MEMOIRES DU GENERAL GALLIENI - DEFENSE DE PARIS

CHAPITRE VI

Le 6 septembre, l'armée de Paris, suivant le programme du 4, avait vigoureusement pris à partie le IVe corps de réserve allemand, et la surprise du général von Klück n'avait pas dû être médiocre de se voir attaquer aussi rapidement et aussi énergiquement sur son flanc droit et de voir même menacer ses communications. Tout son plan d'opérations ayant pour objet d'obtenir enfin le débordement de l'aile gauche de nos armées, qu'il poursuivait depuis le franchissement de notre frontière, allait être gravement compromis. Il avait cru bon de négliger le Camp retranché de Paris et les forces, d'ailleurs ignorées par lui, qui venaient d'être lancées contre son flanc. Sa présomption devait être cruellement punie.

 

Ligne de front le 6 septembre

 

Ainsi que je l'ai déjà exposé plus haut, au moment où elle se mettait en marche vers l'Est, l'armée de Paris ne comprenait encore que le 7e corps (général Vauthier) composé lui-même de la 14e division active, de la 63e division de réserve, du 352e régiment d'infanterie, des 45e et 55e bataillons de chasseurs, d'un groupe de chasseurs alpins (47e, 63e; 64e et 67e) et du 5e régiment d'artillerie de corps; le groupe des 2 divisions de réserve du général de Lamaze, 55e et 56e divisions, et la brigade marocaine. Dès le 4 septembre, je lui avais adjoint la 45e division algérienne. Le corps de cavalerie Sordet. était à nouveau rattaché à la 6e armée, qu'il ne rejoignait cependant que le 7 dans la région de Nanteuil-le-Haudouin.

Le 4e corps, on l'a vu, venait seulement de commencer ses débarquements dans la journée du 4, mais ses divisions étaient très éprouvées et avaient un impérieux besoin de repos.

Du moment où a été lancé mon premier ordre du 4 septembre à 9 heures du matin, prescrivant à notre armée de Paris, renforcée et réorganisée, de prendre la direction de l'est pour intervenir immédiatement contre l'armée de von Klück, j'aurai constamment à tâche, dans les journées qui vont suivre, d'étayer par tous les moyens possibles l'offensive de cette armée. Les effectifs disponibles, dès leur débarquement et leur arrivée, seront transportés successivement à pied d'œuvre et avec une rapidité inattendue, grâce aux moyens de transports spéciaux dont nous pouvions disposer dans la Capitale. De plus, cette armée sera renforcée en hommes et en matériel de tout ce que présente d'utilisable le Camp retranché.

Dès le 4 septembre, des ordres avaient été donnés pour adjoindre à l'armée mobile, en la munissant " de trains de combat et de tous les moyens lui permettant de faire campagne en dehors d'une place de guerre ", toute la cavalerie disponible du Camp retranché. J'ajoutai un équipage de ponts ainsi qu'une compagnie du génie. Le 5, je donnai l'ordre au général Ebener de diriger vers le Nord-Est, vers Attainville, Mareil-en-France, l'une de ses divisions " la mieux en état de marcher ". La 61e division prendra part ainsi aux opérations dès le 7 ; la 62e suivra le 9 septembre, dès que tout danger aura été écarté de notre front nord. Enfin, une brigade de spahis, demandée pour participer à la police dans Paris, débarquée le 10, sera mise immédiatement à la disposition du général Maunoury. Et on remarquera que tous ces éléments sont toujours poussés vers le Nord, de manière à menacer les communications de la Ire armée allemande.

D'après le plan d'offensive qui avait été définitivement arrêté dans la nuit du 4 au 5, toute la 6e armée devait agir le 5 au soir au nord-est de Meaux, prête à franchir l'Ourcq, entre Lizy-sur-Ourcq et May-en-Multien, dans la direction générale de Château-Thierry ; l'armée anglaise, établie sur le front Coulommiers-Changis, prête à attaquer dans la direction générale de Montmirail.

Ainsi, semblait-il évident que, moyennant le concours immédiat de l'armée anglaise, prolongeant au sud de la Marne le front de la 6e armée et refoulant vers l'est les forces parvenues en avant d'elle, le général Maunoury réussirait, dès les premiers combats, à franchir le fossé de l'Ourcq et à poursuivre l'enveloppement de la Ire armée allemande.

Il n'a pas dépendu de l'armée de Paris que cette manœuvre ne fût ponctuellement réalisée. Partie le 5 septembre au matin de Dammartin, comme centre, le 7e corps au nord vers Othis, dans les directions Eve et Ver, les divisions de réserve au sud, de Saint-Mard à Saint-Mesmes, direction de Saint-Soupplets, la 45e division en arrière, en réserve, elle repoussait le soir même une première attaque sur Iverny. D'après un télégramme chiffré du général Maunoury " la 6e armée reprenait l'offensive le 6 au matin, enlevait. Saint-Soupplets et Monthyon au petit jour, arrivait à 9 heures " suivant le plan convenu " à la hauteur de Meaux sur la ligne Chambry, Barcy, Gesvres, Forfry, Oissery ".

Mais, déjà, le général Maunoury " rencontrait une résistance sérieuse et pensait avoir devant lui tout. le IVe corps de réserve ". Il signalait, en outre, que " deux colonnes ennemies, chacune d'une division, remontaient du sud et atteignaient la Marne vers Varreddes et Lizy à 9 heures ".

Ce renseignement était d'une importance capitale, car il démontrait que le général von Klück, voyant son IVe corps de réserve pressé par notre armée de Paris, et craignant pour son flanc et ses communications, était déjà forcé de faire appel au gros de ses forces, chargé de la mission de débordement de l'aile gauche des armées françaises, pour protéger son flanc et ses derrières. L'effet poursuivi par l'armée de Paris

en prenant l'offensive vers l'Est dès le 4 au soir était ainsi obtenu. La marche de ces deux colonnes allemandes, en réalité le IIe corps d'armée poméranien, vers le nord, était le commencement de la retraite des armées allemandes, c'est-à-dire l'arrêt de l'offensive allemande et de l'invasion de notre pays.

Mais ce mouvement présentait le grave inconvénient d'exposer l'armée Maunoury à voir se retourner contre elle les éléments qui menaçaient l'armée anglaise. Je signalai de suite ce danger au général en chef, danger qui apparaissait dans toute sa gravité, si l'on considérait quelles étaient, à ce moment, la situation et la marche de l'armée britannique.

Le mouvement exécuté par l'armée anglaise dans la nuit du 4 au 5 septembre et dont l'ordre avait été malheureusement donné, comme on l'a vu, malgré l'insistance que j'avais mise à demander sa collaboration pour notre plan d'offensive, avait pour résultat de l'éloigner à la fois de l'armée Maunoury et de la 5e armée. Le 5 au matin, la mission française au quartier général anglais avait fait connaître que " dans ces conditions, il n'est pas possible à l'armée anglaise d'occuper demain 6, en temps voulu, la ligne Coulommiers-Changis qui lui a été fixée ".

Le message du colonel Ruguet annonce qu'" elle va s'en rapprocher autant que possible et sera, à cet effet, disposée demain 6 sur la ligne générale suivante : 1er corps, de Pézarches (nord de Rozay-en-Brie) à Courpalay (sud de Rozay-en-Brie) ; 11 e corps en échelon à gauche, de Tigeaux à la Houssaye ; 4e division en échelon à gauche, à Bailly-Romainvilliers ".

Cette manœuvre avait pour résultat de placer l'armée anglaise face à l'Est, mais, d'une part très en arrière, d'autre part très en deçà de la ligne primitivement fixée. Elle laissait tout le temps au IIe corps allemand, parvenu le 5 jusqu'à Coulommiers, de prendre la direction du nord et de franchir la Marne sans être inquiété.

Au moins, était-il temps encore de reprendre vigoureusement l'offensive pour coopérer au mouvement de la 6e armée vers l'Est et pour détourner de celle-ci les nouvelles forces qui reprenaient la route du Nord. Par un télégramme envoyé ce même jour au maréchal French, je le " priais instamment de bien vouloir porter son armée en avant, conformément aux directives du général Joffre ".

Le Général en chef, de son côté, inquiet lui-même de l'inaction de nos alliés, approuve la promesse que je leur avais faite de couvrir leur gauche par une division pour assurer leur liaison immédiate avec la 6e armée et, dans un télégramme du 6; insiste sur la nécessité " d'appuyer constamment d'une manière efficace la gauche de l'armée britannique ". C'est pour répondre à cette obligation que la 8e division, général de Lartigue, celle que j'avais vue la veille à Asnières, est envoyée par marche de nuit au sud de Meaux.

Cette division aura pour objet " de coopérer directement avec l'armée anglaise par la rive droite du Grand Morin ". Mais cette mesure est contraire à l'idée générale que je m'étais faite de l'action de l'armée de Paris qui, à mon sens, devait constamment s'efforcer d'agir par le nord sur les lignes de communication de l'ennemi. On se rappelle combien j'avais lutté, dans la journée du 4 septembre, contre l'idée de porter les forces du Camp retranché au sud de la Marne. Et, de fait, cet envoi de la 8e division au sud de la Marne, resta sans résultat. Elle demeura à peu près inactive et sa présence, d'ailleurs, ne suffit pas à décider l'offensive immédiate de l'armée anglaise.

C'est que la préoccupation constante du maréchal French est de rechercher, bien plus encore, un appui à sa droite. Je télégraphie ce qui suit au Général en chef : " J'ai l'impression que le Maréchal s'inquiète surtout de l'intervalle qui existe entre lui et la 5e armée. " C'est pour se rapprocher, en effet, de l'armée du général Franchet d'Espérey (ligne Courchamp-Villiers-Saint-Georges) que le Maréchal, dans la journée du 5, étend à ce point sa droite vers le sud, jusqu'au dessous de Rozay-en-Brie. Sa cavalerie, en même temps, recherche la liaison avec le corps de cavalerie Conneau " chargé de combler l'intervalle entre les deux armées ". Le 6; l'armée anglaise se redresse cependant vers le nord, atteint le soir " la ligne du Grand Morin, de Villiers-sur-Morin par Coulommiers à Marolles-en-Brie ", ainsi que je le fais connaître par télégrammes au Général en chef. Mais, dés ce moment, elle surveillera la marche de la 5e armée, s'attachera rigoureusement à maintenir sa liaison avec elle et n'avancera qu'à la condition d'être appuyée par elle sur la même ligne. Ce n'est plus là de la tactique de notre époque !

Or, la 5e armée " doit refouler devant elle trois corps d'armée actifs et un corps de réserve ". (Rapport du Général en chef). Lorsqu'elle atteint, le 7, la ligne Courtacon-Cerneux-Esternay, sa marche devient d'autant plus pénible qu'elle est " en butte à une attaque des plus violentes sur sa droite ". (Rapport du Général en chef.) L'armée anglaise, au contraire, d'après un télégramme du général Maunoury, " n'a que peu de chose devant elle, probablement le IVe corps allemand vers Rebais ". Cependant, les deux armées vont marcher sur le même front.

On s'explique ainsi que l'armée anglaise, sans avoir à soutenir aucun combat sérieux, ait mis deux jours et demi à franchir les 24 kilomètres qui séparent le Grand Morin de la Marne, où elle ne débouchera que le 9 septembre à 12 heures.

La conclusion fut celle qui avait été prévus par le général Maunoury. L'armée anglaise avait, de nouveau, laissé le champ libre à un corps d'armée allemand, le IVe corps actif, qui, traversant la Marne le 8 septembre, venait se heurter le même jour à l'armée de Paris. Malgré tout, le résultat cherché était obtenu : la Ire armée allemande était forcée de renoncer à l'objectif qu'elle s'était donné, à savoir l'enveloppement de l'aile gauche de la 5e armée et, pour conjurer le danger qu'elle courait sur son flanc droit, de ramener peu à peu ses corps du sud vers le nord.

Elle déchargeait l'armée anglaise et la 5e armée qui, interrompant leur retraite derrière la Seine, commençaient à se porter en avant et à prendre à leur tour l'offensive contre un adversaire qui n'avait connu que le succès depuis son entrée sur notre territoire.

En résumé, dans la journée du 6 septembre, l'offensive vers l'Ourcq, entamée dès le 4 septembre au soir et continuée le 5, se poursuivait vigoureusement suivant le plan arrêté.

Les télégrammes du général Maunoury rendaient compte successivement que " dans la matinée du 6, le général Maunoury est sérieusement engagé contre le IVe corps de réserve, renforcé par de l'artillerie lourde, dont les batteries sont établies en avant de Varreddes, de Lizy et de May-en-Multien ". et qu'à partir de 10 heures, notre gauche se heurtait au IIe corps actif " qui tente de tourner notre 7e corps vers Etavigny ". Mais " l'ennemi est refoulé sur tout le front. Nous ne sommes plus, en fin de journée, qu'à 10 kilomètres de l'Ourcq, sur la ligne Chambry-Marcilly-Puisieux-Acy-en-Multien ".

Je suis obligé de passer toute cette journée du 6 dans le Camp retranché, d'abord pour hâter les mouvements des diverses unités du 4e corps et du groupe de divisions de réserve Ebener ainsi que des divers éléments, équipage de pont, auto-canons, cavalerie, etc. qui ont déjà été énumérés plus haut, et également pour faire poursuivre, avec toute l'activité nécessaire, particulièrement sur nos fronts nord et est, plus spécialement menacés, les travaux d'armement et d'approvisionnement de nos ouvrages et batteries. Nos ouvriers, militaires comme civils, travaillaient même la nuit, à la lueur des torches. Déjà, les importants ouvrages de l'Orme de Morlu et de Blanc-Mesnil, dans le nord, et le Collégien, d'Emerainville, des Friches, des Mandres et du Bois d'Autel, dans l'est, comprenant des abris bétonnés, commençaient à offrir une résistance dont il aurait fallu tenir compte. D'autre part, l'instruction de nos troupes territoriales, particulièrement en ce qui regardait l'organisation, l'occupation et la défense des ouvrages et des tranchées, était poussée partout avec la plus grande énergie. Nos territoriaux, conscients de la grosse partie qui se jouait sur l'Ourcq et du danger que courait la Capitale, avaient déjà une autre allure que le mois précédent. Quant à la population parisienne, elle continuait à avoir une excellente attitude. Je parle, bien entendu, de celle qui attendait à Paris les événements avec confiance et non de la foule qui, impressionnée par les nouvelles des jours derniers et par le bruit du canon, qu'on entendait de la banlieue, assiégeait les gares et les portes de la ville pour gagner la province. Un fait typique : notre service de santé, le 2 septembre, comptait 25.000 lits dans les hôpitaux fournis par les Sociétés de secours: Le 3 septembre ces hôpitaux ne comptaient plus que 15.000 lits. Directeurs, infirmiers, infirmières avaient abandonné leurs formations sanitaires qui, cependant, d'un moment à l'autre, pouvaient se remplir de malades et de blessés.

La journée du 7 septembre est marquée tout d'abord par les mesures prises pour l'envoi des renforts destinés à permettre à l'armée Maunoury de résister à la pression qui allait être exercée contre elle par les corps allemands rendus libres par l'inaction de l'armée anglaise. La 7e division débarque à Paris dans la journée. Elle était commandée par le général de Trentinian, que j'avais eu dix ans auparavant sous mes ordres à Madagascar. C'était un chef énergique, qui, dans toute sa carrière, avait fait preuve des plus belles qualités militaires. Malheureusement, sa division avait été très éprouvée dans sa retraite sur Verdun et les hommes étaient littéralement épuisés et incapables d'aucun effort, lorsqu'ils débarquèrent après plusieurs jours de trajet dans des wagons de marchandises. Cependant, il fallait se remettre en route, car le général Maunoury commençait à être pressé et se trouvait sous une menace de débordement du côté d'Etavigny.

 

Ligne de front le 7 septembre

 

L'armée de Paris avait repris l'offensive dans cette journée du 7. La 61e division, transportée par voie ferrée, venait renforcer la gauche du 7e corps. Le général Maunoury continuait à progresser vers l'Ourcq, malgré la résistance acharnée des deux corps allemands, s'emparait de la " crête d'Etavigny " et cherchait lui-même l'enveloppement, comptant, pour le succès de cette manœuvre, sur une action hardie du corps de cavalerie Sordet qui parvient à Bargny à 16 heures et se porte vers Cuvergnon à 3 heures.

Entre temps, pour permettre à la division de Trentinian, malgré son état d'épuisement, de prendre à son tour la route de l'Est, je donnais l'ordre de réquisitionner tous les taxi-autos nécessaires pour le transport de l'infanterie de la division, l'artillerie et la cavalerie devant naturellement suivre la route de terre. Cette opération a laissé un souvenir particulièrement vif chez les Parisiens. Les agents de police et les gardes républicains, répandus sur les principales voies de la capitale, arrêtaient les taxi-autos, faisaient descendre les voyageurs, quels qu'ils fussent, hommes ou femmes, prenaient les numéros des voitures et les dirigeaient sur l'École militaire où d'autres locaux militaires désignés. Là, ils étaient réunis par groupes de 100 sous les ordres d'un officier ou sous-officier du gouvernement militaire et acheminés sur Gagny et Noisy-le-Sec, où ils devaient charger les diverses unités d'infanterie de la division au fur et à mesure de leur débarquement du chemin de fer. C'est ainsi que la division tout entière parvient dans la nuit à Nanteuil-le-Haudouin et, d'après mon télégramme du 7 au Général en chef, " se trouve disponible dès l'aube pour la reprise des opérations ".

Cependant, les forces dirigées contre la VIe armée grossissent de plus en plus. Je télégraphie au Général en chef : " De gros rassemblements sont signalés sur la rive gauche de l'Ourcq, vers Lizy-sur-Ourcq, Crouy et Montigny-l'Allier ". D'ailleurs, " toutes les routes partant du front de la 5e armée et se dirigeant vers le Nord sont signalées comme parcourues par de longues colonnes en retraite sur la Marne " et, d'après l'ordre général n° 7, " la Ire armée allemande tout entière semble se replier devant les efforts des armées alliées ".

Le général en chef prescrit " aux armées de gauche de suivre l'ennemi avec l'ensemble de leurs forces, de manière à conserver toujours la possibilité d'enveloppement de l'aile droite allemande ". " Les forces britanniques chercheront à prendre pied successivement au delà du Petit Morin, du Grand Morin et de la Marne, la Ve armée accentuera le mouvement de son aile gauche "; quant à l'armée de Paris, elle doit se résoudre à modifier, pour la première fois, son plan d'opérations. Il est trop tard déjà pour qu'elle puisse songer à franchir l'Ourcq droit en avant de son front. Elle poursuivra sa manœuvre d'enveloppement, mais " en gagnant successivement du terrain vers le nord sur la rive droite de l'Ourcq " (Ordre général n° 7).

Toutes les mesures possibles, je le répète, étaient prises pour permettre au général Maunoury de remplir sa tâche : les renforts lui étaient expédiés immédiatement par les moyens les plus rapides et, pour ramener la confiance parmi nos alliés et les engager à coopérer à l'offensive de l'armée de Paris, la 8e division, général de Lartigue, passait sur la rive gauche de la Marne pour assurer la liaison de nos forces avec l'armée britannique. L'exécution de ces mesures et l'inspection de nos travaux du Camp retranché m'avaient retenu à Paris et dans sa banlieue pendant toute la matinée du 7. Mais, à 14 heures, accompagné de mon chef d'état-major et de deux officiers de mon état-major, je pouvais prendre en automobile la grande route de Meaux. La plus grande animation régnait partout et les routes étaient sillonnées de détachements, convois, qui se dirigeaient vers l'Est, pour rejoindre le front. En sens inverse, c'était toujours le misérable défilé des voitures et charrettes, transportant, avec leur pauvre bagage, les malheureux habitants des régions envahies et des localités où se livrait en ce moment l'immense bataille, commencée depuis le 5 septembre.

Je trouvais le général Maunoury à Compans, où il avait établi son quartier général. Il me confirmait les renseignements que je connaissais déjà : la situation se présentait de la manière la plus favorable. Les colonnes allemandes de la Ire armée se mettaient toutes en retraite, craignant pour leur flanc et leurs derrières, protégées vers l'ouest, en avant de l'Ourcq, par une puissante flanc-garde, composée du IVe corps de réserve et du IIe corps poméranien. Il est probable que ce dernier corps aurait pu être, sinon détruit, du moins très compromis, si l'armée anglaise avait marché vigoureusement vers le nord-est. Mais à mon avis, l'arrivée de ce IIe corps, bien que très gênante pour l'offensive de l'armée de Paris, constituait un succès considérable, puisqu'elle indiquait que les Allemands se voyaient enfin forcés de renoncer â leur menace d'enveloppement de l'aile gauche de nos armées et à la destruction de l'armée britannique, qu'ils comptaient rejeter dans le camp retranché, la coupant ainsi des Français et de ses communications. C'était leur retraite qui commençait.

De Compans, je me dirigeai vers Monthyon, où se trouvait le poste de commandement du général de Lamaze et de son groupe de divisions de réserve. Déjà la canonnade se faisait plus distincte et, très rapidement, nous nous trouvions dans la zone de la lutte. Notre automobile dut ralentir sa marche, arrêtée par les nombreux blessés qui, légèrement pansés aux postes de secours de l'avant, rejoignaient les ambulances établies plus en arrière dans des fermes bordant la route. La plus grande partie de ces blessés provenait de la division algérienne et de la brigade marocaine. Je m'arrêtai à plusieurs reprises pour interroger nos tirailleurs et je pus constater que la majorité des blessures étaient assez légères et dues surtout aux éclats des obus de 150, des " marmites ", comme on les appelait déjà. Le moral de nos soldats musulmans paraissait d'ailleurs très bon et l'un d'eux me dit : " Oui, mais 75 y a encore plus mauvais. " En avançant, nous croisons deux détachements de prisonniers, l'un d'eux sans escorte et marchant cependant avec la plus grande discipline. De nombreux convois de munitions se hâtent vers la ligne de feu et déjà nous rencontrons des cadavres d'hommes et de chevaux.

Monthyon est situé sur une hauteur, dominant la boucle de la Marne. La veille, la lutte y avait été chaude, ainsi que nous pouvions nous en rendre compte dès notre arrivée. La mare, située à l'entrée du village, contient de: nombreux caissons allemands dont les munitions ont été jetées dans l'eau, des harnachements, des cadavres de chevaux, des débris de toute sorte. Un officier d'artillerie nous dit qu'on avait pu constater; sur ce point, les excellents effets de notre 75, dont les projectiles, de leurs " coups de hache " caractéristiques, avaient littéralement fauché les canonniers allemands. Bref, nos troupes avaient eu raison de la résistance de l'adversaire et tenaient, en ce moment, les hauteurs à l'Est d'où elles menaçaient les villages de Pringy, Penchard, Etrepilly, Varreddes énergiquement défendus par l'ennemi. Nous quittons nos autos à l'entrée du village, les rues étant encombrées par les troupes en réserve, les convois, et nous nous rendons à pieds à la lisière est du village, où je trouve le général de Lamaze, entouré des officiers de son état-major. Les obus tombaient à 200 et 300 mètres du poste que nous occupions et c'est là que je pus me rendre compte, pour la première fois, de l'impression faite par ces " marmites ". Celles-ci, en général, éclataient avec une double explosion, la première à quelques mètres du sol; la deuxième en arrivant à terre. Elles dégageaient, en éclatant, une énorme fumée de couleur noire, violette et orange qui on le comprend aisément, devait surprendre les hommes non encore habitués à ce nouvel engin. Quoi qu'il en soit, notre artillerie semblait agir avec succès des positions dominantes qu'elle occupait, et, au moment où je quittais le général de Lamaze, la situation des 55e et 56e divisions de réserve était bonne, bien qu'il eût des pertes sérieuses, notamment en officiers.

Je quittai Monthyon vers 16 heures. Je m'arrêtai à l'une des ambulances, située sur la route, et me dirigeai vers Gagny, où j'avais ordonné la concentration des taxi-autos destinés à transporter vers le Nord-Est la plus grande partie de la 7e division d'infanterie. L'opération s'était parfaitement exécutée : les taxis- autos étaient réunis dans les principales voies de la ville, attendant l'arrivée de nos fantassins, pour les transporter rapidement vers Nanteuil-le-Haudouin, d'où ils pouvaient être dirigés vers notre aile gauche, que l'ennemi menaçait de déborder et de tourner. Je dois dire ici que les chauffeurs en ces taxi-autos, dès qu'ils avaient connu l'importance de la tâche à laquelle ils devaient coopérer, avaient fait preuve d'un entrain tout à fait remarquable. Ils se sentaient fiers du service qui leur était demandé et l'un d'eux, à qui je demandais s'il n'avait pas peur des obus, me répondit : " On fera comme les camarades, on ira partout où il ville étaient réunis sur les places, échangeant leurs impressions sur tous ces événements et curieux d'assister à l'arrivée, à l'embarquement et au départ de nos braves soldats. J'aurais bien voulu faire comme eux, mais je devais retourner rapidement à Paris maintenant que toutes les mesures étaient prises pour le transport rapide des renforts, chargés surtout de couvrir l'aile gauche des forces du général Maunoury.

La situation n'avait pas cessé d'être grave pour la Capitale et il était toujours essentiel de pousser énergiquement toutes les mesures ayant pour objet la protection du Camp retranché et la concentration des vivres, approvisionnements de toutes sortes que les trains, venant de l'extérieur, déversaient constamment sur les quais de nos gares. Une partie de la nuit fut encore employée par moi à cette importante partie de ma tâche, facilitée par l'intelligente activité de tous mes collaborateurs civils et militaires. Ainsi, tandis que l'armée de Paris combattait courageusement sur l'Ourcq et se renforçait constamment pour résister à la pression que de nouveaux corps allemands allaient exercer contre elle pour couvrir leur flanc et leurs derrières menacés, Paris, confiant dans son armée et dans les chefs qui la commandaient, voyait se former peu à peu, autour de son noyau central et de sa banlieue, une triple ligne de batteries, tranchées, ouvrages bétonnés et cimentés, au delà de la ligne des forts, qui allait bientôt constituer très au loin de la vieille enceinte un rempart infranchissable pour l'ennemi qui voudrait à nouveau l'investir. Et, malgré tous ces spectacles de guerre, malgré la canonnade qui s'entendait au loin, malgré la vue des blessés qui commençaient à être dirigés sur nos hôpitaux, la population de Paris restait calme et résolue, prête à tous les événements et à tous les sacrifices.

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