MEMOIRES DU GENERAL GALLIENI - DEFENSE DE PARIS

CHAPITRE VII

La journée du 8 septembre apportait déjà. à l'armée de Paris la récompense des efforts faits pour la constituer, l'organiser et la porter sur le flanc droit des Allemands dans le but essentiel d'enrayer enfin l'offensive de l'adversaire et permettre à nos propres armées d'arrêter leur retraite et de faire tête à l'ennemi. Car, dans la matinée, je recevais du général Joffre une lettre autographe, datée du 7 septembre, dans laquelle il me remerciait du concours donné à l'armée Maunoury pour lui permettre d'accomplir la tâche fixée. La lettre s'exprimait ainsi :

 

" Mon cher camarade,

" Je tiens à vous remercier bien chaleureusement pour la façon rapide et éminemment efficace dont vous avez mis l'armée du général Maunoury à même de remplir la mission délicate qui lui est confiée.

" Grâce à vous et à tous les moyens que vous avez mis à sa disposition, la 6e armée manœuvre parfaitement et son action contribue très heureusement au but final que nous nous proposons tous.

" Pour faciliter et rendre plus efficace l'action de cette armée, il m'a paru nécessaire de lui envoyer directement mes ordres et mes instructions. Mais je vous les ferai parvenir en double, afin que vous sachiez ce qu'elle fait et que vous puissiez lui prêter votre concours si précieux.

" Je vous serai reconnaissant de ne pas envoyer au Gouvernement de renseignements relatifs aux opérations. Dans les comptes rendus que je lui envoie, je ne lui fais jamais connaître le but des opérations en cours, ni mes intentions ; ou du moins, dans ce que je lui dis, je lui indique les parties qui doivent rester secrètes. En agissant autrement, certaines opérations pourraient parvenir à la connaissance de l'ennemi en temps utile pour lui. C'est pour cela que je considère comme indispensable que je sois le seul à traiter. ces questions avec le Gouvernement, parce que je suis le plus à même de juger ce qui peut être dit sans inconvénient.

" En ce moment, la situation paraît très bonne. Devant Maunoury, les Anglais et la 5e armée, l'ennemi recule, mais sans qu'il y ait eu d'action très sérieuse. Il est probable qu'il cherche à se retrancher. Plus à l'Est, devant Foch, de Langle et Sarrail, jusqu'à l'Argonne, des actions plus sérieuses sont engagées. Nous n'y sommes pas en mauvaise situation. Cette bataille durera vraisemblablement plusieurs jours. J'ai bon espoir sur l'issue, mais ce sera dur.

" Veuillez, mon cher camarade, accepter à nouveau l'expression de toute ma reconnaissance et de mes sentiments de fidèle et cordial dévouement.

"Joffre"

 

Le Général commandant en chef oubliait de mentionner dans cette lettre, si élogieuse et si probante au point de vue de l'intervention de l'armée de Paris dans la bataille de l'Ourcq, que, par sa lettre du 3 septembre (confirmant les avis téléphoniques donnés), par la lettre du ministre de la Guerre du 2 septembre, l'armée du général Maunoury avait été placée sous mes ordres pour constituer la garnison et l'armée de Paris, au même titre que les troupes qui s'y trouvaient déjà ; - que j'avais agi à son égard comme un commandant d'armée, et que mon premier soin avait été de la réorganiser et de la renforcer, pour lui permettre de remplir le but que je voulais lui assigner, - que, ce but fixé dans ma pensée le 3 septembre au soir et définitivement arrêté le 4 à 9 heures du matin, j'avais organisé mon commandement en deux groupes, l'un destiné à assurer la défense immédiate du camp retranché de Paris et la continuation des travaux en cours pour faire de Paris une place d'armes digne de ce nom et prête, en cas de besoin, à servir de point d'appui à nos armées ; l'autre, composé de forces mobiles, que j'avais placées sous les ordres du général Maunoury et que je destinais, sait à livrer bataille sur le front nord de notre camp retranché, si Paris était menacé de ce côté, soit à être portées dans toute direction où ce serait nécessaire ; - que, dès le 4 septembre à 9 heures du matin, dès que j'avais pu me rendre compte de l'infléchissement des colonnes allemandes vers le Sud-Est, et malgré la directive générale du G. Q. G. qui prescrivait à l'ensemble de nos armées de gauche de battre en retraite au sud de la Seine et de l'Yonne, j'avais prescrit à notre armée de Paris, malgré les appréhensions que je pouvais avoir encore vers le nord, d'entamer, dans la soirée même, une marche générale vers l'Est, contre le flanc droit de la Ire armée allemande; - que j'avais aussitôt avisé le généralissime de ce mouvement, et que je m'étais rendu, le même jour, au G.Q.G. anglais à Melun, pour mettre nos alliés au courant de notre mouvement offensif et leur demander d'y coopérer en arrêtant leur mouvement de retraite vers le sud-ouest et en se portant eux-mêmes en avant contre les corps ennemis que nous allions nous-mêmes attaquer en flanc ; - que, dès mon retour, j'avais encore informé le G.Q.G. de l'accord survenu entre l'état-major britannique et moi, et que le Général en chef, après avoir insisté à plusieurs reprises pour que je porte mon action au sud de la Marne, s'était rallié à ma manière de voir et avait ordonné l'offensive générale d'après ces principes; que je n'avais cessé, depuis le 4 septembre, d'orienter toutes les forces mises sous mes ordres vers l'Ourcq et particulièrement vers le Nord, de manière à agir constamment contre le flanc droit de l'ennemi et à menacer ses communications, malgré les avis du G. Q. G. demandant que les troupes du camp retranché interviennent au sud de la Marne et malgré l'inaction et le recul des Anglais ; - que cette manière de faire avait obtenu le résultat cherché, à savoir le dégagement de l'armée anglaise et de la 5e armée et par suite l'arrêt de la retraite de nos armées vers le sud et cela parce que j'avais négligé les dangers que pouvait encore courir la capitale du fait d'un ennemi entreprenant et encore aux portes de Paris, mal défendu à ce moment, pour ne songer qu'à l'intérêt, supérieur du pays et de nos armées; - enfin, que j'avais mis tous mes soins et toute mon activité, du 4 au 8 septembre, à expédier, avec le plus de rapidité possible, vers l'Ourcq, tous les renforts dont je pouvais disposer, y compris ceux indispensables à la défense du Camp retranché, comme la brigade de cavalerie du général Gillet ou les trois groupes d'artillerie de 75 nous servant de réserve générale.

J'avais donc agi, à l'égard de l'armée du général Maunoury, comme un général commandant de groupe d'armées, ainsi que m'y autorisaient d'ailleurs les termes du décret qui m'avait nommé Gouverneur militaire de Paris et " Commandant en chef des armées de Paris " et aussi les lettres mettant à ma disposition, en outre des troupes territoriales du Camp retranché, la 6e armée, la 45e division algérienne, le 4e corps d'armée et la brigade de spahis. Mes ordres d'opérations du 4 septembre et tous ceux qui les avaient suivis étaient d'ailleurs la preuve certaine de l'action exercée par moi sur l'armée de Paris, en ce moment engagée sur la rive droite de l'Ourcq.

Ces réflexions faites, la lettre du général commandant en chef était une précieuse approbation des mesures prises par le Gouverneur militaire de Paris et de la part importante que les forces qu'il avait organisées et dirigées avaient dans cette bataille de la Marne qui allait briser l'offensive allemande que l'on eût pu croire irrésistible depuis l'entrée des armées du Kaiser en Belgique et en France.

 

Le Général Gallieni avec le Président du Conseil Municipal de Paris et le Préfet de Police.

 

Cette constatation ne diminuait d'ailleurs en rien la grandeur de la tâche accomplie par nos armées qui combattaient, avec toute la ténacité que l'on sait, sur le vaste front qui s'étendait alors jusqu'aux Vosges. Mais il est certain que les forces allemandes opposées à nos 9e, 4e, 3e, 2e et 1re armées se sentirent diminuées dans leurs moyens d'action quand elles virent leur Ire armée forcée de se replier vers le Nord, pour faire face à un ennemi tout nouveau, sorti rapidement, et d'une manière inattendue du camp retranché dont le général von Klück avait par trop méprisé les moyens d'action. Voir surgir tout d'un coup de Paris, que l'on sait mal défendu et dégarni de troupes, une armée nouvelle, complètement réorganisée et arrivant sur l'Ourcq en moins de deux jours, pour rejeter vers l'Est le 4e corps de réserve, estimé suffisant pour protéger la marche vers le sud de la Ire armée, constitua l'action de surprise qui devait troubler tous ses projets.

Dans cette même lettre, le général Joffre me prévenait que, pour plus de commodités, il donnerait désormais directement ses ordres à la 6e armée, mais qu'il me tiendrait très exactement au courant des dispositions ordonnées. Il me demandait, en même temps, de continuer à cette armée le concours que je lui avais donné jusqu'à ce moment. Cela allait de soi; mais ce changement, à mon avis, présentait des inconvénients qui pouvaient nuire à l'importance des résultats cherchés. La 6e armée restait d'ailleurs sous mes ordres. Mais en premier lieu, comme l'avaient prouvé les événements survenus depuis le 3 septembre, j'étais sûrement mieux placé que tout autres que le G.Q.G. lui-même, pour continuer la tâche d'ensemble tracée par le généralissime, ainsi que pour l'exécution du nouveau programme qui s'imposait maintenant à nos armées. Avec un front aussi vaste que celui tenu alors par les belligérants sur le théâtre d'opérations occidental, le général commandant en chef ne pouvait se rendre compte des besoins de chacune de ses armées, ni surtout, en temps voulu, des exigences de la tâche à accomplir. A lui de désigner l'objectif général à atteindre, aux commandants d'armée de prendre les mesures de détail nécessaires pour atteindre cet objectif, et surtout pour tirer de la situation tout le parti possible, ainsi que cela avait eu lieu, pour l'armée de Paris, pendant ces derniers jours. La 6e armée et des renforts successifs, d'ailleurs énergiquement demandés par moi, ayant été mis à ma disposition pour la défense et l'organisation du camp retranché, j'aurais pu me borner, les 4 et 5 septembre, en l'absence de toute directive, en présence même de la note du 2 septembre qui prescrivait encore à toutes nos armées de gauche de se replier au sud de la Seine et de l'Yonne, à réserver mes forces pour la protection du camp retranché toujours menacé, et me contenter de diriger vers Meaux et le sud de la Marne, suivant l'indication du G.Q.G., un corps léger composé en majeure partie de cavalerie. C'est d'ailleurs ainsi que la chose avait été comprise, puisque le corps de cavalerie Sordet avait reçu directement l'ordre de se porter au sud de la Marne, où il ne faisait qu'encombrer, alors que c'était vers le nord, à l'aile gauche de l'armée du général Maunoury, qu'il aurait dû être porté de suite C'est vers le nord, en effet, que se trouvait, à mon avis, le point essentiel de la manœuvre en cours. C'est vers le nord, vers Villers-Cotterets et au delà, que l'on menaçait les communications de l'ennemi, c'est-à-dire que l'on touchait au point délicat. Dès qu'il s'est senti menacé au nord, le général von Klück a dû renoncer, et avec quelle répugnance, à son offensive contre l'armée anglaise et contre la 5e armée et replier peu à peu vers le Nord les corps si énergiquement engagés au sud.

Cette considération avait certainement échappé à notre état-major général puisque, dans la journée du 4 septembre, il ne cessait d'insister encore pour que nous agissions au sud de la Marne. Si j'avais obéi à cette suggestion, j'engageais toute mon armée de Paris dans ce lacis de cours d'eau qui couvre cette partie de l'Ile-de-France. On perdait un temps précieux à franchir les Morin, la Marne. Nos forces s'embarrassaient entre l'armée britannique et la 5e armée, dans un espace relativement restreint, déjà occupé par la division de cavalerie du général Conneau et la cavalerie anglaise. Et surtout, notre armée de Paris ne se portait pas carrément sur l'Ourcq, n'intervenait pas, dès le 5 au soir, par ses avant-gardes, contre le 4e corps de réserve allemand et ne produisait pas cet effet de surprise, si nécessaire dans une offensive de ce genre. Ce 4e corps était laissé libre d'agir vers le sud et le sud-est, le 2e corps poméranien ne venait pas le renforcer, et toute la Ire armée allemande, dégagée de toute préoccupation sur son flanc droit et sur ses derrières, continuait son mouvement offensif contre l'armée anglaise et la 5e armée, tandis que la 6e armée, empêtrée dans une région difficile à traverser, n'arrivait pas à temps pour intervenir ou venait jeter le trouble sur cette partie du front, voué ainsi à la défaite. On l'a bien vu et on le verra plus loin par l'inaction de la 8e division, jetée bien à tort pour étayer à gauche les troupes du maréchal French dans la boucle de la Marne où elle ne put rendre aucun service, bien au contraire, pendant que la 6e armée combattait si vaillamment contre un ennemi supérieur en forces, sur la rive droite de l'Ourcq. En somme, en agissant ainsi, on perdait un temps précieux et la manœuvre de l'Ourcq sur le flanc droit ennemi ne s'exécutait pas.

Or, c'est seulement parce due je m'étais trouvé sur place, parce que j'avais pu suivre minute par minute les mouvements des colonnes allemandes, et parce que j'avais pu utiliser avec la plus grande intensité les ressources en hommes, matériel, moyens de transport que j'avais à ma disposition, qu'il m'avait été possible de prendre toutes les mesures indiquées ci-dessus et qui avaient abouti à la surprise. de l'ennemi et à la ruine de ses projets d'offensive; au Grand Quartier Général, on n'aurait pu se rendre compte de la même manière des exigences de la situation, et l'opération n'aurait pu être exécutée avec la précision et l'énergie qui avaient été déployées par tous, dans ces journées intéressantes. Mais, nous ne, devions pas nous en tenir là et, à mon avis, il fallait exploiter les précieux résultats déjà obtenus, en agissant encore avec la plus grande célérité.

La Ire armée allemande, à cette date du 8 septembre dans la matinée, avait dû, il est vrai, commencer à reporter quelques-uns de ses éléments en arrière, comme le IIe corps qui allait bientôt être suivi par le IVe corps actif, afin de conjurer le danger qui la menaçait sur son flanc droit et, bien que moins indirectement encore, sur ses derrières. Mais, pour obtenir un résultat décisif, pour changer en désastre la retraite qui commençait, il était dans mes intentions, ce même jour, de demander de nouveaux renforts et de les porter, toujours par les moyens rapides que nous pouvions nous procurer à Paris et dans le camp retranché, vers le nord, dans la direction de la Ferté-Milon. Là, ils tombaient en plein dans les lignes de communication de l'ennemi, sur ses derrières, et le mettaient dans la plus fâcheuse des situations. On se figure aisément l'effet produit par deux corps d'armée nouveaux, débarquant dans la capitale, s'y organisant, transportés par voie ferrée et par automobiles en ce qui concerne les troupes à pied, vers l'Aisne, bousculant toutes les colonnes de convois, se rendant maîtres des chemins de fer et des lignes télégraphiques et prenant nettement l'offensive contre les corps l'armée allemands, déjà attaqués par l'ouest et le sud. Mis dans l'impossibilité de s'arrêter et de se fortifier sur de nouvelles positions, ils étaient forcés de reculer tout au moins jusqu'à la Meuse, et cette retraite entraînait celle des armées voisines. On voit de suite les conséquences de cette opération.

Les instructions du général Joffre, reçues le dans la matinée, et m'informant qu'il se réservait de donner directement ses ordres à la 6e armée, vinrent couper court à toutes mes intentions et à toutes mes initiatives. Je me bornai, dès lors, suivant les ordres reçus, à appuyer l'armée du général Maunoury de toutes les ressources dont je pouvais disposer encore dans le camp retranché, pour lui faciliter l'accomplissement de la tâche qui lui était confiée.

C'est pour cette raison que, dans l'après-midi du 8, après avoir été rendre au nouvel ambassadeur d'Espagne la visite que celui-ci m'avait rendue le matin, je me dirigeai vers notre armée de l'Ourcq, alors en pleine action. Le général Maunoury avait installé son quartier général à Saint-Soupplets; son impression était moins bonne que la veille. J'ai déjà expliqué que je ne pouvais partager ses sentiments d'inquiétude, pour l'excellente raison que toute augmentation de pression, exercée contre son armée, équivalait à une diminution des effectifs dirigés contre le front de nos armées mises ainsi en mesure de pouvoir à leur tour prendre l'offensive contre un, ennemi forcé à la retraite. Evidemment, le général von Klück, pour mieux couvrir cette retraite, éprouvait le besoin de renforcer de plus en plus sa flanc-garde, en vue de lui permettre même de prendre l'offensive contre l'aile gauche de notre armée de Paris. C'est une menace de ce genre qui préoccupait le général Maunoury au moment où j'arrivais près de lui.

Il devait reconnaître "qu'après trois jours de combats, ininterrompus, ayant mis toutes ses forces en ligne, la 6e armée ne peut espérer, à moins d'une lourde faute de l'ennemi, entamer la flanc-garde allemande ". Il est évident que l'ennemi consacrera autant de forces qu'il sera nécessaire " à garantir l'inviolabilité de son flanc gauche pendant la retraite ". Le rôle de la 6e armée consiste tout entier maintenant à tenir bon " en se cramponnant fermement au terrain et en renforçant ses positions par des organisations de campagne " et à résister à tout prix jusqu'à l'arrivée sur l'Ourcq de l'armée alliée.

Je pris d'ailleurs des dispositions pour le cas où " une pression trop vive de l'ennemi obligerait une retraite ". La 62e division était " mise sous les ordres du général Maunoury pour l'organisation de points d'appui éventuels sur la ligne Plessis-Belleville-Saint-Soupplets, Monthyon ".

Pour mieux préciser, dans la journée du 8 septembre la situation générale était la suivante :

Le camp retranché était toujours tenu par : Noyau central, 83e division territoriale ; front Sud-Ouest , 89e division territoriale ; front Est, 85e division territoriale ; front Nord-Est, de Gonesse à Tremblay-les-Gonesse, 92e division territoriale ; Pontoise, rives de l'Oise inférieure, 66e brigade territoriale, se reliant à l'est de la 92e division ; intervalle sud entre Corbeil et Lonjumeau, 185e brigade territoriale ;. Dugny et le Bourget, brigade de fusiliers marins et un régiment de Zouaves, en réserve générale ; enfin, au nord de Tremblay-les-Gonesse, à cheval sur la route de Dammartin, la 62e division de réserve,. prête à être aiguillée vers l'Est, pour aller renforcer l'armée de l'Ourcq, vers le Nord, en cas de retour offensif des Allemands contre Paris et vers l'Ouest, si la région de l'Oise était menacée.

Vers l'Ourcq, l'armée du général Maunoury occupait le front Chambry-Puisieux-Acy-en-Multien-Betz, dans l'ordre suivant en commençant par l'aile droite :

45e division soutenue en arrière par la brigade du Maroc ; groupe des 55e et 56e divisions de réserve; 7e corps d'armée ; 7e division du 4e corps (l'autre division, la 8e, était alors à l'aile gauche de l'armée britannique) ; 61e division de réserve ; enfin, corps de cavalerie Sordet parvenu, non sans fatigue, à l'aile gauche de notre armée, après sa fâcheuse randonnée : autour de Paris et qui se tenait au sud de Crépy-en-Valois, menaçant, s'il avait eu suffisamment de mordant, les communications de l'ennemi vers Villers-Cotterets.

L'armée anglaise, qui commençait enfin à progresser, avait son front le long du Petit Morin, entre la Ferté-sous-Jouarre et Sablonnière, étayée à gauche par la 8e division qui avait sa gauche à Trilport et, à droite, par la division de cavalerie Conneau qui la reliait à la 5e armée qui, elle aussi, avait gagné du , terrain depuis deux jours. Sa gauche formait saillant au nord de Montmirail, sa droite touchant à Fère-Champenoise (?? Non ! 9e armée). Ainsi qu'on l'a vu précédemment, nos alliés tenaient essentiellement à avoir leurs flancs protégés et mesuraient exactement leurs progrès à ceux de la 8e division et de la 5e armée. Les inconvénients de cette inaction et de cette lenteur des Anglais ont déjà été constatés et deviendront de plus en plus appréciables au fur et à mesure que se développera la bataille de l'Ourcq.

Dans cette même journée, l'armée du général von Klück présentait un premier groupement, celui qui faisait face à l'armée Maunoury. Il comprenait en première ligne le IVe corps de réserve opposé à la 61e division; à la 7e division et au 7e corps, le IIe corps, en face des 55e et 56e divisions de réserve et de la 45e division, en 2e ligne, le 4e corps actif dont les 2 divisions s'occupaient à franchir l'Ourcq vers Orpuy et Lizy-sur-Ourcq. Toutes ces troupes étaient munies d'une nombreuse artillerie lourde et constituaient une solide flanc-garde, destinée à couvrir la retraite des autres corps de cette même armée.

L'armée anglaise n'avait encore devant elle que le corps de cavalerie de Marwitz qui reliait le groupement de l'Ourcq aux IIIe corps et IXe corps, opposés à la gauche de la 5e armée qui avait d'ailleurs aussi contre elle plusieurs corps de l'armée voisine.

Malgré tout, quand je quittai le général Maunoury, j'emportai l'impression qu'il tenait vaillamment sur ses positions, mais qu'il était violemment canonné par l'artillerie lourde ennemie et pressé par les attaques de son infanterie. La lassitude était d'ailleurs extrême parmi toutes ses unités qui combattaient sans trêve ni merci depuis trois jours, après les rudes marches des jours précédents.

Au retour, je m'arrêtai sur plusieurs points du camp retranché et constatai les efforts faits par tous pour hâter la mise en état de défense de tous nos ouvrages dont les parapets étaient à peu près terminés ; ces ouvrages étaient en outre protégés en avant par les réseaux de fil de fer destinés à arrêter les attaques des colonnes d'infanterie. Partout nos territoriaux, sous la direction d'officiers et de sapeurs du génie, travaillaient énergiquement à développer les tranchées qui formaient, autour de Paris; un réseau de plus en plus dense; de plus en plus difficile à franchir par l'assaillant.

Le 9 septembre, dès la première heure, je prenais encore la route de l'Est, mais, je me contentais d'envoyer mes officiers de liaison à la 6e armée, pour me tenir prêt à lui envoyer encore les renforts dont je pouvais disposer. De plus, je tenais à parcourir toutes nos défenses du front Est et à m'assurer par moi-même que rien n'était négligé pour les perfectionner et les terminer. Je pris au passage le général Chapel, commandant la 85e division territoriale, et, accompagné par lui et par les commandants de secteurs, je parcourus et visitai successivement la plupart des forts, ouvrages, batteries, ayant pour objet de défendre cette partie du front du Camp retranché, plus particulièrement menacée par l'ennemi.

Cette journée du 9 septembre marquait, d'ailleurs le point critique de la bataille de l'Ourcq. L'armée Maunoury continuait à supporter seule le choc de trois corps allemands. On pouvait craindre, d'autre part, " que l'extrême droite allemande ne soit renforcée par d'autres éléments que la chute de Maubeuge peut rendre disponibles ", d'après un télégramme du général commandant en chef. La résistance même de l'armée de Paris risquait d'être compromise, si le concours des forces alliées, attendu depuis la journée du 5, tardait à intervenir.

Dès la veille, les forces britanniques devaient " franchir la Marne entre Nogent-l'Artaud et la Ferté-sous-Jouarre et se porter sur la gauche et la derrière de l'ennemi qui se trouve sur l'Ourcq ". La 5e armée devait marcher droit au nord et " couvrir le flanc droit de l'armée anglaise en dirigeant un fort détachement sur Azy-Château-Thierry ".

A midi, les forces anglaises commencent à franchir la Marne. Le 1er et le 2e corps gagnent le soir même du terrain vers le nord; le 3e, qui forme précisément la colonne de gauche, la plus à portée des positions ennemies, est retardé fâcheusement dans son passage à la Ferté-sous-Jouarre et ne reprend sa marche que le 10 au matin.

Pendant ce temps, la 6e armée subit le plus violent effort qui ait été dirigé contre elle depuis le début du combat. De fortes colonnes ennemies, débouchant d'Antilly et de Betz, cherchent à déborder notre gauche. Une brigade de landwehr, par surcroît, descendant directement de Villers-Cotterets, apparaît subitement à l'extrême gauche de l'armée au nord-ouest de Nanteuil-le-Haudouin. Le 4e corps, surpris par cette manœuvre, assailli déjà par des forces supérieures, défend le terrain pied à pied, mais doit abandonner Nanteuil et Villers Saint-Ginest. La 6e armée, ainsi qu'il ressort de mon ordre général n° 7 " obligée d'infléchir sa gauche, occupe en fin de journée la ligne générale Silly-le-Long, Chèvreville, Puisieux, Étrépilly".

 

Ligne de front le 9 septembre

 

Cependant, le général Vauthier, qui a livré de son côté de furieux combats sur le front Est, constate vers le milieu de la journée un ralentissement de l'offensive allemande. A 15 heures, de fortes batteries, installées à Trocy, ont cessé de tirer et les reconnaissances signalent que les tranchées allemandes en avant de Puisieux ont été évacuées.

Visiblement, l'ennemi, sous la menace de l'armée anglaise qui vient de franchir la Marne, abandonne le front Est de la 6e armée. Mais rien ne permet de discerner encore s'il retire ses forces pour les porter plus au nord et tenter à nouveau l'enveloppement de l'aile gauche, ou si les troupes envoyées sur le front nord constituent un simple rideau, destiné à masquer la retraite définitive des armées.

Je penchais pour la secondé hypothèse. Je pris cependant toutes les mesures nécessaires " pour assurer la sûreté du camp retranché et parer à toute éventualité " (Ordre général n° 7). Toutes les troupes de la défense prenaient leurs emplacements de combat. Nos batteries de grosse artillerie que nous avions réussi, au prix d'énormes efforts, à approvisionner à environ cent coups par pièce, sont prêtes à tirer. Toutes les troupes actives restant dans le camp retranché, la brigade de fusiliers marins et un régiment de Zouaves, sont groupés à Dugny, en réserve générale, à ma disposition.

Mais là 6e armée, en dépit de l'état de fatigue extrême de ses troupes, s'organise sur ses positions et se prépare à un dernier effort. Sa résistance acharnée va lui permettre d'aboutir enfin au résultat qu'elle cherche, à savoir, associer son action à celle de l'armée anglaise. Dans la nuit, un télégramme du général en chef lui prescrit de reprendre l'offensive. " Les 5e et 6e armées et les forces anglaises se mettront en mesure d'attaquer les positions ennemies. Les forces anglaises s'efforceront d'atteindre les hauteurs rive sud du Clignon. " " La 6e armée continuera, en appuyant sa droite à l'Ourcq, à gagner du terrain vers le nord pour chercher l'enveloppement ". Le corps de cavalerie, passe le jour même sous les ordres du général Bridoux, tentera enfin la manœuvre qui s'impose et que l'on attend vainement de lui depuis deux jours, de " prolonger l'action de la 6e armée en recherchant les flancs et les derrières de l'ennemi".

En résumé, dans cette journée du 9, la situation des armées adverses, vers 10 heures, était la suivante : La VIe armée occupait Crégy et Chambry par la 45e division et la brigade marocaine ; le terrain à l'ouest de Varreddes, Etrepilly, Puisieux, par le groupe des 55e et 56e divisions de réserve, cette dernière ayant dû s'infléchir vers l'ouest, sous la pression du Ile corps allemand ; Chèvreville et la région environnante par le 7e corps, qui avait dû faire face presqu'au Nord, ayant à sa gauche la 7e division, entre Chèvreville et Nanteuil-le-Haudouin; la 61e division, appuyée à l'extrême gauche par le corps de cavalerie, formait notre aile gauche, également face au Nord pour s'opposer à la menace de débordement du IVe corps de réserve. La 62e division formait la réserve au nord-est de Dammartin, tandis que la 8e division, enfin libérée par les Anglais, était dirigée vers le Nord pour étayer notre aile gauche et rejoindre l'autre division du 4e corps, si malencontreusement morcelé par cet envoi de la 8e division sur la gauche anglaise.

L'armée britannique occupait le front Changis-Château-Thierry où elle se rejoignait avec la gauche de la 5e armée, ces deux armées formant là un saillant très accentué. La 5e armée avait sa droite vers Champaubert, ayant ainsi son front orienté nord-ouest sud-est.

La Ire armée allemande, ainsi qu'on l'a vu, s'attaquait tout entière à la 6e armée, mais elle allait avoir à compter avec l'armée anglaise et la gauche de la 5e armée qui, à leur tour, prenaient une offensive énergique.

Dans cette même journée du 9, on m'apporta un drapeau allemand pris par le soldat Guillemard, du groupe de division de réserve du général de Lamaze. En présence des officiers de mon quartier général, je remis la médaille militaire à ce soldat qui reçut mon accolade avec une émotion non dissimulée.

Dans l'après-midi, j'allai visiter, à la caserne Reuilly, le régiment étranger que j'avais créé, dès les derniers jours d'août, pour recevoir les nombreux étrangers, Slaves, Polonais surtout, habitant Paris et désireux de s'enrôler sous les couleurs françaises, conformément à l'autorisation donnée par le Tsar.

Le colonel Thiébaud, qui le commandait, n'avait pas perdu son temps et, malgré les difficultés de toutes sortes relatives à l'incorporation, à l'habillement et à l'armement de ses hommes, pouvait déjà me présenter un bataillon à peu près complètement organisé et dont l'instruction était vivement poussée. Je réunis les officiers et gradés, constitués en grande partie par des sous-officiers de la garde républicaine et des pompiers, volontaires, et j'exprimai le désir que ce nouveau régiment pût être conduit au feu le plus tôt possible. Je savais, par les services que la légion étrangère avait rendus dans nos expéditions coloniales, tout le fonds que l'on pouvait faire sur ces troupes, animées généralement de traditions très vives.

Le 10 septembre, je passai la matinée dans le camp retranché, notamment dans les zones nord et est, les plus menacées par l'ennemi. Les défenses commençaient à prendre la meilleure apparence. Les ouvrages bétonnés, comme celui de l'Orme de Morlu, qui devaient servir de places d'armes à nos différents centres de résistance, étaient poussés très activement. Entre eux, nos réseaux de tranchées pour infanterie, avec leurs abris et leurs boyaux de communication, protégés par leurs lignes de fil de fer, se faisaient de plus en plus denses, tandis que les batteries d'artillerie leur de voyaient se perfectionner leurs travaux d'organisation et s'augmenter leurs approvisionnements.

Je m'arrêtai longuement à Dugny, où l'amiral Ronarc'h, commandant la brigade de fusiliers marins, avait son poste de commandement. Je lui avais adjoint un régiment de zouaves, formé avec les ressources du dépôt de Saint-Denis. Je mis l'amiral Ronarc'h au courant de la situation, en le prévenant qu'il formait la réserve générale du camp retranché et qu'il aurait, à intervenir dans le Nord-Est, dans la direction de Dammartin, pour le cas où la 6e armée, trop pressée sur son aile gauche, serait dans la nécessité de se replier vers Paris. Cette brigade formait d'ailleurs une superbe troupe, très solidement encadrée et animée de cet esprit de corps qui a toujours distingué nos marins. Ceux-ci, arrachés à leurs ports de guerre et à leurs occupations professionnelles habituelles, s'étaient vite adaptés à la vie de campagne des troupes de terre et je comptais beaucoup sur cette force d'élite, si les circonstances rendaient son intervention nécessaire.

 

Ligne de front le 10 septembre

 

L'après-midi, à 2 heures, je remontai en automobile pour me rendre à Saint-Soupplets, au poste de commandement du général Maunoury. Il me donna les meilleurs renseignements sur la situation. La retraite allemande s'accentuait. Dans la nuit, le mouvement, de recul constaté devant le front Est de l'armée de Paris s'était étendu progressivement jusqu'au Nord. Les 3 corps allemands qui combattaient face à l'Ouest précipitaient leur retraite, n'ayant pu refouler notre ligne et voulant échapper au croisement de feu des deux armées alliées.

Dès ce moment, notre offensive se transformait donc en poursuite. Les forces britanniques, rejoignant enfin les arrière-gardes allemandes, les bousculent violemment, " prennent 7 canons et de nombreux prisonniers " (Rapport du Général commandant en chef). La 5e armée, qui soutient depuis plusieurs jours des combats acharnés, s'empare de " canons, d'obusiers, de mitrailleuses et de 1.300.000 cartouches " (Rapport du Général en chef). D'ailleurs, toute la ligne ennemie cède " sur la Marne et en Champagne ", " les armées alliées du centre et de l'aile gauche " rivalisent dans leur action offensive et " ne laissent à l'ennemi aucun répit ". La situation était donc favorable. J'ai déjà expliqué plus haut comment cette retraite aurait pu se changer en désastre si, ayant conservé le commandement effectif de nos forces de, l'aile gauche, j'avais pu disposer encore de deux nouveaux corps qui, transportés par les moyens rapides . dont nous pouvions disposer à Paris, seraient venus se placer sur les derrières et sur les lignes de communication des Allemands. Ces corps furent bien envoyés plus tard, le 13 et le 14, mais c'était trop tard et, déjà, notre adversaire avait organisé sa puissante position de repli sur l'Aisne, où il se trouve encore (juin 1915).

Je rentrai à Paris par les villages d'Étrepilly et de Varreddes où on s'était battu énergiquement les jours précédents. De nombreuses ruines attestaient, dans ces localités, la violence de la lutte. D'ailleurs, les rues, les cours, tout le terrain aux abords de ces villages; étaient encombrés de cadavres français et allemands, que l'on n'avait pu encore faire disparaître.

De plus, de nombreux blessés allemands gisaient dans les maisons, n'ayant reçu encore, en raison de leur grand nombre, que des soins incomplets. Rencontrant en ce moment (il était 7 heures du soir) un convoi de taxi-autos, de ceux-là mêmes qui avaient transporté nos troupes vers Nanteuil-le-Haudouin, je leur fis charger environ 300 de ces blessés allemands. Je n'étais pas mécontent, en cas d'investissement ou de bombardement, d'avoir un certain nombre de blessés allemands dans les mêmes hôpitaux que nos propres blessés.

Ce même jour, une lettre du ministre de la Guerre m'annonçait la visite de deux de ses collègues, MM. Briand et Sembat, ministres de la Justice et des Travaux publics, venus de Bordeaux pour parler avec moi de certaines questions relatives au ravitaillement et au sort de la population de la Capitale en cas de siège. Je n'eus qu'à me louer de la visite de nos deux ministres, que je mis au courant de la situation militaire, de nos travaux de défense et des mesures à prendre pour hâter l'œuvre de la défense nationale. Ce n'est que plus tard que j'appris le but véritable du voyage de MM. Briand et Sembat à Paris : se rendre , compte, paraît-il, si les bruits qui couraient à Bordeaux sur le rôle politique que l'on me prêtait étaient exacts. Je crois qu'il a suffi de quelques minutes d'entretien avec moi pour convaincre les délégués du Gouvernement qu'ici je n'avais qu'une seule préoccupation en tête : la défense de la Capitale dont la garde m'avait été confiée. Une chose me surprit simplement c'est que semblable idée pût venir à nos Ministres et surtout qu'ils pussent ajouter foi à de semblables racontars. Tout mon passé témoignait en faveur de mon loyalisme, comme pouvaient le certifier mes anciens chefs au ministère des Colonies, MM. Étienne, André Lebon, Guillain, Decrais, Doumergue, de Lanessan, Rousseau, etc. Déjà, à mon premier retour de Madagascar, en juin 1899, j'avais été en butte à des tentatives de certains nationalistes en vue. Je m'étais contenté de leur rire au nez, en ajoutant que j'étais un soldat et que je ne connaissais qu'un chef, c'était mon ministre. Il paraît que j'avais quelque popularité parmi les Parisiens. Je recevais évidemment partout l'accueil le plus sympathique, mais je ne faisais absolument rien pour acquérir cette popularité, dont je n'avais nul besoin d'ailleurs, puisque ma carrière devait se clore à la terminaison des hostilités. Puis, j'étais très sceptique sur cette popularité. " La popularité, c'est du vent ", disait Jules Simon. Mais, dès ce jour, j'eus la notion que les hommes, qui ne devaient avoir en vue que la défense du pays et l'organisation de la victoire, pouvaient bien encore se laisser guider par les considérations mesquines de la politique. Cette notion ne fit que s'accentuer chez moi par la suite. Homme d'action avant tout, je n'ai jamais compris ces discussions stériles, ces intrigues, n'ayant en vue que des intérêts de personnes au détriment de ceux du pays.

Le lendemain, 11 septembre, toujours préoccupé de notre situation militaire sur le front de cette armée de Paris, que je commandais depuis le 31 août, je me rendis à Attichy où se trouvait le quartier général du général Maunoury. Les événements continuaient à se montrer sous le jour le plus favorable et cette journée du 11 septembre voyait se poursuivre la marche victorieuse qui devait conduire nos armées de gauche jusqu'au nord de l'Aisne et de la Montagne de Reims. La 6e armée, d'après l'instruction particulière du Général en chef, n° 21, continue " à appuyer sa droite à l'Ourcq, puis successivement à la route Longpont, Chaudun, Soissons. L'armée anglaise s'étend à droite jusqu'à la route Rocourt, Fère-en-Tardenois, Bazoches. La 5e armée progresse à l'ouest d'Épernay dans la direction de Reims.

En résumé, à cette même date du 11, la 6e armée s'étendait depuis Rosières, jusqu'à Mareuil-sur-Ourcq dans l'ordre suivant : 4e corps, 7e corps, groupe des 55e et 56e divisions de réserve, 45e division, ayant sur sa gauche, à Pont-Sainte-Maxence, le corps de cavalerie Bridoux, sur sa droite, la brigade de cavalerie Gillet du camp retranché et, en arrière, à gauche, les 61e et 62e divisions de réserve du groupe Ebener, venant de Nanteuil-le-Haudouin pour renforcer le 4e corps.

Sur sa droite, l'armée britannique s'avançait vers la ligne ferrée La Ferté-Milon-Oulchy-le-Château, en trois colonnes.

La 5e armée, en retrait, tenait le front Château-Thierry-Dormans.

Quant à l'armée allemande, elle reculait partout devant le front des trois armées.

Ces résultats étaient déjà considérables, puisque nos armées, en retraite depuis la Belgique et la Meuse, et qui, conformément à la directive du général Joffre du 2 septembre, devaient se retirer au sud de la Seine et de l'Yonne pour y attendre les renforts expédiés des dépôts, avaient pu, grâce à l'intervention rapide de l'armée de Paris sur l'Ourcq, reprendre l'offensive et rejeter les Allemands dans la direction du Nord. Mais, ainsi que je l'ai déjà montré, on devait et on aurait pu faire bien davantage. Deux corps d'armée en plus et un commandement logiquement organisé, assurant une unité et une direction d'action complètes, eussent changé en désastre la retraite de la Ire armée allemande. Mais, pour obtenir ce résultât, il fallait agir rapidement et ne pas attendre aux jours suivants. De nouveaux corps d'armée allaient bien être envoyés sur notre gauche " les jours suivants ", mais, comme me disait le Commandant de l'une de nos armées, " nous sommes toujours en retard de vingt-quatre heures et d'un corps d'armée ". Le débordement, toujours cherché et annoncé, devait donc toujours échouer, et toute tentative de ce genre devait s'arrêter quand les deux adversaires toucheraient à la mer. La conséquence en fut cet énorme front qui, à l'heure où j'écris ces lignes (juin 1915), n'a jamais produit un effort suffisamment prononcé pour pouvoir percer l'ennemi, en possession, depuis onze mois, de dix de nos plus riches départements.

Le 11 au soir, la bataille nous était favorable sur tout le front ennemi. Le Général en chef, dans le message qu'il m'adresse, écrit : " La bataille qui se livre depuis 5 jours s'achève en une victoire incontestable... Partout, l'ennemi laisse sur place de nombreux blessés et des quantités de munitions ; partout on fait des prisonniers... La reprise vigoureuse de l'offensive a déterminé le succès ".

En portant ce message à la connaissance des troupes, j'y ajoutai " mes propres félicitations pour l'armée de Paris, en raison de la participation qu'elle a prise aux opérations ". Je cessai, à la même date, d'exercer le commandement de l'armée de Paris, ou ancienne 6e armée, qui m'avait été conféré le 1er septembre. " En raison de sa situation qui l'éloigne chaque jour davantage du Camp retranché ", il est décidé " que la 6e armée recevra désormais les ordres directs du Commandant en chef ".

On peut dire que, dans ces 6 journées de combat, l'armée de Paris a eu une part prépondérante au succès de nos armes. Faute d'avoir été appuyée en temps utile, elle n'a pu réussir, suivant mes projets, à déborder l'aile droite. Mais la menace imminente d'enveloppement prononcée par son offensive, maintenue jusqu'à la dernière limite par l'acharnement de sa résistance, a pesé d'un tel poids sur la Ire armée allemande qu'elle en a déterminé la retraite, entraînant celle de toute la ligne ennemie, préparant par les premiers succès de la bataille de l'Ourcq ceux qui ont décidé de la victoire de la Marne.

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