LE POINT DE VUE DU GENERAL BAUMGARTEN-CRUSIUS
II - LA BATAILLE DU BASSIN DE LA MARNE
6ème Partie
La bataille au centre et à l'aile gauche jusqu'à l'ordre de retraite.
LA JOURNÉE DU 8 SEPTEMBRE.
La 3e armée.
A la 3e armée, l'attaque exécutée, le 8 septembre a l'aube, par les trois divisions du groupement de droite avait eu un plein succès. La 2e D. G., luttant contre des éléments du 9e C. A. français, s'empara de Normée. Son régiment Augusta pénétra, à 4 heures du matin, dans Lenharrée. La 32e D. I. y fit de nombreux prisonniers au cours d'un violent combat de rues, et prit aussitôt après les hauteurs au sud du village, où elle s'empara de nombreuses mitrailleuses et de 22 canons.
Dans le courant de la journée également, les divisions du groupement de droite de la 3e armée firent, toutes les trois, de bons progrès. La 2e D. G. prit Fère-Champenoise à 10 heures du matin ; la 32e D. I. parvint jusqu'aux hauteurs au nord d'Euvy ; la 23e D. R., jusque dans les boqueteaux au sud de Montépreux. Son aile gauche s'approcha de Mailly. C'est alors que la 3e armée reçut, à 1 h. 30 du soir, la demande pressante de la 2e armée de pousser énergiquement au sud-est et près de Fère-Champenoise " car l'ennemi menaçait d'envelopper l'aile droite de la 2e armée et celle-ci n'avait plus de réserves ".
A 3 h. 40 du soir, la 2e armée retira la 2e D. G. du groupement von Kirchbach et la chargea d'attaquer dans une direction plus ouest pour dégager la 2e armée. Mais la 2e D. G. ne put pas,
jusqu'au soir, se dégager des forces ennemies puissantes qu'elle avait devant son front et avec lesquelles elle livrait depuis l'aube un combat acharné.
Dans la soirée, l'ennemi exécuta encore une contre-offensive dans cette région ainsi que devant la 32e D. I., mais il ne parvint que jusqu'aux hauteurs d'Euvy.
Les trois divisions du groupement von Kirchbach passèrent la nuit au contact immédiat de l'ennemi. La 24e D. R. serra, dans la soirée, jusqu'au nord de Normée, où elle se tint prête à s'intercaler dans le vide qui devait se créer entre la 2e D. G. et la 32e D. I., si la 2e D. G. était décalée davantage vers l'ouest par la 2e armée, comme on s'y attendait.
La journée avait été couronnée d'un plein succès sur tout le front. La moitié droite de l'armée Foch était battue d'une façon décisive et avait perdu beaucoup de terrain. Le général Foch avait reporté son P. C. de Pleurs à Plancy-sur-Aube.
Groupement de gauche de la 3e armée. - La journée du 8 septembre fut également tout à fait satisfaisante pour le groupement de gauche. A son aile droite, la 23e D. I. reprit son attaque à l'aube, comme elle en avait reçu l'ordre.
Cette attaque fit de bons progrès dans la matinée, en particulier à l'aile droite. Dans l'après-midi, une contre-attaque française, ordonnée par la 4e armée, fut déclenchée sur Sompuis, mais, dans cette région boisée et couverte, elle ne fut pas exécutée avec ensemble.
Malgré la chaleur terrible, les troupes de la 23e D. I. firent encore de nouveaux progrès jusqu'au soir. Elles passèrent la nuit, prêtes à combattre, dans les positions qu'elles avaient conquises.
Au XIXe corps, l'attaque générale fut déclenchée, le 8 septembre dès avant 6 heures du matin, sur tout le front et avec la plus grande énergie. Dans les premières heures de la matinée, elle gagna beaucoup de terrain.
Puis dans la région de la ferme Grenoble, l'aile droite, prise sous de violents feux croisés d'artillerie, ne put plus progresser davantage. Quant à l'aile gauche du corps d'armée, elle avait bien subi des pertes sérieuses du fait de l'artillerie ennemie en avançant en direction de Château-Raoult, mais elle avait repoussé toutes les contre-attaques de l'infanterie ennemie sur la coupure marquée par le chemin et le ruisseau situés à l'ouest de Courdemanges.
Le XIXe corps forma alors le projet de s'emparer par surprise, au cours de la nuit suivante, des batteries établies devant son front près des Rivières, batteries qu'il était difficile de saisir de jour. Le commandement de la 3e armée envoya dans ce but un officier d'état-major à la 4e armée à Courtisols, car il semblait nécessaire que le VIIIe corps donnât, lui aussi, l'assaut à cette artillerie qui se trouvait en face de lui. L'officier rentra à Châlons sans avoir pu régler l'affaire, parce que le VIIIe corps n'en attendait aucun succès, en raison de l'éloignement des batteries françaises (4 kilomètres) et de l'imprécision de leurs emplacements. Devant ce refus et comme au cours de la journée du 8 septembre l'aile droite du VIIIe corps n'avait pas beaucoup progressé au delà d' Huiron vers le sud, le XIXe corps ne donna pas non plus l'assaut aux Rivières et renonça définitivement à exécuter une attaque de nuit.
La journée de combat fut marquée par une avance pénible mais interrompue, de boqueteaux en boqueteaux, de fermes en fermes, de plis de terrain en plis de terrain et prouva la supériorité complète du soldat allemand dans la lutte par le feu et dans l'élan offensif ainsi que le dressage incomparablement meilleur des chefs allemands au combat. Devant le front du groupement de droite de la 3e armée, on avait identifié, en fait de forces ennemies, la majeure partie de la 9e armée française, constituée depuis le 29 août avec les 9e et 11e C. A., la division marocaine et la 9e D. C. Ces unités avaient déjà été en contact avec la 3e armée pendant toute la marche en avant. Elles avaient été renforcées depuis peu par deux divisions de réserve (52e et 60e D. R.) et par la 42e division du 6e C. A.
Cette dernière division, engagée au Talus de Saint-Prix et à ses abords, la forte division marocaine située à sa droite et le 9e C. A., situé plus à droite encore, combattirent surtout contre la 14e division prussienne et le corps de la Garde, sur la ligne Saint-Prix - Fère-Champenoise ; le 11e C. A., lui, était en face de la 32e division et de certaines fractions de la 23e D. R. Les deux divisions de réserve françaises intervinrent également dans cette région, le 8 septembre. La 42e D. I. française eut particulièrement à souffrir, le 8 septembre. Elle dut être relevée, le 9 au matin, par la 51e D. R. du 10e C. A. et fut alors rameutée par Foch pour exécuter une contre-attaque sur Fère-Champenoise, contre-attaque que l'on ne put plus déclencher du tout le 9 au soir, mais qui n'en fut pas moins transformée par la légende française en un acte héroïque qui amena la décision de la bataille.
Du côté de l'est, il y avait également un vide dans le front français entre Mailly et Sompuis. Il fut comblé tant bien que mal par la 9e D. C. française, mais il était connu de l'ennemi depuis le 7 au matin.
La 23e D. I. et le XIXe C. A. avaient pour adversaire, sur le front Sompuis - Huiron, le 17e C. A. français de la 4e armée. Le général Foch ne se laissa pas ébranler par l'insuccès de
son 11e C. A. qui avait été obligé, le 8 septembre, " de reculer sensiblement ". Il télégraphia quand même, dans la soirée, à Joffre : " Situation excellente " et, comptant sur l'appui qui lui était promis par la 5e armée, il ordonna pour le lendemain de se porter à nouveau en avant.
Devant le groupement de gauche de l'armée saxonne, le chef de la 4e armée française estimait que la situation de son 17e corps, qui " avait perdu quelque terrain, mais s'était bien comporté ", était menacée, en particulier sur son flanc, et il attendait avec impatience l'arrivée du 21e corps rameuté des Vosges par voie ferrée : celui-ci atteignit, le 8 septembre au soir, les monts Marains avec sa 13e D. I. et Dampierre avec sa 43e D. I. (points situés respectivement à 15 et 14 kilomètres au sud de Sompuis), la 43e D. I. ayant accompli une marche forcée de 50 kilomètres.
Les décisions que les commandants des XIIe et XIXe corps avaient prises de leur propre initiative, avaient abouti, le 6 septembre, à la séparation des deux divisions du XIIe corps et à l'accrochage du XIXe corps dans la zone boisée comprise entre Sompuis et Vitry-le-François et, par la suite, à la dislocation de la 3e armée en deux groupements de combat séparés.
Renseigné d'une façon excellente par son aviation sur la situation de l'ennemi jusqu'au 7 septembre au matin, le commandement de la 3e armée aurait encore pu, à mon avis, malgré les événements inattendus du 6 septembre, engager, au cours de la journée du 7, le gros des forces de la 3e armée, en un seul bloc, dans la direction la plus efficace. Celle-ci était, sans aucun doute, la direction de Fére-Champenoise - Sézanne. Quatre divisions de la 3e armée au début, puis, plus tard, cinq, auraient pu porter leur offensive dans cette région, de concert avec la 2e D. G. et rejeter la 9e armée française sur la 5e.
Une division du XIXe corps aurait eu, pendant ce temps, pour mission d'empêcher l'ennemi de percer à l'ouest de la Marne entre les 3e et 4e armées, en s'établissant à peu près sur la position Coole - mont Larron. Cette mission pouvait être remplie par une division renforcée d'artillerie lourde. Même si l'ennemi avait remporté un succès momentané dans cette région, il n'aurait pas menacé les communications de la 3e armée. Le flanc de la 4e armée serait resté couvert par la Marne.
Le gros de la 3e armée aurait dû être couvert, sur son flanc extérieur, par ses cinq bataillons de chasseurs et la cavalerie groupée de ses trois corps d'armée - cela aurait toujours fait vingt-deux escadrons. Etant donné le peu de mordant de la 9e D.C. française, cette mission était parfaitement réalisable, elle aussi, dans un terrain boisé comme celui de Mailly et de la région située à l'ouest.
La solution, séduisante en soi, et préconisée par l'auteur de la Critique de la guerre mondiale, ainsi que par le général de l'infanterie von Kuhl, solution qui consistait à exécuter une percée frontale en direction du sud, en pénétrant par Mailly dans la brèche qui existait dans le front français, est, à mon avis, une solution erronée. Elle aurait abouti à un coup d'épée dans l'eau, si l'on n'était pas parvenu en même temps à maîtriser dans leur flanc droit les forces opposées à la 2e armée. Or, pour exécuter ces deux missions - attaque de flanc face à l'ouest et percée au centre - les forces de la 3e armée n'étaient pas suffisantes. Un adversaire comme le général Foch aurait facilement transformé, en fin de compte, la percée de la 3e armée en une défaite, s'il avait eu sur son flanc une armée ébranlée.
Pour remporter un succès qui aurait décidé de la bataille, la 3e armée aurait eu besoin de son XIe corps, qui lui avait été enlevé le 25 août ; de même, la 2e armée aurait eu besoin de son Corps de réserve de la Garde pour éviter son échec. Le cours de la bataille prouve entièrement l'exactitude de ces deux assertions.
La 4ème Armée.
Pendant la journée du 8 septembre, la 4e armée allemande fit des progrès constants, mais faibles, sur tout son front. L'ordre de l'armée, pour la journée du 9 septembre, prescrivit, en conséquence, de continuer l'attaque générale commencée et prévoyait qu'en cas de succès l'on converserait peu à peu face au sud-est. L'aile gauche de l'armée devait demeurer dans la position dont elle s'était emparée au cours de la journée, pour couvrir les ailes intérieures des 4e et 5e armées contre de puissantes forces ennemies nouvelles.
D'après leur communiqué, les Français conservèrent leurs positions au sud et le long de la voie ferrée, depuis Courdemanges à l'ouest jusqu'à Contrisson à l'est. A Contrisson, le 15e C. A., nouvellement arrivé de Lorraine (2e armée), leur apporta l'appui dont ils avaient besoin.
Sur le front compris entre Sompuis et Contrisson, onze divisions allemandes combattirent, le 8 septembre, contre douze divisions françaises.
La 5e armée.
La 5e armée allemande conserva solidement, le 3 septembre, la ligne qu'elle avait conquise auparavant. Avec dix divisions elle contint sept divisions et demie ennemies, à savoir : à droite, dans la région de Laimont, le 5e C. A. ; au centre, à Beauzée, le 6e C. A. (avec une brigade de la 54e D. R.) ; à gauche, les trois divisions de réserve de Sarrail, qui s'étendaient jusqu'à Saint-André.
L'attaque du Ve C. A. prussien, déclenchée dans l'après-midi, contre les forts des Hauts-de-Meuse, causa un grand souci à l'ennemi. Sarrail fit sauter les ponts de la Meuse et mit en mouvement sur Saint-Mihiel les 2e et 7e D. C. ainsi que la brigade mixte de Toul.
La situation était donc tout à fait satisfaisante du côté allemand, en particulier au centre et à l'aile gauche. Les troupes étaient contentes de constater qu'on était enfin parvenu à obliger l'ennemi à accepter la bataille décisive. Sur le front, tous les hommes étaient décidés à continuer à faire un suprême effort pour écraser complètement leur vaillant adversaire, de même que les chefs, placés à la tête des troupes combattantes, avaient la ferme volonté de tenir jusqu'à victoire complète.
LA JOURNÉE DU 9 SEPTEMBRE.
La 3e armée.
Le commandement de la 3e armée avait prescrit, pour la journée du 9 septembre, de continuer l'attaque et en avait rendu compte au G. Q. G. Le lieutenant-colonel Hentsch, en se rendant au Q. G. de la 2e armée, avait ajouté à ce compte rendu . " Situation et opinion entièrement favorables à la 3e armée. - HENTSCH. "
Pour soulager la 2e armée, qui luttait péniblement, le groupement de droite reçut l'ordre d'attaquer sur Sézanne, en direction du sud-ouest.
Cette attaque, orientée en direction des hauteurs situées au sud-ouest de Gourgançon, progressa favorablement. La 24e D. R., dernière réserve de la 3e armée, intervint énergiquement entre la 2e D. G. et la 32e D. I. Les Français étaient manifestement au bout de leur force de résistance. On fit de nombreux prisonniers.
Entre temps, la 3e armée reçut par deux fois, à 9 h. 45 et à 11 h. 5, la demande pressante de la 2e armée " de converser vers l'ouest avec toutes ses forces pour soulager la 2e armée ". Ce qui fut fait.
Au centre de la 3e armée, la 23e D. R. s'empara de Mailly dans la matinée ; à midi, elle se trouvait sur les hauteurs au sud de cette localité, prête à recevoir une nouvelle mission. L'ennemi, épuisé, avait disparu devant elle derrière les boqueteaux et les hauteurs de Salon. La, à 20 kilomètres au sud du front que l'ennemi occupait au début de la bataille, elle était l'aiguille de la balance de la décision de la bataille des peuples. C'est là qu'à 5 heures du soir vint la frapper comme un éclair l'ordre..... de retraite !
L'attaque du groupement de gauche de la 3e armée se heurta, sur le front de la 23e D. I. et plus à l'est sur celui du XIXe corps, dans la zone boisée au sud de Sompuis, à une puissante résistance ; le feu bien réglé de l'artillerie française lui causa, en particulier, des pertes sensibles. Ce ne fut que dans l'après-midi que ce feu diminua visiblement. Mais les puissantes réserves ennemies signalées en marche vers le champ de bataille n'exécutèrent pas contre Sompuis l'attaque attendue, vraisemblablement à cause de la présence de la 23e D. R. au sud de Mailly. Au XIXe corps, l'attaque progressa favorablement au delà de la ferme Grenoble. L'aile gauche du corps d'armée se défendit sans difficulté contre le feu de l'artillerie ennemie. On lui avait fait espérer qu'elle serait relevée par une division du VIIIe C. A. (4e armée). A partir de 4 h. 30 du soir, le feu de l'artillerie ennemie cessa entièrement. L'infanterie française n'osait plus se montrer à découvert.
L'état-major de la 3e armée espérait fermement, en raison des comptes rendus positifs des corps de troupes, que la 2e armée avait déjà reçu le soulagement qu'elle avait demandé. Mais à 1 h. 20 de l'après-midi, alors qu'il ne s'y attendait pas, le radio suivant lui parvint : " 2e armée entame mouvement de repli, aile droite Damery· " (on voulait dire Dormans et non Damery, localité située à 20 kilomètres plus a l'ouest : erreur funeste de la 2e armée, qui fut également transmise par T. S. F. à la 1re armée). Certes, la 3e armée avait bien déjà entendu, à 7 h. 35 du matin, un radio adressé par la 2e armée à la 1re, où il était dit : " Aile droite de la 2e armée repliée 9 septembre sur Margny". Elle envoya cependant le radio suivant à la 2e armée, dans l'espérance qu'elle pourrait encore l'inciter à tenir : " Combat continue devant le front de la 3e armée. Euvy pris par nous. "
Quant à ce qui la concernait personnellement, elle se contenta d'assurer le départ de ses convois. Mais à 5 h. 30 du soir, elle reçut le radio suivant de la 2e armée, émis dès 2 h. 45 : " 1re armée se replie. 2e armée entame mouvement de repli Dormans Tours. Ordre de retraite envoyé à Kirchbach. "
La 3e armée avait déjà été informée de ce dernier point, dès 3 heures du soir, par le XIIe C. R. ; celui-ci avait ajouté que, d'après l'ordre de retraite de la 2e armée, il aurait dû entamer son repli à 1 heure, en commençant par son aile gauche, mais que, comme cette heure était largement dépassée, cette aile ne commencerait son mouvement qu'à 4 h. 30.
De ce qui précède, il résulte nettement que la décision de la 2e armée - décision qui fut d'une grande influence pour tout le front de l'armée allemande et qui, dès 1 heure du soir, provoqua pour la moitié de la 3e armée des ordres qui étaient une mainmise sérieuse sur les droits du commandant de cette armée
- il résulte, dis-je, que cette décision ne fut portée à la connaissance du commandement de la 3e armée qu'à 2h. 45 et cela, non pas par la voie la plus rapide, mais par T. S. F., voie qui causait une perte de temps.
De l'avis du commandement de la 3e armée, il ne restait plus qu'à prendre les mesures nécessaires pour replier la 3e armée derrière la Marne et à donner également au groupement de gauche l'ordre de battre en retraite dans la direction du nord. Le lieutenant-colonel Müller Loebnitz, qui étudie, aux " Archives de l'Empire ", la campagne de la Marne, a reproché aux Saxons, dans son exposé de la bataille, de ne pas avoir engagé, les 6 et 7 septembre, la 32e D. I. aux côtés de la Garde en une action unique et simultanée, ce pourquoi le résultat de la bataille est demeuré purement négatif. C'est ne pas être juste envers cette brave division. Agissant très intelligemment, elle commença tout d'abord par préparer suffisamment son attaque d'infanterie avec son artillerie - cela demanda naturellement beaucoup de temps, en raison de la portée supérieure de l'artillerie française : la Garde, qui poussait de l'avant, ne voulut pas attendre. " Le 9 septembre également, - écrit Müller Loebnitz , la 2e D. G. dut attendre les Saxons à Fère-Champenoise. Ceux-ci,
de leur côté, voulurent d'abord intercaler dans leur front leur 24e D. R. fraîche, avant de passer à l'attaque décisive. Ils crurent devoir diriger cette attaque vers le sud, pour dégager tout d'abord leur flanc, tandis que la 2e armée attachait, elle, la plus grande importance à une avance en direction de l'ouest. La 3e armée retint également la 23e D. R. près de Mailly, parce que des forces ennemies nouvelles, vraisemblablement le 21e C.A. rameuté du front est, marchaient vers la brèche existant entre la 23e D. R. et la 23e D. I. Quoi qu'il en soit, la 2e D. G. parvint encore à midi jusqu'à Connantre, la 24e D. R. et la 32e division jusqu'à la coupure de la Maurienne, à Gourgançon et Semoine. " Or, la direction d'attaque, le 9 septembre, n'était pas le " sud " mais bien " Sézanne ", donc l'ouest ; naturellement, l'attaque devait également englober les forces ennemies situées plus au sud. C'est d'ailleurs l'écrasement de son aile droite extérieure, qui amena précisément le général Foch à reporter rapidement en arrière son Q. G. de Pleurs à Plancy-sur-Aube et qui fit naître chez le général Joffre, dès le 8 septembre au soir, malgré la confiance que Foch manifestait en haut et en bas, pour la galerie, l'idée que l'ordre de retraite était nécessaire. C'est également la situation de l'aile droite de l'armée Foch qui a amené Joffre, le 9 septembre, à signer cet ordre de retraite. Si, finalement, cet ordre n'a pas été expédié, ce fut uniquement parce que la nouvelle du repli de l'armée Kluck arriva encore à temps au Q. G. de Joffre.
LA 4e ARMÉE
A la 4e armée allemande, la journée du 9 septembre s'écoula favorablement. Plusieurs attaques ennemies dirigées contre le XVIIIe C. R. furent repoussées ; cependant, l'infanterie de ce corps d'armée ne parvint pas, elle non plus, à progresser, car son artillerie ne put pas remporter d'avantages sérieux sur l'artillerie française. Le XVIIIe C. R. ordonna, en conséquence, de prendre les positions ennemies d'assaut pendant la nuit. C'est alors qu'arriva, à 4 h. 15 du soir, de la 3e armée, la nouvelle que les 1re et 2e armées allemandes se repliaient, ainsi que l'aile droite de la 3e. Le commandement de la 2e armée fit également savoir, à 4 h. 40, ce qui suit : " La 1re armée se replie. La 2e armée entame son mouvement de repli. Ordre de retraite a été envoyé à Kirbach. " La 4e armée reçut, par contre, de la 5e armée, à 5 h. 15 du soir, un renseignement annonçant que celle-ci avait l'intention d'exécuter une attaque de nuit.
Le commandement de la 4e armée prépara alors son ordre de retraite, mais ne l'envoya pas à ses troupes.
A 9 heures du soir, il reçut l'ordre suivant du G. Q. G. : " La 3e armée demeurera au sud de Châlons, prête à une nouvelle offensive. La 5e armée attaquera dans la nuit du 9 au 10 ; la 4e armée attaquera, elle aussi, si elle a des chances de succès, et se mettra en liaison dans ce but avec la 3e armée. "
La 4e armée ordonna alors d'attaquer au point du jour. Le XVIIIe C. A. devait couvrir les ailes intérieures des 4e et 5e armées, en demeurant tout d'abord dans sa position actuelle.
Devant la 4e armée allemande, les corps d'armée français du centre et d'aile droite conservèrent leurs positions. Le général Langle de Cary put prélever une division sur chacun de ses corps du centre et les envoyer à l'ouest de la Marne, derrière son 17e C. A., pour attaquer le lendemain.
LA 5e ARMEE
A l'aile droite de la 5e armée, dans la région de Laimont, les attaques françaises furent repoussées ; il en fut de même, à l'aile gauche, pour les attaques dirigées contre la ligne de communication nord de l'armée. Sur tout le front, l'artillerie lourde prépara l'attaque générale de la 5e armée qui avait été réservée pour la nuit.
Mais cette attaque de nuit fut interdite, par ordre du G. Q. G. de 7 h. 30 du soir, " en raison de la situation générale. "
La position à prendre par rapport à l'ordre de retraite du G. Q. G. ne fut envisagée par le commandement de la 5e armée que le lendemain et sera exposée avec les événements de la journée du 10 septembre.
L'ordre de retraite.
Qui porte la responsabilité de l'ordre de retraite ? Cette question occupe, depuis 1914, avec le peuple allemand endeuillé, tout le monde civilisé. Dans ma Bataille de la Marne, j'ai invité l'état-major allemand à répondre. Mais le grand état-major prussien, qui fut pendant cinquante ans l'orgueil de tout le corps d'officiers allemand, a été dispersé par nos ennemis et rendu silencieux. Une légende s'est formée sur la coopération du lieutenant-colonel Hentsch, du G. Q. G., à cet ordre de retraite malheureux, légende que cet excellent officier a réfutée dans une enquête officielle, sans pouvoir cependant la détruire. Malheureusement, le lieutenant-colonel Hentsch est mort avant la fin de la guerre, comme chef d'état-major des services administratifs de l'armée de Roumanie. Dans son opuscule : Jusqu'à la Marne, 1914; le général-lieutenant Tappen a écrit ce qui suit sur l'envoi du lieutenant-colonel Hentsch aux armées :
" Le 8 septembre, la situation de la 2e armée était critique. Le colonel-général de Moltke envoya un officier supérieur de son état-major (le lieutenant-colonel saxon Hentsch) aux Q. G. des armées d'aile droite, avec mission de s'orienter sur la situation et, dans le cas où des mouvements de retraite auraient déjà été ordonnés par les commandants d'armée, d'agir en sorte que la cohésion de ces armées entre elles fut rétablie, la 1re armée ayant alors à marcher en direction de Soissons. L'envoi de cet officier fut précédé d'une conférence où il fut souligné qu'il s'agissait désormais de tenir et d'empêcher tout mouvement de repli. L'officier envoyé en mission n'a donc reçu du G. Q. G. aucune espèce de pleins pouvoirs pour ordonner ou approuver des mouvements de retraite chez ces armées ; il ne pouvait pas, non plus, du reste, recevoir de tels pouvoirs. Le G. Q. G. n'a pas donné d'ordre prescrivant des mouvements de repli ; c'est là un fait qu'il faut constater encore une fois formellement. L'officier envoyé a déclaré, lui aussi, plus tard, qu'il n'avait jamais donné d'ordre semblable à un commandant d'armée de la part du G. Q. G. et que, quand il est arrivé à l'état-major de la 1re armée, les ordreS de retraite étaient déjà donnés par cet état-major.
Le commandement de la 1re armée présente les faits d'une autre façon. Les événements qui se sont passés à l'état-major de la 1re armée n'ont pas été éclaircis à ce moment-là et ne le seront sans doute jamais, par suite de la mort de l'officier intéressé. Le commandant de la 2e armée n'a jamais contesté avoir ordonné de lui-même le repli de son aile droite en raison de la situation. "
Telles sont les déclarations du général-lieutenant Tappen. Le colonel-général von Kluck, commandant en chef de la 1re armée, a adressé, lui aussi, dans son livre La marche sur Paris et la bataille de la Marne, le reproche suivant au lieutenant-colonel Hentsch : " Vers midi, le lieutenant-colonel Hentsch, du G. Q. G., venant du Q. G. de la 2e armée, arriva à Mareuil : sa venue ne fut connue du commandant de la 1re armée qu'après son départ hâtif - incident regrettable qui aurait été évité si le lieutenant-colonel s'était présenté personnellement au commandant de l'armée ; celui-ci se trouvait dans le voisinage de la localité où a eu lieu la rencontre précitée. " Il donne ensuite le procès-verbal de la discussion qui eut lieu entre le général Kuhl, chef d'état-major de la 1re armée, et le lieutenant-colonel Hentsch, procès-verbal que j'ai déjà reproduit dans ma Bataille de la Marne. Il est ainsi conçu :
" Le lieutenant-colonel Hentsch communiqua ce qui suit La situation n'est pas favorable. La 5e armée est arrêtée devant Verdun ; les 6e et 7e armées, devant Epinal - Nancy. La 2e armée n'est plus qu'une " scorie ". Sa retraite derrière la Marne ne peut plus être arrêtée. Son aile droite (VIIe corps) ne s'est pas repliée, mais a été refoulée. En conséquence, il est nécessaire de " décrocher " toutes les armées, la 3e se portant au nord de Châlons, la 4e et la 5e, en liaison avec elle, par Clermont-en-Argonne sur Verdun. La 1re armée doit donc se replier, elle aussi, sur Soissons - Fère-en-Tardenois, et même,
en cas de nécessité absolue, sur Laon - La Fère. " Il dessina au fusain sur la carte du général von Kuhl, chef d'état-major, la ligne approximative que devait atteindre la 1re armée. Il ajouta qu'on concentrait une nouvelle armée à Saint-Quentin et qu'une nouvelle manœuvre pourrait ainsi commencer.
Le général von Kuhl fit remarquer que la 1re armée était en pleine attaque et qu'une retraite serait très périlleuse, car l'armée était entièrement mélangée et extrêmement épuisée.
Le lieutenant-colonel Hentsch répondit que, néanmoins, il n'y avait pas autre chose à faire. Il admit qu'il n'était pas possible de battre en retraite dans la direction indiquée en partant du combat actuellement engagé, et qu'il valait mieux se replier en droite ligne, mais sans dépasser Soissons, l'aile gauche derrière l'Aisne. Il souligna que ces directives étaient impératives et devaient être suivies, même au cas où d'autres communications parviendraient ultérieurement. Il déclara qu'il avait " pleins pouvoirs. "
Le quartier-maître de la 1re armée, le colonel von Bergmann, assista à l'entretien. "
Tels sont les termes du Journal de marche de la 1re armée. Dans son livre, le colonel-général von Kluck a ajouté au procès-verbal : " Une telle communication, qui faisait apparaître la situation sous un jour entièrement nouveau, aurait dû - nous le répétons encore une fois - être faite directement par le lieutenant-colonel Hentsch au commandant de la 1re armée. " Je me permettrai cependant de poser la question suivante : " N'est ce pas plutôt le chef d'état-major de la 1re armée qui est responsable de ce que cela n'a pas eu lieu, lui qui n'a pas immédiatement rendu compte à son chef de l'arrivée d'un représentant du G. Q. G. ? "
Assurément le chef d'état-major de la 1re armée était en droit, en vertu de ses fonctions, d'entendre le délégué du G. Q. G. sans appeler son commandant d'armée, car il partageait avec lui la responsabilité de toutes les décisions et de tous les ordres du commandement de l'armée. C'était son droit d'être seul à rendre compte à son chef de la situation, tout comme le chef d'état-major général de l'armée avait seul le droit de soumettre des décisions à l'empereur. Etait-il indiqué, cependant, en pareil cas, de s'écarter de la règle générale ? Seul le général von Kuhl pouvait le décider. A la 2e armée Bülow, Lauenstein et Matthes (chef du Bureau Ia, opérations) avaient conféré entre eux - ce qui ne fut pas, d'ailleurs, un bien pour l'ensemble. A la 1re armée
le général von Kuhl, caractère aimant les responsabilités, fut seul à prendre sur ses épaules, et sciemment, le lourd fardeau de la décision. Mais il continuera aussi à le porter devant l' Histoire. A mon avis, " la co-responsabilité du chef d'état-major " est une mesure qui n'est pas sans inconvénient. Elle ne diminue que trop facilement le sentiment de responsabilité du commandant de l'armée. C'est là un fait qui s'est manifesté encore davantage avec la nature énergique de Ludendorff, qui attirait fortement à soi les chefs d'état-major placés sous ses ordres. La co-responsabilité du chef d'état-major a d'ailleurs abouti sur le front oriental à un conflit dès les premières semaines de la guerre. Le chef d'état-major du 1er C. A. ayant rendu compte à la 8e armée des intentions et plans de son commandant de corps d'armée (le général von François) sans en avoir prévenu auparavant ce dernier, le général von François obtint alors de l'empereur le remplacement de son chef d'état-major. Mais des natures aussi énergiques n'étaient pas la règle, même en 1914, dans nos états-majors d'armée et de corps d'armée.
J'intercalerai en outre ici - car c'est désirable pour la compréhension des déclarations ultérieures du colonel-général von Kluck - le rapport français indiquant quelle était la situation, le 9 septembre au soir, chez l'adversaire de Kluck, le général Maunoury, commandant de la 6e armée française : " La soirée du 9 septembre et la nuit du 9 au 10 furent mauvaises à l'armée Maunoury. L'ennemi avait résisté. Mais la décision du général Maunoury de continuer l'offensive le 10 septembre fut maintenue. Entre temps, Kluck s'était replié. L'opiniâtre volonté française avait vaincu. " Cette description théâtrale est, naturellement, un travail à posteriori. Je tiens, par contre, avec une entière certitude, d'une source neutre qui suivit de près les événements au quartier général de Joffre, que l'ordre de retraite français aurait été lancé quelques heures plus tard, en tout cas encOre le 9 septembre au soir, si l'aviation n'avait pas constaté
entre temps le repli de la 1re armée. Les Français étaient arrivés complètement au bout de leurs munitions d'artillerie. Le commandant d'état-major suisse Bircher le confirme, lui aussi, dans son ouvrage sur la bataille de la Marne, ouvrage qui contient des données absolument sûres sur la situation du côté des Alliés de l'Ouest !
Je continue maintenant à donner les déclarations du colonel général von Kluck. Il est dit à la page 123 de son livre :
" Ainsi qu'il résulte des documents français dont nous disposons aujourd'hui, le général Maunoury avait pensé, dès le 8 septembre au soir, à se replier sur une position défensive jalonnée par Monthyon - Saint-Soupplets - Le Plessis - Belleville. La victoire tactique de la 1re armée allemande sur l'armée Maunoury, à l'extrême-gauche française, paraissait assurée, et il était possible qu'en continuant à attaquer le 9, on obtînt un grand succès. Il pouvait se faire également qu'après le combat de Montbertoin l'armée anglaise n'avançât pas, tout d'abord, bien rapidement. Cependant, d'après les indications du G. Q. G., on ne pouvait pas douter de la nécessité de battre en retraite. Quant à savoir dans quelle mesure la 1re armée, en remportant de nouveaux et importants succès, pouvait encore influencer le cours des opérations des armées allemandes opérant plus a l'est, c'était là une chose que le commandement de la 1re armée n'était pas en état d'apprécier par lui-même. L'officier supérieur délégué du G. Q. G., qui avait reçu de celui-ci pleins pouvoirs, était d'avis que cette influence serait nulle. Or la brèche qui existait entre les deux armées d'aile droite allemandes menaçait de devenir béante. Le devenait-elle, le flanc et les derrières de la 1re armée se trouvaient découverts, tandis que la 2e armée, elle, en continuant à battre en retraite vers le nord-est, améliorait tout naturellement sa situation. Certes, on pouvait compter avec certitude que l'on en viendrait, au cours des journées suivantes, à exploiter les succès amorcés sur Maunoury ; mais il aurait fallu, ensuite, se décrocher de l'ennemi, remettre de l'ordre dans les unités, recompléter les munitions et les vivres, refouler les convois, couvrir les communications ; or, ces mesures auraient pris beaucoup de temps et auraient permis aux colonnes anglaises qui n'avaient été que contenues à Montbertoin (2 kilomètres sud de Montreuil) et aux autres colonnes anglaises en liaison avec elles plus à l'est, ainsi qu'à l'aile gauche de l'armée plus mobile de d'Esperey, de tomber dans le flanc et sur les derrières de la 1re armée arrivée à la limite de ses forces. Celle-ci aurait alors été rejetée - sauf fautes inouïes de la part de l'ennemi - dans une direction de marche nord-ouest, sur Dieppe, ou, dans le cas le plus favorable, sur Amiens. - longs et épuisants détours ! Tout autre eût été la situation si elle avait disposé en temps voulu de l'échelon de deux à trois corps d'armée tirés de Lorraine ou d'Alsace, qu'elle désirait depuis longtemps, pour donner de la profondeur à l'offensive de l'aile droite allemande ou pour boucher les brèches éventuelles ! Après, avoir exploité partiellement ses succès sur l'armée Maunoury, la 1re armée se serait repliée par Clernont - Compiègne, par petites étapes, en se couvrant par de fortes arrière-gardes pourvues d'artillerie lourde ; puis, après s'être regroupée, elle aurait fait front à nouveau en un endroit favorable et aurait ensuite repris l'offensive en liaison avec l'armée constituant échelon arrière celle-ci attaquant par Soissons ainsi qu'en aval et en amont de cette ville.
Se basant sur le fait que la situation était désormais entièrement changée, le commandant en chef de la 1re armée - pleinement conscient de la portée de sa grave décision - se décida à battre en retraite immédiatement dans la direction du nord, vers la basse Aisne, sur Soissons - Compiègne. La décision une fois prise, la situation exigeait qu'on l'exécutât immédiatement : pas une heure n'était à perdre. "
Tels sont les termes du commandant de la 1re armée. Le général de l'infanterie von Kuhl, son éminent chef d'état-major, a déjà fait connaître son avis, sur la question de la retraite, dans le Militär Wochenblatt du 27 août 1919, à propos de mon livre La bataille de la Marne. Malheureusement, le manque de place ne me permet pas de reproduire son article tout entier II y dépeint comme suit, sans parti pris, la situation de la 2e armée :
La situation de la 2e armée, le 9 septembre, était sans aucun doute très difficile. Pour faire face à l'attaque de flanc de Maunoury, le commandant de la 1re armée s'était vu obligé de renverser, face à l'ouest, le front de son armée primitivement orienté face au sud. Il en était résulté une brèche entre les 1re et 2e armées, brèche qui avait été comblée tout d'abord avec une puissante cavalerie, puis plus tard, sur la Marne, avec de nouvelles forces. La 2e armée fut néanmoins mise dans l'embarras par cette manœuvre. Elle aurait pu se dire que la 1re armée avait pour mission de couvrir le flanc du mouvement général de l'armée allemande.
En ce qui concerne la situation de la 1re armée, le 9 septembre à midi, le général von Kuhl a écrit :
" Après une lutte difficile, la situation de la 1re armée dans la bataille de l'Ourcq avait pris une tournure favorable jusqu'à l'arrivée da lieutenant-colonel Hentsch, le 9 septembre après midi. Cette situation a été exactement reproduite dans ses grandes lignes par le général Baumgarten-Crusius, ainsi que la discussion qui eut lieu avec le lieutenant-colonel Hentsch. La 2e armée avait dû toutefois replier, pour les motifs indiqués, son aile droite, et il en était résulté à nouveau une situation défavorable pour l'aile gauche de la 1re armée. La 5e D. I. fut poussée dans la brèche entre les 1re et 2e armées et placée sous les ordres du corps de cavalerie von der Marwitz, pour rejeter, en les attaquant, les Anglais qui franchissaient la Marne. Cette attaque fat couronnée de succès.
" A l'aile droite décisive de la 1re armée, le succès était certain. Malgré l'épuisement des troupes, on était parvenu, au prix d'efforts extrêmes, à renverser le front de l'armée, si bien que l'aile nord ennemie avait été enveloppée. Une brigade de landwehr restée en arrière, put être dirigée de façon à tomber sur les derrières de l'ennemi. Le 9, l'attaque avait fait de bons progrès. L'ennemi commençait à plier. La journée suivante aurait apporté la décision. nous étions certains de l'obtenir. Le général Maunoury rendit compte à son G. Q. G. qu'au lieu d'envelopper l'ennemi, il était lui-même enveloppé.
" Le colonel-général von Kluck n'a pas sous-estimé l'importance de l'avance des Anglais dans la brèche qui existait entre les 1re et 2e armées. Le commandement de la 1re armée était cependant d'avis qu'il n'y avait pas trop lieu de craindre les Anglais. Après leur longue retraite et leurs nombreuses défaites ils ne se laissaient ramener que difficilement dans le mouvement en avant et il était possible de les contenir efficacement au passage de la Marne. Mais, même s'ils avaient réussi à avancer le 10 septembre, la victoire remportée sur Maunoury les aurait amenés à battre en retraite en toute hâte. Les Anglais n'auraient jamais osé s'avancer isolément entre les 1re et 2e armées, si, a leur gauche, les Français avaient été battus et si leurs propres communications avec la mer s'étaient ainsi trouvées coupées. Mais, même si l'aile droite de la 2e armée avait été refoulée davantage, cela n'aurait rien changé au résultat final ; la situation de l'ennemi s'en serait peut-être même trouvée aggravée si la victoire de la 1re armée était devenue une victoire décisive. C'est a ce, but que tendaient toutes les mesures du colonel-général von Kluck, but qu'il croyait atteindre avec certitude. "Je ne fais que reproduire ici textuellement l'opinion qu'avait à ce moment-là le commandement de la 1re armée. C'est à l'Histoire qu'il appartient d'examiner si cette opinion était juste.
" Le lieutenant-colonel Hentsch fut étonné quand, le 9 septembre, à Mareuil, il se trouva en face de cette situation et de cette opinion. Il venait de la 2e armée et se trouvait lié par la décision de battre en retraite qui avait été prise à cette armée avec sa coopération. Au nom du G. Q. G. dont, selon ses dires, il avait reçu pleins pouvoirs, il ordonna à la 1re armée de battre en retraite. Malgré une violente opposition, le commandement, de la 1re armée dut se soumettre. L'ordre de retraite fut donné à regret. Les corps d'armée ne voulurent pas y croire ; des paroles dures furent prononcées. Il fallut leur expliquer d'une façon détaillée les motifs de cette décision. Son exécution fut difficile. L'armée, qui faisait primitivement face au sud, avait été retournée face à l'ouest et il lui fallait maintenant, en rompant le combat, se replier presque vers le nord. Elle avait été complètement mélangée ; le mouvement des parcs et convois fut un chef-d'œuvre. Au bout de quelques jours, l'armée se trouva en ordre au nord de l'Aisne.
En ce qui concerne la mission reçue du G. Q. G. par le lieutenant-colonel Hentsch, rien de certain n'est parvenu à la connaissance de l'opinion publique. A-t-il dépassé sa mission quand il a donné l'ordre de battre en retraite ? Ainsi qu'il me l'assura, il avait pleins pouvoirs. C'était un officier très prudent, très circonspect, particulièrement versé dans les grandes questions stratégiques. On pouvait se fier à lui sans réserves. Le G. Q. G. n'aurait pas dû, néanmoins, mettre en ses mains un pareil pouvoir de décision appelé à régler l'issue de la plus importante des batailles et peut-être même de la bataille qui devait décider de la guerre. Le lieutenant-colonel Hentsch ne pouvait décider que suivant son savoir et sa conscience, et c'est ce qu'il a fait. Mais la lumière ne sera complètement faite sur le rôle qu'il a joué que quand on aura déterminé les événements qui se sont passés en sa présence au Q. G. de la 2e armée. Jusque-là, on doit s'abstenir de porter un jugement. "
En attendant, le récit de Tappen a mis la question en mouvement. Le général de l'infanterie von Kuhl prend position comme suit au sujet de ce récit dans le Militär-Wochertblatt, n° 119, du 12 juin 1920 : " D'après les dires du général Tappen, le lieutenant-colonel Hentsch a déclaré, dans son rapport, que quand il est arrivé au Q. G. de la 1re armée, les ordres de retraite étaient déjà donnés à la 1re armée. Il doit y avoir là, quelque part, un grave malentendu, car le 9 septembre à midi, la 1re armée était, au contraire, sûre de son affaire. " Et le général de l'infanterie von Kuhl dit encore plus loin : " La situation de la 1re armée n'exigeait nullement qu'elle battît en retraite ; le commandement de la 1re armée s'opposa avec la plus grande énergie à cette suggestion avant d'être obligé de se soumettre à la directive du lieutenant-colonel Hentsch qui, selon ses dires, avait été muni de pleins pouvoirs par le G. Q. G. "
Afin d'éclaircir le " grave malentendu " dont il vient d'être parlé, et pour justifier le colonel Hentsch, qui malheureusement ne peut plus se défendre lui-même, je reproduis ci-dessous le rapport qu'il a adressé, en mai 1917, au chef d'état-major de l'armée de campagne pour expliquer son rôle pendant la bataille de la Marne en 1914.
Le G. Q. G. lui avait posé les deux questions suivantes (n° 2179 du 2 mai 1917 ) :
1° Quel était le texte de la mission qui vous avait été donnée par le chef d'état-major de l'armée de campagne ?
2° Avez-vous fait formellement allusion, devant le commandement de la 1re armée, aux pleins pouvoirs qui vous avaient été donnés ; avez-vous, par conséquent, ordonné la retraite au nom da G. Q. G. ? "
Le colonel Hentsch dit à ce sujet, dans son rapport :
" Ma mission résultait d'une appréciation de la situation générale, de directives qui me furent données pour des cas déterminés et de réponses à des questions que j'avais posées.
Comme cela va de soi, on exprima tout d'abord l'espoir que la crise serait surmontée et qu'il ne serait pas nécessaire de battre en retraite. Mais, pour le cas où cette retraite deviendrait nécessaire, on m'indiqua comme direction générale pour l'ensemble de l'armée allemande, la ligne Sainte-Menehould - Reims - Fismes - Soissons. Je suis certain que ces quatre localités me furent répétées par le colonel-général von Moltke et le lieutenant-général Tappen. Ce sont également les localités que j'ai indiquées, le 9 septembre, au général von Kuhl et que j'ai reliées sur sa carte par un trait. Dans mon rapport du 15 septembre 1914, adressé au G. Q. G., j'ai rendu compte de ce qui suit :
" Le chef d'état-major général m'a donné l'autorisation de prescrire, en cas de nécessité, le repli des armées 1 à 5 derrière la Vesle et à hauteur de la lisière nord de l'Argonne.
" Ce rapport n'a jamais été contesté par la Direction suprême. Je me souviens nettement que le général-lieutenant Tappen m'a dit à Mézières, un jour que je le pressais de faire établir exactement tous les détails de cette affaire : " Laissez donc les gens causer ; ici nous savons fort bien comment la chose s'est passée ; vous n'avez aucune raison de vous faire du souci. "
" Le colonel-général von Moltke et le général-lieutenant Tappen m'ont donné formellement pleins pouvoirs pour agir avec initiative. La raison en est que le G. Q. G. n'était relié avec la 1re armée et, autant que je me le rappelle, avec la 2e armée, que par T. S. F. On savait au G. Q. G. que les radios envoyés à la 1re armée avaient mis souvent plus de douze heures pour lui parvenir. La 1re armée avait aussi reçu trop tard, le 5 septembre, l'ordre de rester au nord de la Marne et elle était déjà en marche au sud de la rivière lors de l'arrivée de cet ordre. C'est pour cette raison que j'ai demandé et que j'ai reçu formellement pleins pouvoirs, pour agir en toute initiative au nom de la direction suprême. Il n'était déjà pas possible, au point de vue temps, d'aller chercher la décision de la Direction suprême, d'autant plus que je devais parcourir tout le front de l'armée allemande. Ces pleins pouvoirs pour agir en toute initiative, le général Tappen me les concède lui-même - tout au moins en ce qui concerne les 1re et 2e armées - car, dans son rapport, il dit ce qui suit à propos de ma mission : " Au cas où des mouvements de repli seraient déjà amorcés à l'aile droite, vous chercherez à les diriger de façon à combler la brèche entre les 1re et 2e armées, la 1re armée se repliant autant que possible sur Soissons. "
" Cette directive me donnait des pleins pouvoirs formels pour agir, au cas où certaines conditions déterminées se trouveraient réalisées.
" Tout officier supérieur d'état-major, occupant un poste analogue à celui que j'occupais alors, me concédera d'ailleurs que je ne pouvais agir au nom du G. Q. G. qu'en me basant sur des pleins pouvoirs de ce genre et que je ne pouvais pas donner des ordres de moi-même dans une situation aussi difficile. "
En ce qui concerne la question de savoir s'il a fait formellement allusion devant le commandement de la 1re armée aux pleins pouvoirs qui lui avaient été donnés par le G. Q. G., par conséquent, s'il a ordonné la retraite au nom du G. Q. G., Hentsch dit ce qui suit dans son rapport :
" J'ai fait formellement allusion, devant la 1re armée, aux pleins pouvoirs que j'avais reçus et j'ai ordonné la retraite au nom du G. Q. G.
" J'étais en droit de le faire :
" 1° Parce que des mouvements de retraite étaient déjà commencés à la 2e armée, et l'aile gauche de la 1re armée avait, elle aussi, déjà reçu, avant mon arrivée, l'ordre de se replier sur la ligne Crouy - Coulombs ;
" 2° Parce que j'avais eu personnellement, au cours de mon voyage entre la 2e et la 1re armées, l'impression de la situation pénible de l'aile gauche de la 1re armée, et par là du danger qui menaçait l'aile droite de la 2e ;
" 3° Parce que je n'ai pas eu, à l'état-major de la 1re armée, le sentiment qu'au moment de ma présence, on y était absolument convaincu que l'aile droite de l'armée avait remporté un succès décisif.
" Ces motifs devaient être, pour moi, des motifs déterminants pour coordonner les mouvements des 1re et 2e armées.
" Le 8 au soir, au château de Montmort, j'ai discuté en détail la situation de la 2e armée avec le général-feldmaréchal von Bülow, le général von Lauenstein et le lieutenant-colonel Matthes. Nous avons examiné toutes les possibilités d'éviter la retraite; le moral, à l'état-major de la 2e armée, était calme et entièrement confiant. Le 9 septembre à 6 h. 30 du matin, j'ai examiné encore une fois la situation avec S. E. von Lauenstein, sur la base des renseignements reçus pendant la nuit. La 1re armée ayant enlevé les IIIe et IXe corps de la Marne et les ayant rameutés à son aile droite, il ne restait aucune autre possibilité que de se replier tout d'abord derrière la Marne. La 2e armée pouvait et voulait tenir sur cette rivière. Mais la condition essentielle, pour cela, était que la 1re armée prît à son compte la couverture du flanc droit de la 2e armée et qu'elle empêchât les Anglais de passer la Marne à l'ouest de la 2e armée.
" Un coup d'œil sur la situation réciproque, le 9 au matin, montrera que cette condition était parfaitement justifiée.
". L'armée Bülow n'avait plus aucun homme à sa disposition pour remplir cette mission. La situation tout entière de la 2e armée était devenue extrêmement menaçante par suite du rappel des IIIe et IXe corps. C'est pourquoi le commandement de la 2e armée demandait avec raison d'être appuyé par la 1re, et cela dès le 9, car il n'y avait pas de temps à perdre.
J'ouvre, ici, une parenthèse pour dire ce que le lecteur sait déjà grâce aux déclarations qui ont été faites par des combattants de la 2e armée capables de porter un jugement : l'opinion que le commandement de la 2e armée avait de la situation de sa propre armée ne répondait pas à la réalité. Le lieutenant- colonel Hentsch a recueilli à l'état-major de la 2e armée une impression beaucoup trop défavorable sur la situation tactique réelle. C'est là le point de départ de l'action malheureuse exercée par cet officier distingué sur le cours ultérieur des événements.
Le lieutenant-colonel Hentsch dit ensuite dans son rapport : " Muni de cette demande, je partis pour la 1re armée. L'impression que je recueillis, au cours du voyage que je fis pour me rendre, par Reims - Fismes - Fère-en-Tardenois à Mareuil, l'état-major de la 1re armée, ne fut nullement favorable. Partout, je rencontrai des trains et des convois qui appartenaient aux divisions de cavalerie et se repliaient en toute hâte ; ils se dirigeaient tous sur Fère-en-Tardenois. Des groupes de blessés refluaient dans la même direction ; ils craignaient d'être déjà coupés.
" A Neuilly-Saint-Front, tout était embouteillé par des colonnes : une attaque d'avions avait provoqué une panique complète. Je dus descendre de voiture à plusieurs reprises et me frayer un chemin par la force. Arrivé devant Neuilly, j'obliquai vers le sud pour atteindre Mareuil par Crouy. Devant Brumetz, je dus faire demi-tour, car la cavalerie anglaise était déjà signalée dans le voisinage. Ce ne fut qu'à midi que je parvins à atteindre Mareuil par Chézy. Quels avaient été les renseignements et intentions échangés dans l'intervalle entre les 1re et 2e armées ? Je l'ignore. en tout cas, le général von Kuhl me reçut dans la rue du village avec ces mots :
" Oui, si la 2e armée se replie, nous ne pourrons pas, nous non plus, demeurer ici. " .
" Les intentions de la 2e armée devaient donc, à ce moment là - vers 12 h. 30 - être connues de la 1re armée.
" J'ai alors parlé longuement et en détail avec le général von Kuhl seul. Nous avons examiné la situation générale de l'armée allemande et discuté les différentes possibilités qui s'offraient aux 1re et 2e armées. Dans cet entretien, je n'ai nullement songé, a priori à une retraite ; bien au contraire, j'étais venu avec le ferme espoir que la 1re armée pourrait soutenir la 2e .
" J'ai parlé au général von Kuhl comme à un ancien chef et à un camarade qui me connaissait depuis seize ans dans le service et qui savait que je jugeais toujours calmement et objectivement. Ce n'est que beaucoup plus tard que le quartier-maître de l'armée, le colonel von Bergmann, est venu prendre part à l'entretien. Le procès-verbal établi le 10 septembre, donc après coup, n'est pas signé de moi ; il ne peut donc pas non plus, être approuvé par moi. Si un procès-verbal devait être établi il aurait dû l'être en ma présence et contenir tous les points qui firent l'objet de notre entretien.
" Vers midi, la situation de la 1re armée était telle que son aile gauche avait déjà reçu l'ordre de se replier sur Crouy - Coulombs (Mais le général de l'infanterie von Linsingen n'avait pas encore exécuté cet ordre, parce que inutile. Le commandement de la 1re armée le savait, donc Hentsch lui aussi.). La possibilité de tenir la ligne de la Marne était déjà ainsi enlevée à la 2e armée ; elle était donc obligée de continuer à se replier, si elle ne voulait pas, le 10 au soir au plus tard, être enveloppée sur son flanc et ses derrières par les Anglais. " Ayant demandé s'il ne serait pas possible de soutenir immédiatement la 2e armée, il me fut répondu négativement en raison de la situation de l'aile gauche de la 1re armée.
" Le général von Kuhl signala, toutefois, que les perspectives de l'aile droite de l'armée, qui combattait au delà du canal de l'Ourcq, étaient favorables. Les IVe et IXe corps étaient engagés offensivement et on avait des chances de succès. On n'en savait pas davantage pour le moment. Mais je sais fort bien qu'on reçut, précisément à ce moment-là, un compte rendu du IVe corps annonçant qu'il ne pouvait exécuter l'attaque qui lui avait été prescrite parce qu'il était lui-même attaqué par dès forces puissantes. Je sais également que j'ai demandé au général von Kuhl si la 1re armée serait en état de soutenir le lendemain la 2e armée avec toutes ses forces, au cas où elle réussirait, le 9, à battre son propre adversaire. On me répondit négativement, en raison de l'état de la 1re armée. Après une assez longue discussion, et comme aucune possibilité ne s'offrait de soutenir. immédiatement la 2e armée, j'ai alors donné à la 1re armée, en me basant sur mes pleins pouvoirs, l'ordre de battre en retraite, car ce n'était que de cette façon. que l'on pouvait l'amener à coopérer a nouveau avec la 2e armée.
" La direction ,Soissons - Fismes, envisagée initialement, ne put pas être prise, car l'aile gauche de l'armée aurait été refoulée vers le nord-ouest. On convint alors, d'un commun accord, que l'aile gauche se replierait sur Soissons.
" J'ai donc agi exactement d'après les directives que j'avais reçues et en me basant sur mes pleins pouvoirs. La situation était telle, à l'aile droite de l'armée allemande, que des mouvements de repli étaient déjà commencés lors de mon arrivée à Mareuil et que, d'après mes propres observations et impressions, il ne s'agissait plus que de coordonner les mouvements des deux armées en direction Fismes - Soissons.
" Cela n'a pas réussi. La 1re armée fut obligée de se replier dans une direction plus nord-ouest ; la brèche entre les 1re et 2e armées subsista.
" La percée des Anglais et des Français aurait encore réussi à Craonne le 13 septembre, si le VIIe corps et le XVe corps, jetés dans la bataille, bataillon par bataillon, n'avaient pas comblé cette brèche. Exécutée le 10 septembre, - donc trois jours plus tôt, - à 50 kilomètres plus au sud et sans que le VIIe corps et le XVe corps aient pu intervenir, cette percée aurait permis à l'ennemi de remporter un succès complet ; c'est là un fait que l'Histoire prouvera vraisemblablement un jour (C'est là un point que je conteste d'après l'opinion que les combattants du front, le général von Kraewel, etc. avaient de la situation. - B. C.).
" J'ai la ferme conviction que, le 10 septembre, au moment de mon retour au G. Q. G., le haut commandement a approuvé les ordres que j'avais donnés. Personne ne m'a adressé le moindre reproche ; on était, au contraire, satisfait de constater qu'il fût encore possible, tout au moins à mon avis, de maintenir l'aile gauche de l'armée dans sa position actuelle et d'avoir, après la prise des forts de la Meuse et l'investissement de Verdun, une nouvelle base favorable pour la continuation des opérations.
" J'ai l'impression que ce n'est que plus tard, quand on vit apparaître des nouvelles de source française sur la bataille de la Marne et surtout sur les combats de l'aile droite de la 1re armée, que mon rôle fut condamné:
" Je crois également que l'on m'a rendu responsable d'ordres et de communications donnés à l'intérieur des armées et d'armée à armée, alors qu'en réalité je n'ai pas eu le moindre rapport avec ces questions.
" Le rapport du général von der Marwitz sur ma présence auprès de lui en est une preuve. Je n'ai jamais vu, à ce moment-là, le général von der Marwitz et je n'ai jamais eu surtout l'honneur de le connaître.
" En dehors des états-majors des armées 1 à 5, je ne me suis rendu auprès d'aucun autre organe de commandement, et pour n'éveiller aucune inquiétude - je n'ai pas non plus parlé de ma mission aux 5e, 4e et 3e armées en me rendant auprès des 1re et 2e armées.
" Qu'à la suite des ordres donnés par moi aux 1re et 2e armées, certains radios émanant de ces armées et concernant la retraite aient pu être reçus par d'autres armées, c'est là une chose que je ne pouvais empêcher, car les ordres transmis m'étaient inconnus.
" Je suis bien loin de vouloir faire la moindre critique sur la conduite qu'ont eue, durant ces journées, des commandants d'armée et des chefs d'état-major hautement appréciés ; je regrette, au contraire, d'être obligé, pour me défendre, de faire un rapport aussi détaillé.
" Je demande seulement que l'on établisse clairement le rôle que j'ai joué les 8 et 9 septembre 1914, à savoir :
" 1° Que j'ai agi au nom et avec les pleins pouvoir du G. Q. G.; " 2° Que j'ai ordonné, en conséquence, comme j'en avais l'ordre, la retraite de l'aile droite de l'armée, parce que la 2e armée était obligée de se replier de son propre mouvement et que la 1re armée n'était pas capable d'assumer la couverture du flanc menacé de la 2e armée.
" Je demande que l'on veuille bien entendre, si cela est nécessaire, les officiers qui m'ont alors accompagné - à savoir le capitaine Köppen et le capitaine König - ainsi que le général von Bergmann.
" Comme conclusion de la Note 2179, j'ai l'honneur de demander très respectueusement que, l'enquête une fois terminée, son résultat soit communiqué en son temps à l'armée tout entière et avec toute la publicité possible.
Signé : HENTSCH Colonel et chef d'Etat-major de l'administration militaire en Roumanie. "
Tel est l'extrait que j'ai fait du Mémoire justificatif du colonel Hentsch. Je serai encore obligé de revenir plus tard sur les documents Hentsch, quand je discuterai l'opinion que le G. Q. G. avait de la situation. .
Le colonel Hentsch a demandé, en 1917, une enquête sur le rôle qu'il a joué les 8 et 9 septembre 1914, pour établir si le bruit qui courait dans les milieux les plus répandus de l'armée - bruit selon lequel il aurait, comme délégué du G. Q. G., provoqué la retraite de la Marne par une intervention injustifiée dans les décisions des commandants d'armée - reposait sur la vérité.
Le commandement suprême, Hindenburg-Ludendorff, a fait droit, en 1917, au désir du colonel Hentsch. Le résultat de l'enquête a été le suivant (Note du chef d'état-major général de l'armée de campagne, N° 2229, du 24 mai 1917) :
Le colonel Hentsch, alors lieutenant-colonel et chef de section a l'état-major du chef d'état-major général de l'armée de campagne, reçut, le 8 septembre 1914, au G. Q. G., du général chef d'état-major général de l'armée de campagne, la mission verbale de se rendre aux armées 5 à 1 et d'éclaircir la situation. Il reçut, pour le cas où des mouvements de repli seraient déjà amorcés à l'aile droite, l'indication de diriger ces mouvements de façon à combler la brèche existant entre les 1re et 2e armées, la 1re armée marchant si possible en direction de Soissons.
Le lieutenant-colonel Hentsch était donc en droit, sous réserve de la condition précédente, de donner des directives obligatoires au nom de la Direction suprême. Il se rendit, le 8 septembre, en automobile, aux Q. G. des 5e, 4e et 3e armées et passa la nuit du 8 au 9 septembre 1914 à l'état-major de la 2e armée. Le commande ment de cette armée prit, de sa propre initiative, le 9 septembre au matin, la décision de battre en retraite derrière la Marne. Le lieutenant-colonel se rallia à cette manière de voir et se rendit alors à la 1re armée. Là, après avoir discuté la situation aven le chef d'état-major, il donna l'ordre à la 1re armée, au nom du G. Q. G. et en invoquant les pleins pouvoirs qui lui avaient été donnés, de battre en retraite. Il en avait le droit; car le cas prévu dans la directive qu'il avait reçue - commencement de mouvements de repli - s'était réalisé.
La décision du commandement de la 2e armée et l'ordre de retraite du lieutenant-colonel Hentsch à la 1re armée étaient-ils réellement nécessaires d'après la situation ? C'est là une question qui devra être décidée par les recherches historiques des années à venir. On ne peut adresser au colonel Hentsch le reproche personnel d'avoir dépassé ses pouvoirs. Il a agi purement et simplement d'après la directive qui lui avait été donnée par le chef d'état-major général de l'armée de cette époque.
Prière de vouloir bien communiquer cette décision jusqu'aux états-majors de division.
Par ordre :
Signé : LUDENDORFF.
Cette décision a donc été communiquée à tous les officiers d'état-major. Le général-lieutenant Tappen cherche néanmoins aujourd'hui - en 1920 - à faire retomber la faute sur le colonel Hentsch qui est mort.
La question a continué à être, entre temps, éclaircie - et même, à mon avis, elle a été entièrement solutionnée - par la littérature traitant de la responsabilité de l'ordre de retraite littérature qui s'est accrue récemment d'une façon réjouissante.
Le livre si important du général de l'infanterie von Kuhl sur la campagne de la Marne a paru également entre temps. Le général von KUHL a écrit ce qui suit sur cette affaire (page 219 de son livre) : " L'entretien dura longtemps ; j'opposai la plus violente résistance à l'invitation de battre en retraite et je revins sans cesse sur la situation favorable de notre aile droite. On examina toutes les possibilités de continuer le combat jusqu'à la victoire définitive. Cependant, quand il eut été établi que la décision de battre en retraite avait été prise par la 2e armée dans la matinée et que, dans l'après-midi, ses troupes étaient déjà en pleine retraite, donc que cette décision ne pouvait plus être annulée, le commandement de la 1re armée dut se soumettre. Même une victoire sur Maunoury n'aurait pas pu, alors, nous empêcher d'être enveloppés à notre aile gauche par des forces supérieures et d'être coupés du gros de l'armée allemande. La 1 re armée était maintenant toute seule.
" Je me rendis auprès du commandant en chef pour lui faire mon compte rendu. Le cœur lourd, le colonel-général von Kluck dut se soumettre à l'ordre donné. A mon retour, le lieutenant-colonel Hentsch reçut communication de la décision prise et partit. "
Le général-lieutenant von Bergmann, à cette époque quartier-maître général de la 1re armée, se porte garant de l'authenticité des déclarations qui furent portées sur le journal de marche de l'armée, le lendemain matin 10 septembre seulement, il est vrai.
Le général de l'infanterie von Kuhl constate, lui aussi, que " le lieutenant-colonel Hentsch n'a pas dépassé sa mission. " Il dit ensuite : " Il (Hentsch) ne s'est rendu coupable d'aucune intervention injustifiée dans les décisions du commandement de la 1re armée et il n'est pas cause de la retraite de la Marne. Celui qui porte la responsabilité de ce qui est arrivé, c'est celui qui lui a donné sa mission, celui qui, à l'heure la plus grave de la campagne, lui a laissé le soin de prendre une décision. "
Le général von Kuhl constate ensuite qu'il y a " certainement erreur de la part du général-lieutenant Tappen. " Il se demande ensuite si " le lieutenant-colonel Hentsch devait approuver, du point de vue de la Direction suprême, la décision prise en toute indépendance par le colonel-général von Bülow, et s'il devait chercher à l'empêcher, conformément à la directive qu'il avait reçue. " Il émet, à ce sujet, l'avis suivant : " Quand il arriva à la 2e armée, il (Hentsch) ignorait la situation de la 1re armée. Il l'a vue telle qu'on la supposait à la 2e armée. Sa nature le portait déjà sans cela à voir les choses en noir. Il est regrettable qu'il n'ait pas commencé sa tournée par la 1re et la 2e armées qui étaient seules en jeu, au lieu de voyager pendant toute une journée en auto pour se rendre à toutes les armées de l'aile gauche à l'aile droite. Il est encore plus regrettable qu'il n'y ait pas eu, pendant ces journées, un organe supérieur pour concilier les divergences de vue des deux commandements d'armée 1 et 2. Un commandant de groupe d'armées aurait comme cela est, arrivé constamment plus tard dans des cas analogues éclairci, rapidement la situation des deux armées en causant personnellement avec leurs chefs. Le colonel-général von Bülow aurait eu alors une idée exacte de la situation tactique de la 1re armée. "
Me basant sur ma connaissance des événements, j'en viens à émettre le jugement suivant :
C'est le colonel-général von Bülow qui a donné l'ordre de retraite à la 2e armée et à la moitié droite de la 3e armée. La nécessité de cette retraite est contestée même par les chefs subordonnés de l'aile droite de la 2e armée. En ce qui concerne le groupement de droite de la 3e armée, l'ordre de retraite n'était nullement nécessité par la situation tactique. Cette intervention du colonel-général von Bülow dans le domaine de commandement du commandant de la 3e armée accable devant l'Histoire uniquement le général von Bülow.
A la 1re armée, la question est plus compliquée. En fait, le lieutenant-colonel Hentsch a ordonné à la 1re armée de battre en retraite en se basant sur des pleins pouvoirs, qui n'étaient même pas écrits et ne pouvaient, par suite, être examinés ni quant à leur étendue ni quant à leur texte exact. La retraite était-elle nécessaire ?
Personnellement, je me trouve devant une énigme psychologique. Le 5 septembre, Kluck et Kuhl, ces deux caractères de chefs éminents, avaient laissé inexécuté pendant tout un jour, sans en éprouver de scrupules, l'ordre clair du G. Q. G. leur prescrivant de faire face à Paris. La crainte des responsabilités ne les paralysait donc pas. Le général von Kuhl a-t-il succombé, pendant quelques instants, à la force de persuasion des déclarations de Hentsch ? C'est ce qui a dû arriver, me semble-t-il. Le colonel B. Schwertfeger, vieux camarade d'état-major et d'école de guerre de Hentsch, dit à ce sujet dans le n° 434 de la Deutsche Allgemeine Zeitung du 5 septembre 1920 : " On constatait toujours avec quelle clarté et quelle force de persuasion Hentsch savait développer ses façons de voir. Il exerçait ainsi une action suggestive certaine, non seulement sur ses camarades, mais aussi sur ses supérieurs. Moltke avait en lui une grande confiance." Aujourd'hui, il est établi que la situation tactique de la 1re armée; le 9 septembre à midi, ne rendait pas la retraite nécessaire. Cela résulte des livres de Kluck et de Kuhl. Les jugements des combattants du front confirment également ce fait. La division de gauche du groupement Linsingen (3e D. I.), qui était particulièrement menacée du fait qu'elle se trouvait dans l'angle situé à l'ouest de l'embouchure de l'Ourcq, s'est décrochée de l'ennemi à 2 heures de l'après-midi, en exécution du soi-disant ordre de retraite qu'elle avait reçu, sans éprouver la moindre difficulté, ainsi que me l'a dit son chef de cette époque, le général de l'infanterie von Trossel.
Le général de l'infanterie von Kräwel, qui commandait alors la brigade renforcée du IXe corps affectée au 2e corps de cavalerie von der Marwitz, a signalé, dés 1919, dans les numéros 73-74 du Militär Wochenblatt, que la situation à l'est de l'Ourcq, devant les Anglais, n'obligeait pas la 1re armée à battre en retraite. Il a écrit :
" La brigade avait complètement rempli sa mission : contenir les Anglais, et elle aurait encore pu, le 10 septembre, continuer à combattre et à contenir les Anglais de concert avec la 5e D. I. et la puissante cavalerie du 2e C. C. (2 divisions et 4 bataillons de chasseurs).
" Ce n'est pas là de la sagesse a posteriori ; cela résulte du bon état des troupes allemandes et de l'attitude tout entière des Anglais, qui, à cette époque-là, n'avaient encore aucun dressage tactique.
" La bataille de la 1re armée, dont l'issue favorable et peut-être décisive ne faisait aucun doute, pouvait être terminée pour le 10 septembre au soir ; or, en admettant même que, à ce moment, les troupes laissées en couverture sur la Marne (brigade Kräwel, 5e D. I. et corps de cavalerie) fussent réellement écrasées - ce qui n'était pas absolument obligatoire - cela n'aurait plus rien changé à la situation, car la décision aurait été déjà obtenue. "
Je me permets de citer encore un autre avis de combattant du front. Le docteur Zander, conseiller du gouvernement, qui était alors chef de section au 9e bataillon de chasseurs de la 9e D. C., a écrit dans le Militär Wochenblatt, n° 11 de 1920 :
" En tout cas, nous autres qui avons combattu sur le front pendant ces journées, nous ne comprendrons jamais pourquoi, en cet endroit critique (au corps Marwitz, en face des Anglais), et après nous avoir imposé pendant six semaines les exigences les plus grandes au point de vue marche et combat, on ne nous a pas demandé un suprême effort en ces heures décisives, avant de renoncer à tous nos efforts et nos succès passés. "
En ce qui concerne l'opinion que l'on avait de la situation à l'aile opposée, aile de choc commandée par von Quast, le général von François reproduit, dans son livre déjà plusieurs fois cité ;page 96), le rapport d'un commandant de batterie de la 6e D. I., aile intérieure du groupement de choc :
" Le 9 septembre, notre groupe était engagé à Pargny, au nord de Betz. Dans la soirée, je fis encore avec ma batterie, sur le plateau au sud de Crépy, où se trouvaient des éléments du IXe corps, un grand bond en avant pour changer de position, en traversant le village de Levignen fortement bombardé, et je tirai, avec un succès que je n'avais jamais encore obtenu jusqu'alors, sur de grosses masses françaises qui battaient en retraite. Elles furent dispersées en tous sens, beaucoup restèrent sur place. La masse reflua précipitamment sur Fresny-le-Luat. J'observais ce qui se passait du haut d'une grande meule de paille et j'étais pour ainsi dire grisé par le succès. C'est alors que j'entendis parler d'un ordre donné à l'infanterie, ordre disant que la poursuite ne devait pas être poussée plus loin. Cela me troubla fortement. A la tombée de la nuit, je me hâtai vers ma batterie, située non loin de la meule de paille, et je dis quelques mots à mes hommes sur la victoire qui avait été remportée dans la journée et qui était sans précédent dans l'histoire. Peu après, je reçus l'ordre de me replier dans la position que nous tenions à midi. Ce ne fut qu'à regret que nous nous décidâmes à exécuter cet ordre ; nous ne pouvions pas comprendre comment on pouvait laisser inutilisé un succès semblable à celui que nous avions remporté. "
- Le général de l'infanterie von Zwehl, qui commandait en 1914 le VIIe C. R., émet le jugement suivant dans le Militär Wochenblatt, n° 37, du 23 septembre 1919 : " C'eût été un refus d'obéissance si la 1re armée n'avait pas battu en retraite. Ceci mis à part, on pouvait se demander si l'offensive de l'Ourcq, qui était en train de se développer heureusement, aurait arrêté les mouvements de repli de la 2e armée et l'avance du maréchal French en direction de Fère-en-Tardenois, par Château-Thierry, dans la brèche existant entre les 1re et 2e armées.
Mais, d'après ce qu'il a constaté personnellement dans la bataille de l'Aisne commencée le 13 septembre, le général von Zwehl considère lui-même " comme tout à fait certain que les Anglais n'auraient pas fait un pas de plus en avant, si, à leur gauche, le général Maunoury avait subi une défaite... ". " La ligne de communication des Anglais était sur leur flanc gauche ; French indique à plusieurs reprises (dans son livre, 1914; combien il était inquiet sur le sort de l'armée Maunoury et préoccupé de son appui. Comme de juste, il ne pouvait pas savoir ce qui se passait derrière l'aile gauche de Maunouuy. La directive générale qu'il avait reçue lui prescrivait de ne risquer en aucun cas le corps expéditionnaire. "
A la fin de ses déclarations le général de l'infanterie von Zwehl émet l'avis suivant : " Les 1re et 2e armées étaient trop faibles en soi, après avoir envoyé deux corps d'armée sur le front oriental et avoir été obligées de détacher des forces contre Maubeuge et Anvers, pour remplir la mission qui leur avait été donnée ; cependant, avec un peu plus de chance, on aurait encore pu remporter ici un grand succès :
" Tu ne vis pas les lauriers Qui effleurèrent ton front ".
Le général von François émet le jugement suivant sur l'ordre de retraite de la 1re armée (page 109) : " On ne peut blâmer un soldat qui obéit, car l'obéissance est un produit sacré de l'éducation militaire. Mais nos règlements et notre éducation ont accordé aussi à tout chef un droit dont il a le devoir de se servir quand il s'agit d'écarter des dommages et des inconvénients : l'amour des responsabilités, c'est-à-dire non pas la prétention à en savoir plus que les autres, non pas l'attachement obstiné à une idée préconçue, mais la volonté de se libérer de toutes les décisions limitatives et paralysantes et d'imposer, sans crainte de commettre des erreurs, sa conviction quand elle est basée sur de meilleures connaissances.
" Les troupes de la 1re armée avaient jusqu'alors accompli des exploits remarquables au point de vue marches et combats et le général von Kluck pouvait songer avec un orgueil justifié à la façon exemplaire dont il avait dirigé la bataille de la Marne et qui demeurera, dans l'Histoire militaire, un modèle de transformation d'enveloppement que l'on est en train de subir en une attaque enveloppante que l'on fait subir. Il serait devenu le héros de la bataille de la Marne, s'il avait refusé d'exécuter l'ordre de retraite donné par le lieutenant-colonel Hentsch; et s'il avait, au contraire, amené cet officier à arrêter la retraite de la 2e armée jusqu'à ce que le chef suprême de l'armée allemande eût pris lui-même une décision. On aurait ainsi gagné le temps qui était nécessaire pour que les espoirs de victoire que l'on avait placés à juste titre, aux 1re, 3e 4e et 5e armées, dans les attaques déjà déclenchées ou en préparation, pussent se remplir. "
Le général de l'infanterie von Kuhl répond à cela (page 249) : " Le colonel-général von Kluck n'aurait pas eu peur d'agir contrairement à l'ordre reçu, si la moindre possibilité en avait été offerte. Mais la retraite de la 2e armée ne pouvant plus être arrêtée : c'est là un fait qui a été établi au cours de l'entretien avec Hentsch. Ainsi que cela a déjà été dit, celui-ci était parvenu à Mareuil avec un grand retard. Entre temps, l'après-midi était arrivé et la 2e armée s'était mise en retraite. Or, on n'était relié avec elle que par T. S. F., mode de liaison qui demandait des heures et qui ne permettait aucun échange de pensées. Nous savons, aujourd'hui, que le colonel-général von Bülow avait ordonné également et directement à l'aile droite de la 3e armée de battre en retraite, ce qui avait amené le colonel général baron von Hausen à se joindre au mouvement de repli avec le reste de son armée. Comment aurait-on contremandé tous ces mouvements, comment aurait-il fallu faire pour faire parvenir en temps voulu les ordres nécessaires aux troupes déjà en marche ? Il était impossible à la 1re armée de demeurer en place, si les 2e et 3e se repliaient. Faire appel à la décision du G. Q. G. était chose impossible en raison de l'insuffisance des liaisons.... La lutte engagée pour savoir qui, du commandement de la 1re armée ou du lieutenant-colonel Hentsch, est responsable de la retraite de la 1re armée est oiseuse. Il est certain que c'est au nom du G. Q. G. que le lieutenant-colonel Hentsch a donné l'ordre de battre en retraite. Le commandement, de la 1re armée a obéi à cet ordre, parce qu'il ne lui restait pas autre chose à faire. La décision est survenue non pas à Mareuil, mais à Montmort. "
A un autre endroit (page 222), le général von Kuhl a écrit : " A midi, la situation, à notre aile droite, était brillante". Son chef, le général de l'infanterie von Quast " souleva de violentes objections " contre l'idée de battre en retraite " - " Le général von Kluge, commandant de la 18e division victorieuse, refusa d'exécuter cet ordre complètement incompréhensible pour lui. " Ce ne fut qu'après un nouvel ordre et après avoir encore fait enlever - sans grandes pertes - Villers-Saint-Genest et deux villages voisins, dernier appui des Français qui pliaient, qu'il se soumit..
Que pouvait-il arriver si le commandement de la 1re armée avait laissé son aile de choc compléter sa victoire ? Tous les scrupules stratégiques, que le général von Kuhl a fait valoir plus haut seraient tombés. Il est certain qu'on ne pouvait plus arrêter la 2e armée. Mais qu'aurait-elle fait, si elle avait reçu, dans la soirée ou au cours de la nuit suivante, ce message .
Brillante victoire de la 1re armée, Maunoury complètement battu. Demain commencera règlement de comptes avec les Anglais ? " Peut-être Bülow et Lauenstein se seraient-ils encore décidés à donner satisfaction au vœu ardent de la valeureuse 2e armée et à ramasser après coup la palme de la victoire qu'elle avait négligé de cueillir au sud de la Marne. L'ennemi n'aurait certainement pas pu les en empêcher. C'est une chose établie aujourd'hui. Le général von Kuhl a signalé lui-même, dans son livre, la situation dangereuse de l'armée d'Esperey. Elle aurait été menacée d'une manœuvre de Cannes sur la Marne si les 1re et 3e armées avaient été victorieuses. " La 5e armée française aurait-elle été à la hauteur de cette situation ? On peut en douter fortement, maintenant que l'on connaît l'état ou elle se trouvait au début de l'offensive française.
" D'ailleurs, Franchet d'Esperey n'a atteint la Marne que dans le courant de la journée du 10 septembre, après le repli de la 2e armée. Il aurait fallu, toutefois, que la 1re armée eût encore la force de porter son aile gauche vers la Marne dans le flanc découvert de la 5e armée, pendant que l'aile gauche de la 2e et l'aile droite de la 3e auraient continué leur offensive victorieuse. Or, la 1re armée s'est mise en retraite dans la nuit du 9 au 10, au sortir immédiat d'une bataille de cinq jours, et elle a poursuivi son repli d'une seule traite jusque derrière l'Aisne où elle est arrivée le 12 septembre, certes fortement fatiguée, mais encore en état de combattre. Après une victoire, elle aurait encore certainement possédé l'allant nécessaire pour marcher jusqu'à Château-Thierry.....
" Le 9 septembre, une crise existait de part et d'autre. La situation était suspendue à un fil.. Pour solutionner la crise à son avantage, il fallait avoir les nerfs plus solides que son adversaire. Certes, c'était pour nous un acte audacieux que de poursuivre le combat jusqu'à la décision. Mais le résultat en valait la peine. Nous aurions dû oser le faire. La situation ne pouvait pas devenir plus mauvaise qu'elle ne l'est devenue après quatre lourdes années de guerre. " (Kuhl., page 244).
Le général anglais French, vicomte d'Ypres, a émis le jugement suivant :
" Si brillante qu'ait été la façon dont les armées alliées ont combattu dans la bataille de la Marne et si habile qu'ait été l'appui prêté par chacune d'elles à ses voisines, ce sont les Allemands, eux-mêmes, qui se sont repliés volontairement, malgré toutes les perspectives qu'ils pouvaient avoir de remporter une victoire décisive. " (Militär Wochenblatt 1er juillet 1918.)
Avec la modestie vraiment anglaise qui lui est propre, il n'oublie pas d'ajouter un peu plus loin :
" En ce qui concerne l'armée anglaise, je prétends qu'elle a rempli la mission qui lui a été confiée et que notre avance rapide au delà des différentes lignes d'eau rencontrées, malgré la grande résistance qui nous a été opposée, a été vraiment décisive pour le résultat de la bataille ainsi d'ailleurs que notre apparition,
sur les lignes de retraite des forces ennemies qui faisaient face aux 5e et 6e armées françaises. "
Le lecteur, se basant sur les faits que j'ai établis, sera sans doute d'un autre avis.
Il n'est que trop naturel que, dans une question qui captive à ce point les idées et les sentiments, les avis soient différents. Pour résumer encore une fois mon jugement personnel, je commencerai par avouer l'admiration sans limite que j'éprouve, en tant qu'homme et soldat, pour les exploits du colonel-général von Kluck et de son éminent chef d'état-major, le général von Kuhl. Cela ne m'empêche pas d'estimer que le commandement de la 1re armée est seul responsable de l'ordre de retraite. Je tiens pour une erreur la tentative qui a souvent été faite pour faire retomber la responsabilité de cette malheureuse décision sur le défunt colonel Hentsch. Aucune déclaration de cet officier ne pouvait délier les commandements des 1re et 2e armées du devoir d'examiner par eux-mêmes si les dires du lieutenant-colonel Hentsch cadraient encore avec la tournure prise entre temps par la situation et les changements survenus dans cette situation, puis d'agir sous leur propre responsabilité.
C'est là une opinion que je me permets d'opposer à la façon de voir exprimée par le général de l'infanterie von Zwehl dans le n° 37 du Militär Wochenblatt du 23 septembre 1919 : " C'eût été dit-il un refus d'obéissance, si la 1re armée n'avait pas battu en retraite. "
Je rapprocherai ce jugement, dont je sais apprécier complètement tout le poids, de la déclaration du général de l'infanterie von François, chef qui a bien mérité, lui aussi, de la patrie : " Il est facile d'exécuter un ordre en obéissant aveuglément ; mais il est difficile de prendre la décision de placer le devoir de responsabilité au-dessus du devoir d'obéissance. " (François, page 178. )
Quant au jugement sur la responsabilité de l'ordre de retraite donné aux autres armées, il devrait être unanime. C'est pourquoi je compte obtenir l'approbation générale en le résumant comme suit :
Si l'armée allemande tout entière a été entraînée dans la retraite des deux armées d'aile droite, c'est le G. Q. G. seul qui en est responsable. En aucun cas, le chef d'état-major général de l'armée de campagne n'aurait dû laisser à un de ses officiers d'état-major, fût-il même d'une valeur aussi éprouvée que le colonel Hentsch, le soin de décider de cette question qui fut fatale pour l'armée et pour le peuple allemands. Cette décision aurait dû être prise par le colonel-général de Moltke, non pas de loin, à Luxembourg, mais sur le front, dans la zone d'action de son armée de l'Ouest, engagée dans une lutte difficile.