LE POINT DE VUE DU GENERAL BAUMGARTEN-CRUSIUS

III - APRES LA BATAILLE - 7ème Partie - LA RETRAITE

III - APRÈS LA BATAILLE.

La retraite.

LA 1re ARMÉE.

L'exécution de la retraite fut difficile. L'armée avait été jetée brusquement du sud vers l'ouest et elle avait passé cinq jours à marcher et à lutter après avoir exécuté une marche forcée ininterrompue de trois semaines jusqu'à Paris. Les unités étaient complètement mélangées. Le repli en bon ordre des groupements de combat et le mouvement des parcs et convois dans la nouvelle direction du nord furent des performances brillantes tant au point de vue de l'organisation que de l'exécution.

Le groupement de choc von Quast suspendit son offensive, puis, couvert face à l'ouest, à l'ouest de la ligne Antilly - Attichy, par la 43e brigade de réserve, il se replia tout d'abord jusqu'au nord-est de Crépy. Dans la soirée, ses arrière-gardes tenaient encore les éléments boisés situés au sud et à l'est de Crépy. L'ennemi, totalement épuisé, ne le suivit pas du tout au début : par la suite, il ne le fit qu'avec hésitation, dans la crainte de surprises désagréables.

Le groupement central (Sixt von Armin) se porta d'Antilly sur Attichy-sur-Aisne avec son aile droite et de la Ferté-Milon sur Ambleny avec son aile gauche, cette route exclue. Il se décrocha, lui aussi, sans difficulté de même que le groupement de gauche (von Linsingen), qui était le plus menacé. Celui-ci se replia tout d'abord, à l'est de l'Ourcq inférieur, jusqu'à hauteur de la Ferté-Milon et s'arrêta sur l'Ourcq supérieur. Le gros des trois groupements de combat de la 1re armée se trouvait donc, dans la nuit du 9 au 10, approximativement sur la ligne Crépy - La Ferté-Milon - cours supérieur de l'Ourcq.

Parcs et convois refluèrent vers l'Aisne. La 4e D. C. fut envoyée à l'avance sur cette rivière pour veiller à ce que ses ponts demeurent libres et pour maintenir l'ordre derrière le front, mesure qui fit brillamment ses preuves.

Le groupement von der Marwitz (2e et 9e D. C., 5e D. I. et brigade Kraewel) couvrit le repli de la 1re armée face aux Anglais, qui ne la talonnèrent pas. Ce ne fut qu'après la tombée de la nuit que la brigade Kraewel quitta Montreuil, complètement intacte. Seules, les pièces démolies d'une batterie du 45e d'artillerie de campagne ne purent pas être emmenées.

Le lendemain, la 1re armée avait disparu aux yeux de l'ennemi dans la grande zone boisée de Villers-Cotterêts. Ses arrière-gardes la couvrirent, le 10 septembre, depuis Verberie jusqu'à l'Ourcq supérieur, par Villers-Cotterêts ; le 11 septembre depuis Compiègne jusqu'à Soissons, en demeurant encore au sud de l'Aisne. Seul, le groupement von der Marwitz, dont les mouvements furent retardés par des parcs et convois, dut livrer des combats d'arrière-gardes avec une puissante cavalerie ennemie. Deux bataillons de chasseurs du 2e C. C., qui trouvèrent sur l'Ourcq les routes embouteillées par des convois et qui voulurent se dérober par le sud, subirent, en cette occurrence, des pertes douloureuses.

Le 10 septembre, les Anglais n'avancèrent avec un peu plus de décision qu'à leur aile droite, où ils étaient en liaison avec la 5e armée française. Là, ils atteignirent Fère-en-Tardenois. Des cavaliers et cyclistes ennemis, qui avaient poussé jusqu'à Hartennes, furent refoulés dans la soirée par la 5e D. I. La route Hartennes - Soissons ne fut toujours pas menacée par les Anglais.

Sur le reste du front, ceux-ci ne poussèrent, avec prudence, que jusqu'à la ligne Neuilly - La Ferté-Milon, ligne des arrière-gardes allemandes du 9 septembre. Les Anglais n'exécutèrent donc pas de poursuite débordante.

Les avant-gardes de Maunoury poursuivirent encore avec plus de précaution et de fatigue en direction de Crépy. Là, on n'essaya même pas d'exécuter un débordement par la gauche, alors que les milliers d'automobiles de Paris et le riche réseau ferré incitaient à cette manœuvre. L'armée Maunoury était battue et incapable de prendre l'offensive pour le moment.

Le 10 septembre de bonne heure, l'état-major de la 1re armée reçut le radio suivant, adressé (à 2 h. 36 du matin) par le G. Q. G. aux 1re et 2e armées :

La 2e armée s'est repliée derrière la Marne, aile droite à Dormans. La 1re armée s'échelonnera en arrière et se tiendra prête à agir. Enveloppement de l'aile droite de la 2e armée est à empêcher par attaque.

Signé : MOLTKE.

Trois nouveaux radios du G. Q. G. suivirent le 10 septembre, le premier, à 8 h. 58 du matin, à l'adresse de la 1re armée : Lutte favorable sur toute la ligne. Protection du flanc droit de la 2e armée par

intervention de la 1re armée absolument indispensable.

Signé : MOLTKE. Puis à 3 h. 53 de l'après-midi, à la 1re armée :

Quelle est la situation à la 1re armée ? Quelles forces lui sont opposées ? Signé : MOLTKE.

Il semble, d'après cela, que le compte rendu détaillé adressé le 9 au soir, de la Ferté-Milon, par la 1re armée, sur le succès qu'elle avait remporté sur l'Ourcq, son décrochage de l'ennemi et son repli vers l'Aisne inférieure pour protéger le flanc de l'armée allemande de l'Ouest, ne soit pas parvenu au G. Q. G.

En tout cas, après ce qui s'était passé, le troisième radio du G. Q. G. éveilla les sentiments les plus douloureux à l'état-major de la 1re armée et dans toute la 1re armée, qui, avec raison, était si fière de ses exploits surhumains :

Sa Majesté ordonne :

La 1re armée sera subordonnée jusqu'à nouvel ordre au commandant en chef de la 2e armée.

Ces sentiments ont dû se transformer en une profonde indignation quand, peu après, l'état-major de la 1re armée reçut de la 2e armée le radio suivant, parti à 3 h. 53 :

Quand la 1re armée sera-t-elle prête à une nouvelle offensive ?

Avoir été arraché, un jour à peine auparavant, à une offensive victorieuse, et entendre maintenant, en pleine crise provoquée par une retraite imposée, semblable prétention !

La 1re armée répondit en rendant compte, encore le 10 septembre " qu'elle passerait sur la rive nord de l'Aisne au cours de la nuit suivante, aile est à Condé. "

Bien que le gros de ses forces fût fortement mélangé et épuisé après cinq jours de lutte et une retraite ordonnée, elle laissa entrevoir qu'elle serait prête à reprendre l'offensive, le 12 septembre.

Le 11 septembre, les parcs et convois passèrent l'Aisne dans un ordre complet. Les arrière-gardes et détachements de protection des flancs ne prirent contact avec les avant-gardes ennemies que dans la soirée. L'ennemi se contenta partout de faire tirer son artillerie. .

Le 11 au matin, la 2e armée donna l'ordre suivant :

" Le 12 septembre, la 2e armée gagnera la coupure de la Vesle, de part et d'autre de Reims. La 1re armée se repliera encore au cours de la journée du 11, derrière l'Aisne, et s'étendra, les 12 et 13, sous la protection de la coupure de l'Aisne, jusqu'à hauteur de l'aile droite de la 2e armée. La coupure de la Vesle à Braisne et à Fismes sera barrée, en chacun de ces points, à partir du 11 au matin, par une brigade mixte de la 2e armée. "

Une communication ultérieure indiqua que c'étaient la 13e D.I. et le 1er C. C. de la 2e armée qui se trouvaient en ces points. Parmi les éléments de la nouvelle 7e armée qui étaient en marche vers le champ de bataille, le XVe corps rendit compte de son arrivée à Saint-Quentin et fit savoir que ses derniers éléments combattants pouvaient être attendus pour le 13 septembre.

Les anciennes unités tactiques de la 1re armée se trouvèrent reconstituées, le 12 septembre au matin, au nord de l'Aisne . " En trois grands bonds accomplis en l'espace de trois jours, du 9 au 12 septembre, la 1re armée avait repris le contact tactique de la 2e armée, tout en se décrochant de l'ennemi, regroupant ses unités et glissant vers le nord-est. La brèche entre les deux armées était comblée tant bien que mal. " (Kluck, page 136.)

LA 2e ARMÉE

 

L'état-major de la 2e armée se rendit, le 9 septembre, de Montmort à Epernay. Le colonel-général von Bülow a écrit ce qui suit dans son rapport au sujet de la retraite de la 2e armée :

" Le décrochage se fit sans aucune difficulté ; les troupes retirées les premières atteignirent la ligne approximative Mareuil-en-Brie - Vertus ; tous les parcs et convois traversèrent encore la Marne le 9 septembre. Le centre et l'aile gauche ne furent nullement poursuivis par l'ennemi, qui ne retrouva le contact perdu qu'au cours de la journée du 10. Seule, la 13e D. I. fut pressée par lui, mais sans succès. Le mouvement fut également continué le 10 septembre, sans être gêné par l'ennemi.

" Les têtes de colonne atteignirent ce jour-là : " Xe C. R. : Pourcy, par Damery ;

" Xe C. A. . Sermiers, par l'ouest d'Epernay ; " 14e D. I. . Germaine, par l'est d'Epernay ;

" Garde : la région nord-est d'Avenay par Ay, pendant que les arrière-gardes de la 2e armée tenaient, au sud de la Marne, la ligne Dormans - Avize - Flavigny.

" Le VIIe C. A. (moins la 14e D. I.) reçut l'ordre de couvrir, au nord de la Marne, le flanc droit de l'armée pendant qu'elle passerait la rivière. Les passages de la Marne, de Port-à-Binson inclus à Jaulgonne inclus, devaient être tenus. Tous les bagages, parcs et convois furent encore poussés, le 10 septembre, derrière la Vesle. L'état-major de la 2e armée demeura, ce jour-là, à Epernay et rendit compte encore une fois au G. Q. G. de ce qu'il lui avait déjà signalé dans le compte rendu du 9 :

" D'accord avec Hentsch (représentant du G. Q. G.) la situation est jugée ici comme suit :

" Retraite de la 1re armée derrière l'Aisne, imposée par situation stratégique et tactique. 2e armée doit appuyer 1re armée au nord de la Marne, sinon aile droite de l'armée allemande sera comprimée et enroulée ; 2e armée atteindra aujourd'hui la ligne Dormans - Avize avec fortes arrière-gardes au sud de la Marne. 3e armée est en liaison avec la 2e près d'Avize. "

" Le 10 septembre à 1 h. 15 du soir, l'état-major de la 2e armée qui avait été reporté à Reims ce jour-là, reçut l'ordre suivant du G. Q. G. .

1re armée sera subordonnée jusqu'à nouvel ordre au commandant en chef de la 2e armée !

A 5 h. 45, suivit un nouvel ordre :

2e armée se repliera derrière La Vesle, aile gauche a Thuizy. 1re armée recevra instructions de la 2e. 3e armée, restant en contact avec la 2e, tiendra la ligne Mourmelon-le-Petit - Francheville (sud de Châlons-sur-Marne). ,

4e armée, en liaison avec la 3e, tiendra au nord du canal de la Marne au Rhin jusqu'à Revigny.

5e armée demeurera dans positions conquises. Ve C. A. et réserve générale de Metz sont engagés pour attaquer les forts de Troyon, des Paroches et du camp des Romains.

Les positions atteintes par les armées seront organisées et défendues.

Les premiers éléments de la 7e armée - XVe C. A. et VIIe C. R. - atteindront, vers le 12 septembre midi, la région Saint-Quentin - Sissy.

En conséquence, le radio suivant fut encore envoyé, le 10 au soir, à la 1 re armée :

La 2e armée gagnera, le 12, la coupure de la Vesle, de part et d'autre de Reims. La 1re armée se repliera encore le 11 derrière l'Aisne et s'étendra, sous la protection de la coupure de l'Aisne, jusqu'à hauteur de l'aile droite de la 2e armée. Les passages de la Vesle à Braine et Fismes seront tenus chacun par une brigade mixte de la 2e armée, à partir du 11 au matin.

" Le 10 septembre, vers le soir, des aviateurs observèrent une longue colonne ennemie sur la route Champaubert - Bergères, marchant par conséquent dans la direction de l'Est.

" Cette observation ayant été confirmée le 11 au matin et les reconnaissances aériennes ayant déclaré avoir vu également d'autres colonnes en marche droit vers l'est, il en fut rendu compte immédiatement au G. Q. G. en émettant l'hypothèse que les Français cherchaient désormais à percer sur le front de la 3e armée. Cette impression parut également se confirmer au G. Q. G. dans le courant du 11 septembre. Dans l'après-midi du même jour, le chef d'état-major général de l'armée de campagne arriva à Reims au Q. G. de la 2e armée, d'où l'ordre suivant fut envoyé à 5 heures du soir au nom du G. Q. G. .

Des renseignements de source sûre permettent de conclure que l'ennemi a l'intention d'attaquer avec des forces très puissantes l'aile gauche de la 2e armée et la 3e armée :

Sa Majesté ordonne, en conséquence : Les fronts suivants seront atteints :

3e armée : Thuizy (exclu) - Suippes (exclu) ;

4e armée : Suippes (inclus) - Sainte-Menehould (exclu) ; 5e armée : Sainte-Menehould (inclus) et à l'Est.

Les fronts atteints seront organisés et tenus. Au cours de leur repli, les armées garderont contact entre elles.

Signé : de Moltke.

" J'avais l'intention d'accorder, le 11 septembre, un repos complet à mes troupes fortement épuisées. Mais l'ennemi s'efforçant toujours manifestement de tourner l'aile droite de la 2e armée, je fis replier, le 11 septembre dès le lever du jour, ses arrière-gardes derrière la Marne, et ses gros à l'est de la ligne Jonchery - Treslon - Bligny - Pourcy - Avenay - Tours.

" Après avoir détruit les ponts de la Marne, les arrière-gardes devaient encore tenir la rive nord de la rivière.

" Les parcs et convois furent ramenés derrière la Suippe.

" Le VIIe corps (moins la 14e D. I.) (Ainsi donc, la seule 13e D. I. qui ne comptait que six bataillons ! (L'auteur).) avait été désigné pour recueillir la 1re armée. Il devait occuper, le 11 septembre dès la première heure, la coupure de la Vesle à Fismes et s'opposer à toute tentative de passage de l'ennemi en ce point. La brigade d'infanterie renforcée de la 13e D. I., qui, depuis la chute de Maubeuge, était en marche vers le champ de bataille par Laon, devait occuper la Vesle à Braine avec la même mission. Le 1er C. C. fut mis au courant de la situation générale et invité à couvrir la 2e armée sur son flanc et sur ses derrières pendant son mouvement. La reconnaissance détaillée de la position à occuper sur la Vesle fut commencée. Devant le front de l'armée, l'ennemi atteignit, le 11 septembre, la ligne Fère-en-Tardenois - Venteuil - Epernay - Mareuil (près d'Ay).

" On reçut du G. Q. G. le renseignement suivant :

" Sa Majesté a ordonné que la 7e armée, aux ordres du colonel-général von Heeringen, serait tout d'abord subordonnée au commandant en chef de la 2e armée. "

" Je prescrivis, pour la journée` du 12 septembre, d'occuper la position qui avait été reconnue en donnant l'ordre suivant :

" Le VIIe C. A. (moins la 14e D. I.) occupera avec une brigade renforcée les hauteurs de Châlons-sur-Vesle et avec son autre brigade [arrivée entre temps de Maubeuge (L'auteur) ], les hauteurs de Prouilly : toutes deux tiendront en même temps les passages de la Vesle correspondant à leur secteur. "

"Ce décalage ne devait toutefois avoir lieu que quand la 25e brigade de Landwehr, désignée pour occuper les passages de la Vesle, à l'ouest de Breuil, serait arrivée à Fismes et serait passée sous les ordres du VIIe corps.

" Le Xe C. R. occupera, en avant de Reims, la rive sud de la Vesle de Thillois (inclus) à Cormontreuil (inclus).

" Le Xe C. A. s'établira sur la rive nord de la Vesle, de Cormontreuil (exclu) à Prunay (inclus).

" La Garde (moins la 1re D. G.) s'établira de Prunay exclu au sud-ouest de Prosnes où elle se reliera à la 3e armée. "

" Les unités suivantes furent mises à la disposition du commandant de l'armée :

14e D. I., à l'est de Cernay;

1re D. G., au sud-ouest de Beine.

" Le P. C. du commandant de l'armée fut établi à Cernay-les-Reims ; le Q. G. à Warmeriville.

" La 5e D. C. du 1er C. C. fut mise en marche vers la 3e armée [ cette mesure avait déjà été ordonnée par le G. Q. G. avant la bataille de la Marne, mais elle ne fut pas exécutée, même à ce moment-là, contrairement à ce que dit le rapport du général von Bülow (BAUMGARTEN-CRUSIUS) ].

" La 1re armée fut mise au courant de la situation et invitée encore une fois, à reprendre contact avec l'aile droite de la 2e armée.

" Mais ce contact ne put plus être obtenu. " Tels sont les termes du rapport du général Bülow.

D'après le récit français, l'aile gauche de la 5e armée française (18e corps) entra encore le 9 septembre à Château-Thierry ; à sa gauche, le corps de cavalerie français était sur les deux rives de la Marne, en contact avec les Anglais et engagé avec la 5e D. C. du 1er C. C. Le 3e corps français s'avança jusqu'à Condé ; le corps de réserve, qui marchait derrière lui, poussa jusqu'à Artonges. Le 1er corps, qui opérait dans la région est de Vauchamps, fut décalé vers la droite, pour aider le 10e corps à combattre le Xe corps prussien, qui résistait opiniâtrement, et à s'avancer sur Champaubert. Le contact des Allemands fut ensuite perdu au cours de la nuit du 10 septembre. Les données françaises confirment donc, elles aussi, que la retraite de la 2e armée n'a pas été provoquée par l'ennemi.

L'ensemble des opinions du commandement de la 2e armée et la façon dont il dirigea la retraite sont marqués tous deux de la même malheureuse étoile. Rien de décisif ne fut fait pour couvrir le flanc droit, qui avait cependant provoqué la décision de battre en retraite, en raison du danger qui le menaçait. Et pourtant, il aurait fallu qu'une main énergique prît la direction des opérations dans cette région. Le commandant du VIIe corps aurait dû seul être chargé d'assurer la protection du flanc droit, et on aurait dû, pour cela, lui subordonner le 1er .C. C. et lui rendre sa 14e D. I. Les renforts en marche vers le champ de bataille - 26e brigade d'infanterie et 25e brigade de landwehr - auraient dû également lui être subordonnés. L'ennemi ne fit rien pour rendre plus difficile la mission de ce détachement de flanc.

La 5e D. C. qui avait été refoulée, le 8 septembre, au delà de la Marne, put défiler immédiatement au nord de Château-Thierry sans être gênée. Mais le 1er C. C. ne parvint pas à reprendre contact avec la 1re armée. De même, les différents groupements défensifs installés sur la Vesle furent loin d'obtenir le résultat qu'on aurait pu avoir s'ils avaient été dirigés d'une main ferme. Ils glissèrent de plus en plus vers l'arrière : la brèche ne fut toujours pas comblée. La 1re armée dut alors réparer cette faute en roquant vers la gauche. Le seul renseignement apporté par la découverte de la 2e armée depuis la rupture de la bataille fut un renseignement d'aviation du 10 au soir, disant que deux corps d'armée ennemis étaient en marche vers l'est contre la 3e armée. Ce renseignement donna à croire au commandement de la 2e armée que l'ennemi avait l'intention de percer entre les 2e et 3e armées. Ceci l'amena à ordonner la continuation de la retraite de la 2e armée et à masser cette armée sur sa gauche, ce qui ne fit qu'accroître la brèche qui la séparait, à droite, de la 1re armée. On a l'impression que, depuis le début de la retraite, le commandement de la 2e armée n'était pas nettement fixé sur le but de ce mouvement de repli et sur la ligne où il fallait absolument faire front à nouveau, autrement, il n'aurait pas modifié si souvent l'un et l'autre. Il détruisit ainsi lui-même la confiance que la troupe avait en la victoire, ce joyau précieux qui lui avait permis jusqu'alors d'accomplir des exploits surhumains. Cela se manifesta d'une façon effrayante sur la Vesle.

Pourquoi la 2e armée n'a-t-elle pas fait front à nouveau sur la Marne ? Les deux corps de gauche (Xe corps et Garde)auraient pu, sans aucun doute, tenir pendant plusieurs jours et même contre des forces très supérieures, la partie du cours de cette rivière comprise entre Dormans et Tours, et longue de 40 kilomètres à peine. Le commandement de la 2e armée aurait encore eu ainsi à sa disposition deux corps d'armée (IIIe C. A. et Xe C. R.) et le 1er C. C., pour former un échelon défensif entre Dormans et Fère-en-Tardenois, échelon qui, de concert avec la 1re armée (établie sur l'Aisne de part et d'autre de Soissons), aurait pu certainement tenir l'ennemi en échec jusqu'à ce que la 7e armée (XVe C. A. et VIIe C R.) fût arrivée. Celle-ci ayant atteint, d'après les déclarations du G. Q. G., la région de Saint-Quentin et la région à l'est le 12 septembre à midi, aurait pu intervenir le 15 septembre au sud de l'Aisne.

Au lieu de cela, le G. Q. G., méconnaissant la situation réelle, choisit comme ligne de défense pour la 2e armée la ligne de la Vesle. De Braine à Thuizy, celle-ci comptait plus de 65 kilomètres ; elle était donc beaucoup plus difficile à tenir que la ligne de la Marne Dormans - Tours, qui n'avait que 40 kilomètres.

Si l'aile droite allemande avait fait front sur la Marne (2e armée) avec un flanc défensif sur l'Aisne inférieure (1re armée), la victoire n'aurait pas été de longtemps abandonnée à l'ennemi. Les Français et les Anglais ont mis des journées avant d'apprendre à croire à leur propre victoire. Nous verrons plus tard, lors de l'examen des événements qui se sont passés aux 3e et 4e armées allemandes, qu'en faisant front sur la Marne, la 2e armée aurait permis à ces armées de prendre l'ennemi en flanc, et de faire tomber ainsi son front progressivement s'il avait cherché à franchir la Marne à l'ouest de Châlons.

Ainsi donc, les décisions prises par la 2e armée et par le G. Q. G. au cours des deux journées qui suivirent la décision de battre en retraite sont encore plus incompréhensibles que l'ordre de retraite lui-même.

Pourquoi la place de Reims, avec ses grands approvisionnements et ses vastes organisations militaires, fut-elle abandonnée sans combat à l'ennemi ?

Les questions s'enchaînent les unes aux autres. On se trouve en face d'une énigme.

Finalement, le résultat de l'entretien personnel de Moltke et de Bülow, le 11 septembre, fut de faire replier la 2e armée au nord-est de Reims. Cette mesure était basée sur l'hypothèse erronée que l'ennemi voulait percer le front de la 3e armée, bien que la poussée qu'il exerçait entre les 1re et 2e armées fût déjà nettement visible, le 11 septembre. Bülow le dit lui-même dans son rapport.

Dans ces conditions, il m'est totalement impossible de comprendre pourquoi la 2e armée, qui s'était cependant décrochée de l'ennemi sans être gênée, et qui, d'après Bülow lui-même, était demeurée entièrement maîtresse de choisir sa direction de marche, pourquoi cette armée ne s'est pas repliée dans sa zone de marche, c'est-à-dire vers le nord. Surestimant le danger qui menaçait le flanc de cette armée, le G. Q. G. intervint et la décala toujours davantage dans la zone de marche de sa voisine de gauche, la 3e armée, alors que la 2e armée poussait déjà d'elle-même dans la direction du Nord-Est. Il en résulta - conséquence facile à prévoir - que les 3e, 4e et 5e armées furent finalement comprimées dans l'étroit espace compris entre le massif montagneux situé au nord de Prosnes et la Meuse en aval de Verdun et que, faute de place, il fallut retirer un corps d'armée du front de chacune de ces armées. On renonça ainsi aux armées parfaitement agencées, une des conditions les plus essentielles de la continuation de la guerre de mouvement : or, cette guerre était cependant pour nous la garantie la plus sûre de la victoire finale, étant donné le dressage du temps de paix du corps d'officiers allemand.

La seconde conséquence malheureuse et immédiate du décalage de la 2e armée vers le nord-est fut d'agrandir la brèche qui existait entre les 1re et 2e armées. Et cependant, la 2e armée avait basé sa décision de battre en retraite sur la nécessité de combler cette brèche ! Naturellement, dès que la 1re armée eût été placée sous ses ordres, le 10 septembre, le colonel-général von Bülow lui demanda de se rapprocher de lui en conversant à gauche derrière l'Aisne, invitation difficile à satisfaire pour la 1re armée, attendu qu'elle avait à peine fini de se remettre en ordre et qu'elle avait en face d'elle un ennemi qui l'accrochait sur tout son front. Cette nouvelle subordination de la 1re armée au commandant en chef de l'armée voisine est déconcertante quand on songe aux événements qui venaient précisément de se passer. J'ai l'impression que Moltke a jeté le manche après la cognée, en tant que chef d'état-major général de l'armée de campagne, quand, en une heure critique, il a confié le commandement des 1re, 2e et 7e armées au colonel-général von Bülow.

Or, quand il s'est décidé enfin, le 11 septembre, à se mettre en route pour le front avec le chef de sa section des opérations, cela aurait dû être dans l'intention de réparer personnellement ce qui avait été négligé et perdu par manque de fermeté de direction.

Le général von Stein, qui était alors quartier-maître général, a signalé, à propos de ma Bataille de la Marne, la valeur exagérée que le chef d'état-major général attribuait au colonel-général von Bülow : " Je sais que l'avis du général von Bülow avait une grande influence sur Moltke. Il y fit allusion lors d'un rapport à l'empereur, auquel j'ai assisté. " Le général von Stein a encore écrit à ce sujet ( Tradition du 9 août 1919) : " Longtemps après la bataille, le général von Lauenstein, qui était alors chef d'état-major de la 2e armée et qui est mort depuis, est venu me voir pour me parler des événements qui s'étaient passés à cette époque. Il conclut notre entretien en ces termes : " Je suis persuadé que le peuple allemand sera un jour reconnaissant au général von Bülow d'avoir déclenché la retraite. " Je ne peux pas m'élever jusqu'à avoir un semblable sentiment de reconnaissance, mais j'éprouve une profonde pitié envers ces hommes malheureux, qui, après une vie remplie d'une brillante activité professionnelle, ont été appelés, par un destin contraire, à une mission qu'ils n'étaient pas ou n'étaient plus capables de remplir.

LA 3e ARMÉE

 

D'après le rapport français sur la bataille de la Marne, la situation de l'aile droite de la 9e armée française, aile opposée au groupement von Kirchbach, était " peu réjouissante ", le 9 septembre.

Sur la plus grande partie du front, le combat continuait avec un acharnement extrême. Au centre et à l'aile droite, les 9e et 11e C.A. français étaient pressés violemment par la Garde prussienne, le XIIe corps et le XIIe C. R. Une partie du front cédait surtout à l'aile droite. Le front de combat était jalonné par les villages de Salon à droite, Connantre à gauche.

Mais la résolution de Foch demeurait inébranlable. Il envoya à Joffre le compte rendu suivant : " Mon centre plie ; mon aile droite cède. Situation brillante. J'attaquerai demain."

En France, l'Académie l'honore pour ce geste. Chez nous, on aurait appelé le médecin.

Pour ce qui est du détail, la situation était la suivante à la 9e armée française, le 9 septembre.

Le 10e C. A. de la 5e armée releva de grand matin à l'aile gauche de la 9e armée, dans la région de Saint-Prix, la 42e D. I. qui était totalement usée. Foch rameuta celle-ci en réserve sur Linthes - Pleurs.

La division marocaine, dans la région de Mondement, et le 9e C. A., qui se trouvait en liaison avec elle sur la ligne approximative forêt à l'est d'Allemant - lisière nord-est de Connantre, résistaient, en un suprême effort, à la Garde et à la 14e D. I. Finalement, ils furent rejetés aussi de cette ligne.

Le 11 e C. A., ayant avec lui la 52e D. R., était en liaison avec les unités précédentes et s'étendait jusqu'aux parcelles boisées au sud de Gourgançon, sa moitié droite derrière le ruisseau de Maurienne ; il était incapable d'offrir plus longtemps une sérieuse résistance.

L'aile droite était constituée par la 60e D. R., qui, accablée et épuisée, se trouvait sensiblement à mi-chemin de Salon-Semoine, au contact de la 9e D. C. à Herbisse.

Le 11e C. A., après s'être replié jusqu'à Salon, devant l'assaut des Saxons, avait été reporté en avant, jusque dans les boqueteaux au sud du ruisseau de Maurienne, par la 18e D. I., jusqu'alors réserve de Foch et arrivée de Lorraine depuis le 7 septembre.

A 4 heures du soir, Foch voulut engager sa dernière réserve, la 42e D. I. Elle devait percer par Connantre sur Fère-Champenoise. Mais son intervention n'eut pas lieu, tout comme d'ailleurs celle de la 18e D. I. au sud de Gourgançon.

La situation des Français devant la 23e D. I. et le XIXe C. A. était un peu moins défavorable, le 9 septembre.

Tout le 21e C. A. français intervint, ce jour-là, au sud de Sompuis. Sa 13e D. I. marcha tout d'abord sur Pimbraux-Ferme. Sa 43e D. I. devait intervenir plus à l'est ; mais l'avance de la 23e D. R. saxonne en direction du sud et de Trouan par Mailly, jointe à un renseignement d'aviation signalant un rassemblement de forces importantes à Coole - Maisons-de-Champagne (trains de combat avant leur renvoi vers l'arrière, postes de secours, etc...) firent arrêter son mouvement, et elle ne réussit plus à intervenir.

Le général Joffre ayant ordonné au commandant en chef de la 4e armée française de pousser à son aile gauche avec toutes ses forces disponibles, le général Langle de Cary rameuta en conséquence, le 9 septembre au soir, une division du corps colonial et une division du 2e C. A. sur la rive ouest de la Marne. Il y avait donc à ce moment-là, en face des trois divisions saxonnes et de la division voisine du VIIIe C. A., six à sept divisions françaises.

La 13e D. I. attaqua en direction de Pimbraux-Ferme et refoula peu à peu, en rencontrant une violente résistance, le 108e d'infanterie et le 11e bataillon de chasseurs dans les boqueteaux touffus de cette région, où les Allemands furent privés de tout appui d'artillerie.

Mais, bien que, plus à gauche, dans le cadre de la 9e armée la dernière réserve du général Foch, la 42e D. I., s'avançât, elle aussi le 9 septembre, dans la soirée, de Linthes sur Fère-Champenoise, la contre-attaque française sur Sompuis ne continua pas à progresser, car " une colonne ennemie avait été signalée en marche de Mailly sur Trouan et de forts rassemblements allemands avaient été reconnus à Coole et Maisons-de-Champagne. " Il n'est pas douteux qu'à l'aile orientale de la 3e armée, les deux adversaires étaient en équilibre tactique, le 9 septembre à la fin de la bataille.

La façon dont les troupes de la 3e armée accueillirent l'ordre de retraite fut en rapport avec le sentiment qu'elles avaient de leur victoire.

Au XIXe corps saxon, l'ordre de retraite arriva entre 6 et 7 heures du soir environ, après la tombée de la nuit, alors que l'ordre téléphonique de 14 h. 15 du commandement de la 2e armée, ordonnant de prendre des mesures pour assurer les communications arrière l'avait déjà préparé à ce changement.

Ce ne fut qu'avec le plus grand regret et sans être convaincu intérieurement de la nécessité de cette mesure que le commandant du XIXe corps donna les ordres préparatoires de retraite. Les parcs et convois furent refoulés vers l'arrière et les itinéraires de retraite fixés, mais les troupes victorieuses furent tout d'abord laissées dans leurs positions, avec le consentement du commandement de la 3e armée. Il était manifeste que l'ennemi en avait assez. Il négligea même, ce soir-là, d'envoyer " sa bénédiction du soir " c'est-à-dire ses puissants feux de harcèlement, dont il avait encore couvert, les soirs précédents, toute la zone avancée du front allemand. Ses munitions s'épuisaient ; mais on ne le savait naturellement pas du côté allemand. Les troupes du XIXe corps furent avisées que l'ordre de retraite n'était pas valable pour elles. Dans la soirée l'ordre de l'armée prescrivant, au XIXe C. A. de rester encore dans ses positions et d'être prêt à se joindre à une attaque du VIIIe C. A. voisin, fut accueilli avec une joie générale.

Quant aux troupes victorieuses du groupement de droite de la 3e armée, l'ordre de retraite provoqua chez elles une indignation extrême. Elles ne comprirent pas du tout pourquoi, après les brillants exploits qu'elles avaient accomplis jusqu'alors, on les rappelait de leur course victorieuse. Leur chef, le général de l'artillerie von Kirchbach retarda résolument jusqu'au soir le déclenchement de la retraite que le colonel-général von Bülow lui avait prescrit de commencer à 1 heure de l'après-midi et permit ainsi à son commandant d'armée de prendre la décision de tenir. En fait, le chef d'état-major de la 3e armée se rendit aussi personnellement dans l'après-midi, à l'état-major de la 2e armée, à Epernay. Mais c'était trop tard. La retraite de la 2e armée était déjà commencée. Cela n'aurait pas dû, néanmoins, j'en suis convaincu, empêcher le commandement de la 3e armée de s'opposer à la retraite de son armée. On n'avait pas encore reçu d'ordre du G. Q. G. Après l'intervention du colonel-général von Bülow dans les prérogatives de commandement de la 3e armée, celle-ci aurait dû en transmettant à la Garde l'indication : " La 3e armée complète sa victoire par une poursuite énergique. Il faut absolument que la Garde tienne au sud des marais de Saint-Gond ! ", rétablir carrément la situation. Car la condition préalable pour que cela fût possible, était, en effet, que l'aile gauche de la 2e armée - ou tout au moins la Garde et la 14e D. I. ainsi que le Xe C. A. qui tenait de lui-même continuât à résister.

Au lieu de cela, le général de l'infanterie von Plattenberg se replia avec son corps de la Garde comme il en avait reçu l'ordre ; il découvrit ainsi d'une façon inquiétante le flanc droit de la 3e armée, ainsi qu'on devait le constater le lendemain soir. Comme cela se conçoit, les braves troupes du corps de la Garde, qui quittaient le champ de bataille avec des compagnies de 50 hommes à peine, n'exécutèrent, elles aussi, qu'avec me indignation presque désespérée cet ordre de retraite complètement incompréhensible pour elles.

Le colonel-général baron von Hausen a écrit dans ses Souvenirs (page 210) : " Le 9 septembre après-midi, le commandement de l'armée se trouva en face de ce grave problème : renoncer, sans y être obligé par l'ennemi, aux succès que la troupe avait obtenus au cours d'une lutte de plusieurs jours, et cela pour s'adapter à la situation générale de l'armée allemande qui avait amené le G. Q. G. à dérober son aile droite à l'ennemi. Ce ne fut qu'à regret que je me mis à examiner une telle obligation. La certitude que la troupe et les chefs subordonnés ne pouvaient être convaincus intérieurement de la nécessité de se replier sur la rive nord de la Marne et que cette mesure était appelée à ébranler sérieusement leur confiance dans ceux qui les avaient conduits jusqu'alors, me fit une très grande peine.

A 5 h. 30 du soir, le commandement de la 3e armée ordonna tout d'abord à l'aile droite et au centre et à eux uniquement, de se replier dans leurs positions de la matinée, en laissant de fortes arrière-gardes sur la coupure de la Somme.

Au cours du repli, les 32e et 23e D. I. rejoignirent leur corps d'armée : il en résulta, pour les divisions, des chassés-croisés, en pleine obscurité et à proximité de l'ennemi. Mais si le commandant de l'armée osa les ordonner et si les commandants des corps d'armée et des divisions les exécutèrent sans frottement et sans être gênés par l'ennemi, c'est la meilleure preuve que l'armée saxonne était complètement maîtresse de la situation.

Peu après 9 heures du soir arriva l'ordre suivant du G. Q. G. : " La 3e armée restera au sud de Châlons, prête à une nouvelle offensive. La 5e armée attaquera dans la nuit du 9 au 10 ; la 4e armée fera de même, si elle a des chances de succès, et se mettra, dans ce but, en liaison avec la 3e armée. "

A 10 h. 30 du soir, cet ordre fut complété par le suivant, adressé à 9 h. 30 du soir aux 3e et 4e armées :

" 3e armée demeurera au sud de Châlons. L'offensive sera reprise, le 10 septembre, aussitôt que possible. - Moltke. " Quelle fière satisfaction le commandement de la 3e armée aurait éprouvée s'il avait pu répondre :

" Retraite inutile. Attaque victorieuse en direction de Sézanne continue. de concert avec Garde ; je demande que celle-ci soit mise sous mes ordres jusqu'à la fin de la bataille. Invitez la 4e armée à soulager mon aile gauche au moins avec une division ! " C'est là, à mon avis, la solution qui aurait le mieux répondu à la situation tactique du 9 septembre après-midi et aurait sauvé la victoire allemande.

Ouvrons d'ailleurs une parenthèse. Le commandant du 1er C. A., le général von François, a reçu, le 17 août 1914, du colonel général von Prittwitz, pendant le premier combat de son corps d'armée à Stalluponen, l'ordre de rompre immédiatement le combat et de battre en retraite. Il répondit au porteur de l'ordre : " Rendez compte que le général von François romprait le combat si les Russes étaient battus " (François, La Bataille de la Marne et Tannenberg).

Au reçu du radio du G. Q. G., radio indiqué plus haut, le commandement de la 3e armée continua à laisser le XIXe corps dans sa position au contact de l'ennemi et fit également avancer la 23e division, le 10 septembre au matin, jusqu'à Soudé - Coole,, pour couvrir son flanc droit. Devant le centre de l'armée l'ennemi se tint tranquille. Devant l'aile droite, il se porta en avant avec des forces assez importantes, à partir de midi. Mais il n'y eut pas de rencontres. La 2e armée fut invitée à ne pas " découvrir le flanc droit de la 3e armée. "

Devant l'aile gauche, on vit apparaître, le 10 septembre, entre 1 heure et 3 heures du soir, à Sompuis et à l'est, des forces ennemies considérables qui se portaient en avant par Sompuis. Cela déclencha l'intervention de la 23e D. I. qui était tenue prête à agir près de Soudé. Celle-ci enraya, à 5 heures du soir, le choc offensif de l'ennemi. Ce résultat amena le XIXe C. A. à prendre à son tour la décision de surprendre l'ennemi après la tombée de la nuit devant son propre front et à Sompuis. Il voulait ensuite évacuer le champ de bataille volontairement, en

vainqueur incontesté, au cas où la situation générale de l'armée allemande rendrait encore malgré tout un mouvement de repli nécessaire. Son intention était, après avoir réussi à surprendre l'artillerie ennemie, de ramener ses troupes de leur position actuelle, passablement défavorable, sur une ligne meilleure, située approximativement vers Maisons-de-Champagne. Il fit part de cette décision à son voisin, le VIIIe C. A.

Le 10 septembre, à 7 h. 15 du soir, la 3e armée reçut la communication suivante de la 2e armée :

" La 2e armée n'a aucune nouvelle de la 1re armée. Elle estime cependant son flanc droit si menacé qu'elle replie ses arrière-gardes derrière la coupure de la Vesle et a l'intention d'exécuter, avec son gros, une courte marche en direction du nord-est. Il est désirable que la 3e armée se joigne à ce mouvement. "

Cette communication fut des plus désagréables pour la 3e armée, car celle-ci avait l'ordre de reprendre l'offensive au sud de Châlons dès le 10 septembre.

Aussi le commandement de la 3e armée ne put-il pas se décider à donner satisfaction à la demande de la 2e armée l'invitant à se replier au-delà de la Marne et pria la 2e armée de laisser l'arrière-garde du corps de la Garde au sud de la Marne pour couvrir le flanc droit de la 3e armée.

C'est alors qu'à 8 heures du soir, le G. Q. G. donna l'ordre à la 3e armée de se replier jusqu'à la ligne Mourmelon-le-Petit - Francheville (13 kilomètres est de Châlons) - en se liant à la 2e armée, qui se reportait derrière la Vesle avec son aile gauche sur Thuizy (13 kilomètres sud-est de Reims), - puis d'organiser et de tenir ce front défensif, d'une étendue de 40 kilomètres environ.

Il fallut donc suspendre les opérations de nuit offensives et donner, pour le 11 septembre, l'ordre de se replier derrière la Marne.

Le 10 septembre après-midi, l'ennemi, fort d'un corps d'armée environ, déboucha, lui aussi, de la direction de Fère-Champenoise et chercha à envelopper le XIIe C. R., flanc droit de la 3e armée. Attaquée, la 24e D. R. repoussa victorieusement l'ennemi à l'ouest de Clamanges et le rejeta finalement, par une contre-attaque décidée à l'arme blanche, alors que la nuit était déjà tombée. Le XIIe C. R. commença alors aussitôt à exécuter le mouvement de repli qui lui était ordonné pour le 11 septembre. Il franchit la Marne sans difficulté à Condé et à Braux et fit ensuite sauter les ponts.

Le XII e corps traversa, lui aussi, la Marne plus à l'est sans être pressé par l'ennemi. La contre-attaque de la 23e D. I., exécutée la veille, faisait encore sentir son effet.

Enfin, le XIXe corps ne quitta le champ de bataille, où il avait lutté pendant cinq jours, que le 11 septembre avant l'aube. Il ne fut nullement inquiété par l'ennemi. Les premières heures de la journée furent grises. Dans l'après-midi, il se mit à pleuvoir. La seule route de marche du corps d'armée était utilisée par des troupes de l'armée voisine. Le ravitaillement en vivres faisait défaut ; le mouvement de retraite, incompréhensible pour les troupes, pesait sur leur moral. Mais chaque homme se repliait cependant fièrement : " Ce n'est pas nous qui en sommes cause ! Nous avons été entièrement à la hauteur de notre tâche et nous sommes prêts à le prouver aujourd'hui et toujours. " Telles furent les paroles que les troupiers crièrent à leur commandant de corps d'armée en passant la Marne.

Le commandant de la 3e armée . quitta Châlons à 4 heures du matin, pour se rendre à Suippes, après avoir visité la position défensive prescrite et vu les troupes et convois en retraite.

A Suippes, le commandant en chef de la 3e armée était attendu à 12 h. 30 par le chef d'état-major général de l'armée de campagne, le colonel-général von Moltke. Celui-ci donna l'ordre verbal à la 3e armée de tenir coûte que coûte dans la position qui lui était assignée et régla à nouveau les communications arrière.

Le G. Q. G. avait l'intention d'accorder à l'armée un repos de plusieurs jours - " de huit jours environ " - sous la protection de sa position défensive, pour lui permettre d'amener des renforts, des vivres et des munitions.

A 3 heures de l'après-midi, le chef d'état-major général de l'armée de campagne revint au Q. G. de la 3e armée après s'être rendu à la 2e armée : se basant sur une appréciation de la situation qui lui avait été fournie par la 2e armée et sur un compte rendu de la 4e armée annonçant l'approche de forces ennemies importantes en direction de Vitry-le-François, il changea l'ordre qu'il avait donné initialement au sujet de la position qui devait être construite et prescrivit à la 3e armée de construire désormais une position " forteresse " sur la ligne Thuizy - Suippes (ces deux localités exclues), en se liant au corps de la Garde à Thuizy. La 4e armée devait fortifier la ligne Suippes - Sainte-Menehould.

La nouvelle position de la 3e armée qui n'avait que 25 kilomètres, était mieux en rapport avec les faibles effectifs de cette armée que la position primitivement choisie sur le front Thuizy Francheville, long de 40 kilomètres.

Pour demeurer dans le cadre de la manœuvre générale, il fallut accepter les à-coups provoqués par les nouveaux ordres du G. Q. G. - l'arrêt des-travaux d'organisation déjà commencés, le lever des bivouacs qui venaient à peine d'être pris et l'envoi plus en arrière des convois de l'armée - même au risque de voir, le 11 septembre, les hommes avoir moins confiance dans le haut commandement en raison du changement apporté aux décisions prises.

Mais, dès le 12 septembre au matin, l'aviation de la 3e armée établit que quatre corps d'armée ennemis au moins, dont les têtes de colonnes avaient atteint la Marne de part et d'autre de Châlons, étaient en marche vers la zone de la 3e armée.

Les corps de la 3e armée atteignirent le nouveau front qui leur avait été assigné, quelques-uns après avoir parcouru 60 kilomètres depuis le 11 septembre au soir, et commencèrent à l'organiser après un repos de plusieurs heures. C'est alors que la situation de la 2e armée, qui avait dû, pour des considérations de terrain, replier fortement son front de défense, obligea à reporter encore une fois le front de la 3e armée en arrière.

Le commandement de la 3e armée résista à cette suggestion par égard pour ses troupes épuisées ; mais, dans la soirée, le colonel von Dommes vint annoncer, de la part du G. Q. G., que " en raison du terrain défavorable de la forêt d'Argonne, la 5e armée devait être reportée plus en arrière que le chef d'état-major général de l'armée de campagne ne l'avait indiqué le 11 septembre. Il en résultait que l'aile droite de la 4e armée ne pouvait rester, comme cela avait été fixé, à Suippes, mais avait reçu l'ordre de s'appuyer à Souain. Il était, par suite, indiqué d'affecter à la 3e armée le secteur Prosnes - Souain " (Hausen, page 225). On s'en tint à cette solution, malgré les objections de la 3e armée. Celle-ci dut donc changer encore une fois de position le 13 septembre. " Cette mesure ne pouvait rester sans effet sur la troupe et les chefs subalternes qui devaient fatalement la considérer comme un indice d'incertitude dans le commandement." - " Loin de moi l'idée - continue le colonel-général baron von Hausen - de vouloir soutenir que de telles modifications aux ordres donnés auraient dû être complètement évitées ; mais je crois cependant que le G. Q. G. aurait agi opportunément si, quand il se décida à imposer une limite à sa stratégie de soumission qui l'avait conduit à ramener ses armées au delà de la Marne, il avait donné des instructions susceptibles de servir uniquement de directives et non d'ordres impératifs. Certes, les visites des officiers du G. Q. G. aux différents Q. G. d'armées indiquaient que la direction suprême s'efforçait d'apporter de l'unité dans le mouvement de repli de l'aile droite ; mais cette opération se serait certainement accomplie plus facilement si, par exemple, les 1re, 2e, 3e et 4e armées avaient été placées sous un commandement unique " (Hausen, page 226).

Dans son livre, Jusqu'à la Marne, le général Tappen base le repli des 3e, 4e et 5e armées sur les impressions personnelles recueillies par le colonel-général von Moltke, le 11 septembre, à la 3e armée : " On eut l'impression que la 3e armée ne pouvait plus guère tenir à elle seule, avec ses forces affaiblies, le front de 40 kilomètres qui lui était assigné. " - " Il ne pouvait être douteux que la 3e armée ne devait plus être exposée, dans sa situation actuelle, à une nouvelle attaque sérieuse de l'ennemi, en particulier parce qu'une large brèche s'était déjà ouverte dans son front, à la suite des conversions à droite et à gauche que certains de ses éléments avaient exécutées dans leurs efforts pour soutenir leurs voisins par des attaques enveloppantes.

" Si les Français réussissaient à percer le front de la 3e armée, la 4e armée et surtout l'aile droite de la 5e étaient appelées à être rejetées contre la place de Verdun dans un terrain en partie très difficile et à être exposées, de ce fait, à être anéanties. C'eût été pour nous la perte de toute la guerre, car la situation des 1re et 2e armées serait devenue, elle aussi, complètement intenable. L'intervention du G. Q. G. devint donc indispensable pour assurer au gros de l'armée allemande, de la 1re à la 5e armée, de nouvelles conditions de combat favorables, équilibrer les forces à l'intérieur du front, reconstituer celui-ci après les combats incessants qui duraient depuis le 6 septembre, éviter enfin que le succès de l'ensemble ne fût compromis par l'échec de quelques éléments. On fut donc obligé - la situation des 1re et 2e armées entrant également en ligne de compte - de prendre, bien qu'à regret, la décision de ramener les 3e, 4e et 5e armées sur une position unique, position sur laquelle la liaison avec la 2e armée pouvait être, elle aussi maintenue d'une façon sûre. "

En fait, le 11 septembre, à Suippes, le colonel-général von Moltke a donné comme nouveau front de résistance à la 5e armée, la lisière sud de la forêt d'Argonne. Ce n'est que le lendemain que le colonel von Dommes a décidé, de concert avec le chef d'état-major de la 5e armée, que ce front devait être reporté jusqu'au nord de l'Argonne. Les raisons invoquées par Tappen tombent donc de ce fait. D'ailleurs, il n'y a eu de " brèche " à la 3e armée que momentanément, le 6 septembre. A la fin de la bataille, le 9 septembre, la 23e D. R. était disponible au centre de la 3e armée, en face des débris épuisés de l'ennemi qui évitait tout contact de combat. Le 11 septembre, la 3e armée, qui avait combattu pendant cinq jours sur un front de 50 kilomètres et avait gagné 20 kilomètres de terrain, était parfaitement capable de tenir un front de 40 kilomètres. Ses pertes, pendant toute la semaine de combat du 6 au 13 septembre, s'étaient élevées a 443 officiers et 10.402 hommes, dont 1.800 prisonniers à peine - la plupart blessés restés dans les ambulances, témoignage éclatant de la discipline de cette armée et de la puissance de volonté de ses combattants pris isolément. La 3e armée était donc, après la bataille, à la hauteur de toute mission défensive, ainsi qu'elle devait d'ailleurs le prouver plus tard au cours des batailles défensives de Champagne.

L'exposé de Tappen sur les événements de Suippes diffère en plusieurs points de mon exposé personnel. Ce dernier est basé sur les journaux de marche de la 3e armée. Je me refuse, en cette occurrence, de décrire ce que je pense personnellement. Le colonel-général Moltke, que l'on doit regretter de la façon la plus profonde, en tant qu'homme, était déjà bien près, à ce moment-là, de l'effondrement physique. " Au cours de la nuit, le colonel-général von Moltke rentra au G. Q. G. à Luxembourg : il était gravement malade. Sa santé, déjà affaiblie, n'avait pu résister aux épreuves physiques et morales de cette journée " (TAPPEN, page 28). - Pour la première fois en contact direct, depuis le début de la guerre, avec ses armées, il ne sut pas, au milieu des impressions qui changeaient rapidement, prendre énergiquement une décision et s'y tenir inébranlablement. On pense involontairement, à cette occasion, à la description classique que Ludendorff a faite du chef d'armée pendant la bataille (page 41) : " Le chef subit bien des assauts. Il faut qu'il ait des nerfs solides. Le profane croit trop facilement qu'à la guerre tout n'est qu'un exercice de calcul aux grandeurs nettement définies. C'est tout, sauf cela. C'est une lutte réciproque de forces physiques et morales, puissantes et inconnues, lutte d'autant plus pénible que l'on est davantage en état d'infériorité. C'est un travail où l'on a affaire à des hommes de forces de caractère différentes et à ses propres pensées. La volonté du chef est le pôle fixe. " Or, dans le cas qui nous occupe, volonté et pôle firent défaut.

LES 4e ET 5e ARMÉES

 

Le 10 septembre au matin, la 4e armée reprit ses attaques conformément aux directives du G. Q. G. Son aile droite fit tout d'abord de bons progrès. Mais, vers midi, l'ennemi concentra des forces importantes en face du XIXe corps voisin. La 4e armée se mit alors sur la défensive et repoussa partout la contre-offensive ennemie. J'ai l'impression que le commandement de la 4e armée n'a pas pris du tout cette offensive au sérieux.

Le 11 septembre, la 4e armée commença à se replier sur l'ordre du G. Q. G. Elle put se décrocher sur tout son front sans aucune difficulté. L'ennemi ne pressa même pas ses arrière-gardes, qui étaient tout d'abord demeurées en place. Il ne se porta en avant que derrière le VIIIe C. A. le 11 septembre après midi, en direction de Vitry-le-François.

Le 12 septembre, la 4e armée atteignit la ligne Suippes-Sainte-Menehould ; le 13, elle occupa sa position définitive sur le front Souain - Binarville. Le VIIIe corps y fut attaqué sans succès, dans le courant de l'après-midi, par des forces ennemies importantes. Un certain nombre de prisonniers français appartenaient au 21e C. A., qui, venant des Vosges, était arrivé, quatre jours auparavant, dans la région de Sompuis.

Si l'on jette un coup d'œil en arrière sur le développement de la campagne de la Marne à la 4e armée, on est amené à constater que, du début à la fin, cette armée a fait ce que l'ennemi désirait au plus haut point pour pouvoir remplir sa mission. La bataille initiale du bassin de la Semois a été un combat de rencontre de grand style où la supériorité de valeur combative de l'infanterie allemande et le dressage excellent du temps de paix de ses chefs subalternes ont obtenu la victoire avant que l'art du commandement de la 4e armée ait même pu se manifester.

Dès la reprise du mouvement en avant, l'habileté manœuvrière du commandement de la 4e armée a été défaillante tout comme celle de la Direction suprême au G. Q. G. La 5e armée était chargée de refouler l'ennemi vers le nord-ouest. La 4e armée aurait dû naturellement, en cette occurrence, faire pression en même temps avec son aile gauche pour réaliser, au nord de la ligne de la Meuse Stenay - Mézières, donc dans la zone frontière classique de Sedan, un Cannes - Sedan moderne où les 3e et 4e armées françaises auraient succombé. L'espace dont la 4e armée avait besoin, dans ce but, pour se déployer vers la droite existait. Le retrait du corps de réserve de la Garde et du XIe corps avait produit, en effet, dans " le front de compagnie continu des armées de choc " de von Schlieffen, un vide que l'on pouvait utiliser à ces fins. Mais la 4e armée poursuivit l'ennemi de front jusqu'à la Meuse de part et d'autre de Sedan et lui fit le plaisir d'attaquer, droit devant elle, ses terribles positions des hauteurs sud de la Meuse en traversant un terrain d'attaque profondément découvert et dominé par son artillerie. Cette façon de faire causa des pertes sérieuses à la 4e armée et usa en un combat indécis de trois jours, le gros de la force offensive de ses quatre corps d'armée. Elle était cependant parfaitement en situation d'envelopper l'ennemi par Mézières. Le fort des Ayvelles qui, au sud-est de Mézières, lui avait tout d'abord barré la route, était tombé dès le 25 août : la brèche qui lui permettait d'agir dans le flanc gauche de la 4e armée française s'était ainsi trouvée ouverte. Mais une simple pression de l'aile gauche de la 4e armée allemande aurait déjà eu plus de succès qu'une coûteuse attaque de front. Le terrain d'attaque de la région sud-est de Sedan était beaucoup plus propre à cette opération que le terrain d'attaque frontale situé de part et d'autre de cette ville. En attaquant au point de soudure des 3e et 4e armées françaises, la 4e armée aurait certainement soulagé sérieusement l'armée du kronprinz impérial dans le combat frontal qu'elle était appelée inévitablement à livrer contre le front de Meuse en aval de Verdun. Au lieu de cela, la 4e armée fut même obligée, pendant la bataille de la Meuse, de replier sa propre aile gauche trop faiblement constituée.

Les mouvements ultérieurs de la 4e armée de la Meuse à l'Ornain ne furent, eux aussi, qu'une poursuite frontale, dont la direction et l'allure furent prescrites par l'ennemi. Il fut impossible d'amener le commandement de la 4e armée à coopérer avec l'armée voisine, dans la mesure où ses missions de manœuvre le permettaient. Son seul expédient stratégique fut d'appeler la 3e armée à son secours. Mais, quand, dans les derniers jours d'août, celle-ci lui demanda à son tour d'exécuter un mouvement débordant vers la droite, il s'y refusa. De même, avant et pendant la bataille de la Marne, il n'y eut absolument aucune liaison intellectuelle entre les 3e et 4e armées, dont les Q. G., établis à Châlons et Courtisols, n'étaient cependant distants que d'un mille à peine.

Le 6 septembre, le XIXe C. A. intervint immédiatement dans le combat de la 4e armée par une action de flanc. Mais, même cette preuve de bonne volonté, consécutive au refus formulé, à la fin d'août, par le VIIIe C. A. à Semuy, ne put aboutir à une coopération fructueuse des deux armées pendant la bataille de la Marne. La 4e armée attaqua avec une égale intensité sur tout son front un ennemi qui était aussi fort qu'elle : elle immobilisa ainsi toute sa force combative dans un terrain d'attaque difficile et laissa à l'ennemi la liberté de récupérer des réserves et de les faire roquer, comme il l'entendait, derrière ses ailes. J'ai déjà déclaré précédemment que la 4e armée, complètement couverte sur son front par la dépression de l'Ornain contre une contre-offensive ennemie éventuelle, aurait pu exercer une influence décisive sur l'issue de la bataille de la Marne, en exécutant une attaque massive en venant de l'ouest. Il en était encore temps, quand l'ordre de retraite irréfléchi du G. Q. G. aurait dû amener le commandement de la 4e armée à comprendre que celui-ci était défaillant et que chaque commandant d'armée devait désormais agir de lui-même pour sauver ce qui pouvait encore être sauvé.

Il est manifeste qu'au cours de la retraite, cette pensée ne fut pas non plus l'idée directrice du commandement de la 4e armée : la 4e armée fit avec résignation - on est presque tenté de dire avec apathie - ce que le G. Q. G. lui ordonna sans se préoccuper de ce qui se passait à sa droite et à sa gauche incapable qu'elle était de manœuvrer comme l'est une colonne fatiguée par une trop longue marche. Le VIIIe C. A. s'arrogea même, en cette . occasion, comme il l'avait déjà fait sur la Py au cours de la marche en avant, la route de marche du XIXe C. A. pendant que celui-ci continuait à résister avec opiniâtreté : il en résulta sur ladite route, une scène pénible entre les commandants des deux corps d'armée, scène au cours de laquelle l'indignation exacerbée de la 3e armée, provoquée par l'attitude peu empreinte de camaraderie de la 4e armée, se fit jour.

L'état physique et la situation stratégique de la 4e armée lui auraient permis cependant d'accomplir, au cours des journées du 11 au 15 septembre, des exploits brillants qui auraient pu sauver l'armée allemande. A sa gauche, c'est-à-dire à l'est, elle était couverte, sur son flanc et ses derrières, par la 5e armée, qui était dans une situation beaucoup plus dangereuse qu'elle, mais qui tenait cependant, virilement ; à l'ouest, la Marne formait, de Vitry à Châlons, une barrière transversale qu'il était facile de tenir fermée. Massée près de Courtisols, la 4e armée aurait pu se jeter dans le flanc des forces ennemies qui auraient franchi la Marne à Châlons et à l'ouest, pendant que ses arrière-gardes et des fractions de la 5e armée l'auraient couverte, ainsi que nous le discuterons plus tard, face au sud; contre les forces qui ne suivaient que prudemment dans cette région et ne s'avançaient que là où les arrière-gardes allemandes leur laissaient la voie libre. Un nouveau Hanan aurait pu se produire ici et aurait déjà arrêté toute l'offensive française sur la Marne. Si c'était un homme résolu, aimant l'action qui était venu, le 11 septembre, aux Q. G. des 4e, 3e et 2e armées, à la place de Moltke, un second miracle de la Marne aurait pu avoir lieu, mais cette fois au profit des Allemands.

Ce n'est pas là de la sagesse a posteriori : les événements qui se sont réellement passés à la 5e armée le prouvent.

La 5e armée avait l'intention d'exécuter dans la nuit du 9 au 10 septembre, l'attaque que son artillerie lourde avait bien préparée depuis deux jours. Mais le G. Q. G. la contremanda à la dernière heure, " en raison de la situation générale. " Ce contre-ordre ne put plus atteindre toutes les troupes. Il y eut donc de durs combats de nuit sur certaines parties du front, en particulier au VIe C. A., dans la région de Revigny. Le vaillant XIIIe C. A. franchit, le 10 septembre à 2 heures du matin, la voie ferrée Condé - Beauzée et s'empara des hauteurs situées à l'est de cette ligne. " Vaincre ou mourir ! " avait dit l'ordre d'attaque. Les Wurtembergeois tinrent dans les positions qu'ils avaient conquises jusqu'à l'aube du 12 septembre. Quand le 120e d'infanterie, le régiment " Empereur-Guillaume ", qui formait l'arrière-garde, quitta, à 3 heures du matin, la position conquise, il ne comprenait plus que treize officiers et quatre faibles compagnies. Depuis l'attaque du 10 septembre, aucun Français ne s'était plus montré devant le front du corps d'armée. Seules, les batteries lourdes à longue portée des forts de la rive droite de la Meuse continuaient à tirer sur la rive gauche, par dessus la rivière.

Les autres corps de la 5e armée exécutèrent, eux aussi, le 10 septembre, des attaques partielles efficaces. Par ailleurs, la journée fut utilisée à remettre de l'ordre dans les unités et à ravitailler les troupes.

Entre temps, l'attaque du Ve C. A. contre les forts de la Meuse avait progressé favorablement. L'ennemi ne montrait plus aucune envie d'attaquer devant la 5e armée. Aussi celle-ci demeura-t-elle encore, le 11 septembre, dans sa position qui formait un saillant prononcé, et cela bien qu'à sa droite la 4e armée se fût déjà repliée dans la matinée. Ce ne fut que le 12 septembre que la 5e armée, fièrement consciente de sa supériorité absolue, commença à battre en retraite, sans être nullement gênée par l'ennemi, ainsi que me l'ont dit de nombreuses lettres de combattants de cette armée. Des isolés, qui étaient endormis au moment du départ, purent rejoindre plus tard leur unité sans essuyer de coups de feu. Ici, l'ennemi ne reprit sa marche en avant que le 14 septembre.

Plus à l'ouest, l'ennemi commença à nous poursuivre dès le 12 septembre, la plupart du temps avec une réserve prudente. Ses avant-gardes franchirent la Marne en différents points le 12 dans la matinée.

Le 12 septembre, la 5e armée dut prendre la décision, lourde de conséquences, de déterminer jusqu'à quelle ligne de résistance principale elle devait se retirer, elle qui avait formé jusqu'alors le pivot de l'armée d'invasion allemande.

Dans l'après-midi, le colonel von Dommes du G. Q. G. arriva à la 5e armée pour fixer, de concert avec le commandement de cette armée, la ligne sur laquelle elle pourrait tenir avec certitude. Il proposa la lisière sud de l'Argonne. Le chef d'état-major de la 5e armée se prononça, par contre, pour la ligne marquée par la position dominante et difficile à attaquer, Apremont - Baulny - Montfaucon, ligne que l'on pourrait certainement tenir et qui assurait une liaison sûre avec le Ve C. R., chargé de l'investissement de Verdun sur la rive droite de la Meuse.

Le commandement de la 5e armée justifia sa proposition comme suit : " Maintenant que les 6e et 7e armées n'ont remporté aucun succès, l'ennemi a toute facilité pour faire roquer des forces vers le nord. Il faut donc protéger le Ve C. A. dans son entreprise contre les forts d'arrêt. L'ennemi est libre d'attaquer avec des forces importantes en direction du nord en traversant le rayon de la place de Verdun, ou bien à l'est ou à l'ouest de la Meuse, ou bien en direction de l'ouest en débouchant de Verdun. La 5e armée forme après comme avant le pivot de toute l'armée. Si l'ennemi réussit à percer son front, la situation sera désespérée pour toute l'armée allemande de l'Ouest, plus ou moins coupée de ses communications au delà de la Meuse. C'est pourquoi il est nécessaire que tout le Ve C. R. soit réuni à nouveau sur la rive droite de la Meuse. Mais tenir encore avec les quatre autres corps, comme cela a été proposé, la lisière sud de l'Argonne ou avec l'aile sud la ligne Sainte-Menehould Clermont, c'est, étant donné l'étendue du front - 65 kilomètres dans un cas, 48 dans l'autre - et le fait que ce front est situé pour la majeure partie dans la zone d'action des pièces de Verdun, une chose impossible, même si l'on ne tient pas compte des difficultés qui résulteraient de cette situation au point de vue communications dans la partie ouest du terrain.

" Dans cette façon d'envisager la situation, il faut ajouter la circonstance aggravante que les effectifs combattants de l'infanterie des corps d'armée ne s'élèvent plus qu'à 10.000 hommes (16.000 au XVIIIe C. A.) et que nous manquerons d'ici peu de munitions.

" La responsabilité qu'elle porte envers l'armée de l'Ouest oblige la 5e armée à faire un choix prudent. C'est pourquoi il n'est pas indiqué, non plus, de vouloir tenir la ligne Boureuilles - Vauquois, parce que ce terrain est flanqué, à l'est par la forêt de Hesse que les forces ennemies de Verdun connaissent à fond, et à l'ouest par la forêt d'Argonne. " .

Le mouvement de repli devait naturellement s'effectuer peu à peu. La 5e armée l'exécuta en demeurant encore complètement maîtresse de la situation et atteignit sa nouvelle position le 15 septembre. Elle passa alors aussitôt à la contre-attaque avec son aile droite, pour convaincre l'ennemi que la force offensive de l'armée allemande n'était pas épuisée. Cette attaque eut lieu en conformité de l'ordre du G. Q. G. du 17 septembre.

La façon dont la question de la position de la 5e armée fut solutionnée montre que le G. Q. G. avait perdu toute confiance en lui-même. L'hypothèse pessimiste et complètement erronée selon laquelle, en cas de percée de la 3e armée, les 4e et 5e armées, seraient rejetées sur Verdun et vouées à l'anéantissement ", comme Moltke et Bülow se l'imaginaient le 11 septembre, excluaient tout sentiment de la réalité : La 3e armée n'était ni percée, ni menacée de l'être. Les 4e et 5e armées étaient, en outre, assez fortes, chacune en soi, pour se défendre. Les négociations qui eurent lieu entre le colonel Dommes et le commandement de la 5e armée ont donné lieu, elles aussi, à bien des raisonnements déplacés. N'auraient-ils pas mieux fait de se demander : " Que peut faire la 5e armée, pour compenser le mal que Bülow a fait là-bas, à l'ouest ? " Le kronprinz, qui voyait juste, qui aimait l'action et qui venait d'exécuter avec une hardiesse absolue la difficile manœuvre de converser autour de Verdun, aurait accueilli avec joie la mission de faire demi-tour avec son aile droite pour attaquer en flanc sur la Marne, de concert avec la 4e armée et en partant de Châlons vers l'ouest l'ennemi en cours de poursuite.

Mais, même si on refuse toute solution offensive au problème de la retraite de la 5e armée, on ne peut guère admettre que la solution qui consista à reporter le front de cette armée jusqu'au nord de l'Argonne fut une solution heureuse, car elle empêcha l'enlèvement de Verdun, enlèvement qui était parfaitement possible en septembre 1914.

Joffre avait ordonné, dès le 8 septembre, d'abandonner Verdun à son propre sort et de replier l'aile droite de la 3e armée jusqu'au sud de l'endroit de la région de Saint-Mihiel où l'ennemi cherchait à percer.

Mais le général Sarrail ne fit tout d'abord aucun emploi de cette autorisation ; il n'en fit pas non plus usage quand le fort de Troyon fut réduit au silence, le 9 septembre à partir de 11 heures du matin, ni quand le gouverneur de Verdun demanda du secours après le déclenchement de l'attaque d'artillerie allemande contre le saillant nord-ouest de la place le 9 septembre. Il remit le repli de son front au 10 septembre au soir, malgré l'épuisement visible de ses troupes et la nouvelle autorisation qui lui fut donnée, le 10 septembre, d'abandonner toute liaison avec Verdun.

La décision virile du kronprinz impérial visant à continuer son attaque, le 10 septembre, malgré la retraite de l'aile gauche allemande, aurait certainement abouti à la chute de Verdun et par là, à une amélioration, inappréciable dans ses conséquences, de notre situation sur le front occidental. Les pièces de siège nécessaires pour briser les cuirassements étaient disponibles après la chute de Maubeuge (7 septembre) et avant le commencement de l'attaque d'Anvers. Si seulement les batteries lourdes - près de 70 - que le G. Q. G. avait tournées contre Nancy, avaient été engagées contre Verdun !

La question du nouveau front de la 5e armée fut d'ailleurs réglée, comme l'avait déjà été celle de la retraite de la 1re armée, directement entre le chef d'état-major de la 5e armée et le délégué du G. Q. G., sans consulter le commandant en chef de cette armée, c'est-à-dire le kronprinz impérial. Or, ainsi que je le sais de source sure, celui-ci était opposé à cette solution, tout comme, plus tard, en 1916, il ne fut pas content de l'exécution trop étriquée de l'attaque de Verdun qui ne comportait d'attaque que sur la rive droite de la Meuse. Dans la clarté de son jugement, clarté que Ludendorff reconnut lui-même sans réserve dans les trois dernières années de la guerre, " il n'attribue l'échec sérieux de la bataille de la Marne qu'à la légèreté et à la défaillance du G. Q. G. de cette époque. " - " Le plan de Schlieffen, - écrivit-il plus tard à son officier d'ordonnance, le capitaine Rechberg s'écroula définitivement sur la Marne ; il était déjà brisé lors de la concentration. Aussi était-il clair, pour moi, dés l'automne 1914, que la guerre ne pourrait plus être conduite à une fin victorieuse par des moyens purement militaires."

 

LA FIN DE LA BATAILLE DU BASSIN DE L'AISNE

 

Le placement de la 1re armée et de la nouvelle 7e armée sous le haut commandement du colonel-général von Bülow ne fit pas ses preuves, déjà, pour la seule raison que le général von Bülow conserva la direction de son armée, la 2e, et qu'il continua à voir la situation générale comme il le faisait depuis le début de la campagne, c'est-à-dire sous l'angle de sa propre armée.

La 1re armée avait effectué le regroupement de ses forces sur l'Aisne, le 12 septembre, et de la façon suivante à partir de la droite : IXe C. A. à Nampcel, avec des éléments en couverture du flanc de l'armée ; IVe C. A. à Nouvron ; IIe C. A. au nord de Soissons ; IIIe C. A. à Condé ; IVe C. R. en réserve derrière le centre ; 2e C. C. tout d'abord à Vailly, puis à l'ouest de l'Oise, quand trois divisions de cavalerie ennemies apparurent dans cette région. Les positions choisies étaient fortes, mais avaient dû être reportées sur les plateaux au nord du fleuve, pour avoir un grand champ de tir. Cela permit à l'ennemi de franchir l'Aisne, le 12 septembre après midi, sur la ligne Attichy - Soissons. Les attaques de front qu'il exécuta les jours suivants furent brisées complètement devant la 1re armée.

 

 

Le 15 septembre, le IXe C. R. arriva derrière l'aile droite de la 1re armée. Celle-ci voulut alors prendre l'offensive avec son aile droite renforcée ( IXe C. A., IXe C. R. et 4e D. C. ). Mais le colonel-général von Bülow l'interdit. Il exigea que, bien qu'attaquée elle-même entre temps, l'aile gauche de la 1re armée intervint dans le combat de rupture engagé dans la brèche qui existait entre les 1re et 2e armées, brèche vers laquelle le VIIe C. R. et le XVe C. A. de la nouvelle 7e armée étaient en marche forcée par ordre de Bülow.

 

Croquis 11 : La position défensive de l'Aisne

 

Sur ces entrefaites, l'aile droite de la 2e armée (13e D. I. et 25e brigade de landwehr) avait été refoulée de la Vesle jusque derrière l'Aisne ; le colonel-général von Bülow avait alors replié le Xe C. R. de sa position à l'ouest de Reims jusqu'au delà du canal. Pour lui, il n'était pas " douteux que tous les efforts de l'ennemi tendaient à se glisser entre les 1re et 2e armées, de façon à rendre ainsi définitive la séparation des deux armées et à refouler ensuite complètement la 1re armée dans la direction de l'Ouest. " " Ce n'était qu'en fermant rapidement la brèche qui existait entre les 1re et 2e armées avec l'aide des éléments de la 7e armée qui arrivaient, que cette manœuvre pouvait encore être déjouée. " C'est pourquoi il rameuta, le 12 septembre au soir, dans la région sud-est de Laon, les deux corps de la 7e armée qui étaient en marche vers le champ de bataille (VIIe C. R. et XVe C.A.). L'infanterie ennemie ayant déjà percé daIls cette région jusqu'à Amifontaine, et une puissante cavalerie s'étant même avancée jusqu'à Sissonne, la 7e armée devait les rejeter, de concert avec l'aile droite de la 2e armée. Celle-ci résistait sans peine, depuis le 12 septembre, aux attaques françaises dirigées contre son front ; seule, son aile droite souffrait des feux de flanquement ennemis, au nord de l'Aisne, dans la région de Berry-au-Bac. C'est dans cette région qu'était établie la couverture du flanc droit de la 2e armée, forte à peu près d'une division et placée sous les ordres du général-lieutenant Steinmetz, qui remplit sa mission offensivement avec succès.

Le 13 septembre, au reçu du compte rendu du colonel-général von Bülow annonçant que l'ennemi menaçait de percer entre les 1re et 2e armées, la Direction suprême (exercée depuis le 12 septembre et jusqu'au 13 par le quartier-maître général von Stein, à la place du colonel-général von Moltke, malade) préleva un corps d'armée sur chacune des 3e, 4e et 5e armées. Ceux-ci purent se mettre en marche, dès le lendemain matin, dans la direction de l'Ouest, en passant immédiatement derrière le front. Le XIIe C. A. de la 3e armée intervint avec son artillerie, dès le 14 au soir, à l'aile droite de la 2e armée, et remporta le 15 septembre, dans la région de Juvincourt et de concert avec le VIIe C. R. et le XVe C. A., une victoire complète après un combat de trois jours.

Le XVIIIe corps de la 4e armée arriva, le 16 septembre, au nord-ouest de Reims. Quant au corps d'armée retiré du front de la 5e armée, il fut retenu à cette armée le 14, alors que le quartier-maître général et le chef de la section des opérations étaient encore absents.

Le général-lieutenant Tappen s'exprime ainsi qu'il suit sur cette mesure : " On ne peut se dispenser encore aujourd'hui d'être convaincu que, si ce corps d'armée avait été engagé, lui aussi, offensivement avec les XIIe et XVIIIe C. A. à l'aile droite de la 2e armée, son action aurait amené un renversement complet de la situation de concert avec l'intervention des XVe C. A., VIIe C. R. et IXe C. R. qui avait lieu à ce moment-là. Car la situation était également tendue à l'extrême chez les Français et les Anglais ; ils étaient, eux aussi, à bout de forces ; la faiblesse de l'attaque qui avait débouché de Reims, le 14 septembre, l'avait déjà prouvé suffisamment (TAPPEN, page 30).

C'est tout à fait mon avis. Le colonel-général von Kluck signale, lui aussi, " qu'il aurait été recommandable, que le chef d'état-major général de l'armée de campagne prît lui-même, pour un temps, la direction des opérations de l'aile droite, dans la région Noyon - Reims, au nom de S. M. l'Empereur " ( Kluck page 147). Alors, l'avalanche destructrice dévalant de l'aile droite allemande et constituée par la valeureuse 1re armée, renforcée de la nouvelle 7e armée, aurait encore pu s'abattre sur l'ennemi épuisé, en même temps que les trois corps d'armée retirés du front l'auraient attaqué en venant du nord-est et aurait pu réaliser ainsi l'idée directrice du G. Q. G. : refouler toute l'armée française vers le sud-est.

La situation de l'ennemi était favorable à cette manœuvre. A l'ouest de l'Oise, il n'y avait que trois divisions de cavalerie française, que le 2e C. C. pouvait parfaitement tenir en échec. L'aile gauche des Alliés s'étendait à l'est de l'Oise, à partir de Compiègne. Les forces de cette aile comprises entre Compiègne et Vailly, pivot de la contre-offensive allemande, auraient été bien loin de pouvoir tenir tête aux 1re et 2e armées allemandes réunies. Le travail de rapiéçage pour lequel le G. Q. G. et Bülow utilisèrent tous deux les forces nouvelles dont ils disposaient n'eut d'autre résultat que de ressouder le front allemand presque disloqué. Tous deux se firent un mérite d'y être parvenu à grand'peine. Ils restèrent encore une fois sans voir les lauriers qui effleuraient leur front. Je récuse le prétexte qui veut que l'état de la 1re armée n'aurait pas permis pareille performance. Kluck voulait, attaquer, et notre incomparable armée de 1914 aurait réalisé cette performance si le G. Q. G. avait pris enfin à son compte la direction des opérations. Ainsi que le lecteur peut le voir sur le croquis n° 11, le mouvement offensif que j'ai proposé est copié sur la percée allemande de 1917 en Galicie, orientale, percée qui conduisit à un brillant succès, bien que l'on eût en face de soi un ennemi solidement installé et courageux. Mais, pour concevoir une telle solution dans la détresse de l'heure, il aurait fallu à la tête de la Direction suprême un homme de l'énergie d'un Hindenburg et non un malade, qui perdait de plus en plus la confiance en ses propres capacités. Il aurait fallu aussi, avant tout, que le G. Q. G. prît soin de laisser à l'armée toute la confiance qu'elle avait en la victoire. Il aurait dû, par une pensée enflammante, lui adoucir l'épreuve pénible de la retraite si incompréhensible pour le simple troupier. Il aurait dû lui donner pour but une espérance, en lui disant, par exemple, que la souricière dans laquelle l'ennemi cherchait à nous attirer près de Paria, allait être préparée pour lui, loin du cercle enchanteur de la capitale. Mais le G. Q. G. demeura silencieux, tout comme il l'avait été durant les cinq jours de bataille. Quand Joffre ordonna de battre en retraite, le 25 août, il n'oublia pas de dire ; " A l'aile gauche, on formera une masse de choc qui débouchera tout à coup en contre-offensive, tandis que le reste du front soutiendra le choc allemand. " C'est ainsi qu'il put amener l'armée et le peuple français à surmonter la crise morale qu'ils traversaient. Chez nous on ne fit appel à " l'esprit de 1914 " que quand il était déjà mort depuis longtemps.

 

Le commandement ennemi.

 

Le maréchal français Foch a célébré à nouveau, lors de l'anniversaire de la Marne, en 1920, les louanges du commandement français pendant la bataille de la Marne et a raillé, à cette occasion, l'incertitude du commandement allemand. Il a vanté en termes enthousiastes ses subordonnés et leur allant offensif. Mais, dans la réalité, leur rôle fut des plus modestes.

Le 13 septembre, le C. Q. G. français estimait encore - d'après son radio que nous avons capté : " Allemands en pleine retraite, sur tout le front ; nombreux butin capturé ; Allemands paraissent épuisés " - que le résultat de la bataille n'était qu'une retraite volontaire des Allemands à but inconnu. Joffre, ne trouvant aucune explication à cette retraite consécutive à un succès tactique, négligea aussi fort logiquement d'entamer une poursuite de grande envergure. En fait, les différentes armées françaises poursuivirent de front leur adversaire en retraite, les unes plus énergiquement, les autres - c'étaient de beaucoup les plus nombreuses - d'après la capacité de rendement de leurs troupes. Il est certain que Foch, Sarrail et Franchet d'Esperey ont eu la plus grande volonté d'exploiter la victoire qui leur était échue contre toute attente. Mais la 6e armée, elle, n'était plus du tout capable de se porter en avant. La 4e armée ne suivit qu'en demeurant hors de portée de combat. La 9e armée, pourtant poussée par Foch, ne mit en mouvement que des avant-gardes dotées d'une forte artillerie. L'aile droite de la 5e armée, arrêtée elle-même devant la Marne, dut l'aider à se porter en avant non pas avec deux corps d'armée, comme les aviateurs de la 2e armée en rendirent compte le 10 septembre, mais avec les deux divisions de son corps de droite (10e C. A.).

Toute l'offensive de Foch fut enrayée dès le 10 septembre par la contre-attaque de la 23e D. I. au nord de Sompuis et la résistance énergique de la 24e D. R. sur la Somme à l'est de Morains-le-Petit. A partir de ce moment-là, la 9e armée ne suivit, elle aussi, qu'à l'allure indiquée par les Saxons.

Les 9e et 5e armées françaises s'infléchirent également, en cette occurrence, vers le nord-est, conformément à la direction de marche des Allemands. Seul, le 21e C. A., qui n'avait pas osé attaquer le 9 septembre à Sompuis, se décida enfin, le 13 septembre après midi, à attaquer le VIIIe C. A. à Souain. Il fut repoussé de telle façon par ses arrière-gardes qu'il renonça à faire de nouvelles tentatives.

L'aile gauche de la 5e armée française fut seule à progresser plus rapidement, du fait qu'elle continuait à avoir devant elle la brèche existant entre les 1re et 2e armées allemandes. Ses corps d'armée étaient également plus frais, car ils n'avaient combattu sérieusement que le 7 septembre. De plus, les forces étaient, dans cette région, concentrées sur un étroit espace et l'alimentaient sans cesse par l'arrière. Il faut ajouter, enfin, que la résistance de l'aile droite de la 2e armée allemande était insuffisamment organisée et mal dirigée, circonstance que l'entreprenant commandant du 18e C. A. français, le général Maud'huy, sut parfaitement utiliser. La masse de choc accumulée ici - dans la zone comprise entre Pontavert et Sissonne - en tête trois divisions de cavalerie, en arrière huit divisions d'infanterie, tomba cependant immédiatement dans la défensive, quand les Allemands attaquèrent de nouveau. Malgré l'issue de la bataille de la Marne, la supériorité incontestée de l'infanterie allemande sur ses deux adversaires avait continué à subsister.

C'est là une chose qu'il faut enfoncer sans cesse dans l'esprit du peuple allemand. Il en a été ainsi jusqu'à la fin amère de la guerre, et il en est encore ainsi aujourd'hui. De là la crainte qu'éprouvent les Français devant le Boche désarmé, mais toujours redouté.

Aujourd'hui, les partisans de Joffre et de Gallieni se déchirent entre eux au sujet des mesures de poursuite prises après la bataille, au sujet de " l'armée de poursuite ", armée qui n'a existé que dans leurs imaginations. L'armée Maunoury ne mit, en effet, en mouvement que des avant-gardes très faibles et complètement épuisées. Plus à droite, les Anglais abandonnèrent également l'allure plus rapide qu'ils avaient prise le 10 septembre, quand ils virent leurs cyclistes et cavaliers rejetés d'Hartennes.

Tout comme les Français de la 6e armée, ils furent très surpris quand les Allemands les laissèrent passer l'Aisne les 12, et 13 septembre. Ils soupçonnèrent, derrière cette mesure, quelque coup du diable. En réalité c'était notre instruction du tir du temps de paix qui en avait été cause, car elle exigeait, pour le combat défensif, de grands champs de tir, afin de pouvoir utiliser les feux massifs de notre infanterie. C'était pour cette raison que les corps de la 1re armée avaient reporté leurs positions sur les plateaux au nord de la rivière. S'ils avaient mis à profit les enseignements de leur premier combat sur le canal du Centre, à l'ouest de Mons, ils auraient tenu, en se jouant, avec un quart de leurs effectifs combattants, les pentes boisées de la rive nord de l'Aisne.

Joffre, qui jusqu'alors avait jugé froidement la situation et avait apprécié exactement ce qu'il était possible d'obtenir, laissa, dans les premiers jours qui suivirent la bataille, le mouvement se dérouler comme il avait pris naissance pendant cette bataille. Il aurait été certainement préférable de rendre, dès le début, la masse de choc de gauche beaucoup plus puissante, devant Paris, aux dépens de la 5e armée. On aurait dû, en partant de là et en utilisant le réseau ferré Paris - Amiens - Lille, engager une poursuite vraiment débordante jusqu'à la frontière. Cette manœuvre n'ayant pas eu lieu, Joffre laissa alors le choc se poursuivre de la région de Montmirail dans la direction Sissonne - Charleville, en quelque sorte avec fatalisme, et même sans avoir manifestement grande confiance en un nouveau succès.

On est tenté, après coup, de chercher dans la région de Verdun la direction où la poursuite offensive ennemie aurait été la plus efficace. Si un nouveau groupement de poursuite français, pris dans le groupement oriental existant, avait débouché de Verdun en direction Montmédy - Carignan contre les communications arrière allemandes, les fantômes qui hantaient l'imagination de Moltke et de Bülow seraient devenus aussitôt une sérieuse réalité. La percée de la ligne des forts de Meuse entre Toul et Verdun par le Ve C. A. nous en a préservés ; bien qu'elle n'ait remporté qu'un demi-succès, la 5e armée a contribué puissamment à cette opération en tenant jusqu'au 12 septembre au sud de l'Argonne. Réciproquement, c'est au G. Q. G. allemand qu'incombe l'erreur de ne pas avoir apprécié suffisamment l'importance de Verdun et de la ligne adjacente des forts de Meuse. Quand le successeur de Moltke reconnut cette importance, il ne fit pas tout ce qui était nécessaire pour la faire disparaître. C'est pourquoi Verdun fut le second clou enfoncé dans le cercueil du succès militaire allemand. Mais le premier avait été la victoire manquée de la Marne.

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