LE POINT DE VUE DU GENERAL BAUMGARTEN-CRUSIUS

I - JUSQU'A PARIS ET JUSQU'AU DELA DE LA MARNE

Marche en avant des 1re, 2e et 3e armées, 2ème Partie.

Les décisions du G. Q. G. après les premières victoires du front occidental.

 

La concentration de Moltke n'avait pas résisté à l'épreuve de la pratique. L'aile droite de l'armée allemande était trop faible, son aile gauche trop forte. " Les fautes commises dans la concentration, a dit le grand de Moltke, ne peuvent pas être réparées."

Dans la joie de la victoire qui suivit les premières batailles, le G. Q. G. ne s'en rendit pas compte malheureusement. Autrement, bien des malheurs auraient été évités par la suite.

La répartition initiale des forces n'avait pas fait ses preuves. Schlieffen avait fixé au septième de l'armée de l'Ouest l'effectif des forces qui devaient manœuvrer en retraite à son aile gauche. Moltke, qui rêvait de réaliser une double attaque enveloppante décisive contre un ennemi supérieur en nombre, avait rassemblé à son aile gauche le quart de son armée de l'Ouest. Une notable partie de ces forces devait, il est vrai, être rameutée par la suite à l'aile droite ; on avait préparé, dans ce but, du matériel roulant. Mais, quand l'heure fut venue de réaliser l'idée stratégique de Moltke, on constata la faute que l'on avait commise dans la répartition des forces. Le plan commença à devenir trouble dans l'esprit de son auteur, qui perdit de plus en plus confiance dans ses propres capacités et devint accessible à l'influence d'autrui. Certes, dans la précipitation des événements, le chef d'état-major général de l'armée, directeur des opérations, ne se rendait pas encore compte, à ce moment-là de toutes ces choses : il n'avait pas le temps de se livrer à des considérations philosophiques. Mais, même pour un critique purement objectif de la situation militaire, il était manifeste que les coups puissants, avec lesquels Schlieffen, le grand penseur de batailles, avait voulu entraîner, en Lorraine et de part et d'autre de la Meuse, le gros des forces ennemies de l'ouest dans des défaites d'anéantissement semblables à celles de Cannes, n'avaient pas réussi.

Le G. Q. G. ne devait faire cette triste constatation que plus tard, à l'heure où, à l'intérieur, le peuple allemand se grisait aux nouvelles des premières victoires du front occidental. Il fut alors obligé de se rendre compte qu'il en portait seul la responsabilité, parce qu'il n'avait pas conduit les opérations d'une main assez ferme.

En Lorraine, il n'avait pas résisté à l'élan offensif de ses troupes valeureuses et, sur la Meuse il avait laissé les choses aller leur train. On a l'impression que le haut commandement, n'ayant pas confiance dans ses propres aptitudes à conduire la bataille et à diriger lui-même les masses sur le champ de bataille, a préféré laisser toute direction à ses commandants d'armée, dressés, aux manœuvres impériales, à la conduite des masses, et en premier lieu au colonel-général von Bülow si réputé. Puis, après les premières victoires, il se consola tout d'abord en songeant au résultat général obtenu, résultat évident malgré tout. Malheureusement, il le surestima totalement dans ses conséquences. Inconsciemment, il perdit de plus en plus le sentiment exact de l'idée fondamentale de Schlieffen : ne jamais cesser de faire pression sur l'ennemi avec l'aile droite. Lorsque les corps victorieux des 6e et 7e armées atteignirent, le 22 août, Lunéville et la Vezouze supérieure, - la ligne de défense la meilleure et la plus courte entre Metz et les Vosges, - le G. Q. G. ne se posa qu'une question : " Faut-il continuer à poursuivre avec les 6e et 7e armées, ou bien faut-il arrêter en gros le mouvement de ces armées et récupérer les forces ainsi devenues disponibles, en vue de les employer ultérieurement à l'aile droite des armées allemandes ? " (TAPPEN page 14.)

Le G. Q. G. se décida pour la continuation de la poursuite, dans l'espérance que les troupes victorieuses des 6e et 7e armées réussiraient, en talonnant l'ennemi vaincu, à percer la ligne de barrage française de haute Moselle. Depuis la chute rapide de Liége, il sous-estimait l'importance des lignes de barrage fortifiées. " Si la percée réussissait, l'encerclement de l'armée ennemie se trouvait amorcé, dans ses grandes lignes, de concert avec les mouvements de l'aile droite, et cet encerclement était appelé, s'il se réalisait, à amener rapidement la fin de la guerre " (TAPPEN, page 15).

Le G. Q. G. crut, par suite, qu'en ordonnant de poursuivre l'offensive de Lorraine, il ne faisait que donner plus d'ampleur au plan de Schlieffen. Mais c'est à la conservation de la puissance de son aile droite que Schlieffen attachait le plus d'importance. Or, il fut tout d'abord impossible à de Moltke d'exécuter des transports par voie ferrée de son aile gauche à son aile droite. Les voies ferrées belges étaient complètement détruites et elles furent ensuite employées au transport du IXe C. A., rameuté du Holstein. Le G. Q. G. avait commencé à transporter ce corps d'armée vers le front ouest avant les premières batailles de l'aile droite et " avant de connaître l'endroit ou l'armée anglaise serait engagée " (TAPPEN, page 17), donc vers le 20 ou 21 août, c'est-à-dire trop tôt, comme nous le voyons aujourd'hui. Il l'avait fait, malgré la gravité de la situation du front oriental, afin de maintenir l'aile droite suffisamment forte pour lui permettre de remplir des missions secondaires et en particulier d'investir Maubeuge et Anvers. Il aurait donc dû, logiquement, diriger Également vers cette région les divisions d'ersatz qui, avec le IXe C. A., constituaient sa seule réserve. Mais ces divisions avaient déjà été mises en ligne à l'aile gauche de l'armée de l'Ouest.

Il était impossible de faire roquer les corps de renforcement de l'aile gauche à l'aile droite par voie de terre ; ils seraient arrivés trop tard, auraient été paralysés au moment décisif et n'auraient fait qu'augmenter les difficultés de ravitaillement en vivres et munitions.

Quant au moyen le plus simple, celui qui aurait consisté à faire exécuter un mouvement de glissement à la 6e armée après la victoire de Lorraine, on n'y songeait pas encore le moins du monde à ce moment-là. Ce mouvement eût cependant été conforme à l'idée de Schlieffen, qui voulait avoir " son flanc couvert, face à Verdun - Toul, par des forces s'appuyant sur Metz". Il aurait fallu, pour cela, que la 7e armée se mît sur la défensive sur le front le plus court entre Metz et le Donon et qu'à sa gauche, le front de la Bruche, compris entre le Donon et Strasbourg, et le front du Haut-Rhin, fortifié avant la guerre au prix de 200 millions de marks, fussent défendus par des troupes d'ersatz et des troupes de garnison, comme l'étaient le front de Silésie et de Posnanie, à la frontière de l'Est. On aurait alors fait glisser la 6e armée par Metz et par Thionville, par étapes et par voie ferrée - le service des chemins de fer de campagne avait du matériel vide tenu prêt dans ce but - vers le front que la 5e armée avait occupé jusqu'alors devant Verdun, ainsi que vers le front Verdun - Toul, avec mission de percer le front de Meuse, de couper Verdun et de s'en emparer le plus vite possible. L'artillerie lourde allemande avait bien réduit en douze jours la place d'Anvers, qui était au moins aussi forte. Tous les préparatifs d'attaque de Verdun, au point de vue artillerie, avaient été faits dès le temps de paix. Malheureusement, le plan d'attaque de Verdun par l'artillerie fut perdu. Un chef de corps d'artillerie fut fait prisonnier par l'ennemi avec le plan tout entier. L'ennemi compléta alors ses organisations défensives d'après ce plan, ce qui amena l'échec de l'attaque allemande de 1916 ; ceci soit dit en passant.

Le décalage de la 6e armée vers la droite, tel que je viens de l'envisager, décalage auquel serait venu se joindre plus à droite celui des 5e, 4e, 3e et 2e armées au cours de leur avance ultérieure, aurait permis au G. Q. G., sans faire chevaucher ses lignes de ravitaillement, d'employer l'armée d'aile droite (1re armée) comme échelon de flanc et comme réserve de choc ; il aurait tenu compte, en tout cas, du principe de Schlieffen : " Maintenez votre aile droite puissante ".

Après les premières victoires de l'aile droite allemande, le G. Q. G. ne se rendit pas compte, le 25 août, que la percée des 6e et 7e armées à travers le front fortifié Nancy - Epinal ne réussissait pas. Il était encore temps cependant, en faisant roquer la 6e armée vers la droite, de rétablir le plan de Schlieffen, à savoir maintenir l'aile droite puissante pour obtenir la décision. Mais le G. Q. G. s'accrocha à l'espérance que " la percée réussirait encore ou que l'on immobiliserait tout au moins, en continuant à attaquer, une grande partie de l'armée française, au grand avantage de l'aile droite " (TAPPEN, page 15).

Ce ne fut que quand on ne remporta plus aucun succès en Lorraine que le G. Q. G. se demanda s'il ferait exécuter par des éléments des 6e et 7e armées " une percée à travers la zone de barrage de la région sud de Verdun ". " Mais cette idée - dit Tappen - fut abandonnée, en raison des difficultés considérables qu'elle soulevait ".

En quoi consistait ces difficultés, Tappen ne nous le dit pas. Mais W. Foerster objecte à cela (SCHLIEFFEN, page 36) que : " on avait déjà prévu, dans les directives de concentration, une mission de ce genre pour la 6e armée, pour le cas où il serait nécessaire de soutenir directement la 5e armée à l'ouest de la Moselle ".

Le lieutenant-général Tappen, ancien premier conseiller de Moltke, nous donne, dans son ouvrage, des indications précises sur les idées du chef d'état-major général de l'armée pendant les journées, si décisives pour la continuation de la guerre, qui suivirent les premières victoires : " Le colonel-général von Moltke, dit-il crut qu'après une semblable rencontre des deux armées ennemies (c'est-à-dire après la première grande rencontre), la décision de la guerre était déjà obtenue et que le vainqueur pouvait contenir entièrement le vaincu avec de faibles forces, c'est-à-dire que le moment était venu pour nous, vainqueurs, de détacher des forces assez importantes sur le front oriental pour y obtenir également la décision. Une des raisons de cette façon de voir fut assurément la suivante : on croyait, avant guerre, que la France serait obligée, à cause de sa loi sur le service militaire et de son manque d'hommes, d'employer sur le front, dès le début, jusqu'à son dernier homme et qu'après une défaite elle ne serait plus en état de recompléter ses unités " (TAPPEN, page 9).

" Les nouvelles en tous points favorables qui arrivaient chaque jour de l'aile droite et qui arrivèrent encore, le 25 août, au G. Q. G. y donnèrent à croire, de concert avec la grande victoire de Lorraine du 20 au 23 août, que la grande bataille décisive du front occidental avait été livrée et nous avait été favorable. Sous l'impression de " cette victoire décisive " le chef d'état-major général se décida, le 25 août, malgré les objections qui lui furent faites, à envoyer des renforts sur le front oriental. Il crut que le moment était venu ou l'on pouvait, après avoir remporté une victoire décisive sur le front occidental, prélever, comme il était prévu dans le plan d'opérations général, des forces considérables sur ce front pour les envoyer dans l'Est, afin d'y chercher également la décision. Six corps d'armée furent désignés dans ce but " (TAPPEN). On prit deux corps à l'aile droite (le C. R. G. et le XIe C.), corps qui étaient devenus disponibles à la suite de la chute de Namur et qui avaient été " en quelque sorte refoulés en arrière de la première ligne de combat " ; on prit, en outre, deux corps au centre et deux corps à l'aile gauche , mais ceux-ci devaient tout d'abord être retirés du front. Or, il fallait secourir rapidement le front oriental. Il en résulta que ce furent le XIe C. A. et le C. R. G., donc les deux corps de l'aile droite, - aile qui devait cependant être maintenue puissante et renforcée - qui partirent les premiers pour la frontière de l'Est. Si, en envoyant dans l'est des forces aussi importantes, le chef d'état-major général avait agi par faiblesse pour les événements du front oriental, il aurait pu, dès le 26, en raison des bonnes nouvelles reçues de l'Est retirer les ordres qu'il avait donnés le 25. En fait, le nouveau commandement de la 8e armée, Hindenburg - Ludendorff, rendit compte, dès le 26 août, qu'il espérait remporter une victoire sur les cinq corps russes venant de la Narew, et, dès le 27, on reçut les premières nouvelles annonçant que de grands succès avaient été remportés dans l'Est ; ces succès trouvèrent plus tard leur complète expression dans les brillants comptes rendus de victoire de la bataille de Tannenberg et nous délivrèrent des lourds soucis que nous avions pour le front oriental ". Tels sont les termes du lieutenant-général TAPPEN (page 19). Il détruit ainsi la légende qui veut que l'envoi des corps du front occidental ait eu lieu à la suite d'un cri d'appel de Hindenburg et de Ludendorff. Ce dernier déclare formellement dans ses Souvenirs de guerre : " Je n'ai pas demandé à être renforcé ". Et il dit plus loin : " La décision d'affaiblir le front occidental était prématurée. Malheureusement, nous autres, dans l'Est, nous ne pouvions pas nous en rendre compte " (page 45). Autrement, Ludendorff aurait refusé tout renfort, tout comme il a déclaré, dès le début de la bataille de Tannenberg, qu'il approuvait le maintien sur le front occidental du troisième corps d'armée qui lui avait été annoncé.

Ainsi que nous pouvons nous en rendre compte, aujourd'hui que nous embrassons toute la situation, le IXe C. R. aurait pu, en partant du Holstein, apporter au front est une aide plus rapide et plus efficace que le C. R. G. et le XIe C., qui ne purent partir, par voie ferrée, de la région d'Aix-la-Chapelle que le 31 août, quand la bataille de Tannenberg était déjà finie. Au lieu de cela, le IXe C. R. arriva le 25 août au nord de Liége.

Le colonel-général von Moltke jugea lui-même sévèrement ce " chassé-croisé " du IXe C. R. vers l'ouest et des C. R. G. et XIe C. vers l'est.

De Moltke reconnaît, d'ailleurs, dans un Mémoire de 1915 (FOERSTER, page 34) et contrairement à ce que dit Tappen que " les événements du front oriental, où, contre toute attente, les Russes avaient envahi rapidement la Prusse, avaient rendu nécessaire l'envoi de renforts dans cette province, avant qu'une décision ait pu être obtenue sur le front occidental ".

L'ordre prématuré prescrivant de préparer pour le front oriental six corps d'armée, dont quatre devaient être retirés d'un combat victorieux, eut pour résultat de diminuer sensible ment les succès obtenus, en premier lieu et surtout à la 5e armée. En effet, le Ve C. A. de cette armée fut rappelé sur Thionville. pour être envoyé dans l'Est. Or, il talonnait de près la 3e armée française en retraite vers la Meuse, et il avait déjà comprimé des masses ennemies dans un espace très étroit, entre Vilosnes, Consenvoye et Damvillers, quand il fut rappelé le 26 août, pour finalement ne pas être transporté dans l'Est.

La tournure prise par les événements sur le front occidental, tournure due au fait qu'on n'avait pas obtenu de victoire de Cannes à l'aile de choc et au fait que la percée du front de haute Moselle n'avait pas réussi à la 6e armée, amena le G. Q. G. à remettre à plus tard l'envoi prématuré d'une partie des corps du front occidental. Le chef du Service des chemins de fer ne put pas embarquer le G. R. G. et le XIe C., à Aix-la-Chapelle et au sud, avant le 31 août. On s'aperçut nettement, d'ici là, que le G. Q. G. avait fortement surestimé le résultat des premières batailles du front occidental, et que la tension avait diminué sur le front oriental.

Ainsi donc, l'insuffisance du service des chemins de fer de campagne aurait pu, avec un peu de chance, préserver le G. Q. G. de la plus grave faute qu'il ait commise. Je voudrais, à cette occasion, détruire une légende. La renommée du général Groener - dernier quartier-maître général, et chef, qui ainsi que le général comte Waldersee l'a prouvé formellement, malgré tous les démentis, amena son empereur à fuir à l'étranger cette renommée, dis-je, repose sur le fait que notre concentration de 1914 s'est effectuée sans à-coup. Or ce mérite revient non pas au général Groener, mais à ses prédécesseurs ainsi que, pour une part gigantesque, à l'état brillant du réseau ferré allemand lors de la déclaration de guerre.

Dans le service des chemins de fer de campagne également, le rendement des troupes fut, lui aussi, bien supérieur à celui de la direction. Nos braves troupes de construction de voies ferrées ont accompli des exploits grandioses : à la fin d'août, elles avaient rétabli, à travers le réseau ferré belge et le réseau ferré du nord de la France, réseaux détruits de fond en comble, deux courants de transports, l'un d'Aix-la-Chapelle à Cambrai par Bruxelles, l'autre de Luxembourg à Jemelle par Libramont et même à Charleroi, en transbordant les troupes à Namur. Le 10 septembre, le trafic était repris jusqu'à Saint-Quentin et, à la fin de septembre, le pont de Namur était également rétabli.

Les exploits accomplis par le chef du service des chemins de fer de campagne pendant les premiers mois de la guerre sont, par contre, très modestes. A l'est, l'administration des chemins de fer de campagne fut loin de réaliser, au début, ce qu'on aurait pu accomplir sans grand effort. A l'ouest, les transports de concentration qui, en octobre 1914, amenèrent en Belgique les corps d'armée de nouvelle formation, furent une très humble performance de maladresse bureaucratique. Qu'aurait dit Schlieffen si, en août 1914, son chef du service des chemins de fer de campagne avait laissé, pendant cinq jours, deux corps d'armée attendre à Aix, Malmédy et Saint-Vith, leur enlèvement par voie ferrée ? Certes, ces deux corps ne sont arrivés que le 30 août à leurs gares d'embarquement, mais ce fut uniquement parce que leurs trains ne pouvaient être prêts que le 31. Ils auraient pu parfaitement se rendre à ces gares en deux jours.

Les corps de la 6e armée étaient beaucoup mieux placés pour être enlevés vers l'est. Il y avait aussi, derrière cette armée, une quantité suffisante de rames vides dont on pouvait se servir immédiatement. Il y a donc eu là une erreur de calcul. Mais cette erreur aurait pu conduire elle-même à un résultat heureux, car, étant donné le rendement modeste du chef de service des chemins de fer, le G. Q. G. aurait pu, le 31 août, rameuter vers son aile de choc les deux corps d'armée de la région d'Aix, afin d'en faire une réserve qui y aurait été la bienvenue et qui y était même nécessaire ; il aurait pu aussi, en décalant la 6e armée vers le front de la Meuse, comme il songea en réalité à le faire à la fin d'août, donner de la cohésion à toute l'armée du front ouest en vue de la grande bataille décisive.

Au lieu de cela, le G. Q. G. se laissa de plus en plus entraîner par le cours rapide des événements qui se passaient sur le front de l'aile droite.

Le 28 août, les armées de l'aile occidentale, qui poussaient de l'avant sans arrêt, furent atteintes par la directive générale du G. Q. G. du 27 août, qui traitait de la continuation des opérations. Dans cet écrit volumineux où l'on cherche en vain la claire brièveté de l'école Moltke - Schlieffen, il était dit ce qui suit dans les phrases essentielles - l'ensemble de l'ordre étant réduit des deux tiers environ :

Les Français - tout au moins leur groupement nord et centre - sont en pleine retraite en direction de l'ouest et du sud-ouest, donc sur Paris. Il est vraisemblable qu'ils nous opposeront, en cours de route, une nouvelle et énergique résistance. Tous les renseignements provenant de France confirment que l'armée française combat pour gagner du temps et qu'il s'agit, pour elle, d'accrocher devant son front la plus grande partie des forces allemandes, pour faciliter l'offensive des armées russes.

II s agit donc, pour l'armée allemande, en se portant rapidement sur Paris, de ne pas laisser à l'armée française le temps de se reprendre, de l'empêcher de créer de nouvelles unités et d'enlever à la France le plus de moyens de défense possible.

Sa Majesté ordonne que l'armée allemande se porte sur Paris.

La 1re armée se portera sur la basse Seine, en marchant à l'ouest de l'Oise. Elle devra être prête à intervenir dans le combat de la 2e armée. Elle sera chargée, en outre, de la couverture du flanc droit des armées.

La 2e armée, ayant sous ses ordres le Ier Corps de cavalerie, franchira la ligne La Fère - Laon et marchera sur Paris.

La 3e armée, franchissant la ligne Laon - Guignicourt, continuera son mouvement sur Château-Thierry.

La 4e armée marchera par Reims sur Epernay. Le IVe C. C., placé sous les ordres de la 5e armée, transmettra également ses renseignements à la 4e armée. Le 6e C. A. passera à la 5e armée.

La 5e armée franchira la ligne Châlons - Vitry-le-François. Elle assurera, en s'échelonnant en arrière et à gauche, la couverture du flanc gauche de l'armée jusqu'à ce que la 6e puisse prendre cette couverture à son compte sur la rive gauche de la Meuse. Verdun sera investi.

La 6e armée, ayant sous ses ordres la 7e armée et le 3e C. C., aura tout d'abord pour mission, en s'appuyant à Metz, de s'opposer à une avance ennemie en Lorraine, et en Alsace. Si l'ennemi se replie, la 6e armée, ayant sous ses ordres le 3e C. C franchira la Moselle entre Toul et Epinal et se portera dans la direction générale de Neufchâteau. La couverture du flanc gauche des armées incombera alors à la 6e armée.

La 7e armée demeurera tout d'abord sous les ordres de la 6e armée. Si la 6e armée franchit la Moselle, la 7e armée deviendra indépendante. Elle aura alors pour mission d'empêcher une percée ennemie entre Epinal et la frontière suisse.

Si l'ennemi résiste fortement sur l'Aisne et ultérieurement sur la Marne il pourra être nécessaire d'abandonner la direction du sud-ouest et de faire converser l'armée en direction du sud.

Il est instamment désirable que l'armée se porte rapidement en avant, pour ne pas laisser aux Français le temps de se reformer et d'organiser une sérieuse résistance. Tout soulèvement national sera étouffé en germe.

Signé : DE MOLTKE.

L'heure étant passée de renforcer l'aile de choc, il était devenu impossible de conserver l'idée d'enveloppement de Schlieffen. Certes, la nouvelle direction de marche donnée par de Moltke, la direction sud-ouest, était conforme, en apparence, au plan de Schlieffen, mais elle ne répondait nullement à la répartition de ses forces (FOERSTER, page 37). La conversion à gauche était devenue une marche en avant sur un large front en direction de Paris. L'extension de la mission donnée à la 6 armée imposait à l'armée allemande une tâche toute nouvelle et bien plus considérable : percer la ceinture fortifiée française et envelopper l'ennemi sur ses deux flancs. Schlieffen avait bien envisagé ce but, lui aussi, dans son dernier projet de 1912, mais il ne voulait l'atteindre qu'une fois la conversion de son aile de choc terminée dans la région de Paris et quand il s'agirait de porter le coup de grâce à l'ennemi, préalablement refoulé vers l'est. L'aile gauche allemande, renforcée entre temps par des éléments de deuxième et troisième ligne, englobant la nation armée tout entière, devait alors percer, elle aussi, la ceinture fortifiée ennemie.

Est-ce que le G. Q. G. a envisagé semblables considérations quand il a rédigé sa directive du 27 août ? Je ne le crois pas. Il aurait dû cependant se représenter l'effet que son nouvel ordre était appelé à avoir. Car il était clair que son invitation du 27 août inciterait les armées à pousser sans cesse de l'avant - en direction de Paris - ce qu'elles ont fait d'ailleurs. Il demeura cependant lui-même à Coblence jusqu'au 30 août. Or le 27 août, jour où le G. Q. G. envoya sa directive ordonnant de marcher sur Paris, le corps de droite de la 1re armée avait déjà largement dépassé Cambrai ; sur les 340 kilomètres à vol d'oiseau du trajet Aix-la-Chapelle - Bruxelles - Paris, il en avait déjà parcouru plus de 220 ; en continuant à marcher à la même allure, la 1re armée devait atteindre son objectif, la Seine en aval de Paris, dans les premiers jours de septembre. Le service télégraphique de campagne ne pouvait déjà pas suivre ; le service radiotélégraphique, qui était encore moins à la hauteur des besoins, mettait plus de douze heures pour transmettre un renseignement du G. Q. G. a la 1re armée. C'étaient là des motifs puissants qui auraient dû inciter le G. Q. G. à suivre rapidement ses armées, tout au moins avec son premier échelon. Or, on ne créa même pas, à mi-chemin du front, de centre de renseignements et de relai de transmission d'ordres, pour chercher à maintenir la liaison par automobiles avec les armées. Les armées n'avaient même pas auprès d'elles, en permanence, d'officiers de liaison du G. Q. G. Quand celui-ci sortit enfin de son " engourdissement " - pour employer les termes du général-lieutenant Tappen (voir page 24 de son livre) - ce ne fut que pour se rendre, le 30 août, à Luxembourg. Là, il se trouvait encore à une distance des Q. G. de ses armées d'aile droite qui était double de celle à laquelle ceux-ci se trouvaient eux-mêmes du G. Q. G. français. Le G. Q. G. allemand ne sentait plus battre le pouls de son armée. Au lieu d'examiner et d'agir par lui-même, il invitait ses commandants d'armée à "s'entendre", bien que l'expérience eût déjà montré que trois cerveaux traitant un même problème lui donnaient tous trois une solution différente !

L'engourdissement, qui empêcha la direction des opérations sur terre à mettre un terme à l'affaire de Lorraine qui s'enlisait de plus en plus, eut malheureusement son pendant, en ces mêmes temps de décision, dans la conduite de la direction des opérations sur mer.

Celle-ci avait été confiée au chef d'état-major de la marine Pohl. Le grand amiral von Tirpitz, le génial créateur de la flotte allemande, avait voulu livrer immédiatement une bataille décisive : il aurait ainsi répondu aux vœux ardents des officiers de marine et des équipages de la flotte qui, à cette époque-là, était encore loyale. C'est par crainte de cette flotte que l'amiral anglais Fischer avait voulu, en 1908, ainsi qu'il l'a avoué en 1919, " torpiller " la flotte allemande dans le port de Kiel. Certes, à la déclaration de guerre, la flotte anglaise était déjà, depuis des semaines, entièrement prête à faire campagne et appareillée; mais elle était néanmoins ainsi que l'a déclaré plus tard l'amiral Scott dans un Mémoire " dans un état complètement insuffisant ". " Elle aurait succombé à une attaque sérieuse des Allemands, parce que la portée de son artillerie était moins grande, parce que ses bâtiments, pris isolément, n'avaient pas de direction centrale de tir, parce qu'elle n'avait aucun organe de protection contre les mines et les sous-marins ; enfin, parce qu'elle n'avait pas le moindre organe d'exploration aérienne à opposer aux dirigeables de la marine allemande. L'Angleterre serait actuellement une colonie allemande " dit sir Percy Scott pour conclure son rapport.

Cette opinion est entièrement conforme à celle de l'amiral von Tirpitz. Celui-ci demandait que l'on livrât une bataille navale - cette bataille pour laquelle la flotte allemande avait été dressée depuis vingt ans - dans les deux ou trois premières semaines de la déclaration de guerre. C'est en vain qu'il fit allusion au fait que le rapport des forces en présence nous était favorable - 20 grands bâtiments de combat, 25 prédreadnoughts et 100 torpilleurs - ainsi qu'aux effets effroyables de nos obus de rupture et à notre meilleur dressage, fruit de l'application allemande du temps de paix : le chef d'état-major de la marine s'opposa avec succès à ce désir, de concert avec le chef de cabinet naval et le chancelier. Le chef de la flotte, le brave amiral Ingehohl, fut tenu de ne livrer bataille qu'après avoir obtenu l'assentiment de l'Empereur. On eut peur, à la seule époque où l'action pouvait avoir pleine efficacité, d'engager cette flotte, qui avait cependant amené l'Angleterre à nous imposer une guerre d'anéantissement.

Dans la dernière semaine d'août, alors que les nouvelles de victoire s'accumulaient sans cesse, personne ne soupçonnait, en Allemagne, qu'à la même époque, sur le Rhin, la pusillanimité et l'engourdissement du G.Q.G. allaient priver la magnifique armée allemande et la flotte de guerre allemande, exaltée et enthousiaste, des fruits de leur application du temps de paix et de leur aptitude au combat.

 

La marche de l'armée allemande sur Paris jusqu'à l'Oise

 

Après sa première victoire sur les Anglais, au cours de la bataille de deux jours à Mons, la 1ère armée estima que l'armée anglaise offrirait une nouvelle et énergique résistance sur la ligne Valenciennes - Bavai - Maubeuge qu'elle avait atteinte dans la nuit du 25 août.

Le colonel-général von Kluck engagea le 25 août, trois corps d'armée contre ce front (IIIe, IVe et IXe, ce dernier avec couverture face à Maubeuge). Avec le 2e C.C. et le IIe C.A. il chercha à envelopper le flanc gauche des Anglais. I1 sembla tout d'abord, d'après les observations d'aviateurs, que les anglais se repliaient sur Maubeuge. Mais on reconnut, par la suite, que l'ennemi battait en retraite vers le sud-ouest. Malheureusement, le 2e C. C. (3 divisions) - qui avait été poussé la veille, par le colonel-général von Bülow, sur Courtrai, et qui n'avait été rappelé que plus tard et sur la demande de la 1re armée, en direction de Denain - ne fut plus capable, malgré une performance de marche gigantesque, de s'opposer à ce mouvement qui sauvait les Anglais. Il put bien les obliger à quitter leur direction de marche sud-ouest et les forcer à prendre celle du sud, mais l'armée anglaise atteignit néanmoins la région du Cateau sans subir de trop grandes pertes et prit de nouveau position au sud de la route Le Cateau - Cambrai.

Des combats acharnés furent engagés; le 26 août, dans cette région, sur la ligne Crèvecoeur - Caudry. Ils constituent l'apogée des combats de poursuite, combats de plusieurs jours, qui furent désignés sous le nom de " bataille de Solesmes ". La 1re armée identifia alors sur son flanc droit, outre les six divisions d'infanterie et la division de cavalerie anglaises, un certain nombre de divisions territoriales françaises et le corps de cavalerie Sordet, qui se hâtait d'accourir pour recueillir les Anglais.

Le 26 août, en combattant, la 1re armée avait roqué fortement vers la droite.

Kluck espérait encore pouvoir remporter, le 27 août un grand succès sur les Anglais, en les enveloppant sur leurs deux ailes. Mais ceux-ci se replièrent de nouveau en temps opportun. Les deux groupements d'aile de la 1re armée, également puissants, ne purent, en s'avançant de concert et en restant en contact de combat ou de marche permanent avec l'ennemi, que continuer leur poursuite et empêcher l'ennemi de s'échapper vers l'ouest. Des fractions de l'armée d'Amade nouvellement formée à Amiens, se portèrent, le 27 août, en direction de l'est par la rive nord de la Somme, pour dégager les Anglais. Elles furent complètement battues et refoulées les unes après les autres, par le 2e C. C. et le IIe C. A. Le 27 août au soir, la 1re armée était prête à attaquer la coupure de la Somme, de part et d'autre de Péronne, avec ses deux groupements. A sa gauche, la 2e armée voulait marcher sur Saint-Quentin.

Le 28 août au matin, les 61e et 62e D. R. de l'armée d'Amade surprirent le 2e C. C. dans ses cantonnements, à l'aile droite de la 1re armée. Des fractions du IIe C. A. et du IVe C. R. rejetèrent les Français et nettoyèrent la région nord de la Somme. Le IIIe C. A., qui formait l'aile gauche de la 1re armée avec le IXe C. A., refoula en même temps des bataillons et des escadrons français, venus de la direction de Saint-Quentin. Le centre de la 1re armée franchit la Somme à Péronne et de part et d'autre de cette ville. Le 28 à midi, l'opinion du commandement de la 1re armée était la suivante : " L'aile gauche du gros des forces françaises se replie vers le sud et le sud-ouest devant les 2e et 3e armées victorieuses. Il semble d'une importance décisive de gagner le flanc de ces forces, soit au cours de leur retraite, soit sur une des positions qu'elles prendront, pour les couper de Paris et les attaquer par enveloppement. Il est moins important d'essayer de couper l'armée anglaise de la côte (KlucK, page 70). La 1re armée proposa, en conséquence, à la 2e de converser d'un commun accord vers l'Oise : la 1re armée marchant sur Compiègne - Noyon, l'aile droite de la 2e armée, sur Chauny. C'est alors qu'arriva, dans la soirée, la directive du 27 août du G. Q. G., concernant la continuation des opérations. Cette directive fixait aux armées d'aile droite, qui poussaient sans arrêt de l'avant, de nouveaux objectifs lointains et cela en direction du sud-ouest, donc dans une direction différente de celle proposée par la 1re armée, qui, elle, voulait marcher vers le sud-est. Il devait en résulter bientôt un désordre funeste de conceptions et de mesures.

D'après Kluck, " la directive du G. Q. G. (pour la 1re armée : marche vers la basse Seine par la rive ouest de I'Oise; n'excluait pas la possibilité d'une conversion face au sud, telle que celle qu'avait envisagée la 1re armée, dans le cas où elle paraîtrait nécessaire d'après la situation générale " (Kluck, page 71).

Mais, dès le lendemain, 29 août, l'aile droite de la 1re armée eut à livrer de durs combats, sur un large front, à l'est d'Amiens, contre l'armée d'Amade : IVe C. R. au nord de la Somme, IIe C.A. et 2e C. C. entre Somme et Avre. Dès ce jour-là, on identifia, au cours de ces affaires, le 7e C. A. français et des chasseurs alpins. Des prisonniers déclarèrent que, venant d'Alsace, ils avaient été débarqués depuis plusieurs jours dans la région d'Amiens. On identifia, en outre, les 61e et 62e D. R., les 81e, 82e, 84e et 88e D. T., donc une armée. Mais le 30 août, quand l'aile droite de la 1re armée chercha à attaquer cette armée, au delà de l'Ancre et de l'Avre, en l'enveloppant, elle avait disparu.

 

 

La 2e armée fit savoir, par contre, que la 5e armée française avait pris l'offensive et que l'attaque principale ennemie s'était orientée en direction de Saint-Quentin. " Le commandement de la 1re armée estima, alors, qu'il pourrait être nécessaire d'abandonner la direction du sud-ouest suivie jusqu'alors, pour prendre celle du sud et même du sud-est, mais seulement si la situation de la 2e armée exigeait un appui immédiat " (Kluck, page 75).

Malheureusement, l'armée ennemis, qui se trouvait dans la région d'Amiens, ne fut plus du tout surveillée. Ni l'aviation ni la cavalerie n'établirent dans quelle direction et comment elle avait disparu. Le IVe C. R. la suivit bien jusqu'à Amiens ; mais là il conversa vers le sud, conformément aux ordres reçus, et atteignit, le 31, Ailly au sud d Amiens. Le IIe C. A. et le IV C.R. continuèrent bien à assurer la couverture face à l'ouest, mais le contact avec les forces ennemies de cette région ne fut ni cherché ni établi.

Le 30 août, au soir, la 2e armée avait envoyé le radio suivant : Pour exploiter complètement le succès obtenu, il est instamment désirable que la 1re armée converse sur La Fère - Laon autour de Chauny comme pivot ".

La 1re armée conversa alors, le 31 août, face a l'Oise, ,mais en se dirigeant plus au sud, sur Compiègne - Noyon, pour devancer davantage l'ennemi sur son flanc. Le G. Q. G. approuva formellement cette décision : " Les mouvements amorcés par la 1re armée sont conformes aux intentions du G. Q. G. " (radio arrivé le 31 août de bonne heure).

Ainsi donc, chez le G. Q. G. également, pas le moindre souci pour le flanc ouest : pas de question pour savoir ce que l'on continuait à faire contre l'armée d'Amade ; pas de demande d'explication pour savoir si le nouveau mouvement en direction du sud-ouest (? sud-est ?)- mouvement qui faisait place à la marche en direction du sud ordonnée deux jours auparavant - était définitif ou provisoire. Tout continua à se dérouler à une allure précipitée. Le G. Q. G., la 1re armée, la 2e armée, étaient d'accord pour espérer que l'on pourrait encore enfin accrocher en flanc l'ennemi qui semblait vaincu. Dans leur hâte pour atteindre ce but, ils perdirent de vue que le moment était précisément venu de tirer sur les rênes pour retenir l'attelage. La situation de la 1re armée aurait complètement justifié cette mesure.

Les combats de la 1re armée et de l'armée anglaise avaient pris fin momentanément, avec l'occupation de la coupure de la Somme. Malgré les performances de marche puissantes des troupes de la 1re armée, les Anglais avaient échappé à l'enveloppement que cette armée s'était efforcée à nouveau de réaliser. Et maintenant, insaisissables, ils se repliaient vers le sud et reportaient leur ligne de communication du détroit vers la côte bretonne. L'avance rapide et l'offensive immédiate de l'armée allemande avaient rendu vaine la coopération des Français, des Anglais et des Belges. Au moment de passer la Somme, la 1re armée, victorieuse, avait déjà parcouru en quatorze jours de marche et de combat, sans prendre un jour de repos, plus des deux tiers de la distance qui, sur l'arc de cercle passant par Bruxelles, la séparait de Paris. Tout ce qu'il était possible de faire pour assurer son ravitaillement et sa sûreté était fait. Mais ses pertes dues aux marches et aux combats étaient sensibles. Elle était obligée d'économiser ses munitions. La brigade laissée à Bruxelles manquait au IVe C. R. Les hommes des parcs et convois avaient dû s'armer de fusils et carabines, en raison de l'attitude hostile de la population belge et de l'étendue considérable de la région populeuse du nord de la France, que l'armée laissait derrière elle sans surveillance. Il aurait fallu arrêter cette marche trop rapide. La sonnerie : " Halte pour toutes les troupes " aurait été, à la fin d'août, le signal opportun, le signal qui aurait dissipé la crise que l'on traversait.

LA 2e ARMÉE

 

La victoire de la Sambre avait coûté 11.000 hommes à la 2e armée, mais celle-ci estimait que les pertes de l'ennemi étaient doubles des siennes et évaluait à 4.000 prisonniers et 35 canons le butin qui avait été fait par ses trois seuls corps de gauche.

Le 25 août, Namur était aussi tombé aux mains des Allemands. Le colonel-général von Bülow ordonna, en conséquence, pour le 25 août, de poursuivre sans répit l'ennemi battu en direction du sud-ouest. Les corps d'armée continuèrent également cette poursuite les jours suivants, avec la plus grande énergie et sans arrêt, jusque sur le champ de bataille de Saint-Quentin (29 août), en faisant exécuter à leurs troupes des performances de marche brillantes.

En cette occurrence, " l'idée directrice fut toujours de laisser suffisamment de liberté, de mouvement aux 3e, 4e et 5e armées, pendant la grande conversion de l'armée allemande. On espérait, en même temps, que l'on pourrait arriver peu à peu à déborder l'ennemi sur son flanc gauche, au cours de la poursuite " (Bülow, page 29).

Mais l'exécution de ces mouvements donna lieu à des frottements. La 1re armée, redevenue indépendante contre le gré du colonel-général von Bülow, chercha à envelopper les Anglais par la droite. La 3e armée, par contre, prit une direction sud plus marquée, ce qui ne convenait pas, à la 2e armée, désireuse de ne pas laisser un vide se créer dans le front. Le 27 août, la 3e armée fit savoir par radio que la 4e armée était engagée dans un violent combat au sud de Sedan, et qu'elle demandait instamment l'intervention de la 3e armée. Celle-ci voulut alors converser vers le sud-est et demanda à la 2e armée de couvrir son aile droite.

La 1re armée décida, elle aussi, ainsi qu'elle en fit part, de continuer le 28 août sa poursuite débordante de l'armée anglaise. Le colonel-général von Bülow craignit alors que la coopération des trois armées de l'aile conversante ne fut compromise par ces mesures.

Devant son propre front, la situation n'était pas éclaircie. Des forces ennemies étaient signalées sur l'Oise supérieure, dans la région de Guise, mais on ne savait pas s'il s'agissait d'arrière-gardes ou de forces plus importantes. Au cours de la journée du 28 août, l'ennemi se replia derrière l'Oise, et la 2e armée disposa ses troupes en vue d'attaquer, le 29, la forteresse supposée de La Fère.

La directive du G. Q. G., arrivée le 28 au soir, prescrivait à la 2e armée de se porter, au delà de la ligne La Fère - Laon, sur Paris : la direction de marche suivie jusqu'alors par l'armée était donc conforme aux intentions du G. Q. G.

Mais, le 29 au matin, alors qu'elle se portait en direction de La Fère, la 2e armée se heurta contre toute attente, à l'est de Saint-Quentin, dans le coude de l'Oise, à une contre-offensive énergique de forces françaises importantes. Devant les deux seuls corps de gauche (Xe G. A. et Garde), on identifia trois corps d'armée français. L'ennemi s'avança tout d'abord victorieusement dans la brèche qui existait entre les corps du centre (Xe C. R. et Xe C.), jusqu'à ce que la 13e D. I., venant de Maubeuge, eût comblé cette brèche. La 2e armée demanda aux armées voisines d'intervenir dans la bataille. Mais la 3e armée était déjà engagée et un radio, entendu par la 2e armée, indiquait que la 4e armée lui avait en outre demandé instamment de venir à son aide.

La 1re armée ne pouvait pas, elle non plus, appuyer directement la 2e armée avant le lendemain. Elle mit toutefois son corps de gauche, le IXe, à sa disposition, à l'ouest de Saint-Quentin. Ce corps d'armée avait déjà reçu directement de von Bülow l'ordre de marcher, le 30, sur Origny par Saint-Quentin. Il devait donc s'intercaler directement dans l'aile droite de la 2e armée. En fait, l'artillerie de la 17e D. intervint seule le lendemain dans le combat de la 2e armée, sur la rive ouest de l'Oise. L'ordre d'attaque de l'armée française tomba aux mains des troupes allemandes, avec les papiers d'un officier d'état-major français prisonnier et fut encore remis, le 29 au soir, au commandant de la 2e armée à Saint-Quentin. C'est dans la direction de cette ville que devait avoir lieu l'attaque principale de l'ennemi. L'attaque violente et répétée de l'armée française fut brisée, le 30 août, devant tout le front de la 2e armée. Vers midi, l'aile gauche de cette armée passa à la contre-attaque. Avant la tombée de la nuit et malgré le grand épuisement des troupes, la 2e armée tout entière se lança à la poursuite de l'ennemi, qui battait en retraite sur Laon et La Fère. Les pertes de la 2e armée (6.000 tués et blessés, dont 240 officiers) furent visiblement et de beaucoup dépassées par celles de l'ennemi, qui perdit en outre 2.000 prisonniers et un riche matériel.

La 2e armée demanda, à 6 heures du soir, par T. S. F., à la 1re armée " de converser face à La Fère - Laon, autour de Chauny comme pivot, pour exploiter complètement le succès remporté. "

La 1re armée répondit, dès le soir même (7 heures) par T. S. F., qu'elle se porterait, le 31, vers la partie du cours de l'Oise comprise entre Compiègne et Noyon. Il faut dire, toutefois, que la 2e armée ignorait encore complètement l'existence de forces ennemies importantes devant le front et sur le flanc de la 1re armée. Celle-ci exécuta effectivement, le 31, la conversion en direction du sud qu'elle avait annoncée, afin d'intervenir ensuite, par une action de flanc, dans la décision principale qui se passait sur le front de la 2e armée.

Le G. Q. G. approuva cette décision par un message de T. S. F. (du 31 août au matin) :

" 3e armée a conversé vers le sud, face à l'Aisne, elle attaque au delà de Rethel - Semuy et poursuivra en direction du sud. Les mouvements amorcés par les 1re et 2e armées sont conformes aux intentions du G. Q. G.. Coopérer avec la 3e armée. Aile gauche de la 2e armée en direction approximative de Reims ". De l'avis de la 2e armée, " le G. Q. G. renonçait ainsi définitivement au mouvement en direction sud-ouest précédemment prescrit et donnait aux 2e et 3e armées une direction de marche nettement sud " (Bülow, page 43).

La 2e armée employa la journée du 31 août à préparer l'attaque de la soi-disant place de La Fère. Ce ne fut que le 1er septembre, à midi, que l'on se rendit compte que La Fère était évacuée. La 2e armée amorça aussitôt l'attaque des ouvrages de Laon.

C'est alors qu'elle reçut, à 14 h. 30, le radio suivant du G. Q. G. : " 3e, 4e et 5e armées engagées dans un dur combat contre des forces supérieures. Aile droite de la 3e armée près de Château-Porcien sur l'Aisne.

" Il est instamment désirable que l'aile gauche de la 2e armée se porte dans cette direction et qu'elle intervienne encore, si possible, aujourd'hui même avec de la cavalerie ".

La 2e armée se porta aussitôt (3 heures soir) dans cette direction avec le Xe C. A. et la Garde. Mais elle reçut à 6 h. 45 du soir, un radio de la 3e armée, daté de 1 h. 40 soir et ainsi conçu :

Ennemi en retraite devant la 3e armée. Nous poursuivons à droite jusqu'à Aussonce ".

Les têtes de colonne du Xe C. A. et de la Garde furent alors ramenées aussitôt en direction du sud et poussées, la nuit suivante, jusqu'à Bourg-Pontavert sur l'Aisne.

Entre temps, Laon avait été aussi occupée sans combat.

La 2e armée décida, pour la journée du 2 septembre, de continuer la poursuite jusqu'au delà de la Vesle, en faisant passer son aile gauche par la place de Reims, qui devait être sommée de se rendre ou bombardée.

Cette décision se trouva coïncider avec l'ordre du G. Q. G. qui arriva par la suite, et qui faisait connaître que la 1re armée passait à l'ouest et près de Soissons, tandis que la 3e armée, passant à gauche et près de Reims, continuait à marcher sur Châlons.

Pendant la période du 29 au 31 août, on avait encore une fois laissé échapper l'occasion d'encercler la 5e armée française, et cela par suite de la conduite tactique de la 2e armée. La leçon de la bataille de la Sambre, où la 2e armée avait chassé trop tôt le gibier de la nasse qui lui avait été tendue, n'avait pas été mise a profit par le commandement de la 2e armée. Il avait été cependant renseigné, plus qu'on ne pouvait l'espérer, par la situation ennemie par l'ordre d'attaque français qui était tombé entre ses mains. Il n'aurait eu qu'à se tenir sur la défensive, et le mouvement enveloppant de la 1re armée aurait conduit celle-ci en plein dans le flanc et même sur les derrières de la 5e armée française.

D'après le livre de FRENCH, 1914, le général Joffre avait, le 27 août, l'intention de tenir la ligne Reims - Amiens et de passer à la contre-offensive. Ce ne fut que parce que French maintint sa décision de continuer à battre en retraite jusqu'à la Seine, que Joffre changea son plan en conséquence. La 5e armée française garda cependant sa mission offensive. On peut donc dire que, si la 2e armée avait accepté la bataille sur la ligne Saint-Quentin - Guise - Vervins, en se tenant strictement sur la défensive, pendant que son excédent de forces se serait concentré à son aile gauche pour y constituer un coin offensif et que la 1re armée aurait fait largement converser, son IXe corps dans la direction du flanc gauche de la 5e armée française, au lieu de l'intercaler dans l'aile droite de la 2e armée, le succès aurait été certain. En fait, la 1re armée atteignit, le 31 au soir avec deux corps (IIIe et IXe), l'angle formé par l'Oise et l'Aisne en avant de Chauny - Noyon (voir croquis 4), pendant que son 2e C. C. poussait même jusqu'à Attichy, sur l'Aisne inférieure. Le IVe C. A. n'était plus qu'à une demi-étape de Compiègne. Accrochée le 30 août, sur la ligne Saint-Quentin - Guise - Vervins, la 5e armée française n'aurait donc pas pu échapper à un double enveloppement. Car, en même temps que la 1re armée aurait attaqué, l'aile gauche renforcée de la 2e armée aurait pu, elle aussi, déboucher de la zone Guise - Vervins et se porter par surprise sur Marle. Le résultat aurait été encore bien plus considérable, si le Corps de réserve de la Garde, qui attendait toujours à Aix-la-Chapelle son enlèvement pour le front oriental, était demeuré dans les rangs de la 2e armée.

Il se peut même qu'à ce moment-là les Anglais eussent fait front à nouveau pour dégager leur allié trop fortement pressé. Les forces encore disponibles de la 1re armée (IVe C. A., IIe C. A. et IVe C. R.) auraient été encore certainement suffisantes pour lutter contre eux, d'autant plus que la nouvelle armée française d'Amiens avait complètement évacué le champ de bataille.

Le général de l'artillerie von Stein dit, à propos de mon ouvrage sur la bataille de la Marne, que le général von Kuhl s'était plaint à lui, en son temps, de ce que, à Saint-Quentin également, le colonel-général von Bülow avait attiré la 1re armée beaucoup près de la 2e et qu'il avait ainsi fait échouer l'encerclement de la 5e armée française, ce qui est parfaitement juste à mon avis. Le colonel-général von Kluck ne parle pas de cette question dans son livre.

On avait donc eu, ici aussi, la possibilité de modifier complètement la situation. Mais le désir de pousser sans cesse de l'avant et les efforts faits pour porter le coup de grâce à l'ennemi, que l'on supposait sur le point d'être désorganisé, avaient fait perdre de vue cette possibilité. Que pareille chose soit arrivée aux corps d'armée qui rivalisaient d'ardeur entre eux, et même aux armées, cela se comprend ! Mais que le G. Q. G. ne s'en soit pas aperçu à temps, lui qui était soustrait à la fièvre de la guerre et qui pesait froidement les événements loin du feu ennemi, c'est une chose qui semble aujourd'hui presque incompréhensible. Moltke a regretté, plus tard, de ne pas avoir donné l'ordre de marquer un temps d'arrêt sur l'Aisne.

Le général de l'infanterie von François aurait voulu (voir : La bataille de la Marne et Tannenberg) que l'on s'arrêtât au plus tard le 4 septembre. A mon avis, toute coupure du terrain et toute date auraient été bonnes pour arrêter la course trop précipitée des armées allemandes. Certes, en agissant ainsi, on aurait aussi permis à l'ennemi de se reposer et de remettre de l'ordre dans ses unités. Mais l'essentiel était cependant de maintenir nos propres troupes en état de combattre. Or, dans la course aveugle vers la victoire finale, aucun organe de commandement n'y songea. L'ère des automobiles et du téléphone rendit les grands chefs et leurs auxiliaires insensibles aux exigences vitales de la masse des troupes, qui, elle, n'avait que ses poumons et ses jambes. C'est là, d'après les avis des combattants du front, - avis que je résume ici, - une des causes fondamentales de l'échec de la marche des armées allemandes sur Paris marche unique dans l'Histoire.

Après cette parenthèse, il nous faut encore, avant d'aller plus loin, décrire les mouvements des trois autres armées allemandes du front ouest, pendant les derniers jours d'août.

 

LES 3e, 4e ET 5e ARMÉES.

Le 24 août, après avoir forcé le passage de la Meuse de part et d'autre de Dinant, la 3e armée avait entamé la poursuite en direction du sud-ouest ; la division lancée pour devancer l'ennemi par la gauche avait échoué dans sa tentative, en raison de l'impossibilité où elle s'était trouvée de franchir la Meuse au sud de Givet sans matériel de pont. Ne comptant plus que trois corps d'armée, par suite du départ du XIe C., dépourvue de cavalerie d'armée, et affaiblie d'une autre division par l'attaque de Givet, qui tomba le 31 août, la 3e armée rejeta, de coupure en coupure, au cours de combats journaliers, les forces habilement groupées devant son front par le haut commandement français. Le commandement de la 3e armée reconnut, dès le début, qu'il avait affaire à une retraite méthodique et en rendit compte en conséquence.

A partir du 25 août, la 4e armée française opposa, sur les puissantes positions des hauteurs sud de la Meuse, de part et, d'autre de Sedan, une nouvelle et énergique résistance à la 4e armée allemande qui la pressait.

Le 27 août, après une attaque frontale de trois jours, très coûteuse, dans la région de Sedan, la 4e armée allemande demanda l'appui de la 3e armée qui, après avoir conversé peu à peu vers le sud, venait d'arriver à l'ouest de Mézières, à la hauteur de la 4e armée allemande.

Mais le G. Q. G. prescrivit à ce moment-là à la 3e armée, par T. S. F. (radio arrivé à 10 h. 35 du soir), et en conformité avec sa directive générale du même jour qui arriva le lendemain matin à cette armée de continuer à marcher en direction du sud-ouest.

La 4e armée renouvela néanmoins, le lendemain 28 août, à plusieurs reprises et avec insistance, sa demande de secours : la 3e armée conversa alors, dès le soir même, vers le sud-est avec son corps du centre (XIIe C.) et son corps de gauche (XIXe C.), et, bien que des forces ennemies puissantes eussent été aussi identifiées devant son propre front dans la région de Rethel, elle continua également, le 29, son mouvement en direction sud-est pour soulager la 4e armée engagée dans une lutte difficile.

C'est alors qu'à 4 heures du soir, la 2e armée demanda, elle aussi, l'appui de la 3e armée en direction de Vervins. Son aile gauche (Xe G. et Garde) était engagée sur la rive sud de l'Oise, à l'ouest de cette ville.

Le commandant de la 3e armée fut obligé de refuser, parce qu'il était déjà lié à gauche. Cependant, c'était à droite cette fois-ci, en se portant sur Marle - Laon et non pas sur Vervins, comme l'exigeait Bülow avec sa tactique du " coude à coude ", qu'on aurait pu remporter un grand succès. Est-ce que le cri d'appel que von Bülow avait lancé dans la nuit du 23 août, cri d'appel qui avait attiré la 3e armée vers l'ouest et l'avait éloignée de la victoire qui s'annonçait pour elle en direction du sud-ouest, eut encore, en ce moment-là, de l'influence sur le commandant de la 3e armée ? Quoi qu'il en soit, il est certain qu'une autorité supérieure aurait dû prendre la décision radicale d'engager en temps utile la 3e armée tout entière dans l'une ou l'autre direction. C'est en continuant à marcher résolument droit devant elle, que la 3e armée aurait apporté l'aide la plus simple et la plus efficace à ses deux voisines, non seulement ce jour-là, mais encore avant et après. C'eût été là une solution à la Schlieffen, solution à laquelle le général de l'infanterie von Kuhl fait également allusion.

La 4e armée fit d'ailleurs savoir, le 29 août au soir, à la 3e armée, que devant son front l'ennemi se repliait en direction du sud-ouest et lui demanda " de pousser sur Rethel - Attigny où l'attendait un grand succès ".

Mais, faute d'un organe de direction supérieur dirigeant d'une main ferme l'ensemble des opérations, il n'y eut pas d'unité de vue dans la lutte engagée contre la 4e armée française, qui, en résistant énergiquement sur la Meuse pendant trois jours dans la région de Sedan, s'était mise cependant dans les conditions les plus favorables pour qu'on tentât de l'envelopper ou tout au moins de la rejeter vers l'est et le sud-est. La situation et les effectifs des 3e et 4e armées allemandes, réunies dans ce but, auraient garanti le succès de cette opération.

La 4e armée française et les faibles forces qui se trouvaient à sa gauche devant la 3e armée allemande, échappèrent à l'étreinte des deux armées allemandes qui les poursuivaient de front.

A la fin d'août, le G. Q. G. français parvint à rassembler sur l'Aisne des forces suffisantes devant le coin formé par la 3e armée allemande, coin qui était particulièrement menaçant à son avis, parce qu'il frappait sans cesse dans la brèche qui séparait ses 4e et 5e armées. Le gros de ces forces avait été prélevé sur l'aile gauche de la 4e armée et avait été placé, le 29 août, sous les ordres du général Foch. Dès le 25 août, un ordre avait prescrit de regrouper l'armée franco-anglaise sur la ligne Verdun Paris située fortement en arrière.

Mais, ainsi que nous l'avons déjà dit, Joffre avait décidé brusquement, le 26 août, et déclaré au général French le 27, que l'on s'arrêterait déjà sur la ligne Reims - Amiens et que l'on passerait à la contre-offensive. Ce fut uniquement parce que French ne voulut pas renoncer à replier l'armée anglaise jusqu'à la Seine que Joffre décida de continuer sa retraite stratégique jusqu'à la ligne Verdun - Paris.

Aussi la résistance opiniâtre que la 3e armée allemande rencontra sur l'Aisne, les 30 et 31 août, ne fut-elle, du côté français, qu'un combat destiné à gagner du temps. Manœuvrant avec une habileté extrême, les fortes arrière-gardes françaises se firent refouler de coupure en coupure par la 3e armée, en utilisant à fond leur artillerie dont la portée était considérable et qui était employée d'une façon excellente.

Livrant des combats incessants, la 3e armée se rapprocha prudemment, le 30 août, de la coupure de l'Aisne dans la région de Rethel. Elle demanda et obtint du G. Q. G. l'autorisation d'attaquer face au sud, au lieu de continuer à marcher en direction du sud-ouest, avec Laon pour objectif de son aile droite.

A gauche de la 3e armée, la 4e armée allemande se heurta, elle aussi, à une nouvelle et sérieuse résistance, qui s'étendit vers l'est, dans le secteur de la 5e armée, jusqu'à la Meuse aux environs de Verdun.

La 3e armée française avait commencé, en effet, à résister devant la 5e armée, sur les hauteurs de la rive gauche de la Meuse, entre Stenay et Verdun. La 5e armée avait alors forcé les 26 et 27 août, le passage de la Meuse à Dun et à Stenay avec son aile droite, pendant que son aile gauche la couvrait face à Verdun, où l'ennemi rassemblait des forces toujours plus importantes contre son flanc gauche.

La 5e armée parvint à s'emparer, le 31 août, au prix de durs combats, des hauteurs de la rive gauche de la Meuse. Sa tâche aurait été sérieusement facilitée, si le Ve C. A. était demeuré dans ses rangs. Au lieu de cela, ce corps d'armée resta inemployé pendant cinq jours, qu'il passa à aller à Thionville et à en revenir et à attendre son enlèvement pour le front oriental.

La 4e armée intervint dans la pénible lutte de la 5e armée, en l'appuyant avec son corps de gauche et le G. Q. G. signala, dès le 31 août au soir, aux 3e et 4e armées : " qu'étant donné le dur combat livré par la 5e armée au nord de Verdun, il était indiqué que les 3e et 4e armées continuent sans arrêt à pousser de l'avant ".

La 4e armée française cessa alors de résister à la 4e armée allemande dans le coude de l'Aisne, à l'ouest de Vouziers. Mais elle ne se sentit nullement vaincue - on s'en rendit parfaitement compte du côté allemand. Cette fois encore, tout comme à Sedan, elle n'avait rompu le combat que par ordre supérieur et pour se conformer au mouvement de repli méthodique et général de l'armée française.

La 3e armée allemande fut obligée de combattre jusqu'au 31 août au soir, pour franchir la coupure de l'Aisne de part et d'autre de Rethel. Ces deux jours de lutte, par une chaleur effroyable, avaient imposé à ses troupes des efforts extraordinaires. Son corps de gauche, le XIXe, n'avait pas pu gagner de terrain au nord d'Attigny - Semuy, au contraire, il n'avait résisté qu'avec peine aux attaques ennemies. Son voisin de gauche, le VIIIe C. de la 4e armée, qui n'était cependant pas accroché par l'ennemi, ne l'avait pas soutenu, fait encore sans précédent dans cette guerre. Le colonel-général baron von Hausen s'est d'ailleurs plaint, lui aussi, dans son livre (page 165) : " que la 4e armée soit demeurée à nouveau sur la réserve, en particulier les 31 août et 1er septembre, alors qu'il était tout indiqué pour elle de coopérer avec la 3e armée".

 

L'ennemi depuis le début de la guerre.

 

Une obscurité complète avait régné jusqu'alors sur les intentions des hauts commandements français et anglais. En dehors d'un renseignement d'agent non confirmé, le G. Q. G. en avait été réduit aux comptes rendus de ses armées. La presse ennemie demeurait silencieuse, et il en était de même des prisonniers et de la population.

On était parvenu, néanmoins, à se faire une idée d'ensemble exacte de ce qui s'était passé jusqu'alors chez l'ennemi.

D'après cette idée, l'armée française de l'Est s'était concentrée, au début de la guerre, avec 85 divisions d'infanterie et 10 divisions de cavalerie, entre Belfort et Mézières. L'armée des Alpes avait été rameutée immédiatement auprès d'elle. La marche en avant devait commencer aussitôt la concentration terminée.

Le plan de concentration officiel français tenait compte de la neutralité belge. Mais, dans la réalité, la concentration française s'est effectuée d'après la " variante " prévue pour le cas où les Allemands envahiraient la Belgique. Il faut dire, toutefois, que cette variante n'envisageait, elle aussi, que le cas d'une avance allemande à l'est de la Meuse, à cause de la présence des places de barrage de Liége, Namur et Givet.

Conformément au plan prévu, le 7e C. A. fut le premier à entrer en action pour détourner l'attention des Allemands : partant de Belfort, il pénétra en Haute-Alsace avec la 8e D. C. et occupa Mulhouse le 8 août, mais il fut contraint, dès le lendemain de battre en retraite. Le 15 août, le groupement de Belfort qui avait été porté entre temps à cinq divisions et à cinq bataillons de chasseurs alpins, reprit l'offensive sous les ordres du général Pau, et occupa à nouveau Mulhouse le 19 août. Il fut ensuite tenu en échec par de faibles détachements de landwehr et d'ersatz prussiens.

Les 1re et 2e armées françaises commencèrent à peu près en même temps (14 août) leur offensive en direction de Sarrebourg et de Saarebruck. Battues, du 20 au 22 août, dans la grande bataille de Lorraine, les deux armées reculèrent en désordre derrière la Meurthe, ainsi que l'avouent les rapports français eux-mêmes. Elles avaient cependant atteint leur but, malgré leur défaite tactique. Elles accrochaient, en effet, des forces allemandes importantes et, derrière leur front fortifié Nancy Epinal, conservaient toute liberté d'action pour effectuer des déplacements de force.

Le plan de Joffre était de percer le centre allemand entre Metz et le Luxembourg belge. Les vastes manœuvres débordantes que les Allemands pouvaient entreprendre en traversant, la Belgique ne lui parurent qu'une raison de plus d'agir dans ce sens. Il renforça en temps opportun son aile de choc (3e, 4e et 5e armées). La 3e armée reçut des divisions de réserve, la 4e armée une division du 9e C. A. (2e armée) et la division marocaine, la 5e armée, les trois divisions du groupe de divisions de réserve de gauche, deux divisions d'Afrique et tout le 18e C. A.

Le but stratégique à atteindre était fixé jusqu'au Rhin ; à droite, la 3e armée devait couvrir, face à Metz-Thionville.... le groupe de choc principal. L'aile gauche (5e armée), agissant de concert avec les Anglais et les Belges, devait soutenir, dans la mesure de ses forces, le groupe de choc central (4e armée). On constitua en outre, à partir du 17 août, sur la ligne Toul - Verdun, pour couvrir l'attaque face à Metz et pour investir cette place, un groupement spécial, dit " armée de Lorraine ", aux ordres du général Maunoury, que l'on poussa sur Metz.

La 3e armée, se portant de la région nord de Verdun sur Arlon par Longwy, et la 4e armée marchant de Sedan sur Neufchâteau devaient attaquer le gros des forces allemandes. Tout cela était très simple et nettement défini quant au but. C'est alors que des nuages d'orage apparurent brusquement à l'horizon, entre Namur et Bruxelles. Joffre estima tout d'abord qu'ils n'étaient pas dangereux. Mais Lanrezac fut d'un autre avis. Il obtint l'autorisation de pousser son 1er C. A. sur la Meuse, de part et d'autre de Dinant ; puis, à partir du 15 août, il porta son armée tout entière dans l'angle entre Sambre et Meuse.

L'offensive principale devait commencer le 21 août. Mais les Belges s'étaient repliés entre temps sur Anvers, et les Anglais n'étaient pas encore prêts. Ils devaient être concentrés pour le 18 août au sud de Maubeuge, mais ce ne fut que le 21 qu'ils furent prêts, dans cette région, à se porter en avant. Ils n'envoyèrent tout d'abord en France que quatre divisions d'infanterie au lieu de six et une division de cavalerie, soit au total, en fait de troupes combattantes, 100.000 hommes en chiffres ronds. Leur transport par mer sur le Havre se fit sans incident. La flotte anglaise couvrit ce transport du 9 au 23 août, en occupant les deux extrémités du détroit. Cinq divisions furent débarquées jusqu'à cette date. La 6e suivit au début de septembre.

French arriva le 17 août au Cateau ; le 20, la concentration de l'armée anglaise était terminée au sud de Maubeuge. Le 22, elle était prête, derrière le canal du Centre, de Binche à Condé, à se porter en avant.

Mais French, qui était demeuré complètement indépendant et qui avait reçu l'indication de ne pas risquer ses troupes plus que cela n'était nécessaire, rejeta, sous prétexte que " trois corps d'armée allemands marchaient sur lui " la demande de Lanrezac l'invitant à une offensive commune et demanda, en outre, que le corps de cavalerie Sordet fut porté à son aile gauche. Ce dernier, sérieusement épuisé par sa marche à travers la partie sud-est de la Belgique où il avait pénétré le 6 août, était demeuré jusqu'alors à Binche, à la droite des Anglais.

La bataille de la Sambre s'était allumée sur ces entrefaites le 22 août. Ce furent tout d'abord les deux corps avancés de Lanrezac qui furent attaqués ; 10e C. A., à droite, à Fosse ; 3e C. A., à gauche, à Charleroi. Le 3e C;. A. subit une grave défaite, dans laquelle le 18e C. A., débarqué depuis le 18 en arrière et à gauche du 3e, fut entraîné le lendemain. Lanrezac lui-même fut indigné de la " faiblesse honteuse " dont certaines unités avaient fait preuve. Les deux divisions du groupement de réserve qui lui avait été attribué - divisions qu'il venait seulement de pousser en avant - furent entraînées, elles aussi, dans la retraite de son aile gauche.

Le 1er C. A., qui avait tenu la ligne de la Meuse de part et d'autre de Dinant jusqu'au 22 août, fut relevé dans cette région par la 51e D. R., avant le déclenchement de l'offensive allemande; mais il fut obligé d'intervenir partiellement le 23 août pour soutenir cette division et ne servit, à vrai dire, nulle part.

Le 23 août au soir, Lanrezac se replia, contrairement à l'ordre de Joffre, jusqu'au delà de la ligne Philippeville - Maubeuge pour éviter " un nouveau Sedan ".

Quant aux 3e et 4e armées françaises, elles s'étaient déjà heurtées dès la veille, après une courte marche en avant, à un ennemi beaucoup plus fort que Joffre ne l'avait supposé et qui venait lui-même à leur rencontre : elles avaient été repoussées.

Il ne restait plus au commandant en chef français qu'à donner des objectifs de retraite à chacune de ses armées.

Je ne veux pas manquer, pour tranquilliser le lecteur allemand, de signaler ici formellement que, d'après le récit des spécialistes français, nos adversaires ont connu exactement les mêmes frictions et les mêmes insuffisances que nous avons déjà constatées du côté allemand et qui furent les phénomènes malheureux qui accompagnèrent nos premières grandes opérations.

Pendant les premières grandes batailles, il n'y eut presque aucune liaison entre les armées françaises.

L'existence de l'armée Maunoury fut d'autant moins soupçonnée de ses voisines que cette armée de Lorraine demeura complètement inactive pendant cette période décisive.

Le G. Q. G. français était, lui aussi, demeuré trop en arrière, à Vitry-le-François. Joffre fut obligé d'avouer l'échec de son offensive : " Nos corps d'armée, malgré leur supériorité numérique, n'ont pas montré en rase campagne les qualités offensives que nous avaient fait espérer les succès partiels du début. Nous sommes, par suite, contraints à la défensive, en nous appuyant sur nos places et sur de fortes coupures du terrain " (KUHL, page 63).

Le général de l'infanterie von Kuhl a détruit, dans son livre la légende qui veut que Joffre se soit dérobé méthodiquement, pendant la dernière décade d'août, à une bataille décisive pour nous attirer derrière lui jusqu'à ce que nous ayons modifié notre dispositif : " Nous avions remporté, de Mulhouse à Mons, une grande victoire dans les batailles décisives recherchées de part et d'autre. Les Français avouent " leur lourde défaite ". Le rapporteur de la commission d'enquête française sur les travaux d'avant-guerre et les débuts de la guerre conclut son rapport en disant : " qu'après la retraite générale des armées françaises, la route de Paris était ouverte aux Allemands ". Dans la nuit du 24 au 25 août, le ministre de la guerre ordonna au général Joffre d'envoyer à Paris une armée de trois corps d'armée actifs au moins pour protéger la capitale , (KUHL, page 63).

Certes, notre ennemi de l'Ouest avait été sérieusement battu. Mais il s'était dérobé à temps à une bataille d'anéantissement. Le comte Schlieffen comptait que, dans ce cas, il offrirait une nouvelle résistance derrière l'Oise, la Marne ou la Seine et déclarait qu'il faudrait alors l'envelopper par l'ouest de Paris. Il estimait que sept corps d'armée étaient nécessaires pour cette, opération. Est-ce que le G. Q. G. de 1914 y a songé ? S'il en avait été ainsi, n'aurait-il pas fait, dès ce moment-là, tout ce qu'il était humainement possible de faire pour renforcer l'aile droite de notre armée ?

 

Le G. Q. G. après les batailles de la fin d'août..

 

Le tableau qui s'offrit au G. Q. G., à la suite des nouveaux combats qui avaient été livrés dans les derniers jours d'août, sur la Meuse, l'Aisne, l'Oise et l'Avre, donnait à réfléchir. Il renversait tout d'abord l'hypothèse, jusqu'alors admise, que la retraite continue de l'ennemi " ressemblait à une fuite " (Tappen, page 22). Tappen a dit à ce sujet que " les décisions du G. Q. G. avaient été influencées par les comptes rendus des armées, qui souvent n'avaient pas été complètement exacts, et que l'idée qu'il pouvait s'agir d'un repli méthodique n'avait été exprimée que très rarement ". Or, il ressort des archives de guerre (comptes rendus, ordres, etc.) que, seul, le commandement de la 2e armée a été d'avis que la retraite française avait l'allure d'une fuite. Les commandements des 1re et 3e armées étaient, eux, d'un avis formellement opposé.

Le G. Q. G. s'était toujours prononcé jusqu'alors en faveur d'une marche en avant ininterrompue, poussée même au delà des coupures de terrain les plus difficiles. Ces coupures avaient toutes été franchies, presque sans combat et sans pertes sérieuses, immédiatement sur les talons de l'ennemi en retraite.

Il n'est pas douteux que les commandants des trois armées d'aile droite auraient dû; au plus tard après l'arrivée de l'ordre de mouvement du 28 août, signaler au G. Q. G. la nécessité d'économiser les forces des hommes. Dés le 27 août au soir l'énergique commandant du XIXe C. avait rendu compte à la 3e armée, comme c'était de son devoir, " que, devant les efforts de marche imposés jusqu'alors aux troupes, il ne pouvait plus garantir que son corps d'armée arriverait sur le champ de bataille en état de combattre ". Or, ce même devoir incombait aussi, à un plus haut degré encore aux commandants de corps d'armée des 1re et 2e armées, qui, plus à droite, poussaient de l'avant en suivant un arc de cercle plus grand encore. Car c'était une vérité évidente que les performances jusqu'alors réalisées devaient griller fatalement le moteur surchauffé. Le IIIe C. A. fut le seul à faire des objections dans ce sens, le 4 septembre. Mais il était trop tard. Autrement rien ne fut fait dans cet ordre d'idées, peut-être dans l'hypothèse que le G. Q. G. s'en rendrait compte sans cela. L'aveuglement causé par les performances de marche exagérées qui étaient accomplies au cours des quatre ou cinq jours de manœuvres impériales allait se faire chèrement payer.

Le G. Q. G., demeuré beaucoup trop loin des armées qui poussaient sans cesse de l'avant, ne put pas constater par lui-même ce que ces armées laissaient derrière elles en fait d'hommes et de chevaux épuisés.

C'est avec raison que le lieutenant-colonel Müller Loebnitz signale, dans son Tournant de la guerre mondiale, la situation critique où se trouvait l'armée allemande de l'Ouest à la fin d'août 1914. A l'aile de choc, toutes les forces disponibles étaient en première ligne, sans aucun échelonnement en profondeur. Or, d'après le plan de Schlieffen, toutes les forces du peuple allemand capables de porter les armes auraient dû suivre cette aile. La force de volonté et le désir de vaincre de notre incomparable armée de 1914 ne pouvaient pas remplacer plus longtemps la réserve générale qui faisait défaut. Pour déborder l'ennemi en vue d'un enveloppement ultérieur, il n'y avait (deux corps de cavalerie étaient beaucoup trop à gauche) aucune masse de cavalerie à l'aile droite, là où, sans qu'on l'eût voulu et sans qu'on l'eût su, se trouvait le véritable centre de gravité de l'armée allemande de l'Ouest, et cette erreur était une conséquence du fait que le G. Q. G. n'avait pas suffisamment utilisé les forces dont il disposait. L'ennemi que l'on voulait envelopper commençait déjà à envelopper lui-même et reprenait l'initiative qu'on lui avait enlevée dans les batailles coûteuses des frontières ; il n'avait pas eu de succès, il est vrai, au début, grâce au dévouement dont nos troupes avaient fait preuve dans les combats de la fin d'août. Mais, en fait, l'aile de choc allemande était cependant sur le point de s'enliser entre Paris et Verdun, parce que les forces lui manquaient pour continuer son mouvement débordant. On s'aperçut tout aussi peu de cette situation que du renforcement de l'ennemi. En utilisant les voies ferrées et en confiant les combats d'arrière-garde à leur artillerie de campagne supérieure, nos ennemis de l'Ouest épargnèrent leurs forces ; les Français complétèrent leurs unités ; les Anglais purent même, pendant ces journées, mettre sur pied leur 3e corps d'armée, malgré les pertes qu'ils avaient subies au cours de leur retraite. Pendant ce temps, les armées allemandes, elles, continuaient à se précipiter à perdre haleine sur Paris, comme si leur but allait ainsi être atteint. Au lieu de cela, c'était le terrible sphinx qui les attendait, menaçant, avec des possibilités de danger que l'on ne pouvait nullement imaginer.

C'est en vain que l'on cherche, dans les déclarations du chef de la section des opérations du G. Q. G. allemand de cette époque, une justification de cette situation critique.

L'aveuglement avec lequel l'Empereur et Chancelier s'étaient laissés entraîner dans cette guerre de suicide contre tous les potentats de la terre , frappa aussi, dès le début des hostilités notre haut commandement naval et militaire, ainsi d'ailleurs que le cabinet militaire prussien, qui avait pour mission de mettre les hommes convenables à la place convenable et d'écarter à temps les incapables.

Certes, le colonel-général de Moltke a regretté plus tard de ne pas avoir stoppé à la fin d'août. Pendant les journées décisives du tournant d'août, le G. Q. G. ne s'est pas rendu compte de la situation critique où se trouvait son armée de l'Ouest. L'honnêteté veut, toutefois, que l'on insiste sur le fait qu'une décision, prescrivant d'arrêter la course victorieuse des armées allemandes, n'aurait été comprise ni par l'intérieur, ni par l'armée. Un haut commandement énergique aurait dû, cependant, accepter même les conséquences morales et les désavantages militaires de cet abandon de l'initiative, conscient qu'en épargnant et en renforçant l'incomparable armée allemande, il la conservait à son élément, la guerre de mouvement. Si l'aile gauche allemande, affaiblie par des prélèvements, s'était alors enlisée, elle aussi, en Alsace et Lorraine, l'aile droite n'en aurait prouvé que plus énergiquement sa supériorité, après une courte pause pour souffler.

Lorsque, le 30 août, l'armée allemande d'invasion se heurta, sur le front Verdun - Saint-Quentin - Amiens, à une contre-offensive décidée, le G. Q. G. se contenta de modifier sa direction de marche sud-ouest en une direction sud, et même plus tard sud-est, pour envelopper l'ennemi.

Bien que toute une nouvelle armée ennemie eût été identifiée sur l'Avre, près Amiens, on n'admit pas que la situation était complètement modifiée du côté ennemi. On n'envisagea pas la possibilité d'un arrêt sur l'Aisne et l'Oise, pour concentrer les forces avant la décision, qui n'était pas encore survenue, mais était pourtant imminente ; et cependant, l'échec de l'offensive de Lorraine, la guerre civile en Belgique, le flanc maritime Anvers - Ostende - qui avec sa menace inquiétante immobilisait à lui seul deux corps d'armée et avec ses nouvelles fantastiques de débarquement d'Anglais et même de Russes (80.000 hommes), maintenait le G. Q. G. dans une tension continue, le siège de Maubeuge, qui retenait un corps de la 2e armée, enfin, la nécessité de couvrir les lignes de communication dont la longueur en territoire ennemi atteignait prés de 250 kilomètres, tout incitait à rameuter de nouvelles forces vers l'aile décisive. Et cette mesure était encore entièrement réalisable.

Le 31 août, le Corps de réserve de la Garde et le XIe C. A. étaient même encore disponibles à Aix-la-Chapelle, Malmédy, Saint-Vith. La nouvelle de la victoire de Tannenberg était faite pour rassurer pendant quelque temps sur la situation du front oriental. A l'Ouest, le fait que l'ennemi regroupait ses forces créait une situation toute nouvelle. Le transport par voie ferrée du 7e C. A. français, de Lorraine vers Amiens, avait été signalé au G. Q. G. dès la nuit du 29 au 30 août et non pas seulement au début de septembre, comme Tappen le dit inexactement. C'est là un point capital pour apprécier la conduite du G. Q. G.

Il était encore possible de faire roquer la 6e armée vers la droite, comme le voulait Schlieffen, en l'amenant par Metz, face à la ligne Verdun - Toul. Ce mouvement n'aurait demandé que quelques jours. La 5e armée aurait été alors libérée du fardeau de l'investissement de Verdun, et ses cinq corps auraient renforcé l'aile de choc de la façon la plus rapide, la plus simple et la plus efficace. Si les 5e, 4e, 3e et 2e armées avaient alors appuyé peu à peu d'un front d'armée à droite, au cours de leur mouvement en avant, pendant qu'à l'extrême droite la 1re armée se serait arrêtée en s'échelonnant en arrière pour couvrir le flanc droit, le regroupement de l'aile de choc - regroupement devenu nécessaire - aurait pu être réalisé en six jours. Pendant ce temps, le Corps de réserve de la Garde et le XIe C. A., devenus réserve de G. Q. G., auraient déjà pu atteindre la région ouest de Mézières. Ils auraient pu ensuite rejoindre complètement l'armée, au plus tard pendant la bataille qui était imminente, si le G. Q. G. avait réduit la vitesse de marche ultérieure de cette armée en lui faisant marquer un temps d'arrêt sur l'Aisne, l'Oise et la Marne, etc... Le lieutenant-colonel Foerster, l'interprète de Schlieffen, signale, lui aussi, l'importance, peut-être décisive, qu'une percée de la ligne de la Meuse entre Verdun et Toul aurait eue sur la campagne. D'après lui, il aurait été encore temps, le 4 septembre, de stopper et de modifier la conduite des opérations dans le sens voulu par Schlieffen.

Au lieu de cela, le G. Q. G. se contenta de retenir son le front occidental les quatre corps du centre et d'aile gauche, qui étaient destinés au front oriental et qui étaient déjà retirés du front. Mais il laissa partir le Corps de réserve de la Garde et le XIe C. La malchance commençait.

D'accord avec Kluck et Bülow, le G. Q. G. continuait toujours à espérer qu'on pourrait arrêter l'ennemi en l'enveloppant par la droite et qu'il serait possible de le refouler vers le sud-est. Il déclara formellement, le 3O août, aux 1re et 2e armées qu'il approuvait leur conversion face au sud-est. Cette déclaration amena la 1re armée à supposer que le G. Q. G. avait renoncé définitivement à marcher en direction du sud-ouest, comme on l'avait fait jusqu'alors, tandis que la 2e armée admit, elle, que cette direction de marche n'était abandonnée que d'une façon toute momentanée. Cette divergence de conception des 1re et 2e armées aboutit, au cours des journées suivantes, à une agglomération défavorable de ces deux armées, dont les chefs ne furent pas, malheureusement, tenus au courant par le G. Q. G. de la situation générale, et en particulier de l'insuccès de l'aile gauche allemande, et ne purent pas, non plus, de ce fait, tenir suffisamment compte de la situation générale dans leurs décisions.

Lorsque, le 4 septembre au soir, le G. Q. G. envoya enfin ses nouvelles directives, il était trop tard. La situation s'était tellement modifiée à l'aile droite, non pas sous l'action de l'ennemi, mais uniquement par suite du manque de fermeté de direction de la part du G. Q. G., que le regroupement demandé des 1re et 2e armées - conversion face à l'ouest et face à Paris au lieu de conversion face au sud-est - ne put plus réussir.

La directive du G. Q. G., en date du 5 septembre, était déjà parvenue cependant en partie, dès le 4 à 7 heures du soir, aux commandants d'armée. Son texte intégral, qui ne parvint aux Q. G. d'armées que le 5 au soir, était le suivant :

I. L'ennemi s'est dérobé à l'attaque enveloppante des 1re et 2e armées et a pris contact par des éléments avec la place de Paris. Les comptes rendus et autres renseignements reçus permettent, en outre, de conclure qu'il rameute vers l'ouest des forces provenant du front Belfort - Toul et qu'il retire également des unités du front opposé à nos 3e, 4e et 5e armées. Il n'est plus possible, par suite, de refouler toute l'armée française dans la direction du sud-est contre la frontière suisse. Il faut plutôt s'attendre à voir l'ennemi rameuter de nombreuses forces dans la région de Paris et y amener des formations nouvelles pour défendre sa capitale et menacer le flanc droit des armées allemandes.

Les 1re et 2e armées doivent, en conséquence, demeurer face au front est de Paris. Elles auront pour mission de s'opposer offensivement aux entreprises ennemies venant de la région de Paris et de s'appuyer réciproquement dans ces opérations.

La 3e armée marchera sur Troyes - Vendoeuvre. Suivant la situation, elle sera employée soit à soutenir les 1re et 2e armées au delà de la Seine, en direction du sud-ouest, soit à participer, en direction du sud ou du sud-est, à la bataille livrée par notre aile gauche.

Les 4e et 5e armées sont encore au contact de forces ennemies importantes. Elles devront s'efforcer de les refouler sans cesse vers le sud-est, ce qui aura également pour effet d'ouvrir à la 6e armée le passage de la Moselle entre Toul et Epinal. On ne peut pas encore dire si, par cette opération, elles réussiront, de concert avec les 6e et 7e armées, à acculer des forces ennemies importantes contre le territoire suisse: Les 6e et 7e armées conserveront tout, d'abord leur mission : accrocher les forces

ennemies qui leur sont opposées. Elles devront, aussitôt que possible, se porter a l'attaque de la ligne de la Moselle entre Toul et Epinal, en se couvrant face à ces places.

Sa Majesté ordonne en conséquence :

1° Les 1re et 2e armées demeureront face au front est de Paris pour s'opposer offensivement aux entreprises ennemies venant de cette région : 1re armée entre Oise et Marne, 2e armée entre Marne et Seine ; le 2e C. C. sera à la disposition de la 1re armée, le 1er G. C. à la disposition de la 2e.

2° La 3e armée marchera sur Troyes - Vendoeuvre.

3° Les 4e et 5e armées, s'avançant résolument en direction du sud-est, ouvriront le passage de la haute Moselle aux 6e et 7e armées : aile droite de la 4e armée par Vitry ; aile droite de la 5e armée par Revigny. Le 4e C. C. éclairera devant le front des 4e et 5e armées.

4° La mission des 6e et 7e armées demeure inchangée J'ai ajouté jadis, dans ma Bataille de la Marne, les commentaires suivants à cette directive :

" Quel abîme infranchissable entre cet ordre du 5 septembre adressé à la 1re armée, à cette armée qui était au premier chef l'élément décisif pour tout l'ensemble de l'armée, - " Demeurer entre Oise et la Marne face à Paris ! " - et les objectifs qu'elle avait déjà atteints, le 5 septembre, sur le Grand Morin ! Ordre trop tardif, impossible a exécuter. La direction du G. Q. G., beaucoup trop éloigné du front, est de plus en plus défaillante. Le malheur commence ! "

Le général de l'infanterie von François caractérise en ces termes l'effet produit par la directive du 5 septembre (page 71 ) ; " L'ordre du G. Q. G. éclata comme une bombe au milieu des mouvements d'armées du 5 septembre, renversa tous les plans et fut le signe d'une nouvelle orientation d'idées aux conséquences les plus étendues ". Et il ajoute en un autre endroit:

" Cet ordre était une déclaration de banqueroute du plan de campagne avec lequel les armées allemandes avaient pénétré en Belgique ; un renoncement à talonner l'ennemi en défilant à l'est et près de Paris, manœuvre certes audacieuse mais non sans espérance ; une soumission pleine de respect devant Paris et Verdun. Cet ordre était marqué du sceau de l'impossibilité :

Pour la 1re armée, parce qu'elle avait déjà dépassé de trois étapes la zone de sa nouvelle mission;

" Pour la 2e armée, parce qu'elle devait exécuter une conversion de 90° face à Paris et que, dans ce mouvement, elle venait donner avec son aile gauche découverte dans la nouvelle concentration exécutée par les armées Foch et Franchet d'Esperey en vue de la bataille ;

" Pour la 3e armée, parce que son objectif Troyes - Vendoeuvre devait, au bout de peu de temps, la séparer des 2e et 4e armées et attirer sur ses deux flancs une menace que cette faible armée, dépourvue de cavalerie d'exploration, était incapable de parer ; " Pour les 4e et 5e armées, parce que l'offensive hâtive qui leur était demandée en vue d'ouvrir le passage de la Moselle impliquait l'investissement complet de Verdun, investissement qui ne pouvait pas être réalisé précipitamment et sans affaiblir la 5e armée; " Pour les 6e et 7e armées, parce que leurs troupes, en particulier celles de la 6e armée, avaient déjà fortement souffert lors de la tentative qui avait été faite pour ouvrir la trouée de Charmes et parce qu'on ne pouvait pas compter que des troupes affaiblies obtiendraient le résultat que des troupes en état de combattre n'avaient pas pu obtenir.

" Une décision de chef d'armées se bâtit sur la connaissance de la situation du parti ami et du parti ennemi : l'ordre du G. Q. G. reposait, lui, sur une méconnaissance complète de la situation de l'armée allemande et a ébranlé au plus haut point la confiance des chefs subordonnés dans le savoir du G. Q. G.

" Cet ordre eut tout d'abord pour effet extérieur de paralyser les mouvements des 1re, 2e et 3e armées. On cherchait un expédient. Mais avant qu'on l'eût trouvé, l'ennemi dit son mot. La bataille de la Marne commença " (Von François, page 69).

Depuis la publication de ma Bataille de la Marne, on m'a demandé, dans de nombreuses lettres, de résoudre le problème de la genèse de la directive du 4 septembre. Malheureusement, je n'ai rien pu établir de certain au moyen des documents du G. Q. G.

Je suppose que les idées du Q. G. ont suivi le cours suivant depuis son ordre du 27 août, prescrivant de marcher sur Paris : à la fin d'août, les combats sérieux livrés par les 4e et 5e armées montrèrent au G. Q. G. que l'ennemi n'était pas complètement battu, comme on l'avait supposé jusqu'alors. Le G. Q. G. devint hésitant dans sa décision de marcher sur Paris. La direction du sud prit une importance plus grande, d'où, le 30 août, l'autorisation donnée à la 3e armée de marcher sur Rethel c'est-à-dire vers le sud. C'était dans cette région qu'on pouvait désormais espérer remporter le succès final. Cette espérance s'accrut dans la nuit du 2 au 3 septembre, et donna lieu au radio : " L'intention du G. Q. G. est de refouler l'ennemi vers le sud-est en l'écartant de Paris ". L'opinion que l'ennemi était sur le point d'être désorganisé - opinion qui était celle des 1re et 2e armées et de leurs corps de cavalerie - avait ainsi repris barre sur le G. Q. G., qui, lui, était beaucoup trop loin pour pouvoir avoir une opinion personnelle. Les fanfares de victoire de Tannenberg vinrent aussi s'ajouter, suppose le général von François, aux espérances de victoire du G. Q. G. C'est pourquoi celui-ci accepta, lui aussi, sans aucune peine la menace de flanc d'Amiens, en envoyant à la 1re armée l'ordre de couvrir le flanc droit en suivant en échelon. Il n'y eut pas d'échange personnel d'idées entre de Moltke et ses commandants d'armée. Le lieutenant-général Tappen, qui pourrait donner des renseignements sur les idées du G. Q. G., glisse sur cette question dans son opuscule et se contente de l'indication suivante qui peut, dans une certaine mesure, se rapporter à la genèse de la directive inquiétante du 4 septembre :

" Au début de septembre, on reçut des renseignements annonçant un trafic ferroviaire intense - des transports de troupe, semblait-il - en direction de Paris ".

En réalité, la 1re armée avait signalé le transport du 7e C. A., d'Alsace sur Amiens, dès le 29 août au soir. - Tappen donne ensuite-le contenu de la directive du G. Q. G. et ajoute : " Cet ordre arriva le 5 septembre à la 6e armée. A l'aile droite, il ne fut pas entièrement exécuté, ainsi qu'on le constata plus tard, sans doute par suite de la hâte que l'on mettait à pousser de l'avant. " Je reviendrai plus en détail sur cette question quand je décrirai les événements qui se sont passés à la 1re armée. On peut établir cependant, dès maintenant, ce qui suit : lors de la rédaction de sa directive, le 4 septembre, le G. Q. G. avait déjà sous les yeux les objectifs de marche du 4 septembre, d'après les comptes rendus d'armée du 3. Il savait, par conséquent, que les corps de la 1re armée étaient déjà à une étape au sud de la Marne, et seraient, en fait, le 4 au soir, entre Petit et Grand-Morin. Il savait aussi que les corps de la 2e armée étaient également, le 4 septembre, entre Marne et Petit-Morin ; il savait, enfin, que les deux armées marchaient en direction du sud-est conformément à la directive du 2 septembre.

Le G. Q. G. envoya bien, le 4 au soir, le radio suivant aux 1re et 2e armées : " Les 1re et 2e armées demeureront face au front est de Paris - 1re armée entre Oise et Marne, 2e armée entre Marne et Seine " ; mais ce radio ne contenait aucune indication sur l'imminence d'un danger. Aussi, comme nous le verrons, la 1re armée continua-t-elle encore à marcher en direction du sud-est, même le 5 septembre. Elle s'y crut autorisée par le sens de l'ordre du G. Q. G. du 2 septembre, et cela malgré la nouvelle directive. Or, le G. Q. G. estimait, lui, qu'une offensive ennemie débouchant de Paris contre le flanc droit et l'aile droite de l'armée allemande était fort possible (Tappen, page 23). C'était là la raison de sa nouvelle directive. Une allusion à cette raison, dans le radio préparatoire du 4 au soir, aurait certainement dissipé le malentendu qui existait à l'état-major de la 1re armée. Celle-ci aurait conversé, dès le 5 septembre au matin pour gagner son nouveau secteur : la bataille aurait pris une tout autre tournure.

Ce ne fut que le lendemain, 5 septembre, que le G. Q. G. prit sur lui de renoncer à sa tentative infructueuse de percée de la haute Moselle et qu'il ordonna de transporter l'état-major de la 7e armée, le XVe C. A. et la 7e D. C. vers la Belgique d'abord, pour être employés ultérieurement à l'aile ouest. La 6e armée conserva encore sa mission ingrate, qui consistait à " tenter d'accrocher l'ennemi " de concert avec le centre (TAPPEN, page 23).

Le 4 septembre, la 1re armée avait envoyé le radio suivant en en donnant les raisons : " 1re armée arrivée à la limite de ses forces. Prompt renforcement instamment désiré ". Est-ce ce cri d'appel qui a provoqué la décision d'enlever enfin par voie ferrée, les deux corps de l'aile gauche ? Le général-lieutenant Tappen n'en dit rien. En tout cas, il était trop tard. La distance, le temps et l'état du réseau ferré étaient tels que la nouvelle 7e armée ne pouvait pas atteindre son objectif, Saint-Quentin, avant sept jours, même avec ses têtes de colonnes. Or, la décision à laquelle la situation poussait manifestement devait fatalement survenir avant ce délai. En fait, l'état-major de la 7e armée et le XVe C. A. n'ont atteint la région de Saint-Quentin que le 12 septembre au soir.

Le G. Q. G. continua à demeurer à Luxembourg, bien que la 1re armée eût franchi la Marne dès le 2 septembre ; il s'exclut ainsi, lui et ses réserves, de la décision qui était visiblement imminente.

En ce qui concerne l'état d'âme qui régnait au G. Q. G. en cette soirée du 4 septembre, soirée aux décisions inquiétantes, le secrétaire d'Etat K. Hellferich, dit dans La Guerre mondiale, tome II, que l'empereur lui a fait, le 4 septembre, la déclaration suivante : " Nous sommes aujourd'hui au 35e jour de la mobilisation. Reims est occupé par nos troupes ; le gouvernement français s'est transporté à Bordeaux ; nos pointes de cavalerie sont à 50 kilomètres de Paris.

Mais Hellferich ajoute que le colonel-général de Moltke, lui, n'avait nullement un moral joyeux de victoire, et qu'il était au contraire sérieux et déprimé. Il lui a dit en effet : " Nous n'avons plus dans notre artnée un seul cheval qui soit capable de marcher à une autre allure qu'au pas. " Puis : " Nous ne voulons pas nous vanter. Nous avons eu des succès ; mais nous n'avons pas encore vaincu. Etre vainqueur, c'est avoir anéanti la résistance ennemie. Quand des millions d'hommes sont opposés les uns aux autres, le vainqueur a des prisonniers. Où sont nos prisonniers ? Nous en avons fait quelques 20.000 dans la bataille de Lorraine, puis 10.000 ici, et peut-être 20.000 là. Le nombre relativement faible de canons capturés me montre aussi que les Français se sont repliés méthodiquement et en ordre. Le plus difficile nous reste encore à faire ".

Le chef d'état-major général s'en était rendu compte malheureusement trop tard.

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