CHAPITRE VI - LA BATAILLE DE VITRY-LE-FRANÇOIS - LE 8 ET LE 9 SEPTEMBRE

La bataille pour Paris, la bataille du massif et de la plaine, n'est qu'une partie de la bataille de France. Nous l'avons dit dès le début et nous espérons avoir donné ainsi la clef de toute la guerre : la victoire de la Marne n'eût pu être gagnée ni même engagée si notre force de l'est n'avait servi de pivot.

D'ailleurs, le grand plan allemand, modifié plusieurs fois, n'en réservait pas moins toujours, et surtout dans sa dernière forme, un rôle décisif à l'offensive de l'est. Les deux dents de gauche étant enfoncées sur Sézanne et sur la trouée de Mailly, la troisième mordait dans la trouée de Revigny.

C'est sur ce point que le grand quartier général allemand compte, en dernière analyse, voir triompher sa manœuvre " géniale " : il a confié au kronprinz, appuyé à droite par le duc de Wurtemberg et bientôt, à gauche, par von Strantz, la mission de rompre, ici, la grande armée de Joffre, de façon à encercler Verdun d'une part et, d'autre part, à rejeter toutes les armées françaises de l'est sur la frontière suisse. Cette partie de la manœuvre importe tellement à ses yeux que c'est de ce côté qu'il prolongera, le plus longtemps possible, sa résistance et qu'il y reviendra sans cesse.

Si l'on y regarde de près, on voit que la bataille de la Marne se rattache, de ce côté, par des fils invisibles à toute la suite de la guerre et même à la victoire finale.

La bataille de Paris étant gagnée au massif de Seine-et-Marne, la bataille de France ne sera gagnée que plus tard à Verdun, ce qui permettra de l'achever dans le nord et de rejeter les Allemands par où ils sont venus.

N'est-ce pas, d'ailleurs, la chose du monde la plus naturelle, puisque cette frontière est, séculairement, la cuirasse de la patrie ? Mais elle ne pouvait remplir ce rôle en 1914-18 qu'à la condition de n'être pas abandonnée à elle-même. Les forteresses de l'Est n'eussent pas suffi : en butte à la puissante artillerie moderne, elles eussent, sans doute, subi le sort de Liége et de Namur. C'est la présence des trois vigoureuses armées de Dubail, de Castelnau et de Sarrail autour de la ceinture de nos camps retranchés qui a consolidé cette frontière et qui a fait d'elle la sauvegarde de la France.

Entre les armées de l'est et les armées de l'ouest, c'est-à-dire entre la bataille de pivot et la bataille de manœuvre, la 4e armée (Langle de Cary) formait la liaison. Elle constituait, avec l'armée Foch, " le fond de la poche ". Nous avons dit son double rôle pendant les premiers jours de la bataille : apporter ses réserves à la 9e armée à la trouée de Mailly et, en même temps, consolider l'armée Sarrail sur la trouée de Revigny. Manœuvre à deux faces extrêmement délicate, puisque la moindre faute aurait eu pour résultat de scinder la ligne de front au point le plus dangereux. On comprend assez que les Allemands aient porté leurs efforts de ce côté jusqu'à la dernière minute avec l'espoir de briser la résistance française à la suture.

Nous avons conduit le récit des opérations des armées Langle de Cary et Sarrail jusqu'au 7 au soir. En reprenant cet exposé et en le continuant, pour ces deux armées, jusqu'à la retraite de l'ennemi, le 11, nous aurons achevé le récit de la bataille de la Marne et expliqué la triple victoire qui constitue sa magnifique unité.

Donc, Langle de Cary était engagé à plein le 7 au soir, sa gauche contre l'armée von Hausen pour porter aide à Foch et sa droite contre l'armée du duc de Wurtemberg pour maintenir sa liaison avec Sarrail.

Par contre, il devait subir, dès le 8 au matin, la double offensive de von Hausen et du duc de Wurtemberg. De ce côté aussi, cette journée du 8 allait être la journée critique.

Rappelons, en deux mots, les projets de von Hausen et du duc de Wurtemberg; car ces deux généraux, à cette heure, ont encore ou croient avoir encore l'initiative.

Von Hausen avait pensé que, puisque Joffre attaquait dans la région de Paris, le centre de l'armée française devait se trouver démuni : on ne peut pas être fort partout à la fois ; et il en avait conclu, dans la nuit du 7 au 8, qu'en tombant avec toute sa puissance, et avec l'aide des armées voisines, sur le " fond de la poche ", il aurait des chances sérieuses de le crever. Il eût réussi, peut-être, s'il s'y fût pris plus tôt. Mais, pendant qu'il s'attardait, Joffre avait eu le temps de prendre ses mesures.

Quoi qu'il en soit, pour le 8 au matin, von Hausen, ayant constaté par ses avions que la division de cavalerie du général de l'Espée n'a pas reçu de troupes de soutien, se décide à faire son effort maximum à la trouée de Mailly.

A droite, son XIIe corps, uni à la Garde, fait fléchir, comme nous l'avons vu, dès le 8 à la première heure, le 11e corps français. L'aile droite de Foch se recourbe dans le cours des deux journées du 8 et du 9, jusqu'à perdre même le village de Mailly.

Ce n'est cependant qu'un battant de la porte qui s'entrouvre ; il faut enfoncer l'autre pour s'assurer le passage jusqu'à Arcis-sur-Aube. Or, cet autre battant, Joffre l'a consolidé en appelant à l'aide Langle de Cary et en envoyant toutes les troupes dont il peut disposer. Nous allons les voir arriver successivement et bien opportunément sur le terrain.

Von Hausen ne s'en croit pas moins maître de la situation. De même qu'il attaque aux marais de Saint-Gond, c'est-à-dire à l'ouest de Fère, il attaque en pleine Champagne, c'est-à-dire entre Fére-Champenoise et Vitry, dans la région de Sompuis. Il a constitué de ce côté un groupement confié au général von Elsa (23e division et XIXe corps). Ce groupement doit enlever la région de Sompuis et tourner par le sud, en obliquant à l'ouest, sur la région de Mailly. Pour donner plus de puissance à cette attaque qui forme le véritable " fer de lance ", von Hausen fait appel au concours du duc de Wurtemberg et celui-ci lui assure, en effet, l'aide de son VIIIe corps. C'est avec ces forces que von Hausen prépare la percée à sa gauche, le 8 au matin. Foch n'avait eu à lui opposer, la veille, qu'une division de cavalerie (de l'Espée). Mais déjà, Langle de Cary est accouru avec son 17e corps et son 12e corps et Langle de Cary lui-même va recevoir, dans la journée, les secours envoyés par Joffre (je ne parle pas des recrues qui, très nombreuses, arrivent des dépôts et comblent les vides dans les régiments).

Ainsi se compose la trame serrée des offensives et des contre-offensives entrecroisées dans la région de Vitry au cours de ces deux journées du 8 et du 9 ; l'expression paraîtra d'autant plus juste que, tandis que l'armée von Hausen tombe dans le flanc de Foch à la trouée, Langle de Cary tombe dans le flanc de von Hausen sur la route de Vitry-le-François à Arcis et le duc de Wurtemberg essaye de prendre de flanc l'offensive de Langle de Cary dans la région Chatel-Raould-Vitry-le-François.

Le terrain étant un inextricable lacis de rivières, de canaux, de bois et de collines, la bataille " pour la poche " prend ici l'allure d'un duel pied à pied, d'une guerre d'embuscades et de chicanes. Elle se disloque dans les sapinières de Champagne comme elle s'est enlisée un peu plus à l'ouest, dans les marais de Saint-Gond. Mais ce sont là des détails auxquels le grand commandement allemand ne s'est pas arrêté un instant quand il lançait sa grande offensive à coups d'hommes.

Von Hausen lui-même ne songe plus qu'à son " irrésistible " attaque à la baïonnette, telle qu'il est en train de la mener, à sa droite, contre le 11e corps français et telle qu'il a conçu le dessein de la mener à sa gauche contre Langle de Cary. Il a demandé au VIIIe corps d'attaquer de la même façon. Mais, ici, le terrain et la supériorité déjà marquée des Français s'oppose même à une simple tentative. Les deux corps, XIXe et VIIIe, chercheront toute la journée l'occasion de se jeter sur l'artillerie française et ils ne la trouveront pas.

 

L'attaque de von Hausen et l'entrée en ligne du 21e corps français, le 8 septembre.

 

Entrons donc dans la bataille de Vitry-le-François, le 8 au matin. Le 7 au soir, Langle de Cary constate que ses affaires ne vont pas trop mal. Son 17e corps a progressé sérieusement dans la région sud-ouest de Vitry-le-François. Il a tenu tête à von Hausen autour des deux Perthes et, finalement, il a rejeté l'ennemi au delà de la ligne du chemin de fer qui va de Sompuis à Vitry-le-François.

Pour le 8, Langle de Cary a reçu du haut commandement les indications et les prescriptions contenues dans " l'ordre général n° 7 " ; " L'armée allemande semble se replier vers le nord-est devant l'effort combiné des armées alliées de gauche. Celles-ci doivent suivre l'ennemi avec l'ensemble de leurs forces, etc. La 9e armée s'efforcera de tenir sur le front qu'elle occupe, jusqu'au moment où l'arrivée de forces réservées de la 4e armée sur sa droite lui permettra de participer au mouvement en avant. "

Ayant médité sur ces données et instructions précises, Langle de Cary s'est rendu compte : 1° que l'ennemi est battu à l'ouest et commença à se replier ; 2° qu'il faut résister à ses derniers efforts en soutenant Foch; 3° et qu'aussitôt que possible, on devra passer à l'offensive conjointement avec la 9e armée. Rien de plus simple et de plus clair. C'est comme si Joffre disait à ses lieutenants : " Un dernier effort et nous les avons ! "

Dès le 7 au soir, à la suite du succès de son aile gauche en direction de Sompuis, le général de Langle avait demandé au grand commandement l'autorisation d'entamer la poursuite. Accordé, mais seulement dès que le 21e corps, qui arrive de l'armée Dubail, pourra entrer en ligne. Le général de Langle de Cary met en outre à la disposition du général Dumas, qui commande cette aile gauche, la 23e division (Masnou) du 12e corps et le détachement Breton du 17e corps.

Les troupes du 17e corps sont toujours sur les emplacements qu'elles ont emportés la veille au soir. En gros, c'est la voie ferrée Sommesous-Sompuis qui fait la séparation des deux adversaires. Les éléments avancés ont pu atteindre la ligne. Ordre est donné de franchir les bois qui s'étendent entre Sompuis et Vitry-le-François. L'effort principal du 17e corps et du 21e corps, dès que celui-ci sera en mesure d'agir, se portera principalement sur l'axe : tunnel, cote 212, cote 158, c'est-à-dire vers la route de Paris en direction de Maisons-en-Champagne.

On se prépare à l'attaque ; mais on attend, les yeux tournés vers la région d'où doit déboucher le 21e corps. Langle de Cary a son P. C. à Chavanges, où il va recevoir le général Legrand, commandant le 21e corps, et lui fixer sa mission.

Mais l'ennemi a pris les devants. Dès 6 heures, le 8, ses premiers feldgrauen se sont infiltrés dans les bois et ont tourné nos avant-gardes, forcées de se replier. C'est la 23e division saxonne. A la faveur des bois qui la cachent au canon français, elle progresse. De 7 heures à 11 heures, l'ennemi, débouchant en masses profondes du tunnel, avance jusqu'à la Perrière, cotes 186, 202, devant la 34e division (général Alby) et jusqu'à cote 201, ferme la Certine, 174, 130, château Beaucamp, devant la 33e division (général Guillaumat). Le détachement Breton perd la crête d'Humbeauville. On attend toujours le 21e corps. Enfin, il entre en ligne : la 25e brigade (de la 13e division général Bacquet) arrive après une marche de 50 kilomètres ; aussitôt elle rétablit la situation : elle se relie au détachement Breton à la ferme l'Épine et occupe la ferme la Custonne. La 23e division saxonne subit de grosses pertes dans le ravin des Monta-Marins (Général Legrand-Girarde, Opérations du 21e corps d'armée (Plon, 1922), p. 134.).

Ainsi le barrage établi en hâte par la division Bacquat à travers la trouée de Mailly, bien qu'il laisse encore un vide de 10 kilomètres à droite du 11e corps, a brisé de façon sanglante l'élan de von Hausen. Celui-ci, d'ailleurs, reconnaît l'efficacité du tir violent des canons français sur le flanc droit du groupement von Elsa. Le 21e corps entrait donc dans la grande bataille à l'heure même et au point précis où son action était le plus nécessaire.

A midi, le général Dumas avait, d'autre part, ordonné une contre-attaque, précédée par une puissante préparation d'artillerie. Cette contre-attaque, menée en direction de Vitry-le-François par le 17e corps et une partie du 12e corps, se heurta au XIXe corps saxon (général von Laffert). Celui-ci s'était mis en route, dès l'aurore, pour la fameuse attaque à la baïonnette, et le VIIIe corps de l'armée du duc de Wurtemberg avait reçu l'ordre de faire de même. Mais l'artillerie française a beau jeu de prendre à partie les masses d'infanterie qui se risquent à sortir des tranchées et des bois. Le XIXe corps est arrêté devant Grenoble-ferme et ne peut plus faire un pas. L'aile gauche de ce même corps est également fixée et à moitié anéantie (" pertes considérables ", écrit von Hausen) sur le chemin et le cours d'eau entre Courdemanges et Chatel-Raould. Von Hausen s'obstine à poursuivre l'attaque l'après-midi ; mais la 23e division est épuisée et refuse de marcher. La 24e division du XIXe corps allemand est jetée, dans l'après-midi, sur la ferme la Certine ; elle s'en empare un instant, mais elle la reperd et est obligée de se retrancher sur la ligne du chemin de fer où elle s'est repliée. L'artillerie de cette division tire sur les troupes du XIXe corps allemand, et cette erreur qui se prolonge ajoute encore à la gravité de la débâcle.

Les hommes et leurs chefs attendirent la nuit pour tenter de percer le front ennemi dans une attaque à la baïonnette de façon à échapper au tir de l'artillerie ennemie. Mais, après la chaleur torride de la journée et en raison de l'épuisement qui accablait les hommes et les bêtes, les grands chefs durent renoncer, sur tout le front, à une attaque de nuit (Baumgarten-Crusius, loc. cit.).

Le VIIIe corps allemand (général Tülff von Tschepe und Weidenbach) n'avait pas fait davantage. Il n'avait pu déboucher au delà de Huiron. A Courtisols (quartier général de la IVe armée), le VIIIe corps s'était refusé, lui aussi, à procéder à une attaque de nuit.

 

" II ne croyait pas au succès de l'entreprise à cause de l'éloignement des batteries françaises (4, kil.) et de l'incertitude de leur position exacte. Le plan d'attaque sur les Rivières (où l'on supposait l'artillerie lourde française) fut abandonné... Les combats du 8 septembre, au groupement Est, revêtirent la forme d'une avance pénible et lente de boqueteau à boqueteau, de ferme à ferme, de pli de terrain à pli de terrain ; ils prirent ensuite un caractère purement défensif ; c'était la preuve que l'équilibre tendait à se rompre en faveur des Français (Von Hausen, loc. cit., traduction, p. 242.). "

 

Partout l'offensive si fortement montée par von Hausen est donc fixée ou refoulée. En gros, l'invasion allemande ne devait guère dépasser, de ce côté, la voie ferrée de Sommesous à Vitry-le-François.

Or, von Hausen aurait dû être, depuis deux jours, non seulement à Arcis-sur-Aube, mais sur la Seine, puisque c'était sur son armée que l'on comptait pour " enfoncer la porte ". A peine avait-il entrouvert l'un des battants que l'autre s'était refermé violemment sur lui.

Le 12e corps avait supporté, avec le 17e, le poids de la grande offensive allemande directement au sud de Vitry-le-François. Les aviateurs avaient signalé, dès la première heure, que de nombreuses colonnes ennemies étaient en marche vers le sud, tant à l'ouest qu'à l'est de Vitry.

Le 12e corps avait reçu la mission spéciale de tenir ferme sur la grande route de Brienne en maintenant les liaisons avec le corps colonial et le 2e corps qui combattaient de l'autre côté de la Marne. Sa position n'était pas brillante ; en effet, la 23e division lui avait été enlevée pour former, avec le 21e corps, un détachement d'aile chargé de tenter une action débordante sur la droite de l'ennemi tandis qu'il sera fixé par le 17e corps. Reste donc seulement au 12e corps la 24e division (général Descoings). Et l'attaque allemande se déclenche. La cote 130, au sud-ouest de Courdemanges, est perdue dès 4 heures du matin. Et le 17e corps demande l'appui, du moins par tir d'artillerie, sur la région de Humbeauville : c'est-à-dire que le 12e corps réduit à une division est appelé à l'ouest précisément à l'heure où il est lui-même rejeté vers le sud.

Le XIXe corps (von Laffert) cherche à progresser par la grande route de Brienne ; il vise, lui aussi, les batteries françaises installées derrière les Rivières. II s'acharne sur Courdemanges. Après un terrible bombardement, le village est évacué, le colonel du 108e (Bergerac) tombe grièvement blessé. Alternatives sanglantes dans le cours de l'après-midi. Courdemanges repris est de nouveau perdu vers 16 heures. Un effort suprême et une magnifique contre-attaque du 326e nous rendent la cote 153 au nord du mont Moret, Courdemanges et la cote 130, à la fin de la journée. Le général Descoings a regagné, à peu de chose près, le front qu'il occupait au début de la journée et von Hausen est contraint, comme nous l'avons dit, d'abandonner l'idée d'une attaque de nuit ; la 23e division et le XIXe corps sont épuisés, le VIIIe corps, qui n'a pas confiance, refuse son concours. A l'est comme à l'ouest de Vitry-le-François, l'ennemi est donc fixé. La grande invasion est arrêtée. La trouée de Mailly est protégée des deux côtés.

A droite du 12e corps, le corps colonial (général Lefèvre) est engagé. C'est ici que l'on sent combien la situation de la 4e armée est difficile. Car, tandis que la gauche est entraînée à l'ouest par le péril imminent qui menace la trouée de Mailly et la route de Brienne, voici que se fait sentir, à l'est, l'attraction de la terrible bataille que le 2e corps (général Gérard) et l'armée Sarrail livrent au duc de Wurtemberg et au kronprinz pour la trouée de Revigny, De quel côté porter l'effort principal ?

Le corps colonial se bat dans la boucle de la Marne. S'il tient , il sauvera les liaisons ; s'il succombe, la gauche et la droite seront emportées dans un recul dont on ne peut prévoir les suites. Aussi, dès le 7, le général Lefèvre, décidé, selon l'ordre 42, " à se faire tuer sur place plutôt qu'à reculer ", s'est retranché entre la route et la voie ferrée, sur une ligne Frignicourt-Luxémont-Écriennes-Matignicourt. II se tient en liaison avec le 17e corps à la ferme du Mont-Moret. Le 8 au matin, le groupe Caudrelier de la 2e division opère en partant de Blaise-sous-Arzillières et, résolument, il contient l'ennemi.

Sur le reste du front, il en est de même ; la 2e division (général Leblois) entre Bignicourt et Goncourt, la 3e division (général Leblond) entre Matignicourt, Thiéblemont-Farémont, repoussent les attaques venant du nord et qui, de ce côté, inclinent vers le sud-est et non plus vers le sud-ouest ; c'est l'armée du duc de Wurtemberg qui vient en aide à l'offensive du kronprinz. La solidité du corps colonial décide dès lors, en ce point, du succès de la bataille vers le sud-est ; la gauche du 2e corps est couverte ; les liaisons sont assurées.

Avec le 2e corps, nous tombons dans la bataille pour Revigny; aussi, malgré que ce corps appartienne à l'armée Langle de Cary, nous rattacherons l'exposé de la journée du 8, en ce qui le concerne, à la bataille de l'Argonne et nous dirons d'abord ce qu'il advint de la gauche de l'armée Langle de Cary dans la journée du 9. Car la décision n'était pas encore obtenue le 8 au soir. Tout au plus, sen/ tait-on un vent nouveau qui se levait. Puisque von Hausen n'avait pas passé, il ne passerait pas ; donc il n'avait qu'à quitter la place. La bataille du 8, sanglante et anxieuse, commençait à apparaître pleine d'espoirs : mais elle ne devait apporter tout son résultat que le lendemain.

 

La journée du 9 dans la région de Sompuis-Vitry-le-François.

 

Tandis que dans le camp français l'on en était encore à se demander s'il fallait considérer le succès de la défensive comme acquis et si l'heure était arrivée de passer à l'offensive, les réflexions devenaient amères dans le camp allemand.

Il ne faut pas s'en rapporter au plaidoyer de von Hausen qui, du fond de sa chambre de malade, n'apprenait que ce qu'on croyait devoir lui faire connaître. Baumgarten-Crusius se rapproche davantage de la vérité quand il s'explique, en ces termes, encore très optimistes, sur la préparation de la journée du 9 :

Il ne faisait doute pour personne au commandement de la IIIe armée, écrit-il, que l'attaque se poursuivrait le 9 septembre, mais à condition que l'on fût soutenu par les armées voisines et assuré de leur coopération. En fait, la force combative des troupes était diminuée de moitié depuis leur départ; et on se rendait compte combien il était difficile de continuer à entretenir une ligne de front dépassant 50 kilomètres. Mais cela ne pouvait ébranler la résolution prise de poursuivre l'attaque le 9 septembre. Cette résolution fut fortifiée encore par un marconigramme de la IIe armée faisant connaître que, par suite de ses pertes, il ne lui restait plus que la valeur de trois corps. Le soir du 8, à 7 h. 10, le commandant en chef de la IIIe armée faisait savoir au grand quartier général qu'il était toujours en disposition de " rejeter l'ennemi ".

Si l'on s'en rapporte à cette source évidemment intéressée, les ordres suivants auraient été donnés à la IIIe armée pour le 9 au matin :

1° " L'armée, sur toute la ligne, en bataille victorieuse avec progrès en avant. L'aile droite de la IVe armés est environ à Huiron " (c'est-à-dire rejetée en arrière de la voie ferrée ; cela ne constitue aucun progrès).

2° " L'attaque se poursuivra demain. "

On prescrivait au général Kirchbach, pour décharger la IIe armée gui luttait péniblement, l'attaque en direction sud-ouest sur Sézanne (c'est la dernière offensive sur les marais de Saint-Gond que nous avons exposée ci-dessus).

" ...Pour le groupe de gauche, son chef, le général von Elsa , ordonna la continuation de l'attaque en direction sud pour le 9 septembre, la 23e division à l'ouest du ruisseau du Puits et le XIXe corps à l'est du même cours d'eau. "

C'est, en somme, la " voie romaine " qui fait la séparation dans le sens nord-sud ; mais les ordres n'ajoutent pas que l'offensive allemande ayant été rejetée, la veille, au nord de la voie ferrée, c'est de là qu'il faut partir. Or, c'est ce qui paraît très dur au soldat. Dans ses tranchées, il tient encore mais pour s'élancer au; dehors, il a perdu l'élan.

Baumgarten-Crusius dit que, par suite de l'intervention de la 23e division de réserve, l'attaque du 21e corps français sur Sompuis resta presque sans effet. Cependant l'attaque du 21e corps allait consolider la ligne française et refréner définitivement toute tentative allemande de progresser par la trouée de Mailly. Il ajoute que la 23e division de réserve, qui faisait la liaison entre le groupe Kirchbach et le groupe d'Elsa, s'était avancée jusqu'à Trouan-le-Petit. Mais il la compare assez plaisamment à " une petite languette oscillant dans la balance de la décision de la bataille des peuples ". Languette bien exposée, puisque notre 21e corps la prenait de flanc, par l'est. Telles sont les conditions dans lesquelles se développe la bataille de la gauche de von Hausen (groupe d'Elsa) pour la journée du 9.

Voici, maintenant, les résultats de cette journée selon les aveux mêmes de l'ennemi. Avant que les ordres de retraite aient été donnés, la 23e division, qui se bat en direction sud-ouest de Sompuis, subit des pertes tellement considérables qu'il lui est impossible d'avancer. Or, " vers midi, on constatait l'apparition d'une forte colonne d'infanterie ennemie, évaluée à une division venant de Trouan; une autre colonne française était également signalée venant des Cavattes et avançant direction nord. Dans ces conditions, la 23e division renonça à toute attaque et appela au secours ses réserves. Nous allons dire ce qu'était cette offensive française qui arrêtait l'ennemi et faisait pencher la balance.

De même au XIXe corps : c'est à peine s'il put saillir de la voie ferrée et se risquer dans les bois de Grenoble-ferme. Il fut même nécessaire de faire relever la 89e brigade par une division du VIIIe corps, empruntée à la IVe armée. Toute attaque hors des tranchées s'effilochait sans produire de résultat. En somme, on faisait massacrer les troupes pour rien.

 

 

CARTE IGN N° 22, autorisation 80-7114

 

Quant au VIIIe corps lui-même, prêté par le duc de Wurtemberg à von Hausen, nous avons vu dans quel état il était le 8 au soir ; s'étant déjà dérobé, la veille, à l'attaque à la baïonnette que lui demandait von Hausen, il ne fit pas mieux dans la journée du 9 : il se cramponne avec peine à Huiron et Courdemanges, à cheval sur la voie ferrés.

Voyons cette journée du 9 du camp français : rien ne nous édifiera mieux sur les récits obscurs et volontairement alambiqués du général Baumgarten-Crusius. Le 9, c'est le jour de la pleine entrée en ligne du 21e corps. La manœuvre de Joffre est donc en voie d'exécution. Le 21e corps (général Legrand), débouchant de Saint-Ouen, est jeté dans le camp de Mailly. Il a ordre de faire un mouvement d'enveloppement par la droite de l'ennemi, et c'est ainsi que nous venons de le voir déboucher par Trouan-le-Grand et la ferme des Cavattes ; sa 43e division (général Lanquetot) à gauche formant flanc-garde de l'armée et fermant (enfin !) la large fissure du camp de Mailly qui n'était couverte que par la division de cavalerie de l'Espée ; la 13e division (général Bacquet), à droite, en liaison dès la veille avec le 17e corps.

En outre, la 6e division de cavalerie est arrivée sur le terrain; elle forme avec la 9e division de cavalerie un corps de cavalerie qui va devenir un puissant instrument d'action et de poursuite.

Pour le moment, le général de Langle de Cary, dans une juste appréciation des choses et sentant l'ennemi faiblir, est résolu, conformément aux ordres sollicités par lui dès le 7 au soir, de prononcer un effort violent vers sa gauche, de façon à dégager définitivement la trouée de Mailly et à soulager Foch. Il le dit dans son ordre du 8 au soir et " fait appel à tous ses subordonnés pour produire l'effort décisif d'où doit résulter le sort de la 4e armée et celui du pays " (Général Legrand, loc. cit.).

 

 

C'est donc la 43e division (du 21e corps) et la 23e division (du 12e corps) qui attaquent sur Sompuis. La 43e division, faisant aile tournante, de façon à déborder la droite ennemie, se porte par le signal de Sompuis, à travers les bois, sur la voie ferrée, de façon à couper la 23e division allemande du groupement Kirchbach : c'est ce qui explique la situation extrêmement critique de cette division. Cependant, elle fait ferme, car sa voisine de l'ouest, la 23e de réserve, s'est emparée de Mailly. " La 43e division, écrit le général Legrand, apercevait au loin sur sa gauche la poussière des colonnes de la 9e division de cavalerie se dirigeant vers le sud de Mailly." La chaleur et la fatigue retardent d'ailleurs la marche de la 43e division qui, à la nuit, campe à la Folie et surtout aux Fénus, " seul point d'eau de la région n. A droite, la 13e division qui échoue à Pimbraux et Nivelet, parvient aux abords du signal de l'Ormet. Cependant la voie ferrée n'est pas encore atteinte autour de Sompuis.

Au 17e corps, on avait pris les dispositions pour franchir cette même voie ferrée le 9 à la première heure et pour attaquer en direction de Maisons-en-Champagne. C'est assez dire combien la situation se dégageait de ce côté. Le combat commence à 5 heures et demie ; on sent que l'ennemi est singulièrement affaibli. Si le XIXe corps esquisse encore une contre-attaque vers la Cense de la Borde, elle est immédiatement contenue et bientôt il ne s'agit plus que d'une mousqueterie et d'une canonnade très vives, mais sur place. A 8 heures et demie, la mousqueterie s'est tue et il n'y a plus que des feux d'artillerie.

Le général de Langle de Cary est à la ferme des Monts-Torlors. Il donne lui-même l'ordre de se porter immédiatement en avant. Offensive générale. Les fantassins de la brigade Hélo, dans leur attaque sur la cote 211 (voie ferrée), sont admirables de crânerie ; les pertes, malheureusement, sont encore très lourdes et, Sompuis n'étant pas dégagé, le 17e corps bivouaque au sud de la voie ferrée.

Le groupement formé sous les ordres du général Descoings se trouve ainsi arrêté ; le 12e corps se bat toujours dans ces difficiles terrains situés entre Sompuis et Vitry-le-François. Pour l'offensive préparée, il reçoit un appui du corps colonial (21e colonial). On piétine autour de la ferme l'Oiselet. Mais la 24e division a attaqué et enlevé dans la journée la ferme de la Galbodine, en plein sur la voie ferrée. De là, on voit les Allemands retirer leur artillerie des positions occupées au sud-est de Coole : c'est donc qu'ils s'en vont ! On sent bien que la victoire ne tient plus qu'à un fil. Le général Descoings a l'ordre de monter à fond son offensive par la gauche de l'ennemi dans la nuit du 9 au 10 et il reçoit, à cet effet, les éléments les plus importants de la 24e division.

Il ne reste plus qu'à dire un mot du corps colonial et du 326e (de la 24e division), dont dépend la liaison entre la bataille pour Mailly et la bataille pour Revigny : un groupement intermédiaire, la détachement Caudrelier, occupe la région du mont Moret, point capital et qui domine à la fois Vitry-le-François, le coude de la Marne et les croisements des voies ferrées. Huiron, Courdemanges, Chatel-Raould, Bignicourt forment un quadrilatère dont la possession décidera du sort de la bataille de Vitry et jusqu'à un certain point du sort de la grande bataille, car c'est le nœud qui coud " le fond de la poche ". Nous avons vu le régiment de Bergerac du 12e corps se faire décimer dans Courdemanges, mais s'y maintenir conformément aux ordres du général Joffre. Que l'on garde le souvenir de ces héros ! Dans ce coin peu connu de l'immense bataille, leur action n'a pas été moins belle pour avoir été moins à l'honneur. Les coloniaux avaient dû évacuer le mont Moret (cote 153) que le 326e avait repris, nous l'avons vu, le 8 au soir. Il s'y maintint énergiquement le 9 et le 10; ainsi le l2e corps continuait à agir en liaison avec le détachement Caudrelier qui put conserver son front.

Tout en prêtant son 21e régiment pour l'offensive préparée dans l'après-midi du 9 sur la voie ferrée entre la Certine et Huiron, le corps colonial est obligé de regarder aussi à l'est, puisque l'armée du duc de Wurtemberg pèse en direction de la trouée de Revigny. La 2e division se porte en avant en direction de Luxémont ; si cette attaque doit avoir, dès le soir même, les suites les plus heureuses, elle ne parvient pas cependant à briser la ligne ennemie. La 3e division est chargée de répondre et de soutenir l'offensive et, cette fois, en combinant son effort avec l'action du 2e corps qui combat franchement face à l'est. Les 1er et 2e régiments coloniaux sont relevés en ligne par le 7e, et une vigoureuse attaque, qui prend nettement le dessus, permet de parvenir vers 15 heures à la hauteur d'Écriennes. Non seulement la liaison est maintenue, mais voici qu'au nœud même de la bataille, l'ennemi cède ; son front recule ; la poche commence à se fermer.

Tel est donc, en deux mots, le résultat de la bataille de Langle de Cary, le 9 dans l'après-midi, avant que l'ordre de la retraite ait été donné par le général von Hausen, en un mot, avant que l'ensemble de la bataille ait déterminé du sort de cette bataille particulière : 1° L'offensive de von Hausen a échoué complètement : or, du résultat de cette offensive dépendait le succès de tout le plan allemand. Après une bataille de quatre jours où les forces allemandes ont été précipitées avec une brutalité sauvage dans la fournaise, après cette terrible ruée à la baïonnette, et ces effroyables offensives à plein corps toujours recommencées et toujours repoussées, l'armée des Saxons et des Rheinlanders combinée n'a pas fait un pas. L'invasion est restée contenue aux abords de la voie ferrée de Sommesous à Vitry-le-François : c'est à peine si, sur quelques points, elle a dépassé cette ligne, mais sans pouvoir se maintenir plus de quelques heures ; 2° après de tels efforts, la valeur combative de von Hausen et du VIIIe corps est, de l'aveu même de Baumgarten-Crusius, réduite à moins de moitié. Il faut remplacer les brigades par les brigades ; les hommes n'en peuvent plus, n'en veulent plus. Et il n'y a plus de réserves !

Au moment où Joffre fait entrer en ligne son 21e corps et son corps de cavalerie reconstitué, von Hausen a déjà mis sur le flanc sa seule ressource, la 24 division de réserve. Ses troupes partout découragées, sa ligne de front (c'est-à-dire la voie ferrée) rompue sur deux points, à la Galbodine et à Ecriennes ; le nœud de toute la bataille, Courdemanges, consolidé contre lui ; la trouée de Mailly fermés ; lui-même bombardé dans Vitry-le-François et sur le point de perdre cette ville comme, sur sa gauche, il va perdre Fère-Champenoise : c'est l'évidence même, von Hausen est battu. Il est battu pour son compte, comme Bülow est battu pour son compte, comme von Kluck est battu pour son compte.

La bataille de la plaine est perdue comme est perdue la bataille du massif, et quand arrive l'heureux marconigramme interprété aussitôt comme une autorisation de lâcher pied, dès que les premières communications de von Bülow permettent de rejeter sur celui-ci la responsabilité de la défaite, avec quel empressement, et sans attendre un ordre quelconque du grand quartier général, on entre dans le mouvement de retraite ! C'est ce que nous avons à dire maintenant ; car la journée du 9 devient finalement la journée de la défaite et elle ne s'achève pas sans avoir éclairé la fuite et la déroute des Saxons.

 

Le soldat à l'armée von Hausen et la retraite de l'armée le 8 après-midi.

 

Le témoignage des chefs eux-mêmes sur l'état de fatigue et de démoralisation à l'armée de von Hausen est formel ; mais il est naturellement altéré par le parti pris de rejeter la responsabilité sur les autres armées. Les carnets de route ne laissent aucun doute sur le sentiment profond de découragement qui s'était abattu sur la troupe à la suite des longues fatigues et quand elle comprit qu'il n'y avait plus à compter sur la fameuse marche nach Paris pour finir la guerre.

Du 103e d'infanterie, 32e division, XIIe corps. - Il est minuit (nuit du 7 au 8). Ordre de creuser des tranchées pour se protéger contre le feu de l'artillerie et aussi de l'infanterie ; elles doivent être très étroites, car l'artillerie tire tout droit d'en haut. Nous n'avons pas fini de les creuser qu'un ordre nous arrive : " S'étendre le fusil au bras. " A 3 h. 30, on est réveillé. " Baïonnette au canon ! " Nous sommes maintenant au 8 septembre, mardi. Ordre d'embrocher tous les pantalons rouges. C'est ainsi que nous marchons dans la nuit noire. (C'est l'offensive à la baïonnette.) Notre artillerie ouvre un feu épouvantable... A notre gauche, le village de Lenharrée est en flammes... Nous égorgeons les Français dans leurs tranchées. A peine sont-ils tous morts que nous recevons un terrible feu venant d'un retranchement à 50 mètres en arrière... Vers la gare, on pouvait à peine marcher. Tout était couvert de blessés. Vraiment horrible spectacle. Souhaitons que la guerre finisse bientôt... Le lendemain matin, nous avons abandonné notre position et nous nous sommes retranchés à 300 mètres du village en flammes. A peine y étions-nous qu'un formidable feu de shrapnells et d'obus éclata sur nous. Le premier obus éclata à peine à 5 mètres de moi et blessa notre commandant, notre lieutenant et cinq hommes de notre compagnie, tous grièvement. Les obus arrivaient par douzaines. J'eus aussi mon compte et je m'évanouis. Personne n'avait le temps de s'occuper des autres ; car le feu ne cessa pas, d'après ce qu'on m'a raconté,

de toute la journée... (Le scripteur échappe à la poursuite française et est soigné à Luxembourg.)

 

" De la 23e division de réserve (Félix Marchner, Avec la 23e division de réserve en Belgique et en France, p. 54 et suiv.). - Le 8 à 3 heures du matin, nous nous remîmes en route. Un village en flammes, Sommesous. Les ordres d'as! saut retentirent de toutes parts. Trompettes et tambours retentirent ; l'enfer semblait déchaîné. Nous fûmes les témoins d'un tableau d'une effrayante beauté : le 103° faisait l'assaut de Sommesous en flammes, opiniâtrement défendu par les Français... L'ennemi se retira définitive! ment vers le sud et nous le suivîmes pour faire halte dans le petit bois sur la ligne du chemin de fer entre Sommesous et Mailly... Le lendemain matin, notre chef de compagnie, examinant le pays avec sa lorgnette, découvrit des colonnes défilant dans la région de Mailly. II fit part de cette observation et des batteries les prirent sous leurs feux... Mais soudain, de l'autre côté aussi, on ouvrait le feu. Le son creux et sifflant des obus traversant l'air, venait éclater tout près de nous. Ordre : " Tout le monde à l'abri ! " Nous avons appris plus tard que c'était le champ de tir français (toujours la même explication...). Il fallait prendre Mailly. Nous avions peut-être fait 300 mètres en avançant lentement quand une fusillade éclata à environ 800 mètres à l'est de Mailly. C'était une compagnie de cyclistes (division de l'Espée). Nous reprîmes notre marche. Les Français avaient abandonné le village : nous y pénétrâmes sans aucune difficulté... Nous apprîmes là quelque chose de nouveau ; la sûreté de tir de notre propre artillerie qui nous prit pour des Français et nous accabla de ses feux,.. Le bataillon se rassembla et retourna en arrière. Le point le plus méridional de notre avance en France avait été atteint. Il faisait complètement nuit, quand exténués, nous atteignîmes de nouveau Sommesous. Le matin du 9 septembre était sombre et pluvieux. Nous restâmes inactifs à Sommesous. Je vis arriver les chasseurs de Marburg. J'appris qu'ils avaient pour mission de couvrir la retraite. Ils demeurèrent donc à Sommesous pendant que nous nous mettions en route, nous dirigeant de nouveau vers le nord par Vatry...".

 

" De da 24e division de réserve. - Après avoir marché pendant des jours et des nuits sans arrêt avec les plus dures fatigues après da prise de Givet, nous fûmes entraînés dans le combat le 7 septembre, non loin de Lenharrée... On se battait en cet endroit depuis quatre jours et sans aucun succès. Notre compagnie est sortie de 9 heures du matin jusqu'à une heure de l'après-midi en plein feu de l'artillerie ennemie, ayant faim, soif et, par suite de la fatigue, des marches forcées, absolument exténuée... Malgré cela nous ne perdîmes pas courage. (Après une courte marche en avant, le scripteur tombe sur le champ de bataille.).

De la même division. - Le 8, nous arrivâmes au front et le 8, nous entrions en bataille. Le matin, de bonne heure, nous marchions sur Normée... Soudain, nous fûmes accueillis par un terrible feu de shrappnels : il fallut aller bientôt à gauche... Les pertes devenaient toujours plus lourdes aux premières lignes, et c'est pourquoi, vers 8 heures, nous dûmes reculer, poursuivis par un feu violent d'artillerie. Mais les pertes devenaient de plus en plus lourdes. Les champs fumaient littéralement des coups qui éclataient. Le lendemain, 9 septembre, cependant, on avançait de nouveau. Jusqu'à environ 4 heures du matin, nous occupâmes une tranchée, attendant à tout instant une attaque française... Les jours suivants, nous repassâmes la Marne. (C'est la retraite.) "

 

" Du XIIe corps (Der Deutsche Krieg in Feldpostbriefen, p. 154.). - Le soir (du 8) vers 11 heures, nous étions revenus dans nos quartiers. Nous espérions avoir du repos ; car, les jours précédents, nous avions pris part à deux combats. Bien des camarades étaient tombés et beaucoup plus encore étaient blessés. La matinée après ces combats, 40 hommes de la compagnie arrivèrent sous la conduite d'un feldwebel dans le village où se faisait le rassemblement de la division. Peu à peu, les camarades arrivèrent par groupes, car ils s'étaient dispersés. Vers midi, le capitaine arriva aussi avec une centaine d'hommes ; puis d'autres retardataires un peu plus tard. Ce jour-là, l'esprit, aussi bien chez les officiers que dans la troupe, était excessivement déprimé; car, bien que les Français eussent été rejetés, les vainqueurs n'avaient pu, cependant, tenir la position conquise, le bataillon était fortement diminué tant à cause des pertes que par la dispersion de ses éléments. Presque tous les officiers avaient perdu leurs chevaux... Nous nous préparions encore au combat ; mais en chemin, nous apprîmes que la partie des troupes à laquelle nous appartenions devait, pour des rai! sons stratégiques, commencer un mouvement de retraite. Notre compagnie faisait partie de l'arrière-garde : " Les Français sont sur nos talons ", disait le capitaine. Ce fut encore une longue, longue marche, etc. "

 

N'est-ce pas le tableau exact d'une défaite et de l'abandon du champ de bataille par pertes, épuisement, dispersion des effectifs, en un mot, aveu d'impuissance de la part de la troupe comme de la part des chefs eux-mêmes ?

Von Hausen est battu ; il le sait ; il sait qu'il doit fuir. Dans l'immense déroute stratégique, sa défaite tactique s'affirme, même à ses yeux, le 9, dans la journée. Tout se résume dans l'aveu de von Baumgarten-Crusius : " Dès le 9, l'armée avait perdu plus de la moitié de ses forces combattantes (D'après le même auteur, les effectifs et les pertes de l'armée von Hausen, du 6 au 9 septembre inclus, se chiffrent ainsi : le XIIe corps, sur 28 300 hommes (dont 12 200 combattants) perd 5 400 hommes ; le XIXe corps : 4 700 hommes sur 28 200 (dont 12 200 combattants) ; le XIIe corps da réserve : 2 300 hommes sur 26 800 (dont 12 200 combattants). Ensemble, sur 36 600 combattants, 12 400 hommes perdus. dont 3 900 prisonniers).

D'après von François, la IIe armée (Bülow) aurait perdu, comme disparus seulement, 7 743 hommes du 1er au 20 septembre.) ."

Nous avons dit déjà, d'après les sources allemandes et, notamment, d'après le récit de von Hausen, comment, dans l'après-midi du 9, l'ordre de retraite venant du grand quartier général atteignit le colonel général von Hausen ; nous avons dit comment le général, dans sa brochure apologétique, s'abritant derrière le récit de von Kluck, tente de rejeter toute la responsabilité de la retraite sur von Hentsch et sur Bülow pour dégager sa propre responsabilité ; nous avons dit enfin comment von Tappen a fait tomber d'un revers de main tout le château de cartes construit par von Kluck et comment tous nos renseignements confirment ce dernier point de vue.

La vérité est que la défaite allemande se propagea avant les ordres du grand quartier général, mais par la nécessité des faits, d'abord chez von Kluck, dans la nuit du 8 au 9, puis chez von Bülow dans la matinée du 9, puis chez von Hausen dans la matinée et l'après-midi du 9, - tout cela logiquement, fatalement, parce que les Français étaient vainqueurs et que les Allemands étaient vaincus. La version allemande de la bataille de la Marne qu'a essayé d'accréditer von Kluck (en interprétant à sa façon, comme nous l'avons démontré, un article du Journal des Débats), n'est pas plus exacte que la première version officielle allemande, celle d'une manœuvre " géniale " et d'une retraite ordonnée et voulue, sans qu'il y ait eu ni bataille ni défaite, version sur laquelle l'opinion allemande et l'opinion des neutres ont vécu pendant cinq ans.

Spécialement en ce qui concerne la IIIe armée, von Hausen était battu comme les autres ; il n'avait pas passé à la trouée de Mailly et devenait le bouc émissaire de la défaite, parce que, par lui et devant lui, au point le plus faible de l'adversaire, le grand plan allemand avait échoué.

Voici comment, torturé qu'il était par la maladie, l'impuissance et la fureur, il prit ses dispositions pour " se décrocher ". Baumgarten-Crusius raconte, nous l'avons dit, que, dès la matinée du 9, de mauvais bruits commencèrent à circuler à l'état-major de von Hausen. Dès 7 h. 35, on avait " entendu ", à Châlons, un marconigramme paraissant indiquer qu'à la IIe armée on se disposait à ramener les troupes de droite à Margny. A 1 h. 20, la retraite était déclarée définitivement par Bülow : " IIe armée commence marche arrière, la droite à Damery."

Von Hausen, après avoir feint d'ignorer le premier télégramme (ce qui ne l'empêchait pas de prendre aussitôt son parti de la retraite, car il connaissait l'état de son propre front), répondit vive! ment à von Bülow : " La bataille est engagée devant la IIIe armée. Quelle est votre intention ? Nous avons pris Oeuvy. " Il est facile de comprendre le sens polémique de ce télégramme : " Quoi ! vous partez ! mais, nous continuons à nous battre, et même nous avons pris Oeuvy. " La prise d'Oeuvy, à 3 kilomètres de Fère-Champenoise, était une bien médiocre sécurité pour Bülow qui, à ce moment même, à 40 kilomètres de là, sentait l'ennemi dans son dos à Vauchamps-Champaubert.

Une fois son télégramme de " victoire " envoyé, von Hausen prend immédiatement ses dispositions pour plier bagage et il donne, à 2 h. 15, " un ordre d'armée concernant les communications d'arrière et par suite duquel le départ des bagages, des convois et du train non nécessaires au combat doit s'effectuer aussitôt la réception de l'ordre ". En même temps on procède, par les pontonniers du XIXe corps, à la construction d'un pont sur la Marne entre Châlons et Matougues (exactement à Saint-Gibrien, Récy) pour faciliter l'écoulement de l'armée. Cependant le groupe Kirchbach a reçu l'ordre de Bülow de se retirer à partir de 1 heure et par son aile gauche, ce qui risquait de rompre la liaison entre la IIe et la IIIe armée. Kirchbach avertit von Hausen qu'il ne commencerait sa retraite qu'à 4 heures et demie. C'est à 5 heures et demie seulement, que von Hausen reçut de Bülow la nouvelle de la retraite de la IIe armée. " La 1re armée recule ; la IIe armée commence sa marche en arrière sur Dormans et Tours-sur-Marne. Ordre de retraite est transmis à Kirchbach. "

Avant même d'avoir reçu ce télégramme, sans attendre les ordres directs du haut commandement, von Hausen, qui avait prescrit les mesures en vue de l'évacuation de l'arrière dès 2 h. 15, donne à son tour, l'ordre de la retraite, non plus seulement à ses convois, , mais à ses troupes. Son groupe de droite, von Kirchbach, ayant commencé à se décrocher, le groupe de gauche (général von Elsa) reçoit à 5 h. 30 l'ordre de procéder à la retraite. C'est seulement quand ces dispositions furent prises pour la retraite générale que l'idée vint à l'état-major de von Hausen d'aviser le haut commande! ment : ce qui indique non seulement la volonté, mais la hâte et même la nécessité d'en finir le plus tôt possible. " Le grand commandement général fut avisé de cette résolution à 6 h. 30 de l'après-midi ", écrit Baumgarten-Crusius. Le télégramme adressé à Moltke était ainsi conçu :

 

" Le groupe d'armées d'aile droite, après une progression victorieuse , a reçu, par l'intermédiaire de la IIe armée, l'ordre de battre en retraite au nord de la Marne. Le 10 au matin, la IIIe armée atteindra la rive droite de la Marne à Condé, Châlons, Pogny. "

 

Telle sera la formule officielle de la rupture du combat à la IIIe armée. De même que von Kluck, von Hausen accuse Bülow et charge le commandement de la IIe armée de la responsabilité de la défaite. On ajoute, bien entendu, que les ordres de retraite furent donnés avec la plus grande répugnance et en pleine maîtrise des événements sur le front de l'armée.

Cependant, le mouvement avait commencé à droite et le regroupement des 32e et 23e divisions en formation de corps d'armée amena un certain retard et une grande confusion " par suite des marches croisées dans l'obscurité ". La 24e division de réserve commença sa marche en arrière, dès 4 h. 30, jusqu'à Trécon, la 32e division de réserve jusqu'à Velleseneux-Soudron, et la 23e division de réserve jusqu'à Cheniers, avec un bataillon de chasseurs au nord de Sommesous, pour boucher tant bien que mal la brèche existant entre les deux divisions du XIIe corps. La 23e division active resta jusqu'au jour dans la région de Bussy-Lettrée, avec quelques arrière-gardes à Sommesous-Soudé. Afin de reconstituer les trois corps de l'armée, XIIe de réserve à l'ouest, XIIe au centre, XIXe à l'est, la 23e division de réserve laissa passer à Cheniers la 32e division et elle se dirigea ensuite sur Thibie-Champigneul, à la droite de l'armée, où elle attendit la 24e division de réserve.

Tous ces mouvements s'accomplissaient sous la protection, non seulement des arrière-gardes, mais surtout d'une puissante artillerie ; ils se trouvèrent ainsi cachés, pendant quelque temps, aux yeux de l'armée française ; et celle-ci ne put prendre que progressivement la poursuite.

Une autre raison s'y opposait. A gauche de von Hausen, le XIXe corps avait été averti dès le début de l'après-midi, c'est-à-dire dès l'arrivée des premiers marconigrammes, d'avoir à préparer, lui aussi, sa retraite. Ayant commencé à le faire tout en se battant il reçut, à la tombée de la nuit, vers 6 heures du soir, l'ordre de décamper définitivement. Mais, de ce côté, la situation était beaucoup plus complexe. En effet, le XIXe corps combattait en liaison étroite avec le VIIIe corps de l'armée du duc de Wurtemberg. Or, la bataille en direction de Revigny pouvait passer encore pour incertaine le 9 au soir. Découvrir Wurtemberg, c'était précipiter l'effondrement de toute la gauche allemande jusques et y compris l'armée du kronprinz.

Cette gauche (qui était en réalité le centre, si l'on considère l'ensemble du front depuis les Vosges jusqu'à Meaux), cette gauche, à savoir l'armée du duc de Wurtemberg et l'armée du kronprinz, était la suprême ressource du haut commandement allemand, soit pour l'offensive, soit pour la défensive. L'abandonner à elle-même précipitamment eût été une faute telle que d'Elsa, tout en se préparant, hésitait à en venir à l'exécution de l'ordre reçu. Il fit ses observations et obtint un contrordre, c'est-à-dire qu'on lui enjoignit finalement de rester encore quelque temps sur ses positions. Nous allons expliquer les raisons de cette décision nouvelle et à quoi elle correspond.

 

Liaison pour la retraite entre les armées allemandes du centre le 9 et l'ordre de reprise d'offensive pour le 10 septembre.

 

Les faits eux-mêmes nous mettent, maintenant, en présence d'une nouvelle ambiguïté dans les volontés et les instructions du haut commandement allemand. A un moment donné et à cette heure où les minutes étaient si précieuses, on ne sait plus, à la gauche de von Hausen, ce que l'on doit faire, soit partir, soit rester ; et c'est surtout à la liaison entre la IIIe et la IVe armée (c'est-à-dire von Hausen et duc de Wurtemberg) que cette incertitude se manifeste. Et voici pourquoi.

On en était encore à se demander si le duc de Wurtemberg, appuyant le kronprinz, n'allait pas rétablir les affaires. Tandis que la défaite était sans rémission à l'ouest, on voulait croire qu'on regagnerait la victoire à l'est. Ainsi les impressions et les ordres se contrebalançaient et se contredisaient. Et, par suite, dans le camp français, on hésitait à considérer la victoire comme acquise ; car on constatait ces alternatives singulières dans l'attitude des corps ennemis et on avait peine à se l'expliquer.

Voyons d'abord ce qui se passe à la jonction de von Hausen et du duc de Wurtemberg et, ensuite, nous citerons les ordres, le tout étant si important pour la claire intelligence de la fin de la bataille et pour sa prolongation à l'est quand elle est achevée à l'ouest.

Tout d'abord, la situation du XIXe corps allemand parut s'améliorer un peu à la fin de la journée du 9. Le 21e corps français, dont l'arrivée avait si vivement alarmé les états-majors allemands, avait bien sauvé la trouée de Mailly, mais il ne l'avait pas dégagée. Nous l'avons vu s'arrêter devant la ferme de l'Ormet, le 9 au soir ; il ne put même pas s'emparer de la ferme Pimbraux ni, à plus forte raison, se porter sur la voie ferrée ; ceci avait rendu quelque confiances au général d'Elsa : il faisait observer que les " forces s'équilibraient ". On apprenait, d'autre part, que le kronprinz avait résolu de renouveler une attaque décisive pour le 10 au matin.

A l'appel du kronprinz, Wurtemberg, qui, lui aussi, avait pré! paré sa retraite dans la journée du 9, en avait suspendu l'exécution. Il maintenait notamment sur le terrain son corps de droite, le VIIIe, qui, depuis deux jours, combattait en liaison avec le XIXe corps de l'armée von Hausen. Ainsi, le sort du XIXe corps étant lié a celui de la IVe armée, dépendait, jusqu'à un certain point, des événements de l'est. Voilà pour les faits, et voici maintenant pour les ordres.

La retraite étant en partie imposée par l'ennemi, en partie spontanée, en partie ordonnée, l'état-major de la IIIe armée, tout en décampant, délibérait ; or, voici, qu'à 9 heures du soir, arrive un radio de Luxembourg prévenant qu'un nouvel ordre du grand quartier général enjoint à la IIIe armée de rester au sud de Châlons et de se préparer à une nouvelle offensive pour le lendemain, 10. A cette offensive devait participer la IVe armée en cas de " perspective de succès ", tandis que la Ve armée attaquerait dans la nuit même du 9 au 10.

 

" A l'arrivée de cet ordre, écrit von Hausen, la question se posa pour moi de savoir si je devais y obéir et rester au sud de Châlons ou si je devais m'en tenir à la décision de retraiter vers le nord dictée par le recul de la IIe armée. Ce dernier parti paraissait indiqué, à condition qu'on pût admettre que les événements survenus à la IIe armée n'étaient pas encore connus du grand quartier général au moment de l'envoi de son ordre..."

 

D'après les témoins, on concluait, à la IIIe armée, que " le haut commandement était en train de changer d'opinion sur la situation générale ". Voilà bien de ces respectueuses formules d'état-major !... Autrement dit, le haut commandement ne savait pas ce qu'il voulait.

Là-dessus, arrive à Châlons le lieutenant-colonel Hentsch. On se jette sur lui et on le supplie de débrouiller l'énigme : il déclare, qu'à son avis, il ne faut pas s'entêter au sud de la Marne, puisque les événements ont tourné tout autrement qu'on ne l'espérait à la IIe armée. Au moins celui-là a un système. On l'écoute et on décide la continuation de la retraite.

Or, voilà que survient, à 10 h. 30 du soir, l'ordre péremptoire de rester sur place pour attaquer le lendemain : " La IIIe armée restera au sud de Châlons. Elle aura à reprendre l'offensive, le 10 septembre, aussitôt que possible. " Cette fois, l'ordre est formel. On s'incline. On se préparera donc à se joindre, le 10, à l'offensive de la IVe armée et non à la retraite de la IIe armée.

Mais alors, d'autres difficultés se présentent : maintenant que l'armée Bülow a vidé les lieux et que la propre droite de von Hausen est déjà aux approches de Châlons, comment s'engager contre un ennemi vainqueur avec le flanc découvert et une armée réduite de moitié ? Von Hausen demande donc, par l'entremise du lieutenant-colonel Hentsch, que la IIe armée, qui persiste à replier sa droite sur Fismes, sa gauche à l'est de Reims, laisse du moins une arrière-garde du corps de la Garde à Flavigny, au sud de la Marne. Un peu rassuré de ce côté, von Hausen prend le parti (sauf de nouveaux ordres ou contrordres) de se caler, dans sa retraite même, au sud de la Marne et de présenter ainsi un front oblique de Flavigny à la ferme Pimbraux, chevauchant par conséquent la voie ferrée, de façon à couvrir, vers l'ouest, la IVe armée, tandis que celle-ci attaquerait en connexion avec l'armée du kronprinz. Si le succès se dessinait, le XIXe corps était autorisé à se jeter dans la bataille et à se joindre à l'attaque éventuelle du VIIIe corps.

Voici donc von Laffert arrêté dans son mouvement. Toute la droite de l'armée allemande, c'est-à-dire von Kluck von Bülow et , la moitié de von Hausen, évolue autour du XIXe corps pris comme pivot, tandis que ce corps et les troupes qui sont à gauche se pré! parent à attaquer pour la journée du 10. On comprend, maintenant, l'aspect singulier de la fin de la bataille de la Marne dans cette région. La lutte reprenait ou mieux encore se prolongeait partiellement, après une première velléité de retraite.

Dans le camp français, on n'y comprenait rien. La bataille s'était prolongée jusqu'à la tombée de la nuit ; et alors que l'on avait senti l'ennemi fléchir, alors que les renseignements avaient fait connaître qu'il retournait ses convois, retirait son artillerie, vidait ses tranchées on le voit tout à coup s'arrêter, faire tête, s'acharner sur certains points ; son artillerie lourde accable nos troupes de tirs en rafales et à longue portée. Nos régiments, qui essayent de prendre la poursuite avec des effectifs déjà extrêmement réduits et épuisés, tombent sur des barrages solidement défendus ; les villages et les fermes que l'on tente de réoccuper s'effondrent sous le feu de l'ennemi qui vient de les quitter. Et puis, à l'est de la ligne Sompuis-Saint-Ouen tout le XIXe corps, appuyé sur le VIIIe corps, fait ferme !

On savait, d'autre part, que le 2e corps (général Gérard) était engagé dans de durs combats, de même que l'armée Sarrail tout entière. On constatait que l'ennemi, loin de céder, se préparait à une nouvelle offensive. Il convenait donc de ne pas se laisser aller à de trop rapides espoirs. Avec un ennemi tenace, audacieux, orgueilleux, ulcéré, mieux valait s'attendre à tout et se préparer au pire. Pour le moment, il n'y avait qu'un devoir, se battre. Il serait toujours temps de chanter victoire.

Ces données précises sur la retraite mi-partie de von Hausen à la fin de la journée du 9 et dans la journée du 10 nous permettent de comprendre le singulier imbroglio d'une bataille qui renaît, en quelque sorte, de ses cendres. Avant d'amorcer l'exposé de la poursuite française, il est indispensable d'expliquer ce qui se pas! sait dans les combats où, à droite, le corps Gérard et l'armée Sarrail étaient engagés.

CHAPITRE SUIVANT DE L'OUVRAGE DE GABRIEL HANOTAUX

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