LE POINT DE VUE DU GENERAL BAUMGARTEN-CRUSIUS

I - JUSQU'A PARIS ET JUSQU'AU DELA DE LA MARNE

Marche en avant des 1re, 2e et 3e armées, 3ème Partie.

La marche en avant de l'aile ouest allemande au delà de la Marne.

 

LA 1re ARMÉE.

 

De l'avis du colonel-général von Kluck, " il aurait été indiqué, dans l'intérêt d'une stratégie en soi plus solide, que le G. Q. G. intervint, à la fin d'août, pour retenir les armées ; il aurait fallu souffler, attendre l'arrivée de plusieurs divisions de Lorraine, occuper la coupure de la Marne, investir Paris sur la rive droite de la Seine et de la Marne - ce qui était possible - attaquer le front nord-est de Paris avec toutes les pièces lourdes de la 1re armée et toutes celles qu'on aurait pu obtenir de la 2e " (Kluck, page 100). " Ensuite, la guerre de mouvement aurait repris tous ses droits ". Le commandement de la 1re armée ignorait totalement le fait très grave que les 6e et 7e armées étaient accrochées à l'est de la Moselle et laissaient toute liberté d'action à l'ennemi. S'il avait connu en temps utile cette situation, il n'aurait pas été question de faire passer la Marne à la masse de la 1re armée " (Kluck, page 101). Le général von François signale, lui aussi, qu'on aurait dû marquer un temps d'arrêt dans le mouvement en avant, après avoir atteint la ligne de la Somme, cette coupure défensive si favorable jusqu'à la mer. Le colonel-général von Moltke a reconnu aussi, après coup, qu'un tel temps d'arrêt aurait été justifié. Mais, entre temps les événements avaient continué à se dérouler à la même allure qu' auparavant.

La 1re armée voulut se porter, le 31 août, au delà de Compiègne - Noyon pour exploiter le succès de la bataille de Saint-Quentin qui lui avait été annoncé par la 2e armée. Le G. Q. G. avait approuvé formellement cette décision.

Au cours de la journée du 31 août, on constata que l'aile gauche française se repliait par Soissons. Les Anglais étaient en retraite au delà de la ligne Senlis - Crépy - Villers-Cotterêts.

Après une étape énorme, la 1re armée se trouva répartie, le 31 au soir, en deux échelons : celui de gauche, le plus avancé (2e C. C., IIIe et IXe C.) était sur l'Aisne inférieure ; celui de droite, plus en arrière, formait un arc de cercle qui s'étendait depuis l'ouest de Noyon (IVe C.), passait par le IIe C. A. et aboutissait au IVe C. R., chargé de couvrir le flanc droit au sud d'Amiens. Les renseignements manquaient sur l'armée occidentale ennemie qui avait disparu. A Noyon et Amiens, on s'était emparé d'approvisionnements militaires considérables.

Le 1er septembre, la 1re armée devait attaquer à nouveau les Anglais. Elle fut poussée, dans ce but, vers le sud. Il en résulta des combats violents sur l'Oise pour les passages de Verberie et de la région au nord, dans la zone d'action du IIe C. et du 2e C.C. Le 2e C.G., après avoir surpris des bivouacs ennemis à Méry (2 kilomètres au sud-est de Verberie), subit de lourdes pertes.

Une lettre capturée apprit alors que les Anglais étaient au repos, depuis le 1er septembre midi, au sud de la ligne Verberie - Crépy - La Ferté-Milon. Aussi parut-il possible de les accrocher encore le 2 septembre.

Les Anglais se dérobèrent cependant, le 2 septembre, au double enveloppement qui les menaçait, en se repliant en temps opportun au delà de la Marne, sur la ligne Meaux - La Ferté-sous-Jouarre et ultérieurement jusqu'à Coulommiers. Seul, le IIe C. A. se heurta, à l'est de Senlis, à de la cavalerie anglaise et de l'infanterie française. Mais on ne reconnut pas tout d'abord que cette dernière appartenait à la même armée qui, le 30 août, avait disparu derrière l'Avre.

D'après Kluck, " on ne pouvait plus espérer désormais porter un coup décisif aux Anglais ". Les deux corps d'aile gauche, IIIe et IXe, furent en conséquence dirigés sur Château-Thierry, contre le flanc ouest des forces françaises qui se repliaient devant la 2e armée. On comptait que l'on pourrait encore porter dans cette région un grand coup à l'ennemi, de concert avec la 2e armée qui était en train de franchir ce jour-là, 2 septembre, l'Aisne à Soissons avec son aile droite ; dans cette opération, l'attaque de flanc et la couverture des derrières face à Paris devaient incomber à la 1re armée. Son profond échelonnement en profondeur lui permettait de remplir ces deux missions.

La 1re armée parvint encore, le 2 septembre au soir, par une action rapide et après un violent combat, à s'emparer des passages de la Marne à Chézy et Château-Thierry et à traverser la rivière avec ses avant-gardes.

Le 3 septembre, les IIIe et IXe C. A. devaient attaquer les Français pendant leur passage de la Marne, le IXe C. A. par Château-Thierry, le IIIe C. A. au sud du précédent ; les IV e C. A., IIe C. A. et IVe C. R. devaient, de concert avec le 2e C. C., assurer la couverture de cette opération face au sud (IVe C.) et face au front nord-est de Paris (IIe C.A., IVe C. R. et 4e D.C.).

Dans la nuit du 2 au 3 septembre, la 1re armée reçut l'ordre radiotélégraphique du G. Q. G. disant : " L'intention de la direction suprême est de refouler les Français dans la direction du sud-est en les écartant de Paris. La 1re armée suivra la 2e en échelon et continuera à assurer la couverture du flanc droit des armées ". Le colonel-général von Kluck a écrit à ce sujet (page 86):

" Le commandant en chef de la 1re armée estima que c'était une entreprise difficile et hasardée que de refouler les Français en direction du sud-est en les écartant de Paris, et de passer la Marne et la Seine. Il est probable qu'au début, on aurait obtenu quelques succès mais on n'aurait guère pu, à ce moment-là, continuer l'offensive jusqu'à ce qu'on eût infligé à l'ennemi un dommage décisif ou qu'on l'eût anéanti partiellement. Il manquait aux armées d'aile droite allemande un échelon arrière de quatre à cinq divisions, pour couvrir efficacement le flanc droit face à Paris et garder les communications considérables des 1re et 2e armées, pendant que l'on aurait continué à marcher vers le cœur de la France ".

La condition essentielle, pour que la manœuvre du G. Q. G. pût réussir, était que l'ennemi n'eût à Paris aucune armée disponible capable d'agir à l'extérieur de la ligne des forts de la place. Le colonel-général von Kluck supposait que le G. Q. G. en était sûr. Quant à éclaircir immédiatement les contradictions de l'ordre du G. Q. G. " refouler l'ennemi vers le sud-est " et " suivre en échelon " - c'était une chose impossible, en raison de l'insuffisance des communications radiotélégraphiques et de la non-existence de l'échelon groupe d'armées. Lorsqu'elle reçut l'ordre du G. Q. G la 1re armée avait son échelon d'aile gauche (IIIe et IXe C.) à une journée de marche complète en avant de l'aile droite de la 2e, et cette dernière était elle-même, semble-t-il, en échelon en avant par rapport à la 3e armée.

La 1re armée était seule à talonner l'ennemi et pouvait seule faire pression sur sa direction de retraite. Si elle s'arrêtait pendant deux jours, pour s'échelonner derrière la 2e armée, l'ennemi recouvrait toute la liberté d'action qui lui avait été enlevée jusqu'alors. Le succès espéré par le G. Q. G. ne pouvait plus être obtenu, si la 1re armée s'arrêtait. La couverture face à Paris semblait pour le moment suffisamment assurée par le IVe C. R. à l'est de Senlis ainsi que par le IIe C. A. et le 2e C. C., à Nanteuil. C'est alors que, le 3 septembre, le IIe C. A. (3e D.) rendit compte que des forces ennemies importantes se trouvaient dans la région de Dammartin et qu'il avait déjà été en contact avec elles le 2. Aussi " ne fut-il plus douteux, pour le commandement de la 1re armée, qu'il ne pourrait pas continuer pendant longtemps à attaquer en direction de l'est, comme cela lui était imposé par la force des circonstances, ni à couvrir le flanc de l'armée face au sud et à l'ouest, si un nouvel échelon de deux corps d'armée environ ne venait pas renforcer l'aile droite des armées allemandes ".

Ces réflexions amenèrent le commandant de la 1re armée à adresser, le 4 septembre, le radio suivant au G. Q. G. :

" A la suite de marches et de combats pénibles et incessants la 1re armée est arrivée à la limite de ses forces, c'est à ce prix seulement qu'elle est parvenue à ouvrir les passages de la Marne aux autres armées et à obliger l'ennemi à continuer sa retraite. En cette occasion, le IXe C. a mérité les plus grands éloges pour la hardiesse de ses opérations. Maintenant, on peut espérer exploiter le succès obtenu.

" Dans cette situation, il n'était pas possible de se conformer à la directive du G. Q. G. qui prescrivait a la 1re armée de suivre la 2e en échelon. L'ennemi ne pourra être refoulé de Paris vers le sud-est, comme cela a été projeté, que si la 1re armée se porte en avant. La nécessité de couvrir le flanc des armées diminue la force offensive. De prompts renforts sont instamment désirés. Etant donnés les changements incessants de situation, la 1re armée ne pourra prendre de nouvelles et graves décisions que si elle est renseignée d'une façon permanente sur la situation des autres armées, qui semblent être plus en arrière : (Kluck, page 90).

Entre temps le colonel-général von Kluck avait laissé son aile gauche continuer son offensive au sud de la Marne, même pendant la journée du 3 septembre ; le IXe C. A. mit, à cette occasion, en grand désordre les forces françaises qui se repliaient sur Montmirail.

A sa gauche, la 2e armée atteignit, ce jour-là, la Marne avec son aile droite immédiatement à l'est de Château-Thierry. Celle-ci devait continuer le lendemain sur Montmirail. La 2e armée fit savoir que, " devant elle, l'ennemi se repliait en complet désordre, même au sud de la Marne. "

Le 4 septembre, la 1re armée agissant dans l'esprit du 1er paragraphe de l'ordre du G. Q. G. " refouler les Français en direction du sud-est en les écartant de Paris ", effectua encore avec ses cinq corps d'armée une grande étape en direction du sud-est.

Les IVe, IIIe et IXe C. A. atteignirent - les IIIe et IXe en combattant avec des arrière-gardes - la ligne Rebais - Montmirail, à mi-chemin entre les deux Morin ; le 2e C. C. (moins la 4e D. C.) la Ferté-sous-Jouarre.

Le IIe C. A. était à l'est de Meaux en corps d'aile et de couverture du flanc ; au nord de ce corps et en liaison avec lui, le IVe C. R. assurait, de concert avec la 4e D. C. la couverture face à Paris, en avant de l'Ourcq inférieur.

Le 4 septembre, on ne constata aucun mouvement de troupes venant de Paris, mais un rassemblement de forces importantes autour de Dammartin et au sud. Par contre, de puissantes colonnes françaises se replièrent encore, le 4 septembre au soir, de Montmirail sur Esternay et au delà. La 2e armée fit savoir qu'elle avait l'intention de continuer son mouvement en avant le 5 septembre, son aile droite passant par Montmirail. Reims était tombé.

La 1re armée décida, dans ces conditions, de continuer à marcher encore, le 5 septembre, vers la Seine, en se couvrant face à Paris. Ordre était d'attaquer à nouveau les Anglais, si l'on pouvait les atteindre. Ces mouvements s'effectuèrent sans difficulté. Le 2e C. C. se porta en direction de Provins. Il devait surprendre l'ennemi au passage de la Seine. Le IXe C. A. s'avança jusque dans la région d'Esternay, le IIIe C. A. jusqu'à Sancy, le IVe C. A. jusqu'à la région de Choisy, le IIe C. A. jusqu'au Grand-Morin, en aval de Coulommiers, avec couverture face au front est de Paris. Le IVe C. R. se rapprocha du front nord-est de Paris jusqu'à la ligne Nanteuil - Meaux.

Ces mouvements étaient commencés quand arriva, à 7 h. 15 du matin, un radio du G. Q. G. (du 4 septembre, 7 heures soir) disant :

" Les 1re et 2e armées demeureront devant le front est de Paris ; la 1re armée entre Oise et Marne, tenant les passages de la Marne à l'ouest de Château-Thierry ; la 2e armée entre Marne et Seine, tenant les passages de la Seine entre Nogent et Méry inclus. La 3e armée marchera sur Troyes et à l'Est (Remarque : Ce radio fut envoyé quand le radio de la 1re armée disant " qu'elle était à bout de forces et demandait des renforts " arriva à Luxembourg.) ".

Cet ordre impliquait pour la 1re armée l'obligation de se décrocher de l'ennemi et d'exécuter un mouvement de repli de deux à trois étapes. Le commandement de la 1re armée se dit alors : " Si on lâche l'ennemi, qui est actuellement fortement éprouvé, il se refera, reprendra sa liberté de mouvement et retrouvera son esprit offensif. Il est encore possible, semble-t-il, de le rejeter au delà de la Seine et de ne faire converser qu'ensuite les 1re et 2e armées face à Paris " (Kluck, page 96).

Il laissa, en conséquence, se dérouler complètement les mouvements en direction du sud-est qui étaient déjà en cours d'exécution, et se contenta d'arrêter le 2e C. C. sur la ligne Rozoy - Bazoches. Le IIe C. A., qui défilait au contact immédiat du front est de Paris et qui comptait sur une attaque de flanc débouchant de cette place, exécuta son étape sans avoir aucun contact avec l'ennemi.

Le 5 septembre au soir, le lieutenant-colonel Hentsch, du G. Q. G., arriva à la 1re armée avec la directive détaillée du 4 septembre. D'après cette directive, le G. Q. G. estimait que l'ennemi pouvait rameuter des forces importantes autour de Paris, pour menacer le flanc droit des armées allemandes. Le commandant de la 1re armée apprit, par le colonel Hentsch, que l'aile gauche allemande - 5e, 6e et 7e armées - était arrêtée devant les places françaises de l'Est, sans pouvoir accrocher l'ennemi. Il fallait donc compter désormais que l'ennemi pourrait rameuter en direction de Paris, par voie ferrée, des masses de troupes importantes prélevées sur son aile droite. Cette possibilité changea sérieusement l'idée que le commandement de la 1re armée se faisait de la situation. Sa nouvelle façon de voir fut renforcée par les comptes rendus du IVe C. R., qui lui annoncèrent, à une heure avancée de la soirée, la présence de forces ennemies considérables sur le front nord-est de Paris.

 

LA 2e ARMÉE.

 

La 2e armée atteignit, le 2 septembre, très tard dans la soirée et, après avoir livré des combats de poursuite continus, les objectifs de marche très éloignés qui lui avaient été fixés entre Vesle et Marne - Q. G. de l'armée à Fismes. Le Xe C. R et 1er C. C. dispersèrent une brigade française. L'idée que l'ennemi était sur le point d'être désorganisé se trouva ainsi renforcée.

Le 3 septembre, la poursuite fut continuée avec la plus grande vigueur. Il s'agissait; pour la 2e armée, d'accroître la désorganisation de l'ennemi qui semblait déjà fortement ébranlé et, pour cela, de le talonner sans répit. Les grandes masses d'équipement et de munitions abandonnées le long des routes de retraite et dans les positions de batterie évacuées étaient considérées à juste titre comme des indices de cette désorganisation. Le 1er C. C. rendit compte qu' " un bataillon de zouaves s'était dispersé au premier coup de canon en jetant ses armes et ses sacs " .(Bülow, Page 49).

La poursuite fut encore poussée, le 3 septembre, jusqu'à la Marne. Le G. Q. G. ordonna alors à la 2e armée par T. S. F. : " Mesures prises approuvées. Gagner la rive sud de la Marne , et lui envoya, un peu plus tard, le message téléphoné suivant : " L'intention du G. Q. G. est de refouler les Français dans la direction du sud-est en les écartant de Paris. La 1re armée suivra la 2e en échelon et continuera à assurer la couverture du flanc droit des armées ".

Bien que la 2e armée eût continué, le 3 septembre, à poursuivre l'ennemi jusqu'à la Marne et qu'elle eût été obligée, à cette occasion, d'imposer encore à ses troupes des efforts de marche considérables, elle ne parvint pas à accrocher encore une fois l'ennemi au nord de la Marne. Celui-ci abandonna même sans combat cette coupure extrêmement forte, si bien que l'impression que la retraite ennemie avait pris peu à peu le caractère d'une fuite se renforça de plus en plus ". (Bülow, page 50).

A la 1re armée, le IXe C. A. avait déjà atteint la rive gauche de la Marne à Château-Thierry et était déjà en train d'attaquer des forces ennemies près de Condé-en-Brie.

" L'échelonnement en arrière, que le G. Q. G. avait prescrit à la 1re armée pour couvrir le flanc droit, était devenu ainsi - de l'avis du commandement de la 2e armée - un échelonnement en avant.

Il faut ajouter à cela que le corps d'aile gauche de la 1re armée avait reçu une direction de marche non pas sud, mais fortement sud-est, si bien que ce corps (IXe) était venu se placer complètement devant le front du corps de droite (VIIe) de la 2e armée.

" Ce mouvement gêna sérieusement la 2e armée, car il l'obligea à obliquer, elle aussi, dans une autre direction qu'elle ne tenait pas pour bonne. Ce fait a contribué à augmenter l'étendue de la brèche qui s'ouvrit ultérieurement entre les deux armées, par la faute de la 1re armée ".

Tels sont les termes employés par le colonel-général von Bülow, dans son rapport. Il oublie de dire, à cette occasion, que le G. Q. G. avait donné comme direction de marche ultérieure non pas la direction du sud, mais la direction du sud-est. On constate avec étonnement, en lisant ce rapport, que des frictions qui auraient pu être aplanies en quelques minutes, au téléphone, par une conversation personnelle des commandants d'armée ou de leurs chefs d'état-major, pesèrent sans cesse sur les mouvements de ces deux armées tout entières. Mais, malheureusement, le téléphone ne fonctionnait même pas entre les 1re et 2e armées.

Le 4 septembre, la 2 armée continua à poursuivre l'ennemi vers le sud, franchit la Marne avec le gros de tous ses corps et atteignit ses objectifs de marche, situés à mi-chemin entre la Marne et le Petit-Morin, sans livrer de combats sérieux. Reims avait été occupé sans combat par la 3e armée. Celle-ci avait l'intention de prendre un jour de repos, le 5 septembre, au nord de Châlons et à l'est de Reims.

Tenant compte du fait que la 3e armée était encore considérablement en arrière et de l'imprécision de la situation, la 2e armée ne prescrivit à ses corps, pour le 5 septembre, qu'une courte étape, à savoir jusqu'à la ligne Montmirail - Vertus.

Lorsqu'à 8 h. 30 du matin, la directive du G. Q. G. disant : " La 2e armée restera entre Marne et Seine " arriva, le mouvement en avant fut arrêté ; seule, l'aile gauche fut portée jusqu'à Morains-le-Petit.

La conversion à droite ainsi amorcée devait être continuée, le 6 septembre, jusqu'à la ligne Montmirail - Marigny-le-Grand, afin d'arriver peu à peu à faire face à Paris.

Le commandement de la 2e armée admettait, en agissant ainsi que la 1re armée procéderait de la même façon sur la rive nord de la Marne et qu'elle ferait, elle aussi, face à Paris dès le 5 septembre.

Mais la 1re armée continua à marcher en direction du sud-est. Son IXe C. A. vint, en cette occurrence, se glisser complètement devant le corps de droite (VIIe) de la 2e armée, si bien que celui-ci se trouva, le 6 septembre, " totalement incapable de faire mouvement ". " La situation stratégique de l'aile droite allemande devint ainsi beaucoup plus défavorable, sans que le G. Q. G. fût intervenu " (Bülow, page 53).

On ne peut s'empêcher d'adresser aux deux commandements d'armée le lourd reproche de ne pas avoir remédié par eux-mêmes à cette situation intenable. Ils le devaient à l'armée, et à leur patrie. Avec de la bonne volonté et avec la prévoyance nécessaire, on n'aurait pas eu besoin, pour cela, de l'intervention du G. Q. G., qui avait à faire des choses plus importantes.

Avant le déclenchement de la bataille, la 2e armée était en contact, devant son front, avec les éléments avancés de la 5e armée française. Ni elle, ni le G. Q. G. n'avaient eu jusqu'alors connaissance de l'existence de la 9e armée, nouvellement formée sous les ordres de Foch.

LES 3e, 4e ET 5e ARMÉES

 

Après deux journées de durs combats, qui la mirent en possession du front de l'Aisne de part et d'autre de Rethel, la 3e armée reçut, le 31 août; à 9 h. 15 du soir, l'ordre radiotélégraphique suivant du G. Q. G. : " Il est instamment indiqué que les 3e et 4e armées continuent à pousser de l'avant sans arrêt, car la 5e armée combat péniblement pour les passages de la Meuse. "

Le commandant de la 3e armée envoya alors, dès la nuit même, un de ses officiers à l'état-major de la 4e armée pour réaliser l'unité d'action des deux armées, mais cet officier essuya un refus. La 4e armée voulait d'abord attendre l'arrivée de son artillerie lourde, qui avait réduit au silence le fort d'arrêt des Ayvelles et ne se porter en avant avec son infanterie qu'après l'intervention de cette artillerie. Le commandant de la 4e armée, refusa carrément de soutenir le XIXe C. A. avec son VIIIe C. A qui était en liaison avec lui à l'est. C'est pourquoi, le 1er septembre au matin, la 3e armée remit tout d'abord à plus tard l'attaque qu'elle devait déclencher contre les fortes positions françaises situées au sud de Rethel.

Mais, dès 8 h. 12 du matin, elle reçut le nouvel ordre télégraphique suivant du G. Q. G. . " Il est absolument indiqué que la 3e armée continue à attaquer en direction du Sud-Est sans arrêt et sans tenir compte d'aucune considération. Le succès de la journée en dépend. "

Les trois corps de la 3e armée, débouchant de leurs positions d'attente, se portèrent alors immédiatement à l'attaque des puissantes positions ennemies, établies sur les hauteurs sud de l'Aisne de part et d'autre de Rethel. La lutte fut très dure a l'aile droite (XIIe C. R.). Elle y dura jusqu'au soir. La résistance fut également énergique devant le centre (XIIe C. A.). Le butin - prisonniers et canons - fut particulièrement important à l'aile gauche (XIXe C. A.). On identifia des éléments du 9e C. A. français, de la division marocaine, la 60e D. R., des zouaves, de l'infanterie de marine, les 4e et 9e D. C., mais on ne sut pas reconnaître que ces forces appartenaient au détachement d'armée Foch formé le 29 août.

Le 2 septembre, la poursuite fut entamée dès le lever du jour et elle était en cours quand arriva du G. Q. G., à 4 h. 40 du matin, le radio suivant : " Tentatives de retraite de l'ennemi en direction du sud-ouest vraisemblables. En se portant en avant de bonne heure et énergiquement, dans la direction générale du sud, la 4e et surtout la 3e armée peuvent remporter un grand succès. A l'ouest et à l'est de la forêt d'Argonne, bivouacs français sur une très grande étendue. Colonnes de voitures se replient vers le Sud-Ouest. " L'ordre de pousser énergiquement de l'avant en direction du Sud fut renouvelé à midi par le G. Q. G. Entre temps, la 3e armée avait déjà agi pendant la matinée dans le sens indiqué par cet ordre. L'aviation avait établi que l'ennemi enlevait des fractions entières d'armée par voies ferrées, en direction du sud et du sud-ouest, sous la protection de fortes arrière-gardes.

Un détachement de cavalerie (4 escadrons) - la 3e armée n'avait pas de grande unité de cavalerie - fut alors poussé en avant avec une compagnie cycliste et une batterie, pour couper les voies ferrées et s'avança jusqu'au ruisseau de Suippes. Les corps d'armée se portèrent en avant, eux aussi, le 3 septembre et poussèrent en combattant dans la région est de Reims, jusqu'à hauteur de cette place.

La nuit suivante, le XIIe C. R. s'empara, par un coup de main, des forts est de Reims ainsi que de la ville elle-même ; celle-ci fut bombardée plus tard par erreur, et pendant peu de temps, par le Corps de la Garde.

Au cours de la matinée du 4 septembre, les avant-gardes de la 3e armée atteignirent sans combat les passages de la Marne, à Châlons et à l'ouest. L'impression se renforça que la retraite de l'ennemi avait dû être tout à fait ordonnée. Des trains de troupe avaient encore quitté Châlons dans les dernières heures en direction du sud-ouest.

Le commandant, de la 3e armée se décida alors à accorder, le 5 septembre, un jour de repos à ses troupes, repos qui devait être employé avant tout à assurer le ravitaillement en munitions. Pendant les vingt derniers jours, la 3e armée avait parcouru plus de 364 kilomètres à travers les Ardennes boisées et la Champagne désertique, la plupart du temps par une chaleur torride et sans avoir de long repos de nuit. Les troupes étaient à bout de forces, les chevaux donnaient des signes inquiétants d'épuisement. Mais l'énergie des chefs et l'allant des troupes continuèrent encore à surmonter toutes les difficultés.

Le 4 septembre au soir, la 3e armée reçut le radio du G. Q. G. ordonnant aux 1re et 2e armées de converser face à Paris et à la 3e armée, de continuer à marcher sur Troyes et à l'est. Quant à l'ordre du G. Q. G. du 3 septembre, ordonnant aux 1re et 2e armées de converser face au sud-est, il n'est jamais parvenu à la 3e armée.

Le commandement de la 3e armée se transporta, le 5 septembre, à Châlons. Il déduisit des documents trouvés en gare de cette ville, que le gros des forces ennemies avait été transporté sur Paris en temps voulu par voie ferrée, et il admit, en conséquence, que la zone de marche de la 3e armée en direction de Troyes était en gros libre d'ennemis. Les détachements ennemis de toutes armes, identifiés en fin de soirée par l'aviation, aux abords et au sud de la route Fère-champenoise - Vitry-le-François, furent tenus pour des arrière-gardes. Le 5 septembre, la 3e armée n'était plus en contact de combat avec l'ennemi, mais uniquement au contact de faibles éléments de cavalerie française.

Quant à la 4e armée, elle avait atteint, le 5 septembre, la ligne Vitry-le-François - Saint-Mard en livrant des combats d'avant-garde à des troupes coloniales avec son VIIIe C. et son VIIIe C. R. ; elle se trouvait donc à une étape environ en avant de la 3e armée, qui était demeurée au repos ce jour-là.

Plus à gauche encore, la 5e armée, après avoir enlevé les hauteurs de la Meuse (31 août), s'était heurtée, le 2 septembre, dès l'entrée nord de la forêt d'Argonne, à une nouvelle et énergique résistance. L'ennemi se replia ensuite lentement vers le sud, à travers le massif. boisé et de part et d'autre de ce massif, impraticable en dehors des chemins. Après avoir conversé face au sud, en combattant, dans l'étroit espace compris entre la Meuse, l'Aire et la lisière nord de l'Argonne, les corps de la 5e armée s'avancèrent, par les rares chemins nord-sud de la forêt, en livrant des combats journaliers, menacés sans cesse d'être attaqués dans leur flanc gauche par les masses puissantes de la place de Verdun. La 5e armée atteignit ainsi, le 4 septembre, la région de Triaucourt. Là, elle se heurta à deux corps d'armée ennemis et demanda à la 4e armée de l'appuyer par Givry.

Dans la nuit du 4 au 5 septembre, le G. Q. G. demanda par radio aux 4e et 5e armées " d'ouvrir le passage de la Moselle supérieure aux 6e et 7e armées, en se portant rapidement en direction du sud-est. "

La directive générale du G. Q. G. du 5 septembre fut remise, par écrit, aux 3e, 4e et 5e armées dans la journée du 5 septembre. Conformément à l'ordre radiotélégraphique préparatoire du G. Q. G., la 3e armée ordonna à ses corps, pour le 6 septembre, de continuer à marcher en direction du sud (Troyes) ; la 4e armée, d'attaquer la 4e armée française au delà de l'Ornain et la 5e armée, de converser face au sud-est pour attaquer la 3e armée française.

 

L'ennemi, depuis les premières batailles jusqu'à la bataille de la Marne.

 

Le jugement que le lecteur portera sur les possibilités réelles qui se sont offertes au commandement allemand, aussi bien au G. Q. G. qu'aux différentes armées, sera certainement moins dur et plus juste, si, pour contrôler sa propre opinion, il tient compte des événements qui se sont passés chez l'ennemi. Le général de l'infanterie von Kuhl nous a mis en état de le faire avec son exposé exemplaire de la campagne de la Marne, dont je recommande de tout cœur l'étude au lecteur. Sa connaissance approfondie des sources historiques françaises et anglaises lui a permis de nous présenter un tableau sans lacune des événements qui se sont passés chez nos adversaires.

D'après ces sources, l'effet des premières batailles fut considérable chez nos ennemis. Les troupes françaises, comme d'ailleurs les troupes anglaises, étaient découragées ; la zone industrielle la plus importante de la France était aux mains de l'ennemi, le gouvernement français s'était enfui à Bordeaux . " Encore une grande défaite et la France était perdue ", écrit le général Legros dans sa Genèse de la bataille de la Marne. " Toutes nos armées étaient fortement diminuées, seule une retraite rapide pouvait nous préserver d'un anéantissement complet ", écrit le général Lanrezac dans son ouvrage Le Plan de campagne français et le premier mois de la guerre.

Mais l'infatigable Joffre ne perdit pas la tête ; il releva peu à peu la confiance de l'armée et coordonna la retraite devenue inévitable. Son ordre fondamental du 25 août, envoyé de Vitry-le-François, ramenait le gros des forces françaises sur la ligne générale Verdun - Rethel (ou Reims) - Saint-Quentin - Péronne, et envisageait une nouvelle offensive contre l'aile droite allemande. Une masse de choc devait être formée dans ce but, à Amiens, à l'aide de renforts prélevés sur le front est. Mais l'avance rapide de la 1re armée allemande détruisit son plan. La nouvelle 6e armée française devait être formée, du 27 août au 2 septembre, à Amiens, sous les ordres de Maunoury. Son noyau fut constitué par le 7e C. A., qui débarqua à partir du 28 août à Amiens. L'armée d'Alsace fut dissoute : ce que Schlieffen avait prévu se réalisait. La pression exercée à l'aile droite avait dégagé automatiquement le flanc sud-est allemand.

L'armée française de Lorraine, qui faisait face à Metz, disparut, elle aussi, à cette occasion. Le groupe Lamaze (55e et 56e D. R.) quitta cette région et fut débarqué, les 29 et 30 août, au nord de Montdidier. La nouvelle 6e armée comprenait, en outre, le groupe Ebener (61e et 62e D. R.) ; mais celui-ci fut aussitôt disloqué complètement par la 1re armée allemande et ne fut de nouveau en état d'être employé que le 7 septembre, à Paris. Le brave 7e C. A., qui était cependant une troupe frontière éprouvée, succomba lui-même, le 29 août, à Proyart, aux coups des Poméraniens. L'offensive projetée de l'armée Maunoury se trouva ainsi réglée avant d'avoir été commencée. Maunoury se mit alors en retraite, les 30-31 août, sur Paris par Clermont.

Joffre avait pris entre temps, le 27 août, la décision de passer à la contre-offensive avec la 5e armée, pour dégager les Anglais de la pression qui pesait sur eux. Le choc principal devait être dirigé sur Saint-Quentin et être couvert sur son flanc, au sud de Guise, par l'aile droite de Lanrezac. Mais French ne participa pas à cette opération, ses troupes épuisées n'en étant pas capables. C'est en vain que Joffre intervint personnellement auprès de lui. Finalement, la 5e armée française prit toute seule l'offensive, le 29 août. Ses 10e et 1er C. A. combattirent au nord, face à Guise, pendant que ses 3e et 18e C. A., qui étaient en liaison avec eux à gauche, attaquaient sur Saint-Quentin. A l'extrême gauche, il fallut engager les trois divisions de réserve, déjà très ébranlées, pour remplacer les Anglais défaillants. Lanrezac tomba dans une situation difficile, parce que menacé sur ses deux flancs. Aussi Joffre lui ordonna-t-il, dès le 29 août, à 10 h. 30 du soir, de battre en retraite. Ce ne fut que par une marche rapide, poursuivie sans arrêt de jour et de nuit, que Lanrezac put trouver son salut derrière l'Aisne, en amont de Soissons.

Les Français avaient remporté cependant, à cette occasion, un succès inattendu : ils avaient amené la 1re armée allemande à converser face au sud-est. Faute d'unité de direction, les Allemands avaient laissé échapper les chances brillantes qui s'étaient offertes à eux de remporter une victoire de Cannes entre Oise et Aisne ; leurs forces s'étaient, par contre, groupées en une masse dont l'importance augmentait d'une façon inquiétante. Plus à droite, la 4e armée française avait déclenché, dès les 27-28 août, une puissante contre-offensive en direction de la Meuse, de part et d'autre de Sedan. Ce ne fut que l'avance de la 3e armée allemande, dans la brèche existant entre les 4e et 5e armées françaises, qui amena la première de ces armées à abandonner la Meuse pour se replier derrière l'Aisne à Vouziers. L'aile gauche de la 4e armée fut alors constituée en détachement d'armée, aux ordres de Foch, pour faire face à la 3e armée allemande et poussée derrière la coupure de l'Aisne, sur le front Attigny - Rethel - Château-Porcien (29 août). Foch y accrocha, pendant les jours suivants, la 3e armée allemande et la détourna de la 5e armée dont elle menaçait le flanc est.

La 3e armée française défendit la Meuse, dans la région de Dun, jusqu'au 1er septembre. Elle exécuta peu à peu une conversion en arrière autour de Verdun comme pivot, pour venir se placer entre Meuse et Aire. Le 2 septembre, elle fit encore front sur la ligne Apremont - Montfaucon. Son nouveau chef, le général Sarrail (nommé le 30 août), retira alors de son front, devenu plus étroit, le 4e C. A., qui fut envoyé par voie ferrée sur Paris, à partir du 2 septembre.

Pendant les premiers jours de septembre, les 3e, 4e et 5e armées françaises continuèrent leur retraite dans les zones de marche qui leur avaient été fixées le 25 août. Leurs arrière-gardes, pourvues d'une puissante artillerie exécutèrent des contre-attaques fréquentes et décidées, comme l'ordre en avait été donné.

Pendant ce temps, les 1re et 2e armées françaises, établies derrière la ligne des places fortes de l'est, retiraient de leur front les forces que Joffre leur demandait et n'en continuaient pas moins à remplir entièrement leur mission : accrocher le plus de forces allemandes possible. Ces deux armées n'ont pas cédé moins de sept corps d'armée, deux divisions de réserve et trois divisions de cavalerie pour la bataille décisive, pendant que leurs adversaires qui " les accrochaient " à savoir les 6e et 7e armées allemandes, ne cédaient rien.

Les Anglais. - Après la bataille du Cateau, les Anglais, fortement épuisés, avaient atteint, le 28 août au soir, la zone La Fère (1er C. A.) Noyon (2e C. A.). Ils s'y reposèrent le 29 août, pendant que les Français versaient leur sang pour eux sur le champ de bataille de la région est de Saint-Quentin.

Malgré les objections personnelles de Joffre, French maintint sa décision de continuer à battre en retraite jusque derrière la Marne ou la Seine. Smith Dorrien, commandant du IIe C. A., conseilla même, le 29 août, une fois Joffre parti de Compiègne, de s'embarquer pour l'Angleterre. French décala sa base du Havre vers la côte de Bretagne (Saint-Nazaire). La 6e division y fut alors débarquée.

Le 30 août, les Anglais continuèrent leur retraite qui était toujours complètement désordonnée ; le 31 août ils traversèrent l'Aisne à Soissons et en amont et se mirent au repos de part et d'autre de Crépy (Q. G. à Dammartin). Malgré toute la pression faite sur lui par les Français, French continua encore à refuser de s'arrêter et rendit compte de sa décision à Kitchener : " Je ne puis pas dire que j'envisage avec beaucoup d'espoir la suite de la campagne de France... Ma confiance dans la capacité des chefs français s'évanouit rapidement. " Les Anglais avaient déjà perdu 20.000 hommes, soit le cinquième de leurs effectifs initiaux. Quant au reste, French ne voulait pas le risquer. Kitchener se hâta de venir à Paris, le 1er septembre, et amena French à demeurer encore pour le moment dans le front français, au nord de la Seine. Le 2 septembre, les Anglais se replièrent jusqu'à la Marne dans la région de Meaux et franchirent cette rivière le lendemain.

Entre temps, et après l'échec des plans qu'il avait jusqu'alors poursuivis, Joffre avait pris, le 1er septembre, la décision de battre en retraite derrière la Seine. Il déclara formellement à ses commandants d'armée, dans ses ordres des 1er et 2 septembre et dans sa note secrète du 2 septembre, qu'il ne voulait pas accepter de se battre déjà sur la Marne.

French maintint alors sa décision de rester au nord de la Seine, ce que Joffre approuva tout d'abord. C'est pourquoi le début de la bataille trouva les Anglais immédiatement au sud du Grand-Morin inférieur.

A leur gauche, l'armée Maunoury, fortement épuisée et accablée par les tristes impressions de bataille qu'elle avait vécues, atteignit, dans les premiers jours de septembre, le rayon de la place de Paris. Quant au corps de cavalerie Sordet, il n'avait plus que 18 escadrons en état de marcher : ils furent réunis en une division, qui demeura encore tout d'abord sur l'Oise inférieure, tandis que le reste du corps se repliait sur Versailles. L'état des fantassins était lamentable. Des signes de désorganisation se manifestaient parmi les divisions de réserve. Et cependant, l'espoir exprimé par Joffre que " les divisions de réserve allaient reprendre bientôt consistance " (lettre à Gallieni du 3 septembre) se réalisa d'une façon surprenante, pendant les trois ou quatre jours de repos qui précédèrent la bataille.

La situation de la 5e armée française était, elle aussi, inquiétante dans les premiers jours de septembre. Elle était arrivée fortement ébranlée, le 2 septembre, entre Aisne et Marne, après des combats et des marches de nuit. Ses divisions de réserve étaient sur le point de se dissoudre. C'est alors que Lanrezac apprit que l'ennemi était entré, le 2 septembre au soir, à Château-Thierry, derrière son aile gauche. Le corps de cavalerie Conneau, qui était en formation à Epernay, envoya aussitôt sur ce point sa 8e D. C., la première prête, en lui faisant des cendre la vallée de la Marne. Lanrezac espérait n'avoir affaire qu'à de la cavalerie allemande d'avant-garde. Au lieu de cela, son aile gauche (18e C. A. et divisions de réserve) se heurta, au cours de son repli, à la 18e D. I. prussienne. Les Français, qui étaient déjà arrivés à 2 heures du matin sur la Marne, traversèrent alors la rivière plus à l'est. Par bonheur pour eux, la 2e armée allemande, dont les corps s'étaient reposés le 31 août ou n'avaient exécuté ce jour-là qu'une très petite étape, n'exercèrent sur eux aucune pression en venant du nord. Autrement, la 5e armée française, dont le chef, qui l'avait sauvée de trois crises, fut remplacé par un général plus heureux, le général Franchet d'Esperey, qui devait récolter la gloire de la victoire de la Marne - cette armée aurait subi une catastrophe là où, une semaine à peine plus tard, l'étoile du malheur devait se lever pour les Allemands. Volonté du Destin !

La 5e armée atteignit ses positions de départ pour la grande bataille le 4 septembre avec ses derniers éléments combattants : les trois autres armées françaises voisines de droite les avaient déjà atteintes un jour plus tôt. Ainsi donc - en dehors des unités qui étaient déjà arrivées à pied d'œuvre longtemps avant, en utilisant entièrement la voie ferrée, unités qui s'étaient reposées en conséquence et avaient été pourvues à nouveau de tout ce dont elles avaient besoin - les arrière-gardes françaises, qui s'étaient si remarquablement conduites au cours retraite de plusieurs semaines, eurent, elles aussi, quelques jours pour se refaire avant le début de la bataille.

Le général de l'infanterie von Kuhl signale, dans son livre, en se basant sur les exposés français, combien l'ébranlement de la 5e armée française était grave, à la fin de sa retraite. Il était voisin de la dissolution dans beaucoup d'unités. C'est là une situation qu'on ne pourra négliger quand il s'agira d'apprécier, par la suite, la valeur combative de cette armée pendant la bataille de la Marne. Certes, elle rassembla encore une fois ses forces au début de la bataille, pour porter un coups puissant avec le même esprit de sacrifice qu'à Saint-Quentin. Mais, dès le deuxième jour de combat, les forces lui manquèrent pour continuer son attaque avec persévérance. C'est là un fait dont le lecteur devra tenir compte, quand il jugera la situation de la 2e armée vers la fin de la bataille de la Marne.

En ce qui concerne le haut commandement français pendant la retraite, il faut signaler franchement que son calme et sa résolution augmentèrent de jour en jour. L'intention d'exécuter une contre-offensive ultérieure, ancre d'espérance destinée soutenir le moral des troupes, est manifestement exprimée dans l'ordre de retraite de Joffre du 25 août. C'est elle qui a fait naître au. G. Q. G. français la grande idée de ne pas avoir peur d'abandonner l'armée belge et de nouveaux territoires, alors que de Moltke, lui, n'avait même pas voulu laisser quelques villages frontières sans protection. Joffre a soumis ainsi son pays à une épreuve qu'il supporta avec une ténacité exemplaire.

Sa volonté de passer à la contre-offensive, mise en oeuvre incomplètement à Amiens et sur l'Oise dans la détresse de l'heure, échoua devant la puissance, rapide comme l'éclair, de ses ennemis allemands. Le reste du front français ne tint pas, lui non plus. Les Anglais firent même bande à part. Les généraux français eux-mêmes ne comprirent pas leur généralissime et ne se conformèrent qu'à moitié ou même pas du tout à son idée froidement pesée, mais libératrice. Le souci de préserver Paris passa au premier plan et fit que le malheureux général en chef fut accablé de toutes sortes de demandes extraordinaires. Mais ce furent précisément la détresse et les soucis qui élevèrent le génie militaire de Joffre à sa pleine grandeur, tandis que, de l'autre côté, chez les Allemands, l'excès de succès, en jetant toujours de nouveaux lauriers de victoire dans le sein du G. Q. G., rendit celui-ci toujours plus " lourd ", pour le qualifier sans dureté du mot de Tappen.

Il est certain qu'en fin de compte, Joffre a été plus favorisé par la chance que de Moltke. La décision de Joffre du 1er septembre - se replier jusque derrière la Seine - ne fut certainement pas un expédient de génie, né de la détresse où l'avait jeté la valeur combative supérieure de son ennemi, car l'intention qui devait le conduire au succès destiné à renverser le destin - à savoir l'offensive soudaine et pleine de puissance, exécutée en partant de la position de recueil Paris - Verdun - n'était plus qu'à transformer en acte, quand l'ennemi commit la faute de tomber dans le piège qui lui était tendu. Le plan de Joffre aurait dû tout simplement échouer si le G. Q. G. allemand avait seulement arrêté la course précipitée de ses armées de l'Ouest. Que cet arrêt ait eu lieu sur un front ou sur un autre, cela n'avait pour ainsi dire aucune importance en l'occurrence. La valeur de tous les commandants d'armée et la capacité de rendement sans exemple des troupes allemandes étaient des garanties que tout ce qu'il était humainement possible de faire aurait été fait.

 

Coup d'œil rétrospectif.

 

Pour l'historien qui embrasse aujourd'hui les événements qui se sont passés des deux côtés, la situation était claire. Le G. Q. G. allemand était revenu, avec sa décision du 2 septembre au soir, à l'idée fondamentale de Schlieffen : refouler l'ennemi vers le sud-est. Faute de forces suffisantes, il cherchait à la réaliser par un plus court chemin, en passant à l'est et près de Paris. En talonnant l'ennemi sans arrêt, il espérait l'accrocher et le contraindre à la bataille. .

Mais un rôle décisif était aussi réservé à l'aile gauche (6e et 7e armées) dans cette opération. Pour leur permettre de s'ouvrir le chemin au delà de Nancy et de la Moselle, le G. Q. G. avait mis à sa disposition près de 70 batteries lourdes, prélevées sur les places allemandes de l'ouest. Or, ces batteries auraient parfaitement suffi, à ce moment-là, pour briser le front de Meuse et faire sauter le pilier de Verdun. La mission des 6e et 7e armées se montra inexécutable ; l'opération en direction du sud-est, confiée à l'aile de choc, perdit ainsi, elle aussi, toute sa justification. Cette aile, à elle seule, était trop faible. L'avertissement de Schlieffen : " Ayez seulement une aile droite puissante " était la loi de l'heure. Il aurait fallu, pour cela, " arrêter " l'aile de choc et la regrouper. Le lieutenant-colonel Foerster propose, à ce sujet, la solution suivante (Schlieffen, I, page 48) . " 1re armée, couverture défensive du flanc droit face à Paris, entre Oise et Marne, aile gauche à Château-Thierry avec échelonnement progressif de forces importantes derrière l'aile nord ; 2e et 3e armées, arrêt sur la Marne ; 4e et 5e armées, en liaison avec les précédentes, sur la ligne Châlons - Sainte-Menehould - Verdun, avec investissement de Verdun. Concentration d'une forte réserve de G. Q. G. dans la région Amiens - Saint-Quentin. Exécution de l'attaque contre les forts d'arrêt du front Toul Verdun. Arrêt de l'offensive dirigée contre Nancy - Epinal. Transport du gros des forces des 6e et 7e armées vers l'aile droite. " Joffre aurait été alors obligé d'attaquer, ce à quoi il se décida effectivement en cette même journée du 4 septembre, où la décision du G. Q. G. allemand aurait été prise d'après la proposition de Foerster. Mais, même si on fait abstraction de ce tableau séduisant créé par une imagination a posteriori, et si l'on s'en tient à la critique qui suit les événements au jour le jour, on en arrive, comme la plupart des spécialistes qui ont écrit jusqu'ici sur les premiers jours de septembre 1914, à cette idée que le G. Q. G. aurait dû faire marquer un arrêt à ses armées avant la bataille qui était imminente. Lorsque, dans la nuit du 3 septembre, il donna l'ordre de refouler les Français en direction sud-est de Paris, il ne soupçonnait certainement pas le mal qu'il provoquait en se décidant brusquement à tendre les rênes qu'il avait jusqu'alors laisser flotter. Mais, même si on ne tient pas compte du fait qu'on avait constaté, dés le 25 août, que des corps d'armée ennemis entiers avaient été rameutés de la région de l'Est sur Paris et même sur Amiens, le réseau ferré dont disposait l'ennemi aurait dû, à lui seul, montrer au G. Q. G. qu'il était impossible de couper l'ennemi de Paris. Aussi se vit-il, dès le 4 septembre, obligé d'avouer son erreur et d'imposer brusquement à l'aile qui avait été jusqu'alors aile de choc, une nouvelle mission toute défensive, celle de faire face à Paris. Au centre, il donna la vague mission de pousser de l'avant dans le bleu, pour aider la malheureuse aile gauche, toujours arrêtée devant le front de la Moselle qu'elle n'avait pu percer, à se porter en avant. Le plan de Schlieffen fut ainsi définitivement abandonné. Le G. Q. G. suivit sa propre stratégie et imposa à ses deux armées d'aile droite des missions de mouvement que, même leurs chefs, qui excellaient dans l'art de déplacer de grosses masses, ne purent pas remplir, parce que, avec leur changement brusque, ne tenant compte ni du temps ni de l'espace, ces missions exigeaient d'eux un double renversement de front, d'abord face au sud-est, puis face à l'ouest. Si ces mouvements n'engendrèrent pas un désordre fatal, et si les 1re et 2e armées firent néanmoins tout ce qu'il était humainement possible de faire, ce fut uniquement grâce à eux. Une seule chose est à regretter, c'est que les deux commandants d'armée aient eu sur la situation et sur ce qu'il convenait de faire en raison de cette situation, des avis si différents qu'en fin de compte la catastrophe survint malgré tout. La brillante bravoure des troupes allemandes, qui avait jusqu'alors remédié a toutes les fautes et toutes les incapacités du G. Q. G., ne put pas, elle non plus, compenser cette erreur. La situation était devenue trop mauvaise pour cela. Mais, le G. Q. G. ne s'aperçut même pas qu'il en était ainsi, au moment où la proclamation de Joffre lui montra que la bataille décisive était imminente. Schlieffen avait estimé qu'il pourrait engager, dans la grande bataille décisive, trente-trois corps d'armée et demi, sur l'arc de cercle Aisne - Oise - Paris. Or, ce n'étaient que vingt corps d'armée allemands, appartenant aux armées 1 à 5, qui allaient participer a la lutte finale du bassin de la Marne. Le G. Q. G. ne soupçonnait pas que quarante divisions allemandes allaient avoir à accepter le combat final contre soixante divisions ennemies et que le nombre des combattants ennemis était six fois supérieur à celui des Allemands. L'ennemi était fraîchement recomplété, reposé et pourvu de munitions suffisantes ; l'armée allemande de l'Ouest, elle, était déjà réduite, par suite de sa course précipitée, à la moitié de ses effectifs hommes et, par suite de la bravoure de ses officiers méprisant la mort, au tiers de ses chefs.

Ses troupes, arrivées à leur dernier lot de munitions d'infanterie et d'artillerie, étaient à bout de forces physiques et morales, peuple de héros en armes, condamné par le destin à succomber et cependant prêt à vaincre.

Jamais armée de conquérants, se trouvant dans une situation aussi mauvaise, en face d'un ennemi courageux, infiniment supérieur en nombre, en force, en munitions, et combattant avec la dernière résolution pour son foyer et sa patrie, jamais semblable armée ne s'est montrée aussi capable dans la bataille que l'armée allemande dans la bataille fatale de la Marne !

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