MEMOIRES DU GENERAL GALLIENI - DEFENSE DE PARIS

CHAPITRE IV

Le 4 septembre, les reconnaissances de cavalerie quittent le Camp retranché avant le jour. Leurs renseignements confirment ceux déjà donnés la veille sur le changement de direction effectué par la Ire armée allemande. La route de Senlis à Paris est vide d'ennemis ; Senlis est incendié, Creil aussi. Nanteuil-le-Haudouin et Crépy-en-Valois sont évacués. La région à l'ouest de la route de Paris-Senlis est libre. On signale simplement encore quelques patrouilles de cavalerie sur la rive droite de l'Oise et vers Beauvais.

Les rapports de reconnaissances des aviateurs permettent ensuite de préciser ces indications en ce qui concerne les mouvements de la Ire armée allemande.

Voici quelle était sa situation vers 10 heures :

Le 4e corps de réserve était en marche en deux colonnes vers Lizy-sur-Ourcq et Meaux.

Les 2e, 3e, 4e et 9e corps actifs avaient franchi la Marne et commençaient déjà à se déployer au rond du Petit Morin, de la Ferté-sous-Jouarre jusque vers Orbais, face à la droite de l'armée anglaise et surtout à la 5e armée: La cavalerie, vers Crouy, flanquait le 4e corps de réserve.

En somme, toute la Ire armée allemande marchait carrément et rapidement vers le sud, ayant franchi la Marne et se préparant à passez sur la rive gauche du Petit Morin. Le 4e corps de réserve lui-même avait déjà passé l'Ourcq et allait atteindre la Marne. Il y avait là une grave imprudence, car l'armée nous présentait sont flanc droit et laissait à découvert ses derrières; encombrés par ses convois et ses colonnes de munitions et de ravitaillement, nous dictant ainsi les mesures que nous devions prendre nous-mêmes. Il fallait d'ailleurs se hâter car l'ennemi marchait rapidement, cherchant à consommer son œuvre d'enveloppement de l'aile gauche des armées françaises. De notre côté, l'armée anglaise avait continué à reculer, surtout par sa droite, et s'étendait obliquement au sud du Grand Morin et de son petit affluent l'Aubetin, entre Chalifert et Fretoy: Le corps de cavalerie Conneau la reliait à la 5e armée qui, elle aussi, avait retraité de près de 40 kilomètres en 24 heures et tenait le front forêt de Jouy-Sézanne.

Aucun changement pour les troupes de l'armée de Paris.

Tout d'abord, je faisais rédiger, pour les unités sous mes ordres, le bulletin de renseignements n° 4, en y mentionnant les indications relatives à nos armées et communiquées par le G. Q. G.

La situation étant bien connue, le moment était venu de prendre une décision. D'une part, il résultait des documents qui m'avaient été transmis, et notamment de " l'Instruction générale no 4 " du 1er septembre et de la " Note pour les commandants d'armée " du 2 septembre qui la précisait que, depuis les événements du 31 août qui déjouaient son plan d'attaque contre l'aile droite ennemie, le Général commandant en chef avait opté résolument pour l'ajournement de l'offensive et se préoccupait avant tout de se soustraire à la pression des Allemands.

Sur une nouvelle progression de l'ennemi, le plan d'opérations se précise. Le Général en chef semble craindre que les armées n'exécutent pas un mouvement de recul assez grand. Il veut, à tout prix, essayer d'échapper aux étreintes de l'ennemi, afin de permettre aux diverses unités de se ressaisir, de rattraper les traînards et de permettre aux renforts d'arriver. L'aspect des hommes de réserve que j'avais vus, il a quelques jours, à Pontoise et à Creil, au moment de la retraite de la 6e armée sur Paris, permettait de conclure que cette retraite devait à tout prix être arrêtée, sous peine de se transformer en déroute.

Bref, le 2 septembre, le général Joffre indique, dans sa note, que le but est " de soustraire les armées à la pression de l'ennemi, de les amener à s'organiser et à se fortifier dans la zone où elles s'établiront en fin de repli ", et " où elles devraient attendre les renforts des dépôts ". Le Général en chef fixe, à cet effet, une nouvelle ligne, en arrière sur certains points de la précédente, passant par Pont-sur-Yonne, Nogent-sur-Seine, Arcis-sur-Aube, Brienne-le-Château, Joinville. Il prescrit que les armées " s'établiront sur cette ligne générale, où elles se recompléteront par les envois des dépôts ". A ce moment seulement " elles passeront à l'offensive sur tout le front ".

Il était certain que ces directives avaient le grave inconvénient de ne pas tenir compte de l'ennemi dont les colonnes, toujours aussi mordantes, ainsi qu'on l'a vu par la marche rapide des différents corps de la Ire armée allemande, n'auraient sûrement pas laissé à nos armées le temps nécessaire pour se conformer à ce nouveau programme. Avant d'avoir atteint la ligne de repli, assignée par la note du 2 septembre, en arrière de la Seine et de l'Yonne, nos colonnes en retraite auraient été obligées de faire tête à l'ennemi dans des conditions particulièrement désavantageuses, puisqu'elles n'avaient cessé de reculer depuis la Belgique et la Meuse.

D'ailleurs nos armées auraient-elles pu arriver à temps sur leur ligne de repli ? Je ne le crois pas. En admettant simplement pour la Ire armée allemande une vitesse moyenne journalière de 40 kilomètres, ce qui était inférieur à la réalité si nous considérons les marches effectuées du 31 août au 4 septembre, le général von Klück était certain d'arriver sur la Seine le 6 septembre au plus tard et forçait l'armée anglaise et la 5e armée, pour ne prendre que nos armées de gauche, à livrer bataille le même jour, sur la rive droite de ce fleuve, et sans avoir eu le temps de le franchir; encore moins, comme le demandait le général Joffre, de s'y arrêter, d'organiser des positions fortifiées et le désert entre elles et l'ennemi et de s'y reconstituer par les envois des dépôts. II fallait se replier encore, peut-être même jusqu'à la ligne classique du plateau de Langres. De toute manière, le Camp retranché de Paris, et c'est le point qui me préoccupait le plus en raison de mes responsabilités comme gouverneur de la Capitale, était complètement découvert. Le repli de nos armées compromettait le salut de Paris. Bien plus, il compromettait cette offensive que le Haut Commandement de nos armées leur avait assignée en fin de repli. Paris était abandonné et cet abandon ne favorisait nullement la reprise de la marche en avant qui pouvait seule arrêter l'envahissement de la France.

L'offensive immédiate n'entrait pas davantage dans les plans du maréchal French : il avait proposé de son côté, ainsi qu'il résulte d'une lettre du 2 septembre du Général en chef au ministre de la Guerre, d'organiser sur la Marne " une ligne de défense qui serait tenue par des effectifs suffisamment denses en profondeur et particulièrement renforcée derrière le flanc gauche ". Mais ce plan même est rejeté par le général Joffre pour une raison dont on ne saurait trop souligner l'importance : " la situation actuelle de la 5e armée; écrit-il le 2 septembre, ne lui permettrait pas d'assurer à l'armée anglaise en temps voulu une aide efficace sur sa droite. " Il propose tout au contraire au maréchal French, après avoir tenu quelque temps sur la Marne, " de porter l'armée anglaise sur la rive gauche de la Seine qu'elle tiendrait de Melun, a Juvisy, en liaison directe avec les troupes de défense du Camp retranché ".

Cette lettre, reçue le 3 septembre, ne pouvait que confirmer le maréchal French dans la crainte qu'il éprouvait déjà et qui persistera malheureusement par la suite, de n'être pas suffisamment soutenu sur sa droite, en cas d'action commune avec la 5e armée. Aussi, acceptera-t-il sans réserve l'idée d'une retraite sur la Seine, appuyée par la garnison mobile de la Capitale.

En résumé, à la date du 3 septembre et même du 4 septembre, dans la matinée, c'est-à-dire au moment où, la marche de la Ire armée allemande vers le Sud-Est se confirmant, il me fallait prendre une décision sauvegardant avant tout les intérêts de la Capitale dont j'avais la charge, nos armées, y compris l'armée anglaise, avaient ordre de se replier derrière la Seine, et le général en chef insistait pour que ce mouvement s'exécutât aussi rapidement que possible. Suivant moi, ce mouvement de repli était mauvais, parce que : 1° Il découvrait le Camp, retranché de Paris ; 2° Il ne tenait pas compte de l'ennemi; 3° Il ne pouvait s'exécuter à temps et les têtes de colonnes allemandes seraient déjà certainement à Pont-sur-Yonne, Nogent-sur-Seine, etc., quand les troupes anglaises et françaises y parviendraient. (D'après les dires du Commandant de la 5e armée,

le fait avait déjà eu lieu plusieurs fois lors de la retraite de cette armés de Charleroi vers l'Aisne) ; 4° Il interdisait toute idée d'offensive immédiate, la retraite au delà de la Seine, l'organisation de la défensive, l'arrêt jusqu'à l'arrivée des renforts des dépôts, comportant bien un délai d'une douzaine de jours pendant lequel les Allemands auraient eu le temps de terminer leur mouvement de débordement de notre aile gauche.

Quand, après la guerre, le général von Klück nous aura fait connaître les raisons pour lesquelles il a abandonné Paris le 3 septembre dans la soirée et le 4 septembre dans la matinée pour prendre la direction du sud-est, nous verrons certainement que la cause déterminante de cette marche de flanc à proximité du Camp retranché de Paris était la volonté, conforme d'ailleurs aux vrais principes des maîtres de la guerre, du maréchal de Moltke notamment, d'en finir tout d'abord avec les armées de campagne de l'ennemi. Or, les armées anglaise et française, 5e armée notamment, étaient en retraite depuis le 22 août, ayant dû constamment céder le terrain devant la Ire armée allemande, chargée du mouvement débordant de notre aile gauche.

Anglais et Français, séparés d'ailleurs par une lacune que bouchait incomplètement le corps de cavalerie Conneau, étaient une proie qui s'offrait aux coups des Allemands et qu'il fallait saisir avant qu'ils aient pu s'arrêter, se fortifier et se reconstituer. On s'occuperait de Paris ensuite. Mais cette opération obligeait les Allemands à défiler, à 40 kilomètres environ, à l'est du Camp retranché: C'était montrer un mépris non déguisé pour l'armée de Paris et, j'ajouterai, pour son chef.

En ce qui concerne la première, le général von Klück s'était certainement laissé, abuser par la faible résistance que lui avaient opposée les éléments de la 6e armée, hâtivement rassemblés dans la région de Montdidier-Saint-Just-en-Chaussée et peu préparés à arrêter une armée victorieuse ; celle-ci, jusqu'à ce moment, avait pu opérer sans trop de difficultés le vaste mouvement débordant qui, à travers la Belgique, puis, par Lille, Arras, l'avait amenée jusque sur l'Oise, l'Aisne et la Marne et allait s'enfoncer en coin entre les forces du maréchal French et du général Franchet d'Esperey.

Quant au gouvernement militaire de Paris, le chef allemand n'ignorait pas que le Camp retranché était loin d'être en état de défense, que les batteries n'étaient pas toutes armées et que leur approvisionnement en munitions n'était pas encore à pied d'œuvre. Il savait de plus que la garnison du Camp retranché se composait en majeure partie de troupes territoriales et il ne pouvait supposer que, la Capitale étant toujours menacée par l'ennemi qu'une marche victorieuse de quelques jours avait porté jusque sur la Seine, je serais assez imprudent pour me priver des forces destinées à la défense de Partis et les porter à plus de 40 kilomètres, risquant ainsi de les voir coupées de leurs communications avec le Camp retranché.

Toutes ces réflexions, je me les étais faites également. Toutes ces raisons, je me les étais données aussi et j'avais abouti à cette conclusion que, malgré le mouvement de repli ordonné par le Général en chef et la crainte d'enlever à Paris les forces appelées à le défendre, le salut de la Capitale, comme celui de nos armées et de la France entière, exigeait une décision énergique et immédiate, à savoir : le transport rapide contre le flanc droit de l'armée allemande de toutes les troupes dont je pouvais disposer.

En premier lieu, il fallait agir vite. Les circonstances étaient urgentes, les minutes étaient des heures, que dis-je, des jours et même des années. La Ire armée allemande se hâtait pour en finir avec l'armée anglaise et la 5e armée française, qu'elle comptait mettre hors de cause à compter du 6 septembre, en achevant le mouvement débordant qui devait isoler nos armées de Paris et du cœur de la France en les rejetant vers l'Est et vers la Suisse. Il ne fallait pas permettre que cette opération pût s'accomplir et, pour cela, il fallait, sans délai, sans perdre un moment, exécuter le changement de front qui devait nous porter sur le flanc droit de l'ennemi.

D'autre part, cette menace contre le flanc et les communications de l'armée von Klück devait être faite par des forces aussi nombreuses que possible. Il fallait que, de la Capitale, sortît une armée imposante, surprenant l'ennemi par son nombre et son irruption inattendue. Ce fut là le second point sur lequel je portais de suite tous mes soins.

En somme, la 6e armée, placée sous mes ordres par la lettre du ministre de la Guerre en date du 2 septembre et par le télégramme du Général en chef, comprenait : le groupe des divisions de réserve du général de Lamaze, environ 30.000 hommes ; une division du 7e corps, avec l'artillerie de corps sous le commandement du général Vauthier, environ 20.000 hommes en calculant largement; une brigade marocaine, environ 7.000 hommes ; un total approximatif de 60.000 hommes. A ces chiffres, il fallait ajouter le groupe des divisions de réserve du général Ebener, environ 30.000 hommes, chiffre fort, occupé en ce moment à couvrir le nœud de chemins de fer de Pontoise et le nord-ouest du Camp retranché, et le corps de cavalerie du général Sordet, mis provisoirement à ma disposition par le Général commandant en chef. En résumé, l'armée Maunoury ne pouvait, comme éléments actifs et de réserve, disposer que de 60.000 hommes environ. C'était peu, et on a vu que ces troupes se trouvait dans un état de fatigue qui nuisait à leur situation physique et morale.

Je décidai donc de renforcer de suite cette armée par la 45e division algérienne, composée de troupes fraîches et commandée par un général expérimenté. Cette division était à effectif renforcé. C'était un appoint très appréciable d'une vingtaine de mille hommes. D'autre part, j'étais informé que le 4e corps, qui m'était encore envoyé comme renfort de la garnison de Paris, avait déjà commencé ses débarquements la veille, et je prenais aussitôt mes dispositions pour que les divers éléments de ce corps d'armée fussent dirigés vers la 6e armée, au fur et à mesure de leurs débarquements et par les moyens les plus rapides, dont nous parlerons plus loin.

En un mot, la nouvelle armée de Paris ainsi constituée comprenait l'ancienne armée Maunoury, plus la 45e division algérienne, plus le 4e corps, et pourrait se renforcer ensuite du groupe de divisions Ebener (dès que tout danger aurait disparu dans la région de l'Oise et au nord de Paris), du corps de cavalerie Sordet et d'éléments pris encore parmi les troupes du Camp retranché, comme les 3 groupes d'artillerie territoriale, dits de sortie, un ou deux équipages de ponts et plusieurs sections d'auto-canons.. Bref, la nouvelle armée, ainsi organisée, pouvait se monter à 150.000 hommes environ, force très appréciable et qui, lancée à propos et dans la bonne direction, ferait sûrement sentir son effet et obligerait à ce qu'on ne la négligeât pas.

Toutes ces dispositions préliminaires étant prises, je n'hésitai pas à adresser l'ordre de mouvement ci-dessous :

 

ARMEE DE PARIS - Etat-Major - 3e Bureau - N° 648/D/3 - Secret

le 4 septembre 1914.

ORDRE PARTICULIER No 11

N·648D/3 Le général de division GALLIÉNI ,

commandant les armées de Paris,

à M. le général MAUNOURY, commandant la 6e armée

Le Raincy.

" En raison du mouvement des armées allemandes, qui paraissent glisser en avant de notre front dans la direction du S.-E., j'ai l'intention de porter votre armée en avant dans leur flanc, c'est-à-dire dans la direction de l'Est, en liaison avec les troupes anglaises.

" Je vous indiquerai votre direction de marche dès que je connaîtrai celle de l'armée anglaise. Mais prenez dès maintenant vos dispositions pour que vos troupes soient prêtes à marcher cette après-midi et à entamer demain un mouvement général dans l'Est du Camp retranché.

" Poussez immédiatement des reconnaissances de cavalerie dans tout le secteur entre la route de Chantilly et la Marne.

" Je mets la 45e division dès maintenant sous vos ordres.

" Venez de votre personne me parler le plus tôt possible.

Le Général commandant les armées de Paris, " Signé : GALLIÉNI. "

 

Les troupes de la 6e armée étaient orientées vers le Nord, ainsi qu'il a été dit précédemment. Elles s'attendaient à livrer bataille sur le front Pontoise-Ecouen-Dammartin, face à Senlis, et surtout; l'ennemi ne menaçant plus Paris pour le moment, elles souhaitaient de prendre le repos nécessaire pour se remettre, se reconstituer, se recompléter en hommes, matériel et munitions. C'était le voue de tous les chefs d'unités. Les circonstances ne le permettaient pas, et c'est pour ne pas perdre une minute que l'ordre était donné à la 6e armée de commencer ses préparatifs dans ses cantonnements, et d'aiguiller ses divers éléments vers l'Est .On était ainsi prévenu à l'avance, à la 6e armée, que, malgré les fatigues et les combats des jours précédents, l'intérêt du pays, le salut de la Capitale exigeaient encore de nouveaux efforts et que l'on reprît la marche, cette fois vers l'Est, dans l'après-midi.

Nos troupes étaient informées du changement de direction opéré par la Ire armée allemande, de mon intention de tomber dans le flanc du IVe corps de réserve et de la possibilité d'exécuter ce mouvement en liaison avec l'armée anglaise, adossée, dans la matinée du 4 septembre, au Camp retranché de Paris, vers Chalifert, mais reculant par sa droite.

Une coopération étroite avec les Anglais était indispensable, et, pour mieux l'assurer, il fallait connaître les intentions de nos alliés: C'est pour cette raison que je me bornai à prescrire le mouvement général vers l'est du Camp retranché pour l'après-midi, sans indiquer encore exactement la direction de la marche.

Des reconnaissances de cavalerie étaient immédiatement envoyées dans la région entre la route de Chantilly et la Marne.

Je mettais dès ce moment, 9 h. matin, la 45e division algérienne sous les ordres du général Maunoury, que je convoquais de suite auprès de moi.

En résumé, le 4 septembre, à 9 heures du matin, dès que l'état-major du gouvernement militaire eut été fixé sur la marche vers l'est de la Ire armée allemande, l'armée de Paris recevait l'ordre de se diriger également vers l'est, dans la direction de l'Ourcq, contre le flanc droit de l'ennemi. Toutes les mesures étaient prises pour mettre à la disposition de cette armée mobile toutes les ressources disponibles. On doit se rappeler que nous venions de recevoir (matinée du 3 septembre) l'ordre de repliement de nos armées au sud de la Seine et de l'Yonne.

Le général Maunoury arrivait à 11 heures du matin à mon quartier général, au lycée Victor-Duruy. Nous nous mettions d'accord sur l'opération à exécuter. Il déjeunait avec moi.

La décision bien prise et les ordres étant déjà donnés, mon chef d'état-major téléphonait au grand quartier général pour le mettre au courant des dispositions réalisées. Il importait que le Général en chef, pour le succès des opérations et la coordination des efforts, fût bien tenu au courant de mes intentions; et cela d'autant mieux que sa note du 2 septembre, reçue le 3, prescrivait avec insistance le repli au sud de la Seine. En raison de ces directives impératives, je me rendais compte de la difficulté d'entraîner la marche de l'armée anglaise et de la 5e armée, mais, bien persuadé dès ce moment que nous pouvions et devions profiter de la faute commise par la Ire armée allemande, je me bornai à aviser le grand quartier général de l'ordre donné à l'armée de Paris de se mettre en marche, dans la soirée, vers l'Est, cette armée pouvant opérer, suivant les circonstances, au nord ou au sud de la Marne. Mais, pour moi, mon opinion était déjà faite. La situation s'était précisée le 4 septembre au matin. Les dernières reconnaissances d'avions avaient signalé, " vers Etrepilly, des troupes de toutes armes se dirigeant vers le Sud-Est " ; d'autres, passant déjà la Marne, " en marche dans la direction de Trilport ". La Ire armée allemande avait pour objectif certain et immédiat la droite de l'armée anglaise et la gauche de la 5e armée, de manière à couper ces deux armées l'une de l'autre et à déborder la gauche de nos armées. Après les renseignements déjà donnés, elle ne laissait sur l'une ou l'autre rive de l'Ourcq qu'une flanc-garde plus ou moins nombreuse jusqu'à l'écoulement complet de ses colonnes, en la circonstance le IVe corps de réserve. Marcher droit sur cette flanc-garde, la refouler de tout le poids des forces disponibles de l'armée de Paris, se jeter sur les derrières de l'ennemi, bousculer ses convois, c'était réaliser peut-être l'enveloppement. de l'armée du général von Klück. C'était profiter, en tout état de cause, de toutes les chances qu'accumulait contre elle sa situation aventurée.

Ce plan imposait sans hésitation l'attaque par la rive nord de la Marne et l'objectif de l'armée de Paris devait être, non seulement la flanc-garde allemande, mais aussi et surtout les derrières et les communications de la Ire armée. C'était donc vers le Nord, dans la direction dé Villers-Cotterets, que nous devions surtout agir et porter nos renforts. Mais, dans la matinée du 4 septembre, on ne l'oubliera pas, nous nous trouvions encore en présence de la note du 2 septembre qui, elle, ne voyait le salut et le succès que dans le repliement au sud de la Seine et de l'Yonne. Ce pouvait être vrai pour les armées du centre et de la droite françaises, mais, à coup sûr, pas pour l'armée anglaise et la 5e armée, et, a fortiori, pas pour l'armée de Paris.

En résumé, le 4 septembre, à 9 heures du matin, l'ordre avait été donné, d'une manière ferme, à l'armée mobile de Paris, reconstituée sur de nouvelles bases et considérablement renforcée, de quitter ses cantonnements dans l'après-midi pour prendre la direction de l'Est. Le général Maunoury, convoqué à mon quartier général, avait reçu mes instructions précises et mon état-major préparait toutes les mesures de détail nécessaires pour diriger nos forces disponibles dans le plus bref délai possible contre le flanc droit des Allemands et contre leurs communications. Mais en dehors de l'avis adressé au grand quartier général, il manquait encore l'accord avec le Général en chef et surtout avec l'armée anglaise. La journée entière du 4 va être employée à les obtenir.

Je me mets donc en route à 1 heure et demie pour le quartier général anglais. J'emmène avec moi le général Maunoury, le général Clergerie, mon chef d'état-major et quelques officiers de mon état-major, munis des copies de mes ordres et des cartes nécessaires pour expliquer les mouvements et les intentions de l'armée de Paris. Partout, on prend activement toutes les mesures de défense ordonnées les jours précédents. Toutes les portes sont interdites et barricadées, gardées par des postes de garde républicaine et de territoriaux renforcés par des gardiens de la paix et des employés de l'octroi. Un certain nombre de portes seulement sont ouvertes aux voitures et automobiles. Et encore, ces derniers sont-ils soumis tous à l'examen des laissez-passer, délivrés par la Préfecture de police et le Gouvernement militaire. Sous la surveillance d'officiers du génie, de nombreux ouvriers travaillent aux clôtures des barrières, au creusement des tranchées, à l'abattage des arbres, à la destruction des maisons et baraques qui, en temps de paix, ont envahi les zones interdites. La situation est grave et cependant la foule assiste indifférente, nullement effrayée, à ce spectacle nouveau pour elle. On attend les événements avec confiance, semble-t-il. Nos automobiles sont l'objet d'une curiosité sympathique. Un grand nombre de chapeaux se lèvent sur notre passage. La porte de Charenton franchie, nous allons rencontrer sur la grande route de Melun, tout le long du trajet, l'image de la guerre; d'abord beaucoup de véhicules automobiles, appartenant â l'armée britannique, portant les noms de grandes maisons de commerce ou d'industrie anglaises et se dirigeant vers Villeneuve-Saint-Georges, où nos alliés ont installé une station- magasin et une gare d'évacuation ; puis de nombreuses voitures de toutes formes, pauvrement attelées, transportant des réfugiés qui fuient devant l'invasion et viennent chercher un asile dans la banlieue de Paris. Les atrocités commises par les Allemands dans leur marche sur Paris, l'incendie systématique de Senlis et Creil, l'exécution du maire et des otages de Senlis, la mort de plusieurs habitants, forcés de marcher devant, lors des attaques allemandes contre nos troupes, avaient semé la terreur dans toute la région qui s'étendait entre l'Aisne et la Marne. Nos ennemis avaient imprimé à cette guerre un caractère de rigueur et de cruauté tel que j'avais tout à redouter pour la capitale de la France, dont le sort m'avait été confié.

Nous sommes à Melun à 3 heures. Nous nous rendons de suite au quartier général anglais, très bien installé au collège, sur la grande route nationale de Melun-Meaux. Deux sentinelles, appartenant à un régiment écossais, nous rendent les honneurs. De nombreux soldats, automobilistes, cyclistes, dorment témoignant ainsi, des fatigues subies pendant les marches et combats des jours précédents. Des secrétaires travaillent aux machines à écrire, à droite et à gauche du perron qui accède au rez-de-chaussée du bâtiment principal. Un officier vient au-devant de nous et nous conduit au bureau occupé par l'état-major. Le maréchal French était d'ailleurs absent, en tournée sur le front de ses troupes, et on ne savait à quelle heure il rentrerait. Nous ne trouvions que l'un des chefs d'état-major, le général directeur des services de l'arrière et aussi le colonel Huguet, chef de la mission française attachée au quartier général anglais. Aidé du général Maunoury et de mon chef d'état-major, je mis le général anglais au courant des dispositions que nous avions prises dans la matinée et de nos intentions : la Ire armée allemande s'étant infléchie vers le Sud-Est et nous offrant ainsi son flanc droit, l'armée de Paris, réorganisée et renforcée, avait reçu l'ordre de rompre ses cantonnements dans l'après-midi même du 4 septembre pour prendre la direction de l'Est. Le Général en chef avait été informé de ce mouvement. En attendant sa décision, l'armée de Paris allait prendre pour objectif le IVe corps de réserve allemand qui couvrait le mouvement de la Ire armée et qui, dans la matinée, était signalé marchant en deux colonnes vers Trilport et Lizy-sur-Ourcq. La Ire armée allemande marchait à une allure qui dépassait certainement 45 kilomètres par jour. Il y avait donc un intérêt majeur à aller vite pour dépasser, si possible, les projets de l'ennemi, cherchant évidemment à écraser tout d'abord l'armée anglaise et la 5e armée, afin de pouvoir ensuite revenir sur Paris. L'armée de Paris serait certainement en contact avec le IVe corps de réserve allemand dans l'après-midi du 5 septembre. Il était donc indispensable que l'armée anglaise arrêtât son mouvement de retraite, pour reprendre l'offensive dès le lendemain et combiner ses efforts avec ceux de l'armée de Paris. De toute manière, il était nécessaire que nous fussions fixés le plus tôt possible sur la direction d'attaque de l'armée britannique, et j'indiquai sur la carte le Grand Morin et Coulommiers, comme le but à atteindre tout d'abord, tandis que le général Maunoury s'avancerait contre l'Ourcq, menaçant la Ire armée de flanc, tandis que l'armée anglaise la menacerait de front. J'insistai surtout sur la nécessité d'agir avec promptitude en mettant de côté les considérations de fatigue des troupes, de repliement et de renforcement des unités, qui pourraient retarder le moment de la reprise du mouvement en avant.

Il est certain que je sentis tout d'abord une grande répugnance de la part du chef d'état-major anglais à entrer dans nos vues. Il se retranchait derrière les instructions formelles du Général commandant en chef, derrière la nécessité de reconstituer les unités, fortement éprouvées les jours précédents, au moyen des renforts débarqués du Havre et qui étaient déjà parvenus dans la zone de l'arrière. D'autre part, le général anglais se déclarait incapable de décider quoi que ce soit en l'absence de " Sir John ".

Malgré tout, je demande qu'une note précise soit rédigée d'après les bases que je viens d'indiquer ; mais, après 3 heures de conférence et de discussion, j'ai l'impression que mes intentions ne sont pas très bien comprises et que nos alliés ne jugent pas encore ,le moment opportun pour passer à l'offensive. On me promet de me téléphoner à mon quartier général à Paris, dès le retour du maréchal French.

Nous quittons Melun vers 5 heures : le général Maunoury, pour rejoindre son quartier général au Raincy et surveiller le mouvement commencé par ses troupes, moi, pour rentrer à Paris; où j'avais hâte d'être de retour, aussi bien pour recevoir les communications que j'attendais dû G. Q. G. et du maréchal French que pour me faire rendre compte de la marche de nos travaux de défense et de l'état d'avancement des mesures ordonnées pour le ravitaillement de la Capitale, la rentrée des réfugiés venus de l'extérieur, l'exode des habitants qui quittaient Paris etc. On ne se doutera jamais des multiples préoccupations qui, en dehors de mes devoirs de Commandant en chef de l'armée de Paris, lesquels dominèrent tous les autres pendant ces quelques journées graves mais intéressantes, s'imposaient à moi avec la nécessité de donner à toutes une solution urgente.

Dès mon retour au Quartier général, j'étais mis au courant de la situation par le colonel Girodon. Cet officier était rentré gravement blessé du Maroc et, malgré sa blessure exigeant l'emploi de deux béquilles, m'avait demandé lui-même à être attaché à mon état-major ; j'avais été très heureux de pouvoir utiliser les services de cet officier éminemment distingué. D'une part, le Général commandant en chef se ralliait déjà à l'idée d'offensive, mais il restait nettement opposé à l'action par le nord de la Marne " Des deux propositions que vous m'avez faites pour l'emploi des troupes du général Maunoury, m'écrit-il à 13heures dans un télégramme, parvenu à 14 h. 50, je considère comme la plus avantageuse celle qui consiste à porter la 6e armée sur la rive gauche de la Marne, au sud de Lagny. " C'est en conformité de cette idée qu'il a soumis, dans la matinée du 4, un plan d'opérations nouveau au maréchal French. Dans sa lettre du 4 septembre au général en chef anglais, il dit : " Au cas où les armées allemandes poursuivraient leur mouvement vers le sud-sud-est, s'éloignant ainsi de la Seine et de Paris, peut-être estimerez-vous comme moi que votre action pourrait s'exercer plus efficacement sur la rive droite de ce fleuve, entre la Marne et la Seine ; votre gauche, appuyée à la Marne, étayée par le Camp retranché de Paris, serait couverte par la garnison mobile de la Capitale qui se portera à l'attaque par la rive gauche de la Marne. "

Le maréchal French, de son côté, reste nettement opposé au plan d'attaque dont j'avais ordonné l'exécution par mes directives initiales à 9 heures. Ayant tout d'abord paru hésitant, j'apprends, par un message du colonel Huguet du 4 septembre; que " sur les conseils de prudence de son chef d'état-major " il a pris, en réalité, le parti d'éviter le combat pendant plusieurs jours encore. Peu pressé par l'ennemi, il a donné repos à ses troupes pour la journée du 4. Dans la matinée de ce même jour, il fait la promesse, peu précise d'ailleurs, de rester " aussi longtemps qu'il sera possible dans sa situation présente au sud de la Marne ".

Nous étions encore loin des décisions fermes que j'avais exposées dans ma visite au G. Q. G. anglais à Melun. J'avais démontré la nécessité d'agir immédiatement contre le IVe corps de réserve allemand, resté sur la rive gauche de l'Ourcq, et fait connaître que nos colonnes commençaient leurs marches vers l'est dans cette même journée du 4 septembre. Comme conséquence de cette offensive contre le flanc droit et les communications de la Ire armée allemande, j'avais demandé que l'armée anglaise, renonçant à son mouvement de repli au sud de la Seine, coopérât à l'opération en reprenant la marche en avant et j'avais indiqué comme objectif la ligne du Grand Morin et le front approximatif Coulommiers-Nangis. Le télégramme du général Wilson, trouvé à notre rentrée à Paris et daté de 18 h. 30, disait : " Maréchal non encore rentré, mais, dès maintenant, ordres donnés pour porter l'armée anglaise sur la ligne Ozoir-la-Ferrière, Tournan-Ormeau. " Si l'on considère que les troupes anglaises occupaient à ce moment, au sud de la Marne, la ligne de Courtevrault à la Ferté-sous-Jouarre, on constate que ce mouvement, auquel on a donné pour motif de " dégager le terrain pour le débouché de la VIe armée ", avait en réalité pour résultat d'infléchir la ligne anglaise vers le sud-ouest et, par suite, de continuer la retraite. Ce mouvement fut exécuté dans la nuit du 4 au 5 septembre et a été l'une des causes de retard de l'offensive anglaise, ce qui ne peut surprendre, puisque cette armée reculait, tandis que l'armée de Paris, au contraire, se portait en avant vers l'ennemi.

Au reste, à 21 heures, un nouveau télégramme du colonel Huguet m'apportait la " décision du Maréchal ", pour le moins inattendue : " Accepte propositions retraite sur Marne les 5 et 6. Préfère raison changements continuels situation, étudier à nouveau à ce moment avant de décider sur opérations ultérieures: " Et cependant, les moments étaient comptés et l'armée allemande se trouverait, dès le lendemain, au sud de la Marne et sur le Grand Morin.

Dans toute opération de guerre, n'est-il pas nécessaire de tenir compte, avant tout, de l'ennemi et du but à atteindre, à savoir, la destruction de cet ennemi ? Et, dans cette circonstance la situation, à mon sens, se présentait d'une manière très simple, au moins en ce qui concernait les forces réunies dans la région du Camp retranché de Paris, de l'Ourcq et de la Marne : une armée allemande marchait à grande allure vers le sud contre des forces anglo-françaises, en retraite depuis plusieurs jours. D'autre part, cette armée allemande, dans sa marche, prêtait le flanc, en découvrant même ses communications, à une armée française de l'ouest qui, par son passage dans le camp retranché de Paris, avait pu se reconstituer et se renforcer. Le commandant de cette armée française n'avait-il pas pour devoir de tomber, sans tarder un moment, sur l'armée allemande assez imprudente pour faire cette marche de flanc en méprisant son armée ? Toutes les considérations, tirées de l'insuffisance de la préparation de la défense du Camp retranché de Paris, de la fatigue des troupes, des directives déjà données pour le repliement au sud de la Seine, devaient s'effacer devant l'occasion à saisir et le but à atteindre sans perdre un moment.

Tel fut le mobile qui guida ma conduite dans cette grande journée du 4 septembre. J'ajouterai que, dès mon retour à Paris, en présence surtout des tergiversations du quartier général anglais, je téléphonai moi-même au général Joffre pour bien le mettre au courant des dispositions prises, de la marche vers l'est de l'armée de Paris, ayant la route de Meaux à Senlis comme axe de marche, de l'offensive à prendre dès le premier contact avec les troupes du 4e corps de réserve allemand et qui était prévu pour le lendemain dans l'après-midi, de la nécessité pour l'armée anglaise de coopérer à ce mouvement et enfin, des hésitations rencontrées chez le Haut Commandement anglais. Le Général en chef, malgré ses directives des 1er et 2 septembre, était définitivement gagné à ce plan. Il parvint même, à la dernière heure, à rallier l'accord du maréchal French pour porter son armée face à l'est, mais en la maintenant au sud de la Marne, dans le prolongement de notre armée de Paris. Fort de cette approbation, j'adressai à 20 h. 30 l'ordre général du 4 septembre, que j'avais déjà prescrit de préparer avant mon départ pour Melun et qui développait et précisait mes instructions du matin 9 heures. J'indiquais, pour l'armée anglaise, le front Coulommiers-Changis à occuper, mais je faisais, à part moi, toutes réserves pour l'exécution de ce mouvement. Quant à l'armée de Paris, elle recevait l'ordre très ferme de se porter sur l'Ourcq avec sa droite à Meaux, devant se renforcer successivement par la 45e division algérienne et les divers éléments du 4e corps au fur et à mesure de leur débarquement.

Ces mesures concernaient essentiellement la constitution et la mise en mouvement de l'armée de Paris, placée sous les ordres du général Maunoury et destinée à opérer contre le flanc droit de l'armée allemande, sans jamais perdre le contact avec la Capitale, à la défense de laquelle elle devait participer quand l'ennemi reviendrait vers elle. Mais le meilleur moyen d'assurer le salut de Paris était évidemment de battre les forces qui, une fois achevé l'enveloppement à l'aile gauche des armées françaises, se retourneraient contre le Camp retranché. Le IVe corps de réserve allemand, resté sur la rive droite de l'Ourcq, avait certainement pour mission, de surveiller le Camp retranché et de protéger le débarquement du matériel de siège, laissé libre par la prise des places de Liége, Maubeuge et Namur, et dirigé vers la Capitale pour tenter une attaque brusquée suivant la méthode inaugurée par les Allemands depuis le commencement de la guerre. Grâce à leur excellent système d'espionnage, ces derniers n'ignoraient pas les défectuosités de la défense de Paris. Nous devions nous appliquer à déjouer ces projets et, dans ce but, attaquer avec toutes nos forces disponibles et sans perdre une minute le corps ennemi laissé ainsi isolé sur le flanc droit de la 1re armée. La confiance en soi-même est certes une très grande qualité chez un chef militaire, mais à condition de ne pas pousser le mépris de l'adversaire au point de s'aveugler sur ses intentions et sur ses possibilités. Déjà, les Allemands s'étaient trompés sur la capacité de résistance des Belges qu'ils avaient jugés incapables d'opposer la moindre résistance à leur entrée dans ce pays. Ils allaient se tromper plus cruellement encore en croyant que l'armée de Paris resterait immobile dans le Camp retranché, attendant avec anxiété l'arrivée de ses ennemis. Le lendemain même, dans l'après-midi, leurs illusions tomberaient à ce sujet.

Les paragraphes V et VI de l'ordre du 4 septembre concernaient les mesures à prendre pour la défense du camp retranché : le groupe des divisions de réserve Ebener était amené dans l'intérieur de nos lignes, une division dans la région de Mesnil-Amelot; l'autre division en réserve générale. Le général Ebener, disposant encore de la 92e division territoriale, prenait le commandement de l'intervalle nord-est. Rien n'était changé dans les autres régions, sauf que les 2 commandants des régions Nord et Sud devaient redoubler de surveillance sur la rive droite de l'Oise et au Sud, en raison de la présence d'un gros de cavalerie allemande signalé du côté de Beauvais avec des patrouilles de uhlans non loin de Pontoise, et du repliement du corps de cavalerie Sordet, rappelé au sud, vers la Marne, par le G. Q. G.

Enfin, les travaux du Camp retranché devaient continuer à être poussés avec la plus grande activité possible.

Toutes les lignes télégraphiques et téléphoniques nécessaires étaient établies à mon quartier général du lycée Duruy, d'où j'exerçais le commandement tant sur l'armée mobile de Paris, que sur toutes les troupes et tous les services du Camp retranché.

A 22 heures, toutes les dispositions précédentes étant déjà prises, puisque mon ordre général n° 5 était daté de 20 h. 30, le G. Q. G. informait que l'offensive générale était décidée pour le 6 au matin ( Dans le fameux ordre du jour par lequel le général Joffre prit " l'initiative " de déclencher la victoire de la Marne, et dont la date et l'heure exactes devraient lui permettre de revendiquer cette initiative aux yeux de l'Histoire ; or, l'original de cet ordre, écrit tout entier de la main du chef du 3e Bureau du G. Q. G. et signé Joffre porte trois dates différentes surchargées !!!).

La 5e armée devait attaquer vers le nord, sur le front Courtacon-Sézanne; l'armée anglaise, dans la direction de l'Est sur le front Coulommiers-Changis. L'armée de Paris, enfin, conformément à ma demande instante, " orientera ses colonnes en se maintenant sur la rive nord de la Marne, de manière à atteindre environ le méridien de Meaux ".

En somme; vers minuit, quand j'allai prendre quelques heures de repos, j'éprouvais une certaine satisfaction à penser que le plan d'opérations, élaboré dans la matinée, en ce qui concernait l'armée de Paris et l'armée anglaise, allait s'exécuter d'un complet accord entre tous. Entre la note du 2 septembre, ordonnant le repliement au sud de la Seine, et les dispositions d'offensive prescrites au nord de la Marne, la marge était grande, mais les résultats de ce changement d'orientation n'allaient pas tarder à se faire sentir. La bataille de la Marne sortait de cette journée du 4 septembre.

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