MEMOIRES DU GENERAL GALLIENI - DEFENSE DE PARIS

CHAPITRE II

Le 1er septembre, je prends contact avec les troupes qui se rabattent sur Paris et qui, placées sous mes ordres directs, sont destinées à en former la garnison. Avant tout, il fallait étudier le terrain qui, au nord de Paris, pouvait servir de champ de bataille éventuel contre l'armée du général von Kluck, la 1re armée, qui s'avançait, à marches forcées; vers la capitale. Accompagné du général Clergerie, mon chef d'État-Major, du commandant Moreigne, chef de mon 3e bureau, je me rends sur le massif de l'Hautie, longue croupe qui s'étend entre l'Oise et la Seine et constitue le réduit de la défense dans cette région. Après avoir exploré tout le massif, je me rends à Pontoise, déjà encombré par des détachements de toutes armes, circulant en désordre sur les routes, souvent sans chefs et sans liens tactiques. J'arrête ainsi un groupe d'hommes et je les interroge. Ils étaient dans les environs d'Arras, d'où, pour échapper à la poursuite de l'ennemi, ils s'étaient dirigés vers Paris, sans savoir où étaient leurs régiments et la division de réserve à laquelle ils appartenaient. Ce n'est qu'en approchant de Beauvais qu'ils avaient appris qu'il fallait se diriger sur Pontoise. Du reste, pour être mieux informé, je me rends à la mairie, où je trouve le général Ebener, commandant le groupe des 61e et 62e divisions de réserve. Le désordre le plus complet règne partout : les escaliers sont encombrés, non seulement par les soldats de toutes armes, venus aux renseignements, mais encore par un nombreux public, que l'affolement a saisi et qui se prépare déjà â fuir Pontoise et l'ennemi qui approche. C'est moi qui dois donner l'ordre aux gendarmes de faire évacuer les escaliers et les locaux où se sont installés les bureaux de l'Etat-Major. Le général Ebener vient au-devant de moi. Il semble très ému de la situation. Je m'enferme seul avec lui dans la pièce qui lui sert de bureau et je me fais mettre au courant de la situation : les 61e et 62e divisions de réserve, constituées hâtivement, ont été très éprouvées vers Saint-Pol et Arras. " A un moment donné me dit le général Ebener, mes deux divisions étaient séparées l'une de l'autre par les Allemands. " Elles avaient perdu plusieurs de leurs batteries ; la plupart des colonels et officiers supérieurs étaient ou tués au disparus. Des pertes importantes avaient considérablement réduit les effectifs des unités. Il n'a pas d'ordres du Général commandant l'armée, qui, cependant, venait de lui faire dire d'exécuter une contre-attaque contre un ennemi dont il ne connaissait pas la position. Ses troupes, comme j'avais pu m'en rendre compte moi-même, étaient dans un tel désarroi qu'il leur était impossible, pour le moment, de faire un effort quelconque. Le général Ebener me demandait au contraire à se replier sur le massif de l'Hautie pour tenir cette position, véritable bastion de la défense de Paris de ce côté, et pouvoir reprendre son monde en mains. Après examen de la situation, je lui prescrivis de conserver son quartier général à Pontoise, de renoncer à la contre-attaque ordonnée et qui ne pouvait s'exécuter dans de bonnes conditions, de se relier, d'une part avec le corps de cavalerie du général Sordet, qui le couvrait, au Nord-Ouest, depuis la ligne ferrée de Pontoise-Gisors jusque vers Clermont-sur-0ise, d'autre part avec la 86e division territoriale, qui tenait le front Pontoise-Ecouen. Il aurait comme mission de couvrir le nœud important de chemin de fer de Pontoise et de tenir les deux rives de l'Oise. En même temps, je faisais prendre note, séance tenante, de ses besoins en cadres et hommes, pour pouvoir, dans la limite du possible, compléter ses effectifs et remettre son groupe de divisions de réserve en état d'accomplir sa mission. L'artillerie du groupe avait été particulièrement éprouvée : le lieutenant-colonel Potal, commandant l'artillerie, avait été tué avec plusieurs de ses officiers et un certain nombre de pièces avaient été prises par l'ennemi.

Le général Ebener aurait désiré qu'on fît sauter les ponts de l'Oise et notamment le pont d'Epluches, d'une importance capitale pour nos communications avec le Nord et l'Ouest. Je prescrivis de n'en rien faire au commandant du génie qui avait été envoyé à Pontoise pour assurer la destruction des ouvrages d'art, au fur et à mesure de la retraite de nos troupes. On se borna à miner le pont d'Epluches et les ponts de l'Oise aux abords de Pontoise et les troupes du général Ebener devaient, tout au contraire, passer sur la rive droite de l'0ise et défendre efficacement ce cours d'eau contre les forces allemandes signalées sur ses deux rives. J'ajouterai que le Commandant du génie, envoyé par le Grand Quartier Général pour la destruction des ponts, ne semblait pas très fixé sur le rôle qu'il avait à remplir. Je dus moi-même lui donner les indications nécessaires à ce sujet. Il semblait, en un mot, que le Haut Commandement ne faisait nullement sentir son action sur cette partie de l'immense front occupé par nos armées. C'était là le résultat d'une mauvaise organisation du commandement. On aurait dû, dès l'origine. grouper les armées en deux groupes, de manière à éviter le trop grand nombre d'unités à diriger.

 

Le flanc gauche du Camp retranché de Paris étant ainsi assuré, je quittai Pontoise pour me rendre Creil, où m'était signalé le quartier général Maunoury, dont l'armée; conformément aux indications verbales du ministre de la Guerre et téléphoniques du Général commandant en chef, était placée sous mes ordres à compter de ce jour, pour faire partie de la garnison du Camp retranché, et coopérer à la défense de la Capitale. J'ajouterai encore que, sur ma demande, la 45e division algérienne, qui attendait des instructions à la gare des Aubrais; avait été également mise ma disposition et avait commencé à débarquer la veille à la gare de Choisy-le-Roi.

Notre automobile s'engage d'abord sur la rive droite de l'Oise, mais, les uhlans étant signalés de ce côté, nous repassons sur la rive gauche. La plus grande émotion règne dans le pays. Nous rencontrons de nombreuses voitures portant des hommes, surtout des enfants et des femmes, avec des objets mobiliers, matelas, berceaux; des groupes de paysans poussent devant eux quelques bestiaux, tous portent sur le visage les signes de la terreur et du désespoir. On fuit devant l'invasion, devant les colonnes allemandes qui ont donné à la guerre ce caractère d'horreur et de cruauté que la postérité reprochera toujours à nos ennemis.

Je trouve le général Maunoury à son quartier général, à la mairie de Creil. La ville est encombrée et tous les locaux de la mairie sont, comme à Pontoise, envahis par une foule de militaires et d'habitants qui gênent la circulation et nuisent au bon fonctionnement du service d'État-Major.

L'armée du général Maunoury comprenait une division du 7e corps, venue des Vosges, les 55e et 56e divisions de réserve, formant un groupe, sous les ordres du général de Lamaze, ayant opéré précédemment dans la Woevre, plus une brigade marocaine. Tous ces éléments, formant un effectif de 60.000 hommes environ, venaient d'être transportés à la hâte pour se concentrer dans la région de Montdidier et de Saint-Just en-Chaussée. Leurs débarquements étaient à peine commencés que l'arrivée de la cavalerie allemande était venue les troubler. Leur cohésion s'en était ressentie et l'armée ainsi constituée, composée en majeure partie de troupes de réserve insuffisamment encadrées et ayant déjà subi un échec sérieux, était loin de former cette armée de 3 corps actifs que j'avais si énergiquement demandée au Général en chef et au ministre de la Guerre. D'ailleurs, mon intention était déjà de la renforcer par les troupes que je pourrais prélever sur le Camp retranché de Paris.

Quoi qu'il en soit, cette armée, ainsi qu'il résultait des déclarations verbales du Ministre et du Général en chef, confirmées par la lettre officielle du Ministre du 2 septembre et celle du général Joffre du 3 septembre, était placée dès le 31 août sous mes ordres directs, pour être employée par moi au mieux des intérêts de la défense de la Capitale, dont la garde m'était confiée.

Je me fais mettre au courant de la situation par le général Maunoury ; l'armée tient le front Clermont-Verberie; elle est engagée sur ce dernier point avec des forces de cavalerie qui cherchent à couper la route de Paris ; elle se relie à gauche avec le corps de cavalerie Sordet. Je sais, d'autre part, que l'armée anglaise s'est repliée ce même jour sur la ligne Dammartin-Betz avec son quartier général à Lagny et que la 5e armée s'est arrêtée en avant de Laon, sur le front Chauny-Machicourt, séparée de la 6e armée par un intervalle 40 kilomètres environ.

Enfin, notre service de renseignements, qui avait commencé à fonctionner très activement (cavalerie, avions et agents), nous apprenait qu'à cette date du 31 août la première armée allemande, commandée par le général von Kluck, avait dépassé Péronne précédée par sa cavalerie, en avant de Roye.

Je prescris au général Maunoury de se mettre en retraite sur Paris en essayant de ralentir la marche de l'ennemi, mais en évitant de se laisser couper de la capitale, à la garnison de laquelle :son armée appartient désormais.

Je rentre rapidement à Paris, et me rends de suite chez le ministre de la Guerre. Celui-ci m'informe que le Gouvernement a décidé de quitter Paris le 2 septembre, me laissant tous les pouvoirs civils et militaires. Je lui demande s'il ne reste pas au moins un membre du Gouvernement. Je resterai seul, ayant pour collaborateurs le préfet de la Seine et le préfet de police, M. Laurent, qui venait de remplacer M. Hennion, démissionnaire pour raisons de santé. M. Millerand, faisant allusion à M. Clemenceau, dont on craignait l'action contre le Gouvernement et que l'on présumait devoir rester à Paris, me met en garde contre l'influence que cet homme politique pourrait exercer dans Paris investi. Je n'eus pas de peine à rassurer le Ministre sur ce point. Dans tout le cours de ma carrière, je m'étais soigneusement tenu en dehors de la politique. J'étais libre de toute attache, n'ayant jamais eu en vue, dans mes importants commandements coloniaux, que l'intérêt de mon pays et l'accomplissement de la mission dont j'étais chargé. M. Millerand me demandait, en même temps, si je pouvais assurer la sécurité du Gouvernement, lors de son départ, pour le cas où la cavalerie allemande, progressant vers le sud, aurait menacé la ligne ferrée de Paris-Bordeaux. Je répondis au Ministre que toutes les mesures nécessaires seraient prises. Il me confirma encore toute la confiance que le pays et le Gouvernement ont en moi.

De suite après, je me mets en relations téléphoniques avec le général Joffre : il me confirme que nos armées battent en retraite devant les Allemands et que son aile gauche, 5e armée, est menacée d'être débordée par suite de l'inaction des Anglais qui " ne veulent pas marcher ". Je lui rends compte encore une fois de l'état précaire du Camp retranché, qui va être découvert par suite du mouvement de retraite des Anglais. Il me dit qu'il met à ma disposition la 6e armée (4 divisions de réserve, 1 division du 7e corps et une brigade marocaine), plus, sur la demande du Conseil des Ministres, la 45e division algérienne et le 4e corps qui vient de Verdun et commencera à débarquer le 3 septembre dans le sud du Camp retranché. J'insiste encore sur la nécessité de nous donner les forces suffisantes pour couvrir et défendre Paris. Le général Joffre me répond que, très pressé lui-même sur tout son front, il ne peut faire plus.

Vers deux heures, je téléphone au chef d'État-Major de la 6e armée, le général Maunoury étant absent. Je le mets au courant de ma conversation avec le général en chef et lui renouvelle mes recommandations au sujet de la retraite sur Paris, en évitant d'être coupé. Puis, je réunis à nouveau tous mes chefs de service pour les renseigner sur les mouvements de l'ennemi et leur demander à tous, artillerie, génie, intendance, santé, un nouvel effort pour remédier aux lacunes de l'organisation du Camp retranché avant l'arrivée des Allemands. Il faut que nos pièces soient prêtes à tirer demain, après-demain au plus tard. Je donne l'ordre de réquisitionner le nombre de taxi-autos nécessaires pour hâter le transport des munitions dans les batteries. Nos chefs de service, nos officiers et soldats de toutes armes, ont fait preuve, pendant ces jours graves, d'un dévouement et d'une activité au-dessus de tout éloge, secondés par la bonne volonté de tous : agents du service des téléphones, chauffeurs de taxi-autos, etc. Je me rappelle que, le 30 août, les nombreux observatoires, établis pour régler le tir de nos batteries, n'étaient pas reliés par le téléphone. Le 2 septembre, grâce à un travail surhumain de jour et de nuit, les liaisons étaient faites.

Le soir, vers 6 heures, de nouveaux " tauben " vinrent survoler Paris. Leur apparition donna lieu, dans plusieurs quartiers, à une fusillade nourrie, sans résultat d'ailleurs.

En somme; la situation au 1er septembre était donnée exactement par mon ordre du même jour, 18 heures :

L'ennemi avait atteint le 31 août le front Tricot-Ressons-sur-Matz. Sa cavalerie avait passé l'Oise en aval de Noyon ; son infanterie se trouvait, sur cette rivière, entre Noyon et Thourotte.

La 6e armée occupait le front La NeuviIle-en-Hez-Avrigny. Elle tenait Senlis et Pontoise.

L'armée anglaise occupait le front Nanteuil-le-Haudoin-Betz, découvrant la gauche de la 5e armée et le front nord-est du Camp retranché.

Paris forme le point d'appui de gauche des armées françaises se repliant vers le sud.

L'armée de Paris comprend les forces territoriales en garnison; dans le Camp retranché, plus la 6e armée, la 45e division algérienne et le 4e corps qui ne sera en mesure d'agir que le 4 septembre dans la nuit.

Dans sa retraite sur Paris, le général Maunoury à ordre de manœuvrer de manière à couvrir le Camp retranché dans les directions du nord et de l'est, sans laisser entamer ses troupes, nécessaires à la défense ultérieure de Paris.

Il viendra occuper, dans le nord du Camp retranché, la région entre la Marne et la grande route Paris-Senlis. Il exercera le commandement dans cette même région des éléments territoriaux qui s'y trouvent déjà, ainsi que de la brigade de cavalerie Gillet et des 3 groupes de batteries de sortie de la réserve générale.

Le général Mercier-Milon prend le commandement de la région entre la route Paris-Senlis et l'Oise.

Le groupe des deux divisions de réserve du général Ebener doit opérer à l'ouest de l'Oise et s'opposera au débordement de l'ennemi en disputant les passages de la Viosne et le massif de l'Hautie.

Le général Maunoury dirigera le corps de cavalerie Sordet, de manière à couvrir la gauche de l'armée de Paris.

La 45e division est maintenue en réserve générale à ma disposition avec son quartier général à Argenteuil. En même temps, je me mettais en relations avec le maréchal French et son sous-chef d'Etat-Major, le général Wilson, que j'avais connu aux grandes manœuvres d'armée en France, en 1912. Je me mettais à leur disposition et leur demandais de me faire connaître les mouvements de leur armée, afin de combiner autant que possible mes opérations avec les leurs.

Toute la nuit du 1er au 2, nous restons sur pied, et les troupes, dans les régions et secteurs étaient à leurs postes d'alerte ; la 45e division algérienne, ayant débarqué à Choisy-le-Roy et traversé Paris par les boulevards Saint-Michel et Sébastopol, formait réserve entre Pantin et le Raincy ; la brigade de fusiliers marins à Saint-Denis. Cette brigade, à l'origine, avait, été demandée pour faire la police dans Paris et j'avoue que j'étais réellement peiné, moi qui avais pu apprécier, dans mes campagnes coloniales, les solides qualités de ces gars robustes et décidés, de voir errer sur les grandes voies de la capitale les patrouilles de nos fusiliers. Ils avaient vraiment mieux à faire. Aussi, mon premier soin, dès que j'eus pris les fonctions de gouverneur, fut-il de demander que cette brigade, commandée par l'amiral Ronarch', fût organisée en force de campagne et cantonnée dans le Camp retranché, en dehors de la ville. La brigade de fusiliers marins devait s'illustrer sur les bords de l'Yser, où elle fut décimée, mais où elle nous permit de tenir tête aux formidables attaques des Allemands, désireux d'atteindre Calais.

Le 1er, on continuait à travailler partout énergiquement pour la mise en état de défense des ouvrages, de leur approvisionnement en munitions.

Dès la première heure, trois reconnaissances de nos avions - les escadrilles du Camp retranché comprenaient à ce moment neuf appareils seulement, les armées du front ayant accaparé tous les autres - étaient lancées dans la vallée de l'Oise, en amont de Pontoise, sur la route de Paris à Senlis, et vers Meaux dans la vallée de l'Ourcq, avec mission de déterminer la direction et la force des colonnes allemandes. En même temps, notre cavalerie était poussée au delà des limites du Camp retranché sur le front Nord, ainsi que vers le Nord-Ouest et le Nord-Est.

En somme, de tous les renseignements recueillis, il résultait, à 15 heures, la situation suivante : la première armée allemande; composée de 5 corps d'armée, avait atteint Soissons, la lisière sud de la forêt de Compiègne et Saint-Just-en-Chaussée. Elle marchait vers Paris. Une nombreuse cavalerie couvrait les régions au nord et au nord-est de Paris. Vers l'Oise, peu de monde. La 6e armée, dans sa retraite, avait détruit les ponts de Pont-Sainte-Maxence et Verberie.

Notre 6e armée accomplissait une marche forcée pour atteindre avant le soir le front qui lui avait été assigné au nord de Paris. L'armée anglaise s'était repliée sur le front Dammartin-Lizy-sur-Ourcq, sa gauche entrant dans le Camp retranché jusque dans les cantonnements de la 92e division territoriale tandis que la 5e armée occupait le front depuis Fère-en-Tardenois jusque vers Reims, laissant entre elle et les Anglais un trou de 8 kilomètres environ.

L'armée allemande devait donc être sous Paris avant deux jours ; je prends toutes mes dispositions pour livrer bataille sur le front Nord, depuis Pontoise jusque vers l'Ourcq.

Le général Maunoury est à mon quartier général à 11 heures. Nous prenons ensemble toutes les dispositions nécessaires pour qu'il puisse atteindre, dans la nuit du 2, le front qui lui a été assigné, en évitant de se laisser couper de Paris.

J'envoie deux de mes officiers au maréchal French , dont le quartier général est à Lagny, pour bien le mettre au courant des dispositions prises et lui demander des renseignements sur ses intentions.

Je me rends à 11 h. 1/2 chez le ministre de la Guerre. II me dit que le Gouvernement, partant cette nuit, prépare une proclamation à la population parisienne qui sera affichée demain à la première heure, et ajoute qu'il sera utile que j'en fasse une également. Il me demande de lui communiquer le texte de ce document dans l'après-midi ; il termine en me manifestant le désir de me voir encore dans la soirée, pour me faire ses adieux.

Mes officiers rentrent du quartier général anglais où ils ont été très bien reçus. Ils ont trouvé les troupes anglaises qu'ils ont ;rencontrées en bon état. Le maréchal French a eu un succès hier sur la cavalerie allemande et se prépare à se retirer au sud de la Marne, où il espère pouvoir tenir quelque temps.

Dans l'après-midi, je m'occupe des mesures à prendre pour renforcer la police. Le préfet de police n'est pas partisan d'agents de bonne volonté, recrutés dans Paris et la banlieue.

Un nouvel avion allemand parait sur Paris. On tire dessus sans le toucher. Il s'enfuit devant l'apparition de deux de nos avions. Je dois dire que la population montre un grand calme devant les entreprises des aviateurs ennemis. Les rues et places sont remplies de curieux, les yeux en l'air. On est cependant un peu humilié de ces visites.

Je retourne à 7 heures au ministère de la Guerre. L'hôtel est triste, obscur, désert. La cour est pleine d'énormes voitures de déménagement qui transportent à la gare les archives destinées à être emportées à Bordeaux. Ce déménagement, dans les circonstances actuelles, est lugubre. Les escaliers ne sont pas éclairés. Un huissier m'introduit chez M. Millerand, seul dans son bureau complètement vide. Il trouve ma proclamation bien et me fait ses adieux en me serrant la main. Il me dit encore toute la confiance que le Gouvernement a en moi. Je ne puis m'empêcher, en le quittant, d'insister encore sur la situation précaire dans laquelle se trouve le Camp retranché et sur la nécessité, si la liberté des communications le permet, d'augmenter par tous les moyens possibles les troupes de défense.

Pour la première fois, je couche au lycée Victor-Duruy, vaste bâtiment où j'installe mon quartier général avec mes nombreux bureaux. Les Invalides étaient trop exigus pour l'importance qu'avaient pris tous mes services depuis le premier jour de la mobilisation. De plus, ils possédaient, un trop grand nombre d'issues, qu'il était impossible de surveiller et de garder. Je n'oublierai jamais les jours passés aux invalides du 26 août au 2 septembre, alors que le bruit se répandait dans Paris que l'ennemi approchait et que la Capitale allait être investie. On venait aux renseignements, on voulait des laissez-passer, des autorisations de franchir les portes en automobile. Nos bureaux étaient assiégés par une foule inquiète et impatiente et, cependant, nous avions à nous préoccuper de la situation militaire, de plus en plus menaçante. Enfin, aux Invalides on vivait toujours avec, les souvenirs du temps de paix et je voulais que l'armée de Paris fût organisée comme une armée de campagne, avec son quartier général, ses bureaux d'état-major et ses différents services, toujours prêts à marcher et a se transporter là où la nécessité l'exigeait.

C'est d'après ces principes que je fis installer mon quartier général au lycée Victor-Duruy, situé à peu de distance des Invalides. Le commandant du quartier général plaça immédiatement des postes et des sentinelles à toutes les issues, qu'il était interdit de franchir sans une autorisation spéciale. Les divers bureaux de l'État-Major s'établirent dans les salles de classes des 1er et 2e étages, complètement isolés du public et reliés aussitôt par les fils téléphoniques à tous les quartiers généraux des troupes du Camp retranché et même de nos armées du front. Nos officiers étaient tenus de loger au quartier général dans les chambres des étages supérieurs. Ils mangeaient par bordées, dans des popotes organisées comme en campagne. Enfin, les automobiles nécessaires étaient constamment tenues prêtes à partir emportant nos officiers de liaison vers les points où les appelait leur service. Deux grands garages, situés dans les environs, renfermaient les voitures de renfort et de rechange, ainsi que les ateliers pour les réparations.

J'avoue que j'éprouvai un grand soulagement quand je vis, à partir du 2 septembre soir, mon État-Major et mes services installés ainsi comme en guerre et prêts â être transportés partout où ils seraient utiles.

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