CHAPITRE VII - LA JOURNEE DU 7 SEPTEMBRE SUR L'OURCQ

Les ordres de Joffre pour la journée du 7

 

"Dès le 6 au soir, Bülow, qui est au centre de la bataille de l'ouest, à Montmort, ne se fait plus d'illusion sur l'importance de l'affaire : il télégraphie par radios à droite, à gauche et en arrière, c'est-à-dire au grand quartier général, et répand, de tous côtés, son émotion -. à Moltke, il télégraphie le 6, 18 h. 10, qu'il est engagé " dans un combat opiniâtre à la coupure du Petit Morin. Il est urgent que la IIIe armée attaque bientôt à l'est de Fère-Champenoise ". Ainsi, il réclame du secours à von Hausen quand il lui en est réclamé, à lui-même, par von Kluck, lequel, à 22 h. 45, retire le IXe corps jusqu'à l'ouest de Montmirail, en liaison avec le IIIe corps, vers Boitron (nord de Rebais). Et Bülow, dont l'action est gênée par ses deux collègues dont l'un n'attaque pas (von Hausen) et l'autre (von Kluck), pour attaquer à fond sur l'Ourcq, se désintéresse de lui, Bülow, pris à la gorge par Franchet d'Esperey et Foch, se voit forcé, dès minuit 30, d'aviser Moltke : " Je me replie derrière la coupure du Petit Morin en raison d'une attaque venant de Rozoy contre les IIIe et IXe corps. " Attaque bien éloignée encore cependant et imaginée sans doute par von Kluck, qui tient avant tout à rappeler ses 80 000 hommes sur l'Ourcq.

A Luxembourg, on n'a pas attendu ces télégrammes pour être anxieux. Dans la soirée du 6, on télégraphie aux chefs d'armée

" D'après un ordre d'armée de Choffre (sic) trouvé aujourd'hui, une bataille décisive pour toute l'armée française est ordonnée pour aujourd'hui. " C'est comme si l'on disait : " Prenez garde ; l'armée française engage la lutte; il ne s'agit plus d'une marche, mais d'une bataille. "

Or, cette bataille se livre sans que l'intervention du G. Q. G. allemand puisse se produire. Von Kluck agit en maître absolu. il a décidé seul le rappel des IIIe et IXe corps. Rendra-t-il compte ? On ne sait. Von Lochow et von Quast quittent donc, au cours de la nuit du 6 au 7, la région de Montceaux-Esternay pour rejoindre les trois autres corps de la Ire armée (IVe, IIe et IVe de réserve) qui " livrent un combat difficile à l'ouest de l'Ourcq intérieur ".

Cependant l'armée Bülow est à bout de souffle et on l'expose, sans appui, aux coups de ses adversaires ! Après avoir télégraphié, le 7, " qu'il est engagé dans un combat terrible sur le Petit Morin, secteur Montmirail-Normée ", Bülow écrit : " Mes pertes sont considérables et mon armée n'a plus que la valeur de trois corps... " Et c'est le moment que von Kluck choisit pour découvrir sa droite de plus en plus ! Marwitz, qui commande le rideau de cavalerie, se sent obligé de céder et de se replier jusqu'à la Marne. Il comprend la gravité de la situation, car il s'engage, dès ce jour, à défendre les ponts de la Marne jusqu'à la dernière extrémité et à les rompre en se retirant. Mais nous allons voir, par l'exposé des faits, que sa situation devient de plus en plus critique, malgré ses bonnes intentions.

Tels sont les résultats des deux premières journées dans le camp allemand. Alerte générale, directions incertaines : le chef s'alarme; le soldat pâtit !

Essayons maintenant de nous rendre compte de ce qui se passe, au même moment, dans le camp français et du jugement que le haut commandement porte sur l'ensemble et les détails importants de ces deux premières journées.

Nous avons l'expression des pensées du chef dans l'ordre général n° 7 qui est adressé, le 7 septembre, sur les comptes rendus parvenus au début de l'après-midi, à l'ensemble des armées combattantes, depuis le camp retranché de Paris jusqu'à l'Argonne. C'est un modèle de précision."

 

"Le général en chef se rend parfaitement compte de ce qui se passe et ses ordres sont exactement ce qu'il est à désirer qu'ils soient.

Les renseignements recueillis dans la journée du 7 lui ont permis de se faire une idée juste de la bataille : " Il semble, dit-il, que ennemi se replie vers le nord-est. " Il s'agit du repli des trois corps de von Kluck. Le succès constaté dans la mesure qui convient pour ne pas donner de fausses espérances, les ordres sont établis pour la " poursuite " de l'ennemi ; mais, en même temps, les dispositions sont prises pour engager la bataille s'il s'arrête, " sans lui laisser le temps de s'organiser solidement ". Voilà un genre de précautions qui n'a pu été pris dans l'ordre allemand du 5 où l'on comptait sur la fuite de l'ennemi, non sur sa résistance. Le général en chef français n'est pas grisé par son premier succès.

Une fois ces prescriptions données pour la poursuite, Joffre n'en persévère pas moins dans sa manœuvre initiale : c'est pourquoi les mouvements sont toujours confiés à la gauche, c'est-à-dire à l'armée Maunoury et à l'armée britannique. Mais on tient compte de la manœuvre allemande, maintenant qu'elle s'est dévoilée. Par conséquent l'ordre donné à la 9e armée est simplement de tenir, en attendant l'intervention des " forces réservées de la 4e armée ". Le commandement comprend la terrible charge qui pèse, en ce moment, sur les épaules de Foch; car, outre cet appui qu'il lui promet à droite, il donne l'ordre à la 5e armée d'employer ses forces de droite à soutenir la 9e armée à gauche, c'est-à-dire par le massif agir sur la plaine : c'est poser le premier jalon de ce qui sera la décision. Nous verrons les conséquences de cet ordre intelligemment appliqué par Franchet d'Esperey.

Ceci dit, Joffre compte encore sur l'effet de sa manœuvre pour dégager son centre. Je dis encore, car le ton même des ordres indique que le général en chef éprouve quelque désillusion de ce côté : c'est ce qui est marqué par la phrase ; " de manière à conserver toujours la possibilité d'enveloppement de l'aile droite allemande. " Le général presse la marche de l'armée britannique; il lui demande d'être, le plus tôt possible, au nord de la Marne; il la cale, autant qu'il le peut, à droite et à gauche, en ordonnant à sa 6e armée et à sa 5e armée de se serrer contre elle. Si cette manœuvre s'exécute, peut-être est-il temps encore d'obtenir un succès complet, en enveloppant l'aile droite allemande, c'est-à-dire en saisissant von Kluck par ses communications.

En tout cas, le sens favorable de la bataille se dessine déjà l'ennemi est arrêté dans son offensive; il recule; pour généraliser la victoire, il n'y a plus qu'à le forcer à la retraite sur tout le front en se tenant vigoureusement sur ses talons.

C'est bien là le rôle des armées alliées de gauche. Par elles, la grande offensive allemande est en échec et le massif de Seine-et-Marne, qui commande Paris, commence à se dégager.

Cet ordre général, qui appuie la main puissante du commandement sur le large clavier où la partie est engagée, s'achève par quelques touches particulières, sur les points où l'attention du chef est particulièrement attirée. Leur résonance spéciale dans l'ensemble indique une vigilance significative :

La 6e armée (Maunoury) reçoit l'ordre d'appuyer la gauche britannique et de rester en liaison avec le maréchal French. Nous voyons ainsi se préciser le rôle de la 8e division, que nous avons signalé déjà, dans la journée du 6. L'armée britannique reçoit une instruction datée du 6 à 21 h. 40: " La continuation de l'attaque anglaise, le 7, favorisera grandement l'action de la 5e armée. " Cela veut dire qu'il faut continuer l'attaque dans le flanc ennemi : car c'est toute la manœuvre de Joffre et elle n'a pas encore rendu ses effets de ce côté. " Il y aurait intérêt, ajoute l'Instruction, à orienter l'action britannique plus au nord en l'appuyant à la gauche de la 6e armée. " Dans le même sens, cette phrase vise plutôt le mouvement de l'armée britannique vers la gauche : combinée avec les prescriptions de l'ordre général n° 7, elle veut dire que l'armée britannique n'a plus une minute à perdre pour déterminer, par son intervention, le recul définitif de l'ennemi au nord de la Marne ... Et c'est ce qui arrivera, en effet.

La 5e armée (Franchet d'Esperey) reçoit, pour le 7 septembre, l'ordre particulier de marcher en liaison avec la droite de l'armée britannique qui se dirige vers la Ferté-Gaucher. Cela veut dire que Franchet d'Esperey peut serrer, maintenant, sur sa droite et venir en aide à Foch, puisque l'armée britannique doit avancer de façon à dégager fortement la gauche de la 5e armée.

La 9e armée n'a pas d'ordre particulier. On sait que Foch fait tout ce qu'il peut; l'ordre général suffit : " Tenir ! "

Quant à la 4e armée, le haut commandement comprend son embarras en présence de l'offensive par la trouée de Mailly; il n'ignore pas l'importance du rôle qu'elle va jouer. Il lui vient en aide, l'encourage, la soutient, L'ordre du 6 septembre, rédigé spécialement pour elle, est ainsi conçu : Le 21e corps d'armée est mis à la disposition de la 4e armée (il devait être primitivement gardé en réserve d'armée). Il sera, le 7, dans la région de Vassy (Cela veut dire : " tenez jusque là ! ") La 4e armée doit avoir des réserves à sa gauche pour protéger la droite de la 9e armée et contre-attaquer les forces qui menaceraient cette droite. Cela veut dire : " Gare à la fissure ! Puisque vous n'avez pas les moyens de combattre de front, faites balle de toutes vos forces disponibles et tombez sur le flanc de von Hausen qui attaque. " C'est une exploitation tactique de la fissure qui, au point de vue technique, mérite d'être signalée.

Voici donc le tableau largement brossé d'un bout à l'autre du champ de bataille de gauche. L'esquisse est d'un dessin pur. Tout s'harmonise et s'équilibre ; tout est lié. Chaque armée a son rôle parfaitement déterminé : ni obscurité, ni bavure. Toutes sont bien en main. La confiance monte du soldat au chef et elle descend du chef au soldat. Dispositions fortifiantes pour les rudes journées qui commencent et qui vont décider du sort de la bataille.

Revenons maintenant à la bataille de l'Ourcq conjuguée avec l'action de l'armée britannique. C'est la manœuvre de Joffre qui se développe. Quels résultats donne-t-elle, le 7 ?"

 

La bataille de l'Ourcq se développe le 7. Manœuvre de Maunoury sur les communications; réplique de von Kluck tentant l'enveloppement.

 

"Maunoury avait, pour sa part, obtenu, dans la journée du 6, des résultats conformes aux vues du haut commandement français. Sa droite à Chambry, sa gauche à Betz, ainsi que l'écrivait Gallieni à Joffre, il était à dix kilomètres de l'Ourcq, ayant subi des " pertes sensibles, mais sans exagération ". Le coup qu'il avait donné dans le flanc de von Kluck avait été tel que celui-ci, décontenancé, n'avait pu que se retourner vivement. Après s'être dégagé de son imprudente manœuvre vers le sud, il se décide à consacrer toutes ses forces disponibles à la lutte contre Maunoury. C'était la plus graves des fautes (car il découvrait von Bülow) si, dans la journée du 6, l'armée anglaise, ayant crevé le rideau de la cavalerie allemande, eût pu venir tendre la main à Franchet d'Esperey en direction de Montmirail vers la Ferté-Gaucher. L'effet eût été inouï. Car Bülow, attaqué par le sud, et obligé de s'étirer vers von Hausen, était à bout de forces, ainsi que le révèlent ses propres télégrammes. S'il eût été pris dans le flanc, ce jour-là, par la 5e armée et par l'armée anglaise, il eût succombé dès le premier jour et l'armée allemande eût été coupée en deux (La menace de ce mouvement, annoncé ou non par von Kluck, a, en fait, obligé Bülow à commencer sa retraite, ainsi qu'en témoigne son radio du 7 septembre 0 h. 30: " Je me replie derrière la coupure du Petit Morin en raison d'une attaque venant de Rozoy contre les IIIe et IXe corps. ").

La fortune des armes et la force d'endurance et de résistance de la cavalerie allemande en décidèrent autrement. Quelques heures do répit permirent au haut commandement allemand de prendre des mesures qui prolongèrent la bataille de quelques jours et retardèrent la défaite de quelques heures.

Dans le cours de la journée du 6 septembre, Maunoury a déjà senti les effets de la manœuvre à renversement " de von Kluck. A la fin de la journée, il s'est parfaitement rendu compte que l'ennemi porte son effort sur deux points : 1° sur les hauteurs du confluent de la Marne et de l'Ourcq, c'est-à-dire à Varreddes, Chambry, Étrépilly, évidemment pour sauver l'articulation des forces qui combattent sur l'Ourcq avec celles qui remontent de la Marne; 2° à l'extrémité de l'éventail, c'est-à-dire vers Acy-en-Multien, Étavigny, Betz, évidemment pour sauver à tout prix ses communications et se garder de l'enveloppement.

La bataille allemande se trouve donc composée schématiquement ainsi qu'il suit, le 6 dans la nuit, en vue du 7 matin : A gauche, sur la Marne (Varreddes), une partie des forces qui arrivent du IIe corps; au milieu, une puissante artillerie tonne et tire sans cesse dans toutes les directions, du haut des plateaux de Trocy; à droite, les forces dont dispose le IVe corps de réserve accrues par celles que von Kluck envoie pour protéger ses communications (IVe corps actif, IIe corps actif, etc.), luttent en s'étendant vers lu nord.

" Le matin du 7 septembre, écrit von Kluck (Il convient de remarquer qu'à partir du 6, von Kluck, dans son récit de la bataille de l'Ourcq, devient extrêmement sobre de détails, huit pages en tout (p. 122-130) dans un volume de 160 pages: c'est qu'il s'agit d'avouer la défaite particulière de la Ire armée; dans l'embarras, on passe.), il y avait donc le IIe corps, le IVe de réserve (sauf la brigade de Bruxelles), le IVe corps, le tout en groupements mélangés depuis la Thérouane inférieure jusqu'au ruisseau de la Gergogne, la 4e division de cavalerie vers le nord.""

 

Les Allemands du IVe corps arrivent progressivement, le 7, et sont engagés dans la bataille par une chaleur torride.

 

"Von Kluck prépare une contre-attaque encerclante par le nord, c'est pourquoi, le 7 au matin, il ordonne au IIIe et IXe corps de se mettre en route sur Crouy et la Ferté-Milon. Il envoie un radio à von Bülow, à 10 h. 10 et à 11 h. 15, radios où il parle de " graves combats " et d'entrée en ligne " impérieusement désirable ", que l'ordre ne fut donné (à 11 h. 15) que sur les nouvelles alarmantes des attaques françaises de la matinée du 7.

Von Kluck, ayant transporté son quartier général à 7 heures du matin de Charly à Vendrest, cherche en effet à se renforcer partout et à dégager le terrain : l'inspection des étapes appelle sur Villers-Cotterêts toutes les troupes disponibles du chef-lieu d'étapes de Chauny et les convois des IXe, IIIe et IIe corps sont tous portés au nord de la Marne. " Ainsi, écrit von Kluck, le dos de l'armée était libéré. "

La bataille a repris, violente, dès le matin. C'est au général von Linsingen que von Kluck en confie le commandement. Toutes les troupes qui combattent sur l'Ourcq sont " mélangées ", car elles ont dû être mises en ligne séparément et à la hâte, à cause de " la gravité croissante de la situation ". Il en sera ainsi, d'ailleurs, jusqu'après la retraite sur l'Aisne.

Vers midi, les troupes allemandes seront ainsi disposées :

1° Le groupe nord (général von Arnim), entre Antilly et Acy-en-Multien, avec la 7e division, la 4e et la 16e brigades;

2° Le groupe du centre (général von Gronau), entre Vincy-Manoeuvre et le nord-ouest de Trocy, avec la 8e division (sauf la 16e brigade) et la 7e division de réserve;

3° Le groupe sud (général von Trossel), entre Trocy et Varreddes, avec la 22e division de réserve et la 3e division.

De tout cela, il résulte qu'il s'agit d'une résistance imposée et résultant de la manœuvre adverse, et non d'une conception " géniale ", genre Kriegspiel, que von Kluck semble bien avoir inventée après coup pour les besoins de la cause.

Quoi qu'il en soit, cette journée du 7 va être dure pour l'armée française. L'ordre d'opérations, donné par le général Maunoury dans la soirée du 6, faisait connaître que l'ennemi avait été refoulé, mais ajoutait que les forces allemandes au sud de la Marne semblaient remonter vers le nord. La 6e armée avait même pu déterminer le point où la manœuvre de von Kluck portait ses troupes sur le champ de bataille de l'Ourcq. Un escadron de cavalerie du 5e chasseurs (escadron Lepic), faisant partie de la division provisoire Cornulier-Lucinière, avait été envoyé en reconnaissance dès le 7 au matin : " Après deux tentatives, il s'était trouvé passer entre l'aile droite allemande et une flanc-garde allemande, et il était parvenu ainsi à déterminer la droite de l'ennemi, grâce à un rapide combat mené à pied par cet escadron qui fit quelques prisonniers, dont un feldwebel du IVe corps. Les renseignements fournis par celui-ci furent particulièrement précieux au sujet de la droite allemande, tant à notre 6e armée qu'à l'état-major du général Franchet d'Esperey poussant de son côté vers la nord. " Ce simple incident suffit, en effet, pour établir, aux yeux des chefs, la disposition stratégique de la bataille, le 7 au matin : Maunoury sait, maintenant, qu'il a le IVe corps actif devant lui, à droite de l'ennemi. Mais Franchet d'Esperey apprend qu'il ne l'a plus à sa gauche, dans la trouée de Rebais, et que, par conséquent, il peut foncer vers le nord.

Ces données étant acquises, Maunoury va renforcer sa gauche, car le 7e corps devient, plus que jamais, son aile marchante et son instrument de manœuvre. Le général Vauthier tenait, en fin de journée, le 6, le front de Puisieux à Acy-en-Multien.

Gallieni et Maunoury sont d'avis qu'en présence des renforts allemands, le front français ne présente encore ni une étendue, ni une force suffisantes pour donner des chances sérieuses de succès à la manœuvre d'enveloppement; et c'est pourquoi on appelle à l'aide de nouvelles forces : le corps de cavalerie Sordet, que Joffre avait mis à la disposition de Maunoury par son ordre du 4 à 22 heures, se porte dans la région de Nanteuil-le-Haudouin et la division de cavalerie provisoire Cornulier-Lucinière a mission, dans la nuit du 6 au 7, de rallier ce corps. Pour parer à une menace de mouvement débordant par Étavigny et le bois de Montrolle, dont on a entrevu quelques indices dans la soirée du 6, la 5e division de cavalerie prononcera, dès la pointe du jour, par le nord de Bouillancy, une attaque sur Étavigny en liaison avec le 7e corps. Quant aux deux autres divisions du général Sordet, qui arriveront de grand matin, par Dammartin, dans la région de Nanteuil, elles chercheront à tourner l'extrême droite de l'ennemi.

Ce n'est pas tout. Pour plus de sûreté, la 61e division de réserve (général Desprez) est transportée par voie ferrée vers Plessis-Belleville ; de là, elle doit s'acheminer, le plus rapidement possible, par la nord de Silly-le-Long et Sennevières à la gauche du 7e corps et chercher à déborder toujours la droite de l'adversaire.

En un mot, avant de procéder à la manœuvre, on l'allonge à gauche, de façon à viser les communications de l'ennemi. Indiquons tout de suite que la bataille va s'étendre également au sud de la Marne, pour donner toute sa force à l'offensive, qu'on espère vigoureuse, de l'armée britannique. La 8e division (de Lartigue) (du 4e corps), qui a été arrêtée dans la région de Lagny pour soutenir, à gauche, l'armée anglaise, a ordre d'opérer, le 7, sur la rive droite du Grand Morin, face à l'est, en conformant sa marche à celle de l'armée anglaise.

Quant à l'autre division du 4e corps, la 7e (de Trentinian), elle n'est pas encore arrivée sur le terrain; le 104e et le 103e sont le 6 après-midi à Villemomble et Gagny, mais le débarquement de la division ne sera achevé à Pantin que le lendemain. Nous verrons comment, sur l'appel pressant de Maunoury, le général Boëlle donnera l'ordre, le soir du 7, de transporter en taxis-autos la l4e brigade Félineau et en chemin de fer la 13e brigade Farret.

Dans l'ensemble, avec la nécessité de combattre à la fois pour l'articulation sur la Marne et pour l'enveloppement en direction de l'Ourcq, les troupes reçoivent l'ordre de reprendre l'offensive sur toute l'étendue du front, le 7, à 4 heures du matin. Le 5e groupe de divisions de réserve attaquera sur le front Plessis-Placy jusqu'à la Marne (articulation) avec les 56e et 45e divisions en première ligne, la 55e division et la brigade de chasseurs indigènes en deuxième ligne. Le 7e corps, prolongé à sa gauche par la 5e division de cavalerie du corps Sordet et soutenu par la 6le division de réserve, cherchera, par Acy-en-Multien et au delà, à déboucher jusqu'à l'Ourcq (enveloppement).

A droite, la 45e division, troupes d'Algérie, général Drudde, renforcée par la brigade marocaine Ditte et éclairée par la brigade de cavalerie Gillet, fait pivot; elle a pour direction générale : Chambry, Lizy-sur-Ourcq, Cocherel.

A gauche, le 7e corps, qui fait aile marchante, a pour direction générale: May-en-Multien-Coulombs et au nord.

Dans le groupe des divisions de réserve (général de Lamaze), la 56e division, partant du front Champfleury-La Râperie, doit continuer à attaquer droit vers l'est avec la plus grande énergie. But à atteindre en fin de journée : le franchissement de l'Ourcq entre Marnoue-la-Poterie et Ocquerre. La 55e division suivra le mouvement de la 56e division."

 

Le combat pour l'articulation : Chambry-Barcy.

 

"Suivons, d'abord, l'attaque sur l'articulation, celle de la 45e division, dont les mouvements sont d'ailleurs coordonnés avec ceux de la 56e. Voyez sur la carte : les deux objectifs ne peuvent être que Chambry et Étrépilly. Il s'agit en effet d'enlever la Thérouane, et ces deux villages forment la clef, l'un de la colline sud, à la cote 139, et l'autre de la colline nord, à la cote 130. Si l'on s'empare d'Étrépilly, on met le pied sur le plateau de Trocy où est installée l'artillerie allemande : c'est la victoire.

Mais, entre ces deux lignes de collines, la Thérouane se creuse un lit profond ; un pays tout en bosquets, en ravins, en pentes buissonneuses, une route en ligne droite qui, de Meaux à May-en-Multien, suit les plateaux, tombe au fond de la vallée, remonte, retombe dans trois fonds à Varreddes, à Gué-à-Tresmes, à Beauval et remonte encore aux trois sommets à Chambry, à Plessis-Placy et à May-en-Multien, tel est le terrain qu'il faut franchir pour atteindre le rendez-vous général de May-en-Multien et de Lizy-sur-Ourcq.

Quand la route grimpe aux plateaux, escortée de sa double rangée de peupliers, on voit la bataille de partout et les artilleries ont beau jeu; mais quand elle s'enfonce dans les creux, la bataille s'enterre; elle disparaît en quelque sorte et se localise en faits d'armes particuliers. Mais, remarquez bien les avantages de cette offensive par la route des plateaux : en la suivant, on évite les détours de la Marne; du premier bond, on dépasse Meaux et, par conséquent, on commande les communications de la portion de l'armée ennemie qui, étant encore au sud de la rivière, fait face à l'armée britannique : si on pouvait franchir, d'un bond, la distance qui sépare Chambry de Cocherel et Coulombs, on serait en vue de Château-Thierry. La première partie du programme de Joffre serait réalisée.

La troupe comprend parfaitement l'importance de l'effort qui lui est demandé; malgré la fatigue qui l'accable, elle est animée d'un enthousiasme indescriptible. Mais elle n'est pas renseignée sur les difficultés qui l'attendent et qui froncent les sourcils des chefs : car eux savent que l'armée de von Kluck se masse de plus en plus dense devant eux.

Dès la début des engagements, la lutte est très âpre. La 45e division (général Drudde) a placé ainsi ses deux brigades : l'une, celle de droite (général Trafford) le plus près de la rivière (1er et 3e régiments de marche de zouaves), a pour mission d'enlever Chambry et d'en déboucher, à l'est, pour déblayer le ravin de Varreddes ; l'autre (général Quiquandon, 2e régiment de marche de zouaves et régiment de marche de tirailleurs), débouchant de Barcy, doit chercher à passer la Thérouane vers Brunoy, de façon à contourner à l'ouest le plateau de Trocy et déboucher entre Manoeuvre et Vincy-Manoeuvre. Voici donc un objectif bien net pour la 45e division : c'est le siège du plateau d'Étrépilly, Trocy, Plessis-Placy, à l'est.

Mais, on ne la laisse pas seule pour accomplir ce difficile exploit. Par un mouvement tournant à travers terre, de plus large envergure encore, la 56e division essaiera de déboucher plus en arrière autour de ce même plateau. Le général de Dartein qui, la veille, n'a pu sortir de la ferme Champfleury, fera contourner ce plateau par les fonds, la 112e brigade (général Cornille) marchant sur Étrépilly par les pentes des deux rives de la Thérouane, et la 111e brigade (colonel Bonne) se portant, avec le 66e bataillon de chasseurs, sur la ferme de Poligny par le ravin qui porte la même nom. On peut espérer que l'ennemi, menacé d'être tourné des deux côtés, cédera pied et abandonnera le plateau.

Voici brièvement les résultats du premier élan offensif dans la matinée : la 45e division s'empare de Chambry, en débouche, mais est arrêtée sans pouvoir atteindre les hauteurs bordant le canal de l'Ourcq, à l'ouest de Varreddes; la brigade Quiquandon est arrêtée, au moment où elle débouche de Barcy, sans même pouvoir atteindre le creux de Gué-à-Tresmes; à sa gauche, elle débouche de Barcy jusqu'à la cote 124, à proximité de la Râperie; mais, là encore, elle est arrêtée avant d'avoir atteint la route d'Étrépilly.

A la 56e division, la 112e brigade (350e, colonel de Certain) atteint Étrépilly vers 11 heures et y pénètre : c'est le pied sur le plateau. Mais, des maisons et des tranchées au nord et au sud de la localité, elle est accueillie par des feux très nourris. Il s'agit, en fait, de la contre-attaque générale ordonnée par von Linsingen à midi 15 entre Antilly-Acy et Trocy. Le combat se poursuit avec acharnement dans les rues du village jusque vers 14 heures, heure à laquelle, bien que renforcé par un bataillon de chasseurs, le régiment est rejeté par l'ennemi.

Quant à la 111e brigade, elle a bien gardé les bords du plateau de Champfleury et est arrivée auprès de la ferme de Poligny ; là, elle tient bien sa liaison avec le 7e corps : mais elle est arrêtée, elle aussi, dans le ravin et ne peut enlever la ferme.

Partout, ou presque, on tient; mais on n'avance plus. L'ennemi, c'est-à-dire le groupe de von Trossel (22e division de réserve et 3e division) reste forme sur le plateau entre Trocy et Varreddes, d'où il canonne à vue les masses qui l'assiègent. L'après-midi s'écoule. Il est 16 heures. La journée est d'une chaleur accablante. Les troupes s'étonnent de la résistance qu'elles rencontrent...

Avant de reprendre, avec elles, la fin de cette terrible journée, donnons, d'après les témoins, quelques traits de la lutte qui a maintenu l'élan des troupes dans les contre-bas du redoutable plateau. D'abord l'attaque de gauche sur les pentes de Barcy, village autour duquel s'est massée, peu à peu, l'artillerie allemande. Le 2e zouaves est au sud du village :

 

"A 4 heures du matin (le 7), rassemblement devant les maisons abandonnées. Les étoiles disparaissent lentement; c'est l'aube d'une belle journée. A 4 heures et demie, le régiment se met en route prenant la direction du nord. Le bruit du canon se rapproche. Cette fois, les hommes, qui se demandaient quand ils verraient l'ennemi, ne sont plus sceptiques sur la rencontre avec lui... Les réflexions sont interrompues par l'arrivée de trois obus, qui viennent éclater à 200 mètres en arrière de nous, " Halte ! " ordonne le commandant d'Urbal qui appelle à lui les commandants de compagnie : on se croirait à la Manoeuvre. Cependant les obus tombent déjà beaucoup moins loin. Les ordres du chef de bataillon ont été brefs. Notre capitaine revient et réunit les sous-officiers : " Les Allemands, dit-il, occupent la cote 139 au nord de Barcy. Nous devons nous accrocher à eux en nous avançant le plus possible et les empêcher, coûte que coûte, de gagner du terrain... " A la corne du chef de bataillon, on reprend la marche en avant, les compagnies en losange. Les obus passaient au-dessus de nos, têtes et ne nous touchaient pas... Soudain, ce sont des sifflements auxquels il n'y a pu à se tromper : les balles nous arrivent. En quelques secondes, nous sommes déployés en tirailleurs et nous allons de l'avant. Mais le feu de l'ennemi devient vite intense ; les mitrailleuses commencent à se démasquer. Plusieurs des nôtres sont déjà blessés. Nous nous jetons, dans un champ de luzerne et nous entamons la marche rampante. Le feu redouble de violence et aussi de précision ; la capitaine Imbert est atteint d'une balle en plaine poitrine. Le commandant d'Urbal est magnifique de sang-froid. La canne à la main, debout en arrière du bataillon, il dicte ses ordres en fumant sa pipe. Il est repéré; un feu nourri est dirigé de son côté et il ne tarde pas à être tué d'une balle dans la tête... A ce moment, nous nous exaspérons ; nous attendons le secours de l'artillerie bien lent à venir. Ce n'est qu'assez tard qu'une de nos batteries commence à se faire entendre et cela nous met du baume dans le cœur. Grâce à sa protection, nous allons gagner du terrain... Aussi, quelle n'est pas notre surprise quand nous recevons l'ordre de nous porter à 400 mètres en arrière à l'abri d'une croupe qui nous dissimule à la vue de l'ennemi... La nuit est tombée... On nous apprend que nous allons attaquer Etrépilly..."

 

Voici donc la première partie de la journée du 7 autour du plateau de Barcy. Jusqu'à l'arrivée de l'artillerie, l'offensive de la 45e division est enrayée. Que se passe-t-il dans le camp allemand? C'est l'image identique, mais renversée.

 

" Le 7 septembre, la fraîcheur du matin nous éveille, écrit sur son carnet le capitaine Wirth du IVe corps de réserve. La lutte d'artillerie recommence exactement à 6 heures... Les pertes à l'avant augmentent, surtout à cause de l'usage que fait l'ennemi de ses pièces d'artillerie lourde et des canons de marine et de forteresse à longue portée. Les blessés viennent se faire panser au Plessis-Placy... Vers le soir, la lutte d'artillerie redouble d'intensité. Le feu en rafales reprend. Nos lignes supportent patiemment cette bénédiction du soir. Mais, cette fois, elle ne s'arrête pas : le feu est continué très tard dans la nuit..."

 

Le rôle de l'artillerie est, comme on le voit, capital dans cette première partie du combat. L'artillerie allemande, massée sur le plateau de Trocy, contient, pour le moment, l'élan des troupes françaises. Il est intéressant d'être renseigné précisément sur la situation et le rôle de cette artillerie.

 

"... Nous sommes au sud de Trocy, écrit le capitaine Richter du IVe corps, à environ 200 mètres en arrière de la crête en position de feu couverte, dissimulés derrière un hangar et des meules de paille. Près de nous, trois batteries du IVe corps de réserve ; derrière nous, les batteries de la 8e division de réserve du même IVe corps de réserve ; à l'est, l'artillerie du IIe corps est en action depuis l'après-midi d'hier... A peine sommes-nous sur le terrain et le téléphone est-il posé, que la bataille commence, il est 6 heures et demie du matin. Disparue la fatigue, disparues la faim et la soif, disparue la pensée d'une nuit sans sommeil la joie du combat s'empare de nous. Oh ! qu'il nous soit donné d'assurer, avec nos canons du IVe corps, la décision dans la lutte qui dure déjà depuis deux jours. A première vue, il y a sur le terrain, nous compris, environ 500 à 600 canons faisant comme un cercle d'airain autour de cette crête qui tient Paris immédiatement sous son commandement. J'attends l'appel téléphonique comme une délivrance. Il arrive ; et deux minutes après, nos obus vont vers l'ennemi comme un salut matinal...

Mais qu'est-ce ? Un hurlement et un sifflement perçant comme nous n'en avons jamais entendu traverse l'air et, à cinq pas devant le hangar, un éclatement formidable, comme si la crête était déchiquetée un mille morceaux; puis une fumée épaisse répandant une odeur nauséabonde vient vers nous, ce doit être des canons d'un bien lourd calibre. Et avant que nous ayons rassemblé nos esprits, un hurlement de quatre sons à la fois, un éclatement secouant la terre et d'innombrables balles et projectiles déchirent le champ de betteraves à cent pas devant nous... Nous regardons stupidement l'horrible tableau, Aucun ordre n'arrive plus ; le fil téléphonique est arraché... Au moment où je vais donner un ordre, la parole meurt sur mes lèvres. Voici encore le hurlement sinistre qui grandit dans l'air, qui s'approche. Chacun joint involontairement les mains et une courte prière à Dieu, notre Seigneur, s'échappe de nos lèvres tremblantes. Chacun cherche un abri derrière les canons, dans une tranchée à fleur du sol. L'effroyable rafale tombe sur la 5e batterie placée à notre droite... On se croirait dans le gouffre de l'enfer... C'est un miracle que nous soyons encore en vie... Les heures se succèdent. On s'habitue peu à peu à l'infernal vacarme. Les coups continuent de tomber sans interruption. Il n'y a pas une seconde de calme. Quand on pense que 1 200 canons, peut-être, croisent leurs feux !... Il est midi. Le soleil est brûlant. Pas de repos. Les ordres se succèdent... Soudain arrive l'ordre de changer de position. Dans ce feu d'enfer ! Mais c'est un suicide ! On finit par apercevoir la batterie française. " Nous avons, déniché les compagnons ! " crie le capitaine. Et bientôt nos obus vont tomber au milieu des Français et les mettent en fuite... Après une demi-heure, l'ordre est donné de changer encore une fois de position. On traverse le village an grand trot par la route qui mène au village d'Etrépilly dans la vallée... Bientôt la rafale ennemie nous retrouve. Elle nous poursuit. Nous sommes pris par un tir de flanc... Là, devant nous, à 600 ou 600 mètres seulement, apparaissent des formes sombres et, dans le terrible craquement, on entend la mélodie chantante des balles d'infanterie. On charge fébrilement ; on tire fébrilement ; entouré de mille sortes de morts, dans une vraie chaudière infernale, nous tirons sans cesse coup sur coup, jusqu'à ce que nous ayons repoussé l'ennemi à 1 400 mètres... Soudain, le sifflement si particulier des balles. C'est l'ennemi qui revient à la charge. Commandement : " Tirer sur la colonne d'attaque dans le ravi n de la vallée où elle s'avance à couvert jusqu'à ce qu'on l'ait repoussée à 2 800 mètres. " Mais, nous ne pouvons repérer la batterie qui nous accable de ses coups. Elle doit être établie sur les pentes boisées de la hauteur de l'autre côté (c'est exact, les batteries françaises sont vers Pringy). Il est 6 heures du soir... Mais voilà l'ordre de la brigade qui arrive : " Profiter de l'obscurité pour regagner notre ancienne position. " Et nous retournons en arrière vers Trocy Le village d'Etrépilly reste entre nos mains. Pourvu que le IXe corps arrive demain matin pour compléter notre victoire !...

Ces paroles sonnent la défaite ; et cette défaite, le général von Kluck en a conscience dès cette heure ; dans son ordre rédigé le 7 pour le 8, il traduit ce sentiment en ces termes : " Sur son aile droite, l'ennemi a surtout mené le combat avec une puissante artillerie lourde. L'essentiel est de se maintenir sur les positions conquises et de s'y retrancher en ramenant de nuit, au besoin, l'aile gauche de Varreddes sur une position plus favorable... (La Marche sur la Marne, p. 126). " Nous dirons, tout à l'heure, la fin de la journée et la reprise d'Étrépilly par les troupes françaises, événement qui va confirmer le soldat allemand et son chef dans leur appréciation pessimiste de ce qui se passe " à l'articulation "."

 

La bataille d'enveloppement : Acy-en-Multien.

 

"Il faut, auparavant, suivre la bataille vers la gauche et dire comment les choses se sont passées dans la matinée, pour le 7e corps et pour les forces chargées avec lui de la tentative d'enveloppement par le nord.

Le 7e corps (quartier général à Brégy), reconstitué à deux divisions, se trouvait établi, le 7 septembre au matin, parallèlement à l'Ourcq, aux abords de la Gergogne, sur la ligne générale : Bouillancy, Acy, ferme Nogeon, Fosse-Martin, Puisieux. Si l'on considère le point de départ, à savoir la région de Dammartin, on voit quel était le chemin parcouru. Visiblement l'éventail se refermait sur les forces allemandes défendant la rive droite de l'Ourcq.

Le souci était grand dans le camp allemand. Les radios adressés par von Kluck à Bülow dans la matinée en font foi. Le IVe corps de réserve tiendrait-il jusqu'à l'arrivée des autres corps ? " Question grosse de conséquences et peut-être de la destinée de la guerre ", observe un écrivain allemand.

Le 7e corps, la 61e division de réserve, le corps de cavalerie Sordet arrivaient successivement pour prolonger le front français vers les communications de l'armée allemande,

Au début de la journée, tout s'annonce bien pour le 7e corps. Le général Vauthier a lancé l'attaque sur les rudes pentes de la vallée de la Gergogne, de Réez à Acy-en-Multien C'est Acy-en-Multien qui devient le nœud de la bataille ; c'est là que l'on doit aborder la troisième crête dont la possession rendrait l'offensive française maîtresse do la vallée de l'Ourcq. L'infatigable 14e division (général de Villaret) mène le train au centre. Elle aborde de face les pentes de la riviérette, tandis que l'ennemi, bien retranché, l'accable de ses feux du haut du plateau d'Étavigny-Acy. La se trouve le groupe allemand de Sixt von Arnim, avec la 7e division et 4e et 16e brigades, en ligne depuis Antilly jusqu'à Acy. Le tir des mitrailleuses décime les rangs des braves régiments de la 14e montant à l'assaut. Le colonel Bonfait, qui commande le 42e régiment, le commandant de Pirey, qui a pris le commandement du 60e sont mis hors de combat. Nombre d'officiers succombent.

 

"A 7 heures, dit un document, le 35e régiment (colonel de Mac-Mahon) prend l'offensive en cherchant à s'emparer de la hauteur nord de la route Bouillancy-Acy, en contournant ensuite Acy par le sud. A 9 heures, le 1er bataillon prend pied sur les hauteurs sud d'Acy; mais il est obligé de les évacuer sous les rafales de l'artillerie allemande. A 11 heures, le 1er bataillon tient la croupe au nord de la route Réez-Acy avec des fractions du 47e chasseurs. Le régiment se reporte à 800 mètres sud-est de Bouillancy et organise la position. A 16 heures, offensive générale. Le régiment marche sur Acy par la rive gauche de la Gergogne... L'ennemi est contenu et refoulé; le combat cesse à la nuit. Le régiment bivouaque sur la ligne Bouillancy-Réez. Il a à sa gauche le 42e, à sa droite les éléments de la 63e division d'infanterie de réserve à la ferme Nogeon."

 

A la 63e division de réserve (général Lombard), division qui fait corps avec la 14e division active, les pertes ne sont pas moins lourdes. Le lieutenant-colonel Augier, qui commande le 238e, a reçu trois blessures. Presque tous les chefs de section sont tués ou blessés dans un assaut à la baïonnette, drapeau déployé. Un temps d'arrêt se produit.

La division a rencontré une vive résistance à Fosse-Martin. Elle attaque en effet à la liaison entre le groupe von Arnim et le groupe von Gronau. Des fléchissements se produisent. L'intervention d'un homme du plus rare coup d'œil militaire et dont la carrière prendra bientôt son essor, le colonel Nivelle, les arrête à temps (Près de lu ferme Nogeon, incendiée par l'artillerie ennemie le soldat Guillemard, le caporal Michalet, du 298e, et le sergent Fabre, du 4e génie, enlèvent de haute lutte, le soir, un drapeau allemand

 

"Dès le 7 au soir, raconte un des hommes qui commandaient ce secteur, la résistance opposée par l'ennemi fut acharnée ; elle devait durer jusqu'au 9 septembre inclus. Il en résulta des combats ininterrompus, de jour et de nuit, des actions d'artillerie très vives et prolongées, sans que le 7e corps qui se trouvait à l'extrême gauche pût progresser.

Toutefois, grâce à l'artillerie du corps, qui fut appelée à soutenir tantôt la division de droite, tantôt celle de gauche, aucun recul ne se produisit dans nos lignes, puisque le quartier général du 7e corps et le poste de commandement furent toujours maintenus à Brégy point très avancé où le général Vauthier était arrivé le 6 septembre accompagnant les troupes jusque dans les combats d'avant-garde.

Cependant, un incident, dont la solution fut tout à l'honneur du colonel Nivelle, se produisit sur le terrain de la division de droite, division de réserve (la 63e division) encore incomplètement aguerrie et dont les cadres avaient subi des pertes sérieuses. Impressionnés par la violente canonnade allemande (groupe du centre : von Gronau) qui avait mis Puisieux en flammes, inquiétés par les effets du feu de l'artillerie ennemie qu'ils attribuaient à la nôtre (des confusions semblables causées par l'explosion des projectiles allemands, avec gerbe arrière, furent fréquentes au début de la guerre), les hommes de plusieurs compagnies fléchirent et se replièrent contre la volonté de leurs chefs.

Le colonel Nivelle qui avait, peu de temps auparavant, mis sur roues deux groupes de l'artillerie du corps, par un bond dans la direction de Puisieux, s'était porté en avant pour sa reconnaissance. Voyant le danger et, avec une superbe audace, il porta ses deux groupes en avant, au delà de la ligne d'infanterie qui reculait, mit en batterie et ouvrit un feu rapide à 2000 mètres.

Cette subite et audacieuse intervention, ce mépris du danger, cet exemple de volonté et de ténacité rendit le calme aux esprits. L'infanterie s'arrêta, revint sur ses pas et put, grâce à la rapidité avec laquelle la crise fut dénouée, sans que l'ennemi ait pu profiter de ce désarroi momentané, reprendre les positions qu'elle avait abandonnées et qu'elle sut conserver par la suite; on put même reconstituer une réserve de deux bataillons. L'artillerie qui s'était trouvée, ainsi, en avant des lignes, sans protection, dans une situation critique, put alors être ramenée progressivement dans une position normale."

 

En somme, malgré les renforts ennemis, il y avait progrès. Tout permettait d'espérer un résultat satisfaisant quand, selon la volonté du général Maunoury, toutes les divisions ayant atteint les crêtes vont donner ensemble pour enlever le succès. On sentait l'ennemi partout ébranlé. Les carnets de route allemands nous apprennent la position extrêmement critique des corps épuisés par de longues marches et par trois jours de combat.

Mais un événement fâcheux va précisément se produire à l'extrémité nord du champ de bataille : de nouveaux renforts allemands arrivent sur le terrain. Pour un instant, la confiance va renaître chez l'ennemi. Von Kluck a constitué une masse destinée à " une contre-attaque encerclante par le nord ", où le sort de ses communications l'inquiète. Or, les troupes du groupe de von Arnim ne trouvent devant elles que la 61e division de réserve française qui, au prix de fatigues inouïes, est arrivée à la gauche extrême de la bataille, sans appui vers le nord, puisque les divisions de cavalerie sont encore sur la route de Nanteuil-le-Haudouin. Cette division (général Desprez), transportée au Plessis-Belleville par voie ferrée, son artillerie ayant suivi par voie de terre, s'est portée, par Sennevières, à la gauche du 7e corps, puis dans la direction du bois de Montrolles et de la crête d'Ètrépilly (? Ce doit être une erreur, c'est plutôt Antilly ou Etavigny), c'est-à-dire à l'aile marchante. Malgré l'état précaire où la mettent la pénurie de ses cadres et les premières épreuves subies sur, la Somme, la 61e division entre dans le bois de Montrolles : c'était juste la menace directe sur les communications de l'armée allemande. L'artillerie divisionnaire, en batterie au sud de Villers-Saint-Genest, commande la route de Betz à la Ferté-Milon. C'est la minute critique. Si le corps de cavalerie français eût pu prêter main-forte à la 61e division de réserve, peut-être le résultat cherché par Joffre eût-il été obtenu et l'ennemi eût-il été débordé et tourné. La Ferté-Milon est la clef de Château-Thierry.

Mais Linsingen, à qui von Kluck a confié la bataille, a vu le péril. Artillerie et infanterie sont jetées au barrage au-devant de la 6le division de réserve. Au moment où elle débouche sur le terrain découvert qui monte vers la ferme Saint-Ouen, terrain sur lequel l'ennemi (groupe von Arnim) s'est retranché, le 316e tombe sous des feux violents d'artillerie et de mousqueterie. Il s'arrête. Une forte contre-attaque à la baïonnette le rejette dans les bois de Montrolles où les Allemands le suivent. Le mouvement de recul entraîne les troupes qui opéraient au sud et au nord du bois. Les 264e et 265e chargent à la baïonnette, quatre fois de suite, sous une grêle de balles; mais toutes leurs attaques sont brisées (Courrière - Comment fut sauvé Paris, p. 61). L'intervention des réserves fait marquer un temps d'arrêt à l'ennemi; mais, à la tombée du jour, une nouvelle poussée allemande détermine le reflux jusqu'à Villers-Saint-Genest. Ce n'est qu'à environ deux kilomètres à l'est de Nanteuil que les troupes sont remises en main et forment leurs bivouacs à l'abri des avant-postes.

De ce trou qui se produit soudainement à l'extrême gauche de la ligne française, les plus graves conséquences eussent pu résulter. Un contre débordement allemand pouvait se substituer à la manœuvre de Maunoury et la retourner contre nous.

Mais l'ennemi, épuisé lui-même par de longues journées de marche, n'a pas la force de prolonger la poursuite ou peut-être n'a pas eu conscience de son succès."

 

Le corps de cavalerie à l'aile tournante, le 7 septembre.

 

"Ainsi que nous l'avons indiqué, le haut commandement français avait conçu le dessein de prolonger encore sa ligne d'enveloppement ou son aile marchante, en faisant concourir à la manœuvre le corps de cavalerie Sordet, amené de la région de Versailles.

Disons, en deux mots, ce qu'il était advenu de cette intervention. De ce côté encore, tant que les renforts allemands ne furent pas arrivés, on put croire au succès de la manœuvre : n'escomptait-elle pas, d'ailleurs, le vide du terrain ?

Mais la cavalerie, épuisée par une course de plus de 100 kilomètres, ne pouvait être, au début, qu'un appoint. Sans le concours de l'infanterie, sa valeur combative était singulièrement réduite. C'était, d'ailleurs, à titre de démonstration qu'on la lançait sur le terrain.

Le corps Sordet avait reçu l'ordre d'envoyer ses premières forces disponibles, et notamment la 5e division, au delà de la ligne de chemin de fer à Macqueline et de battre le pays par Bargny, Cuvergnon, Thury-en-Valois, à la recherche de l'ennemi et de pousser si possible des patrouilles en direction de Mareuil-sur-Ourcq, d'Autheuil-en-Valois et de la Ferté-Milon.

Dans la matinée et la première partie de l'après-midi, ce programme parut sur le point de se réaliser. La 1re division de cavalerie atteint la région de Cuvergnon ; mais ce village est tenu par de l'infanterie et des mitrailleuses ennemies. A la 3e division (de Lastours), le 15e chasseurs (colonel Delécluze) mène vivement une attaque dans la direction de Betz; mais à Betz même, elle est accueillie par un feu intense de l'ennemi, qui a fortifié et crénelé les maisons. La cavalerie ne peut forcer le passage : elle renonce, non sans pertes assez lourdes. En même temps, le colonel Henocque - un des chefs de cavalerie que la fin de la guerre verra se couvrir de gloire à Moreuil - fait sauter des lots très importants d'obus et d'approvisionnements allemands à Bargny. De ces rencontres il faut bien conclure que l'ennemi est en force de ce côté. Les éléments les plus avancés de la 5e division de cavalerie avaient cependant poussé le soir jusqu'aux pentes ouest de la vallée de l'Ourcq, débordant complètement la droite allemande (groupe von Arnim).

 

"Au-dessus du village de Troësnes, écrit Christian Mallet, nous tombons en pleine bataille. Nous gravissons une colline, dont l'ombre nous cache la soleil couchant et quand nous débouchons au sommet, nous avons la brusque vision d'un régiment de chasseurs chargeant comme une trombe, sabre au clair, silhouetté en noir sur l'immense écran rouge du ciel. Une pièce de 75 à côté de nous, crache sans interruption. Toute la nuit, nous avons marché sans repos, sans nourriture, épuisés."

 

Malheureusement dans la soirée, à la suite du mouvement rétrograde de la 61e division de réserve, les divisions de cavalerie se retirent sur Lévignen, puis vers Macqueline et Nanteuil-le-Haudouin. Toutefois, un important événement s'était produit. La démonstration du corps de cavalerie commençait à jeter le trouble parmi les troupes et les états-majors de l'armée de von Kluck. Les résultats n'allaient pas tarder à se faire sentir."

 

Perplexité à la 6e armée.

 

"Pour le moment, le mouvement d'enveloppement de Maunoury se heurtait partout à la garde vigilante des forces allemandes arrivant à marches forcées de la Marne sur les champs de bataille de l'Ourcq. On comprend l'émotion du commandant de la 6e armée. A 16 heures, il a appris que les corps de l'armée allemande opposés à la 5e armée, c'est-à-dire à l'armée Franchet d'Esperey (qui combat au sud de la Marne dans la région d'Esternay-Montmirail), battent en retraite vers le nord et le nord-est. Il reçoit, en même temps, l'avis du général Franchet d'Esperey qu'il serait urgent que la 6e armée et l'armée anglaise puissent agir dans le flanc des colonnes allemandes en retraite. Déjà, Joffre l'a averti qu'à 8 heures du matin, les avions anglais signalaient cette retraite des Allemands vers le nord.

Or, que penser quand, au lieu de constater la retraite annoncée, la 6e armée trouve partout, devant elle, des forces nombreuses, une artillerie extrêmement puissante, une résistance acharnée ? La conscience du chef se préoccupe du devoir de solidarité à une heure si critique. Il ne peut se rendre compte, de si loin, que la nouvelle manœuvre de von Kluck en décrochant toutes ses forces de la région de la Marne et en les reportant sur l'Ourcq, a outrepassé encore les vues du haut commandement allemand et qu'elle va avoir pour résultat, si elle, sauve la bataille particulière de von Kluck, de perdre la bataille générale. Il ne peut deviner tout cela sur les simples indices qui lui sont fournis et il n'a qu'une volonté : remplir son devoir militaire et, puisqu'on lui demande de tenir, tenir, puisqu'on lui demande d'attaquer, attaquer.

Le général Maunoury, qui est à Compans et a reçu l'après-midi la visite du général Gallieni, décide donc, qu'avant la fin de la journée, il faut faire un nouvel effort, enfoncer la ligne de résistance de l'ennemi et atteindre enfin ces forces battues dont on annonce la retraite. A ce point de vue, le village d'Étrépilly prend une importance décisive. Qui s'en emparera, menacera les derrières de l'ennemi défenseur de Champfleury et de 115-114 et disposera des cheminements enveloppant le plateau de Trocy. Tourner l'artillerie allemande qui seule empêche la marche sur l'Ourcq, tel est, en deux mots, le programme de cette fin de journée."

 

Fin de, la journée du 7. L'assaut d'Étrépilly. La 14e brigade en taxi-autos.

 

"La marche de la colonne d'attaque, commandée par le colonel de Certain, est silencieuse; le 350e arrive sans encombre jusqu'à la croupe au nord-ouest d'Etrépilly; il subit, alors, les feux d'une section de mitrailleuses; les compagnies de tête (commandant d'André) partent à la charge, passent les servants au fil de la baïonnette s'emparent des deux mitrailleuses et pénètrent dans le village. Mais il s'est produit un certain désordre : une contre-attaque de la 22e division de réserve allemande (général Riemann) déloge les assaillants; elle est arrêtée par le colonel de Certain qui se maintient aux abords mêmes du village, jusqu'à 22 heures, mais ne peut y rentrer. Le régiment est reporté au nord-est de la Chaussée, ramenant les deux mitrailleuses capturées.

A la 45e division, le régiment de chasseurs indigènes Pomeyrau attaque vers 18 heures, mais sans résultat. Quant au régiment de gauche de la brigade Quiquandon (2e de marche de zouaves), qui s'est infiltré jusqu'aux abords sud d'Étrépilly, il s'y jette d'un superbe élan, le traverse tout d'une traite et attaque le cimetière fortement retranché qui domine le village au nord. Le brave colonel Dubujadoux enlève ses soldats à l'assaut du cimetière. Il tombe au pied de la muraille; une forte contre-attaque allemande réussit à rejeter le régiment dont les pertes sont énormes : trois officiers supérieurs sur quatre ; les trois quarts des officiers, la moitié de la troupe (Les pertes subies par la brigade marocaine Ditte au cours de la bataille de l'Ourcq et des premiers combats au nord de Soissons ont été telles qu'il fallut fondre les deux régiments en un seul à deux bataillons).

On ne doit pas croire que de tels efforts soient inutiles. L'échec de l'attaque d'Étrépilly est dû, surtout, à la supériorité numérique de l'ennemi qui dispose, autour de Trocy, du groupe de von Gronau et du groupe de von Trossel, c'est-à-dire de quatre divisions, soit plus de 60 000 hommes sur six kilomètres, avec une puissante artillerie massée sur le plateau. Mais von Kluck est obligé de mettre ses troupes sur les dents et de vider ses caissons pour tenir tête il la fougue de l'offensive française. Déjà, il a dû abandonner Bülow au sud de la Marne et la bataille générale est compromise et, pour ainsi dire, perdue en raison de ce particularisme militaire du chef de la 1re armée; mais, en plus, il sera obligé de céder lui-même, le lendemain, ce terrain si péniblement défendu.

C'est à propos des combats livrés, les 6 et 7, dans les régions de Marcilly, Barcy, Chambry, Étrépilly, que l'auteur allemand de l'ouvrage Récit des batailles de la Marne inspiré, a-t-on dit, par von Kluck, écrit, rendant hommage au vainqueur : " Les troupes françaises semblent très ardentes; les nôtres tiennent les hauteurs; mais les Français sont des démons; ils chargent sous la mitraille, se font tuer avec allégresse; la vaillance des Français est surhumaine. C'est comme une génération spontanée de troupes qui apparaît de tous côtés... " L'effet moral est produit. L'ascendant, s'est retourné.

Considérons, d'ailleurs, le résultat réel de ces rudes combats au moment où il faut prendre de nouvelles résolutions pour les suites de la bataille, soit dans le camp français, soit dans le camp allemand. Ce à quoi l'on se décide de part et d'autre pour le 8, est la suite naturelle de ce qui s'est fait dans la journée du 7.

Dans le camp français, on est d'avis que, si la journée du 7 a été dure sur l'Ourcq, elle a été, en somme, bonne pour nos armes. Ses péripéties ne font en rien dévier de ses projets le général Maunoury. Il répondait, dans l'après-midi, au général Franchet d'Esperey qui l'adjurait d'attaquer : " Engagé sur le front Meaux-Étavigny, j'espère déborder la droite allemande à Étavigny, et la rejeter dans l'Ourcq. " Il se préparait, en effet, à la reprise de la manœuvre d'enveloppement, le lendemain, avec des troupes fraîches. Il recevait, d'ailleurs, directement, dès lors, les ordres du commandant en chef, son armée étant désormais hors des limites du camp retranché de Paris.

Il fallait, de toute nécessité, des troupes fraîches pour réaliser l'extension vers le nord demandée par Joffre dans son ordre de 15 h. 45. Maunoury, qui avait hâte de voir la 7e division entrer en ligne, prescrivit à 17 h. 30, après avoir consulté Gallieni, que la 7e division, avec toute l'artillerie du 4e corps, se porterait, le 8 au matin, de Nanteuil sur Betz.

Il fallait assurer l'arrivée à Nanteuil. Le directeur des transports avait été, à cet effet, chargé par Gallieni de réquisitionner 500 autos- taxis munis de leur plein d'essence et de vivres pour un jour (L'utilisation des autos avait été préparée depuis plusieurs jours par le gouvernement militaire de Paris. Le 1er septembre au soir, Gallieni, envisageant alors les mesures à prendre en vue de procéder à des évacuations de matériel si l'ennemi accentuait sa menace sur Paris, avait prescrit de requérir à titre temporaire tous les véhicules de la capitale, y compris les taxis-autos.) et de les diriger sur la mairie de Gagny, ainsi que 100 voitures déjà rassemblées à la porte de Boulogne, de manière que tous les véhicules fussent à Gagny à 17 heures, aux ordres du général Maunoury. Le général Boëlle lançait, de son côté, l'ordre suivant : " la 13e brigade, 101e et 102e régiments (colonel Farret), s'embarquera en chemin de fer ; la 14e brigade, 103e et 104e régiments (général Félineau), sera transportée en taxis-autos... " Les instructions furent exécutées à la lettre, avec infiniment de zèle, de dévouement et de rapidité.

 

"Les trois bataillons du 104e débarquèrent vers 2 heures du matin à l'angle de la route nationale avec le chemin de Silly-le-Long, le régiment bivouaquait en colonne double près d'un boqueteau, où il passait le reste de la nuit. Quant au 103e, deux de ses bataillons étaient déposés par les taxis à 1500 mètres au sud de Nanteuil, où le convoi se heurtait à des vedettes de notre corps de cavalerie.

Cependant, les 101e et 102e régiments, enlevés en chemin de fer dans la même nuit, débarquaient le 8 au petit jour en gare de Nanteuil quant au dernier bataillon du 103e, utilisant la même ligne, il n'arrivait que le 8 au soir.

En définitive, cinq bataillons d'infanterie à 800 hommes, soit 4 000 au total, avaient été transportés par autos et taxis, en quelques heures, jusqu'à 50 kilomètres environ au nord-est de Paris. Si ce chiffre paraît bien loin des gros effectifs qu'avait colportés la légende, il n'en reste pas moins que personnel et matériel répondirent à l'effort qu'on leur demandait ; chauffeurs et taxis auraient d'ailleurs pu faire bien davantage si les circonstances l'avaient exigé (Commandant Henri CARRÉ, " la Véritable Histoire des taxis de la Marne ", Revue militaire française du 1er août 1921.)."

 

Ainsi renforcé, le général Maunoury était prêt, pour conquérir la victoire le 8, " à consentir à tous les sacrifices "."

 

Les alarmes de von Kluck. Triport-Varreddes : la 8e division. Les IIIe et IXe corps jetés dans la bataille de l'Ourcq.

 

"Dans le camp allemand, l'arrivée de la 16e brigade d'infanterie, du IIe corps à Étavigny le soir, et le succès de sa contre-attaque sur la 6le division de réserve, avaient mis du baume dans le cœur; on affirmait et l'on pensait peut-être que l'on pouvait tenir, maintenant, la ligne Étavigny-Lizy " d'une manière absolument inébranlable ". Ce sentiment était-il sincère ?

Von Kluck veut masser ses cinq corps au nord de l'Ourcq pour la journée du 8 : c'est donc qu'il en a besoin et qu'il estime, par conséquent, que la journée du 7 lui a été contraire. Jugeons-en d'après lui-même, par son ordre du 7 au soir cité ci-dessus, et par ces radios pleins d'alarmes.

6 septembre, 22 h. 45 (au G. Q. G.) - Le IXe corps su retire cette nuit dans la région ouest de Montmirail, en liaison avec le IIIe corps vers Boitron.

7 septembre, 10 h. 10 (à Bülow) - Les IIe, IVe et IVe de réserve livrent un combat difficile à l'ouest de l'Ourcq inférieur. Où sont les IIIe et IXe corps ? Quelle est la situation chez vous ?

7 septembre, 1l h. 15. - L'intervention des IIIe et IXe corps sur l'Ourcq est de nécessité urgente. L'ennemi se renforce d'une façon importante. Prière de mettre ces deux corps en marche vers la région de la Ferté-Milon et Crouy.

7 septembre, 11 h. 20. - Où se trouve le Ile corps de cavalerie ? Pendant l'attaque de l'ennemi, le maintien de la coupure du Petit Morin, entre la Ferté-sous-Jouarre et Boitron, est de nécessité urgente.

Bülow, d'autre part, jette des cris désespérés : mais en vain. " S'il est vrai, écrit Bülow dans son rapport, que le 7 septembre, la Ire armée rencontra devant elle à l'ouest de l'Ourcq des forces assez importantes pour qu'il fallût réclamer impérieusement la concours des IIIe et IXe corps, peut-être eût-il mieux valu, dès le 7 septembre, rompre le combat que les trois corps de l'aile droite soutenaient à l'ouest de l'Ourcq et rétablir de nouveau, environ vers Château-Thierry, la liaison avec la IIe armée. "

Von Kluck ne veut rien entendre : par des ordres à 11 h. 15, à 12 h. 40, à 1 h. 15, à 2 h. 30, il reprend ses deux corps et il les garde.

Tel est donc le résultat positif des journées du 6 et du 7. Von Kluck lâche complètement la Marne et Bülow; c'est donc qu'il a senti la nécessité absolue d'avoir toutes ses forces à sa disposition sur l'Ourcq. Il faut prendre, en effet, les paroles pour ce qu'elles valent et les faits dans leur réalité. Que pèsent, à côté d'une mesure qui va décider du sort de la bataille de la Marne, les télégrammes gonflés de morgue d'un général battu, battu par sa faute, qui veut se faire passer pour victorieux ?

Au point de vue général, le résultat est plus frappant encore. Il est vrai, la manœuvre d'enveloppement, telle que l'avait conçue Joffre, n'a pas entièrement réussi. Par contre von Kluck, en retirant précipitamment ses troupes qu'il avait fait avancer précipitamment, a produit un vide dans lequel l'armée britannique et l'armée Franchet d'Esperey vont se jeter allègrement. C'est la rupture du front allemand entre von Kluck et von Bülow si celui-ci ne recule pas aussi vivement que son collègue vient de le faire et si von Bülow recule, c'est la rupture entre lui et von Hausen, tandis que celui-ci en est encore à travailler à la rupture du front français : en un mot, c'est le plan allemand culbuté et la porte ouverte à la manœuvre finale de l'armée française.

Il nous reste à dire un dernier mot de la bataille de la 6e armée en quittant la région de l'Ourcq et en descendant au sud de la Marne.

Nous avons exposé le rôle de la 8e division française (de Lartigue), installée, dès le 6, autour de Chessy, en mesure de pénétrer en direction de Couilly, comme une pointe dans le flanc de l'ennemi un pas en avant et elle commande la route de Coulommiers à Meaux. Von Kluck croit qu'il a affaire à l'armée britannique et, par crainte de ce mouvement, il ordonne le recul de sa gauche " de Varreddes sur une position plus favorable ". Mais la marche de la 8e division est subordonnée, en réalité, à l'avance de l'armée britannique. Elle reste donc l'arme au pied, toute la matinée, autour de Chessy ; dans la journée, elle se met en mouvement et passe sur la rive droite du Grand Morin; ses brigades s'avancent en colonne, vers Quincy-Ségy et de Condè-Sainte-Libiaire jusqu'à Couilly. Mais elle ne prend pas le contact avec l'ennemi.

Déjà, en effet, celui-ci n'est plus là : le IIe corps est remonté au nord de la Marne ; le terrain se trouve libre des gros, nous le savons, jusqu'à la trouée de Rebais. Cependant les divisions de cavalerie de von der Marwitz font rideau et, le soir du 7, sa 9e division est à l'est de Trilport, sa 2e à Pierre-levée.

La 8e division française interroge ses voisins de droite, les éléments de l'armée anglaise : ils doivent atteindre Maisoncelles sur la route de Coulommiers à Meaux. Que font-ils ? Ils n'avancent pas. La division avance lentement et bivouaque le soir, à proximité de cette même route, en avant de Quincy-Ségy et de Couilly. Par ce simple mouvement, Meaux est tourné. Si le contact avait pu être pris avec l'armée britannique, le poids de la journée de Varreddes, le lendemain, eût été singulièrement allégé.

Quelle n'a pas été, en effet, même sur ce point, l'angoisse de von Kluck, dans cette journée du 7. Vers midi, son aile gauche (von Trossel) a été tellement malmenée par le feu de l'artillerie venant de la direction de Meaux que, pour la soutenir il donne, à 1 h. 15, de Vendrest, un ordre général ainsi Conçu :

 

"Le IVe corps de réserve et le IIe corps sont engagés dans nue dure bataille sur la ligne de Betz à Varreddes, au nord de Meaux. L'adversaire se renforce au nord de Meaux et menace notre aile gauche en la prenant de flanc par un violent feu d'artillerie lourde venant de la direction de Meaux. Le IIIe et le IXe corps partiront immédiatement... la division de gauche du IIIe corps par le chemin le plus court jusqu'à Lizy.

Une brigade d'infanterie de cette division devra être mise en marche sur la route de la Ferté-sous-Jouarre en direction de Trilport avec l'artillerie lourde du IIIe corps et un peu de cavalerie. Celle brigade devra réduire l'artillerie anglaise par une artillerie de flanc. Couverture et reconnaissance direction Coulommiers où l'ennemi est annoncé ut vers le Grand Morin. Liaison avec le IIe corps de cavalerie qui devra agir également aujourd'hui avec de l'artillerie disposée en flanc dans la région de Trilport (contre l'artillerie ennemie au nord de Meaux).

Les trois autres divisions, aux ordres du général von Lochow, par les routes les plus directes en direction de la Ferté-Milon-Crouy."

 

Von Kluck voit donc sa bataille d'articulation compromise autour du pivot de Varreddes :la 8e division française et l'armée anglaise, qui atteignent presque la route Meaux-Coulommiers et canonnent bien au delà, le menacent dangereusement. Il faut parer au plus tôt par l'action immédiate, vers Trilport, d'une division du IIIe corps et du corps de cavalerie von der Marwitz. On le tente, mais que d'incertitudes pour la nuit et le lendemain !

Quand, le soir venu, von Kluck et son chef d'état-major von Kuhl préparent, à Vendrest, les ordres pour le 8, la situation leur apparaît peut-être un peu dégagée vers le nord où on leur a signalé les routes libres, mais elle reste menaçante vers Nanteuil où se rassemblent, leur dit-on, de fortes masses de troupes. La conversion enveloppante de l'aile droite allemande n'a pas été assez marquée. Les IIIe et IXe corps arriveront-ils ?

Ce soir même, la 6e division (du IIIe corps) atteint Charly, mais le IXe corps, engagé dans la bataille d'Esternay, n'a pu atteindre que la coupure du Dolloir, au sud de la Marne : on le fouaille pour qu'il fasse des prodiges de vitesse.

De ce déplacement de 80 000 hommes, von Kluck et von Kuhl attendent, sinon la victoire, du moins le salut. Commencent-ils à réaliser que les armées allemandes du front occidental sont au penchant de leur ruine et que la défaite sera un fait accompli au cours de cette journée du 8 ?"

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