CHAPITRE IV - SUITE DE LA BATAILLE DE L'OURCQ

(6 septembre.)

 

 

La conception de la bataille de gauche dans le camp allemand. - Von Kluck déplace ses corps le 5 à la nuit, - La bataille de l'Ourcq le 6 au matin. Seconde partie de la journée du 6 à l'armée Maunoury. - L'armée britannique dans la journée du 6. - Entrée en ligne du 4e corps : la 8e division articule la bataille de l'Ourcq à la bataille de la Marne.

 

"Les opérations étant préparées dans les deux camps, il est facile de comprendre pourquoi la bataille de l'Ourcq, engagée dès le 5 à midi par un mouvement en avant des troupes de l'armée de Paris, surprend tout le monde."

 

"Le canon avait tonné avec une intensité croissante depuis midi. Des appels suppliants arrivent du IVe corps de réserve qui fléchissait sous le coup de la première attaque. Von Bülow, inquiet pour sa propre manœuvre insistait auprès de von Kluck dans la soirée du 5 et lui signalait le péril couru par l'armée entière : " L'ennemi paraît se rassembler sur notre flanc droit et transporte ses troupes disponibles à Paris et au nord-est. " Cela veut dire que l'orage s'amasse du côté de Paris et, qu'autour de Paris, c'est au débouché nord-est, c'est-à-dire vers Nanteuil-le-Haudouin, qu'il faut veiller.

L'ensemble de ces circonstances produit sur l'esprit de von Kluck un effet de stupeur qui, dans cette nature vigoureuse, se transforme immédiatement en acte. Il est, à la fois, abasourdi et illuminé. Il voit sa faute dans toute sa gravité; mais il ne s'entête pas et ne songe qu'à la réparer (Voici une de ces conversations de von Kluck avec les journalistes, où la général vaincu, qui mettait alors la dernière main à ses Mémoires, revient sur ses éternelles explications de la défaite. " ... Puis, le général parle de la bataille. Comme il me démontre toutes les difficultés qu'il y eut pour les Allemands de se ravitailler en vivres et munitions en raison de la longueur démesurée de la ligne d'étape, je lui demande de quelle façon il fut averti que les troupes françaises se trouvaient sur sa droite : " Le 4 septembre au soir, nous dit-il, nous en eûmes quelque pressentiment, d'après des rapports de patrouilles; mais, en fait, ce fut le 5 au matin, par l'attaque subite des soldats français... En cinq minutes, ajoute le général, la décision de reculer fut prise et j'expédiai sur-le-champ les ordres nécessaires. " (Le Temps, 1er mai 1919.)).

 

La conception de la bataille de gauche dans le camp allemand.

 

"Le grand quartier général avait toujours eu des craintes pour sa droite; il avait averti, à diverses reprises, von Kluck de rester entre Oise et Marne. L'offensive venant de Paris ne le surprend pas aussi complètement qu'elle surprend von Kluck. Mais, nous dit von Tappen, il n'en est avisé que le 6 au soir par un ordre du général Joffre trouvé sur un prisonnier français. Il ne paraît pas qu'il y ait eu, d'ailleurs, à ce moment et jusqu'à la retraite, de direction effective de la part du G. Q. G. de Luxembourg. Von Tappen tente de s'en excuser par l'augmentation croissante de la distance séparant le G. Q. G. de l'aile droite de l'armée; il invoque aussi les difficultés techniques qui s'opposaient au déplacement du G. Q. G. et notamment au changement des communications téléphoniques. En réalité, c'était, de la part du haut commandement, une véritable abdication.

 

 

Von Kluck déplace ses corps le 5 à la nuit.

 

"On sait quelle était la situation de l'armée von Kluck le 5 à midi : l'ensemble de l'armée se porte sur le Grand Morin, qu'elle a passé en partie, se dirigeant vers Provins et la Seine. La cavalerie de von der Marwitz et celle de Richthofen, opérant de chaque côté de l'armée britannique, sont en voie de pénétrer dans la brèche : la 9e division au nord de Crécy, et la 2e aux environs de Coulommiers; la 5e division de cavalerie du corps Richthofen est à droite de la route de la Ferté-Gaucher à Provins, sur Choisy, la division de la cavalerie de la Garde est en marche sur Chartronges.

A la suite de la cavalerie, le IIe corps actif est en campement d'alerte dans la région de la Celle-sur-Morin-Pommeuse, sur le Grand Morin; le IVe corps est à Choisy; le IIIe corps à Sancy et Montceaux-lès-Provins; le IXe corps à Joiselle-Esternay.

En un mot, tous les corps, ayant passé la Marne, sont en mouvement vers le sud sans l'ombre d'appréhension, alors que le IVe corps de réserve est déjà attaqué sur l'Ourcq et alors qu'ils vont l'être eux-mêmes sur le Grand Morin.

Cette attaque a surpris von Kluck, et elle provoque immédiatement ses ordres. Or ces ordres sont de repasser immédiatement la Marne pour venir en aide à ses arrières attaqués. Il prévoit l'effet que va produire ce mouvement de recul et il y pare, d'avance, en répandant la leçon qu'il s'agit d'une " marche sur Paris ".

Dans son ordre, daté de Rebais, le 5 à 11 heures du soir, von Kluck laisse donc croire que le glissement à droite qu'il prescrit ne l'est qu'en conformité du radio de Moltke : faire face à l'ouest entre Oise et Marne, et non sous le coup de la surprise de l'Ourcq. Il écrit : " Ma pensée était qu'il n'existait encore aucun danger pressant dans le flanc droit et que la marche à droite pourrait se faire tranquillement ""

 

Le IIe corps tôt le matin du 6 septembre se met en route vers la région de Varreddes. Le IVe lui part le soir du 6, en direction, pour la 8e division, de Lizy-sur-Ourcq, via la Ferté-sous-Jouarre, 60 km à parcourir, avec l'espoir d'être vers Trocy-en-Multien le matin du 7, pour la 7ème division, par Rebais, Orly, Montreuil-aux-Lions, Vendrest, sud de Rosoy-en-Multien !

 

La bataille de l'Ourcq le 6 au matin.

 

"Dans la nuit du 5 au 6, les premiers résultats de l'offensive vigoureuse entamée par l'armée Maunoury se font sentir : l'infanterie française a débouché dans la plaine de la Marne; elle a occupé la crête de Dammartin-Montgé, pris Saint-Soupplets, avancé, aux portes de Penchard. Le travail de l'artillerie a été très efficace, et la première ligne de hauteurs sur lesquelles se sont arrêtée le IVe corps de réserve allemand et la 4e division de cavalerie qui lui servait de couverture est déjà intenable, Von Gronau s'est replié derrière la Thérouane.

Pendant la nuit, les dispositions ont été prises par le général Gallieni et par le général Maunoury pour confirmer et consolider ces heureux débuts ; il faut reconnaître, cependant, que le courage des troupes, animé par l'importance de l'œuvre à laquelle elles participent et qu'elles comprennent parfaitement, les a grandement exposées ; avec une ardeur extrême, elles se sont jetées sous le feu de l'artillerie ennemie : les pertes sont lourdes.

Malgré tout, l'attaque sera poursuivie avec tous les moyens dont on dispose, le 6 au matin. Les ordres généraux se résument en deux mots : une offensive à fond en continuation de l'offensive prise, la veille, à l'aile droite.

Mais, à partir de ce moment, les conditions stratégiques de la bataille changent du tout au tout. Le 5 dans 'après-midi, l'engagement était local et partiel : le contact avait été rude et un peu prématuré. Maunoury avait attaqué isolément, A partir du 6 au matin, c'est la bataille voulue par Joffre sur tout le front : armée Maunoury et armée britannique, face à l'est; armée Franchet d'Esperey et armée Foch, face au :nord. C'est exactement la bataille d'angle telle que le dessein en était tracé par les ordres datés du 4 septembre.

Cependant, von Kluck, de son côté, a repris, jusqu'à un certain point, l'initiative : il reporte vers le nord ses deux corps qui s'étaient le plus avancés vers le sud. Averti, il s'est retourné avant que nous ayons frappé un coup décisif. Les dispositions, si bien prises d'abord dans le camp français ne portent pas leur plein et entier effet; la victoire hésite. La gauche de Maunoury, qui devait, se refermer sur les derrières de l'armée von Kluck comme le battant d'une souricière, a pu se rapprocher légèrement de l'Ourcq, mais n'a pu atteindre la rivière. L'ennemi s'est retranché, renforcé. Il nous faut des troupes nouvelles pour soutenir et reprendre la partie engagée.

Dans l'ordre général de Gallieni du 4 septembre, 20 h. 30, la bataille n'avait pas été prévue pour le 5. Puisque le mouvement en avant, insuffisamment éclairé peut-être, a engagé la bataille avec une journée d'avance, il entraîne les suites que nous avons indiquées : les troupes qui se battent sur l'Ourcq attendent de leurs voisins, les Anglais, un secours urgent et ce secours tarde un peu. Cependant les marches des renforts français, poussées par des ordres nouveaux, s'exécutent pendant la nuit du 5 au 6, et Maunoury voit arriver des troupes fraîches. La 45e division (général Drude) s'avance, en très grande hâte, par les routes Dammartin-Brégy et Saint-Mard-Saint-Soupplets ; le 4e corps d'armée (général Boëlle) doit se tenir prêt, dès qu'il sera arrivé, à suivre le mouvement de la 6e armée, Une division de réserve du groupe Ébener se porte sur la gauche de l'armée ; la 92e division territoriale se tient dans le nord-est et surveille l'ennemi. Enfin, le corps de cavalerie Sordet doit se porter vers Nanteuil-le-Haudouin pour former échelon avance à l'aile gauche de l'armée.

Le dessein de la manœuvre française se précise. Une fois décrochée l'articulation du IVe corps de réserve sur la Marne, un grand mouvement enveloppant sera tenté par le nord. La course aux communications s'esquisse.

Mais on n'en est pas encore là. La bataille pour le massif du Multien s'anime; les Allemands, attaqués brusquement en un point où ils sont très forts, n'entendent nullement laisser briser leur articulation. Dans la bataille de l'Ourcq, nous avons donc à suivre deux batailles, celle dit réduit ou de l'articulation près de la Marne, celle des communications ou de l'enveloppement, au nord. Suivons leurs alternatives.

Le 6 au matin, le but principal pour la 6e armée est toujours de franchir l'Ourcq à Lizy et au nord de Lizy en attaquant vigoureusement tout ce qui se trouvera devant elle; la direction générale est toujours Château-Thierry.

Le mouvement se poursuit par les deux divisions, en colonnes d'attaque, conformément au double objectif de la bataille. C'est le groupe des divisions de réserve qui est chargé d'enlever le réduit. Il se déploie, à cet effet, sur la route Saint-Soupplets-Forfry-Puisieux-le Plessis-Vernelle-Dhuisy et dans la zone au sud. Quant au mouvement tournant visant les communications, il est confié au 7e corps actif (général Vauthier), qui doit franchir l'Ourcq entre Vernelle et Neufchelles inclus."

 

On apprend que les Anglais avancent vers le Grand-Morin et les aviateurs font savoir que des forces ennemies sont en train de repasser la Marne.

 

L'attaque reprend au petit jour sur Monthyon, qui est trouvé encombré de blessés, la brigade Ditte enlève Penchard et la poursuite est facile jusqu'à la ligne Forfry, Gesvres, Pringy. Mais la résistance devient plus âpre en approchant de la Thérouane et d'Etrepilly, d'autant plus que les divisions du IIe C.A. allemand arrivent en renfort.

 

Chambry est pris, puis Barcy, mais les lignes allemandes se renforcent, l'artillerie du IIe corps intervient dans la bataille. Le général Maunoury souhaiterait bien que la poussée britannique se fasse sentir afin de soulager son armée au prise avec deux corps d'armée.

 

Seconde partie de la journée du 6 à l'armée Maunoury.

 

Vers 16 heures, les Allemands, renforcés, contre-attaquent dans la région Chambry-Barcy et progressent. Les réservistes de la 55e division chargent à leur tour, l'ennemi est arrêté. La 56e division continue à progresser vers la Thérouane et le 7e C.A. tente de tourner l'ennemi en passant par Fosse-Martin, Nogeon il s'approche difficilement d'Acy-en-Multien. La 61e D.I. de réserve complète vers le nord-ouest le dispositif, vers Villers-Saint-Genest.

 

L'armée britannique dans la journée du 6.

 

Le maréchal French est décidé à attaquer mais il est persuadé que ses troupes vont rencontrer les corps, de la 1ère armée allemande, qui progressaient vers le sud, il craint également d'être tourné. Bien que les IIe et IVe corps repassent la Marne, la cavalerie de von der Marwitz elle continue le 6 sa progression vers le sud. Les rencontres de la matinée rendent les Britanniques très prudents, ce sont leurs reconnaissances aériennes qui leur feront comprendre la retraite allemande. L'avance de l'après-midi ne permettra pas d'atteindre le Grand-Morin alors que les deux corps allemands sont déjà parti vers l'Ourcq.

 

Entrée en ligne du 4e corps : la 8e division articule la bataille de l'Ourcq à la bataille de la Marne.

 

"Dans la journée du 6, l'armée anglaise n'ayant fait que des progrès limités, la 8e division s'était portée en avant et s'était établie en halte gardée en avant de Chessy. La brigade de cavalerie est poussée au delà du Grand Morin, sur le plateau de Villemareuil. Il est à peine besoin d'indiquer que le simple fait de cette apparition suffit pour révéler à von Kluck combien ses forces restées sur le Grand Morin y sont aventurées. Les deux routes qui les ramenaient de Coulommiers à Meaux sont menacées, et, pour les protéger l'une et l'autre, aucune flanc-garde !

L'entrée en ligne de la 8e division est donc d'un effet stratégique certain. Pour le lendemain 7, ce coup de pointe déterminera, à la fois, le déclenchement décisif de l'armée anglaise et la retraite des dernières troupes allemandes."

 

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