LA BATAILLE DES MARAIS DE SAINT-GOND VUE PAR HENRI ISSELIN

6 septembre

Entre l'aile gauche française qui mène une action en tenaille contre les Ire et IIe armées allemandes, et l'aile droite qui soutient l'assaut des Princes, la 9e armée du général Foch doit, nous le savons, maintenir un lien solide et assurer la continuité du front français dont elle occupe le centre.

Le terrain sur lequel les soldats de Foch vont se battre " sans esprit de recul " offre des aspects variés, assurant à ses défenseurs des possibilités de résistance très inégales. A l'ouest, une série de hauteurs boisées bordent la rive sud du Petit Morin et constituent de bonnes positions. An centre, une zone marécageuse, longue de 15 kilomètres, large de 3, les marais de Saint-Gond à peu près inconnus jusqu'alors et dont le nom va entrer dans l'Histoire. Les marais sont des tourbières " où l'on enfonce en tout temps ". L'ardeur de l'été les a quelque peu asséchés. Dans l'état où ils se présentent ce 6 septembre, un piéton peut s'y déplacer en sautant de motte en motte avec le risque de choir dans un trou resté humide et s'y enliser jusqu'aux genoux. Quant aux véhicules et à l'artillerie, ils ne peuvent les traverser qu'en empruntant quatre chaussées fort étroites qu'il est facile de contrôler et dont une défense efficace peut interdire l'utilisation. En définitive, un assaillant venant du nord rencontre là un obstacle sérieux.

Hauteurs boisées et marais vont permettre à Foch " d'économiser " des hommes qui lui seront fort utiles pour garnir la partie orientale du front. Ici, ni collines, ni tourbières, rien que la plaine champenoise " plate, monotone, crayeuse et sèche ". Les quelques rivières qui y coulent, des ruisseaux plutôt, s'ils ne sont pas taris peuvent être aisément franchis en tous points.

Des bois de pins mettent une tache sombre sur le sol blanchâtre et les habitations sont serrées autour des points d'eau. Dans tout ce secteur, on ne trouve ni relief, ni couvert susceptibles d'assurer aux défenseurs une position favorable. Rien qui permette de " s'accrocher " en un point plus qu'en un antre. Il est juste d'observer que rien non plus ne favorise les assaillants contraints de progresser en terrain découvert sans défilements possibles.

Pour tenir ce front, Foch dispose de deux corps d'armée auxquels s'ajoutent deux divisions d'infanterie et une de cavalerie. La 42e division d'infanterie, unité d'élite, que commande le général Grossetti, tient, à l'extrême gauche, les massifs boisés de La Villeneuve et de Montgivroux. Entre Mondement et les abords de Fère-Champenoise, s'est établi le 9e C. A. (général Dubois) qui surveille le débouché sud des marais. Enfin, le 11e corps d'armée, sous les ordres du général Eydoux, s'est installé sur le cours de la Somme, mince rivière coulant dans un fossé large de quelques dizaines de mètres où poussent roseaux et peupliers. Dans la plaine champenoise unie et plate, c'est le seul accident de terrain notable. Des villages aux maisons minuscules, Ecury, Normée, Lenharrée, Vassimont, jalonnent le cours de la Somme, offrant un abri possible aux soldats du 11e corps et des objectifs tout indiqués aux tirs des artilleurs de von Hausen.

A droite du 11e C. A. s'installera la 60e D.R. Enfin, la 9e division de cavalerie s'efforce d'occuper les solitudes du camp de Mailly. Au delà, plus rien, le vide. Les premiers soldats de l'armée Langle de Cary sont bien plus loin, vers l'est.

Les troupes de Foch ont été durement éprouvées par la retraite. Certaines unités ont subi des pertes sévères; beaucoup d'officiers ont été tués. Un régiment, le 65e R.I., a perdu tous ses officiers supérieurs. Le plus élevé en grade des survivants est un capitaine. Le 118e R. I. n'a plus qu'un commandant. " Quelle pagaille ! quelle purée ! " avait murmuré quelques jours plus tôt le général Dubois, chef du 9e corps, voyant passer ses soldats devant lui. " Le spectacle était effrayant, rangs mélangés... allure traînante... Les hommes hâves, déguenillés, la plupart sans havresac, plusieurs sans fusil, quelques-uns marchant péniblement, appuyés sur des bâtons et semblant sur le point de succomber au sommeil. "

Le général avait d'ailleurs ajouté : " Oui, mais ce sont des Français. Deux ou trois jours de repos... peut-être moins, un peu de sommeil, du ravitaillement et il n'y paraîtra plus. "

A cette armée harassée, Joffre n'a assigné qu'une tâche raisonnable : tenir, en gardant le contact avec ses voisins. Pour y parvenir, Foch va, inlassablement, exhorter ses hommes à l'offensive. Peuvent-ils progresser réellement ? Foch n'y croit guère mais, en tendant vers l'avant la volonté des soldats, il écarte de leur esprit toute idée de retraite. La " volonté de vaincre ", le " ressort moral ", jamais Foch ne trouvera une meilleure occasion d'en utiliser les ressources et d'appliquer les principes qu'il avait lui-même professés à l'Ecole de Guerre. Il va effectivement s'y employer. A ses généraux, accablés par l'âpreté de la lutte, l'état d'épuisement de leurs hommes, la maigreur des effectifs et qui demandent à rompre un combat qu'ils croient perdu, Foch oppose un refus catégorique et persistant, refus qui s'exprime en phrases brusques, hachées, proférées d'un ton tranchant, ponctuées des gesticulations habituelles : " Attaquez ! Cramponnez-vous au terrain ! Tenez ! Vous n'avez rien d'autre à faire. "

On pouvait toutefois se demander si l'énergie verbale et le refus de battre en retraite suffiraient à maintenir un front assez fragile, surtout à l'aile droite où le " malheureux 11e corps ", l'unité la plus malmenée de toutes, défend un secteur de 12 kilomètres. Plus loin, la 9e division de cavalerie, dont les chevaux sont constamment fourbus, s'efforce de masquer, par une présence d'ailleurs à peu près inactive, le vide de 12 kilomètres qui s'ouvre entre elle et la 4e armée. Que les Allemands découvrent ce vide, s'y engouffrent et c'est la percée et la dislocation du front français.

En cette journée du 6 septembre, l'armée Foch va trouver devant elle l'aile gauche de von Bülow et l'aile droite de von Hausen. Or, celui-ci avait décidé, la veille, d'accorder 24 heures de repos à ses troupes. Ce sera donc un répit pour les Français de l'aile droite. Quant à von Bülow, pour se conformer aux ordres de la Direction Suprême, il va s'efforcer d'amener son aile gauche face à l'ouest. En opérant ce mouvement, ses troupes vont se heurter à la, gauche de Foch et tenter de la refouler. Aussi, durant toute la journée du 6, de furieux combats vont se dérouler devant les hauteurs qui dominent le Petit Morin et aux abords des marais de Saint-Gond. Au soir, nos troupes ont réussi à contenir l'avance allemande mais elles sont à bout de forces.

Quant à la 9e division de cavalerie, elle est demeurée en alerte, chevaux harnachés, " toute la journée sans se rafraîchir, ni boire ". Les cavaliers sont " restés en selle, par une chaleur accablante " dans l'attente de voir apparaître une cavalerie adverse que l'on pourrait enfin charger " crinière au vent et sabre au clair " comme à Eckmuhl ou à Rezonville: Si les cavaliers du 9e corps ne manquent pas de courage, ils ignorent seulement que la charge " sabre au clair " est une technique militaire aussi périmée que l'usage de l'arbalète ou de la pertuisane.

Les groupes cyclistes de la division, mieux adaptés aux circonstances, ont défendu le village de Vatry, puis se sont repliés. A l'approche de la nuit, la division n'ayant toujours pas aperçu d'ennemis se regroupe vers Sommesous.

Ce soir-là, au P. C. de Foch, le dîner est " rapide et muet ". A peine le général a-t-il avalé la dernière bouchée qu'il s'enferme dans son bureau avec Weygand, son chef d'Etat-Major. Foch examine, soucieux, les cartes déployées devant lui. De quoi demain sera-t-il fait ?

Durant toute la journée il s'est efforcé d'insuffler à ses subordonnés la volonté de tenir à tout prix; malgré cette énergie qu'il affiche, le général n'entretient aucune illusion sur l'état de sa malheureuse infanterie parvenue au bord même de l'épuisement. Aussi les ordres de ce soir prescrivent " d'engager l'infanterie en faible proportion, l'artillerie sans compter ". Foch sait tout de même que la situation générale évolue favorablement et que vers Paris toute l'aile gauche française est passée à l'attaque. Les Allemands vont devenir moins agressifs. " L'ennemi est fortement éprouvé et aventuré ", assure-t-il à ses subordonnés sans se dissimuler à lui-même que des heures difficiles se préparent.

Quand Weygand sort du bureau, il se heurte au capitaine Audibert, responsable des services de l'armée. Audibert est inquiet, il n'a plus assez d'obus pour approvisionner cette artillerie qui doit agir " sans compter ". Weygand n'entend pas transmettre cette nouvelle au général, suffisamment accablé de soucis. Il se tourne donc vers Audibert et lui dit simplement mais d'un ton qui n'appelle aucune réplique : " C'est votre affaire ! Débrouillez-vous ! "

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