CHAPITRE II - L'OURCQ ET LES DEUX MORINS

(5 septembre.)

Veille de bataille. - L'Ourcq et les deux Morins. Le massif de Seine-et-Marne. - Von Kluck cherche la bataille jusqu'à la Seine. - La manœuvre française de l'Ourcq. - Positions de la 6e armée le 5 septembre. - La bataille commence à l'improviste le 5, à midi. - Positions des corps de von Kluck dans la journée du 5. - L'armée von Bülow le 5 septembre. - L'armée von Hausen le 5 septembre.

 

"Le général Joffre avait dit; " Je reprendrai l'offensive quand mes deux ailes auront une position enveloppante. " Cette position étant obtenue, l'offensive est ordonnée. Par contre, Moltke s'est élancé pour envelopper l'armée de Joffre, qu'il suppose en déroute. L'armée allemande, en pleine marche, se heurte donc à l'armée française qui s'arrête brusquement. De part et d'autre, on sait que la partie suprême va s'engager. L'ordre du jour lancé, le 7 septembre à 10 h. 30, à Vitry-le-François, par le général Tülff von Tschepe und Weidenbach, commandant le VIIIe corps allemand, ne laisse aucun doute à ce sujet :

Le but poursuivi par nos marches longues et pénibles est atteint. Les principales forces françaises ont dû accepter le combat après s'être constamment repliées : la grande décision est incontestablement proche.

Demain, donc, la totalité des forces de l'armée allemande ainsi que toutes celles de notre corps d'armée devront être engagées sur toute la ligne allant de Paris à Verdun. Pour sauver le bien-être, l'honneur de l'Allemagne, j'attends, de chaque officier et soldat, malgré les combats durs et héroïques de ces derniers jours, qu'il accomplisse son devoir entièrement et jusqu'à son dernier souffle. Tout dépend du résultat de la journée de demain.

Jamais des adversaires ne furent, de part et d'autre, mieux avertis."

 

Veille de bataille.

 

" Le plan de Joffre est simple; celui du Moltke compliqué, et celui-ci se complique encore, et très gravement, par le fait que la principal lieutenant de Moltke, von Kluck, n'entend pas exécuter à la lettre les ordres reçus et qu'il s'ébranle pour arriver le premier et battre l'ennemi à sa façon. Il n'est pas sans intérêt de remarquer que l'ordre de bataille, dans les deux camps, présente comme une contre-partie de la bataille des Frontières ou de Charleroi. Dans cette première bataille, Joffre attaquait au milieu pour couper l'armée allemande et la partager en deux tronçons, destinés à être battus successivement. Maintenant, ce plan est celui de von Moltke.

Par contre, von Moltke, dans la première bataille, cherchait l'enveloppement général, des Vosges à Valenciennes, et ne laissait d'autre issue à son adversaire que la retraite ; et c'est maintenant le résultat que Joffre se propose. La première fois, Moltke, en raison de la longue préparation allemande et de la violation de la neutralité belge, avait l'initiative, maintenant Joffre, ayant, en moins de trois semaines, rétabli l'équilibre et les proportions, a repris l'initiative.

Avoir ressaisi l'initiative, c'est un grand fait matériel et un grand fait moral.

Grand fait matériel, puisque Joffre, ayant choisi son terrain, y a amené d'avance ses renforts, a distribué ses munitions et ses approvisionnements, disposé ses troupes suivant les perspectives entrevues des prochains combats, a visité lui-même ses lieutenants, leur a donné ses dernières directions, a maintenu ses contacts immédiats avec tous les points du vaste front, de façon que le minimum d'erreurs est probable dans la compréhension et l'exécution de cette opération militaire sans précédent.

Grand fait moral surtout, parce que tout le monde sait, du haut en bas de l'échelle, qu'on se bat parce qu'on veut se battre, parce qu'il faut se battre. La cause de la France est élevée comme un étendard sacré devant l'armée entière et tous le voient, en même temps, d'un bout à l'autre du front.

Les chefs et les hommes ensemble ont pris leur détermination ils travailleront avec cœur à exécuter la pensée du chef. Gallieni et Maunoury devinent, pressentent les ordres donnés, et les exécutent, même avant l'heure prescrite; French s'arrête, comprend, se retourne, se donne ; Franchet d'Esperey, qui a pris la grande part que nous avons dite à la décision, stimule son armée, jusque-là, toujours victorieuse; Langle de Cary, Sarrail, chacun selon son caractère, appliquent et développent admirablement les ordres sur le terrain."

 

L'Ourcq et les deux Morins. Le massif de Seine-et-Marne.

 

Présentation géographique de l'Ourcq et du Multien.

 

Von Kluck cherche la bataille jusqu'à la Seine.

 

Biographie du général von Kluck et position de ses corps d'armée le 5 septembre. Parmi les informations une est particulièrement surprenante :

 

" Mais, pour bien saisir ce point de vue, il est nécessaire de se retourner vers celui des corps de von Kluck qui reste en arrière et à qui est confiée la mission de flanc-garde, le IVe corps de réserve.

Dans la pensée de von Kluck, le IVe corps de réserve, commandé par le général von Gronau, devait-il rester on place, observant Paris, ou bien, tout en gardant sa position de flanc-garde, devait-il suivre le mouvement des gros et s'avancer, lui aussi, vers lu sud ?

Le IVe corps de réserve, composé de la 7e division de réserve (comte von Schwerin) et de la 22e division de réserve (Riemann), avait été arrêté sur les hauteurs du Multien, avec la 4e division de cavalerie (von Garnier).

La volonté de von Kluck, en contradiction absolue avec celle du grand quartier général, se manifeste avec une clarté et je dirai presque une insolence inouïe dans les ordres qu'il donne à cette flanc-garde. Décidé à tenter la fortune, il risque le coup et jette toutes ses ressources dans la fournaise.

Le IVe corps de réserve marchera comme les autres corps. Il ne reste pas sur place. Il a mission de se porter de la région de Nanteuil dans la région de Marcilly-Chambry. Déjà l'ordre du 3 au soir lui prescrivait de se tenir prêt " à se joindre au mouvement général ". Il prend part à ce mouvement vers le sud de la Ire armée qui consiste à s'éloigner de la région d'entre Oise et Marne pour courir jusqu'à la Seine. Cette partie du front devient mobile comme les autres. Elle descend latéralement à Paris, tout un conservant cette position de flanc-garde qui, dans la pensée du grand quartier général et selon les premières affirmations de von Kluck, lui était confiée.

Un ordre signé du comte von Schwerin, commandant la 7e division de réserve, ramassé en morceaux à Puisieux et daté du 5 septembre à 1 h. 45 du matin, c'est-à-dire à l'heure précise où le IVe Corps de réserve va mettre en mouvement s'exprime ainsi :

Le IVe corps de réserve devra demain matin (5 septembre) se mettre en marche vers la Marne; il devra passer la Marne ... et se, tourner ensuite vers Paris. Le IIe corps devra passer le Grand Morin à Coulommiers et tourner ensuite son front vers l'ouest, en direction de Paris."

 

" Cet ordre met hors de doute l'intention de von Kluck de ne laisser ni le IVe corps de réserve ni même la 4e division de cavalerie immobiles dans le Multien. Tous deux ont à descendre ensemble, et d'un seul mouvement, vers le sud.

D'après cet ordre, le IVe corps de réserve doit gagner la Marne et la franchir. Son mouvement doit être prolongé par celui du IIe corps qui, ayant franchi le Grand-Morin à Coulommiers, se rabattra sur Paris (approximativement dans la région de Lagny-Gretz). Ces ordres, qui supposent la croyance en une " brèche ", nous éclairent sur les illusions de von Kluck. Il combine ses vues propres avec les directives du grand quartier général. Celui-ci tient à l'investissement de Paris. Eh bien ! deux des corps seront chargés de cet investissement, mais par le sud-est, dans la région de Marne et Seine et non pas entre Oise et Marne Et il en avertit Moltke, par un radio volontairement amphibologique, le 5 à 10 h. 5. " En exécution des ordres antérieurs du O. H. L., la Ire armée progresse vers la Seine par Rebais, Montmirail. Deux corps d'armée couvrent dans la direction de Paris, sur les deux rives de la Marne. " Cependant, le gros de l'armée, c'est-à-dire les trois corps de gauche, IVe, IIIe et IXe, se porteront de leur côté à l'aide de l'armée Bülow, vers Montmirail; ils seconderont ainsi le plan du grand quartier général, tout en ayant l'honneur d'arriver les premiers sur le terrain.

Telle est la conception de von Kluck, oscillant entre l'indiscipline et l'illusion. Et nous voyons, dès maintenant, se dégager les conséquences. C'est bien la "manœuvre en fourche ", la "bifurcation " qui devait se produire un jour ou l'autre. Depuis le début de la campagne, le plan allemand s'y acheminait inéluctablement.

En effet, ce fameux plan, conforme, parait-il, à une indication du vieux Moltke, se proposait deux buts divergents et courait, comme on dit, deux lièvres à la fois : d'une part, prendre Paris ; d'autre part, écraser l'armée française ; deux objectifs à peu près inconciliables. Le siège d'une place de premier ordre, d'un immense camp avec une puissante armée dans le dos, c'est une conception militaire absurde, S'il en fut."

 

La manœuvre française de l'Ourcq.

 

La journée du 5 septembre doit être consacrée au déploiement de la 6ème armée et du 1er corps de cavalerie, d'après les ordres de Gallieni.

 

Plusieurs observations sont faites par l'auteur :

 

"1° L'ordre du 4 au soir est un ordre de déploiement, non d'offensive;

2° le général Gallieni qui suit, au moyen de son service d'aviation et de son bureau de renseignements, ce qui se passe devant lui, ne parle pas de front fixe chez son adversaire, mais bien d'un front mobile se déplaçant de Nanteuil-le-Haudouin sur Meaux et Lizy-sur-Ourcq;

3° il entend que toute la cavalerie disponible soit jetée en avant;

4° il compte sur une attaque simultanée de l'armée britannique, qui lui a télégraphié à 21 h. 45 qu'elle " passera à l'offensive et occupera la ligne Ormeaux-Tournan-Ozoir ";

5° i1 renforce l'armée Maunoury et ne garde que le minimum de troupes dans le camp retranché;

6° enfin, il se préoccupe tout particulièrement de sa gauche et s'inquiète, à juste titre, des forces allemandes signalées vers le nord et même du côté de Beauvais.

L'ensemble de ces mesures fait le plus grand honneur au jugement du général Gallieni : cependant, pour la journée du 5, il ne s'attend à rien. Une fois ces ordres donnés, la direction des opérations de la 6e armée passe aux mains du général Maunoury."

 

Positions de la 6e armée le 5 septembre.

 

La progression de la 6e armée, en direction du nord-est, implique de franchir trois lignes de crêtes plus ou moins hautes.

 

"Les troupes du général Maunoury sont disposées, le 5, dans l'ordre suivant : au sud, c'est-à-dire à droite, la division de cavalerie provisoire commandée par le général Cornulier-Lucinière et que nous avons vue couvrir la retraite de la 6e armée après les combats de la Somme et de l'Oise, battait l'estrade dans la vallée de la Marne pour maintenir la liaison avec l'armée britannique entre Thorigny et Claye.

Plus au nord, le gros de l'attaque se composait de :

1° La brigade de chasseurs marocains, sous les ordres du général Ditte;

2° Le groupe des divisions de réserve du général de Lamaze, commandées, la 56e division par le général Dartein, et la 55e division par le général Leguay, était installé sur la route de Dammartin à Claye, de Saint-Mesmes à Saint-Mard (c'est-à-dire jusqu'au pied de la colline de Dammartin), les avant-gardes à Montgé-Plessis-aux-Bois-Charny ;

3° Plus au nord encore et à gauche des divisions de réserve, les deux divisions du 7e corps, général Vauthier, à savoir la 63e division de réserve (général Lombard) et la 14e division active (général de Villaret); ces deux divisions sont échelonnées, la droite en avant, sur la ligne de Dammartin-Othis-lisière du bois Saint-Laurent; avant-gardes à Lessart, Eve et Ver.

La 45e division algérienne (général Drude), qui vient d'être mise, par le gouverneur de Paris, à la disposition du général Maunoury, doit s'établir en arrière de la ligne de bataille dans la zone de Villeron, Chenevières, le Mesnil-Amelot, Mauregard, Épiais.

A la gauche de la 6e armée, la zone s'étendant jusqu'à l'Oise était sous les ordres du général Mercier-Milon, commandant le secteur nord du camp retranché, qui disposait de quatre brigades territoriales (92e et 89e divisions territoriales).

Nous avons vu, dans l'ordre général du gouverneur de Paris, que la 6e armée pouvait compter, à bref délai sur d'importants renforts : le 4e corps (général Boëlle) devait débarquer, d'abord pour le 5, une de ses divisions (la 7e, général de Trentinian); l'autre division du 4e corps (la 8e, général de Lartigue) devait rester, jusqu'à nouvel ordre, en avant, de Meaux pour appuyer l'offensive de l'armée britannique.

Le groupe de divisions de réserve Ebener était ramené dans le camps retranché de Paris "

 

La bataille commence à l'improviste le 5, à midi.

 

La mise en place vers l'est, des unités de la VIème armée se passe sans difficultés le 5 septembre au matin. Vers midi le 5/361 qui rentre dans Saint-Soupplet est pris à partie par de l'artillerie allemande établie vers Saint-Pathus et Oissery. L'artillerie de la 56e D.I. de Cuisy elle tire sur les batteries installées à Monthyon qui elle même tirent sur la 55e D.I. qui progresse par Thieux, Nantouillet. Les Chasseurs marocains, plus au sud progressent puis partent à l'attaque, en deux groupes : le 1er, par Charny, Villeroy vers Penchard, le 2ème par Charny vers Chauconin. C'est donc le 5 à midi, par une chaleur torride que commence inopinément, la bataille de l'Ourcq.

 

Cette progression française, ouest-est, rencontre les trois divisions allemandes (VIIe D.R., XXIIe D.R. et IVe D.C.) qui progressent vers le sud afin de franchir la Marne. Mais les ordres que von Kluck avait reçus le 4 à 19 heures, modifiaient profondément ses projets, le 5, au matin, il donnait l'ordre au IVe C.R. de stopper sa progression. Von Gronau, qui commande le IVe C.R. a repéré des forces françaises vers Dammartin, il décide d'attaquer dans cette direction pour voir ce qui s'y trouve.

 

Vers midi, la progression au-delà d'Ivergny est presque impossible.

 

"La 55e division (général Leguay) se trouve vers la ferme de la Trace et Plessis-aux-Bois; la brigade des chasseurs indigènes (général Ditte) : Charny; lorsque l'ordre arrive de marcher de l'avant pour enlever la route d'Ermenonville. Mais l'ennemi la tient solidement. Saint-Soupplets, Monthyon, Penchard tonnent de tous leurs canons.

Le Plessis-l'Évêque, Ivergny et Villeroy sont cependant enlevés, ce dernier village abordé en même temps par le 276e de la 55e division au nord et par la brigade de chasseurs indigènes au sud. La ligne d'artillerie française s'établit rapidement sur les hauteurs au nord et au sud de Plessis-aux-Bois et répond aux batteries ennemies. Dès que l'infanterie fait un saut, l'artillerie suit. La voilà sur les talus de Plessis-l'Évêque et d'Iverny : les 75 prennent le dessus sur les 77, qui tirent de la cote 144. Cependant, malgré la vaillance des officiers et des soldats, le débouché droit sur Monthyon et Penchard devient difficile. Les troupes, défilant en plaine et marchant à l'assaut des hauteurs, s'offrent, sans abri, aux coups de l'ennemi.

La troupe était animée d'un entrain extraordinaire et décidée à tout braver :

 

"L'ordre d'attaquer arrive enfin; joyeux, brûlants du désir de combattre, nous partons, déployés en tirailleurs, prolongés à droite par la 20e compagnie capitaine Guérin (tué quelques instants après) qui avance en contournant Villeroy et doit servir de liaison entre les Marocains et nous, et à gauche, par les 18e et 17e compagnies qui assurent le contact avec le 246e débouchant d'Iverny. Notre point de direction commun est la hauteur de Monthyon que les Allemands occupent fortement et qu'il s'agit d'enlever.

Il est 5 heures (17 h.); l'artillerie ennemie, écrasée, ne tire plus que de rares coups; mais, en arrivant sur la crête, d'où nous dominons la vaste plaine et le panorama de la bataille, une terrible grêle de balles nous accueille... Il nous faut avancer au milieu d'un immense champ dont les avoines couchées par le vent gênent la marche. Un bond encore, une conversion vers la gauche et nous voilà abrités derrière le talus de la route Ivergny-Chauconin, haletants et soufflants. Les balles sifflent au ras de nos têtes. Nous tirons à 500 mètres sur les Allemands bien retranchés derrière les arbres et les arbustes qui bordent le ruisseau des Étangs et presque invisibles dans leurs uniformes couleur de terre. La voix claironnante du lieutenant Péguy dirige le feu, indique les hausses et les points de mire. Il est derrière nous, insouciant des balles, courageux, admirable. A travers une éclaircie d'arbres, on aperçoit, par instants, la course rapide de compagnies allemandes escaladant la côte. Elles se replient sur Neufmontiers et Chauconin. " Ils reculent !... Ils reculent !... " La voix de Péguy nous claironne - " En avant ! " Le capitaine Guérin est tué... Un premier bond, puis un deuxième, nous portent 200 mètres en avant. Mais, aller plus loin, pour l'instant, en une unique vague d'assaut, sans ligne de soutien, serait une folie, un massacre certain et général ; nous n'arriverions pas dix !

 

" Couchez-vous, hurle Péguy, et feu à volonté "; mais lui reste debout, la lorgnette à la main, dirigeant notre feu. Vers la gauche, le lieutenant de la Cornillière est tué; l'adjudant Legrand qui se lève pour le remplacer est tué ... Nous tirons comme des enragés, noirs de poudre, le fusil nous brûlant les doigts, chacun creusant des mains la terre entre deux

coups de feu, pour s'en faire un insuffisant abri. .. Péguy est debout, malgré nos avis de : " Couchez-vous ! " Et la voix du lieutenant crie toujours, avec une énergie rageuse : " Tirez, tirez, nom de Dieu 1 " Et il se dresse comme un défi à la mitraille, Au même instant, une balle brise ce noble front. Il tombe !"

 

La progression est décidément impossible de ce côté. Le général de Lamaze, qui a suivi ces durs engagements se rend compte qu'une manœuvre par le nord aurait plus facilement raison de l'obstacle et il se porte sur Cuisy, à l'état-major de sa 56e division.

Le général de Dartein a soutenu, depuis midi, l'effort du combat dont Saint-Soupplets est l'enjeu. Saint-Soupplets, c'est la clef de la plaine, c'est, nous le savons maintenant, l'arc-boutant qui tient la bataille du côté allemand et où le commandant du IVe corps de réserve, général von Gronau, a porté toutes les forces dont il dispose, 4e division de cavalerie venue du nord par Ognes, 7e division de réserve venue de l'est par Brégy-la-Ramée. Le 361e, qui s'est d'abord approché du village, a dû reculer dans les bois de Tillières où il est poursuivi par les obus ennemis. Les pertes sont sévères : mais l'artillerie française (groupe 32) s'est approchée et peut arriver au sud-ouest de Marchémoret; une autre batterie canonne des groupements allemands que l'on aperçoit dans la plaine. Ceux-ci disparaissent; les canons qui tiraient de Saint-Soupplets se taisent. Ayant pris les ordres du général de Lamaze, le général de Dartein décide, à la faveur de la nuit qui tombe, d'enlever Saint-Soupplets. Le 350e (lieutenant-colonel de Certain), le 161e (lieutenant-colonel Saint-Agnès), le 69e bataillon de chasseurs à pied sont échelonnés sur la route. Il est 9 heures du soir. On décide d'envoyer une patrouille explorer le village. Le sergent Vannerot part avec six hommes et pénètre dans Saint-Soupplets ... Le village est vide. Cependant la patrouille surprend un dernier poste attardé. Les Allemands ont évacué par ordre. Les détachements du 359e et du 69e bataillon de chasseurs occupent le village. C'est l'heureux prodrome de la journée du lendemain.

Sans être aussi brillante, la situation autorisait l'espoir sur les autres points du champ de bataille. A gauche, le 7e corps avait occupé Marchémoret et soutenait ainsi solidement la pointe sur Saint-Soupplets. A droite, la brigade de chasseurs indigènes avait, au prix de grosses pertes, atteint Neufmontiers et Chauconin, mais sans pouvoir les dépasser. L'ennemi réoccupa même les deux villages vers 6 heures du soir; il évacue, d'ailleurs, Neufmontiers à 2 heures du matin. Quant à la 55e division de réserve (général Loguay), si elle n'avait pu aborder Monthyon ni dépasser le ru de la Sorcière, elle s'accrochait, la nuit close, aux pentes de la crête de Monthyon et le général de Lamaze, renseigné sur la situation, laissait au général Leguay le soin d'enlever Monthyon, soit dans la nuit, soit au petit jour.

Le nombre des cadavres, des blessés, des caissons d'artillerie, la quantité de matériel et des débris de toutes sortes trouvés, le lendemain, dans Monthyon et ses abords, témoignèrent de l'acharnement de la lutte dans la journée du 5. En fait, dès la chute du jour, les Allemands étaient battus sur tout le front. Cependant, ils refusent de le reconnaître. " Pour ne pas pénétrer dans la zone où l'on pouvait être atteint par la forteresse de Paris, lit-on dans le Mémoire de von Kluck, et aussi pour éviter un encerclement de l'aile droite, le général von Gronau ordonna de ne pas étendre la poursuite (!) au delà de la ligne Cuisy-Iverny et de reculer, dès la nuit tombante, derrière la coupure de la Thérouane sur la ligne la Ramée-Gué-à-Tresmes. "

En réalité, la 4e division de cavalerie et le IVe corps de réserve n'avaient pas tenu contre deux divisions de réservistes, seules sérieusement engagées. La fatigue, l'épuisement étaient pareils des deux côtés. Mais les dispositions morales étaient toutes différentes : le soldat allemand, ramené déjà à se voyait décidément barré sur la route de Paris et commençait à désespérer (!!??). Le soldat français avait la résolution farouche, de vaincre ou de mourir. On a cité le mot du lieutenant de la Cornilière, du 276e, frappé d'une balle à l'assaut du plateau de Monthyon. Quelques hommes crient, en le voyant tomber : " Le lieutenant est tué ! " Alors, se redressant à demi, dans un suprême effort : " Oui ! s'écrie-t-il, mais tirez toujours ! " Et il expire."

 

Positions des corps de von Kluck dans la journée du 5.

 

Les autres corps de von Kluck continuent, le matin, de franchir le Grand Morin vers le sud. Averti du danger d'un encerclement par le nord-ouest, il fait arrêter la progression avant de faire rebrousser chemin.

 

L'armée von Bülow le 5 septembre.

 

"Dans la soirée du 3 septembre, la IIe armée (Bülow) avait atteint la Marne entre Château-Thierry et Binson. Elle marchait d'après la directive fixée par un radio du O. H. L. reçu dans la journée : " Couper les Français de Paris en direction sud-est. La IIe armée en avant suivie par la Ire armée en échelons. " Mais, nous avons dit que, contrairement aux ordres, Kluck, au lieu d'être en retard d'un jour sur Bülow, est en avance d'un jour. Le 4 septembre au soir, l'armée Bülow atteignit Pargny-la-Dhuis et Verdon (VIIe corps), le Breuil (Xe corps de réserve), Mareuil-en-Brie et Ablois-Saint-Martin (Xe corps), Damery et Épernay (Garde). Prudemment, Bülow n'avait ordonné, pour le 5, qu'une légère avance sur Montmirail-Vertus, lorsqu'il reçut, à Dormans, vers 8 h. 30 du matin, le 5, le fameux radio de Moltke, lui ordonnant de prendre position entre la Marne et la Seine, et d'occuper les passages de la Seine entre Nogent et Méry. Immédiatement, il arrêta son aile droite à Montmirail et son aile gauche s'avança jusqu'à Morains-le-Petit; et il prescrivit que, pour le 6, la conversion à droite se ferait sur Montmirail-Marigny-le-Grand, afin de se conformer à l'ordre d'orientation face à Paris."

 

La présence de corps d'armée de la gauche de von Kluck, devant ceux de von Bülow gène la manœuvre de la IIe armée celle-ci attend aussi que von Hausen la rattrape.

 

L'armée von Hausen le 5 septembre.

 

Fatiguée et en retard, la IIIe armée allemande, doit se reposer la journée du 5.

 

Les trois armées de l'aile droite allemande sont donc dans des attitudes très différentes le 5 septembre: le Ire attaque, la IIe se redéploie et la IIIe se repose. A cette même date les IVe et Ve armées allemandes continuent leurs progressions, des éléments sortis de Metz progressent vers Saint-Mihiel et le Grand-Couronné et la Mortagne sont violemment attaqués.

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