CHAPITRE IX - FIN DE LA POURSUITE : LES ARMÉES DE DROITE

Nous avons dit plus haut dans quelles conditions la retraite des armées allemandes du centre, devenue inévitable, avait été réglée d'accord avec Hentsch à l'armée von Bülow d'abord, puis s'était propagée à l'armée von Hausen, dans la journée du 9 septembre.

Dès le début de l'après-midi, les mouvements prescrits par les états-majors à Montmort (IIe armée) et à Châlons (IIIe armée) avaient reçu un commencement d'exécution. De l'ouest à l'est protégés par des arrière-gardes, les corps d'armée se repliaient vers la Marne : la 13e division (du VIIe corps) se portait vers les ponts de la rivière entre Jaulgonne et Port-à-Binson, en flanc-garde de l'armée von Bülow; le Xe corps de réserve, rejeté de la route Montmirail-Champaubert par Franchet d'Esperey, se repliait sur Damery ; le Xe corps et la 14e division (du VIIIe corps) quittaient la région nord des marais de Saint-Gond, se portant sur Épernay; la Garde s'engageait sur la route de Fère-Champenoise à Vertus ; à l'est de cette route, les trois divisions saxonnes de von Kirchbach, 32e, 23e de réserve et 24e de réserve, reprenaient à leur tour la direction de la Marne. Dès la soirée du 9 et la nuit du 9 au 10, l'armée von Bülow repassait la Marne.

A la IIIe armée, les troupes avaient commencé leur retraite un peu plus tard, vers le soir, " dans un état d'épuisement inquiétant ", selon l'aveu de von Hausen lui-même.

Nous avons dit également comment les manœuvres prévues dans le camp français par le général Foch s'étaient trouvées facilitées, du fait de ce décrochement des troupes allemandes. A l'heure où il sentait partout ce fléchissement devant lui, le général Foch préparait ses ordres pour le lendemain 10 septembre.

" Sur tout le front de l'armée où l'ennemi a paru céder, écrivait-il, l'attaque sera prise avec la dernière énergie dès 5 heures : le 11e corps contre le front Sommesous-Lenharrée ; la 42e division contre le front Lenharrée(exclu)-Normée ; le 9e corps contre le front Normée(exclu)-Écury-Morains ; le 10e corps contre le front Étoges-Villevenard en direction de Colligny-Bergères ", c'est-à-dire que ce corps prenait à revers la retraite allemande au nord des marais de Saint-Gond.

Nous savons, dès maintenant, que la marche eu avant de l'armée française va suivre les colonnes ennemies, mais ne les bousculera pas dans leur retraite ; celle-ci va s'accomplir en ordre, grâce à la prudence de von Bülow qui, d'une part, s'est décroché à temps et, d'autre part, recherche le maintien de ses liaisons avec von Hausen et la possibilité de retrouver celles que von Kluck a inconsidérément perdues.

 

Le 10e corps et la 9e armée jusqu'aux monts de Champagne.

 

Voyons comment va s'exécuter la marche en avant. Commençons par l'ouest. C'est à l'ouest, en effet, que le ciel s'est dégagé ; l'offensive de Franchet d'Esperey a rejeté partout la droite de von Bülow et pénétré très avant dans le trou qui sépare la IIe armée de la Ire armée. L'alarme ayant été donnée par Bülow dans son radio de 1 heure de l'après-midi, adressé à von Kluck : " IIe armée se replie aile droite à Damery ", le champ de bataille s'était vidé.

Dès la réception de l'ordre du général Foch, le général Desforges, commandant le 10e corps, fit exécuter à ses trois divisions la manœuvre prévue sur les derrières de l'armée de Bülow, face à l'est : la 51e division de réserve devait déboucher de Saint-Prix et de Baye, la 20e division de la lisière à l'est des bois de Baye ; la 19e division devait couvrir le mouvement au nord en barrant le débouché de Montmort. L'ennemi ayant évacué la région, le mouvement s'exécuta sans difficulté ; la 19e division atteignit Étréchy et la 20e Vertus, mais la 51e division de réserve, en liaison avec le 9e corps accroché à Pierre-Morains, se trouva elle-même arrêtée par des arrière-gardes dans les bois à l'est de Colligny, de sorte qu'à la nuit tombante, cette division se trouva en seconde ligne et la 20e division côte à côte avec le 9e corps.

Le 9e corps avait continué dans la nuit et jusqu'à l'aube du 10 la manœuvre que le général Dubois avait montée le 9 à 4 heures du soir. La brigade Simon (de la 17e division Moussy), rejetant les fractions ennemies qui se repliaient de bois en bois en tiraillant, avait atteint à minuit la ferme Nozet et, comme la retraite allemande se précipitait, avait poussé sans arrêt jusqu'à Morains-le- Petit qu'elle avait occupé. Le général Moussy, prévenu de cette avance si rapide, avait atteint Fère-Champenoise, à 5 heures. A son tour, le général Dubois, devançant le gros des troupes, se porta le long d'une route bordée de cadavres et de blessés de la Garde, sur Fère-Champenoise, où les rues étaient jonchées de tant de débris de bouteilles que la circulation y était extrêmement difficile. On y ramassa un butin considérable et 1 500 prisonniers, Bientôt le général Foch arrivait lui-même à la gare de Fère-Champenoise pour féliciter l- 9e corps et donner ses instructions afin d'amener le soir les têtes des colonnes de l'armée sur la Somme et la Soude.

Je voulais pousser tout de suite sur Morains, a raconté le maréchal Foch, mais le colonel Coffec s'interposa : " Vous n'y penses pas, mon général. La route est prise d'enfilade derrière la crête par l'artillerie boche. C'est à peine si l'on est en sûreté dans la gare. - Va donc pour la gare ! " Le toit flambait au-dessus de nous pendant que nous piochions nos cartes. Des poutres craquaient. On n'y faisait pas attention.

Les troupes, c'est comme des vibrions : ça ne demande qu'à valser, mais il faut leur donner le mouvement, l'impulsion, régler la danse. Gros travail. Je n'en pouvais plus à la fin de la journée. J'ai dormi, cette nuit-là, d'un sommeil de plomb. Et pourtant, c'était à la mairie de Fère, pleine d'allées, de venues, au milieu d'un bruit infernal, sur un vieux matelas qu'on avait étendu pour Weygand et pour moi dans une pièce sonore comme une cloche. A minuit, on me réveille pour m'annoncer que le grand quartier général venait de me faire grand-officier de la Légion d'honneur. " Bien ! Bien ! " dis-je. Et je repique du nez sur ma paillasse. Une demi-heure après, nouveau réveil en fanfare : " Mon général, le grand quartier général vous envoie des cigares et des couvertures. " Ca, par exemple, ça valait mieux qu'un grognement. On grelottait par ces nuits de septembre et, depuis huit jours, nous n'avions pas touché une miette de tabac (Charles Le Goffic, la .Marne an feu, p. 128.)!

Cette nuit-là, la 17e division tenait les bois à l'est de Morains-le-Petit, la 52e division de réserve bordait la somme d'Écury à Normée, la division du Maroc, quittant les débouchés des marais, occupait Bannes et Aulnay, en liaison avec le 10e corps.

A la droite du corps Dubois, la manœuvre de la 42e division (Grossetti) avait eu surtout, avons-nous dit, un effet moral, dans la soirée du 8 ; cette division tant attendue avait débouché vers 6 heures du soir du front Linthes-Linthelles, en direction de Pleurs-Connantre et s'était arrêtée à la nuit sur le front Pleurs-cote 104 à un kilomètre ouest de Connantre ; son artillerie avait seule été engagée pour ouvrir le feu sur Fére-Champenoise. A 5 heures du matin, la division s'éleva, conformément aux ordres de Foch sur la grande croupe Connantre-Connantray avec, pour objectif, la ligne Normée-Lenharrée. Le soir, Grossetti installait son quartier général à Oeuvy.

Quant au 11e corps (général Eydoux), il s'échelonnait à droite en partant de la Maurienne, c'est-à-dire d'Oeuvy, de Gourgançon et de Semoine, avec les 21e, 18e et 22e divisions et la 60e division de réserve en seconde ligne. Il atteignit le soir le bord de la Somme, entra à Vaussimont et à Haussimont ; Sommesous ne fut évacué par l'ennemi qu'au cours de la nuit.

La 9e division de cavalerie, partie de Mailly, avait poussé ses escadrons vers Soudé et Vatry, mais ses chevaux étaient harassés : arrivé à Poivres, le général de l'Espée y reçut l'ordre de constituer un corps de cavalerie avec la 6e division (général de Mitry) venue d'Alsace et débarquée le 9 à Ramerupt. Dans la soirée, celle-ci put amener à Poivres quatorze escadrons et deux batteries.

Mais la 9e armée n'avait pas atteint la ligne de la Soude, de Vatry à Renneville, que Foch avait espéré tenir à la nuit. Malgré la fatigue des troupes, il était d'un intérêt capital de hâter le lendemain la marche en avant. Le général Joffre venait de prescrire : " La 9e armée poursuivra l'ennemi devant elle, à l'ouest de la route Sommesous-Châlons qui lui appartiendra. " En conséquence, à 23 heures, de Fére-Champenoise, Foch donnait, pour le 12 septembre, ces ordres où l'on reconnaît le manœuvrier : " La poursuite de l'ennemi sera continuée demain en vue de se rapprocher le plus possible de la Marne. On cherchera surtout à déborder et à tourner les arrière-gardes de l'ennemi pour les faire tomber plutôt qu'à les attaquer de front, à agir pour cela avec des formations largement déployées ou à faire appel à des colonnes voisines, avec lesquelles des liaisons étroites devront être établies. "

La 5e armée venant d'atteindre la Marne entre Château-Thierry et Dormans, le 10e corps, gauche de Foch, reçut mission d'assurer la liaison avec elle. En trois colonnes (19e, 20e et 51e divisions), le corps se dirigea sur Damery, Epernay et Mareuil, c'est-à-dire qu'il faisait un à gauche complet avec la marche de la veille. On s'aperçut, dans l'après-midi du 11, que les Allemands avaient fait sauter le pont d'Épernay sur la Marne et les ponts d'Ay et de Dizy sur le canal. Une passerelle improvisée par le génie permit le passage de la 20e division, qui cantonna à Dizy et Epernay. Le 9e corps devait disposer de la ligne comprise entre la ligne Bergères-Mareuil et la ligne Ecury-Trécon-Chaintri, la 42e division marcherait dans la zone comprise entre cette dernière ligne et la ligne Normée-Villeseneux-Germinon-Thibie ; le 11e corps disposerait du secteur formé par la ligne ci-dessus et la ligne Sommesous-Châlons.

Au bivouac, le soir, la 42e division avait sa tête à Thibie, le 11e corps occupait la zone Cheniers-Nuisement-Cernon-Bussy-Lettrée-Soudron. Enfin, éclairant l'aile droite, en direction de Châlons, la 9e division de cavalerie avait poussé de l'avant : à 18 heures, le 5e cuirassiers parvenait aux ponts de la Marne ; celui de Matougues était détruit, celui de Châlons était intact et barricadé, celui de Sarry fut enlevé par un escadron. Une reconnaissance traversa Châlons pendant la nuit, mais la fatigue des chevaux était telle, qu'on ne put aller plus loin. La division, à qui il restait à peine 1 500 sabres, bivouaqua en avant de Nuisement, et la 6e division de cavalerie la rejoignit à la nuit.

La journée du 12 est celle du passage de la Marne par l'armée Foch, deux jours après l'armée von Bülow.

Ayant recueilli tous ses renseignements sur les directions de marche prises par l'ennemi, le général Joffre, par son instruction du 11, avait précisé immédiatement sa conception stratégique de la poursuite pour le groupe d'armées de droite : " Les 9e et 4e armées auront à concentrer leurs efforts sur le groupement du centre et de l'aile gauche ennemis, en cherchant à les rejeter vers le nord-est pendant que la 3e armée, reprenant son offensive vers le nord, s'efforcera de couper les communications."

L'ordre du général Foch, constatant que l'ennemi avait cédé sur tout le front, prescrivit donc la reprise d'une poursuite énergique et, la Marne franchie, l'avance aussi loin que possible vers le nord-est. A l'heure même où la 9e armée s'ébranlait, le 12 au matin, pour franchir la Marne, des aviateurs de l'armée von Hausen avisaient que l'armée française se présentait avec quatre corps, sa droite à Sogny, sa gauche à Champigneul dans cette même matinée, les gros de l'armée saxonne arrivaient sur la ligne préparée Thuizy-Suippes (XIIe de réserve, XIIe et XIXe corps) et se retranchaient.

Le 10e corps fut replacé, à partir du 12, sous les ordres de la 5e armée. Cependant, pour bien établir la liaison entre les deux armées Foch et Franchet d'Esperey, nous achèverons le récit de la marche du corps, les 12 et 13, en l'incorporant à l'exposé de la poursuite de la 9e armée. Comme la 5e armée devait se porter, le 12, entre Vesle et Aisne, la gauche en avant, le 10e corps à sa droite faisait liaison à Jâlons avec la 9e armée. La 19e division franchit la Marne à 8 heures à Damery, la 51e division partit de Cramant et passa par Épernay, la 20e division se porta de Dizy-Magenta sur Mailly. Un gros orage gêna un peu la fin de la marche et l'on s'arrêta, les avant-gardes portées à Champfleury, Montbré, Verzenay.

La 9e armée proprement dite franchit la Marne entre Condé (inclus) et Sarry (inclus). On tenait heureusement les ponts de Sarry et de Châlons. Le 9e corps fit établir à Condé un pont de bateaux au moyen d'un demi-équipage de pont. Le 11e corps passa à Châlons (la 18e division au pont nord, les 22e et 21e au pont sud), la 42e division également. La 60e division de réserve traversa la rivière à Sarry, suivie du 17e corps d'armée, corps de gauche de la 4e armée. Quant au corps de cavalerie, il fut aiguillé sur les colonnes en retraite de l'armée du duc de Wurtemberg et jeté ainsi face à l'est, par le pont de Sarry, sur Auve et Herpont. La 9e division galopa, par l'Épine, sur la route d'Auve et canonna une longue colonne allemande en retraite vers le nord ; la 6e division s'arrêta à la nuit à Dommartin. Ce raid dut inquiéter sérieusement les états-majors de Wurtemberg et du kronprinz. Il eut très probablement pour conséquence immédiate de hâter la retraite des forces de la Ve armée allemande, encore accrochées au sud de l'Argonne et menacées ainsi d'être coupées par Sainte-Menehould.

Avec la journée du 13 septembre, va s'achever la poursuite de la Marne. Les armées ne se rendront compte de l'impossibilité de reprendre cette poursuite que lorsqu'elles tenteront l'attaque du 14, mais c'est le 13 que l'ennemi tire les premiers coups de canon " pour tenir en respect les avant-gardes françaises ".

Dans son ordre d'opérations pour le 13, le général Foch assignait à son armée une ligne à atteindre déterminée par le cours de la Suippe et de la Py, entre Heurtrégiville et Somme-Py ; or, cette ligne ne devait être atteinte qu'un mois avant l'armistice du 11 novembre 1918 ! Foch se fût d'ailleurs heurté à une première ligne défensive Thuizy-Suippes si, au cours de la journée du 12, deux événements n'eussent obligé von Hausen à l'abandonner. Celui-ci avait en effet été sollicité par Bülow, qui repliait la Garde sur une meilleure position, de reculer sa droite sur Prosnes ; de son côté, le colonel von Dommes, au nom du grand quartier général, le priait de replier sa gauche sur Souain, où le duc de Wurtemberg était obligé de s'appuyer, par suite de l'abandon de l'Argonne, sur l'armée du kronprinz. En conséquence, la IIIe armée retraita, le 13 septembre, sur la ligne Prosnas-Souain : ce fut le général von Einem qui dirigea le mouvement car, le 12 au soir, l'attaché militaire saxon apportait à von Hausen, malade du typhus à son quartier général de Bétheville, l'ordre qui le relevait " momentanément " de son commandement et qui le remplaçait par le commandant du VIIe corps, von Einem.

Dès le matin du 13, les troupes françaises étaient sur pied, le 10e corps, de l'armée Franchet d'Esperey, avait reçu l'ordre d'attaquer avec ses 19e, 51e et 20e divisions, en sortant de Reims, dans la direction Pomacle-Époye. Mais, dès le début, le mouvement fut enrayé au passage des ponts ou à la sortie de Reims par un feu violent d'artillerie et d'infanterie. Von Bülow s'était en effet fortement retranché sur la ligne du fort de la Pompelle, hauteur de Berru, fort de Fresnes, hauteur du fort de Brimont. Tous les efforts tentés par le 10e corps pour entamer ces positions restèrent sans résultats. En fin de journée, le corps se trouvait au contact de l'ennemi entre la station de Petit-Sillery et le faubourg de Cérès jusqu'à la route de Cernay; la 51e division s'était emparée du passage de Saint-Léonard.

Voici, pour bien marquer le caractère de cet arrêt de la poursuite, la marche du 41e régiment, qui fait. partie de la 19e division Bonnier :

 

" Dimanche, 13 septembre. - Nous traversons Cormontreuil. Nous longeons la Verrerie. Nous voici en face de la belle route de Reims au Camp de Châlons. Au loin, les forts qui couvrent à l'est la ville : Nogent-l'Abbesse, Berru, la Pompelle. Les habitants de la Verrerie, qui nous saluent de leurs acclamations, nous donnent un avertissement : " Méfiez-vous ! les Allemands étaient encore ici ce matin. Ils ne sont pas loin ! " Vous voulez rire, pensons-nous. Ces forts, à 6 kilomètres, nous soutiendront jusqu'au moins 7 ou 8 kilomètres de l'autre côté.

Voici le groupe Dautriche du 7e qui arrive ; nous nous engageons en double colonne par quatre sur le terrain de manœuvres, droit vers le fort de la Pompelle. A droite court le canal de l'Aisne à la Marne, au bord duquel s'élève un hangar de dirigeables. En avant, la butte de tir. Un beau soleil se montre enfin et réchauffe nos membres à demi gelés dans nos uniformes encore mouillés. J'entends une discussion entre le général Bonnier, qui reprend ce matin le commandement de sa division, et le commandant du groupe d'artillerie.

Le 41e avance toujours dans la plaine qui monte en glacis vers le fort ; les bataillons sont en colonnes par quatre, la musique en tête ; je cause tranquillement avec un lieutenant lorsqu'un sifflement prolongé se fait entendre, suivi d'une formidable explosion. Un gros platane vient d'être fauché sur le bord du canal, à 500 mètres à notre droite. "Mais c'est le fort qui tire sur nous ! - C'est impossible, me répond le lieutenant, la position est à nous. " Un deuxième obus plus rapproché arrive aussitôt. II n'y a pas de doute : le fort est aux mains des Allemands et il contient des pièces qui sont de taille, à en juger par les obus qu'elles envoient. Les coups se rapprochent peu à peu. Je préviens le chef de la musique qui abrite ses hommes derrière une meule... Pendant ce temps, le groupe d'artillerie évolue et vient se mettre en batterie. Les Allemands ont rectifié leur tir sur cet objectif qu'ils doivent voir merveilleusement sous le soleil matinal. Alors s'effectue un mouvement qui me remplit d'admiration pour la vaillance de nos soldats : la corne aigre du colonel (colonel Passaga) donne l'ordre de la formation en damier, que chaque bataillon prend comme sur le polygone à Rennes, pendant que les obus allemands creusent alentour des entonnoirs de 8 mètres de diamètre. Et maintenant tout le régiment déboîte vers la crête à gauche, derrière laquelle il disparaît aux vues du fort situé à 6 ou 7 kilomètres.

Le 2e bataillon se déploie en tirailleurs et court au pas de charge sur la voie ferrée de Reims à Châlons, dont la remblai lui sert de point d'appui. Le groupe d'artillerie a tiré une salve, mais, avant de pouvoir envoyer la seconde, quatre énormes marmites s'abattent dessus : un canon est brisé net, tous les officiers sans exception sont blessés et nos artilleurs doivent abandonner momentanément leurs pièces qu'ils reprendront d'ailleurs à la nuit.

Le général Bonnier regarde passer les blessés de son œil perçant. Suivi de ses officiers d'état-major, Il s'engage sur le terrain ; un obus arrive, tue le commandant Bérenger, chef d'état-major, et blesse le général...

Derrière le remblai du chemin de fer, les hommes construisent de petits abris pour la nuit. Les Allemands envoient de temps en temps quelques obus de 77 peu méchants. La nuit est calme. On ne sait même pas où se trouvent les Boches.

Deux patrouilleurs, en avant de nos lignes, découvrent une tranchée couverte allemande abandonnée ; en avant d'elle, une masse noire, c'est une grosse charrette de rouleaux de fils de fer barbelés. Ils reviennent avec leur prise qui sera utilisée en avant de nos tranchées ".

 

Le 9e corps, dans sa marche vers le nord, parvint jusqu'au pied du massif de Moronvilliers qu'il trouva garni d'artillerie lourde impossibe à repérer et protégé par des tranchées le long de la voie romaine. La division du Maroc s'empara de Prunay, mais la 17e division (Guignabaudet) ne put se maintenir à Prosnes. Les reconnaissances du 11e corps s'aperçurent, de leur côté, qu'Auberive était également fortement tenu, ainsi que la rive droite de la Suippe et la rive droite de l'Ain. Le corps bivouaqua, le soir, dans la zone croupe 165 au nord de la Suippe-Jonchery-Saint-Hilaire-ferme de Suippes.

Le corps de cavalerie, après sa randonnée contre les troupes du duc de Wurtemherg, face à l'est, reprit le 13 la direction du nord, vers Suippes. A 9 heures, la 9e division de cavalerie arrivait devant Suippes et se heurtait au mouvement de repli de l'armée von Einem sur Souain. L'arrière-garde saxonne fit tête, appuyée par des batteries au nord du village ; la brigade Séréville, les cyclistes et deux batteries attaquèrent le village pendant que la brigade de cuirassiers essayait de le tourner par Somme-Suippe, où elle éprouva la même résistance. Ce n'est qu'à 16 heures que les cyclistes et les dragons pénétrèrent dans Suippes en feu, ainsi que dans Somme-Suippe. Le général de l'Espée poussa immédiatement sur Souain, mais ne put l'enlever. La 6e division de cavalerie (de Mitry), tardivement ravitaillée, ne s'était mise en marche que l'après-midi et n'arriva à Suippes qu'à la nuit. Même si elle avait pu joindre son action à celle de la 9e division, il est probable que Souain n'aurait pas été enlevé, la journée ayant suffi à l'ennemi pour organiser solidement la position définitive de repli.

Nous nous arrêterons à cette soirée du 13 septembre, comme la poursuite elle-même. Les jours suivants, l'armée Foch est immobilisée complètement, ou n'avance que de quelques centaines do mètres. Le front est définitivement fixé ; il se renforcera chaque jour, nous le verrons, par des organisations défensives, auxquelles la nécessité va commander de procéder et que les ordres vont prescrire. La lutte va se localiser ; elle se limitera parfois à des tirs d'artillerie, et la manœuvre arrêtée cherchera à l'ouest, sur l'Oise et sur la Somme, un terrain plus favorable au développement de la victoire.

 

La 4e armée poursuit l'ennemi jusqu'à la ligne Souain-Servon.

 

Nous avons dit dans quelles conditions la bataille de la Marne, à l'aile droite, s'était en quelque sorte achevée, le 10 septembre, dans la trouée de Maurupt-Cheminon, c'est-à-dire à la liaison tant recherchée par Joffre entre la 4e et la 3e armée. Joffre avait écrit le matin au général de Langle : " Je compte que vous pourrez rompre aujourd'hui le dispositif ennemi sur votre gauche. " La soir, l'ennemi était vaincu. Joffre le presse déjà, depuis la veille, à gauche et au centre. Dans son Instruction générale n° 21 du 10 septembre à 18 heures, il commence à englober la 4e armée dans la poursuite générale : " La 4e armée, agissant à l'est de la route Sommesous-Châlons, refoulera l'ennemi sur la Marne en amont de Châlons, et s'efforcera de prendre pied sur la crête Saint-Quentin-Dommartin-sur-Yèvre, pour faciliter le débouché du 2e corps et les opérations ultérieures de la 3e armée. "

Ainsi, tandis que la 9 armée a poursuivi l'ennemi dans cette journée du 10, la 4e armée l'a refoulé à gauche et contenu à droite et la bataille de la Marne s'est achevée par la victoire : c'est cette victoire que constate l'Instruction générale n° 22 du 11 septembre : " L'ennemi a cédé sur tout le front, abandonnant blessés, matériel et approvisionnements... " et, en même temps, des dispositions sont prises pour l'exploiter par la poursuite : " Les 9e et 4e armées auront à concentrer leurs efforts sur le groupement du centre et de l'aile gauche ennemis, en cherchant à les rejeter vers le nord-est, pendant que la 3e armée, reprenant son offensive vers le nord, s'efforcera de couper les communications. "

La conception est nette : la 4e armée poursuivra vers le nord-est, la 3e armée coupera les communications vers le nord. Elle est précisée encore le 12 : " L'ennemi se retire vers le nord-est. La 4e armée le poursuit en direction de Vouziers. La 3e armée, lorsque l'ennemi sera en retraite devant elle, agira en direction du nord entre Argonne et Meuse. " En somme, si la pensée de Joffre eût été exécutée, l'armée ennemie eût été coupée en deux morceaux, et ces deux morceaux entourés et étranglés, l'un entre Somme et Aisne, l'autre entre Aisne et Meuse.

Tel est le cadre des instructions dans lequel le général Langle de Cary va régler la poursuite de l'armée du duc de Wurtemberg. Celle-ci avait reçu, le 10 septembre, l'ordre de rester en liaison avec la IIIe armée dont la gauche avait été fixée à Francheville (sud-est de Châlons) ; elle devait rester sur ses positions derrière le canal de la Marne au Rhin jusqu'aux environs de Revigny. Mais, le 11 septembre après-midi, Moltke ordonna un nouveau recul : " IVe armée de Suippes inclus à Sainte-Menehould exclu, Ve armée à Sainte-Menehould et à l'est. Les lignes atteintes devront être organisées et tenues ". Mais ces lignes n'étaient pas encore définitives. Le 12 au soir, le colonel von Dommes, au nom du grand quartier général, apportait aux armées un nouvel ordre de repli : la Ve armée, sur sa demande instante, abandonnait l'Argonne méridionale et la IVe armée appuyait sa droite sur Souain.

Sur les talons de l'armée allemande, l'armée de Langle reprend donc, le 11 septembre, dès la première heure, la marche en avant. La poursuite entreprise, la veille, à gauche, par la 9e armée, a dégagé la voie ferrée de Vitry à Fère-Champenoise. Vers midi, l'ennemi est en retraite à l'ouest de Vitry, mais il tient encore à l'est de la ville. Une fois de plus, nous constatons que l'horizon apparaît dégagé d'abord à l'ouest. Le soir, les 21e, 17e et 12e corps bordent la Marne en aval de Vitry, le corps colonial et le 2e corps sont sur la Saulx et l'Ornain. L'armée dessine un angle droit de part et d'autre de Vitry, enserrant l'armée allemande.

Le soir du 12, la ligne Charmont-Possesse-Vanault-le Châtel-Poix-la Cheppe est atteinte, c'est-à-dire que le côté ouest de l'angle droit s'est largement développé au détriment du côté est et que, d'une manière générale, l'armée fait face au nord-est.

Elle se redresse vers la nord dans la journée du 13 pour atteindre, entre Souain et Sainte-Menehould, une ligne sensiblement face au nord.

Enfin, le 14 septembre, la 4e armée, abandonnant le 21e corps à la 9e armée, prend contact à Perthes-les-Hurlus, Ville-sur-Tourbe et Vienne-la-Ville avec de fortes arrière-gardes ennemies. Mais s'agit-il réellement d'arrière-gardes ? La journée du 15, au cours de laquelle des attaques du 2e corps, du corps colonial et du 17e corps restent sans résultat, révéleront que l'ennemi est définitivement arrêté sur des positions fortifiées.

Pour serrer de plus prés la marche en avant de l'armée de Langle de Cary, il faut maintenant dire comment s'effectua, dans chacun des corps d'armée, ce mouvement qui achevait la victoire de la Marne.

Le 21e corps (général Legrand) avait atteint, le 10 au soir, la voie ferrée Vitry-Sommesous. Sompuis avait été l'objectif vers lequel on n'avait cessé de progresser. Le 11, le quartier général se trouva porté à Saint-Ouen, puis à Sompuis, puis à Coole : la poursuite commençait. Les têtes de colonnes atteignirent le soir la Marne, les gros à hauteur de Cernon. Le 12, les têtes de colonnes des 13e et 43e divisions parvenaient jusqu'à Saint-Remy et Bussy-le-Château. Le corps d'armée, dont le général Maistre prenait alors le commandement, continua la poursuite, le 13, par divisions accolées et il atteignit, en fin de journée, par ses têtes les hauteurs entre Suippes et Souain et le bord de la voie romaine ; le soir même, le 21e corps était rattaché à la 9e armée. Il dut évacuer Souain le 14 au matin ; le 15, la 43e division fut arrêtée au nord de Souain dont elle s'empara, et la 13a division atteignit le chemin de Souain à Perthes.

Le 17e corps (général Dumas), la gauche en avant, était parti le 11 à 4 h. 15 du matin de la voie ferrée Sommesous-Vitry qu'il avait même dépassée la veille ; la 33e division se dirigeait vers Drouilly, la 34e sur Songy, la 23e sur Saint-Martin-aux-Champs. Dès qu'elles se mirent en marche, les unités constatèrent que l'ennemi avait profité de la nuit pour décamper, n'abandonnant que quelques blessés, armes et munitions. Le soir, la Marne fut atteinte et ordre fut donné de pousser immédiatement des têtes de pont sur la rive droite, la 34e au delà de Pogny, la 33e au delà d'Omey et de la Chaussée. La poursuite fut continuée avec énergie au cours de la journée du 13, vers le nord-est. La 23e division ayant été rendue au 12e corps, les deux divisions du 17e corps passèrent par les ponts de Togny et de Pogny et marchèrent sur le Fresne et Poix ; on canonna une colonne ennemie au sud de Poix et la 6e division de cavalerie (du corps de l'Espée), qui marchait sur Herpont prêta l'aide de son artillerie. On bivouaqua le soir à Petite-Romaine et Malassise (avant-gardes), à Poix (34e division) et à Moivre-Coupéville (33e division).

Mais l'ennemi, sans doute alarmé du mouvement rapide de la 6e division de cavalerie (de Mitry) coupant en diagonale tout le champ de bataille jusqu'à Herpont, concentra son effort pour l'arrêter vers ce village au cours de la nuit. Le matin du 13, on apprend en outre que la 9e division de cavalerie, ayant canonné au sud de Suippes des colonnes ennemies marchant vers le nord-est, s'est trouvée aux prises avec une forte artillerie. L'armée du duc de Wurtemberg allait-elle faire tête ? Bientôt, des nouvelles parviennent : le 21e corps vers Suippes et le 12e corps vers Somme-Bionne et Valmy se sont heurtés à de l'infanterie et de l'artillerie, le 9e chasseurs n'a pu franchir la vois ferrée Suippes-Sainte-Menehould. Lorsque, le 14 septembre, le 17e corps reprit, avec toute l'armée, le mouvement en avant, il se heurta à une résistance très forte et, après une lutte acharnée, pied à pied, les fractions avancées s'organisèrent sur une ligne : route de Souain-Perthes-les-Hurlus-boqueteaux sud de Perthes-moulin de Perthes-Mesnil-les-Hurlus-Beauséjour, en liaison à droite vers Virginy avec le corps colonial.

Comme aux corps de gauche, l'ordre de l'armée avait prescrit au 12e corps (général Roques) de poursuivre l'offensive, le 11 septembre au matin, en direction de Blacy. On s'aperçut immédiatement que l'ennemi battait en retraite à gauche, mais on eut l'impression qu'il résistait dans la région de Vitry et sur la rive droite de la Marne. Toutefois, à 10 h. 25, la cavalerie signala l'évacuation de Vitry. Le général Descoings organisa la poursuite sur Couvrot et Soulanges ; cependant, la 24e division ne put dépasser Blacy, à cause de la fatigue et de l'encombrement des routes. Le 12, le 12e corps parvint, à la fin de la journée, jusqu'à Somme-Yèvre et Bussy-le-Repos (24e division), la 23e division cantonnant entre Coulvagny et la ferme Maigneux. Continuée avec énergie le 13, la poursuite rencontra de la résistance : le 21e chasseurs reçut des coups de feu devant Auve, puis se trouva arrêté entre Somme-Bionne et Hans. La 24e division reçut l'ordre de s'engager et de se porter en avant sur Somme-Bionne : la 47e brigade occupa le village et poussa ses avant-postes jusqu'à Hans et la cote 183 ; la 48e brigade cantonna à la Chapelle et aux Maigneux ; la 23e division à Auve et à Herpont.

Le 12e corps allait terminer le 14 septembre la poursuite de la Marne. Il s'engagea ce jour-là dans la vallée de la Tourbe, éclairé par le 21e chasseurs du côté de la vallée de la Bionne. Bientôt les reconnaissances apprirent que Wargemoulin brûlait et que la situation du 17e corps était difficile. La 23e division (général Masnon) lui prêta son aide pour l'attaque de la ferme Beauséjour et la 24e division cantonna à Laval, Somme-Tourbe et Somme-Bionne. En même temps, le corps passait en réserve d'armée.

Pendant les dures journées du 6 au 10, le corps colonial (général Lefèvre) avait tenu à droite du 12e corps et, sur la rive droite de la Marne. Nous l'avons vu réoccupant Ecriennes le 10 après-midi, mais arrêté par des batteries et des tranchées à l'ouest du village. Il n'y eut pas de changement dans la nuit. Le corps devait, le 12, rester sur la défensive ; la division provisoire fut ramenée à Arzillières et à Neuville-sous-Arzillières. Vers 10 heures, il fut rendu compte que l'ennemi paraissait avoir évacué Frignicourt et Vauclerc. L'ordre de l'armée donna mission au corps colonial de précipiter la retraite allemande. A la tombée de la nuit, le corps fut arrêté par des feux tout le long du canal de la Marne au Rhin. En deux colonnes la marche en avant reprit le 12 ; l'ennemi signalé à Vanault-les-Dames n'essaya pas de tenir. Le 13, le corps se dirigea vers Valmy et Ville-sur-Tourhe ; à la fin du jour, les têtes de colonne arrivèrent à Valmy et à Braux-Sainte-Cohière. On continua le 14 la marche sur Vouziers ; mais à 12 h. 30, la flanc-garde de gauche, parvenue à la cote 191 au nord de Massiges, fut arrêtée par de l'artillerie et des tranchées et ne put déboucher ; l'avant-garde de la colonne principale dut également se déployer vers 10 heures au nord de Ville-sur-Tourbe et ne put dépasser la cote 150, malgré l'appui de l'artillerie en position vers Berzieux. Le lendemain 15, toutes les attaques furent arrêtées par des tranchées et des feux croisés d'artillerie. C'était l'arrêt définitif.

Nous avons vu comment les combats du 2e corps avaient, à la jonction des 4e et 3e armées, terminé la bataille de la Marne, le 10 au soir. La nuit se passa sans un coup de fusil et à 8 heures et demie, le 11, la 3e division rendit compte que l'ennemi avait repassé l'Ornain avec la majeure partie de ses forces. Ordre est aussitôt donné au 19e chasseurs d'éclairer vers le canal et l'Ornain. Maurupt étant évacué, la 4e division pousse jusqu'à l'Ornain entre Pargny et Sermaize, la 3e division marchant à sa gauche en direction de Pargny-Bignicourt.

Le 12, le 19e chasseurs se porte a Heiltz-le-Maurupt, Villers-le-Sec et Bettancourt ; la 3e division franchit l'Ornain en deux colonnes à 5 heures et demie, en marche sur Heiltz-le-Maurupt, la 4e division à la même heure en marche sur Alliancelles. Le corps prenait la direction de Sainte-Menehould. Le 13, à 10 heures, tandis que le 19e chasseurs trouvait le contact de l'ennemi à Braux-Saint-Rémy, les deux divisions du corps d'armée atteignaient Sivry-sur-Ante; (3e division) et Sommeille-le Châtelier (4e division), eu liaison avec le 5e corps de l'armée Sarrail. A 15 heures, l'avant-garde de la 3e division est accrochée par l'ennemi et le corps ne peut atteindre Sainte-Menehould ; il stationne entre le Vieil-Dampierre et Givry et entre Braux et Sivry.

Le 14, la marche reprend sur la trouée de Grandpré. On dépasse Sainte-Menehould, mais à 10 h. 15, la 3e division s'aperçoit que l'ennemi a établi un barrage à hauteur de Vienne-la-Ville avec du canon à Saint-Thomas. A 16 heures, les premiers éléments tiennent Servon et la cote 176 à l'est. Va-t-on pouvoir continuer? Le 15, la droite en avant le long de la forêt d'Argonne, le 2e corps tente de poursuivre son mouvement. La 3e division, qui a devant elle une ligne organisée, l'attaque à 10 heures et demi après une préparation d'artillerie sur la hauteur nord de Servon, de la cote 140 à la cote 176. Elle ne réussit pas et, à 14 heures, une contre-attaque allemande reprend Servon ; à 17 heures, le général Cordonnier, commandant la 3e division, est blessé et remplacé par le général Carré. Toutefois, comme le 2e corps dessine un mouvement débordant à droite en face de Binarville, c'est ce crochet que le général de Langle recommande d'exploiter pour le lendemain. En attendant, on se retranchera cette nuit sur les positions occupées. C'est sur ces positions que l'on allait rester quatre longues années.

Deux mois plus tard, le général de Langle était promu grand-croix de la Légion d'honneur avec cette belle citation : " Dans la conduite d'une armée qui a eu à supporter, au début des opérations, l'effort de troupes supérieures, a montré les plus belles qualités de caractère, de courage, de calme et de froide ténacité; a rendu les plus éminents services au pays par la fermeté et l'habileté de son commandement."

 

L'armée Sarrail et les armées de l'est. La poursuite s'achève.

 

Les armées allemandes de l'est, qui avaient manqué la " progression inébranlable " prescrite par Moltke le 5 septembre, restaient, après la défaite des armées de l'ouest, et bien qu'elles fussent elles-mêmes vaincues, accrochées au terrain jusqu'à la dernière minute. Cependant, l'une après l'autre, depuis l'Ourcq jusqu'aux Vosges, les armées ennemies ne pouvaient échapper, tôt ou tard, à la nécessité de la retraite. Von Kluck et Bülow partent le 9, von Hausen le 10, Wurtemberg le 11, voici maintenant le kronprinz de Prusse et le kronprinz de Bavière en retraite à partir du 13.

Moltke, en fixant, le 10, les lignes de repli aux armées de l'ouest, avait ajouté : " Ve armée restera sur positions conquises ; Ve corps et réserve générale de Metz affectés à l'attaque des forts de Troyon, Paroches et camp des Romains. " Le 11 son dernier ordre de Reims s'exprime ainsi : " Ve armée : Sainte-Menehould (inclus) et à l'est. " Nous avons vu que cette ligne avait semblé, à l'état-major du kronprinz, impossible à tenir, que celui-ci proposait, dès l'après-midi du 11, au colonel von Dommes, envoyé du grand quartier général de Luxembourg, la ligne Apremont-Baulny-Montfaucon et qu'on parut s'arrêter, finalement, à la ligne Boureuille-Vauquois. Le repli se fit du 12 au 15 septembre. Rappelons aussi que, sur le Grand-Courronné et dans les Vosges, les VIe et VIIe armées allemandes avaient elles-mêmes reçu l'ordre de se retirer, le 12, sur la ligne 344-nord de Bathelémont-Croismare-ligne de la Vezouze. Ainsi se trouve dessiné, tout le long du champ de bataille da France, le vaste mouvement de retraite de l'ennemi.

Après ses échecs du 10 au fort de Troyon, à la Vaux-Marie et devant Sermaize, et aprè5 la journée du 11, quelque peu inactive de notre coté, l'armée du kronprinz s'est décrochée. Comment appréciait-on la situation, le 11 après midi, à l'état-major du kronprinz ? " La Ve armée forme, après comme avant, le pivot pour toute l'armée de l'ouest. Si l'adversaire parvient à la percer, la situation pour l'armée de l'ouest, plus ou moins coupée de ses communications de l'autre côté de la Meuse, est désespérée. Maintenant que la VIe et la VIIe armée n'ont pas eu de succès, il reste permis à l'adversaire d'attaquer avec de grandes forces à travers le camp retranché de Verdun vers le nord, à l'est et à l'ouest de la Meuse. " Cette situation n'était pas brillante. Le général Joffre avait, en effet, le même jour, prescrit aux 9e et 4e armées de rejeter l'ennemi qui était devant elles vers le nord-est, " pendant que la 3e armée, reprenant son offensive vers le nord, s'efforcera de couper les communications ". Et il précisait le 12 : " La 3e armée, lorsque l'ennemi sera en retraite devant elle, agira en direction du nord, entre Argonne et Meuse. " Puis le 13, en présence de la retraite des armées des deux kronprinz en Argonne et en Lorraine, il jetait en Woëvre, entre Meuse et Moselle, la 2e armée Castelnau pour la faire " participer de façon plus directe aux opérations du groupe principal de nos forces " et tâcher de contribuer à l'enveloppement de la Ve armée dans cette région. Verdun, pivot avant et pendant la bataille des Frontières, conservait son rôle et prolongeait son action : " Utilisant la place de Verdun et la position organisée des Hauts de Meuse, disait l'Instruction de Joffre la 2e armée aura pour mission d'assurer complètement le flanc droit de notre dispositif. "

Dégager Verdun, en fortifier le pivot, bousculer le kronprinz au nord du camp retranché, et le coincer, si possible, avant qu'il ait atteint la Meuse, telle est donc la conception stratégique française. Elle ne se réalisera pas complètement. L'armée allemande ne sera rejetée que jusqu'à la limite nord du camp retranché, mais celui-ci sera suffisamment dégagé pour qu'il devienne la " dent " qui, pendant toute la durée de la guerre, s'enfoncera dans la chair allemande. On verra, deux semaines plus tard, se former, au sud," la hernie de Saint-Mihiel ", opération subsidiaire de von Strantz, qui laissera à l'armée allemande la tentation permanente; d'encercler Verdun. Elle s'y brisera, tandis que Joffre, sacrifiant cette action secondaire au profit de l'action principale, c'est-à-dire la Course à la mer, aura toujours en vue, comme devant amener une issue victorieuse, la manœuvre par l'aile gauche, c'est-à-dire la longue bataille des communications.

Voyons donc comment s'exécuta, à l'armée Sarrail, la poursuite prévue et ordonnée par Joffre. Nous avons esquissé déjà le schéma et le caractère de la marche en avant de cette armée. Il y a, là, une lenteur relative causée par l'indécision dans la quelle on trouve sur les desseins du kronprinz et aussi sur la ligne extrême des troupes qui ont combattu depuis six jours contre un ennemi supérieur en nombre. Pendant la journée du 11, l'armée Langle de Cary avait poussé de l'avant sur Sermaize, permettant ainsi au 15e corps (de l'armée Sarrail) d'occuper le soir Revigny et Brabant-le-Roi et même au 5e corps (10e division, général Labarraque) de s'emparer à 21 heures de Laimont. Ici on a nettement l'impression que l'ennemi cède. Devant le 6e corps et le groupe de divisions de réserve, les troupes du kronprinz s'étaient bornées à un tir d'artillerie lourde. C'est l'heure où l'on discutait, à l'état-major allemand, sur l'amplitude du mouvement de retraite. Ce mouvement s'est exécuté, on le voit, dès le 11 au soir et d'abord à l'ouest, c'est-à-dire sur l'Ornain. A l'aube du 12, Sarrail constate l'évacuation de la vallée de l'Ornain et la simple présence d'arrière-gardes vers Villers-aux-Vents, Louppy-le-Château et le signal d'Érize-la-Petite. Mais il ne croit pas devoir poursuivre, et l'ennemi a toute facilité pour se décrocher. Joffre s'inquiète et insiste le 13 au matin ; et c'est alors seulement que l'armée s'ébranle.

Voyons le mouvement dans chacun des corps, à partir du 12. Au 15e corps (général Espinasse), la journée du 12, que l'ennemi emploie à l'écoulement de ses colonnes à travers les forêts de Belval et de Belnoue, est une journée de repos. Cependant, les deux artilleries divisionnaires doivent prendre position sur la croupe Mussey-cote 185 pour appuyer une attaque du 5e corps sur Louppy. Dans l'après-midi, on apprend que le 15e corps doit se porter, le lendemain 13 septembre, dans la région de Génicourt-Erizre-la-Grande pour s'intercaler entre le 5e et le 6e corps et être en mesure de s'engager de bonne heure en direction générale de Rembercourt-aux-Pots. L'ordre de l'armée indique même que le corps se portera vers Signeulles, Hargeville, Chardogne, Naives, c'est-à-dire vers le sud-est ; quelle est la pensée qui détermine cet ordre ? Comme l'ennemi est depuis le matin en retraite vers le nord, il est malheureusement certain qu'il sera désormais impossible de l'accrocher.

Au 5e corps (général Micheler), des reconnaissances constatent , le matin du 13, que des arrière-gardes tiennent Villers-aux-Vents et la crête à 2 kilomètres à l'ouest de Laimont le mouvement de recul de l'ennemi se confirme dans la journée. Cependant le corps ne bouge pas et reconstitue ses unités.

Le 6e corps (général Verraux), qui a trois régiments du XIIIe corps devant lui sur la cote 267 et le signal d'Érize, a pour mission, lui aussi, de rester sur place, entre le signal du Fayel et Érize-la-Grande (12e division) et sur le plateau à l'est de Chaumont (40e division). La journée est calme, on patrouille sur le front. La 40e division pousse sur Chaumont, mais l'ennemi tient encore la ligne Courcelles-bois Landlut. Le soir, sur l'initiative du général Herr, une reconnaissance du 12e chasseurs poussée par la Vaux-Marie jusqu'à Beauzée apprend que la région a dû être évacuée vers 11 heures.

 

"Le général (général Herr), au cours de la journée du 12, fait avancer l'artillerie lourde de façon qu'elle prenne sous son feu l'artillerie lourde allemande qu'il suppose dans le ravin de Seraucourt. Il fait battre à 7 500 mètres cette même artillerie par deux batteries qu'il installe à la cote 318. Il pleut torrentiellement, ce qui diminue le champ des recherches des emplacements de l'artillerie lourde allemande, qui est obligatoirement à proximité des routes. D'après les ordres reçus, on ne doit pas prendre l'offensive, bien que l'ennemi soit en retraite à gauche.

A 17 heures, le général saute en auto, sans attendre le retour de l'avion qu'il a envoyé en reconnaissance et va trouver le général Verraux. On lui donne un peloton du 12e chasseurs. A la cote 309, il envoie deux pointes, l'une sur la station, l'autre sur le bois 266. Celle de gauche est sous les ordres du capitaine de Malessie. Le général continue avec le peloton sur la ferme. Il la trouve évacuée ainsi que les tranchées en avant ; quelques cadavres en arrière, au dedans, beaucoup le long de la route et du chemin de fer. Les tranchées allemandes sont très intéressantes. Traversées, elles semblent devoir être difficilement enfilées ; néanmoins, les cadavres y sont nombreux. Elles sont par groupes de trois ou quatre en profondeur, la première sur la crête topographique, et distantes les unes des autres de 50 mètres. On trouva toujours l'application du même principe de surprise : tranchées à l'orée extérieure des bois, mitrailleuses dissimulées, même montées dans les maisons.

Les morts deviennent de plus en plus nombreux le long de la route. C'est le canon du 6e corps qui a fait tout ce massacre. Le général fait prendre les bas côtés de la route blanche où l'on sera moins visible. On converse à voix très basse, car on est sous le vent. On approche de Beauzée. Des cadavres bordent la route sur 200 mètres, à rangs serrés. C'est la canonnade par surprise du 10 qui a massacré un régiment occupé à préparer son repas et qui se croyait à l'abri. Positions acrobatiques de gens qui mangent, qui soufflent le feu, véritable danse macabre. On continue quelques centaines de mètres. Apparaissent deux feux de bivouac entourés d'ombres. Nous sommes fixés. L'ennemi a retraité brusquement jusqu'à Beauzée. Beaucoup d'effets d'équipement sont jetés par terre. C'est une fuite. C'est la victoire (Extrait d'un carnet (artillerie du 6e corps))."

 

Quant aux divisions de réserve, elles sont sur les bords de l'Aire (la 75e à Nicey et Pierrefitte, la 65e à Longchamps et Neuville;) ou sur les plateaux boisés en arrière (la 67e entre Courouvre et Laheymeix). Observant la boucle de la Meuse à Saint-Mihiel, la 7e division de cavalerie se trouvait vers Koeur le 11 ; elle pousse sur Verdun le 12 et y arrive le soir.

Passons à la journée du 13. Dans son Instruction, le général Sarrail, qui ne croyait pas la gauche et le centre de son armée en état de marcher de l'avant, estimait que le groupe des divisions de réserve et les troupes de la place de Verdun pouvaient seules essayer, malgré le mauvais temps, une manœuvre enveloppante sur la gauche ennemie.

Le 5e corps effectue le relèvement de la 58e brigade par la 17e et, a midi, arrive l'ordre du général Sarrail de pousser les troupes sur Triaucourt et de s'établir sur le front Senard-Foucaucourt. C'est un bond en avant, un peu tardif ; il s'exécute au cours de l'après-midi et jusque dans la nuit.

Le 15e corps passe de la gauche à la droite du 5a corps ; il marche en direction de Rembercourt et envoie des reconnaissances sur Waly, Autrécourt, Lavoye et Froides, c'est-à-dire; au pied de la forêt d'Argonne. Ces villages sont faiblement occupés ; l'armée du kronprinz a donc ses gros au delà de la forêt : elle a échappé. Le 15e corps atteint le soir Beauzée-sur-Aire.

Le 6e corps, dont un escadron de découverte, arrivé dès l'aube à Ippécourt, a signalé la présence le long de l'Aire, depuis Beauzée, de faibles arrière-gardes ennemies, entame la poursuite dans l'après-midi. A la 12e division, la 24e brigade traverse la 23e; le 132e forme l'avant-garde, précédé du régiment de cavalerie du corps d'armée (15e chasseurs). Par Amblaincourt, on atteint le soir Saint-André. La 40e division a suivi la route de Chaumont. à Souilly.

 

" Samedi 12 septembre. -- Aujourd'hui à la Vaux-Marie, des équipes de sapeurs ramassent les Boches tombés aussi drus que les épis d'un champ. Elles les chargent par dizaines sur de grands tombereaux qui s'acheminent vers des fosses, creusées larges et profondes, en secouant, aux cahots des ornières, leur fardeau de chair morte. Lorsqu'ils sont arrivés au bord des trous béants, on les fait basculer en arrière et verser là dedans les grappes de cadavres qui roulent au fond avec d'affreux gestes ballants.

Dimanche 13 septembre. - Une autre route, qui longe la ligne de Rembercourt à la Vaux-Marie et Beauzée. Dans les fossés, des cadavres humains s'accroupissent ou s'étalent. Rarement un seul, presque toujours deux ou trois, collés les uns aux autres comme s'ils voulaient sa réchauffer. La lumière mourante révéla les capotes et les pantalons rouges : des Français, des Français. Allégement à découvrir quelques Boches. Nuit noire. Nous ne voyons plus les cadavres, mais ils sont là toujours, au fond des fossés, sur les talus, sur les remblai de la voie. On les devine dans l'obscurité. Si l'on se penche, ils apparaissent en tas indistincts où ne se marque point la forme des corps. Surtout, on les sent : l'odeur épouvantable épaissit l'air nocturne. Des souffles humides passent sur nous en traînant avec mollesse, imprègnent nos narines et nos poumons. Il semble que pénètre en nous quelque chose de leur pourriture (Maurice Genevoix, :Sous Verdun.)."

 

D'un autre carnet :

 

" A la poursuite, quelques jours après la nuit du 9 au 10, on pouvait voir près de la station de la Vaux-Marie des bataillons entiers, en double colonne, littéralement fauchés par nos shrapnells. Il y eut là des pertes énormes. Plus de 10 000 cadavres furent enterrés."

 

A 15 heures, le général Sarrail écrivait : " Le groupe de divisions de réserve aura sa tête ce soir à Monthairon (sur la Meuse, au nord-est de Souilly), la 7e division de cavalerie à Verdun a des éléments en avant. La 72e division de réserve a reçu l'ordre de pousser vers Clermont-en-Argonne et au sud " (c'est-à-dire sur les communications allemandes ; mais il est trop tard l'ennemi a déjà dépassé vers le nord la transversale Sainte-Menehould-Clermont). La 72e division devait tenir à la nuit Brocourt et Jubécourt.

Un télégramme de Verdun, à 18 heures et demie, signalait que l'ennemi était retranché depuis Avocourt jusque derrière le ruisseau de Forges, à Malancourt, Béthincourt et Forges.

Pendant la journée du 14 septembre, la marche continue, et l'armée atteint la ligne Verdun-les-Islettes, les divisions de réserve sur la rive droite de la Meuse.

Le général Micheler (5e corps) entre, en effet, au cœur de la forêt d'Argonne et il la longe aussi à l'est, pour cantonner le soir aux Islettes, à Aubréville, à Neuvilly, à Parois.

Le général Espinasse (15e corps) poursuit son mouvement en direction de la forêt de Hesse; la 30e division se trouve un peu retardée le matin vers Lavoye, le long de l'Aire. Le soir, on atteint Brabant-en-Argonne, Brocourt et Blercourt.

Le général Verraux (6e corps) a dirigé ses colonnes par la route de Souilly à Verdun, et il parvient à Froméréville-Thierville, c'est-à-dire à la sortie ouest de Verdun au-dessus de la ville intacte.

 

" Sous un ciel de pluie traversé d'éclaircies, Verdun s'étale, avec ses casernes couvertes de tuiles gaies, les hangars blancs du champ d'aviation et les tours de la cathédrale dressées au-dessus des maisons et des arbres."

 

Vers midi, le général Sarrail avait reçu du général Joffre l'ordre de diriger les divisions de réserve du général Pol Durand (65e, 67e, 75e et la moitié de la 54e), qui franchissaient le fleuve, sur les Hauts de Meuse, au sud de Verdun, et de les céder à l'armée du général de Castelnau. Il s'agit en effet de sonder le mystère de la Woëvre et du camp retranché de Metz. Et ceci va nous rattacher aux opérations de l'est.

Enfin, le 15, la 3e armée devait arriver à proximité des retranchements de l'ennemi, après avoir poursuivi sa marche des deux côtés de la Meuse, 5e et 15e corps à gauche, 6e corps à droite. Comme l'armée de Langle se trouvait accrochée (2e corps) devant Servon et Binarville, ordre fut donné à la 3e armée, en raison de cette situation, de ne pas dépasser la ligne Varennes-Avocourt.

Mais il lui eût été difficile, de toute façon, de la dépasser sensiblement, l'armée du kronprinz ayant achevé son repli et s'étant fortifiée sur ses nouvelles positions.

En effet, au 5e corps, la 10e division atteignit bien Avocourt mais la 9e division éprouva les plus grandes difficultés à progresser au delà de Varennes. Le corps parvint cependant à tenir Baulny, Charpentry, Cheppy et la lisière nord du bois de Malancourt. Malheureusement, l'ennemi allait bientôt supprimer la poche que notre avance avait faite de chaque côté de la forêt d'Argonne. Nous avons vu qu'il reprit Servon à l'ouest, au 2e corps ; il va dans quelques jours, reprendre, à l'est, au 5e corps, Montblainville, Varennes, Cheppy, Boureuilles et Vauquois, ce qui reportera la ligne française à la cote 285, à la Chalade, à la Maison forestière et au nord du château d'Abancourt.

Pour appuyer le mouvement du 5e corps sur Avocourt et au nord, le 15e corps avait porté l'artillerie de sa 30e division sur la croupe de Montzéville et l'avant-garde atteignit Esnes. Elle le dépassa et, le soir, la 30e division s'échelonnait de la croupe nord d'Esnes à Béthelainville, tandis que la 29e division, dont le gros s'échelonnait jusqu'à Froméréville, avait son avant-garde au bois de Cumières et sur le Mort-Homme.

De l'autre côté de la Meuse, le 6e corps grimpait sur les collines du futur champ de bataille de 1916. Il était en liaison avec le 15e corps par la 72e division de réserve, établie sur le bord du fleuve, vers Samogneux. Ses deux divisions avaient franchi la Meuse, la 12e division à Charny, se dirigeant sur Louvemont-Beaumont, la 40e division à Verdun, marchant sur Ornes-ferme Saint-André. Le général Verraux établit son poste de commandement au fort de Douaumont et le quartier général de l'armée Sarrail vint se fixer à Verdun. Le jour même on constatait que, partout, l'ennemi était solidement retranché.

pour achever le tableau de la poursuite générale des armées françaises, il faut dire quelques mots des opérations qui se déroulaient, au même moment, entre la Meuse et les Vosges. La victoire du Grand-Couronné et de la Chipotte s'étaient affirmées au moment même où la poursuite commençait après la bataille de la Marne. C'était la conséquence naturelle de ces succès " en château de cartes " qui, de l'ouest à l'est, permettaient à chacune des armées françaises de pousser de l'avant au fur et à mesure que l'horizon s'éclaircissait à leur gauche.

Bien que le général von Heeringen, commandant la VIIe armée dans les Vosges, se fût embarqué avec son XVe corps depuis le 6 septembre et s'acheminât par la Belgique sur Saint-Quentin, où il arrivait le 12, la bataille avait conservé un caractère d'incontestable violence en Lorraine ; elle y était alimentée, en effet, par de nouvelles formations d'ersatz et de landwehr, jusqu'au moment où, les nuages se dissipant sur l'Ornain et en Argonne, l'armée Castelnau et l'armée Dubail constatèrent à leur tour que l'ennemi se retirait devant elles. Déjà, le 10, le 1er corps bavarois a quitté le front. Aux deux ailes, Pont-à-Mousson et Saint-Dié sont réoccupés dès le 11. Enfin, le 12, l'ennemi bat définitivement en retraite ; il se retire sur la Seille, il abandonne Lunéville, il se rabat derrière la Meurthe que Dubail atteint et dépasse, en occupant bientôt Baccarat et Raon-l'Étape. Ainsi le général Joffre voyait la victoire s'achever partout et l'ennemi obligé d'abandonner ses tentatives sur le pivot de l'est. Ce " pivot " ayant tenu, la victoire était complète.

Au cours de la bataille, le maintien constant des liaisons, par le grand quartier général, avait été un des principaux éléments du succès. C'est ainsi que le général Joffre n'avait jamais perdu de vue la plaine mystérieuse de Woëvre, qui s'offre comme le débouché immédiat de Metz en direction de la Meuse. Chaque jour, il avait mis le général de Castelnau en garde sur sa gauche, et des ordres successifs, à mesure que la victoire s'annonçait partout ailleurs avaient porté des troupes de ce côté : la 2e division de cavalerie est lancée par un ordre du 7 en direction de Beaumont ; la brigade mixte de Toul, le 8, en direction de Saint-Mihiel, puis toute la division de Toul (73e) le 11, le 10e corps sur Saizerais le 11 également en vue de marcher le 13 par Flirey sur Étain. C'est alors que, le 13 septembre, Joffre adresse aux 1e et 2e armées les instructions que nous avons citées plus haut et par lesquelles il fixe les nouvelles missions qui leur incombent. Son idée maîtresse était de constituer avec l'armée de Castelnau une armée de Woëvre, chargée d'opérer par conséquent entre Meuse et Moselle avec les forces suivantes, de l'ouest à l'est : 3e groupe de divisions de réserve (67e, 65e, 75e), sur les Hauts de Meuse entre Abancourt, Manheulles st Génicourt, 73e division de réserve à Saint-Mihiel, 2e division de cavalerie vers Essey, 8e corps transporté à partir du 14 sur Saint-Mihiel par voie ferrée, 20e corps réuni le 15 autour de Domèvre-en-Haye. Le général de Castelnau transporte son quartier général, le 14, à Commercy, prêt à étudier les opérations que le haut commandement se réservait de prescrire au moment voulu. Le front ne se modifia guère les jours suivants. On surveillait attentivement la Woëvre où le Ve corps actif restait face à Troyon. Le général Joffre refusait de laisser la 2e armée s'engager dans un mouvement prématuré, quand, le 18 septembre, deux télégrammes du grand quartier général changèrent la situation :

 

"7 heures : L'état-major de votre armée et le 20e corps seront transportés vers l'ouest. Veuillez vous rendre au grand quartier général.

16 heures : Le quartier général de la 2e armée et le 20e corps sont transportés sur une autre partie du théâtre des opérations. En conséquence, à partir du 19, 0 heure, la 2e division de cavalerie et la place de Toul dépendront de la 1re armée. Le 8e corps et les 65e, 67e et 75e divisions de réserve dépendront de la 3e armée."

 

Ainsi Castelnau et le 20e corps allaient prendre part à la grande manœuvre de l'aile gauche, la Course à la mer, tandis que, dans l'est, les 1re et 3e armées devenaient solidaires pour la bataille qui allait se livrer en Woëvre.

Déjà, nous l'avons dit, l'instruction du 13 septembre avait donné à la 1re armée (général Dubail) la charge de tout le front compris entre la Moselle et les Vosges, de Nancy à Belfort. Trois groupements furent constitués : le groupement de Nancy (général Taverna) avec le 3e groupe de divisions de réserve (59e, 64e, 68e), les 70e et 74e divisions de réserve, le 16e corps ; le groupement central, sous les ordres directs du général Dubail avec la 14e brigade de dragons, le 14e corps, le corps provisoire, la 41e division la 71e division de réserve ; le groupement des Vosges (général Putz) avec des formations de réserve et les troupes alpines. Il parut nécessaire au général Dubail de constituer de fortes réserves. C'était, d'ailleurs, le désir du grand quartier général qui, le 16 septembre, télégraphiait : " Aucun indice certain ne permet, à l'heure actuelle, de déterminer la destination donnée par l'ennemi aux corps retirés d'Alsace et de Lorraine. On doit donc admettre comme possible que les Allemands ont rassemblé en arrière de Metz-Thionville des forces importantes pour tenter une action dans la direction de l'ouest ou du sud-ouest. " Avec une parfaite compréhension des intentions du haut commandement et de la situation générale, le général Dubail prit ses dispositions pour remettre en main les unités, pour garder une attitude agressive par des détachements de contact et aussi pour fortifier tout le front, notamment les postes avancés au delà de la Meurthe, de manière à réaliser une économie de forces au profit des réserves.

Cependant l'attention du haut commandement ne cessait de se porter vers la Woëvre. Le 16 septembre, en rentrant à son quartier général d'Epinal, le général Dubail trouvait un télégramme prescrivant à la 1re armée de se tenir prête à intervenir sur sa gauche et de constituer à cet effet une forte réserve, au moins un corps d'armée, autour de Nancy : le 16e corps fut désigné.

La Woëvre n'est, malgré tout, qu'un théâtre d'opérations secondaire. Joffre est maintenant renseigné sur les intentions de l'ennemi. C'est vers l'Oise et la Somme que le champ de bataille va s'étendre ; des débarquements allemands importants sont, en effet, signalés le 17 à Valenciennes et Cambrai. Le jour même, à 14 heures et demie, le grand quartier général y répond par l'ordre de transporter le 14e corps par voie ferrée de la région de Bayon dans la région au nord de Paris et, finalement, comme cela s'était passé depuis le début de la bataille de la Marne, le pivot une fois consolidé, l'est se vide dans l'ouest.

La poursuite de la Marne est finie ; le front se stabilise et, sauf dans la plaine de Woëvre où les adversaires procèdent aux mouvements stratégiques précurseurs du choc de la fin de septembre, partout les tranchées se creusent et s'approfondissent et les armées enterrées vont servir de réservoir au haut commandement. Il y puisera pour la Course à la mer et pour la bataille des Flandres, jusqu'à la fin, les unités qui serviront à la grande manœuvre des voies ferrées qui alimentera sans cesse le front, protégera Paris, s'opposera aux retours de l'ennemi et consolidera enfin, jusqu'à une reprise définitive, les résultats obtenus par la victoire de la Marne.

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