LE POINT DE VUE DU GENERAL BAUMGARTEN-CRUSIUS

III - APRES LA BATAILLE - 8ème Partie - LE BILAN

Rapport des forces en présence et performances des troupes. - Emploi des différentes armes. - Pertes

 

Du côté allemand; les forces suivantes prirent part à la bataille, d'après mes calculs (il se peut, naturellement, qu'il y ait des erreurs) .

Divisions d'infanterie

A la 1re armée

10

A la 2e

8

A la 3e

6

A la 4e

8

A la 5e

8

Total

40

 

Du côté français, les forces qui prirent part à la bataille furent les suivantes (de la gauche à la droite) :

Divisions d'infanterie

6e armée (au début)

8

Armée de Paris

4

Renfort ultérieur à la 6e armée (4e C. A.)

2

Anglais

6

5e armée

11

9e armée

8

Renfort pendant la bataille (18e D. I.)

1

3e et 4e armées

17 1/2

Renforts (21e C. A., 15e C. A. et 72e D. R.)

5

Garnison de Verdun

3

Total

66 (65 1/2)

 

Il faut ajouter à ces chiffres neuf divisions et demie de cavalerie française, une division de cavalerie anglaise contre sept divisions de cavalerie allemande.

0n obtient donc, en chiffres ronds, le rapport de 2 divisions allemandes à peine contre largement 3 divisions ennemies.

Les divisions françaises et anglaises, fraîchement recomplétées avant la bataille, étaient, au point de vue du nombre des combattants, plus de deux fois plus fortes que les divisions allemandes qui, par suite des déchets de marche, des pertes subies au combat et des détachements qu'elles avaient dû fournir, avaient encore à peine la moitié de leurs effectifs combattants. C'est ainsi, par exemple, que le Xe C. A. avait détaché pendant la bataille le tiers de ses effectifs combattants pour nettoyer les arrières des isolés ennemis. Le rapport de l'infanterie allemande à l'infanterie ennemie s'élevait donc certainement à peine à un sixième. C'est donc contre des forces six fois supérieures que nous avons encore remporté une victoire tactique, après une marche forcée de trois semaines poussée jusque devant Paris ! De telles vérités s'imposeront dans l'histoire mondiale. Il s'agit d'en imprégner la jeunesse allemande de demain !

L'ARTILLERIE ALLEMANDE

 

Malheureusement, l'infanterie allemande fut loin de recevoir de son artillerie de campagne le même appui dans la bataille que pendant la campagne de 1870-1871. D'après mes calculs, 2.556 pièces de campagne allemandes furent opposées à 3.162 pièces françaises et anglaises pendant la bataille de la Marne. Les corps d'armée actifs allemands avaient 144 pièces, les corps de réserve 108 seulement, les corps d'armée français 120, leurs divisions de réserve 36. Malheureusement, l'artillerie française était bien supérieure à l'artillerie allemande, non seulement au point de vue du nombre, mais encore de la technique du tir : c'est là un fait qui s'est manifesté d'une façon de plus en plus marquée pendant toute la campagne de la Marne. C'est la supériorité de l'artillerie des alliés de l'Ouest qui a précisément donné son empreinte à la bataille de la Marne.

Des tentatives ayant été faites récemment pour nier ce fait troublant, le vieux maître de la science du tir allemande, le général-lieutenant Rohne, a confirmé dans le Militär-Wochenblatt, n° 120, du 16 février 1920, " que l'artillerie de campagne française était supérieure à la nôtre non seulement au point de vue de l'armement, mais aussi au point de vue de l'emploi, ce qui était d'un plus grand poids encore. " D'après Rohne, la portée maxima de la pièce française était de 6.800 mètres tandis que celle de la pièce allemande n'était que de 5.600 mètres. De plus, la précision de la pièce française à 5.600 mètres, était plus de cinq fois celle de la pièce allemande à la même distance; à 6.800 mètres, elle était même près de deux fois supérieure à celle de la pièce allemande à 5.600 mètres. La profondeur de la gerbe du shrapnell français était également plus grande ; enfin, la charge explosive de l'obus explosif français était supérieure à celle de l'obus allemand. C'est triste à dire, mais c'est vrai malgré le dressage exemplaire de ses hommes et de ses chevaux, malgré le fier esprit qui l'animait, l'artillerie de campagne allemande ne fut pas, au début de la guerre, à la hauteur de sa tâche en face de l'artillerie de campagne française. .

Au point de vue de la technique du combat, la merveilleuse infanterie allemande ne put pas obtenir le succès décisif qui eût été en rapport avec son esprit de sacrifice. Inversement, c'est l'excellente artillerie de campagne française qui a protégé son infanterie de l'effondrement. " Les Français n'osent plus se montrer à découvert." Tels furent les fiers comptes rendus de nos troupes combattantes, depuis les premières batailles jusqu'a la retraite de la Marne. Mais le rendement supérieur de l'artillerie de campagne française brisa finalement la force de l'infanterie allemande. Elle ne parvint pas cependant, comme Foch l'avait jusqu'alors recommandé en tant que tacticien, à ouvrir le chemin de la victoire à son infanterie sans lui faire verser pour ainsi dire de sang. Néanmoins, c'est aux effets de l'artillerie française que les pertes terribles subies par les Allemands pendant les cinq premières semaines de la guerre doivent être attribuées pour la grande majorité.

Grâce à Dieu, l'artillerie lourde allemande, entrée en campagne avec son nombre complet de batteries, compensa quelque peu cette mauvaise situation. L'artillerie lourde des cinq armées allemandes de droite comprenait 19 bataillons avec 78 batteries de mortiers et de canons de 10 cm. 5. Je n'ai pas pu établir ce qui leur fut opposé du côté des alliés de l'Ouest. Les Français avaient, au début de la guerre, 106 batteries lourdes (obusiers de 155 Rimailho, obusiers de 120 et canons de 105). En tout cas, l'artillerie lourde des places de Paris et de Verdun a également pris part à la bataille ainsi que celle des forts de Meuse. Etant donné le rendement de notre artillerie lourde, il est regrettable que le G. Q. G. n'ait pas engagé à temps contre Verdun et les forts de Meuse une puissance d'artillerie écrasante. Après la chute de Maubeuge (7 septembre), et en faisant appel aux dotations de Metz et de Strasbourg, on aurait certainement pu , trouver le matériel nécessaire, quitte à s'aider, au besoin du matériel employé contre Liége et Namur. Ceci m'oblige encore à signaler à nouveau les batteries lourdes inopportunément concentrées devant Nancy.

 

LA CAVALERIE ALLEMANDE.

L'utilisation de notre cavalerie d'armée ne répondit pas, elle non plus, aux grandes espérances que justifiaient cependant les résultats qui avaient été obtenus avant guerre au point de vue de l'instruction de cette arme. Jamais une troupe de cavalerie n'était entrée en guerre avec une instruction aussi brillante et une préparation stratégique aussi poussée que les quatre corps de cavalerie allemands qui franchirent, le 7 août, les frontières belge et française. Le déclenchement de la marche en avant de l'aile de choc ayant été fixé au 18 août, les quatre corps de cavalerie eurent, jusqu'à ce moment-là, à masquer la concentration allemande et à assurer l'exploration lointaine. La première de ces missions fut remplie, de concert avec la couverture, par les brigades dites de " couverture " transportées rapidement à pied d'œuvre. L'exploration lointaine ne fut pas couronnée de succès, comme c'était à prévoir, malgré les pertes sensibles subies par le meilleur des personnels de patrouille. Les brillants aviateurs allemands remplirent, par contre, cette mission presque sans perte. C'est ainsi que les aviateurs de la 3e armée rapportèrent un croquis parfaitement exact et complet des travaux et des forces ennemis établis sur la ligne Namur-Givet et reconnurent à temps la brèche qui existait entre les 4e et 5e armées françaises lors de la concentration de ces armées. La reconnaissance coûteuse et puissante du 1er C. C. contre Dinant, le 15 août, fut donc totalement inutile. L'attaque du 2e C. C. contre la position belge de la Gette aboutit, elle aussi, à des pertes totalement inutiles et inopportunes. Les 3e et 4e C. C. perdirent également, jusqu'au début des premières grandes opérations, une partie importante de leurs organes d'exploration. A mon avis, la cavalerie d'armée aurait été bien mieux utilisée, si on l'avait employée tout d'abord à simuler une grande offensive.

 

Croquis 12 : La situation dans l'Est au début de la guerre.

 

Concentrés sur l'arc de cercle Beuthen - Kalisch - Thorn, nos quatre corps de cavalerie auraient pu, le 7 août, pénétrer en Pologne occidentale sur la rive gauche de la Vistule. Marchant concentriquement sur Varsovie, ils auraient pu, en trois étapes de 20, 30 et 50 kilomètres, se trouver, le 9 août au soir, à 100 kilomètres au delà de la frontière, donc approximativement sur la ligne Nida inférieure - Lodz - Bzura. Derrière eux, les troupes d'ersatz des corps situés à l'est de l'Elbe auraient pu simuler des mouvements de concentration à la gauche des corps allemands Woyrsch et Kummer (voir croquis 12). Aucun haut commandement, pas même celui des Russes, n'aurait, au début, éventé cette fausse manœuvre. Il aurait pris des mesures de parade, car les 11 divisions de cavalerie russes, qui se trouvaient alors en Pologne occidentale avec leurs 35 régiments actifs et leurs 12 régiments de cosaques n'auraient pas été à la hauteur des 60 régiments de cavalerie allemands. Il n'est pas douteux qu'une partie importante des masses russes supérieures en nombre, qui étaient en train de se concentrer autour des Autrichiens, aurait été variantée vers la Pologne occidentale et qu'une partie des armées destinées à agir contre la Prusse orientale aurait été également détournée vers l'Ouest et portée au delà de la Vistule si bien que l'invasion russe aurait peut-être été évitée complètement.

Les quatre corps de cavalerie allemands auraient pu se reposer le 10 août et disparaître ensuite à nouveau. Ils auraient alors rejoint, le 13 au soir, leurs trains qui les auraient attendus pendant ce temps dans les gares d'embarquement avec une partie de leurs convois. Ils auraient alors été débarqués, les 17-18 août, derrière les 1re, 2e et 3e armées du front occidental et auraient pu entreprendre avec des forces fraîches, devant l'aile droite et sur le flanc droit de l'aile de choc allemande, leurs deux grandes missions, couper les Belges d'Anvers et envelopper ensuite l'aile gauche franco-anglaise. Le raid de Pologne occidentale se serait vraisemblablement déroulé presque sans aucune perte. Le transport vers le front occidental, avec ses quatre jours de route, aurait été un repos bienvenu pour les hommes et les chevaux. C'est ainsi qu'après avoir passé trois semaines épuisantes sur les routes basaltiques de Lorraine, la 8e D. C:., embarquée le 31 août, dans la région nord-est de Metz et transportée en quatre jours jusqu'au delà de la Vistule, dans la région est de Marienburg, arriva en Prusse avec des chevaux entièrement frais pour prendre part à la campagne de Hindenburg contre l'armée du Niémen.

Mais le G. Q. G. allemand ne sut pas, au début des hostilités et pendant toute la campagne de la Marne, se servir de ses forces en utilisant la ligne intérieure comme le lui permettaient alors parfaitement l'état excellent du réseau ferré allemand et le nombre considérable de locomotives et de wagons dont il disposait.

Le G. Q. G. eut aussi la main malheureuse dans l'utilisation de ses dirigeables. Il leur donna des missions irréalisables. Nos trois zeppelins furent perdus aussitôt dans ces affaires. Le " Z VI ", sérieusement touché le 6 août au-dessus de Liége, dut atterrir à Bonn, au-dessus d'une forêt, et être démonté. Le " Z VII " et le " Z VIII ", employés le 21 août à poursuivre les Français lors de leur retraite hors des Vosges, durent atterrir, fortement endommagés par le feu ennemi, à Saint-Quirin et Badonviller. Le " Z VIII " tomba même momentanément aux mains de l'ennemi. Le " Z IX ", qui avait jeté quatre fois des bombes avec le " Sachsen " de la Delag sur les ports du détroit ne fut pas descendu, le 21 août, à Bruxelles, que parce qu'une panne de moteur l'obligea à rentrer à Dusseldorf, son port d'attache. Il y fut détruit, le 10 octobre, par un aviateur anglais.

Quant aux aviateurs, ils rendirent, par contre, de grands services dès le début de la guerre et contre toute attente, bien que leurs appareils fussent tout d'abord vraiment imparfaits et leurs équipages souvent peu compétents. Pendant toute la campagne de la Marne, ils ont assuré l'exploration lointaine d'une façon entièrement suffisante. Il ne manquait qu'une liaison avec le G. Q. G. pour permettre à celui-ci d'en tirer plein profit. Il est un fait qui caractérise le ministère de la guerre prussien du général von Heeringen : ce n'est que le 1er octobre 1912 que 10 escadrilles de campagne et 6 escadrilles de forteresse furent organisées en Allemagne, malgré la pression exercée depuis 1911 par l'état-major (Ludendorff) et malgré la déclaration du chef d'état-major général qui avait dit que : " même ainsi, nous ne parviendrions pas à rattraper la France, qui s'était assuré des avantages que nous ne possédions pas. "

LES PERTES

Nos ennemis ont déclaré que leur butin de victoire s'était élevé à 40.000 prisonniers et 200 pièces de canon. Dès l'automne 1914, la légende avait évalué les pertes de la 1re armée à un chiffre particulièrement élevé, entre autres à 120 pièces de canon. Le colonel-général von Kluck fut obligé, en octobre, de démentir ces bruits qui s'étaient répandus jusqu'au G. Q. G. Dans le Militäre Wochenblatt, le général de l'infanterie von Zwehl a rabaissé les pertes de la 1re armée à quelques voitures de ravitaillement (onze) ; le général von Kräwel concède 6 canons détruits ; le général de l'infanterie von Kuhl cite en outre 9 canons perdus. Les pertes du IVe C. R. qui a été exposé nuit et jour au feu le plus violent, du 5 septembre midi au 9 septembre après-midi, se sont élevées à 4.000 hommes tués, blessés et disparus.

La 2e armée estime qu'elle a eu 20 officiers et 7.743 hommes disparus pendant la bataille de la Marne ; les listes de pertes officielles de la 3e armée contiennent les noms de 24 officiers et 3.083 hommes disparus. Parmi ceux-ci, plus de 1.000 ont été reconnus tués par la suite. Pour être d'accord avec les chiffres français, il faudrait admettre 29.130 disparus pour les 1re, 4e et 5e armées. Le chiffre total donné par les Français doit être exact, car il contient tous les blessés qui ont été abandonnés à l'ennemi dans les ambulances au sud de l'Aisne. J'estime également que le chiffre de 200 canons est conciliable avec celui des pertes en canons nié par les Allemands. En effet, toutes les pièces détruites par le feu ennemi, et partant laissées en arrière, n'ont pas été comptées par notre artillerie comme " tombées aux mains de l'ennemi ", mais comme " matériel mis hors de service ". Sur 2.556 pièces employées pendant la bataille de la Marne, 200 ne font que 7,7 p. 100. Nos pertes en matériel ont fort bien pu s'élever à ce chiffre. J'ai cherché depuis 1915, auprès des troupes du front et dans les archives de l'état-major, à tirer au clair ces questions de pertes. Le nouveau service des Archives d'empire, qui m'avait promis tout d'abord des données statistiques exactes sur les effectifs combattants avant et après la bataille de la Marne, n'a pas pu, malheureusement, lui non plus, tenir sa promesse. Mais je suis parvenu à établir ce qui suit :

La 3e armée est entrée dans la bataille de la Marne avec un effectif total de 2.105 officiers et 81. 199 hommes (XIIe C. A., 28.303 ; XIXe C. A., 28.207 ; XIIe C. R., 26.745) ; sur ce nombre 1.349 officiers et 59.175 hommes prirent part à la bataille comme fantassins. Le nombre total des tués, blessés et disparus s'est élevé à 443 officiers et 10.402 hommes. Il s'éleva, au XIIe C. A., aux deux tiers des officiers et aux deux cinquièmes des hommes. Les pertes de la 2e armée ont dû être analogues. Bülow se

contente de dire que les effectifs de son infanterie étaient tombés, en moyenne, aux deux cinquièmes des effectifs de départ.

La 5e armée rendit compte, après la bataille, que ses effectifs de combat s'élevaient à 10.000 fusils par corps d'armée, sauf à un seul corps qui en avait encore 16.000.

Il résulte de là que, en chiffres ronds et par comparaison, les pertes totales de l'armée allemande pendant toute la campagne de la Marne se sont élevées aux trois cinquièmes de ses effectifs de départ. Du côté ennemi, elles ont été certainement encore beaucoup plus grandes. Les armées allemandes sont arrivées sur l'Aisne après la bataille de la Marne avec environ deux cinquièmes seulement de leurs effectifs initiaux. Mais les renforts abondants dont nous disposions à l'intérieur rejoignirent le front à ce moment-là et reportèrent rapidement les effectifs des corps de troupe à leur maximum. Les pertes en officiers furent effroyablement élevées du côté allemand. Dans les corps d'armée qui furent particulièrement engagés, elles dépassèrent deux tiers des officiers combattants. Elles furent une des causes déterminantes qui amenèrent le G. Q. G. à renoncer à la guerre de mouvement sur le front occidental. Chez les seuls officiers de carrière le nombre des tués s'est élevé finalement, comme on le sait, à 39 p. 100 ; celui des blessés, à près de 54 p. 100. Les pertes totales en officiers (153.000) que le peuple allemand a subies pendant la lutte à mort qu'il a soutenue ont encore dépassé de 23.000 unités les pertes totales (hommes et officiers) de toute l'armée allemande pendant la guerre de 1870-1871. Aussi n'est-il pas étonnant que le poison de la propagande ennemie ait été dirigé surtout contre le corps d'officiers allemands. Le succès extraordinaire de cette propagande est une des causes principales de l'effondrement de la résistance allemande à la fin de l'automne 1918. J'ai reçu, à propos de mon ouvrage sur la Bataille de la Marne, des lettres provenant de tous les Etats civilisés et même des milieux officiers ennemis, lettres dont les auteurs exprimaient leur admiration sans réserve pour les exploits accomplis par le corps d'officiers allemand pendant la guerre mondiale : l'ingratitude aveugle de nos concitoyens envers ces hommes, dont 95 p. 100 ont versé leur sang pour leur malheureuse patrie, est d'autant plus amère. Nous sommes tombés avec honneur, c'est là la fière consolation que l'Histoire mondiale est obligée d'accorder au corps d'officiers du glorieux empire allemand. Nous avons nous, les éducateurs du peuple allemand, la satisfaction d'avoir forgé avant guerre, a notre chef suprême, une arme que ni Frédéric le Grand, ni Napoléon, ni même nos pères de 1870-1871 n'ont pu jeter dans le combat décisif ; malheureusement, le cerveau capable de l'utiliser à sa juste valeur nous fit défaut.

Le Grand Quartier Général après la bataille

 

" Le G. Q. G. a été défaillant à partir du commencement des grandes opérations et, quand la crise est survenue, il a perdu la tête ". C'est ainsi que s'est exprimé plus tard le kronprinz impérial dans une lettre à un de ses amis. C'était déjà son opinion en 1914. D'après le général Keim, il a eu l'intention d'arrêter le " plénipotentiaire " du G. Q. G. lors de son envoi au front. C'est bien dommage qu'il ne l'ait fait dès son départ. Cela nous aurait peut-être épargné l'obligation de battre en retraite. On sait que, dans son communiqué et malgré les fanfares de victoire de nos ennemis, le G. Q. G. ne dit mot tout d'abord de la victoire de la Marne, puis qu'il parla avec embarras autour de la question, en faisant des allusions mystérieuses au fait que la situation militaire exigeait que l'on gardât le silence sur cette question. En réalité, il n'avait pas encore conscience, à ce moment-là, de l'importance catastrophique de ces événements. Les ordres et les contre-ordres envoyés, le 9 septembre au soir, du G. Q. G., témoignent de l'affolement qui y régnait. En fait, ce ne fut que dans l'ordre du 10 septembre, à 5 h. 45 du soir, qu'il exprima à nouveau une claire volonté, en fixant un but à la retraite et en ordonnant de s'arrêter.

" Je crains qu'au G. Q. G. on ne se trompe complètement sur les conditions de puissance réelles de nos ennemis. " Telles furent les paroles qui furent prononcées à cette époque par le vieux maréchal comte Haeseler (von Eckardstein : Souvenirs, page 96) " Comment a-t-on pu seulement, ajoute-t-il, essayer de faire défiler nos troupes près de Paris avec un flanc découvert et sans être gardé dans le dos par des éléments échelonnés en profondeur "

" Comment a-t-on pu essayer de percer en même temps entre Toul et Epinal ?

" Qu'aurait dit le grand de Moltke, qu'aurait dit Schlieffen de tout cela ? "

Le rapport du lieutenant-colonel Hentsch, dont je citerai encore ici le passage suivant, permet de pénétrer dans une certaine mesure l'état d'âme du chef d'état-major général de l'armée de campagne. Hentsch a écrit ce qui suit :

" En tout cas, lors de mon retour au G. Q. G. le 10 septembre à 9 heures du soir, personne ne me fit le reproche d'avoir dépassé mes pouvoirs, personne ne me déclara qu'on s'était attendu à un autre résultat. Bien au contraire, quand je lui fis le compte rendu suivant :

" La 1re armée se replie sur la ligne Soissons - Fismes ;

" La 2e armée, derrière la Marne, elle se portera ensuite peu à peu derrière la Vesle ;

" La 3e armée se replie tout d'abord de part et d'autre de Châlons, en s'échelonnant et en gardant le contact des 2e et 4e armées ;

" Les 4e et 5e armées pourront encore tenir, à mon avis et d'après la ferme conviction de leurs commandements, si, à la 3e armée, le XIXe C. A. reste en liaison avec elles et si, à la 5e armée, les forts de Meuse sont pris. Ce dernier point est toutefois la condition essentielle pour que la 5e armée puisse tenir ", S. E. von Moltke déclara :

" Dieu soit loué, l'affaire a bien meilleur aspect que je ne le pensais. ! "

" Je répondis à Son Excellence à peu près en ces termes : . " Excellence, la décision de laisser les 3e, 4e et 5e armées dans leurs anciennes positions, est si grave que je la prie de se rendre elle-même aux Q. G. de ces trois armées et d'examiner sur place si j'ai agi judicieusement. "

" Le chef d'état-major général partit alors, le 11 septembre, pour ces trois armées et, sur le vu de nouveaux comptes rendus, replia également l'aile gauche de l'armée allemande.

" Il ressort nettement de cet entretien que j'étais parvenu à limiter la retraite de l'aile droite de l'armée et que j'étais parfaitement conscient de la responsabilité que j'encourrais, si l'aile gauche de l'armée ne se joignait pas à ce mouvement de retraite. Il ressort, en outre, de ce qui précède que S. E. von Moltke était satisfait de savoir que la retraite générale n'avait pas été nécessaire. Des témoins ont-ils assisté à cet entretien ? Je ne le sais plus, mais le crois fermement. "

Telles sont les déclarations de Hentsch. Le fait que le G. Q. G. a été renseigné par son propre délégué sur la possibilité de laisser ,l'aile gauche en place (3e, 4e et 5e armées) a pour moi une grande importance.

Ce fut seulement à la malheureuse influence du colonel-général von Bülow qu'il fut réservé d'amener de Moltke à renoncer entièrement, le 11 septembre, à prendre des contre-mesures énergiques.

Certains de ces messieurs du G. Q. G. de 1914 ont prétendu plus tard, que de Moltke n'avait nullement pensé à une retraite, pas même pour l'aile droite. Le colonel Hentsch combat cette assertion dans son rapport. Il y réfute formellement l'affirmation du colonel von Dommes selon laquelle le colonel-général von Moltke n'aurait pas songé à replier l'aile droite de l'armée. Il a écrit à ce sujet : " Je ne peux réfuter cette assertion qu'en disant que le colonel-général von Moltke espérait que la retraite ne serait pas nécessaire. Je fais appel, à ce propos, au rapport du général von Stein (paragraphe 2), où il est dit : " Je crois que le commandement suprême a tenu le repli des 1re et 2e armées pour nécessaire, je le déduis d'une déclaration que m'a faite le colonel-général von Moltke; déclaration au cours de laquelle il m'a dit que les armées auraient dû s'arrêter sur l'Aisne et qu'en particulier la 1re armée s'était beaucoup trop avancée. " - Et plus loin : " J'ai l'impression que S. E. von Moltke avait approuvé l'idée de la retraite. Il considérait l'aile droite de la 2e armée comme battue et la situation de la 1re armée comme intenable. "

Il me faut encore, à cette occasion, combattre une autre légende, selon laquelle des considérations de haute politique, jointes à notre situation militaire générale sur terre et sur mer, auraient contribué à la décision de battre en retraite. Lorsqu'en 1917 je demandai au G. Q. G. l'autorisation de publier un exposé objectif de la bataille de la Marne, on me fit encore des allusions mystérieuses au fait que de tout autre motif que les événements purement militaires avaient été déterminants pour la retraite. Ma connaissance des archives et des personnes me permettait déjà d'en douter. C'est pourquoi, dans ma Bataille de la Marne j'ai reproduit également, d'après le rapport de situation du G.Q.G., la situation telle qu'elle se présentait au commandement suprême le 10 septembre en fonction des comptes rendus reçus jusqu'à 5 heures du soir. Je ne donnerai, ici, que la partie de ce rapport concernant le front oriental et ferai remarquer que, jusqu'alors, la situation sur mer n'avait encore joué absolument aucun rôle dans les décisions du chef d'état-major général de l'armée de campagne. C'est ce qui explique aussi pourquoi la situation sur terre n'a pas eu d'action décisive sur les décisions concernant l'emploi de nos forces navales et réciproquement. Si l'on avait eu, le 10 septembre 1914, une " Direction de la guerre " au sens ultérieur du mot, celle-ci aurait encore dû, a mon avis, avant le 1O septembre au soir, donner l'ordre de faire sortir la flotte de haute mer. Avec Tirpitz et toute la flotte de haute mer de 1914, je suis fermement persuadé que l'échec de la Marne aurait été le levier de la victoire allemande sur mer victoire qui aurait changé l'histoire et la carte du monde. Sir Percy Scott a raison de dire, dans son rapport . " La flotte anglaise aurait succombé à une attaque allemande. " C'est, en effet, en septembre 1914 que, par suite du succès remporté par " l'U 9 " de Weddigens sur trois croiseurs anglais, une terreur paralysante pesait sur la puissance navale d'Albion.

En ce qui concerne l'issue de la deuxième bataille de Prusse orientale, le G. Q. G. avait déjà reçu des comptes rendus favorables de Hindenburg.

Le rapport de situation du 10 septembre concernant le théâtre d'opérations oriental disait :

" En Prusse orientale, la bataille est en cours, depuis le 9 septembre, contre la 1re armée russe. Des forces assez importantes se sont montrés dans la région de Lyck, ou des fractions de la 8e armée allemande ont pris à leur compte la couverture du flanc droit de l'armée. " Les opérations de la 1re armée austro-hongroise contre la 4e armée russe, au sud de Lublin, n'ont pas abouti à un succès. L'armée s'est heurtée à des forces très supérieures et s'est repliée derrière la coupure du San.

La 4e armée austro-hongroise tient ses positions dans la région de Nawa-Ruska.

" La bataille livrée par le gros des forces austro-hongroises (3e et 2e armées renforcées par des éléments de la 4e) est en plein développement près de Lemberg ; l'attaque austro-hongroise progresse lentement. "

Il résulte de ce qui précède que la défaite de notre allié en Galicie n'a pas influencé, comme on l'a souvent prétendu plus tard, les décisions du G. Q. G. Ainsi que nous le savons aujourd'hui d'après les témoignages de Tappen et de Hentsch, la chose est très simple et exempte de toute dissimulation mystérieuse : Moltke a perdu la tête et ses collaborateurs les plus immédiats ont été défaillants, parce qu'ils ne se sont pas cantonnés rigoureusement dans leur domaine de travail et parce que les responsabilités n'étaient pas nettement délimitées. Je me refuse à en dire davantage à ce sujet. Devant l'histoire, c'est le colonel-général de Moltke qui porte seul la responsabilité des actes de la Direction suprême de cette époque. Cela suffit.

 

COUP D' OEIL RETROSPECTIF

LES CAUSES DU MALHEUR DE LA MARNE

 

J'ai condensé, dans ce qui précède, la correspondance échangée entre le G. Q. G. et les différents commandants d'armée, les pensées des hommes qui ont eu des rôles de chefs telles qu'elles sont rapportées dans les ouvrages de von Kluck et von Kuhl, Bülow, Hausen, Stein et Tappen, enfin les documents officiels sur les événements qui ont eu lieu avant, pendant et après la bataille de la Marne. J'ai donné ainsi au lecteur les bases dont il avait besoin pour pouvoir porter un jugement personnel.

Mais qu'il fasse sien l'avertissement de Ludendorff : " Tous les hommes, qui critiquent les mesures prises par des chefs, devraient, auparavant, étudier l'histoire militaire, à moins qu'ils n'aient pris eux-mêmes part à la guerre en des postes de chefs. Je voudrais leur souhaiter d'être obligés de diriger un jour eux-même une bataille. Devant l'imprécision de la situation et les exigences formidables qui leur seraient imposées, ils seraient effrayés de la grandeur de leur mission et deviendraient plus modestes. Seul, le chef d'Etat, l'homme d'Etat, qui se décide à faire la guerre, porte, quand il le fait en toute conscience, un fardeau aussi lourd et même plus lourd que le chef militaire. Et encore n'a-t-il à prendre qu'une seule et grande décision, tandis que le chef militaire, lui, doit en prendre chaque jour et à chaque heure. De lui dépendent sans cesse le bonheur ou le malheur de centaines de milliers d'hommes et même de nations entières. Il n'y a rien de plus grand, mais aussi de plus lourd pour un soldat, que d'être à la tête d'une armée ou de l'ensemble des armées d'une nation " (Ludendorff, page 41).

Il faut, en outre, dans ces critiques, tenir pleinement compte du fait qu'au début de la guerre tous les emplois de la Direction suprême comme des armées étaient occupés par des hommes triés, vraiment capables, éprouvés depuis de longues années et dans lesquels l'armée avait la plus complète confiance. L'état-major a brillamment travaillé, lui aussi, dans son ensemble. Aussi la défaillance de la machine de guerre allemande paraît elle d'autant plus incompréhensible à la plupart des gens. Pour chaque acte que l'on estime aujourd'hui, à la lumière des événements historiques, avoir été une grave erreur, il faut toujours chercher à savoir pourquoi les profonds penseurs et les soldats pratiques qui se trouvaient à l'endroit intéressé ont agi et jugé ainsi et non autrement. Ce n'est que de cette façon que l'on peut être juste envers les hommes qui, tout comme nous, ont fait de leur mieux pour l'Empereur,, pour l'Empire et pour notre patrie bien-aimée. Mais ce que nous voulons aussi apprendre des événements, c'est, non pas si telle ou telle mesure était la meilleure, mais si, chez les hommes dirigeants, la somme des capacités humaines était en rapport avec la grandeur de leur mission. Ce ne fut certainement pas le cas chez l'homme auquel l'empereur avait confié la direction suprême de l'armée au début de la guerre ; par contre, il est tout aussi certain que le colonel général de Moltke n'a pas fait pression pour obtenir le poste épineux de chef d'état-major de l'armée de campagne.

Il avait demandé à l'empereur, en 1906, de renoncer à son choix. Il savait, ainsi que le dit justement le lieutenant-colonel Foerster, ce que c'était que d'être le successeur d'un homme de génie. Depuis 1906, il avait fait loyalement, en un sérieux travail du temps de paix, tout ce qu'il était en son pouvoir de faire pour lui et pour les officiers du grand état-major placés sous ses ordres.

Les résultats qu'il a obtenus en temps de paix, au point de vue du dressage de l'état-major, sont incontestés . " Moltke savait mieux et plus habilement que tout autre prendre l'empereur, en particulier pour l'amener à renoncer à ses interventions personnelles et soudaines " - " Il avait l'intelligence claire, un don de compréhension rapide, une instruction générale complète, un coup d'œil politique aigu et réaliste, une compréhension saine des individus et des contingences de l'époque, le sens de l'importance des facteurs moraux dans la conduite de la guerre, toutes qualités qui complétaient ses capacités militaires. Caractère noble et distingué, aux qualités de cœur largement développées, à la sensibilité profonde, tendre, presque efféminée, au désintéressement et à la modestie absolus, - en cela il ressemblait à son oncle, - il était dépourvu de toute ambition personnelle. " Enclin à subtiliser, accessible aux atteintes pessimistes, d'une santé peu solide, il était entré dans la période de tension épuisante qui avait précédé la déclaration de guerre, après avoir fait deux cures à Carlsbad. Les émotions et les luttes de ces journées diminuèrent son équilibre moral, le succès d'abord manqué de l'attaque de Liége, sa confiance. " La confiance de son chef suprême en ses capacités parut ébranlée. Cette impression le toucha au point le plus sensible. Car, en lui, il n'y avait rien du " feu sacré " d'un grand capitaine né. Il ne croyait pas assez en son étoile. Ce qui lui manquait en fait de confiance en soi ne pouvait être compensé complètement ni par son sentiment du devoir, ni par sa discipline personnelle de fer. " Tout cela pesait sur sa fraîcheur intellectuelle et sa tension physique.

" C'est un coup tragique du destin que de Moltke n'ait pas eu à ses côtés, à la déclaration de guerre, l'âme de feu d'un Ludendorff, qui, comme chef de la section des opérations, avait consacré pendant des années toutes ses forces à la préparation de la guerre. Celui-ci, nous pouvons bien l'admettre, avec ses nerfs puissants, sa dureté de caractère et sa force de volonté passionnée, aurait été le meilleur complément des hautes qualités intellectuelles de son chef. Ainsi donc, parmi les hommes de l'entourage immédiat de Moltke, aucun, semble-t-il, ne fut capable, au milieu des impressions de guerre puissantes et souvent contradictoires qui déferlaient sans cesse, aucun ne fut capable de dominer l'ensemble de la situation et d'avoir cette vision lointaine divinatoire, qui, libre de toute opinion préconçue et de tout désir, évite de se laisser tromper par des opinions personnelles et, dans le tumulte et l'imprécision des événements, soupçonne et sent la vérité. "

C'est en ces termes que, dans son ouvrage sur Schlieffen (pages 27 et 28), le lieutenant-colonel Foerster dépeint de Moltke, cet homme et ce soldat profondément sympathique, auquel il n'a manqué qu'une seule chose : les qualités qui font un grand capitaine.

Moltke - ainsi que la bataille de Lorraine l'a prouvé et que ses prescriptions concernant la répartition des forces en cas de guerre avaient déjà permis de le constater auparavant - Moltke n'avait reconnu ni l'ampleur puissante, ni la logique impérieuse des idées fondamentales du plan de campagne de Schlieffen. Le cours tout entier de la campagne de la Marne montre que, malgré les changements apportés au plan de concentration de Schlieffen, une direction à la volonté puissante aurait encore pu mettre la victoire de son côté. Les fautes de ses adversaires étaient ses meilleurs alliés. Mais de Moltke commit lui-même, de temps en temps, des fautes plus graves encore. Au début, c'est la condescendance du commandement suprême à l'égard des désirs particuliers des 6e et 7e armées qui a empêché l'armée allemande de remporter une victoire de Cannes en Lorraine. Plus tard, il ne prit pas la direction de la deuxième manœuvre d'encerclement que l'ennemi lui offrait dans l'angle de la Meuse et de la Sambre ; plus tard encore, se trompant totalement sur la grandeur des résultats déjà obtenus, il affaiblit son aile droite et laissa des forces beaucoup trop considérables en Lorraine. Par manque de confiance en ses propres capacités, il abandonna de plus en plus les rênes au commandant de la 2e armée, chef à la volonté plus puissante. Il tomba alors dans une période de décisions saccadées où il oscilla entre la marche sur Paris, la conversion vers le Sud-Est et la double percée en Champagne et sur la haute Moselle. Et c'est ainsi que de Moltke jeune fut victime de la mission qui l'écrasait.

Aujourd'hui, il n'est pas difficile, pour l'historien, de se rendre compte que toutes les erreurs commises par le commandement de Moltke sur le front ouest auraient pu être conjurées par l'introduction de deux commandements de groupes d'armée à l'aile marchante (un groupe d'armées n° 1 qui aurait commandé les 1re, 2e et 3e armées, un groupe d'armées n° 2 qui aurait commandé les 4e et 5e armées). Ceux-ci auraient fait sentir leur action en créant des compromis, écartant des dangers, suggérant des idées toutes possibilités qui échappaient au G. Q. G., car, demeuré loin du front, il ne sentait pas du tout battre le pouls de ce corps vivant qu'était l'armée. Moltke manipulait ce mécanisme puissant mais délicat, créé par un plus grand que lui, comme un appareil automatique d'horlogerie, sans comprendre les frottements dangereux qui se produisent pendant son mouvement. Malheureusement, l'empereur n'intervint pas, lui non plus, quand l'incapacité de Moltke devint de jour en jours plus évidente. L'exemple qu'il donna en rejetant toute responsabilité ne fut suivi que trop rapidement par celui qui était chargé de diriger les mouvements de l'armée. Il n'est pas douteux que ce fut de Moltke lui-même qui se rendit le mieux compte de son incapacité à remplir la mission dont l'ampleur et le poids augmentèrent comme une avalanche, jusqu'au moment où ils écrasèrent moralement et intellectuellement celui sur qui elle pesait..

C'était la volonté de son empereur fidèlement respectée qui, parce qu'il portait le nom le plus honoré dans l'armée allemande, avait mis cet homme distingué, soldat obéissant, à la place qui appartenait au plus capable.

Après le départ du comte von Schlieffen, on avait espéré, dans la plupart des milieux de l'armée, que ce serait Hindenburg qui serait choisi comme chef d'état-major général. On aurait aussi songé, avant la guerre, à confier ces fonctions au colonel-général von Bülow. Cela explique peut-être l'influence prépondérante prise par ce chef pendant la campagne de la Marne - pas à l'avantage de l'intérêt général.

Mais les causes du malheur de la Marne ne sont pas dues, cependant, exclusivement à une seule personne ; elles sont dues - cela est profondément douloureux à dire pour un vieux soldat, fidèlement dévoué à son empereur - au régime impérial souverain des vingt-cinq dernières années qui précédèrent la guerre. Pour des caractères comme York et comme Seydlitz qui mirent leur tête à la disposition de leur roi, mais s'en servirent d'abord à l'heure de la décision, il n'y aurait pas eu de place dans notre organisme national d'avant-guerre. Aussi n'est il pas étonnant que l'heure fatale du 9 septembre 1914 - premier jour grave de la nouvelle Allemagne - ne les ait pas fait surgir.

Ils ont manqué à la tête des armées et même à la tête de certains corps d'armée et de certaines divisions. Certes, tous nos chefs ont jugé et senti comme les généraux von Quast et von Kluge, qui se sont insurgés contre l'ordre de retraite. Mais aucun n'en a tiré la dernière conséquence : " Quoi ? La retraite ? Non ! Il faut que j'achève d'abord de vaincre ! " Si seulement - pour citer un autre exemple - le général von der Marwitz avait déclaré : " Je dois d'abord jeter les Anglais dans la Marne ! " de concert avec le groupement Linsingen qui, deux heures et demie auparavant, avait refusé énergiquement de replier l'aile gauche de la 1re armée et, à 2 heures de l'après-midi, s'était retiré derrière l'Ourcq " sans être nullement inquiété par l'ennemi ". Interrogez les braves combattants de la 5e D. I., du 2e C. C. et de la brigade Kraewel ! Ils l'auraient fait, ajoutant ainsi un nouveau miracle aux exploits miraculeux des corps de la 1re armée. Et à la 2e armée : si seulement les commandants du VIIe C. A . de la 13e D. I. et du 1er C. C. avaient déclaré : " Plutôt mourir sur le Dolloir que reculer davantage ! " Si seulement le corps de la Garde s'en était tenu à cette décision : " Laissez-nous achever d'abord notre victoire ! L'ennemi est visiblement à bout ! "

Si seulement le groupement de droite de la 3e armée, qui n'avait pas exécuté immédiatement l'ordre de retraite qu'il avait reçu, avait persisté, lui aussi, à vouloir d'abord achever sa victoire comme le commandant du XIXe C. A. avait su obtenir de rester jusqu'au 11 septembre au matin dans ses positions conquises !

Si seulement les commandants des 3e, 4e et 5e armées - agissant contrairement à l'ordre sans énergie du G. Q. G. dont ils avaient reconnu depuis longtemps l'incapacité - avaient continué à attaquer, les 10 et 11 septembre, avec toutes leurs forces, jusqu'à la victoire finale qui était imminente !

La série des occasions perdues de faire oeuvre de chefs est, loin d'être épuisée avec ces exemples. Et quelle est la cause de ce phénomène surprenant ? Un simple exemple la fera connaître. Lorsque le général von François, qui, à la tête du Ier C. A., avait agi, à plusieurs reprises, contrairement aux ordres donnés et pour le plus grand bien de l'ensemble, se présenta, en janvier 1915, à l'empereur comme nouvellement arrivé sur le front occidental, ce dernier termina l'entretien en disant : " Allons, François, avec l'aide de Dieu ! Vous ferez du bon travail, ici aussi. Mais il vous faut obéir. Vous êtes un caractère trop indépendant " (François, page 177).

Est-il étonnant, dans ces conditions, que les têtes de fer, les hommes qui suivaient leur propre chemin, en agissant même contrairement aux ordres donnés et contrairement aux " désirs supérieurs et suprêmes ", fussent devenus impossibles dans l'armée comme dans tout l'Etat, dès la période d'avant-guerre ? Hindenburg partit en retraite sans perspective d'être employé en temps de guerre. Ludendorff, l'homme gênant par ses pressions et l'auteur du projet de loi sur l'armée qui n'avait pas plu au ministre de la guerre, dut quitter l'état-major. Et ce fut un Tappen qui fut appelé à sa place pour prendre la direction de la section des opérations en cas de guerre ! Quant à Ludendorff, il fut désigné pour être quartier-maître général de la 2e armée dans les mêmes circonstances ! N'avait-on pas le choix parmi les candidats capables sachant s'adapter docilement ? Pourquoi se mettre en colère avec des natures aussi énergiques que celle d'un Ludendorff ! Pas de manifestations troublant la paix intérieure ! Tel était le mot d'ordre du cabinet royal prussien, de l'état-major et du ministère de la guerre avant que Falkenhayn, le rénovateur énergique, eût été chargé de prendre la direction de ce dernier. Le ministère de la guerre prussien avait été confié de 1909 à 1913, au colonel-général von Heeringen. Ainsi que l'a écrit le grand amiral von Tirpitz, ce ministère était, en 1914, " manifestement un bureau de ronds de cuir solidement installé " et son chef avait été, jusqu'en 1913, au delà de toute mesure " à la merci du parlement ". A ma conviction, c'est lui qui est responsable de la préparation insuffisante de notre matériel-hommes si puissant, comme de la moindre valeur de notre canon de campagne et de l'insuffisance de nos prévisions en matière de munitions.

Le capitaine K. Anker, dans ses articles " Les coupables du malheur de la Marne en 1914 " (Tägliche Rundchau, nos 447 et 476 de 1919), a complété par une documentation de valeur les accusations que j'ai portées contre le ministre de la guerre de cette époque, ministre qu'il a qualifié de " soumis au parlement jusqu'à faiblesse complète ".

D'après cette documentation, malgré le danger de guerre et même après le projet de loi de 1913, notre armée du temps de paix était encore inférieure de plus 70.000 hommes à celle de la France, alors que la population de l'Allemagne était de 67 millions d'âmes et celle de la France de 40 millions seulement. C'était en vain que l'état-major avait signalé (Mémoire du 21 décembre 1912) que la France appelait sous les drapeaux 82 p. 100 de ses hommes astreints au service, tandis que l'Allemagne n'en appelait que 52 à 54 p. 100. C'était en vain qu'il avait demandé l'utilisation sans réserve de nos plus jeunes classes, afin de ne pas être obligé, en temps de guerre, comme cela a eu lieu, d'arracher à leur profession et à leur famille les classes instruites plus âgées et très âgées. " Le ministre de la guerre prussien de l'époque " se rallia " au programme minimum par crainte du Reichstag " ( R. ANKER). C'est lui qui, sans aucun doute possible, est responsable devant Dieu et devant le peuple allemand du fait que l'heure fatale n'a pas trouvé le peuple allemand armé comme il aurait pu l'être.

Le colonel-général von Heeringen a cherché en vain, dans la kreuzzeitung des 13 et 14 novembre 1919, à désarmer les attaques qui étaient dirigées contre lui de plusieurs côtés. Sa défense n'est qu'une auto-accusation déconcertante. Il déclare en particulier :

" Dans le courant de l'année 1912, l'horizon politique se couvrit toujours davantage. " En effet, l'Italie reprit les cinq corps d'armée et les deux divisions de cavalerie qu'elle nous avait promis d'envoyer en Alsace en cas de guerre. La France fut, en outre, complètement dégagée sur sa frontière italienne. L'organisation de son armée fit des progrès importants. Elle put aussi compter que l'armée belge, dont les effectifs allaient être considérablement augmentés en automne 1912, lui apporterait un appui sérieux, et cela non pas dans quelques années mais dès 1913, ou au plus tard dès 1914, comme cela a eu lieu en réalité. L'Angleterre, elle, prépara un corps expéditionnaire puissant, grâce à la réforme militaire de lord Haldane. La Russie amorça, par sa loi de juin 1912, l'utilisation complète de ses ressources militaires, - en Allemagne elles n'étaient utilisées qu'à moitié, - elle forma 4 nouveaux corps d'armée, rameuta sur sa frontière occidentale des forces importantes prises en Sibérie et au Caucase et accéléra sensiblement sa mobilisation.

Le chef de l'état-major prussien, estimant la supériorité de nos voisins de l'Ouest et de l'Est à 566 bataillons, 319 escadrons et 82 batteries (en réalité elle était beaucoup plus grande !), demanda, en décembre 1912, au moins trois nouveaux corps d'armée et une augmentation d'effectifs bien supérieure aux 117.267 hommes qui furent finalement accordés.

Le ministre de la guerre von Heeringen fut d'un avis contraire. Le colonel-général von Heeringen donna pour raison de son opposition qu'il était impossible de se procurer le surplus d'officiers (5.000), de sous-officiers (195.000, y compris les trois nouveaux corps d'armée) et d'hommes des classes anciennes qu'exigeait le projet de l'état-major. C'est là un fait qui a été démenti d'une façon frappante par les résultats qui ont été obtenus au cours de la guerre, sous la contrainte des événements. Naturellement, on n'employa pas, pour y parvenir, la méthode schématique avec laquelle l'état-major prussien travaillait depuis 1874. Mais, en suivant l'exemple donné par Scharnhorst avant 1813, on aurait pu parfaitement, - en vue de la guerre, qui, d'après le colonel-général von Heeringen lui-même, était imminente, et tout en restant dans le cadre des moyens dont on disposait renforcer l'armée allemande tout au moins dans la mesure où l'état-major le demandait. " Naturellement, - écrit le colonel général von Heeringen ,- les armements de l'Allemagne en vue de la guerre mondiale menaçante auraient pu être encore plus puissants. Mais il aurait fallu commencer avant 1909. " Assurément c'eût été préférable. Mais cela ne diminue nullement la responsabilité du ministère de la guerre prussien de 1909-1913. Si ce ministère avait rétabli en 1909 le service militaire dit " général ", nous aurions eu, en 1914, au moins un million d'excellents soldats en plus et nous aurions ainsi certainement gagné la guerre. Cette mesure n'a pas été prise et c'est un signe de notre décadence nationale. Elle est à la charge de notre représentation nationale et du ministre de la guerre, responsable de la défense de notre patrie.

Quant aux graves accusations que j'ai portées sur l'insuffisance de notre canon de campagne, sur nos mesures de prévision tout à fait incomplètes en fait de ravitaillement en munitions et sur la préparation schématique de notre mobilisation qui manquait complètement d'envergure, le colonel-général von Heeringen n'en dit mot.

Il se tourne plutôt contre ceux qui prétendent que " les trois corps qui nous ont manqué ont été la véritable cause pour laquelle nous avons perdu la bataille de la Marne ". Il répond en disant : " Tout d'abord, nous n'avons pas du tout perdu la bataille de la Marne. Notre retraite de la Marne n'a pas été provoquée par une victoire ennemie, mais par de tout autres circonstances. Ensuite, nos armées, placées à l'aile décisive, auraient pu avoir non seulement trois corps de plus, mais encore davantage, si les renforts envoyés sur le front oriental n'avaient pas été prélevés sur elles et si les 6e et 7e armées avaient été rameutées plutôt dans cette région avec une grosse partie de leurs éléments. " C'est incontestable et clair pour quiconque connaît les faits d'après mon exposé de la bataille de la Marne. Mais cela ne dégage en rien le ministère de la guerre prussien de 1913 de la grave négligence qu'il a commise à propos des trois corps d'armée susvisés et de la mise en vigueur du service militaire général.

Ludendorff nous a dit (Mes Souvenirs de guerre, page 94) que, comme chef de la section de concentration, il avait en vain fait pression pour obtenir une augmentation de nos réserves de munitions. Nos préparatifs pour la fabrication des munitions étaient si insuffisants, que nous sommes toujours demeurés en retard à ce point de vue.

Avant la guerre, nous avions bien travaillé avec une application d'abeilles, en utilisant à fond les ressources données par le Reichstag, à ajouter chaque année bataillon sur bataillon à nos forces combattantes à mobiliser en cas de guerre ; mais l'ensemble de la préparation de notre mobilisation n'en manquait pas moins d'envergure. Un esprit de cachotterie mesquin, qui s'est fait chèrement payer, empêchait entièrement les officiers des corps de troupe à l'intelligence pratique de prendre part à la préparation de la mobilisation exécutée par l'état-major et le ministère de la guerre prussien. Ce n'est qu'après la déclaration de guerre que l'on improvisa une véritable levée des ressources militaires allemandes.

J'ai l'impression qu'avant guerre, on a été amené par sentiment de la supériorité de notre état-major et de notre administration, à estimer qu'il n'était pas nécessaire d'en faire davantage. Or, il est certain que notre administration n'a rendu, ni avant la guerre, ni pendant les deux premières années de guerre, ce qu'on était en droit d'attendre d'elle. En tout cas, l'état-major de l'armée de campagne n'a pas obtenu, lui non plus, pendant la campagne de la Marne, ce qu'il était possible d'obtenir en raison de la situation. Les choses se sont donc trouvées son mieux, mais qui n'a pas su se montrer, lui non plus, à la hauteur de sa tâche quand l'empereur rejeta toute la responsabilité sur ses conseillers officiels.

Depuis 1890, la maîtrise prudente d'un Bismarck avait cédé la place, dans la politique allemande, à l'opinion exagérée et pleine de dilettantisme que l'empereur avait de lui-même. La haute figure du vieux chancelier avait sombré dans la lutte qu'il avait engagée contre cette tendance. Dans son byzantinisme impardonnable, l'entourage de l'empereur avait nourri sans cesse cette trop haute opinion personnelle de l'empereur, pourtant très bien doué. Toute critique était condamnée comme une offense envers " Sa Majesté " et ses adorateurs. Et quand, finalement, Bethmann, " ce fonctionnaire parvenu à une haute situation à son bon tour de bête " entra à la Wilhelmstrasse, la prédiction du fondateur de l'Empire allemand s'accomplit très vite : finis Germaniae (F. HARTING, Histoire de l'Allemagne de 1871 à 1914). Tous les conseillers, officiels et autres, de l'empereur manquèrent de " courage civil " pour lutter contre ses changements brusques d'inclinations et d'aversions. Ses conseillers ne se sentirent plus responsables devant le peuple allemand comme Bismarck l'avait toujours fait. Mais le peuple allemand n'est pas, lui non plus, sans être responsable de l'évolution autocratique de l'empereur. S'étant laissé entraîner, avant guerre, à jouir des fruits de son essor économique, il lui est arrivé souvent de ne pas conserver sa dignité à ce point de vue. Il a péché ainsi contre l'esprit politique dont il n'avait pas su non plus hériter du plus grand maître politique de l'Allemagne, car, malheureusement, il n'était pas du tout doué au point de vue politique. Tout en se faisant ainsi à lui-même le plus de mal, il n'a pas non plus rendu service à son souverain. C'est précisément ce qui a tout détruit chez l'empereur, trop diversement doué pour son malheur. Aussi, l'historien de Halle, Fritz Hartung, a-t-il raison quand il combat l'hypothèse erronée de l'existence de qualités héréditaires et de signes maladifs chez l'empereur. L'enchaînement des faits et leur résultat amer ne s'expliquent que trop naturellement.

C'est tout à fait à contrecœur que j'aborde ces questions qui touchent l'entourage de l'empereur. Mais on ne peut pas les laisser de côté, si l'on veut arriver à émettre un jugement juste dans la question de la culpabilité. Je me suis d'ailleurs contenté de reproduire ici ce qui a déjà été livré à la publicité, en particulier dans l'ouvrage plein d'un patriotisme brûlant de l'amiral von Tirpitz.

Le tableau que l'on y trouve, dans les lettres qu'il a adressées, à cette époque, à son épouse, est profondément douloureux, mais malheureusement exact. Je le reproduis en réunissant les déclarations qui sont dispersées dans les lettres du créateur de la flotte allemande, alors que, condamné à l'impuissance, il souffrait au Grand Quartier : " Nous avons été tâtonné dans cette guerre non seulement au point de vue politique, mais encore au point de vue militaire. " - " Trop de jérémiades là-haut ! " " Bethmann est désemparé, insuffisant. " - " C'est terrible pour moi ! " - " L'empereur ne veut ni prendre une décision, ni porter une responsabilité. " - " La direction est à nouveau celle du temps de Frédéric-Guillaume IV. " - " Tout le monde s'empresse autour de " lui " à qui l'on donne à croire qu'il fait tout et dont on tire de si grands avantages - Byzance ! " - " Il n'y a qu'un moyen : qu'Hindenburg soit à la fois chancelier, chef d'état-major général et chef de l'amirauté. " - " C'est la guerre des occasions perdues sur mer et malheureusement aussi sur terre. " - " Un tel manque de personnalité dans les sphères supérieures est étonnant, alors que la nation, elle, a un rendement aussi grand. On le paiera chèrement ! " - " Nous avions la chance en main et nous l'avons laissé échapper. " - " C'est si absurde de ne pas renvoyer de Moltke chez lui comme malade du cœur et dos reins. " - " Le poison des racontars gagne du terrain. On demande : Qui nous conduit ? " - " En août, on a commis des fautes inouïes ; pas d'organisation dans les bureaux de l'état-major ; plus tard, ce fut l'affolement, et celui-ci nous a conduits, comme tout le monde s'en rend compte ici aujourd'hui, à une retraite inutile et erronée. " - " Les trafics du cabinet, les murs de stuc, la couche impénétrable qui entoure l'empereur. " " L'hydre qui gouverne, qui possède le pouvoir réel, et dont le kronprinz parle lui aussi en termes durs. " - " Une défaillance inouïe de notre couche supérieure, entraînée dans les erreurs de ceux qui sont à notre tête. " - " Le ministre de la guerre Falkenhayn a vu venir l'échec et n'a rien pu faire à la fin d'août." Tels sont les termes de Tirpitz. Les tableaux de cette nature puissante, qui était presque l'égale de Bismarck, supportent un adoucissement bienfaisant. Je voudrais réfuter une erreur pour éviter la naissance d'une nouvelle légende:

Le général von Falkenhayn a déclaré, dès le début de son livre Le Commandement suprême en 1914-1916, que " jusqu'au 14 septembre au soir, heure à laquelle il prit les fonctions de chef d'état-major général de l'armée de campagne, il n'a exercé aucune influence ni directe ni indirecte sur la direction des opérations militaires. " - Ainsi que je le sais de source sûre, le général von Falkenhayn n'a participé ni directement ni indirectement aux décisions du colonel-général von Moltke. C'est ainsi qu'il n'a eu connaissance de la situation sérieuse des 1re et 2e armées que le 10 septembre, de même qu'il n'avait appris l'enlèvement du corps de réserve de la Garde et du XIe corps pour le front oriental que quand il était déjà commencé. " Par ailleurs, écrit le général von Falkenhayn, j'aurais considéré non seulement comme une infidélité envers le colonel-général de Moltke, que j'estimais beaucoup personnellement, mais aussi pour une grande sottise de m'immiscer dans les affaires du chef d'état-major général ou même encore de les contrecarrer par derrière. Il ne peut y avoir qu'un seul chef. " - " Quant aux motifs qui ont amené le colonel général à confirmer par son ordre les décisions de retraite déjà prises dans la 1re bataille de la Marne, je ne puis que les supposer, je ne peux donc en parler. Il est absolument certain que S. M. l'Empereur n'y a pas participé, surtout pour suggérer, et que son approbation ne lui fut arrachée qu'avec peine. C'est évident pour quiconque connaît l'empereur. Comme toujours en pareil cas, il s'est soumis en fin de compte, parce que son conseiller autorisé, le chef d'état-major général, le lui a demandé. "

C'est là une consolation pour nous, vieux soldats, qui sommes demeurés fidèles à notre empereur, même dans le malheur. Nous souffrons déjà suffisamment de constater que l'empereur n'est pas parvenu, à l'heure où s'est joué le sort du peuple allemand à appeler à ses côtés les hommes les plus capables.

Dès le 12 septembre au soir, le commandant en chef de la 3e armée fut relevé de ses fonctions parce que gravement malade de la dysenterie et du typhus. Il fut remplacé par le commandant du VIIe C. A., dont la situation soi-disant mauvaise pendant la bataille de la Marne, avait déterminé le commandement de la 2e armée à donner l'ordre de battre en retraite. Et ce fut à l'heure où son corps d'armée était à nouveau incapable de remplir sa mission sur la Vesle qu'il prit le commandement de l'armée qui, pendant la bataille de la Marne, avait remporté le succès le plus manifeste ! - Décision du Destin !

Le 14 septembre au soir, le général de l'infanterie von Falkenhayn fut nommé chef d'état-major de l'armée de campagne à la place du colonel-général von Moltke, gravement malade. Comme ministre de la guerre, il avait, depuis 1913; infusé avec énergie et habileté une vie nouvelle à l'administration de l'armée prussienne, qui, malheureusement, n'était plus à la hauteur voulue. Il était immédiatement disponible au G. Q. G. D'après le lieutenant-colonel Wetzell " le général von Falkenhayn ne possédait pas toute la confiance de l'armée. Dans les états-majors supérieurs, on émettait souvent des doutes sur son aptitude à occuper un pareil poste. " Le général Cramon dit à ce sujet (Notre allié austro-hongrois dans la guerre mondiale) : " Il ne faut pas oublier, en cette occurrence, que la nomination du général Falkenhayn au poste de chef d'état-major général avait été, à ce moment-là, une surprise. D'autres noms répondaient mieux au sentiment général..... On peut même étendre cette opinion en disant que, parmi les grands chefs et surtout parmi la masse des officiers d'état-major supérieurs, on n'a pas compris pourquoi, en septembre 1914, après le renversement de la bataille de la Marne, on n'a pas réparé la faute qui avait été commise au début de la guerre, quand on avait enlevé au plus qualifié, le général Ludendorff, la direction dos opérations (comme chef de la section des opérations du G. Q. G.). C'est le cabinet militaire qui porte la responsabilité de cette erreur. "

Tel est l'avis que le lieutenant-colonel Wetzell, chef de la section des opérations du G. Q. G. à partir de 1916, a émis dans sa brochure : De Falkenhayn à Ludendorff (Supplément n° 1 au Militär-Wochenblatt 1920). " Ce ne furent que l'insuffisance des mesures prises par le G. Q. G. avant les batailles d'Arras et de Champagne en 1915, l'échec complet de Verdun, le contre-coup de Luck en 1916 sur le front russe, après l'offensive malheureuse de l'armée austro-hongroise en Italie et le manque de prévision et de préparation constaté lors de la surprise roumaine en 1916 - trop d'échecs en trois trimestres à peine - qui provoquèrent la chute de Falkenhayn " (von Cramon).

En tout cas, parfaitement conscient de la gravité de l'heure, le général von Falkenhayn prit les rênes avec autant de ferme résolution que de désintéressement (Foerster-Schlieffen, II, page 1). Soldat des pieds à la tête, personnalité marquée animée d'une force de volonté, d'un amour du travail et d'une sévérité envers soi-même également grands, d'une ambition élevée et d'un désir d'action puissant, il fut victime de l'ardeur de son tempérament difficile à refréner dans sa collaboration avec l'heureux commandant en chef du front oriental, plus âgé et plus élevé en grade que lui, et avec le général chef d'état-major général de l'armée austro-hongroise dont il différait totalement. La différence fondamentale de leurs conceptions, dans les différentes questions et aux différentes heures de la guerre, fut encore accentuée par des frictions personnelles, mais ce fut là plutôt une conséquence du choix du nouveau chef d'état-major général qu'une faute à lui reprocher à lui-même. Tout cela était à prévoir et n'est pas demeuré, non plus, ignoré du cabinet militaire.

Le général von Falkenhayn aurait rendu, le 14 septembre 1914, un service incommensurable à son empereur et au peuple allemand, si; devant la situation ,qu'il avait qualifiée lui-même de " très difficile ", il avait déterminé l'empereur à mettre Hindenburg et Ludendorff à la tête de la direction des opérations et fait connaître sans réserves au peuple allemand toute la gravité de la situation. Mais celle-ci ne fut pas du tout reconnue comme telle. Le cabinet crut pouvoir la compenser par de nouvelles mutations de personnel.

C'est ainsi que le quartier-maître général von Stein, cher au peuple allemand par ses communiqués de victoire des quatre premières années de guerre, fut relevé de ses fonctions.

Aujourd'hui, que nous embrassons clairement les événements des premières semaines de la guerre, nous nous remémorons avec une certaine amertume les brillants communiqués des premiers temps de la guerre. Dans quelle mesure le général von Stein est-il coupable de l'attitude insensée du G. Q. G. vis-à-vis de l'opinion publique allemande après le malheur de la Marne, c'est une question qui est encore ouverte. Il ne reconnut pas davantage la gravité de ce malheur que le chef de la section des opérations, le lieutenant-colonel Tappen. Que ce dernier soit demeuré à son poste, bien qu'ayant participé cependant en toute première ligne aux décisions du chef d'état-major général peu heureux qui avait été jusqu'alors en fonction, c'est une mesure totalement incompréhensible pour moi. Etait-elle destinée à prouver que l'on ne doutait pas des capacités de l'état-major en tant qu'aide de la Direction suprême. ? Quoi qu'il en soit ce ne fut qu'en août 1916, quand Hindenburg-Ludendorff prirent cette direction - c'est-à-dire trop tard - que le chef de la section des opérations quitta, lui aussi, le G. Q. G.

Plus tard on vit disparaître, dans le plus grand silence, le colonel-général von Kluck, le " brave troupier ", le " second maréchal en avant ", comme l'avait surnommé le vieux chef qui se trouvait sur le trône de Roumanie, " le vieux sanglier qui, d'un violent coup de boutoir, avait ouvert le flanc de son adversaire et lui avait porté des coups terribles en changeant de front en combattant, tirant ainsi une victoire d'une situation qui semblait perdue. Pareille chose n'était encore jamais arrivée. C'est là l'instruction allemande, la discipline allemande et le commandement allemand ". Tel est le jugement porté par le roi Carol, lui-même un homme complet et un soldat.

Dès les premières semaines qui suivirent la bataille de la Marne, le colonel-général von Kluck dut se défendre contre une certaine légende qui avait fait son apparition au G. Q. G. et selon laquelle son armée aurait perdu de nombreux canons. Le colonel French parle, lui aussi, de la prise de 90 canons. Six canons seulement furent perdus au IXe C. A. comme nous l'avons déjà dit, page 31 ; le général de l'infanterie von Kuhl parle, dans son livre, de 9 autres canons. Quant aux grandes pertes de matériel, elles se réduisent, elles aussi, d'après le général de l'infanterie von Zwehl (Militär-Wochenblatt, n° 37 du 23 septembre 1919), à onze fourgons à bagages et deux ambulances et demie déployées.

J'ai déjà déclaré, dans ma Bataille de la Marne, que le rôle des chefs et l'activité tactique de tous les éléments de l'armée Kluck constituent l'exploit le plus grand que connaisse l'histoire militaire moderne en fait de puissance de mouvement de grosses masses de troupes sur le champ de bataille. Le rendement humain du IXe C. A. qui, après avoir livré un dur combat sur le Grand-Morin, parcourut en quarante heures 90 kilomètres - Kuhl compte même 120 kilomètres - pour aller jusqu'à l'aile nord et y exécuter une nouvelle attaque, ce rendement est un miracle tout simplement, même en comparaison de ce que les Mecklembourgeois et Schleswigois-Holsteiniens avaient fait auparavant et firent encore après. Les mérites des autres corps de la 1re armée ne doivent nullement en être diminués. Ils ont été mis en valeur au cours de l'exposé de la bataille.

Le général French est cependant d'un autre avis. Dans ses Souvenirs " 1914 ", il résume son jugement sur son adversaire le général Kluck, en ces termes : " Avec leur fatuité et leur vantardise habituelles, les Allemands, oubliant que leur propre négligence les avait mis dans une situation périlleuse prétendent que le général von Kluck a fait preuve d'une habileté extraordinaire en tirant la 1re armée de sa situation difficile. Après avoir examiné la question avec soin et étudié en détail la situation et la configuration du terrain, j'en suis arrivé à cette opinion que le général von Kluck a fait preuve d'une grande hésitation et de manque d'énergie " (Militär-Wochenblatt du 24 août 1919). Tout commentaire est inutile.

Une légende révoltante, qui prit naissance au G. Q. G. et a pénétré jusqu'à l'étranger, se rattache également au départ du colonel-général baron von Hausen (Danzers Armeezeitung, Vienne, 11 octobre 1919). Cette légende parle : " du rendement complètement insuffisant de l'armée saxonne et des erreurs de commandement de son chef, erreurs qui, vraisemblablement, ont été cause de son départ prématuré ". Je me contenterai de reproduire ici le rapport de situation du G. Q. G. du 10 septembre après-midi : " Avec son groupement ouest, la 3e armée a dégagé la 2e armée, elle a bien progressé, pris 50 canons et fait plusieurs milliers de prisonniers. Son groupement est a soutenu l'attaque de la 4e armée au sud-ouest de Vitry-le-François ". Pour ce qui est des détails de la campagne de la 3e armée, je les ai donnés dans ma Bataille de la Marne, 1914 (R. Max Lippold, Leipzig).

Chose curieuse, il n'est qu'une seule personne devant laquelle. la légende se soit arrêtée : le commandant en chef de la 2e armée. Après la retraite qu'il avait ordonnée, le colonel-général von Bülow se vit confier momentanément, sur l'Aisne, la direction des 1re, 2e et 7e armées. Lors du regroupement des armées, le 9 octobre, il fut appelé par la confiance de son chef suprême à la tête d'une nouvelle armée.

Je déduis de la façon dont furent réglées les questions de personnes après la bataille de la Marne que l'entourage autorisé de l'empereur n'a pas compris le moins du monde toute la portée du malheur de la Marne. On ne sut pas reconnaître, non plus, que la direction des affaires politiques et la conduite des opérations navales étaient, elles aussi, en des mains entièrement insuffisantes. L'empereur ne s'est jamais rendu compte que les succès de 1866 et 1870-1871 n'avaient été possibles que parce que son grand-père avait eu à sa disposition, à côté - ou plutôt au-dessus - d'un de Moltke également un Bismarck. Le cri de détresse de Tirpitz : " Il n'y a qu'un moyen : il faut qu'Hindenburg ,soit à la fois chancelier, chef d'état-major de l'armée et chef de l'amirauté " n'était que trop justifié. Et la critique que le kronprinz a adressée au G. Q. G. - quand il lui a reproché d'avoir été défaillant dès le début de la guerre et d'avoir perdu la tête pendant la crise de la Marne - n'était que trop juste, elle aussi, malheureusement.

Avec son caractère où la gaieté s'alliait à un profond sérieux et à un grand souci de l'avenir de l'Allemagne, le kronprinz impérial avait observé la réserve la plus douloureuse pendant la crise de juillet 1914. Il s'était parfaitement rendu compte des conséquences d'une défaite allemande : " Si nos ennemis nous dictent la paix, ce sera la dernière page de l'histoire des Hohenzollern, de la Prusse et de l'Allemagne. " L'acuité perçante de sa saine intelligence s'associait à un instinct surprenant, qui lui faisait prendre la plupart du temps la juste solution.

Simple, droit et modeste, libre de toute présomption, calme et persévérant dans ses jugements malgré toute la vivacité de son naturel, il était ennemi de tout étalage de mots et de toute parade. Il se donnait " sérieusement et avec zèle à ses devoirs et faisait preuve en même temps d'un bon entendement des choses militaires et d'une juste compréhension des grandes situations " (Ludendorff). C'est ainsi que le kronprinz, que son père avait tenu à l'écart de toute occupation sérieuse jusqu'au début de la guerre, se montra avec un succès indéniable à la hauteur de sa mission de commandant d'armée.

Manquant parfois de prudence, franchement confiant, accueillant la vie avec joie, mais d'une rare clairvoyance sur les personnes et les choses, il réunissait en lui toutes les qualités nécessaires à son rôle futur de souverain. " Il aurait été - dit l'historien Fr. Thimme - un représentant de l'impérialisme libéral et social qui aurait répondu à toutes les espérances, même les plus grandes. " Après la bataille de la Marne, il reconnut " plus clairement que tout autre partisan de la paix de conciliation ", la nécessité de cette paix, et exprima son opinion dans un Mémoire sur la paix. Cette opinion était en opposition inconciliable avec celle de son père et de ses conseillers. La conduite tout entière du G. Q. G. montre, en effet, à elle seule, combien celui-ci se rendait peu compte de la situation militaire et de la situation mondiale après la sombre issue de la campagne de la Marne.

CONCLUSION

 

Le chef de la section des opérations du G. Q. G. en 1914 a émis le jugement suivant :

La bataille de la Marne était à sa fin. Nous n'avons jamais eu, à cette époque, le sentiment d'avoir subi une grosse défaite et nous n'avions pas, non plus, de raison de l'avoir. En effet, les Français n'avaient pas atteint le but qu'ils s'étaient fixé en engageant la bataille : nous chasser du sol français. Ce ne sont que les allégations continues de la presse française qui ont donné aux succès anglo-français le caractère d'une grande victoire des armées françaises " (TAPPEN, page 30).

Assurément la bataille de la Marne ne fut pas une victoire des armes ennemies, mais elle n'en est pas moins, à cause de ses conséquences, la défaite la plus terrible que le peuple allemand ait jamais subie. Le général von Tappen se console en posant les questions finales suivantes : " Est-ce qu'une bataille de la Marne, qui n'aurait eu absolument aucun résultat pour les Français et les Anglais, aurait exercé une influence décisive sur les événements ultérieurs de la guerre, et aurait pu, éventuellement, amener la fin de la guerre ? On doit répondre négativement à ces questions. Même si nous avions réussi à repousser l'attaque franco-anglaise sur nos positions du 6 septembre, nous aurions été difficilement en situation, après une bataille de décision de plusieurs jours, de reprendre immédiatement l'offensive en grand. Nos effectifs étaient trop faibles, surtout en officiers. On ne peut pas admettre, étant donnés l'obstination des Anglais et leur but de guerre trop connu, que nos ennemis auraient conclu la paix s'ils nous avaient ainsi amenés à nous arrêter sur la Marne. Même si les attaques ennemies avaient échoué complètement pendant la bataille de la Marne, on en serait arrivé, dans les positions du 6 septembre, à la guerre de tranchées, avec toutes ses terreurs et toutes ses misères. Les conditions de cette guerre auraient-elles alors été plus favorables pour nous qu'elles le furent plus tard, en réalité C'est très douteux. Le front aurait été très grand, même si on s'était appuyé à la mer plus au sud sur l'une des grandes coupures, la Somme par exemple. Il aurait fallu, en outre, protéger une longue étendue de côtes. La guerre, en soi, aurait continué " (TAPPEN, page 32).

Assurément, la guerre n'en aurait pas été finie pour cela, mais elle ne se serait pas forcément cristallisée dans la guerre de tranchée, cette guerre qui fut le tombeau des conditions premières de la supériorité de l'armée allemande et offrit à l'abondance des ressources humaines et à la richesse de matériel de nos ennemis, l'occasion de nous écraser peu à peu.

Selon Falkenhayn (La Direction suprême en 1914-1916), la situation, après la bataille de la Marne, était " extrêmement difficile " en raison du danger de débordement dont on était menacé à droite, danger qui aurait pu être conjuré, sur l'Aisne, par une contre-offensive exécutée en temps opportun.

Ce fut la tâche ingrate du successeur de Moltke que de faire disparaître ce danger. II chercha à appuyer l'aile droite de l'armée allemande à la mer. L'attaque d'Anvers fut le début de cette manœuvre. Quant à la question de savoir s'il fallait continuer à replier le front allemand, elle fut solutionnée par la négative par la nouvelle Direction suprême. Falkenhayn estima que tout nouveau front plus rapproché du territoire allemand aux trésors indispensables pour la conduite de la guerre serait dangereux, attendu qu'il serait menacé, lui aussi, d'être débordé du fait de l'incertitude du maintien de la neutralité hollandaise. Il s'en tint cependant - certainement contre ses désirs personnels - au plan de guerre qui visait à obtenir la décision sur le front occidental. Tout nouveau recul aurait à son avis, livré à l'ennemi un territoire important et lui aurait laissé toute liberté d'action. La flotte ne fut pas employée offensivement. Le combat d'Héligoland du 28 août, où deux croiseurs allemands furent sacrifiés, enleva à la direction des opérations navales, déjà très hésitante en soi, tout courage pour engager la flotte.

Sur le front oriental, la situation était tendue, malgré les victoires remportées par Hindenburg en Prusse orientale. Sur la frontière de cette province, 140.000 Allemands tenaient 160.000 Russes en échec. En Galicie, 367.000 Austro-Hongrois et 16.000 Allemands résistaient péniblement à 652.000 Russes. La Silésie, avec ses produits indispensables, était menacée.

La Tchécoslovaquie était inquiète et le devenait davantage au fur et à mesure que les Russes avançaient. Les succès russes rejetaient de plus en plus dans les lointains l'alliance des Turcs, des Bulgares et des Roumains avec les Puissances Centrales. La tentative qui avait été faite pour couper la Russie des pays de l'Ouest qui lui fournissaient des ressources avait échoué. La brèche du sud demeurait ouverte. Seule, la suppression de toute importation aurait pu paralyser la puissance offensive du gigantesque empire.

Dès septembre 1914, il fut nécessaire de soutenir directement l'armée austro-hongroise ; il fallut mettre Hindenburg à la tête de la nouvelle 9e armée, dans la région de Cracovie. Le but poursuivi par le plan de guerre allemand - obtenir une décision rapide sur le front occidental - se trouva ainsi anéanti et la volonté guerrière de nos ennemis de l'Ouest renforcée. Le plan de l'Angleterre, gagner la guerre en affamant et en épuisant l'Allemagne, commença déjà à se manifester. Le chef de l'amirauté allemande fut d'avis qu'une action offensive de notre flotte n'aurait aucune chance de succès ; la direction politique de l'Empire estima qu'il en serait de même de toute tentative qui serait faite pour chercher à s'entendre avec nos ennemis.

L'offensive exécutée à la fin de septembre par les Puissances Centrales de part et d'autre de la Vistule ne permit pas d'obtenir le résultat cherché. L'avance autrichienne fut arrêtée sur le San et à la même hauteur sur la rive gauche de la Vistule. L'armée Hindenburg, menacée d'encerclement par le gros de l'armée russe dans la région de Varsovie, dut se soustraire à ce danger en battant en retraite vers la Silésie. Les Autrichiens se replièrent en même temps sur la Pilica avec leur aile gauche. Le haut commandement autrichien demanda qu'on lui envoyât 30 divisions du front occidental. C'était chose impossible, étant donnée la situation de ce front. Il reçut, en échange, deux hommes, Hindenburg et Ludendorff, qui valaient des armées.

Hindenburg se décida à exécuter une attaque de flanc, en venant du nord et en partant de la ligne Gnesen-Thorn, contre l'aile droite du gros des forces russes, qui s'avançait sans méfiance de Varsovie sur Kalicz par Lodz.

Le haut commandement autrichien porta encore une fois son armée en Pologne méridionale, malgré le danger qu'il courait en dégarnissant momentanément sa frontière de Hongrie.

Pendant que cette attaque de flanc se préparait sur le front oriental dans la première quinzaine de novembre, les grandes opérations, dites de la course à la mer, prenaient fin sur le front occidental. Le nouveau G. Q. G. allemand parvint jusqu'au début d'octobre à repousser les tentatives d'enveloppement ennemies, à l'ouest de la ligné Roye - Bapaume - Lille. Anvers tomba le 9 octobre, Lille le 12. Ce fut alors le tour des Allemands de chercher à atteindre la côte du détroit et à enfoncer le flanc ennemi appuyé à la côte. Une nouvelle 4e armée fut constituée dans ce but avec les trois divisions qui venaient de s'emparer d'Anvers et les quatre nouveaux corps d'armée, les " corps d'armée d'enfants ", qui avaient été formés avec une précipitation insensée. Ces corps venaient à peine de terminer leur organisation à l'intérieur de l'Allemagne et ne devaient être employés, au début, que dans la défensive.

La nouvelle 4e armée devait marcher contre la coupure de l'Yser avec une aile droite puissante, tandis que la 6e armée, partant de Lille, était chargée de pousser dans la direction de l'Ouest et du Nord-Ouest. L'artillerie lourde, qui avait maîtrisé Anvers en douze jours, devait les aider. Malheureusement, ses munitions n'étaient plus suffisantes. La bravoure des jeunes unités ne put pas, elle non plus, atteindre le but fixé, enfoncer tranchées, après la bataille de la Marne, est la faute qui nous a coûté la victoire finale. Le temps ne combattait pas pour nous, mais contre nous. Schlieffen avait mis sans cesse et sans cesse en garde contre " les campagnes qui traînent en longueur " : " On ne peut pas pratiquer une stratégie d'épuisement quand l'entretien de millions d'hommes exige des milliards. De telles guerres sont impossibles à une époque où l'existence de la nation repose sur la continuation ininterrompue de son commerce et de son industrie et où une décision rapide doit remettre en marche le mécanisme arrêté. " Cet avertissement du vieux maître ne fut malheureusement pas suivi par ses élèves, à qui la direction des opérations fut confiée. Au milieu d'octobre 1914, il y avait sur le front occidental, d'après Falkenhayn, 1.700.000 Allemands contre 2.300.000 Alliés.

Le général de l'infanterie von Falkenhayn déclare que la guerre de position fut le plus petit des maux que l'on pouvait choisir, car on ne pouVait plus avancer et on ne voulait pas reculer, parce qu'il n'y avait, derrière l'armée, ni positions organisées ni cantonnements d'hiver. Si, en septembre 1914, notre armée de l'Ouest s'était repliée lentement derrière le front Anvers - Meuse, en détruisant de fond en comble le réseau et les moyens de communication de l'ennemi, comme Hindenburg le fit plus tard, en octobre, quand il se replia de la Vistule jusqu'au delà de la Wartha, nos nouveaux corps d'armée, nos nouvelles formations de landwehr et de landsturm, nos troupes des places fortes et des garnisons de l'intérieur, auraient pu consolider et occuper le nouveau front Anvers - Meuse, bien avant que l'armée de campagne fût arrivée sur ce front en octobre.

Une nouvelle et puissante masse de choc - concentrée approximativement dans la région Bruxelles - Anvers comme le fut celle du front oriental dans la région Gnesen - Thorn - aurait alors pu déboucher à nouveau contre le flanc ennemi, appuyé à la mer, pour reprendre l'idée de Schlieffen sous une direction générale meilleure. Mais on avait encore une fois oublié Schlieffen. Celui-ci avait, en effet, admis que le cas le plus difficile pour nous était celui où nos ennemis de l'Ouest réussiraient à établir en temps voulu un front continu depuis Anvers jusqu'à la Suisse et voulait, en pareil cas, attaquer l'ennemi sur tout son front, mais chercher la décision avec une aile droite puissante.

Si l'on s'était souvenu de cela au G. Q. G., on n'aurait pas renoncé à la guerre de mouvement, guerre où l'armée allemande était infiniment supérieure à ses adversaires. Le directeur des opérations aurait dû trouver la volonté de le faire, au moment où, trompée par l'erreur de jugement et la faiblesse de volonté d'un seul de ses commandants d'armée, notre armée de l'Ouest, habituée à vaincre, quittait, contre la volonté du G. Q. G., le champ de bataille de la région sud de la Marne.

Ce qui nous a manqué, c'est un Hindenburg ! - telles étaient les paroles que prononçaient nos troupiers de l'armée de l'Ouest, quand ils se repliaient en serrant les dents. Il n'a pas été donné à la merveilleuse armée allemande de 1914 d'être dirigée par la volonté nettement arrêtée d'un grand capitaine. Cette volonté avait cessé d'exister, trop tôt pour notre patrie, avec Schlieffen, le grand penseur de bataille, dont l'esprit ne conduisit pas non plus, malheureusement, notre incomparable armée de l'Ouest comme l'esprit " du Cid mort avait -continué à conduire ses hommes " (FOERSTER, II, 92).

Si j'ai dépeint d'une façon détaillée la situation militaire après la bataille de la Marne, c'est pour combattre l'opinion souvent entendue qui veut que nous ayons perdu la guerre avec la bataille de la Marne. Il est indéniable que le malheur de la Marne est un tournant de la guerre mondiale, le commencement de notre tragique destin. Il est certain que la plus triste conséquence de la bataille de la Marne, rompue par pusillanimité et affolement, fut de faire naître chez nos ennemis un enthousiasme indéniable et, du côté allemand, le doute en une issue heureuse qui devait briser peu à peu notre peuple. Mais ce ne sont que les négligences, les erreurs et les fautes ultérieures, politiques et militaires, qui ont rendu inévitable la fin fatale de la guerre. Inversement, les conséquences qu'aurait eues pour nous une issue heureuse de la bataille sont appréciées elles aussi, la plupart du temps, d'une façon erronée.

L'ex-ministre des affaires étrangères français, Gabriel Hanotaux, signale toutefois, dans son livre d'histoire sur la guerre mondiale (101e fascicule), d'après les documents du ministère des affaires étrangères français, qu'à l'époque de la bataille de la Marne, de nombreux politiciens français d'influence ont demandé que la paix fût conclue immédiatement avec l'Allemagne.

Le gouvernement français, qui s'était enfui à Bordeaux, avait, en effet, déjà fait appel à l'entremise des Etats-Unis d'Amérique. Mais, dans un ultimatum l'Angleterre menaça la France de bloquer ses côtes, et trois ministres plénipotentiaires américains lui déconseillèrent instamment toute démarche de paix, ce qui était d'ailleurs parfaitement judicieux du point de vue des ennemis de l'Allemagne et nos ennemis étaient tous les peuples de la terre ayant une réelle puissance.

Mais il aurait été tout aussi judicieux - et, à mon avis, instamment nécessaire - qu'en septembre 1914, tous les Allemands, et en particulier, naturellement, les hommes qui se trouvaient à la tête de l'état, de l'armée et de la flotte, eussent confiance dans la victoire finale de l'Allemagne. C'était la condition première pour que l'on eût la volonté de vaincre sur le champ de bataille. Penser que la chute de Paris et l'effondrement du front fortifié de l'est de la France auraient été les conséquences de la victoire de la Marne, - victoire parfaitement possible et réalisable, - cela semble aujourd'hui une chimère, et cependant ces deux résultats auraient été non seulement possibles, mais encore vraisemblables. Bien plus, nos dirigeants auraient peut-être, alors, eu l'audace de rechercher également la décision sur mer. C'est pourquoi, sans aller jusqu'à dire que l'Angleterre serait aujourd'hui, comme le pense sir P. Scott, une colonie allemande, on peut cependant penser qu'un homme d'Etat allemand, plus capable que le malheureux Bethmann, serait peut-être parvenu, après une victoire de la flotte allemande en septembre 1914, à conclure une paix plus favorable. Aujourd'hui, après quatre ans d'efforts surhumains, désillusionnés par la majorité de notre peuple, qui, dans sa folie de la faim s'est désarmé lui-même, nous pensons avec moins de confiance à ces journées passées. Aujourd'hui, nous sommes obligés de reconnaître que ce n'était qu'en ayant une volonté plus opiniâtre que son adversaire que l'un des partis pouvait enchaîner la victoire. Or, cette volonté se trouvait du côté de nos ennemis. Si, vaincus sur la Marne, les Français avaient conservé malgré tout cette volonté, la situation n'aurait été nullement désespérée, à mon avis, pour leur haut commandement. La force de résistance du peuple français aurait déjà suffi, à elle seule, pour lui permettre de continuer la guerre jusqu'au renversement de situation que l'Angleterre et la Russie devaient fatalement provoquer, en fin de compte, avec leur blocus de la faim et leur supériorité en hommes et matériel. Nos ennemis en étaient convaincus : notre peuple l'était malheureusement lui aussi, et à un plus haut degré encore, si faux que cela fût. Car celui-là seul est perdu qui s'avoue perdu.

Lorsqu'en septembre 1914 la supériorité militaire de l'Allemagne a commencé à baisser, - Dieu soit loué, sans que le monde et en particulier nos ennemis ne s'en soient aperçus, -ce qui a manqué au peuple allemand, pour remporter une victoire diplomatique, comme celle que Bismarck avait remportée en 1871 en lui donnant une grandeur jusqu'alors inconnue, c'est - le monde le savait d'après la politique allemande aveugle d'avant-guerre - l'homme qu'il fallait.

Après la bataille de la Marne de septembre 1914, il nous aurait été impossible d'acheter la paix, même en sacrifiant l'Alsace-Lorraine ; l'eût-on voulu qu'on aurait tout aussi peu réussi qu'au printemps 1915 quand on chercha à empêcher la trahison de l'Italie en lui offrant le Trentin. Or du fait que, malgré ses, défaites militaires, la France demeurait, fût-ce par force, fidèle à ses alliés, le plan de Schlieffen manquait son but essentiel et final, la victoire d'anéantissement, suivie d'une paix de contrainte comme conséquence immédiate. Moltke l'aîné était bien près de la vérité quand il avait prévu qu'une nouvelle guerre, en englobant les peuples les plus puissants de la terre, pourrait durer sept et même dix ans. Et cependant " cette guerre traînant en longueur ", que Schlieffen avait voulu éviter avec sa conduite de guerre audacieuse, et partant si pleine de promesses, est arrivée.

Malheureusement, les erreurs de notre organisation politique, le défaut de liaison qui régnait en haut lieu et le manque de fermeté dont on fit preuve dans la conduite de l'Etat et de la guerre, eurent, en cette occurrence, le temps de faire sentir leur action destructrice, jusqu'au jour où, malgré ses exploits guerriers sans pareils, l'héroïque peuple allemand succomba.

C'est pourquoi, si l'on conserve présentes à l'esprit les grandes connexions qui existent entre ces événements on en arrive aussi , à porter un jugement final conciliant dans la question de la culpabilité.

Le critique partiel attache une importance particulière à tel ou tel acte ou telle ou telle négligence et forme son jugement en conséquence. L'historien, lui, s'efforce de porter son jugement d'un point de vue plus général. Il passe sur les insuffisances et les erreurs des individus isolés pour constater finalement, avec tristesse, que, malgré les exploits, précisément sans exemple, accomplis par toute l'armée allemande aux endroits brûlants de la décision, certains actes de quelques individus de moindre valeur ont provoqué la fin tragique du drame de la Marne. J'estime que c'est une erreur de déclarer que ce fut exclusivement notre préparation insuffisante à la guerre ou la défaillance du commandement suprême, ou les fautes commises pendant et après la bataille qui eurent une importance décisive. J'estime également que c'est une erreur que d'insister avec raffinement sur la défaillance criminellement coupable de certains hommes isolés. Il faut envisager la question dans son ensemble. Nous n'avons succombé, en fin de compte, que par faiblesse de volonté, indice le plus terrible de la décadence imminente d'un peuple. Cette faiblesse de volonté nous a fait glisser dans la politique qui, après une vaine tentative d'entente avec l'Angleterre, a provoqué la guerre mondiale : elle nous a entraînés dans la guerre, qu'une prévoyance sans volonté n'avait préparée ni politiquement, ni militairement, ni économiquement : elle a abouti, après la déclaration de guerre, à la défaillance de la direction des opérations militaires comme de la direction des opérations navales. Ce n'est que la bataille navale évitée par faiblesse de volonté qui a donné au malheur de la Marne son importance écrasante. Cela n'a jamais encore été dit ; c'est pourquoi et à plus forte raison on ne s'en est pas rendu compte en septembre 1914. C'est cette faiblesse de volonté qui, même après l'issue fatidique de la Marne, a laissé la direction des opérations à une série de gens qui n'étaient pas à la hauteur de leur mission, et qui s'est opposée à ce qu'on déclarât : " La patrie est en danger ! . comme aux effets surexcitants d'un tel aveu. Enfin, c'est cette faiblesse de volonté qui, à l'intérieur, a refusé tout appui aux deux hommes que Dieu nous avait envoyés dans notre malheur et qui leur a volé, finalement, la confiance de l'empereur, devenu sans volonté, et celle de notre peuple. C'est sous l'effet de cette faiblesse de volonté, devenue lâcheté, qu'un peuple de 60 millions d'habitants se courbe aujourd'hui devant la loi de haine imbécile d'une masse d'ennemis sans gloire et qu'il n'ose pas même se débarrasser des parasites qui, sur son propre corps, se repaissent de cette faiblesse. Jusqu'à présent, seule la tribu allemande la plus saine s'est ressaisie, celle de Bavière, où la volonté a été suffisante pour rétablir l'ordre immédiatement. L'agitation y a disparu. La volonté y a montré le chemin.

C'est précisément la connaissance des causes morales de notre malheur national de la Marne qui devrait nous indiquer la voie à suivre pour sauver l'avenir de notre peuple. Les exploits que la masse du peuple allemand en armes a accomplis sur la Marne en septembre 1914, voila le vrai miracle ! Déterminer les raisons pour lesquelles les résultats n'ont pas été en rapport avec les mérites, c'est la tâche de l'Histoire. Pour moi, l'essentiel est de constater que c'est précisément par faiblesse de volonté que nous avons succombé. Nous n'avons pas été capables, en fin de compte, d'accomplir jusqu'au bout l'exploit suprême auquel le peuple allemand était appelé par l'essor sans exemple qu'il avait pris, avant la guerre mondiale, dans tous les domaines de l'activité humaine et dont Schlieffen, ce géant de la pensée, avait montré avec justesse le chemin à notre peuple en armes.

Certes, l'héroïsme de nos soldats, cet héroïsme qui a triomphé de tous les obstacles, a permis à l'armée allemande de campagne de pousser son invasion jusqu'au cœur de la France sur le champ de bataille de la Marne, champ de bataille de géants, mais, pendant la lutte décisive, elle n'a pas eu derrière elle la masse de puissance, le bataillon carré de Schlieffen. Notre haut commandement fut défaillant, comme l'administration de l'armée et l'esprit de sacrifice de notre représentation nationale l'avaient été, avant guerre, quand il s'était agi d'armer le peuple allemand tout entier pour la campagne de l'Ouest. Certes, après que nos espérances nationales eurent sombré dans la bataille de la Marne, le peuple allemand se défendit encore virilement pendant quatre ans, avant de succomber à la bande de brigands qui écrasa par sa supériorité de puissance, par la famine et le mensonge, celui qui était son rival, capable et partant haï, dans la lutte économique mondiale. Aujourd'hui, notre épée est brisée, et vouloir réparer le passé sur le champ de bataille de l'avenir est folie, oui, folie ! Mais le peuple allemand a créé, il y a plus de cent ans, dans son malheur, le service militaire obligatoire et est devenu, grâce à lui, l'éducateur du monde. La haine aveugle de nos ennemis nous l'a enlevé. Il faut que nous apprenions par d'autres moyens à former les hommes de caractère dont nous avons besoin, les hommes d'action pleinement conscients du nationalisme allemand. Ils auront à défendre par les armes du temps de paix l'essor de notre peuple de 60 millions d'âmes vers une situation mondiale. Est-ce que notre pauvre patrie, est-ce que notre génération vieillie se ressaisiront ? Est-ce que notre jeunesse grandissante des deux sexes prendra à nouveau l'habitude de la discipline et du travail désintéressé par le service économique obligatoire ? Ce n'est qu'à cette condition que notre oeuvre d'éducation prospérera, sinon il me semble impossible que le peuple allemand reprenne conscience de lui-même. Un coup du sort - nos ennemis l'appellent le miracle de la Marne - a enlevé au peuple allemand la palme de la victoire ; mais, de même que la rénovation morale du peuple allemand est sortie d'Iéna, de même la bataille perdue de la Marne - la plus lourde épreuve que le peuple allemand ait subie dans son histoire de souffrances - peut devenir le point de départ de la régénération de notre pauvre peuple égaré. Que notre consolation, en ce présent terrible, soit de travailler à cette oeuvre ! C'est à elle que s'accrochent toutes nos espérances en un avenir meilleur ! Le monde de demain appartiendra à l'homme courageux qui sortira victorieux du combat d'épuration qu'il se livrera à lui-même ; seul l'homme pusillanime et faible succombe au désespoir. Mais nous, la petite troupe des vieux chefs qui ont commandé au combat, nous dont la mort n'a pas voulu sur les champs de bataille de la guerre mondiale, nous que nos compatriotes égarés lapident aujourd'hui moralement dans leur folie aveugle, nous serons les ancêtres de ceux qui seront vainqueurs dans la bataille économique qui se livrera pour l'hégémonie mondiale ! Ainsi soit-il !

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