers Saint-Soupplets.

Il n'y a pas de doute, les Allemands attaquent et l'affaire s'annonce chaude.

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