LA BATAILLE DE L'OURCQ VUE PAR HENRI ISSELIN

7 septembre

 

Comme les précédentes, la nuit du 6 au 7 septembre est limpide et belle, la brume n'apparaissant qu'un peu avant l'aube. La lumière argentée de la lune baigne les plateaux du Multien devenus, après le fracas des combats, étrangement silencieux. Harassés par la bataille qui ne s'est interrompue qu'à la fin du jour, Français et Allemands dorment sous un ciel qui semble l'expression même de l'apaisement et de la sérénité.

A la ferme de Beauvoir, poste de commandement de von Linsingen, règne un calme absolu. Le général et les officiers qui se sont dépensés tout au long de cette journée torride, reposent ,comme leurs troupes. " La lune éclaire la vaste cour rectangulaire qu'encadrent, sur chaque face, les hangars aux lourds chariots à betteraves, les étables, les granges surmontées du haut pigeonnier, enfin le logis du propriétaire. On se croirait, tant le calme est grands, en une de ces nuits d'automne où les bêtes et gens, écrasés par le labeur de la terre, dorment d'une saine fatigue. Seule, à la porte d'entrée des habitations, une lanterne indique que l'on veille encore."

Ce repos sera de courte durée. Vers 2 heures du matin, en direction du sud, des phares balaient la nuit. On perçoit des bruits de moteurs, lointains d'abord, puis plus proches; bientôt, plusieurs voitures automobiles, arrivant par la route de Meaux, tournent et pénètrent dans la cour de la ferme. En descendent le général Six von Armin, chef du IVe corps d'active, et ses officiers. Le général, qui a devancé ses troupes, vient régler le détail de leur engagement dans la bataille qui va reprendre au lever du jour.

On réveille von Linsingen et l'on déploie les cartes; à la lueur d'une lanterne à pétrole, les deux généraux examinent la situation des deux corps d'armée. Apparemment, elle est des plus précaires. Au sud, la partie est mal engagée; bloquée dans la boucle de Varreddes, la IIIe D.I. n'a pu que s'accrocher au rebord du plateau; elle souffre des tirs de l'artillerie française; si les Anglais avancent, sa situation deviendra intolérable. Au nord, les Français débarquent des troupes dans la région de Nanteuil-le-Haudouin avec l'intention évidente d'envelopper l'aile droite allemande. Sur le reste du front, les troupes, harassées par des nuits sans sommeil et des journées de combats ininterrompus, éprouvées par le tir très efficace de l'artillerie française, supporteront difficilement de nouveaux assauts.

 

 

Pour consolider des positions aussi fragiles, on décide d'opérer comme la veille, c'est-à-dire de répartir les unités du corps d'armée qui arrive. Une division sera dirigée sur l'aile droite où elle s'opposera aux tentatives d'enveloppement des Français en esquissant une manœuvre analogue. L'autre division viendra au centre renforcer les réservistes de von Gronau. Quant à la IIIe D.I., on ne peut rien faire pour elle. Qu'elle tienne de son mieux ! On convient enfin que von Linsingen prendra le commandement du secteur sud et von Armin, celui du nord.

 

Pendant que dans la ferme de Beauvoir les généraux discutent et bâtissent leurs plans, les troupes du IVe corps d'active poursuivent, dans la nuit, leur marche interminable. Certaines unités ont quitté dix heures plus tôt leurs positions sur le Grand Morin. " Les hommes, privés de pain depuis plusieurs jours, sont épuisés. Les officiers eux-mêmes, manquant de sommeil, sont à bout de forces. A chaque halte, la colonne s'effondre dans les fossés de la route, à moins qu'elle n'ait l'heureuse chance de s'arrêter dans une localité. Alors, tous se jettent dans les maisons à la recherche de vivres et de vin. "

Ainsi, au cours des trois journées qui voient s'effectuer le demi-tour de la Ire armée allemande, les troupes de von Kluck accompliront des exploits auxquels on ne peut refuser une juste admiration. Marchant durant la nuit, se battant pendant la journée, elles fournissent une remarquable démonstration de courage, d'endurance et de dévouement.

Dès l'aube du 7 septembre, la bataille reprend sur tous les points du front.

Durant toute cette journée, le temps va demeurer, une fois de plus, parfaitement beau. " Je ne me souviens pas, écrit Gide dans son journal, d'avoir jamais vu... une si longue suite de jours uniformément splendides. Le cœur est accablé par la sérénité du ciel. " C'est encore dans une chaleur de fournaise que les troupes vont se déplacer et se battre.

Une série de combats singuliers vont opposer les armées que le déroulement des opérations a placées face à face. Von Kluck bataille contre Maunoury tout en s'inquiétant de contenir French et Franchet d'Esperey, tous deux modérément pressants. La 5e armée tente de progresser en repoussant la droite de Bülow cependant que la gauche de celui-ci et la droite de son voisin, von Hausen, vont unir leur action pour bousculer Foch.

Enfin, les " princes ". Wurtemberg manifeste l'intention de disjoindre Langle de Cary et Sarrail; le Kronprinz de faire sauter les points d'appui de Nancy ou de Verdun sur lesquels s'articulent notre 3e armée et toute l'aile droite du dispositif français.

Les généraux français orienteront leurs actions dans le sens général des directives de Joffre alors que les chefs allemands se trouvent, répétons-le, abandonnés souvent à leurs propres inspirations.

 

A 7 heures du matin, von Kluck et son Etat-Major avaient décidé de se transporter vers le nord, matérialisant ainsi, par leur présence, le retour prescrit entre " Oise et Marne ".

Avant de quitter Charly où il s'était installé la veille, von Kluck a informé son voisin von Bülow qu'il plaçait sous son commandement les IIIe et IXe corps encore engagés vers le sud; dorénavant, le chef de la Ire armée entend consacrer toute son attention au front de l'Ourcq et à l'action menée contre la 6e armée française. Il choisit de s'établir à Vendrest, village situé dans les pentes qui dominent la vallée de l'Ourcq, à l'est de celle-ci. Vendrest est un petit pays; une vieille église romane, des maisons basses autour d'une place. Le choix n'est pas heureux car le village offre peu de ressources, un ravitaillement dérisoire et pas un local convenable. Il faut s'établir en plein air. Le téléphone fonctionne mal et les liaisons terrestres avec les troupes qui combattent de l'autre côté de la vallée sont incommodes.

C'est dans cette inconfortable position que von Kluck et ses officiers reçoivent (avec le retard habituel) le radiogramme de la Direction Suprême annonçant le déclenchement d'une bataille générale voulue par le commandement français. Les doutes que le chef de la Ire armée pouvait entretenir sur la nature des opérations engagées s'évanouissent aussitôt. L'offensive Maunoury n'est pas une attaque de diversion, mais le prélude d'une action stratégique de grande envergure dont les conséquences peuvent être fort graves. Or, von Kluck est, à coup sûr, conscient de ses responsabilités : s'il n'avait pas aveuglément poursuivi la 5e armée et négligé Maunoury, les armées allemandes n'en seraient sans doute pas là. Touché dans son orgueil, le chef de la Ire armée va déployer toute son énergie pour redresser une situation qu'il a compromise. De même qu'il a " foncé " vers le sud, il va opérer une volte-face complète et " se ruer " maintenant sur Maunoury; c'est le comportement même du taureau dans l'arène.

Il existait, certes, une autre possibilité; elle a effleuré un instant l'esprit du général allemand et de son Etat-Major : la Ire armée pouvait s'établir en équerre derrière l'Ourcq et la Marne en s'adossant à la IIe armée. Un tel dispositif eu vraisemblablement résisté aux attaques des Franco-Britanniques. Cette idée a été rejetée; elle présentait un caractère défensif qui répondait mal au tempérament impétueux du chef de la Ire armée; celui-ci entend punir l'insolente armée Maunoury et opérer le redressement brillant qui rétablira son prestige. D'ailleurs, ne remplissait-il pas ainsi la mission assignée : protéger le flanc de la IIe armée ? Mais pour battre la 6e armée française de façon décisive, il faut disposer des IIe et IXe corps restés sur le front sud; le retrait de ces derniers va découvrir von Bülow et risque de compromettre la position de cette armée qu'on se flatte de " couvrir ".

Cette crainte est vite dissipée en raison de la passivité persistante des Anglais. Aucune action énergique n'est à craindre de leur part, estime, une fois encore, von Kluck. Les divisions de cavalerie contiendront aisément les velléités offensives du maréchal French jusqu'à ce qu'on ait réglé le compte de Maunoury.

Dès 11 heures du matin, on avise donc von Bülow que les deux corps d'armée qui lui ont été confiés la veille vont lui être repris. Sans même attendre l'accord de son voisin, von Kluck enjoint à ces deux grandes unités de rompre le combat et de remonter vers le nord. Ils devront gagner l'aile droite du dispositif de von Armin et s'y trouver dès le lendemain. C'est donc une distance de 60 km que les fantassins des IIe et IXe corps d'armée devront parcourir dans l'après-midi du 7 et la nuit qui suit. Régime de marches forcées auquel les soldats de von Kluck sont habitués et qu'ils supporteront une fois encore avec leur habituelle endurance.

 

Si von Kluck rassemble ses unités sur le front de l'Ourcq, Gallieni s'emploie, de son côté, à consolider la situation de la 6e armée. C'est ainsi que la 61e division de réserve est venue renforcer l'aile gauche et que le 4e corps d'armée active, ramené de Verdun, commence à débarquer dans la banlieue de Paris. Au cours des combats soutenus sur la Meuse, cette grande unité a subi de lourdes pertes. Une de ses divisions a perdu la moitié de son effectif et les 2/3 de ses officiers. A l'issue de douze jours de combats ininterrompus et de marches harassantes, les troupes ont été éprouvées par un pénible voyage de cinq jours effectué dans les wagons de marchandises " 40 hommes, 8 chevaux (en long) ". Il n'est donc pas surprenant que les hommes soient épuisés quand ils descendent sur les quais de la gare de Pantin. Leur général estime qu'ils doivent prendre un repos de 48 heures pour retrouver une valeur offensive convenable. Un repos de 48 heures alors que le sort de la France se joue sur l'Ourcq ! Il ne saurait en être question ! Malgré les protestations de son chef, le 4e corps d'armée sera partagé : la 8e division sera dirigée vers le sud de Meaux pour compléter la liaison avec les Anglais et inciter ceux-ci à avancer sans réticence. C'est une décision malheureuse. En fait, cette 8e D.I. qui aurait été efficace si elle avait agi au nord du front de la 6e armée, restera inactive durant toute la bataille et sa présence ne hâtera pas pour autant l'offensive des Britanniques. L'orientation donnée à cette unité aura été si fâcheuse que, plus tard, G.Q.G. et Gouvernement Militaire de Paris s'en rejetteront réciproquement la responsabilité. Quant à l'autre division, la 7e, on lui assigne une place à l'aile gauche de la 6e armée, vers Betz; elle devra couvrir 50 km pour y parvenir. Dans l'état d'épuisement des hommes, il est exclu de leur demander un tel effort. Comment les transporter ? La voie ferrée qui mène vers Crépy-en-Valois semble assez indiquée mais les ingénieurs de la Compagnie du Nord se montrent réticents; les Allemands ont traversé la ligne il y a deux jours. Dans quel état l'ont-ils laissée ? Des détachements ennemis ne l'occupent-ils pas encore par endroits ? Lancer des convois militaires dans de telles conditions paraît une opération risquée.

Or, quelques jours plus tôt, un ordre du gouvernement de Paris avait ordonné la réquisition de tous " les véhicules automobiles, y compris les taxis autos ". Dans toutes les rues de la capitale, agents et gardes républicains avaient arrêté les taxis en service, fait descendre les clients et dirigé les voitures sur l'Ecole Militaire où elles sont rassemblées.

Un premier convoi de 250 taxis était parti le 6 septembre à 23 heures, par la porte de la Villette vers Le Bourget et s'était engagé sur la route nationale n° 2. Durant toute la nuit, les voitures rouleront pour se retrouver, au petit jour, près de Dammartin, sans but apparent. Les chauffeurs sont mécontents. A quoi sert cette sortie nocturne ? Qu'est-ce qu'on va faire d'eux ? Ils déplorent le temps perdu, la nuit sans sommeil. A 8 heures du matin, on perçoit le grondement d'une artillerie qui semble bien proche; la plupart des conducteurs font " bonne contenance ", mais d'autres manifestent une " nervosité visible ". Il y a des " flottements " et des " mouvements divers " et les officiers du convoi doivent intervenir pour calmer les esprits.

Enfin, vers 16 heures, après une longue attente, le convoi reçoit l'ordre de faire demi-tour et de gagner Sevran-Livry où l'attendent les hommes du 4e corps. Les " taxis de la Marne " vont entrer dans la bataille et dans l'Histoire.

 

Gallieni, ce même jour, ayant réglé les affaires en cours, décide de quitter ses papiers et ses cartes pour aller humer l'air de la bataille. A 14 heures, accompagné de son chef d'Etat-Major, le général Clergerie, et de deux officiers, il part en voiture sur la route de Meaux. Il rend visite à Maunoury à son P.C. de Compans; le chef de la 6e armée considère la situation comme favorable. Les Allemands, précise-t-il, battent en retraite derrière le rideau protecteur que forment le IVe corps de réserve et le IIe d'active.

Gallieni se dirige ensuite vers Monthyon où le général de Lamaze a établi son P.C. De cet observatoire, le gouverneur de Paris découvre vers l'est une large vue du champ de bataille. Des obus allemands éclatent à 200 ou 300 mètres " en dégageant une énorme fumée de couleur noire, violette et orange ". Gallieni quitte Monthyon vers 16 heures, et revient vers Gagny où il trouve le rassemblement des taxis parisiens qui, dans quelques instants, vont " charger " enfin leurs premiers " clients " de la journée, ces fantassins du 103e R. I. dont les capotes bleues et les pantalons rouges emplissent les rues et les places. Autour des armes formées en faisceaux, des hommes dorment sur la chaussée. Le café, situé en face de la gare, est " plein à craquer ". Le patron verse à boire et répète à chaque fois la phrase devenue rituelle depuis la guerre de 1870 : " Encore un que les Prussiens n'auront pas ! " Quant aux chauffeurs, ils prennent d'assaut boulangeries et épiceries.

L'arrivée de Gallieni suspend un court instant toute cette agitation. Avec la déférence familière des Parisiens, les chauffeurs se pressent autour du grand chef. " N'aurez-vous pas peur des obus ? " demande celui-ci. La réponse arrive, avisée, sans forfanterie et d'une parfaite dignité de ton. " Mon général, on fera comme les camarades, on ira partout où il faudra ! " Et l'homme ajoute : " Mais si j'avais su, j'aurais emporté des vivres et du pain pour ma course. " Même s'il faut mourir, il n'est pas agréable d'avoir le ventre creux !

 

Sur le front de l'Ourcq, la lutte a repris aux premières heures de la matinée; l'artillerie française a ouvert le feu et à 6 heures du matin, l'infanterie attaque depuis Etavigny au nord, jusqu'à Chambry au sud, avec la même constance, mais fort heureusement avec moins d'aveugle témérité que la veille. Les sanglantes leçons de Villeroy et de Barcy ont été comprises. Les assauts ne sont lancés qu'après une action d'artillerie prolongée. La méthode est meilleure et l'adversaire l'accuse. En plusieurs points il fléchit. Si les troupes de von Armin n'étaient pas intervenues pour étayer le front, nul doute que celui-ci ne se fût disloqué.

Dans le secteur nord, la 61e D. R. a lancé son action enveloppante vers Betz et se heurte brusquement à la VIIe division allemande du IVe corps d'active. Bien qu'ayant parcouru 60 km pendant la nuit et la matinée, les troupes allemandes, harassées, refoulent tout de même la 61e D. R. Celle-ci plie sous le choc et recule " non sans désordre " jusqu'aux environs de Nanteuil-le-Haudouin. Fort heureusement et par une méprise assez fréquente, les Allemands n'ont pas pris conscience de leur succès; à l'issue du combat, ils ont eux-mêmes quelque peu rétrogradé.

Dans la chaleur étouffante de l'après-midi, s'allumant tantôt sur un point, tantôt sur l'autre, les combats vont se poursuivre, interrompus seulement par l'arrivée de la nuit. Un des engagements les plus caractéristiques va se dérouler â Etrépilly, village situé dans la vallée de la Thérouanne, au pied de la croupe de Trocy sur laquelle les Allemands ont groupé leur artillerie. Plusieurs fois déjà le village a été pris et repris. A midi, il a été réoccupé par les quatre bataillons du 82e régiment du corps de réserve de von Gronau. Les Allemands s'efforcent de se " donner de l'air " en progressant vers l'ouest, en direction de Barcy, mais chaque tentative se heurte aux feux de l'infanterie française et aux tirs des 75 établis vers la Raperie. En fin de journée, décimés et découragés, les fantassins allemands sont rassemblés dans le village. La lutte semble terminée pour aujourd'hui et les soldats, entassés dans les maisons d'Etrépilly, s'apprêtent à faire la soupe. Recrus de fatigue et de combats, ils n'aspirent plus qu'au repos. Des médecins et des brancardiers arrivent de l'arrière pour soigner les blessés pendant que les corvées partent à la recherche d'un ravitaillement possible. Tout paraît annoncer une soirée calme lorsque, tout à coup, des obus éclatent, s'abattent sur le village. Vers l'ouest, en direction de Marcilly, l'horizon est " zébré de lueurs ". L'artillerie française vient de se déchaîner. Terrés dans les maisons et les fossés, les Allemands attendent, anxieux, sous le bombardement qui s'intensifie quelques instants plus tard.

Entre deux rafales d'obus, les postes de guet, placés aux sorties ouest du village, entendent des ordres criés en français. Ils donnent l'alarme, mais trop tard; aux abords mêmes du village, des clameurs s'élèvent. Un bataillon de zouaves, baïonnette au canon arrive, au pas de charge, par la route de Marcilly. Surpris, les fantassins allemands s'enfuient, poursuivis par les zouaves et c'est un torrent humain qui s'engouffre dans la rue principale d'Etrépilly.

Une autre attaque venant du nord-ouest a refoulé le reste du 82e allemand sur les pentes situées au-dessus du village, aux abords du cimetière.

Arrivés au centre d'Etrépilly, fuyards et poursuivants se divisent. Les zouaves s'engagent presque tous sur la route qui remonte vers Vincy. Ils dépassent ainsi les dernières maisons et débouchent en terrain découvert. A 200 mètres devant eux, dans les champs, "une masse confuse " : les Allemands regroupés par leurs officiers, tirent " dans toutes les directions ". Au milieu d'eux, le général von Muhlenfels, le colonel von Butlan et le colonel Hernig, revolver au poing, font le coup de feu comme leurs hommes.

Les zouaves s'avancent en longeant le mur du cimetière au pied duquel leur chef, le lieutenant-colonel Dupujadoux, tombe mortellement blessé et dans l'obscurité naissante, à la lueur des meules de paille qui ont pris feu, la lutte se poursuit. Mais les Allemands qui se sont enfuis vers Trocy, se sont ressaisis et rentrent dans Etrépilly. Inférieurs en nombre, menacés d'être encerclés, les zouaves doivent se replier et abandonner le village. Ils ont perdu la moitié de leur effectif et les trois-quarts de leurs officiers. Les Allemands, épuisés et très inquiets, décident eux aussi, de battre en retraite.

Durant la nuit, Etrépilly sera un " no man's land ". On est en droit de penser que le beau fait d'armes du 2e régiment de zouaves n'a pas été exploité comme il aurait pu l'être.

 

Une autre canonnade, déclenchée elle aussi à la tombée de la nuit, s'abat sur les hauteurs de Varreddes, canonnade suivie d'une attaque française qui surprend les défenseurs occupés à se restaurer. Un commencement de panique s'empare de ceux-ci, mais le feu des mitrailleuses et de l'artillerie allemande rétablit la situation et les assaillants font demi-tour.

A l'heure où la nuit ramène enfin le silence sur le champ de bataille de l'Ourcq, le bilan de la journée peut être dressé : il reproduit de curieuse façon celui des deux journées précédentes : attaque de la 6e armée sans résultats apparents, front inchangé et moral allemand ébranlé. Ce soir, l'Etat-Major de von Kluck enregistre de toutes parts des rapports " peu réjouissants ". Tout le monde appelle au secours. " Les pertes étaient lourdes, déclare un compte rendu, l'artillerie ennemie paraissait supérieure, les troupes étaient à bout. " L'inquiétude est vive à la IIIe D.I. bloquée dans la boucle de Varreddes; elle vit toujours dans la crainte de voir surgir les Anglais et d'être prise au piège.

A Vendrest, l'Etat-Major conserve son calme; les IIIe et IXe corps qui se hâtent dans la nuit arriveront en temps utile et ils aideront leurs camarades à surmonter la crise qui s'annonce.

Dans le vide laissé par le départ des fantassins de von Kluck, les cavaliers de von der Marwitz et de von Richthoffen ont assez convenablement joué leur figuration. Ils ont " leurré " un adversaire très supérieur en nombre dont ils ont ralenti la marche en évitant tout engagement sérieux qui les aurait placés en situation difficile.

Les Anglais se sont tout de même décidés à progresser, d'ailleurs avec une extrême circonspection, car ils redoutent à tout moment de se trouver en flèche. Ils traversent le Grand Morin mais s'arrêtent prudemment à quelques kilomètres au delà.

Quant à la 5e armée, elle a aussi franchi le Grand Morin et poursuivi son avance, mais elle a laissé les IIe et IXe corps se dérober en fin de journée sans que leur retraite ait été perçue. Alors que les fantassins de la 6e armée attaquent inlassablement, ni le corps de cavalerie Conneau, ni le 18e C. A. ne s'aperçoivent qu'ils stationnent devant un " trou béant " de 15 kilomètres, celui que les cavaliers de von Richthoffen laissent entre eux et l'aile droite de von Bülow.

Témérité ici, prudence excessive là, malentendu, ignorance, occasions perdues, la trame des combats est tissée de ces gestes incertains.

 

Dans la matinée, l'Etat-Major du maréchal French a signalé un fait important : des reconnaissances aériennes montrent que toute l'armée allemande située en face de la 5e armée bat en retraite vers le nord. Du P. C. de Franchet d'Esperey on confirme également que sur le front d'Esternay-Courtacon les Allemands se retirent. " Le voile se déchire ", l'aile droite allemande tend à se disloquer. Il faut appuyer vigoureusement. Joffre lance vers 16 heures l'ordre général n° 7 :

" La Ire armée allemande semble se replier vers le nord-est devant les efforts combinés des armées alliées de gauche. Celles-ci doivent suivre l'ennemi avec l'ensemble de leurs forces de manière à conserver toujours la possibilité d'enveloppement de l'aile droite allemande.

La marche s'exécutera donc d'une manière générale dans la direction du nord-est dans un dispositif qui permette d'engager la bataille si l'ennemi marque un temps d'arrêt et sans lui laisser le temps de s'organiser solidement.

A cet effet, la 6e armée gagnera successivement du terrain vers le nord, sur la rive droite de l'Ourcq.

Les forces britanniques chercheront à prendre pied successivement au delà du Petit-Morin, du Grand-Morin et de la Marne.

La 5e armée accentuera le mouvement de son aile gauche et emploiera ses forces à droite, à soutenir la 9e armée.

Cette dernière s'efforcera de tenir sur le front qu'elle occupe jusqu'au moment où l'arrivée des forces réservées de la 4e armée, sur sa droite, lui permettra de participer au mouvement en avant. "

En fait, il est inexact, nous le savons, d'interpréter comme un repli le changement de front de l'armée de von Kluck mais les directives données sont cependant correctes et les axes de marche convenablement définis. Enfin, dans le but de mieux coordonner les actions de la 6e armée engagée maintenant en dehors du camp retranché de Paris, Joffre avise Gallieni que cette grande unité recevra directement ses ordres du Grand Quartier Général. Toutefois, un duplicata de ceux-ci, adressé au gouverneur de Paris le tiendra au courant; il pourra continuer à apporter à Maunoury son " concours précieux ".

A l'heure où Joffre regagne sa résidence, dans le calme des frondaisons qui l'entourent, il peut considérer, sans optimisme exagéré, que la bataille évolue dans un sens très favorable. Tout d'abord, la situation générale s'est renversée. Pressé, bousculé et subissant jusqu'alors la loi de l'adversaire, le commandement français a repris l'initiative, au moins dans la partie occidentale du front, celle qui, précisément, doit décider de la réussite du plan Schlieffen. Si Maunoury n'a pas beaucoup progressé, French et d'Esperey finiront bien par pénétrer dans la brèche qui s'ouvre entre les Ire et IIe armées allemandes et contraindre celles-ci à se replier.

Comment Joffre pourrait-il imaginer que dans cette belle nuit d'été qui entoure déjà le château de Marmont, un drame se prépare, qui risque d'anéantir les chances de rétablissement dont le général croit discerner les prémices ?

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