LE POINT DE VUE DU GENERAL VON KUHL, DU 7 SEPTEMBRE A LA FIN DE L'OFFENSIVE
Le texte en Allemand, du Général von Kuhl a été édité au lendemain de la guerre, en 1920. La traduction française du Commandant Koeltz, est sortie en 1927, chez Payot. Ce texte est particulièrement intéressant par les analyses comparatives des théories en présence.
LA JOURNÉE DU 7 SEPTEMBRE
La 6e armée française reçut le 7 septembre des renforts qui furent dirigés vers l'aile gauche décisive. Le corps de cavalerie Sordet (1re, 3e et 5e D. C.) atteignit la région de Betz dans un grand état d'épuisement. La division de cavalerie Cornulier-Lucinière reçut dans la nuit du 6 au 7 septembre l'ordre de se rendre de la vallée de la Marne à l'aile gauche et de rejoindre le corps de cavalerie. Sur la Marne elle était de prime abord en un mauvais endroit. La 61e D. R. du groupe Ebener fut transportée par voie ferrée de Paris au Plessis-Belleville, donc jusqu'aux arrières immédiats du champ de bataille, puis poussée de ce point à l'aile gauche par Sennevières.
Le 7 septembre fut une dure journée pour Maunoury. L'attaque de la 6e armée devait commencer à 6 heures du matin, le groupe Lamaze (55e et 56e D. R., brigade marocaine Ditte et 45e D. I.) attaquant par Chambry-Barcy,Marciliy, le 7e C. A. par Puisieux-Acy-en-Multien, la 6le D. R. par Bois de Montrolles-Etavigny; plus au nord, la cavalerie d'armée. Un puissant enveloppement de l'aile droite allemande se trouvait ainsi amorcé, quand le 7 des renforts allemands arrivèrent à temps précisément dans cette région. Ils se heurtèrent à Etavigny à la 6le D. R. qui venait d'y arriver et la refoulèrent au delà de Villers Saint-Genest. D'après les exposés français cette division se rassembla dans la soirée à 2 kilomètres à l'ouest de Nanteuil-le-Haudouin ! Une crise survint dans la bataille ! L'aile gauche (7e C. A.) commença, elle aussi, à fléchir, elle fut cependant arrêtée grâce, semble-t-il, à la poussée en avant hardie de l'artillerie du colonel Nivelle. Le corps de cavalerie Sordet, qui s'était porté sur Cuvergnon, commença à se replier par suite de cet échec sur Nanteuil-le-Haudouin par Betz. L'enveloppement recherché par Joffre et Maunoury avait échoué.
A l'aile droite de l'armée française le combat oscilla, indécis. Les effets de l'artillerie lourde allemande, établie entre Vareddes et May-en-Multien, se firent fortement sentir du côté français. Réciproquement notre infanterie insista sans cesse sur les effets puissants de l'artillerie française. On disait que de l'artillerie de forteresse devait être arrivée de Paris. L'éclatement puissant des projectiles explosifs français fut manifestement la cause de cette supposition.
En fin de journée la 6e armée se trouvait d'après les données françaises sur la ligne Penchard-Chambry-Barcy-Marcilly-Puisieux- ouest d'Etavigny. Elle n'avait donc pas fait un seul pas en avant et avait subi à son aile gauche une défaite.
Dans le courant de l'après-midi Maunoury avait reçu un renseignement disant que des troupes allemandes qui se trouvaient devant les Anglais et la 5e armée se repliaient au delà de la Marne. Le général Franchet d'Espérey lui demanda d'attaquer en flanc les Allemands en retraite. Mais, comme le remarque Hanotaux, Maunoury n'avait nullement en face de lui des Allemands en retraite, mais un ennemi puissant, doté d'une forte artillerie et qui l'attaquait : " Il ne lui restait pas autre chose à faire qu'à tenir ou, si on l'exigeait, à attaquer. "
Sur ces entrefaites le 4e C. A. arriva enfin. La 8e D. I. fut arrêtée et débarquée le 6 septembre en gare de Lagny pour établir la liaison avec les Anglais et soutenir leur aile gauche. Dans une lettre du 8 septembre au ministre de la guerre Galliéni indique qu'il s'est donné la plus grande peine pour amener French à se porter en avant et que celui-ci y consentit finalement sous la condition expresse que son flanc fût couvert : " Je dus par suite envoyer au sud de la Marne la 8e D. I. dont la place aurait été à l'aile gauche de Maunoury pour agir sur la ligne de retraite des Allemands ". La division devait se porter au sud de la Marne, au delà du Grand Morin, mais il semble que le 7 elle soit restée tout d'abord à l'est de Lagny. En tout cas elle manqua à l'endroit décisif et n'intervint pas non plus à l'aile droite par suite de l'avance hésitante des Anglais. Par contre, grâce à l'intervention énergique de Galliéni, la 7e D. I. fut amenée à temps à l'aile gauche. Elle avait été débarquée dans le cours de l'après-midi du 7 à Pantin. Galliéni ayant reconnu le danger qui menaçait son aile gauche réquisitionna 1.300 taxis parisiens avec lesquels il transporta dans la nuit du 7 au 8 et jusqu'au 8 au matin 5 bataillons dans la région de Nanteuil-le-Haudouin. Le reste de l'infanterie fut transporté par voie ferrée, l'artillerie fit route par vole de terre (Illustration du 4 septembre 1920).
Le 7 septembre l'armée britannique franchit le Grand Morin sur la ligne La Ferté-Coulommiers-Crécy, mais n'alla pas beaucoup plus loin. French lui-même déclare que ses troupes se trouvaient le 8 au matin sur la ligne Jouy-sur-Morin (1er C. A.), Aulnoy (2e C. A.), La Haute Maison (3e C. A.). Le corps de cavalerie Conneau était à son aile droite.
Dans les exposés français l'avance extrêmement lente des Anglais est vivement critiquée. On dit qu'elle eut une très grande importance sur l'issue de la bataille. Quel succès on aurait pu obtenir si elle s'était portée en avant par La Ferté-sous-Jouarre-Meaux !
D'après l'ordre du général Franchet d'Espérey la 5e armée devait le 6 au soir s'enterrer sur la ligne atteinte à savoir: La Villeneuve-Esternay-Courgivaux-Montceaux-sud d'Augers, de façon " à résister coûte que coûte à toute attaque ". Cela ne paraît pas hardi. La résistance des IIIe et IXe C. A. allemands, jointe à l'avance de la 2e armée, avait eu un effet si puissant que la 5e armée s'était vue manifestement contrainte à la défensive. Ce n'est pas étonnant si on songe à l'état de cette armée au commencement de l'offensive française.
Le 7 au matin de nombreuses colonnes allemandes furent cependant signalées en retraite de la région nord de Courtacon-Esternay vers le nord. C'étaient les IIIe et IXe C. A. qui par suite de l'attitude défensive de la 5e armée avaient pu exécuter en plein jour, sans être gênés, le repli qui leur avait été ordonné. Le corps de cavalerie Conneau se porta sur La Ferté-Gaucher; il constata au cours de la journée que l'ennemi avait partout disparu et que La Ferté-Gaucher était libre d'ennemis.
La 5e armée put dans ces conditions continuer son mouvement en avant, mais elle n'atteignit en fin de journée que la région Le Recoude-Morsains (1er et 10e C. A.), La Ferté-Gaucher (3e et 18e C. A. et en arrière le groupe de divisions de réserve Valabrègue). L'aile droite n'avait donc pas progressé du tout.
La situation était plus défavorable à l'armée Foch (9e armée) qui était attaquée par l'aile gauche de la 2e armée et par l'aile droite de la 3e. A l'est son front oscillait d'une façon inquiétante dans la région de Fère-Champenoise-Sommesous. Au centre, elle tenait les débouchés sud des Marais de Saint-Gond. A l'ouest, le général Franchet d'Espérey dut appuyer son aile gauche en mettant son corps de droite (10e) à la disposition de Foch. Le général d'Espérey se vit alors dans une situation difficile quant à la continuation des opérations. S'il continuait à marcher vers le nord, il perdait la liaison avec la 9e armée. S'il se tournait vers la droite pour appuyer la 9e armée, il abandonnait Maunoury à lui-même sur l'Ourcq. S'il divisait ses forces, c'était pis encore (Hanotaux, ouv. cit.).
Les combats des 3e et 4e armées n'apportèrent aucune décision.
Au total on avait obtenu vraiment peu de chose le 7septembre. Aux 6e et 9e armées la journée avait été défavorable. Les Anglais, eux, étaient fortement en retrait. La 5e armée, qui s'était déjà vue contrainte à la défensive, n'avait avancé finalement que quand les IIIe et IXe C. A. avaient été rappelés par la 1re armée. Joffre considéra prématurément ce repli comme une retraite générale de l'aile droite allemande.
Le généralissime français donna en effet le 7 septembre l'ordre suivant :
" 1. La 1re armée allemande semble se replier vers le nord-est devant les efforts combinés des armées alliées de gauche.
" Celles-ci doivent suivre l'ennemi avec l'ensemble de leurs forces, de manière à conserver toujours la possibilité d'enveloppement de l'aile droite allemande.
" 2. La marche s'exécutera donc d'une manière générale dans la direction du nord-est, dans un dispositif qui permette d'engager la bataille si l'ennemi marque un temps d'arrêt et sans lui laisser le temps de s'organiser solidement.
" 3. A cet effet la 6e armée gagnera successivement du terrain vers le nord sur la rive droite de l'Ourcq.
" Les forces, britanniques chercheront à prendre pied successivement au delà du Petit Morin, du Grand Morin et de la Marne.
" 4. La 5e armée accentuera le mouvement de son aile gauche et emploiera ses forces à droite à soutenir la 9e armée.
" 5. Cette dernière s'efforcera de tenir sur le front qu'elle occupe jusqu'au moment où l'arrivée des forces réservées de la 4e armée sur sa droite lui permettra de participer au mouvement en avant.
" Limite des zones d'action entre la 5e armée et l'armée britannique : Dagny, Saint-Rémy, Sablonnières, Hondevillers, Nogent-l'Artaud, Château-Thierry (cette route à l'armée britannique)."
L'état-major de la 1re armée allemande se rendit le 7 septembre à 7 heures du matin de Charly à Vendrest, immédiatement en arrière du front de combat de l'Ourcq. A Vendrest cantonnement et ravitaillement furent des plus réduits. L'état-major ne trouva pas de local suffisant pour ses bureaux. Nous nous installâmes en plein air pour travailler. On ne pouvait d'ailleurs songer à dormir. Les liaisons étaient mauvaises, le téléphone ne fonctionnait pas régulièrement. La liaison avec les corps d'armée dut être assurée surtout par des officiers de l'état-major.
Dans la matinée nous reçûmes de la Direction suprême la communication suivante : " D'après un ordre de Joffre trouvé aujourd'hui, bataille décisive a été ordonnée pour aujourd'hui à toutes les armées françaises ".
Pendant que dans la nuit du 6 au 7 le IVe C. A. marchait vers l'Ourcq en direction générale de La Ferté-sous-Jouarre-Crouy, son chef, le général Sixt von Armin, se rendit à l'état-major de IIe C. A. où il arriva à 3 h. 30 du matin. Il fut convenu de pousser la 7e D. I. à l'aile droite aux fins d'enveloppement, mais d'intercaler la 8e D. I. par Lizy dans le secteur du IVe C. R. qui était épuisé et très affaibli. Cette dernière mesure n'était pas désirable mais on ne pouvait l'éviter. Le général von Gronau poussa la 15e brigade d'infanterie et l'artillerie de la 8e D. I. dans la position de la 7e D. R. et maintint la 16e brigade en arrière comme réserve. Mais celle-ci fut envoyée par la suite à l'aile droite pour participer à l'attaque enveloppante. La 3e D. I. qui se trouvait à l'aile gauche dans la région de Vareddes demanda, elle aussi, à être appuyée. Elle était effectivement dans une situation difficile et souffrait du feu de l'artillerie ennemie qui, de la région de Meaux, tirait dans son flanc gauche et presque contre ses derrières. L'emplacement de Varreddes, avec la Marne et le canal dans le dos, présentait de graves inconvénients et avait été a priori mal choisi. L'armée ne put cependant accorder aucun appui à la 3e D. I. L'idée directrice de la conduite du combat était de se maintenir à l'aile gauche et d'envelopper l'ennemi avec l'aile droite débordant par le nord. C'était là qu'était la décision, c'était là que l'ennemi voulait envelopper, lui aussi. Les crises survenant sur le front devaient être acceptées elles existaient d'ailleurs chez l'ennemi comme chez nous de part et d'autre on ne put progresser de front.
Vers midi l'introduction des renforts dans le front de .combat était si avancée que le général von Linsingen, qui conserva encore ce jour-là le commandement des IIe, IVe C. A. et IVe C. R., put passer à l'attaque. Le IVe C. A. venait d'accomplir une marche extraordinaire. Il était parti de la région de Choisy le 6 et avait marché pendant toute la nuit sans autre interruption qu'une courte pause. La 7e D. I. à l'aile extérieure avait parcouru plus de 60 kilométres. Par suite du mélange des unités il avait fallu répartir les troupes disponibles en trois groupements. Le groupement nord (7e et 4e D. I., 16e brigade de la 8e D. I.) aux ordres du général Sixt von Armin devait attaquer par Antilly-Acy en Multien; au centre, dans la région Vincy-Manoeuvre-nord de Trocy, la 8e D. I. (moins la 16e brigade d'infanterie) et la 7e D. R., aux ordres du général von Gronau, devaient se joindre à l'attaque du groupement nord au fur et à mesure de son avance; l'aile gauche (22e D. R. et 3e D. I.) devait mener un combat d'attente dans la région Trocy-Varreddes. La 4e D. C. se trouvait à l'aile droite au sud-ouest de La Ferté-Milon.
Le capitaine Bührmann de l'état-major de l'armée qui avait vu la 7e D. I. pendant sa marche au combat et qui l'accompagna pendant son attaque dit à son sujet : "C'était admirable de voir les bataillons qui, quelques heures auparavant, se traînaient plus que péniblement se porter maintenant à l'attaque d'un pas alerte et dans un ordre parfait comme sur le terrain d'exercice, bien appuyés par l'artillerie de campagne établie sur une longue ligne."
L'attaque de notre aile droite se heurta, comme nous l'avons décrit, à la 61e D. R. française, elle-même en marche vers le champ de bataille et la rejeta complètement. L'importance de ce succès ne fut pas, de toute évidence, entièrement reconnue par nous. Il semble même que notre aile droite fut un peu repliée dans la soirée. Au centre il n'y eut pas de grande attaque. Notre centre et notre aile gauche se maintinrent.
Les renseignements reçus avant midi à l'état-major de la 1re armé., à Vendrest, montrèrent que l'armée britannique n'avançait qu'avec hésitation. Des aviateurs signalèrent qu'à 10 heures des colonnes étaient en marche de Pézarches sur Coulommiers, qu'à la même heure des bivouacs assez importants étaient installés dans les bois au nord-est de Tournan, enfin qu'il n'y avait au sud de la Marne aucun ennemi à l'ouest de La Ferté-sous-Jouarre. A 6 heures du matin le 2e C. C. n'avait encore aperçu, lui aussi, " aucun ennemi à Coulommiers "; à 9 heures du matin, il n'avait vu que quelques troupes anglaises peu nombreuses au sud de Coulommiers et à l'ouest.
Par contre il ressortait des renseignements reçus au sujet des forces ennemies de la région de l'Ourcq qu'il y avait du trafic ferroviaire et des débarquements au Plessis-Belleville. Des rassemblements de troupes signalés à Crépy-en-Valois ainsi qu'entre Dammartin et Nanteuil-le-Haudouin par notre aviation permirent de conclure que l'ennemi renforçait sérieusement son aile nord. On pouvait admettre avec certitude que dans la bataille décisive qu'il recherchait, Joffre plaçait le centre de gravité de son effort dans l'enveloppement de notre aile droite.
Si la 1re armée était rejetée sur la rive est de l'Ourcq où ses colonnes et ses trains se pressaient encore, il devait en résulter le plus grand danger non seulement pour la 1re armée, mais encore pour toutes les armées allemandes. Le sort de toute la bataille de la Marne était en jeu.
Le commandement de l'armée examina encore une fois s'il était possible de remplir défensivement la mission qui avait été confiée à l'armée. S'établir défensivement derrière l'Ourcq était une solution qui ne pouvait que rendre notre situation plus mauvaise ; comprimée dans l'angle entre Ourcq et Marne l'armée serait tombée dans une situation tactique défavorable sans échapper à l'enveloppement. Replier l'armée en plein combat pour porter l'aile gauche approximativement sur Château-Thierry était extrêmement chanceux. Au bout de peu de temps l'armée se serait retrouvée dans la même situation. La coopération anglaise lui étant assurée désormais, l'ennemi aurait pu entamer plus efficacement sa manœuvre enveloppante.
Seule une solution offensive était possible. Il fallait refouler l'ennemi. C'était la meilleure façon de protéger le flanc de l'armée. Mais pour cela il fallait rameuter les IIIe et IXe C. A. C'est dans ce sens que se décida le général von Kluck.
Certes la brèche qui existait déjà entre les 1re et 2e armées en fut augmentée et le flanc de la 2e armée mis en danger alors que la 1re armée était chargée de le protéger. Nous comptions cependant que les Anglais après leurs défaites répétées, leurs lourdes pertes et leur retraite qui durait depuis la bataille de Mons, seraient difficilement en état de passer immédiatement à une offensive énergique. Il nous parut possible de les contenir au plus tard sur la Marne jusqu'à ce que la décision fût obtenue sur l'Ourcq. Si la 2e armée continuait comme nous l'espérions à converser à droite et à progresser entre Seine et Marne en direction de l'ouest, la brèche était appelée à devenir plus étroite. Le cours du combat jusqu'au 6 septembre au soir, aussi bien à la 2e armée qu'aux IIIe et IXe C. A., n'avait donné aucun motif de se montrer inquiet.
Le commandement de la 2e armée avait ordonné le 6 septembre à son armée de continuer le combat le 7 au lever du jour. Cet ordre avait été transmis aux IIIe et IXe C.A. avec l'additif suivant : " D'accord avec la 1re armée les IIIe et IXe C. A. passent momentanément sous mes ordres. Je décide ce qui suit : le IXe C. A. continuera à attaquer au lever du jour ; le IIIe C. A. assurera la protection du flanc droit de la 2e armée ". Mais entre temps, dans la nuit du 6 au 7 septembre, les IIIe et IXe C. A. avaient reçu de la 1re armée l'ordre de se replier derrière le Petit Morin à l'aile droite de la 2e armée. Les deux corps commencèrent leur repli le 7 septembre à l'aube sans être nullement gênés par l'ennemi. Les ordres qui leur avaient été donnés par la 2e armée en vue de l'attaque se trouvèrent ainsi annulés. Ils continuèrent cependant à assurer la protection du flanc droit de la 2e armée du fait de leur échelonnement.
Mais à 11 heures le commandement de la 1re armée avait dû se décider à envoyer le radiogramme suivant à la 2e armée :
" Intervention des IIIe et IXe C. A. sur l'Ourcq instamment nécessaire. Ennemi s'y renforce sérieusement. Prière de mettre les corps en marche en direction de La Ferté-Milon et Crouy ".
C'était à nouveau une modification sensible pour le commandement de la 2e armée. Il accéda cependant à notre demande bien que son armée fût engagée dans un combat difficile et que son flanc fût menacé. Le IIIe C. A. fut mis en marche sur Charly et le IXe C. A. fut replié le 7 tout d'abord jusqu'à la région de Chézy (sud de Château-Thierry).
A 13 h. 15 l'ordre fut envoyé de Vendrest aux deux corps de pousser encore au cours de la journée aussi loin que possible en direction de La Ferté-Milon-Crouy de façon à pouvoir intervenir au plus tard le 8 avec l'aile droite de l'armée. Le IXe C. A. stationna à Chézy, le IIIe C. A. atteignit la région de Charly-La Ferté-sous-Jouarre. Les dernières troupes arrivèrent après minuit; une grande partie d'entre elles avait parcouru jusqu'à 60 kilomètres dans la journée.
Dans l'après-midi le capitaine von Schütz de l'état-major de la 1re armée, qui avait été envoyé à l'aile gauche du front de combat, joignit à un renseignement sur la situation tactique un compte rendu d'aviation qui nous mit en grande préoccupation. D'après ce compte rendu une colonne en marche vers le sud-ouest avait traversé Villers-Cotterêts sans tirer sur nos aviateurs qui l'avaient survolée à 800 mètres. " L'aviateur est d'avis que ce sont certainement des troupes allemandes ". Or nous attendions la brigade Lepel du IVe C. R. qui était partie de Bruxelles pour nous rejoindre par Péronne, L'inspection d'étapes nous fit savoir de Chauny que cette brigade était arrivée au sud de Péronne avec 5 bataillons et qu'un bataillon était déjà vraisemblablement à Noyon. Elle ne pouvait donc pas avoir traversé Villers-Cotterêts dans la journée. Par contre sur la demande de l'armée l'inspection d'étapes avait ramassé dans sa zone quelques troupes disponibles et les avait mises en marche sous les ordres du colonel von der Schulenburg de Chauny sur Villers-Cotterêts. Le compte rendu de l'inspection d'étapes concernant cette question arriva à Vendrest à 16 h. 45. Il pouvait donc s'agir de ces troupes.
Au cours de la journée du 7 septembre le 2e C. C. retarda également avec efficacité l'avance de l'armée anglaise. A 12 h. 15 il reçut un radio envoyé de Vendrest par la 1re armée : " Notre aile gauche à Varreddes au nord de Meaux est fortement menacée par l'artillerie ennemie tirant de la direction de Meaux. Intervention de flanc par artillerie tirant le plus tôt possible de la direction de Trilport est instamment nécessaire ". D'après le compte rendu du capitaine von Schütz, envoyé dans cette région par l'état-major de la 1re armée, la 3e D. I. combattait difficilement à Varreddes et souffrait toujours des feux d'artillerie venant de la direction de Meaux. Nous crûmes à tort que les Anglais étaient entrés en ligne dans cette région et nous estimâmes qu'il était urgent d'y envoyer des renforts. Le commandement de l'armée n'avait plus à sa disposition que les éléments chargés d'assurer sa propre protection à Vendrest : 1 bataillon et 1 section de mitrailleuses, 1 section d'artillerie.
Ceux-ci furent mis en marche sur Lizy sauf une compagnie. Malheureusement, à la suite du radio de 12 h. 15, la 9e D. C. se porta également tout entière sur Trilport. D'après son journal de marche elle ne put pas passer sur la rive nord à cause de l'artillerie lourde ennemie. La largeur de la vallée ne lui permit pas non plus d'intervenir avec son artillerie depuis la rive gauche. Il semble qu'elle ait encore fait une tentative pour intervenir à Germigny, puis demeura ensuite au sud-est de Lizy. Comme la 4e D. C. se trouvait à l'aile droite de l'armée, la 2e D. C. se trouva finalement toute seule en face des Anglais. Elle passa sur la rive nord de la Marne à La Ferté-sous-Jouarre.
Après le départ des IIIe et IXe C. A. le 1er C. C. se replia derrière le Petit Morin.
Le 7 septembre au soir la situation de la 1re armée était jugée à Vendrest plus défavorable qu'elle n'était en réalité. Les descriptions qui nous étaient faites sur les conditions de la lutte dans la région de Varreddes nous causaient une grande inquiétude. je me rappelle vivement nous attendions à tout moment à voir les Anglais arriver dans le coude de la Marne, à Trilport, dans le dos de la 3e D. I.. Le succès du groupement Sixt von Armin n'est pas cité dans l'ordre d'armée de la soirée. Il y est dit seulement que l'armée s'est maintenue sur la ligne Antilly-Puisieux-Varreddes. Je me rappelle la forte impression que fit le rapport du chef d'état-major du IVe C. A. lorsqu'il arriva au Q.G. de l'armée à Vendrest dans la nuit du 7 au 8. Le journal du IVe C.A. mentionne qu'à l'état-major du C. A. on s'était demandé si on pourrait se maintenir et que des doutes s'étaient manifesté à ce sujet. Les pertes étaient lourdes, l'artillerie ennemie paraissait supérieure. Les troupes étaient à bout. Le tableau fait par le chef d'état-major fut peu réjouissant. Mais le général commandant le corps d'armée avait donné l'ordre de tenir coûte que coûte pour attendre l'intervention des IIIe et IXe C. A. Le commandement de l'armée ne put qu'approuver cette décision, dans la soirée des bivouacs importants furent signalés dans la région de Nanteuil-le-Haudouin, Silly-le-Long, Saint-Soupplets et à l'ouest. Nous attendîmes le lendemain avec inquiétude. Quand les Anglais allaient-ils apparaître sur la Marne ?
Nous savons aujourd'hui que, comme cela arrive souvent à la guerre, l'inquiétude était encore plus grande du côté ennemi.
L'ordre d'armée envoyé à 21 h; 15 de Vendrest suggérait ,de replier au besoin "aile gauche et de la ramener pendant la nuit de la région de Varreddes dans une position plus favorable. Par ailleurs, étant donné notre conception de la situation, il s'agissait pour l'armée pendant la journée du 8 de se maintenir sur ses positions en raison de l'arrivée des renforts ennemis jusqu'à ce que l'attaque pût être déclenchée à l'aile droite après l'arrivée des IIIe et IXe C. A. La répartition en groupements sous les ordres du général von Linsingen ,devait être maintenue jusqu'à ce moment-là. Rompant à 2 heures du matin le IXe C. A. devait se porter par Château-Thierry sur La Ferté-Milon, le IIIe C. A. de Montreuil-aux-Lions et La Ferté-sous-Jouarre sur Mareuil et Crouy. Ainsi donc pendant la nuit de nouvelles troupes se portèrent de part et d'autre, en toute hâte et au prix des plus grands efforts, vers la région de Betz, les unes par voie ferrée et en autos, les autres par marche forcée, pour envelopper l'aile ennemie.
A 17 heures le compte-rendu suivant fut adressé à la Direction suprême ; " Par suite intervention du IVe C. A. à l'aile droite combat du IIe C. A. et du IVe C. R. a progressé vers ligne : est de Nanteuil-Meaux. IIIe et IXe C. A. en marche vers champ de bataille. Attaque sera continuée demain avec perspective de succès. 2e C. C. couvre face à Meaux-Coulommiers où aucune force ennemie importante ne s'est portée en avant. Ennemi a employé nombreuse artillerie lourde, vraisemblablement en provenance de Paris. Ennemi : forces anglaises et, semble-t-il, 5e et 7e C. A. français ".
Le 7 septembre, après le départ des IIIe et IXe C. A., la 2e armée engagea la 13e D. I. à son aile droite sur un vaste front de Fontenelle à Montmirail. La division ne fut pas attaquée le 7. Plus à gauche, l'aile droite de la 2e armée ne put pas continuer à progresser au cours de la journée et il en fut de même pour le centre dans la région des Marais de Saint-Gond. A la suite d'une contre-attaque française le colonel-général von Bülow appela de son aile droite fortement menacée sa réserve, la 14e D. I., qui se trouvait au nord de Montmirail, et la porta sur Champaubert où elle fut engagée dans la brèche qui existait au centre de son front de combat. Le commandement du VIIe C. A. resta également jusqu'au 8 dans cette région. A 1 aile gauche l'ennemi fut refoulé à Fère Champenoise-Sommesous de concert avec l'aile droite de la 3e armée. Le 1er C. C. était chargé de contenir l'ennemi sur le Petit Morin.
Le commandant de la 3e armée reconnut le 7 septembre que l'offensive française était dirigée essentiellement contre son aile droite sur Lenharrée et contre son aile gauche sur Sompuis-Vitry-le-François tandis que devant son centre, en face de Sommesous, il n'y avait en gros qu'une division de cavalerie. Le colonel-général baron von Hausen estima qu'il n'y avait plus lieu de craindre une percée au centre peu dense de son armée. Celle-ci se maintint à son aile gauche contre de puissantes attaques françaises pendant qu'à son aile droite le combat se déroulait favorablement, ainsi que nous l'avons dit. Au reçu du renseignement disant que l'aile droite de l'armée allemande (1re et 2e armées) était fortement attaquée et qu'elle était menacée dans son flanc par des troupes débouchant de Paris, le colonel-général von Hausen prit la décision absolument juste d'attaquer d'autant plus énergiquement le 8 en partant du centre allemand et régla son attaque pour cette journée de concert avec les deux armées qui l'encadraient sur ses ailes. On aurait dû se demander si de son côté la 3e armée n'aurait pas dû essayer de percer en direction de Mailly en pénétrant dans la brèche dont on connaissait l'existence dans le front français, au lieu de s'étirer à droite et à gauche. Malheureusement la 3e armée était vraiment faible. Il se peut que ce fut là la raison qui fit adopter une attitude plus prudente.
Les combats de la 4e armée sur le canal de la Marne au Rhin se déroulèrent sans résultat décisif pendant la suite de la bataille de la Marne.
La 5e armée ne parvint pas les 7 et 8 à faire de progrès sérieux.
LA JOURNÉE DU 8 SEPTEMBRE
Les intentions du commandement de la 1re armée allemande pour la conduite de la bataille ressortent d'une directive écrite qui fut remise au capitaine von Schütz, officier de liaison de l'armée auprès du général von Linsingen. Il aurait été instamment désirable d'arriver aussi rapidement que possible à une décision sur l'Ourcq avant que les Anglais n'apparussent sur la Marne et ne menaçassent notre liaison avec la 2e armée. D'un autre côté il fallait veiller à ne pas jeter les renforts qui arrivaient par paquets dans la bataille, mais à les faire agir d'un seul coup. L'enveloppement de l'aile ennemie ne devait donc si possible être exécutée que le 9 septembre, avec le maximum de forces, au moyen des IIIe et IXe C. A. en marche vers le champ de bataille et une fois leur concentration terminée. La condition préalable pour cela était que le centre et l'aile gauche tinssent pendant la journée.
L'enveloppement cherché n'était donc pas facile à obtenir. Il ne pouvait être réalisé, comme le demande la théorie, au moyen d'éléments d'armée venant de loin à la bataille dans une direction favorable. Les troupes chargées de l'enveloppement devaient être rameutées de l'aile gauche, à l'aile droite en défilant en arrière de tout le front, au prix des plus grands efforts de marche, et ne pouvaient converser qu'ensuite pour exécuter l'enveloppement; c'était là un mouvement très difficile et qui était en outre très gêné par les colonnes de munitions et les trains qui se trouvaient derrière le front. Les deux corps auxquels cette mission était confiée avaient dû tout d'abord se décrocher de l'ennemi. Il était à craindre qu'au cours de leur marche derrière le front une partie de leurs éléments ne fût détournée de leur mission par les cris d'appel provenant de ce front.
Les IIIe et IXe C. A. devaient rompre à 2 heures du matin. Mais l'ordre d'armée ne leur parvint pas suffisamment à temps. Le IXe C. A. alerta ses divisions à 2 h. 10 après l'arrivée de l'ordre, malgré leur grand épuisement, et, partant de la région de Chézy, continua son mouvement. Le IIIe C. A. n'avait pu rompre, lui aussi, de Charly et à l'ouest que le matin à la première heure.
A 6 h. 45 du matin on reçut du front de l'Ourcq un compte rendu du capitaine von Schütz disant qu'une puissante tentative de percée française contre le centre, dans la région de Trocy, semblait imminente et que le IVe C. A. n'était pas encore fortement attaqué pour le moment : " Aide par Lizy instamment nécessaire ". En pareil cas Napoléon laissait les troupes de son front se dépenser complètement avant de faire intervenir ses réserves. Ici la situation était autre : " Depuis le 5 septembre midi l'infanterie et l'artillerie de campagne du IVe C. R. combattaient presque sans interruption contre un ennemi notablement supérieur, presque toutes déployées en première ligne, sans réserves, pendant toute la journée sous le soleil brûlant, sans eau et sans ravitaillement, attendant en vain d'être relevées et renforcées ". (Communiqué par le général von Gronau). Si l'ennemi perçait notre front, tout le mouvement des IIIe et IXe C. A. qui s'effectuait par derrière était bouleversé et l'enveloppement du front ennemi devenait impossible. Le commandement de l'armée ordonna à 7 heures du matin au commandant du IIIe C. A. de faire obliquer immédiatement sa colonne de gauche (5e D. I.) en plusieurs colonnes, l'artillerie en avant, sur Trocy. Le général von Linsingen rameuta provisoirement la 9e D. C. derrière la partie du front menacée, vers la région à l'est du Plessis-Placy.
La percée ennemie dans la région de Trocy n'eut pas lieu. La 22e D. R., dont la force combative était fortement affaiblie, fut attaquée. Le village de Trocy, pris sous les feux puissants et concentrés de l'artillerie ennemie, devint la proie des flammes. De l'arrière la situation paraissait plus dangereuse qu'elle n'était en réalité. Les troupes évacuèrent la localité, mais les lignes de tirailleurs situées en avant du village continuèrent à tenir (communiqué par le général von Gronau). La 5e D. I. put se concentrer en arrière et rester pour la majeure partie disponible. Le commandement de l'armée regretta de l'avoir détournée de son objectif de marche, mais il l'eut le lendemain sous la main, quand l'avance des Anglais sur la Marne l'obligea à renforcer les troupes qui se trouvaient dans cette région.
Après que la 5e D. I. eut été exclue des troupes destinées à l'enveloppement projeté, le IXe C. A. reçut à 9 h. 15 l'ordre de marcher sur La Ferté-Milon et Mareuil, la 6e D. I. sur Crouy. Les renseignements recueillis au cours de la journée du 7 sur l'avance des Anglais au delà du Grand Morin amenèrent le commandant de la 1re armée à se créer le 8 une réserve comme soutien de la cavalerie d'armée chargée de la défense de la Marne. Il ordonna par suite au IXe C. A. de laisser à sa disposition à Montreuil-aux-Lions (nord-est de La Ferté-sous-Jouarre) un régiment d'infanterie et un groupe d'artillerie de sa colonne de gauche. Mais 1e général commandant le corps d'armée fut avisé par ailleurs de ne se laisser détourner à aucun prix de son mouvement sur La Ferté-Milon par l'ennemi en marche sur Coulommiers, car la décision devait être obtenue à l'aile droite.
Peu après une directive contraire dut être donnée au IXe C. A. A 10 h. 10 des aviateurs signalèrent que des colonnes ennemies étaient en marche de Crécy sur la Haute-Maison, de Boissy-le-Châtel sur Doue et de La Ferté-Gaucher sur Rebais. Le renseignement était précis et exact. L'armée anglaise paraissait maintenant agir sérieusement et hâter son mouvement. L'ennemi s'était manifestement aperçu du repli des IIIe et IXe C. A. Il parut douteux que la cavalerie seule fût suffisante pour défendre la Marne jusqu'à ce que la décision fût survenue sur l'Ourcq. A 11 h. 20 le colonel général von Kluck se décida à regret à prescrire au IXe C. A. de laisser deux brigades d'infanterie et deux régiments d'artillerie de campagne à la défense de la ligne de la Marne entre La Ferté-sous-Jouarre et Nogent-l'Artaud. La réserve d'armée (l régiment d'infanterie et un groupe d'artillerie), établie à Montreuil-aux-Lions, fut remise dans ce but à la disposition du corps d'armée. Le 2e C. C. reçut pour mission de défendre la Marne à La Ferté-sous-Jouarre et à l'ouest. La ligne de la Marne devait être tenue à tout prix et les ponts détruits.
Cet ordre arriva au commandant du corps d'armée à 13 heures, pendant la marche. Contrairement à l'ordre de l'armée celui-ci décida, en raison de la faiblesse de ses effectifs, de ne laisser en arrière qu'un régiment d'infanterie et un régiment d'artillerie de campagne qui devaient se joindre à Montreuil-aux-Lions à la réserve d'armée et formèrent avec elle la brigade Kraewel. Il estimait qu'autrement il ne serait pas en état d'obtenir à l'aile droite la décision qui lui avait été signalée de façon si pressante. La décision prise en toute indépendance par le général von Quast eut pour conséquence que le 9 septembre il put conduire son brave corps à la victoire, tandis que le commandant de l'armée put combler le déficit survenu sur la Marne au moyen de la 5e D. I. disponible.
La brigade Kraewel fut mise dans le courant de la journée sous les ordres du général von der Marwitz, commandant du 2e C. C., à qui la défense de la Marne échut désormais tout entière. Il devait aussi, si possible, prendre le commandement de la 5e D. C. voisine qui appartenait au 1er C. C. En dehors de ses 4 bataillons de chasseurs il disposait également d'un détachement de la 3e D. I. à Mary.
Il est au plus haut point regrettable qu'un commandement unique n'ait pas été créé sur la Marne dans la brèche qui existait entre les 1re et 2e armées. Tous les efforts des deux corps de cavalerie pour se maintenir en liaison ne purent suppléer à cette absence. Le général von der Marwitz avait établi le 8 septembre au matin la 2e D. C. à Ussy (ouest de La Ferté-sous-Jouarre), pendant que le général von Thumb avec une brigade de cavalerie et 4 bataillons de chasseurs devait assurer la couverture au sud de la Marne, face aux forces ennemies signalées à Coulommiers et Pierre-Levée. Le général von Thumb se replia ensuite devant l'avance ennemie sur les hauteurs au nord de La Ferté-sous-Jouarre. Le commandement de l'armée avait ordonné entre temps de rappeler la 9e D. C. Vers 14 heures elle reçut l'ordre de rompre immédiatement par Lizy.
Dans le courant de la matinée une division de cavalerie ennemie fut repoussée sur la Marne. La 2e D. C. défendit ensuite cette rivière avec les bataillons de chasseurs à La Ferté-sous-Jouarre.
Le 1er C. C. avait cherché à arrêter l'ennemi sur le Petit Morin dans la région de Saint-Cyr-Verdelot pour couvrir l'aile droite de la 2e armée qui avait été repliée le 7 de Montmirail sur Fontenelle. Il repoussa à Saint-Cyr une forte cavalerie, mais celle-ci perça ensuite à Verdelot-Sablonnières. Le 1er C. C. se replia avec la D. C. G. sur Condé-en-Brie pendant que la 5e D. C. repassait par Château-Thierry sur la rive nord de la Marne.
Dans le courant de la journée les forces ennemies de Coulommiers se portèrent sur La Ferté-sous-Jouarre et par Rebais sur Orly. A 20 h. 20 le 2e C. C. transmit le compte-rendu suivant : " Marne encore tenue malgré ennemi puissant et violent feu d'artillerie. Schmettow (9e D. C.) arrive à l'instant ". Le 2e C. C. prit sous ses ordres la brigade Kraewel.
Celle-ci arriva le 8 à la tombée de la nuit à Montreuil-aux-Lions. Son chef avait pour mission de tenir coûte que coûte la ligne de la Marne entre La Ferté-sous-Jouarre et Nogent-l'Artaud et de détruire les ponts. Il hésita à disperser ses forces de nuit en envoyant des détachements aux différents points de passage. La compagnie de pionniers qui lui avait été promise n'arriva pas. Il conserva alors ses troupes concentrées pendant la nuit à Montreuil-aux-Lions.
La 1re armée se maintint le 8 sur tout son front depuis Antilly jusqu'en avant de Trocy en passant par Acy-en-Multien, les abords est de Vincv-Manoeuvre et la région ouest de Plessis-Placy. La 3e D. I. à l'aile gauche fut repliée sur Gué à Tresmes-Congis. Le pont de Germigny fut détruit. L'aile gauche se trouva désormais soustraite au danger qui menaçait constamment son flanc et protégée contre l'enveloppement ; quant à la 5e D. I., qui par ordre de l'armée avait été détournée, sur Lizy par Cocherel, on n'eut besoin d'engager que quelques-uns de ses éléments, son gros fut établi à l'est du Plessis-Placy. Le commandement de l'armée interdit de l'employer pour exécuter une attaque partielle.
Des renseignements d'aviation reçus il résultait que dans la matinée des troupes ennemies s'étaient portées de l'ouest sur Marguelines, de Boissy-Fresnois vers le nord-est et que d'autres avaient traversé Nanteuil-le-Haudouin. A 10 h. 40 elles semblaient prendre leurs dispositions à Levignen à l'effectif d'une division environ. Un enveloppement était menaçant dans cette région. Il aurait été désirable que le IXe C. A., sous les ordres duquel la 6e D. I. avait été placée, eût encore pu intervenir dans la journée à l'aile droite. Mais la 6e D. I. qui était partie à 6 heures du matin de Charly n'arriva que très fatiguée dans la soirée à Thury en Valois-Cuvergnon et ne put plus être engagée. Le IXe C. A., parvint dans la nuit avec sa 18e D. I. jusqu'à Ivors, avec sa 17e D. I. marchant en direction de Vaumoisse, jusqu'à la région nord-ouest de La Ferté-Milon. On est étonné des performances de marche accomplies par les IIIe et IXe C. A.
Le 6 septembre les deux corps avaient combattu péniblement pendant toute la journée. Le 7 le IXe C. A. avait rompu au point du jour et marchant jusqu'à minuit avait atteint la région de Chézy; il avait donc parcouru environ 60 kilomètres. Le 8 il avait été alerté à 2 h. 10 du matin et avait marché pendant toute la journée, avec une seule et courte pause, jusqu'à une heure avancée de la nuit couvrant à nouveau 60 kilomètres. Le 9 au matin le IXe C. A. et la 6e D. I. attaquèrent. Une performance aussi inouïe ne fut possible que grâce à des prescriptions de marche minutieuses, à l'organisation de temps de marche judicieux, à la création de dépôts de vivres et d'eau le long de la route de marche, au transport des sacs sur tous les véhicules disponibles y compris les canons, enfin à l'utilisation des colonnes automobiles momentanément disponibles. Le moral de la troupe resta excellent pendant toute la marche, l'esprit de plaisanterie demeura lui-même entier. L'objectif de marche put être atteint sans déchet important (communiqué par le général von Kluge). Le colonel Auer von Herrenkirchen, à cette époque-là officier d'état-major le plus ancien du IXe C. A., dit à ce sujet : " L'aspect de nos fières troupes restera pour moi inoubliable. Il était saisissant de voir ces rangs clairsemés se traîner péniblement et cependant montrer a meilleure bonne volonté". Et cette troupe allait le lendemain matin, d'un plein élan, rejeter l'aile gauche ennemie jusqu'à Nanteuil-le-Haudouin ! Dans le courant de l'après-midi l'état-major de la 1re armée se rendit de Vendrest à La Ferté-Milon à l'aile décisive. Le IXe C. A. n'était pas encore arrivé, la 4e C. D. était dans la région de Thury-en-Valois. Lorsque nous parvînmes dans la soirée à proximité de La Ferté-Milon, nous nous heurtâmes à de la cavalerie française. C'était la 5e D. C. du corps Sordet qui exécutait un raid sur les derrières de la 1re armée. L'état-major dut prendre ses dispositions pour combattre à pied et il s'en fallut d'un rien qu'il ne fût enlevé. Nous ne pûmes rejoindre notre quartier-général que tard dans la soirée, après l'arrivée de la pointe de la 17e D. I. Dans l'obscurité, les hommes épuisés, couverts de poussière, se traînaient péniblement à travers la localité. Le lendemain matin à 3 heures ils étaient à nouveau en marche vers la bataille. D'après l'ordre d'armée donné dans la soirée à La Ferté-Milon pour la journée du 9 la décision devait être obtenue ce jour-là en partant de la région nord de Cuvergnon par l'attaque enveloppante du IXe C. A., de la 6e D. I. et de la 4e D. C., placés sous les ordres du général von Quast. La brigade Lepel du IVe C. R., qui était arrivée par Compiègne jusqu'à Verberie, reçut l'ordre de se porter sur les derrières de l'ennemi par Rully-Baron. La 10e brigade de landwehr, rendue disponible par l'inspection d'étapes et qui était arrivée jusqu'à Ribécourt (sud-ouest de Noyon), devait pousser son escadron de landwehr et sa batterie en avant à la brigade Lepel et avec le restant de ses éléments suivre cette brigade rapidement. Deux bataillons que l'inspection d'étapes avait en outre mis en marche sous les ordres du colonel von der Schulenburg étaient déjà arrivés à l'aile droite de la 6e D. I. Le dernier homme disponible avait été ainsi rameuté pour la décision et l'aile droite avait reçu une direction qui assurait un enveloppement complet. Bien qu'à Chauny l'inspection d'étapes fût dans une situation très peu sûre, menacée sur son flanc et sur ses derrières et fortement gênée dans ses relations avec l'armée par la cavalerie française qui se trouvait dans la forêt de Villers-Cotterêts, le général von Bertrab, inspecteur des étapes, et son chef d'état-major, le lieutenant-colonel von Müller, n'hésitèrent pas à envoyer au front toutes les troupes qu'ils avaient sous la main.
Le groupement Sixt von Armin (16e brigade d'infanterie, 7e et 4e D. I.) devait se joindre dans la mesure des circonstances à l'attaque du groupement Quast. L'aile gauche, aux ordres du général von Linsingen, à savoir : le groupement "Von Lochow (secteur de la 7e D. R. avec les autres éléments engagés dans ce secteur), le groupement von Cronau (secteur de la 22e D. R.), le groupement von Trossel (secteur de la 3e D.I.), devait tenir ses positions.
A La Ferté-Milon nous captâmes encore dans la soirée un radio de la 3e armée à la 2e : " Ici combat progresse bien. Hauteurs au sud de Sommesous enlevées ". Nous apprîmes également que Maubeuge avait capitulé. Pour notre part nous étions convaincus d'avoir acquis sur l'Ourcq la supériorité sur l'ennemi. La victoire nous paraissait assurée pour le 9 septembre. La tension inouïe que nous avions traversée commençait à se dissiper dans l'attente de la décision imminente.
A l'aile droite de la 2e armée la 13e D.I. se maintint contre toutes les attaques dans sa position étendue. L'ennemi ayant réussi dans l'obscurité à pénétrer dans son front sur un point, elle se replia, à une heure avancée de la soirée et en ordre complet, sur Montmirail-Artonges. Comme la 26e brigade d'infanterie était restée avec un groupe d'artillerie devant Maubeuge, elle ne comptait que 6 bataillons et 3 groupes Le colonel-général von Bülow replia alors son aile droite, dans la nuit du 8 au 9, sur la ligne Margny-Le-Thout. La 1re armé, ayant rappelé ses IIIe et IXe C. A., la 2e armée ayant ramené sa réserve (14e D. I.) de son aile droite vers son centre, et le 1er C. C. s'étant replié vers Condé-en-Brie, une brèche menaçante de 35 kilomètres à vol d'oiseau entre les 1re et 2e armées.
On petit se demander s'il était indiqué de replier l'aile droite sur Margny. L'irruption locale ennemie annoncée comme s'étant produite à la 13e D.I. se révéla insignifiante. La division s'était vaillamment défendue le 8, n'était nullement battue, mais en ordre parfait et dans les meilleures dispositions.
Le centre ne put faire aucun progrès marqué dans la région des Marais de Saint-Gond. Par contre un gros succès fut remporté à l'est de cette région. L'aile gauche de la 2e armée et l'aile droite de la 3e rejetèrent l'ennemi au delà de Fère-Champenoise-Sommesous sur la coupure de la Maurienne entre Corroy et Semoine. L'aile droite de l'armée Foch fut complètement battue ; à Mailly la brèche semblait ouverte à la percée dans le front ennemi. Une grande victoire était en perspective.
L'aile gauche de la 3e armée se heurta à des forces puissantes et ne fit aucun progrès marqué au sud-ouest de Vitry-le-François. La 24e D. R. arriva le 8 derrière son aile droite. Le commandement de la 3e armée crut par suite qu'il pouvait envisager avec une pleine confiance la continuation de l'offensive le 9 pour appuyer, par une action énergique de son aile droite en direction sud-ouest sur Sézanne, la 2e armée qui luttait péniblement.
Le lieutenant-colonel Hentsch du G. Q. G., que le colonel-général de Moltke avait envoyé aux différentes armées et qui dans la soirée se trouvait au Q. G. de la 3e armée, put envoyer de ce point le compte rendu suivant à la Direction suprême . " Situation et opinion de la 3e armée entièrement favorables. "
Pour autant qu'on peut le reconnaître dans les exposés français existants (Hanotaux et Palat n'en sont pas encore arrivés aussi loin dans leur récit), Maunoury voulait le 8 septembre attaquer son adversaire en l'enveloppant par le nord. Il disposait pour cela à l'aile gauche, en dehors du 7e C. A. et de la 6le D. R., de la 7e D. I. maintenant arrivée. En face de l'aile droite allemande, renforcée par le IVe C. A., Maunoury ne put obtenir aucun succès. Une attaque de la 45e D. I. à l'aile droite en direction d'Etrepilly n'obtint, elle aussi, aucun résultat. Le corps de cavalerie Sordet à l'extrême-gauche collait à l'infanterie. Son chef fut remplacé par le général Bridoux.
Lorsque, vers 8 heures du soir, le feu cessa de part et d'autre le général Maunoury se rendit compte qu'il réussirait difficilement à refouler son puissant adversaire au delà de l'Ourcq et à l'y suivre. Il ordonna par suite d'organiser sur la ligne Monthyon-Saint-Soupplets-Le Plessis-Belleville une position arrière à laquelle devait être employée la 62e D. R. (Canonge, ouv. cit.). Galliéni voulait lui envoyer cette division de la région de Dammartin par automobiles. Le général Mangin (ouv. cit.) confirme, lui aussi, qu'une position de repli devait être organisée le 8. Galliéni se rendit dans le courant de la journée au Q. G. de Maunoury à Saint-Soupplets : " Lorsque celui-ci lui exprima sa crainte justifiée d'être lui-même enveloppé, Galliéni chercha à le calmer et lui demanda, au cas où il serait contraint de battre en retraite de manœuvrer de façon à maintenir l'ennemi face à l'ouest pour faciliter l'avance des Anglais ". (Canonge, ouv. cit.). Pour ne pas être en reste Galliéni envoya encore dans la nuit un détachement de zouaves en automobiles à Creil et Senlis pour inquiéter les communications allemandes. Mais il ne put pas faire tourner le sort.
" Dans la nuit du 8 au 9 Maunoury rendit compte au généralissime de la situation effrayante dans laquelle il se trouvait. Il lui déclara que ses troupes épuisées, fortement réduites, seraient difficilement en état de continuer le combat. Bien que reconnaissant la vérité de ces déclarations, Joffre donna l'ordre de tenir jusqu'au dernier homme " (Fabreguettes, Les batailles de la Marne, page 61).
Du côté anglais également on confirme que la situation de Maunoury était critique le 8 septembre. On dit qu'il était fortement pressé sur tout son front et menacé d'enveloppement à son aile gauche, que les Allemands avaient pris Betz et poussé sur Nanteuil-le-Haudouin, enfin qu'une partie des troupes de la 6e armée, en particulier le 7e C. A., était épuisée. Joffre écrivit le lendemain 9 à Maunoury une lettre caractéristique de la situation du 8 : " J'ai été tenu heure par heure au courant des combats opiniâtres livrés depuis 3 jours par l'armée que vous commandez et des efforts surhumains imposés à vos troupes. En maintenant sur le front de l'Ourcq une notable partie des forces allemandes vous avez obtenu un immense avantage qui permet aux opérations des armées alliées de se développer dans le sens que je désire ".
En ce qui concerne l'armée anglaise son 1er C. A. se trouvait, ainsi que nous l'avons dit, le 8 au matin à Chailly et Jouy-sur-Morin, son 2e C. A. à Aulnoy, son 3e C. A. à Haute-Maison. D'après ses dires le généralissime anglais estimait, au sujet de la situation, que presque toute la 1re armée allemande s'était tournée contre Maunoury. La 5e armée française s'était heurtée d'autre part à une violente résistance. French se rendit compte que c'était en se portant rapidement au delà du Petit Morin et de la Marne, dans le dos de la 1re armée, et en maintenant en même temps sa liaison avec la 5e armée française qu'il pouvait soulager le plus efficacement la 6e armée. Il admit que dans cette direction il ne trouverait vraisemblablement devant lui que de la cavalerie allemande soutenue par une forte artillerie et des détachements d'infanterie. Il se montra néanmoins et comme toujours hésitant, car, ainsi qu'il le dit lui-même, il connaissait la cavalerie allemande depuis le voyage qu'il avait fait en Allemagne en 1911 et l'appréciait en conséquence. Il déclare qu'elle était très exercée aux combats d'arrière-garde, qu'elle disposait de nombreuses mitrailleuses et de toute une série de bataillons de chasseurs, que de ce fait le passage de la Marne entre Changis et La Ferté-sous-Jouarre devait être difficile et qu'une forte artillerie lourde était signalée à Vareddes. Heureusement pour nous le commandant en chef anglais n'était pas un Blücher.
L'armée anglaise se porta vers le Petit Morin, 1er C. A. sur La Trétoire, 2e C. A. sur Doue, 2e C. A. sur La Ferté-sous-Jouarre- Changis. Les exposés français déclarent que des aviateurs annoncèrent à 13 heures le repli général des Allemands vers le nord et le nord-ouest, sous la protection d'arrière-gardes établies sur le Petit Morin et qu'à partir de ce moment-là on avança enfin plus rapidement. Les 1er et 2e C. A. se heurtèrent sur le Petit Morin, à Orly et Saint Cyr, à une violente résistance de la cavalerie d'armée allemande, mais arrivèrent cependant avant la nuit jusqu'à Hondevillers-Boitron-Bussières. Le 3e C. A. ne parvint pas à franchir la Marne à La Ferté-sous-Jouarre. Le pont sur la Marne y était détruit tandis que, d'après les données anglaises, les autres étaient intacts. La 8e D. I. française se porta en avant par Pierre-Levée-Villemareuil, mais fut rappelée le 9 sur l'Ourcq par Maunoury. Son envoi au sud de la Marne avait été complètement inutile.
La 5e armée française (1er, 3e et 18e C. A., divisions de réserve Valabrègue) se serait portée ce jour-là, d'après les données françaises, jusqu'à la région de Vauchamps-Marchais, donc jusqu'au delà de Montmirail. A l'aile droite le 10e C. A. soutint la 9e armée en se portant en direction de Le Thoult.
La 9e armée a, sans conteste possible, subi le 8 une défaite à soit aile droite. Certes Foch avait bien déclaré la situation " excellente " et avait voulu prendre l'offensive. Mais son aile droite (11e C. A.) à Fère Champenoise fut rejetée derrière la Maurienne. Le Q. G. de l'armée à Pleurs fut mis en danger et dut être reporté en hâte à Plancy. L'aile droite était complètement enfoncée. Le 9e C. A., derrière les Marais de Saint-Gond, était menacé sur ses derrières.
" On peut soutenir avec raison que rarement une armée s'est trouvée dans une situation aussi critique. Que se serait-il passé si les Allemands avaient poussé résolument en direction de Saint-Loup ? " (Canonge, ouv. cit. page 41).
Civrieux déclare, lui aussi (Revue militaire générale, février 1920) que la situation à l'aile droite était extrêmement grave dans la soirée. On courait le danger de voir l'ennemi rejeter le 9 toute la 9e armée vers l'ouest et percer.
En fin de journée la division marocaine se trouvait à Mondement-Allemand, le 9e C. A. de ce point à Connantre, le 11e C. A. et la 18e D. I. au sud de la coupure de la Maurienne de Gourgançon à Semoine. La 42e D. I. à l'aile gauche fut retirée du front pendant la nuit.
A la 4e armée la situation ne subit aucun changement important le 8 septembre.
La 36 armée, fortement attaquée sur son front, se trouva menacée sur ses derrières quand la pression du Ve C. A. allemand, resté sur la rive droite de la Meuse, se renforça contre les Hauts de Meuse et que le bombardement du fort de Troyon commença. Sarrail se maintint néanmoins solidement en liaison avec Verdun et prit son parti du danger extraordinaire qu'encourrait son armée si la bataille de la Marne était perdue.
LA JOURNÉE DU 9 SEPTEMBRE
La 1re armée allemande, objet le 5 septembre d'une attaque enveloppante de l'ennemi, était prête le 9 au matin à l'attaquer en flanc et par derrière. Quant aux Anglais nous espérions les contenir. Seule la situation de l'aile droite de la 2e armée nous donnait du souci. Tout allait dépendre du fait suivant : réussirait-on à contenir l'ennemi dans cette région jusqu'à ce que la victoire prochaine de la 1re armée d'une part, les grands succès de l'aile gauche de la 2e armée et de la 3e armée d'autre part, eussent modifié définitivement en notre faveur la situation de l'aile droite allemande tout entière ?
L'état-major de la 1re armée se rendit à 8 h. 30 à Mareuil, mais la plupart des officiers d'état-major étaient en route vers les points les plus importants du champ de bataille pour tenir le commandement de l'armée constamment au courant de la situation.
Les premiers renseignements arrivèrent bientôt. La 5e D. I. était encore à la disposition du général von Linsingen au sud-est du Plessis-Placy. A 8 h. 15 la brigade Lepel avait atteint les hauteurs entre Rully et Baron sans avoir rencontré l'ennemi. La 10e brigade de landwehr la suivait. L'attaque sur les derrières de l'ennemi commençait.
De l'aile droite, l'officier d'état-major de la 1re armée envoyé auprès du général von Quast rendit compte à 10 h. 15 que l'ordre d'attaque du groupement nord (IXe C. A. et 6e D. I.) était donné et que le général Sixt von Armin avait été invité à prendre part à l'attaque : l'aile droite du IXe C. A. (17e D. I.) se portait sur la région sud et près de Rouville par Gondreville; l'aile gauche (18e D. I.) par Ivors sur Boissy-Fresnois ; la 6e D. I. devait ensuite se joindre à l'attaque en débouchant de la ligne Villers-les-Potées-Antilly et en se portant sur Betz-Villers-Saint-Genest. L'officier ajouta que de la cavalerie ennemie s'était portée de Levignen sur Crépy-en-Valois, que la lisière de la forêt de part et d'autre de Levignen était occupée, qu'une division marchait vraisemblablement de Villers-Saint-Genest vers le nord, enfin que la 4e D. C. était en marche sur Freigneux (nord de Crépy-en-Valois).
La bataille approchait donc de la décision. Après des efforts inouïs les troupes de l'aile droite se portaient en avant pour exécuter l'attaque enveloppante. Le général-major von Voss, à l'époque officier d'état-major de la 17e D. I., dit au sujet, de la marche de cette division dont nous avions vu encore peu d'heures auparavant, dans la nuit, les hommes entrer dans un état d'épuisement complet dans La Ferté-Milon : " Je n'oublierai jamais l'effet produit sur notre brave division par la nouvelle que l'on marchait à nouveau à l'ennemi. Les visages épuisés se redressèrent, toute fatigue était oubliée ; l'attaque eut lieu comme sur le terrain d'exercice. L'avance du général von Lepel par Baron fut connue et communiquée à la troupe. On voyait nettement le combat d'artillerie engagé aux divisions voisines de gauche. La conviction se fit jour qu'un grand succès était en germe. "
De la Marne nous reçûmes de nombreux renseignements. Dès 7 h. 35 nous avions été avisés par la 2e armée qu'elle avait replié son aile droite sur Margny-Le Thoult. Les Anglais eurent ainsi la route libre et ne furent plus gênés par la 2e armée dans leur marche vers la Marne. Nous apprîmes en outre que la D. C. G. s'était repliée sur Condé-en-Brie et que, la 5e D. C. avait été refoulée vers la région au nord de la Marne et s'était retirée jusqu'à Marigny-en-Orxois. Elle entra de ce fait dans le rayon d'action du 2e C. C.. Celui-ci avait encore rendu compte, à 9 h. 15, que tout était tranquille devant son front. A 10 h. 28 nous captâmes un radiogramme de la D. C. G. à la 2e armée disant que de forts éléments d'infanterie et d'artillerie avaient franchi le pont de la Marne à Charly. Un compte rendu du 2e C. C., expédié à 10 h. 50 et arrivé à 11 h. 10, disait qu'une forte infanterie était en marche par Charly-Nanteuil. Mais la suite de la transmission fut interrompue par le poste de T. S. F. émetteur sous la raison suivante : " Je dois partir en hâte ! ".
La situation sur la Marne paraissait donc devenir menaçante. L'aile droite de la 2e armée s'étant repliée et les Anglais ayant franchi la Marne, la situation de notre aile gauche sur l'Ourcq au nord de Congis devenait intenable. Derrière toute cette aile il n'y avait que deux ponts solides sur l'Ourcq, à Lizy et Crouy. Une retraite au delà de la coupure profondément encaissée de l'Ourcq pouvait devenir fatale si elle n'était entamée qu'au dernier moment et sous la pression de l'ennemi. L'aile gauche devait donc être repliée en temps voulu. Mais l'attaque de l'aile droite ne devait être continuée que plus énergiquement. Contre les Anglais également il fallait se donner de l'air en attaquant (voir croquis,18).
Le colonel-général von Kluck ordonna à 11 h. 30 au général von Linsingen de replier l'aile gauche derrière l'Ourcq et de mettre la 5e D. I. en marche sur Dhuisy pour attaquer les Anglais. Le groupement Sixt von Armin devait couvrir le mouvement en attaquant en direction de Villers Saint-Genest-Acy en Multien ; le groupement Quast devait " coopérer en attaquant en direction de Nanteuil ". Cette dernière expression n'était pas précise. Le sens de l'ordre donné était que l'attaque du centre et de l'aile droite devait être continuée. C'était la meilleure façon de couvrir le mouvement du groupement von Linsingen.
D'après les archives de guerre il n'est pas douteux que cet ordre fut tout d'abord transmis au IIe C. A. avec une autre rédaction, par téléphone et à titre d'indication provisoire. D'après cette première communication le groupement Sixt von Armin aurait dû se replier, lui aussi, derrière la coupure Antilly-Mareuil, l'aile gauche " en direction de Crouy avec flanc garde par Coulombs en direction de La Ferté Milon-Neuilly Saint-Front. " Cette rédaction n'est pas claire en soi. La première communication faite repose visiblement sur un malentendu soit de la part de l'officier de l'armée chargé de transmettre l'ordre, soit de la part de l'officier du IIe C. A. qui le reçut. Actuellement il n'est plus possible d'en savoir davantage sur la question. Le commandement du corps d'armée formula immédiatement des objections par téléphone. Le malentendu put être dissipé en temps voulu.
Le général von Linsingen ordonna à l'aile gauche de l'armée placée sous ses ordres de se replier sur la ligne May en Multien-Coulombs à savoir : Groupement Lochow (7e D. R., restes de la 8e D. I., éléments étrangers se trouvant avec elle) sur May-en-Multien, aile gauche à l'Ourcq ; groupement Gronau (22e D. R. et éléments se trouvant avec elle) sur Fussy ; groupement von Trossel (3e D. I., éléments se trouvant avec elle et détachement de Mary) sur Certigny-Coulombs. Cet ordre donne aussi une idée du mélange des unités.
Il arriva vers 13 heures aux différents groupements; le mouvement commença entre 14 et 15 heures en ordre parfait et sans être gêné du tout par l'ennemi. Les derniers éléments de l'aile gauche franchirent le carrefour de Beauvoir-au-Beauval à 15 h. 40. Le capitaine von Schütz de l'état-major de l'armée resta encore longtemps en ce point : " Pendant tout ce temps les obus percutants et les shrapnells français continuèrent à éclater au même endroit qu'auparavant. Aucun ennemi n'était visible. Quand il n'y eut plus personne à Beauvoir je partis en auto pour May-en-Multien et montai dans le clocher très élevé de ce village. Au sud-ouest, dans le ciel clair du soir, se dressait la Tour Eiffel. Le feu de l'artillerie française avait presque entièrement cessé. Malgré la vue excellente que l'on avait sur tout le terrain, on n'apercevait rien de l'ennemi, pas même une patrouille de cavalerie ". Plus au sud également aucun fantassin, aucun cavalier ne suivit le groupement Gronau.
L'ennemi qui était en face de notre aile gauche était à bout de forces. Il semble qu'il ne se soit pas aperçu du tout de notre repli. Je n'ai trouvé mentionné dans aucun rapport français qu'il l'ait remarqué.
C'est avec raison que vers 14 heures le général von Linsingen, commandant du IIe C. A., put comme le fait remarquer le journal de marche de ce corps d'armée, " acquérir la conviction qu'en repliant l'aile gauche de l'armée on avait tenu entièrement compte de la menace provenant des Anglais et que l'offensive de l'aile droite, qui était en bonne voie, était appelée à aboutir à une victoire de la 1re armée ".
A 12 h. 34 le capitaine Bührmann transmit de l'aile droite un compte-rendu disant que l'attaque franchissait la ligne lisière sud de la forêt à l'ouest de Grondeville-Ormoy-Antilly, en direction de Levignen-Betz ; que l'on ne semblait pas rencontrer de forces ennemies importantes, que Betz était libre d'ennemis et qu'à Crépy-en-Valois il y avait de la cavalerie ennemie. A 13 h. 55 il ajouta que le Bois-du-Roi semblait évacué par l'ennemi, qu'à l'est de Nanteuil une position de repli paraissait projetée, enfin que d'après un compte rendu d'aviation de 12 h. 30 la brigade Lepel était engagée à Baron.
Le cercle semblait donc se fermer à Nanteuil-le-Haudouin autour de l'aile ennemie, quand une intervention inattendue se produisit.
Vers midi le lieutenant-colonel Hentsch, venant de la 2e armée, se présenta à Mareuil au nom de la Direction Suprême. Je le renseignai sur la situation et lui communiquai que pour assurer la sécurité du flanc gauche nous venions d'ordonner à l'instant de porter notre aile gauche en arrière parce que l'aile droite de la 2e armée s'était repliée sur Margny. Il y eut alors, en présence du colonel von Bergmann, quartier-maître général de la 1re armée, une discussion qui fut décisive pour l'issue de la bataille de l'Ourcq. Le colonel Bergmann et moi, nous étions parfaitement conscients de l'importance extraordinaire de l'heure. Après la discussion du 9 septembre il n'y eut pas une minute à perdre pour donner les ordres les plus urgents en fonction de la décision prise. Nous ne trouvâmes le temps de mettre sur le papier le détail de la discussion que le lendemain. Chaque mot nous était resté profondément gravé dans la mémoire et fut mis par écrit après réflexion minutieuse. Je reproduis tout d'abord le texte de ce procès-verbal :
La Ferté-Milon 10.9.1914
" Hier à midi le lieutenant-colonel Hentsch de la Direction suprême se présenta au Q.G. de l'armée à Mareuil et fit la communication suivante La situation n'est pas favorable. La 5e armée est bloquée devant Verdun, les 6e et 7e armées devant Nancy-Épinal. La 2e armée n'est plus qu'une scorie. Sa retraite derrière la Marne est irrévocable; son aile droite (VIIe C. A.) a été refoulée et non pas repliée. Il est par suite nécessaire de commencer par " décrocher " toutes les armées à la fois et de les reporter : la 3e au nord-est de Châlons, la 4e et la 5e en liaison avec elle sur Verdun par Clermont-en-Argonne. La 1re armé. doit donc se replier également, direction Soissons-Fère en Tardenois et même sur Laon-La Fère dans le cas le plus extrême. Il dessina au fusain sur ma carte les fronts approximatifs que devaient atteindre les armées. Il ajouta qu'une nouvelle armée allait être concentrée à Saint-Quentin et qu'une nouvelle manœuvre pourrait ainsi commencer,
Je fis remarquer que nous étions en pleine attaque, qu'une retraite serait très délicate, que l'armée était entièrement mélangée et également épuisée au plus haut point.
Il déclara que néanmoins il n'y avait plus rien d'autre à faire. Il concéda qu'en partant du combat engagé il n'était pas possible de battre en retraite dans la direction indiquée, mais que nous pouvions nous replier droit devant nous, avec l'aile gauche derrière l'Aisne au plus sur Soissons. Il souligna que celle directive était déterminante et devait le rester quelles que fussent les communications qui pourraient nous être faites ultérieurement, car il avait pleins pouvoirs.
Von KUHL,
Général-major et chef d'état-major de la 1re armée.
Les déclarations ci-dessus ont été faites en ma présence et je les certifie :
Von BERGMANN,
Colonel et quartier-maître général de la 1re armée.
L'entretien dura longtemps. J'opposai la plus vive résistance à l'invitation de battre en retraite et insistai toujours de nouveau sur la situation favorable de notre aile droite. Toutes les possibilités de continuer le combat jusqu'à la victoire définitive furent examinées. Cependant quand il eut été établi que la décision de la 2e armée avait été prise le matin, que ses troupes étaient déjà en pleine retraite l'après-midi et qu'aussi cette décision ne pouvait plus être rapportée, le commandement de l'armée dut se soumettre. Même une victoire sur Maunoury n'aurait pas pu nous empêcher d'être enveloppés à notre aile gauche par des forces supérieures et d'être coupés du gros de l'armée. La 1re armée était désormais isolée,
Je me rendis auprès du commandant de l'armée pour faire mon rapport. Le cœur lourd, le colonel-général von Kluck dut accepter l'ordre. Une fois que je fus rentré le lieutenant-colonel Hentsch partit après avoir eu connaissance de la décision prise.
Le général-lieutenant von Bergmann décrit comme suit les événements d'après le souvenir qu'il en a gardé:
" J'ai assisté depuis le commencement jusqu'à la fin à la discussion qui eut lieu le 9 septembre avec le lieutenant-colonel Hentsch dans le bureau du général von Kuhl. Le lieutenant-colonel Hentsch décrivit la tournure, à son avis peu favorable, que les événements avaient prise sur le théâtre occidental et insista particulièrement sur la situation de la 2e armée voisine. Je me souviens exactement qu'il dépeignit cette situation sous des couleurs très sombres et que la description qu'il fit du moral très déprimé de l'état-major de la 2e armée me frappa particulièrement. Il fut évident pour nous que le lieutenant-colonel s'était fait, d'après les renseignements qui lui avaient été donnés à la 2e armée, une image complètement fausse de la situation de la 1re armée et que l'appréciation beaucoup plus favorable qui lui fut donnée par le général von Kuhl le surprit extraordinairement. Aux graves objections faites par le général von Kuhl contre la retraite exigée de la 1re armée qui à son aile droite était précisément en train d'exécuter une attaque qui progressait favorablement, objections auxquelles je me joignis également en insistant sur les difficultés techniques et l'état des troupes, le lieutenant-colonel Hentsch répondit toujours en disant que la retraite de la 2e armée derrière la Marne, déjà commencée, était une nécessité irrévocable. Devant cette communication et la déclaration ultérieure du lieutenant-colonel Hentsch disant qu'il avait pleins pouvoirs pour ordonner au nom de la Direction suprême le repli de l'armée, il ne resta plus au général von Kuhl qu'à proposer au commandant en chef l'ordre de retraite, d'autant plus qu'à ce moment-là il n'y avait pas de liaison permettant un échange d'idées direct avec la Direction suprême. Il se rendit dans ce but auprès du général von Kluck pour lui faire son rapport, pendant que je demeurai seul dans la pièce avec le lieutenant-colonel jusqu'à ce que le général von Kuhl revint avec l'approbation dit commandant en chef.
" Tous les officiers de l'état-major de la 1re armée chargés des opérations sentirent l'importance historique de la directive qui nous avait été donnée par le lieutenant-colonel Hentsch et dès le 9 après-midi le capitaine von Alten me suggéra qu'il était nécessaire que les deux témoins - le général von Kuhl et moi - fixassent par écrit la teneur des négociations avec l'envoyé de la Direction suprême. Mais l'abondance des questions qui incombèrent encore ce jour-là à l'état-major de l'armée jusqu'à une heure avancée de la nuit ne permirent de mettre ce projet à exécution que le lendemain à 10 heures du matin à La Ferté-Milon. Le procès-verbal bien connu reproduit textuellement les points essentiels des déclarations du lieutenant-colonel Hentsch, déclarations qui avaient fait sur nous une profonde impression et qui de ce fait étaient encore entièrement dans notre mémoire. Je certifie l'exactitude du contenu du dit procès-verbal. "
Bien que voyant le but à portée de sa main, le commandent en chef dut renoncer à l'atteindre. Les mesures à prendre pour la retraite furent difficiles. Les forces de l'armée qui, dans l'élan de l'offensive, étaient encore suffisantes menaçaient d'être défaillantes dans une retraite. Les unités étaient complètement mélangées, les trains régimentaires, les parcs, les convois n'étaient pas préparés à une retraite et n'avaient pas l'avance nécessaire. Leurs mouvements durent être réglés uniquement par l'état-major de l'armée pour éviter l'embouteillage des routes et des ponts. L'armée avait derrière elle l'Aisne avec ses hauteurs boisées aux forte pentes. Il fallait préparer et couvrir son passage et tenir compte du fait que la puissante cavalerie d'armée ennemie qui se trouvait dans notre flanc pouvait nous y devancer. Tout dut être ordonné dans la plus grande hâte pour pouvoir commencer la retraite dès la nuit suivante. Le 5 septembre l'armée était au delà de la Marne face au sud; pendant la bataille de l'Ourcq elle avait fait face à l'ouest, puis au sud-ouest ; maintenant, 9 septembre, elle devait se replier sensiblement vers le nord. Tout spécialiste reconnaîtra les difficultés extraordinaires qui résultèrent de ces changements pour le mouvement des troupes, les trains régimentaires, les colonnes de munitions et les convois ainsi que pour le ravitaillement en vivres, en munitions et les mesures sanitaires.
Pendant l'entretien avec le colonel Hentsch on avait encore reçu à 13 h. 04 de la 2e armée le radio suivant dont la transmission avait été retardée par suite d'une panne de moteur : " Aviateur signale avance de 4 longues colonnes vers la Marne. Têtes à 9 heures à Nanteuil-sur-Marne, Citry, Pavant, Nogent-l'Artaud. 2e armée entame retraite, aile droite Damery ". Cette dernière indication fut reconnue erronée le lendemain à la suite d'une demande de la 1re armée qui avait capté d'autres radios de la 2e armée. Il ne s'agissait pas de Damery près d'Epernay, mais de Dormans.
Le commandement de la 1re armée prévint en premier lieu la 4e D.C. qui se trouvait à ce moment là dans la région de Vaumoise (est de Crépy-en-Valois) : il lui fit savoir à 14 heures que la 2e armée allait se replier en direction d'Épernay, la 1re armée avec son aile gauche en direction de Soissons et lui ordonna de prendre immédiatement les devants sur l'Aisne et d'occuper les ponts de Soissons à Attichy.
Une fois que le commandement de l'armée se fut rendu compte de la façon dont la retraite devait être exécutée dans ses grands traits, le 2e C. C. fut informé à 15 h. 15 que la 1re armée se replierait dans la journée sur la ligne Antilly-Brumetz, puis plus en arrière au cours de la nuit, et qu'il devait couvrir ce mouvement, la 5e D. I. étant placée sous ses ordres dans ce but.
Sur ces entrefaites l'ordre d'armée fut terminé. Le colonel-général von Kluck prescrivit dans l'après-midi au général von Linsingen de reporter tout d'abord l'aile gauche de l'armée dont il avait le commandement derrière la coupure Montigny l'Allier-Brumetz, pendant que le groupement Sixt von Armin se porterait derrière la ligne Antilly-Mareuil. Le groupement Quast ne devait pas pousser son attaque plus loin que cela ne lui était nécessaire pour se dégager de l'ennemi et devait ensuite se joindre au mouvement des autres groupements.
Les corps d'armée furent informés immédiatement à titre provisoire, avant l'envoi de l'ordre d'armée, par téléphone et officiers de liaison chargés de leur expliquer la décision prise, Cette décision se heurta partout à une violente opposition et tout particulièrement au IXe C. A. Le capitaine Bührmann de l'état-major de la 1re armée qui se trouvait auprès du IXe C. A. fit savoir que la troupe avait une confiance absolue en la victoire et un moral élevé malgré les fatigues sans exemples des dernières semaines et surtout des derniers jours. L'ennemi était partout en train de céder. Lorsque le capitaine Bührmann fut chargé au téléphone par le, commandement de l'armée de transmettre l'ordre de retraite au commandant du IXe C. A., il s'y refusa résolument et me fit appeler personnellement au téléphone. Je lui expliquai les raisons de la décision prise. Le capitaine Bührmann rapporte ce qui suit sur ce qui se passa ultérieurement à l'état-major du IXe C. A. : " Sur ces entrefaites l'ordre de l'armée prescrivant de battre en retraite était arrivé. Le général von Quast éleva une violente protestation et m'invita à obtenir de l'armée que l'ordre fût annulé. J'appelai à nouveau au téléphone le général von Kuhl, qui m'exposa encore une fois en détail toute la situation et la nécessité de la retraite. Pendant ce temps l'ordre était parvenu à la connaissance des divisions. Le chef d'état-major du IXe C. A. me déclara que le général von Kluge, commandant de la 18e D. I., se refusait à exécuter l'ordre qui était complètement incompréhensible pour lui, disant que l'ennemi était en pleine retraite sur Paris, que ses troupes voulaient exploiter complètement leur victoire et étaient en situation de le faire. Il appela encore une fois l'armée au téléphone. Son Altesse royale le grand-duc de Mecklembourg-Schwerin qui accompagnait le IXe C. A. se joignit à cette demande. L'armée répondit que la décision prise était irrévocable. "
La situation à notre aile droite était brillante dans l'après-midi.
La 18e D. I. avait pris à midi Bargny et la lisière de la forêt au sud de Levignen, puis enlevé les hauteurs à l'est de Boissy-Fresnoy et de Villers-Saint-Genest. Notre supériorité était nettement visible. Le feu de l'artillerie ennemie était peu intense, nos pertes faibles. C'est alors qu'arriva dans l'après-midi l'ordre du corps d'armée prescrivant de ne plus avancer. Le général von Kluge protesta au téléphone et signala que si l'attaque continuait son succès était certain. En même temps il donna l'ordre à sa division d'enlever Boissy-Fresnois et Villers-Saint-Genest et invita la division voisine à coopérer avec lui. Ces localités furent prises d'assaut sans grandes pertes, lorsqu'arriva un nouvel ordre du corps d'armée prescrivant de ne pas aller plus loin. Le général protesta encore une fois contre l'ordre donné, convaincu qu'il était que si nous continuions à avancer nous étions certains de remporter encore le 9 une victoire décisive sur Maunoury dont l'aile gauche était battue et entourée. Mais il dut se conformer à l'ordre donné (communiqué par le général von Kluge).
Entre temps, plus à droite, la 17e D. I. avait progressé par Levignen à travers la partie nord du Bois du Roi et enveloppait l'ennemi. La 4e D. C. progressait par Crépy-en-Valois. La brigade Lepel que suivait la 10e brigade de landwehr s'était portée en avant de Verberie par Baron-Droisille et arrivait sur les derrières de l'ennemi. La 6eD. I. était en marche sur Villers-Saint-Genest par Betz et soutenait la 18e D. I.
Le groupement Sixt von Armin s'était porté, lui aussi, de bonne heure à l'attaque. Son projet initial avait été de ne se joindre à l'attaque du groupement Quast que quand celui-ci aurait franchi la ligne Levignen-Betz. Mais lorsque l'ennemi parut retirer des forces de Villers-Saint-Genest pour les porter vers le nord, le général Sixt von Armin se décida à attaquer. Son aile droite était en train de progresser par le bois de Montrolles.
Telle était la situation quand la retraite dut commencer. Elle s'exécuta dans le plus grand calme.
L'ordre d'armée qui la réglait atteignit le général von Linsingen à 16 heures alors que le mouvement de repli de l'aile gauche sur la ligne May-en-Multien-Coulombs, ordonné à midi, était en cours d'exécution. A 17 h. 10 à Crouy il ordonna de continuer le mouvement tout d'abord jusqu'à Montigny-Brumetz.
Le groupement Sixt von Armin se décrocha de l'ennemi sans aucune difficulté. Personne ne suivit, l'ennemi perdit tout contact.
Le groupement Quast resta sur le terrain conquis et ne commença à se replier que le lendemain matin.
A 20 h. 15 l'armée envoya de Mareuil l'ordre de continuer le mouvement et de pousser le jour même avec les gros jusqu'à la ligne Gondreville (sud-est de Crépy-en-Valois)-La Ferté-Milon-Cours de l'Ourcq en amont de ce point et au nord. La brigade Lepel se replia par Verberie. Le colonel-général von Kluck exprima aux troupes de la 1re armée sa reconnaissance la plus grande pour leur dévouement et les performances extraordinaires qu'elles avaient accomplies jusqu'alors au cours de l'offensive.
L'état-major se rendit ensuite à une heure tardive de la soirée à La Ferté-Milon où il trouva difficilement à se loger. Au cours de la nuit il fallut arrêter les mesures qui restaient à prendre pour régler les communications arrière des corps d'armée, le mouvement des colonnes et des trains, le ravitaillement en vivres et munitions et de nombreuses autres questions. Des éléments de cavalerie ennemie se firent voir dans la soirée dans la forêt de Villers-Cotterêts et empêchèrent l'inspection d'étapes d'envoyer à l'armée colonnes de vivres et de munitions.
Le compte-rendu suivant fut adressé en fin de journée à la Direction suprême : " Aile droite de l'armée rejetait l'ennemi en direction de Nanteuil. Centre et aile gauche conservaient leurs positions, 2e C. C. renforcé contenait l'ennemi sur la Marne à La Ferté et en amont. Conformément à l'ordre de la Direction suprême la 1re armée s'est alors repliée sans être pressée par l'ennemi sur la ligne Crépy-en-Valois-La Ferté-Milon-Neuilly. Anglais franchissent la Marne dans la section La Ferté-so us- Jouarre-Château-Thierry. Intention pour le 10 septembre : continuer le mouvement au delà de l'Aisne. "
Sur la Marne le 2e C. C. parvint le 9 septembre à se maintenir pendant toute la journée à La Ferté-sous-Jouarre, où le pont avait été détruit, et en aval. A l'est de cette ville les ponts tombèrent intacts aux mains de l'ennemi. Il n'y eut pas de résistance locale sérieuse dans cette région. La brigade Kraewel s'était établie le 9 à Montreuil-aux-Lions. Le 1er C. C. s'étant replié, le passage était ouvert à l'ennemi. A Montreuil-aux-Lions la brigade Kraewel entra en combat dans le courant de la journée avec les forces ennemies qui avaient franchi la Marne à Saacy-Nogent l'Artaud. Dans l'après-midi la 5e D. I. en marche de Vendrest sur Dhuisy arriva. Le général von der Marwitz décida alors d'attaquer l'ennemi avec ces troupes et avec le corps de cavalerie qui se trouvait près de Cocherel. D'après les indications fournies par le corps de cavalerie et la 5e D. I., on parvint encore à refouler l'ennemi dans la soirée. Le général von der Marwitz entama ensuite sa retraite qui ne fut pas troublée par l'ennemi. Le général von Kraewel (Militär-Wochenblatt, 1919, no 74) est d'avis que sa brigade a complètement rempli sa mission, arrêter les Anglais. Il estime également qu'étant donné le bon état de ses troupes et la conduite tactique inhabile des Anglais, sa brigade aurait pu aussi les contenir le 10, de concert avec la 5e D. I. et notre nombreuse cavalerie.
Plusieurs comptes-rendus d'aviation arrivèrent jusqu'au soir à la 1re armée sur l'avance des Anglais au delà de la Marne. A 15 h. 30 la région de Château-Thierry était libre d'ennemis. A La Ferté-sous-Jouarre aucun passage n'avait lieu; à Nanteuil une colonne traversait la Marne. Au nord de Charly de faibles éléments avaient été vus en formation d'attente. Le pont de Chézy n'était pas détruit.
D'après les ordres de son chef la 2e armée devait le 9 se tenir sur la défensive avec son aile droite repliée sur Margny, continuer à attaquer avec son aile gauche et se joindre à cette attaque avec son centre. Le 9 au matin le colonel-général von Bülow prit cependant la décision de battre en retraite derrière la Marne bien qu'à son état-major il ne manquât pas de voix pour s'élever contre cette retraite. Il justifie sa décision dans son rapport (page 60) en disant qu'il fallait tenir compte de la vraisemblance d'une percée de forces ennemies importantes entre les 1re et 2e armées : " Si l'ennemi se portait au delà de la Marne dans le dos de la 1re armée, celle-ci courait le danger d'être complètement entourée et refoulée en direction de l'ouest. C'est pourquoi, lorsque le 9 novembre au matin l'ennemi franchit la Marne en de nombreuses colonnes entre La Ferté-sous-Jouarre et Château-Thierry, il ne fut plus douteux ici que la retraite de la 1re armée était inévitable d'après la situation tactique et stratégique et que la 2e armée devait, elle aussi, se replier pour ne pas être complètement débordée sur son flanc droit. "
Le colonel-général von Bülow avait acquis la conviction que la 1re armée devait se replier derrière l'Aisne et chercher à reprendre contact avec la 2e armée en direction de Fismes.
Un nouveau front devait être ainsi constitué sur l'Aisne. Les ordres pour la retraite furent encore donnés dans la matinée et la retraite commença dans l'après-midi.
La 2e armée envoya à 14 h. 30 le compte rendu suivant à la Direction suprême : " 1re armée se replie, aile gauche Coulombs-Gandelu. D'accord avec Hentsch 2e armée suspend son offensive qui progressait lentement et gagne la rive nord de la Marne, aile droite à Dormans ". L'indication donnée dans ce compte rendu sur la retraite de la 1re armée repose sur un radio de la 1re armée qui ne parvint à la 2e ou ne fut capté par elle qu'à 12 h. 30, donc à un moment où la retraite de la 2e armée était déjà ordonnée et où le lieutenant-colonel Hentsch était déjà arrivé à la 1re armée. De plus dans ce radio adressé, semble-t-il, au 2e C. C. il n'est nullement question d'une retraite de la 1re armée, mais du repli plusieurs fois signalé de son aile gauche.
Le 10 septembre le colonel-général von Bülow transmit encore un compte rendu dans le même sens : " D'accord avec Hentsch la situation est appréciée ici comme suit : retraite de la IIIe armée derrière l'Aisne rendue obligatoire par la situation tactique et stratégique. 2e armée doit épauler 1re armée au nord de la Marne si l'aile droite de l'armée allemande ne doit pas être comprimée et prise progressivement en flanc. "
Il résulte de là que le 9 au matin le colonel-général von Bülow, n'était pas exactement renseigné sur la situation de la 1re armée. Ainsi qu'il ressort de l'exposé déjà fait des événements du 9 septembre et comme le confirme la situation de l'ennemi que nous avons encore à examiner, la décision de la 2e armée de battre en retraite ne peut être justifiée essentiellement par la situation de la 1re armée. Les Anglais n'ont pas franchi la Marne le 9 au matin en de nombreuses colonnes entre La Ferté-sous-Jouarre et Château-Thierry. Le croquis 3 joint au rapport du général-feldmaréchal von Bülow (situation le 9 à 10 heures) ne reproduit pas exactement la situation. Le 9 au soir les Anglais étaient encore loin de s'être portés aussi en avant. De même la Marne n'était pas défendue par nous uniquement avec de la cavalerie. Enfin, et surtout, sur le croquis 3 Français et Allemands sont opposés de front dans la bataille de l'Ourcq alors que dans la réalité l'aile gauche française était complètement enveloppée et attaquée par derrière.
Il n'est pas douteux que la situation de la 1re armée les 8 et 9 septembre fut jugée sous un jour extrêmement défavorable à la 2e armée. Ce fait est également confirmé par le capitaine Bührmann qui avait été envoyé par la 1re armée à l'état-major de la 2e. On y disait que la 1re armée était battue et n'était plus guère utilisable.
La Direction suprême, elle aussi, avait considéré la situation de la 1re armée comme très inquiétante. C'est ainsi que s'explique la mission qui avait été donnée au lieutenant-colonel Hentsch et la façon dont il l'accomplit. Certes la 1re armée était tombée dans un grand danger, mais elle s'en est tirée. Pendant un certain temps encore par la suite on estima que la 1re armée avait subi une défaite sur l'Ourcq. Le 14 septembre 1914 le général von Stein, quartier-maître général, étant venu au Q. G. de la 1re armée à Vauxaillon et ne m'y ayant pas rencontré, y laissa une lettre d'où il ressortait qu'à ce moment-là la Direction Suprême était encore d'avis que le IVe C. R. avait été battu devant Paris et que la bataille de l'Ourcq avait eu, tout au moins à son aile gauche, un cours peu favorable. La Direction suprême nous demanda encore en octobre 1914 si nous avions perdu 120 canons. Or en réalité pendant la retraite vers l'Aisne 9 pièces furent abandonnées par un corps d'armée, et dans un autre 11 batteries furent formées avec 12 par suite de perte de matériel. Par ailleurs nous perdîmes une douzaine de voitures à bagages, caissons à munitions et forges.
On a beaucoup discuté au sujet de la mission reçue par le lieutenant-colonel Hentsch. Malheureusement cette mission ne lui a pas été donnée par écrit, ce qui eût été absolument nécessaire dans un cas aussi important. Le lieutenant-colonel Hentsch ne l'a acceptée qu'à regret et était parfaitement conscient de la grande responsabilité qu'il encourait. Il n'était nullement porté à agir avec indépendance ni à outrepasser ses pouvoirs par ambition. Je le connaissais, pour avoir travaillé avec lui pendant des années, comme un officier d'état-major très intelligent, très prudent et très réservé dans lequel on pouvait avoir une confiance absolue. Le général Tappen déclare (op. cit., page 24) qu'il avait reçu pour mission de se renseigner auprès des armées sur la situation. Au cas où des mouvements de repli auraient déjà été ordonnés par les commandants d'armée, il devait agir en sorte que la cohésion des armées entre elles fût rétablie ; la direction de Soissons devait alors être envisagée pour la 1re armée. Le général-lieutenant Tappen déclare en outre que l'envoi du lieutenant-colonel fut précédé d'un examen détaillé de la situation au cours duquel on souligna qu'il s'agissait désormais de tenir et d'empêcher tout mouvement de repli.
Ce fait est confirmé par ailleurs. Le général-lieutenant Tappen affirme que le lieutenant-colonel Hentsch n'avait pas mission d'ordonner des mouvements de repli au nom de la Direction suprême. Le colonel-général von Moltke s'exprime comme suit à ce sujet: "Le lieutenant-colonel Hentsch avait uniquement pour mission de dire à la 1re armée que si une retraite devenait nécessaire, elle devait se replier sur la ligne Soissons-Fismes pour reprendre ainsi contact avec la 2e armée. Il n'avait nullement pour mission de dire que la retraite était inévitable ". Le lieutenant-colonel Hentsch lui-même reproduit comme suit la mission qu'il avait reçue : " J'avais pour mission d'ordonner en cas de besoin la retraite de toute l'armée sur la ligne Sainte-Menehould-Reims-Soissons-Fismes. Il m'a été donné formellement pleins pouvoirs pour donner des ordres au nom de la Direction suprême. "
En résumé on peut d'après ce qui précède établir ce qui suit : l'intention de la Direction suprême était d'agir sur l'aile droite de façon à l'amener à conserver ses positions; elle tint compte cependant du fait que la retraite pourrait devenir nécessaire et pour cette éventualité indiqua dès ce moment-là Soissons comme direction pour la 1re armée. Au cas où des mouvements de repli seraient déjà ordonnés par une armée, le lieutenant-colonel devait s'occuper du rétablir la cohésion entre les armées et donner des ordres en conséquence : c'est ce cas qui se produisit. Il n'était pas qualifié pour ordonner de lui-même une retraite à une armée quelconque si ces conditions préalables n'étaient pas réalisées. Il ne l'a pas fait non plus et n'a pas prétendu avoir eu un pareil droit.
Arrivé à la 3e armée le 8 septembre il y trouva la situation favorable et en rendit compte à la Direction suprême.
Il en fut autrement à la 2e armée. Lorsqu'il arriva le 8 septembre au soir à Montmort il y trouva les bagages de l'état-major de l'armée prêts à partir. La retraite avait été déjà manifestement envisagée, mais elle n'était pas encore, décidée. A 22 h. 30 il transmit le compte-rendu suivant à la Direction suprême : " Situation sérieuse, mais non désespérée à l'aile droite de la 2e armée ". Le 9 an matin le colonel-général von Bülow se décida à battre en retraite. Les éléments déterminants de cette décision furent : la situation de la 1re armée, considérée à l'état-major de la 1re armée comme extrêmement menacée, la conception exagérément défavorable qu'il avait de la situation de sa propre aile droit, enfin la brèche qui existait entre les 1re et 2e armées. Personne ne signale que le lieutenant-colonel Hentsch, agissant dans l'esprit de sa mission, ait fait, sentir son influence dans le sens contraire et ait demandé que l'on tint sur place. Il vit la situation telle qu'on la lui dépeignit à Montmort et accepta la façon de voir du colonel-général Von Bülow sans pouvoir vérifier les bases de sa décision.
Quand le 9 septembre au matin il partit de Montmort pour Mareuil, il était établi que la 2e armée commencerait à battre en retraite l'après-midi. D'accord avec le colonel-général von Bülow le lieutenant- colonel Hentsch était convaincu de la nécessité de la retraite de la 1re armée sur Soissons-Fismes.
Ce ne fut que vers 12 h. 30 qu'il arriva au Q. G. de la 1re armée après avoir été obligé de s'arrêter en chemin par suite de l'embouteillage des routes et de faire un grand détour. La discussion à Mareuil dura jusque vers 14 heures. Le lieutenant-colonel s'y trouva tout à coup en face d'une tout autre conception. Le commandement de la 1re armée était conscient de la gravité de la situation et ne sous-estimait nullement le danger de la brèche qui existait entre les 1re et 2e armées. Mais c'était précisément dans la matinée du 9 que le renversement complet avait commencé à se produire en notre faveur dans la bataille de l'Ourcq. Nous espérions pouvoir contenir suffisamment les Anglais avec les mesures que nous avions prises. Tout pouvait être mené à bonne fin si la 2e armée tenait encore pendant quelque temps. Dans ces conditions je me refusai résolument à accepter l'ordre de retraite et ne le donnai qu'après de longues négociations et pour les motifs indiqués. Pour me persuader de la nécessité de la retraite, le lieutenant-colonel Hentsch me dépeignit la situation de la 2e armée sous les couleurs les plus sombres. Ce qu'il me dit à ce sujet ne répondait pas à la réalité.
D'après ce qui précède on est obligé de constater que le lieutenant-colonel Hentsch n'a pas outrepassé sa mission. Une fois la retraite de la 2e armée décidée et entamée, il devait rétablir la cohésion des armées entre elles. Il n'était pas possible d'y parvenir autrement que par la retraite de la 1re armée. Or la Direction suprême avait prescrit que dans ce cas la 1re armée devrait prendre la direction de Fismes-Soissons. Le lieutenant-colonel Hentsch avait donc le droit d'ordonner à la 1re armée de battre en retraite dans cette direction. Il ne s'est rendu coupable, d'aucune intervention injustifiée dans les décisions du commandement de la 1re armée et n'est pas responsable de la retraite qui suivit la bataille de la Marne. Celui qui porte la responsabilité de ce qui est arrivé, c'est celui qui lui a donné sa mission, celui qui à l'heure la plus grave de la campagne s'en est remis à lui du soin de prendre la décision. D'après le général-lieutenant Tappen le lieutenant-colonel Hentsch a déclaré ultérieurement qu'il n'avait donné d'ordre de retraite à aucune armée et que quand il arriva au Q. G. de la 1re armée les ordres de retraite étaient déjà donnés par le commandement de cette armée. Il y a certainement là une erreur de la part du général-lieutenant Tappen. Le lieutenant-colonel Hentsch n'a pas prétendu cela dans son rapport, au contraire il a dit lui-même : " J'ai fait allusion devant la 1re armée à l'ordre que j'avais reçu et j'ai ordonné la retraite au nom de la Direction suprême ".
C'est une autre question de savoir, si du point de vue de la Direction suprême, le lieutenant-colonel Hentsch devait approuver la décision prise en toute indépendance par le colonel-général von Bülow, ou s'il devait chercher à l'empêcher conformément à la directive qu'il avait reçue. Lorsqu'il arriva à l'état-major de la 2e armée, il ignorait la situation réelle de la 1re armée. Il la vit sous le jour où on la supposait à cet état-major. Il penchait d'ailleurs, de par sa nature même, à voir les choses en noir. Il est regrettable qu'il n'ait pas commencé sa tournée par les 1re et 2e armées dont le sort était en jeu au lieu de rouler tout un jour en auto de l'aile gauche à l'aile droite en passant par toutes les armées. Ce qui est encore plus regrettable, c'est qu'il n'y ait pas eu d'organe supérieur intermédiaire pour accorder les conceptions divergentes des commandements des 1re et 2e armées. Un commandant de groupe d'armées aurait, comme cela a eu lieu constamment par la suite dans des cas semblables, éclairci rapidement la situation en causant personnellement avec les deux commandements d'armée. Le colonel-général von Bülow aurait eu alors une idée exacte du point où en était le combat de la 1re armée.
La situation de la 2e armée le 9 septembre ne rendait pas sa retraite nécessaire. Son aile droite repliée ne fut pas attaquée du tout le 9 avant le commencement de la retraite. La 13e D. I. avait pu occuper et fortifier en toute tranquillité sa nouvelle position. Elle put ensuite récupérer les heures de sommeil dont elle avait besoin. 2 bataillons et 2 batteries d'obusiers lourds arrivèrent pour la renforcer. Il est manifeste que les Français ne s'étaient pas rendu compte de leur succès local du 8 au soir. Le 9 au matin ils avaient perdu le contact de la 13e D. I. Le flanc de cette division n'était pas menacé. " L'ordre de battre en retraite éclata comme une bombe au milieu des chefs et de la troupe. Ce ne fut pas une tâche facile que de la faire accepter par la troupe en invoquant les échecs subis en un autre endroit. On ne pouvait pas l'expliquer d'après notre propre situation ". Le commandant de la division, le général von dem Borne, est d'avis qu'il aurait pu tenir sa position le 10 contre toute attaque ennemie. Lors du repli il fit défiler devant lui presque toute son infanterie ; elle était en ordre parfait (communication du général de l'infanterie von dem Borne). Cette troupe n'était pas une " scorie ", elle l'a prouvé les jours suivants.
Le colonel von Caprivi, qui était alors l'officier d'état-major le plus ancien de l'état-major du VIIe C. A., et le commandant von Platen, alors officier d'état-major à la 13e D. I., confirment la description précédente. Le commandant du VIIe C. A., le général de la cavalerie von Einem, se rendit le 9 au matin à cheval à la 13e D. I., alors qu'elle exécutait en plein jour ses organisations défensives. Elle ne ressemblait pas le moins du monde à une troupe battue et faisait au contraire l'impression d'une troupe fraîche. " Elle se serait certainement aussi bien conduite le 9 et les jours suivants en face d'une attaque ennemie qu'elle l'avait fait le 8 durant toute la journée. Mais il ne vint pas d'ennemis, en aucun endroit on n'entra en contact avec lui. A 13 heures 30 nous reçûmes l'ordre de l'armée prescrivant de se replier derrière la Marne. Nous fûmes frappés au plus haut point, car nous avions entendu parler des succès remportés par l'aile gauche de l'armée. Pendant la retraite nous ne reçûmes que des feux d'artillerie L'ennemi ne suivit dans la soirée que jusqu'à la coupure de la Verdonnelle " (commandant von Platen).
Le 10 la Marne fut franchie de part et d'autre d'Épernay.
Quant à l'aile gauche de la 2e armée et à l'aile droite de la 3e elles remportèrent le 9 septembre une brillante victoire. La 3e armée prit Mailly et rejeta l'ennemi au delà de la Maurienne et du secteur Corroy-Semoine, tandis que son aile gauche se maintenait à Sompuis et à l'est. Pendant ce temps. l'aile gauche de la 2e armée avait progressé jusqu'à Connantre et la Colombière. Le Mont d'Août fut pris d'assaut, Allemant atteint, Mondement pris.
Un combattant de la 2e armée, le lieutenant-colonel Dieterich décrit, comme suit la situation brillante de l'armée à midi (Militär Wochenblatt, 1920, no 10) : " L'ennemi descendait en une retraite hâtive du Mont d'Août vers l'ouest et le sud-ouest; des batteries françaises se sauvaient à une allure rapide et recevaient des schrapnells de trois côtés. La victoire de l'aile gauche de la 2e armée, obtenue de concert avec l'aile droite de la 3e, la percée à travers l'armée du maréchal Foch se dessinaient nettement et étaient peut-être déjà réalisées. L'officier d'ordonnance du régiment arriva alors auprès de nous, le visage sérieux et pâle, et nous apporta cette nouvelle: "A l6heures la retraite commencera". Nous ne voulions pas le croire, nous voulions nous moquer de lui, nous lui montrâmes le panorama de la victoire grandissante qui s'étendait devant nous. Mais bientôt nous sentîmes avec un sombre étonnement et une amère douleur que son message était sérieux. "
La colonel-général von Hausen est convaincu qu'il était sur le point de percer le front ennemi lorsqu'il reçut tout à coup le renseignement de la 2e armée annonçant qu'elle battait en retraite. Il fut suivi à 17 h. 30 d'un radio de la 2e armée, daté de 14 h. 45 : " 1re armée se replie. 2e armée se met en retraite sur Dormans-Tours. Ordre de retraite a été transmis à Kirchbach ". La retraite de la 1re armée est donnée comme motif déterminant. Le général von Kirchbach, qui commandait l'aile droite de la 3e armée combattant au contact de la 2e, avait reçu directement de la 2e armée l'ordre de retraite. Le cœur lourd le colonel-général baron von Hausen se décida à se replier.
Les 4e et 5e armées ne firent aucun progrès marqué le 9 septembre. Cependant l'ennemi parut paralysé devant la 4e armée.
Les rapports français sur le cours de la journée du 9 novembre à la 6e armée française sont incomplets. Mais tous reconnaissent que la situation de cette armée était gravement menacée. Son aile gauche était battue et rejetée sur Silly-le-Long, bien au delà de Villers-Saint-Genest et Nanteuil-le-Haudouin; l'avance d'une colonne allemande par Baron sur les derrières des Français hâtait sa retraite. Son aile droite souffrait beaucoup des feux puissants de l'artillerie allemande. Maunoury subit ainsi, de l'aveu même des exposés français, une lourde défaite. I1 est manifeste que son aile droite était encore à peine en état de combattre, son aile gauche complètement battue. De toute évidence il ne suffisait plus que d'une dernière poussée pour mettre définitivement Maunoury hors de cause. " Enfin la nuit vint, une nuit pleine d'anxiété. Que sera demain ? Les forces humaines ont des limites (Fabreguettes, ouv. cit.).
La 6e armée se trouvait en fin de journée sur la ligne Chambry-Etrepilly-Puisieux-Silly le Long. Son aile droite était donc restée en place après le retrait de l'aile gauche allemande. Manifestement ce retrait n'avait pas du tout été remarqué. La 8e D. I. qui, le 8, s'était encore portée en avant à l'aile gauche anglaise au sud-ouest de La Ferté-sous-Jouarre devait être ramenée le 9 à l'aile gauche de Maunoury. Pour cela elle aurait été obligée de marcher pendant deux jours et même par voie ferrée elle ne pouvait plus arriver à temps. Elle n'intervint donc ni au nord, ni au sud de la Marne. Il n'y avait plus d'autres renforts disponibles pour Maunoury. Il ne restait plus qu'à " s'accrocher au terrain " et si c'était nécessaire à " se faire tuer sur place ". Les troupes avaient subi de lourdes pertes et étaient épuisées ; " elles étaient à bout de forces ". Leur situation serait devenue extrêmement inquiétante si elles avaient été attaquées encore une fois le 10 au matin. Maunoury voyait venir la journée du 10 avec le plus grand souci ; " il respira, soulagé, quand, au matin, il eut la certitude que les Allemands s'étaient retirés pendant la nuit".
Le Journal des Débats du 28 novembre 1914 a donné une description expressive de la situation de Maunoury. Il raconte que des correspondants de journaux ayant visité le champ de bataille de l'Ourcq sous une conduite officielle, un exposé de la bataille leur lut fait à cette occasion par une personnalité militaire. Les événements des 5 et 6 sont ensuite décrits brièvement. Il est dit que durant ces journées le IVe C. R. allemand opposa de front une résistance énergique pendant que d'autres corps allemands retraversant la Marne revenaient vers l'Ourcq sans en être empêchés par les Anglais qui n'avançaient que lentement. " Le 7, le 7e C. A. français fut battu à Acy-en-Multien; l'aile gauche fut également fortement attaquée à Etavigny et rejetée sur Bouillancy et Villers-Saint-Genest. Le général Maunoury rassembla toutes ses réserves en cet endroit.
Mais le 8 au soir il était clair que le mouvement vers l'est avait échoué. L'aile gauche dut faire face au nord. Le général Maunoury reçut bien encore le 4e C. A. en renfort, mais il dut céder une division aux Anglais qui croyaient avoir en face d'eux des forces très supérieures. Au lieu d'envelopper l'aile droite allemande, Maunoury dut veiller à ne pas être enveloppé lui-même. Toutes les troupes du 4e C. A. encore disponibles furent rameutées sur Nanteuil-le-Haudouin par voie ferrée, par automobiles réquisitionnées en partie à Paris et par étapes. Sur ces entrefaites l'ennemi fut signalé dans une direction qui provoqua un souci plus grand encore : une colonne allemande fut signalée à Baron sur la route de Nanteuil à Senlis. On apprit par des prisonniers allemands qu'il s'agissait de troupes de landwehr qui avaient été chargées de couvrir les communications plus au nord, mais qui en cet instant critique avaient été appelées au front. Le 9 après-midi le 4e C. A. dut se replier à Nanteuil. On se demandait quelle serait la situation le lendemain. Sur ces entrefaites le commandant en chef demanda de tenir à tout prix pour que le succès de toute la bataille de la Marne ne fût pas perdu. Le général Boelle, commandant du 4e C. A., ordonna de se faire tuer sur place plutôt que de reculer.
L'emplacement de l'aile gauche était cependant défavorable; il était situé dans une plaine où les troupes ne trouvaient ni couvert, ni point d'appui. Mais le 10 au matin on ne rencontra plus que des arrière-gardes".
La situation des Français est dépeinte sous un jour encore plus défavorable du côté anglais. Le général Maurice (ouv. cit.) dit que le général von Kluck s'est efforcé le 9 d'envelopper Maunoury " pour compléter la défaite des Français avant que les Anglais ne pussent intervenir. S'avançant par Betz les Allemands prirent Nanteuil. Ce n'était plus qu'une question d'heures pour savoir si à ce point de vue le plan allemand serait ou non couronné de succès. Des renforts, des troupes de landwehr venant des territoires occupés, arrivaient. Les troupes de Maunoury étaient aussi épuisées que celles de Kluck. Celui-ci entourait l'aile gauche française. Encore quelques heures d'efforts énergiques et ces efforts pouvaient lui procurer une victoire telle que tous les dangers dans lesquels sa marche rapide au delà de la Marne l'avait fait tomber disparaîtraient. Le général Maurice prétend que la retraite de la. 6e armée était déjà considérée comme inévitable et que les dernières troupes envoyées en toute hâte par Galliéni ne devaient servir qu'à couvrir la retraite. Au moment où nous traversions la Marne l'armée française était arrivée à la limite de sa force de résistance. Galliéni avait déjà commencé à prendre les mesures nécessaires pour préparer la retraite. Et il ajoute que " l'avance anglaise a déterminé la retraite allemande " et que " Maunoury a été sauvé au moment où il était en grand danger ".
Ce ne sont pas à la vérité les Anglais qui ont sauvé Maunoury.
D'après les données françaises la 5e armée française avait atteint le 8 au soir, Vauchamps (1er C. A.), Montmirail (3e C. A.) et Marchais (18e C. A.). Le 10e C. A. avait fait front vers l'est pour soutenir la 9e armée.
Le 9 au soir, après le repli de la 2e armée, le 18e C. A. serait parvenu jusqu'à la région Viffort-Essises, le 3e C. A. jusqu'à Montigny-le Breuil, tandis que le 1er C. A. n'aurait pas progressé, semble-t-il, mais aurait été arrêté à Fromentières pour soutenir le 10e C. A.. Ce dernier corps fut employé par le général Foch à relever la 42e D. I. à son aile gauche.
Le 9 septembre l'aile gauche de la 2e armée allemande et l'aile droite de la 3e armée continuèrent à progresser sans arrêt. A l'aile droite de la 9e armée française le 11e C. A. fut encore rejeté plus en arrière au delà de Semoine, Gourgançon, Corroy et Connantre. Au centre le 9e C. A. fut menacé dans son flanc par ce recul et se replia dans l'après-midi sur Linthes par le Mont d'Août. Mondement, le point d'appui du centre français, fut perdu. Poincaré a décrit comme suit la situation de la 9e armée dans le discours qu'il fit à l'Académie française lors de la réception du maréchal Foch : L'aile droite, le 11e C. A., évacue Fère Champenoise ; le 9e C. A., menacé au centre et par derrière, plie. Alors le général Foch aurait adressé au généralissime le compte rendu suivant " Mon aile droite est fortement pressée, mon centre plie il m'est impossible de me déplacer. La situation est excellente, J'attaque ". Mais la Garde rejette la division marocaine et prend Mondement : " Encore une dernière pression de l'ennemi et la brèche est ouverte ". A ce moment arrive à l'aile droite de la 9e armée la 42e D. I. que le général a ramenée de son aile gauche.
Une légende s'est jointe à cette apparition de la 42e D. I. Elle est considérée comme une des manœuvres les plus hardies et les plus géniales qui aient changé la situation au moment décisif. On fait de la situation un tableau militaire brillant : sous une pluie de projectiles d'artillerie, la 42e D. I. se porte de l'aile gauche à l'aile droite en défilant derrière tout le front. Au pas de charge elle tombe dans le flanc des masses ennemies surprises. Le général Maurice décrit, lui aussi, 1'intervention de la 42e D. I. d'une façon semblable : la division refoule l'ennemi, la ligne de la 9e armée tout entière passe à l'attaque et bat l'ennemi. Foch a saisi le point faible de l'ennemi et le bon moment, il a transformé la situation critique en une victoire complète.
Les historiens militaires français ont détruit eux-mêmes cette légende (de Civrieux, ouv. cit.). Les faits réels ne répondent pas le moins du monde au beau tableau qui en est fait. Grâce à l'appui de la 5e armée, le général Foch put, dans la nuit du 8 au 9 septembre, retirer la 42e D. I. du front de son aile gauche. Sa relève par le 10e C. A, se prolongea jusque dans la matinée. Défilant derrière le front, elle se porta alors de Soizy-aux-Bois par Broyes et Saint-Loup sur Linthelles où elle arriva dans la soirée, complètement épuisée, alors que les Allemands étaient déjà partis. Elle n'était plus capable d'attaquer ; elle bivouaqua à Linthes et Pleurs. Elle n'aurait plus pu changer le sort de la 9e armée, " Le 10 au matin il n'était plus douteux que l'ennemi s'était replié. Joyeusement surprises les troupes se mirent en marche. "
Nous avons vu en effet que, dès le 9 après-midi, en même temps qu'il prenait la décision de replier sa propre armée, le commandant de la 2e armée avait également donné l'ordre de battre en retraite au général von Kirchbach, commandant de l'aile droite de la 3e armée.
,Nous avons donc perdu dans cette région l'occasion de remporter un succès certain, considérable, qui ne pouvait manquer d'exercer une action sur l'avance de la 5e armée française et de l'armée anglaise.
La situation dans la région de Fère-Champenoise fit également sentir son effet sur la 4e armée française qui replia son aile gauche.
La tentative faite par la 3e armée française pour attaquer le flanc gauche allemand avait complètement échoué; mais Sarrail tint encore le 9.
" Le 9 au soir ", déclare l'écrivain militaire français de Civrieux dans l'Illustration du 4 septembre 1920, " la situation était la suivante aux deux points brûlants du combat : Maunoury, épuisé et en grand souci pour son flanc gauche, se demande s'il ne doit pas ordonner la retraité sur Paris. Ce n'est que sur la demande pressante du généralissime qu'il remet sa décision Foch a perdu Fère-Champenoise et porté la 42e D. I. de son aile gauche à son aile droite pour soutenir le lie C. A. qui est en partie anéanti. Il ne sait pas ce que lui apportera la journée du lendemain. Mais quand cette journée se leva l'ennemi avait disparu du champ de bataille où quelques heures plus tôt il avait attaqué opiniâtrement et avec succès ". Et de Civrieux ajoute que cette retraite était " inattendue de tous".
Le Q. G. de l'armée anglaises était le 9 à Coulommiers. Celle-ci se porta ce jour-là avec son 1er C. A. sur Nogent-l'Artaud-Charly par Sablonnières et la Trétoire, avec son 2e C. A. sur Nanteuil-sur-Marne et Méry par Orly et Saint-Ouen, avec son 3e C. A. sur La Ferté-sous-Jouarre par la région à l'ouest des points précédents. Les rapports anglais décrivent les événements du 9 septembre comme suit :
La cavalerie Allenby, précédant l'armée, mit la main sur les ponts de Charly et couvrit le passage du 1er C. A.
Le centre parvint à traverser la Marne dans le courant de la matinée. La 3e D. I. la franchit à Nanteuil, la 5e à Méry. Mais son avance lut arrêtée par l'artillerie allemande établie au nord-ouest de Montreuil-aux-Lions. Comme les deux corps d'aile étaient encore en retrait et n'avaient pas encore franchi la Marne, French éprouva des scrupules à laisser le 2e C. A. s'avancer isolément. Smith Dorrien reçut l'ordre de s'arrêter. En fin de journée le 2e C. A. avait atteint Bezu-le-Guéry avec ses éléments de tête.
Le 1er C. A. n'avança qu'avec hésitation. French prétend avoir reçu des renseignements signalant de grosses masses de troupes entre Château-Thierry et Margny, mais il ajoute qu'on ne les considéra cependant que comme de fortes arrière-gardes, car des colonnes étaient signalées en marche vers le nord. En tout cas, à la suite de ces renseignements, French devint inquiet pour son flanc. Le général Maurice confirme que le 1er C. A. a été retenu jusqu'à l'après-midi parce que l'on craignait une attaque de la direction de Château-Thierry : on ignorait que l'ennemi signalé dans cette région ne comprenait que le corps de cavalerie Richthofen et tant qu'on ne se sentit pas en sécurité sur le flanc on n'osa pas tenter le passage. En fin de journée le 1er C. A. aurait atteint Domptin avec ses éléments de tête.
A l'aile gauche le 3e C. A. ne put pas franchir la Marne le 9. French se rendit à cette aile et constata que toutes les tentatives qui étaient faites pour passer la rivière échouaient sous le feu de l'artillerie ennemie. Ce ne fut que le 10 au matin, alors que nous nous étions repliés depuis longtemps, que le 3e C. A. put franchir la Marne.
La tentative qui fut faite pour ouvrir le passage de La Ferté-sous-Jouarre en poussant une division du 2e C. A. sur les derrières des défenseurs échoua. " La 5e D. I. désignée pour cette mission ne put pas triompher des résistances ennemies ". Il s'agit ici manifestement de la brigade Kraewel, de la 5e D. I. en marche vers la Marne et du 2e C. C. Le général Maurice confirme, lui aussi, que le général von Kluck eut le temps d'organiser la défense de la Marne entre Château-Thierry et Lizy et d'amener des renforts. Il ajoute que dans l'après-midi de violents combats eurent lieu avec ces renforts et que le corps de cavalerie Richthofen intervint également. Il critique le fait que le pont de Château-Thierry était resté intact et n'ait pas été du tout défendu, bien que le terrain fût entièrement favorable à cette défense.
French se défend d'avoir demandé l'appui de Maunoury et d'avoir été ainsi cause que la 8e D. I. française n'ait pris aucune part à la lutte. Il déclare qu'au contraire Maunoury lui a demandé deux fois instamment, au cours de la journée du 9 septembre, de le dégager de la pression que les Allemands exerçaient sur lui. Mais Galliéni a prouvé que sans l'envoi de la 8e D. I. il n'aurait pas pu amener French à se porter en avant (page 264).
Il n'est pas douteux que comme au cours des journées précédentes les Anglais ne se sont également avancés le 9 septembre qu'avec une extrême prudence. Le général Maurice estime que ce fut une malchance que des troupes plus nombreuses n'aient pas franchi la Marne le 9. " Ce sont là des hasards de la guerre ". Ce ne fut pas un hasard, mais une grave négligence de nos ennemis. Les Français estiment que c'est à cause de l'avance hésitante des Anglais que le colonel-général von Kluck a pu ramener toute son armée contre Maunoury.
COUP D'OEIL RETROSPECTIF
La grande offensive franco-anglaise avait frappé l'aile droite de l'armée allemande en une situation défavorable. Son flanc n'était pas suffisamment couvert. Cette couverture avait été confiée par la Direction suprême à la 1re armée qui dans ce but devait suivre en échelon. Mais la 1re armée pensait que l'ennemi était accroché sur tout son front par notre attaque, y compris sur la Moselle, et crut couvrir suffisamment le flanc en restant échelonnée sur elle-même.
Les Français qui d'après les comptes rendus de la 2e armée avaient été battus d'une façon décisive et étaient en fuite, ne pouvaient être enveloppés et coupés que par la 1re armée. Ce but, sur lequel reposait tout le plan de campagne, la 1re armée chercha encore à l'atteindre au dernier moment.
La Direction suprême changea d'intention quand les 6e et 7e armées n'eurent pas réussi à percer sur la Moselle. Elle reconnut le danger qui la menaçait dans la région de Paris quand elle eut connaissance des transports français vers l'ouest.
L'enveloppement fut abandonné; les 1re et 2e armées durent faire face à Paris de part et d'autre de la Marne. Quelle aurait été la situation le 6 septembre si la 1re armée était restée en arrière en échelon depuis le 3 ? Pour obtenir cet échelonnement elle aurait du s'arrêter les 3 et 4 ; le 5 elle de serait portée vraisemblablement jusqu'à la Marne. La rencontre du IVe C. R. avec Maunoury le 5 n'aurait pas plus eu lieu que l'offensive générale des Français le 6. Celle-ci fut due principalement à la pression de Galliéni qui reconnut les 3 et 4 septembre que la 1re armée se portait vers le sud-est en défilant devant Paris. Joffre aurait donc vraisemblablement ordonné de continuer la retraite et de se porter derrière la Seine. Les ordres de la Direction suprême auraient pu être exécutés. Les 1re et 2e armées auraient fait face à Paris. Il n'est pas douteux que nous aurions été en meilleure si situation si plus tard une attaque avait débouché de la capitale. Notre flanc aurait été suffisamment couvert. Mais il est difficile de dire comment notre manœuvre aurait du être continuée pour obtenir aussitôt une grande décision. Le plan de campagne avait échoué.
Tels que les événements se sont passés effectivement jusqu'au 5 septembre, une grave crise survint à l'aile droite allemande. Si l'on veut juger les décisions de la 1re armée à partir de ce moment-là il ne faut pas partir de ce que l'on sait actuellement, mais de la situation telle qu'elle existait alors et de son développement progressif. La 1re armée était sur le point de commencer le 6, sur l'ordre de la Direction suprême, à se replier sur la rive nord de la Marne pour s opposer offensivement aux entreprises ennemies qui pourraient déboucher de Paris. Ce cas survint dès la nuit du 5 au 6 septembre; le IVe C. R. s'était heurté à l'ennemi. La 1re armée devait-elle alors se mettre aussitôt sur la défensive ? A ce moment-là on ignorait totalement à la Direction suprême et aux 1re et 2e armées qu'une offensive générale française était imminente sur tout le front. Le 6 septembre à midi la 2e armée supposait encore que les Français étaient en pleine retraite derrière la Seine. La 2e armée commençait à converser face à Paris. L'offensive de la 1re armée était indiquée par la situation.
En se tenant sur la défensive elle n'aurait nullement pu remplir sa mission. Il ne fut pas question d'une position sur l'Ourcq. Elle était située trop en avant et pouvait être facilement enveloppée. Le temps manquait pour l'organiser. Si on acceptait le combat sur l'Ourcq, ce ne pouvait être qu'offensivement.
On pouvait encore moins songer à ramener la 1re armée à l'aile droite de la 2e à peu près sur la ligne Montmirail-Château-Thierry et au nord, donc à former un flanc défensif. Depuis le front Coulommiers-Esternay jusqu'à cette ligne la 1re armée aurait eu deux fortes étapes à parcourir. Les colonnes et trains auraient dû être poussés en avant et les mouvements auraient du être couverts sur l'Ourcq jusqu'au 8. Le IVe C. R. avec ses faibles forces n'en aurait pas été capable. Il aurait fallu le renforcer par un corps d'armée au moins sans pour cela obtenir une certitude. Si les troupes établies en couverture sur l'Ourcq avaient été refoulées pendant que la 1re armée exécutait son mouvement de flanc dans l'étroit espace situé derrière elles et qu'une partie de ses éléments franchissaient la Marne, elle aurait pu subir la plus grave défaite. La situation sur l'Ourcq aurait vraisemblablement obligé le commandement à renforcer peu à peu les troupes de cette région contrairement à ses intentions primitives.
Mais même si le mouvement avait réussi, la sécurité du flanc de l'armée allemande n'aurait pas été obtenue. La 6e armée française s'avançait en effet au nord de la Marne et pouvait nous déborder ; les Anglais, en pareil cas, auraient suivi au sud de la rivière. Notre aile droite aurait été enveloppée.
En face d'une pareille situation l'offensive était le moyen le plus sûr d'assurer la protection de notre flanc. Frapper est la meilleure parade. Une volonté ferme, le désir d'atteindre un but clair, des mouvements rapides et dirigés avec unité de vue pouvaient garantir le succès.
La question se posa à nouveau le 7 septembre au commandement de la 1re armée quand il parut nécessaire de ramener également les IIIe et IXe C. A. sur l'Ourcq. Cette mesure qui fut d'une importance décisive pour le cours de la bataille de la Marne et mit sérieusement en danger l'aile droite de la 2e armée a été attaquée à maintes reprises par la critique.
Le général-feldmaréchal von Bülow (ouv. cit. page 56) n'approuve pas la décision du commandement de la 1re armée de se porter au delà de l'Ourcq avec les IIe C. A., IVe C. A. et IVe C. R. parce que la brèche entre les 1re et 2e armées en fut augmentée. Il estime que les IIIe et IXe C. A., auraient dû encore moins être ramenés dans cette région. Si la 1re armée, dit-il, avait en face d'elle le 7 septembre, à l'ouest de l'Ourcq, des forces si considérables que les IIe C. A., IVe C. A. et IVe C. R. ne pouvaient pas venir à bout de l'ennemi sans l'intervention des IIIe et IXe C. A., il aurait encore été préférable le 7 septembre de rompre le combat engagé à l'ouest de l'Ourcq avec les trois corps de droite pour reprendre contact avec la 2e armée à peu près vers Château-Thierry. Les IIIe et IXe C. A. auraient alors pu être ramenés derrière le Dolloir. La 1re armée aurait ainsi renoncé, estime le général-feldmaréchal, à la possibilité de remporter un succès tactique qui d'ailleurs n'aurait pas pu être exploité en raison de la proximité de Paris, mais elle aurait rempli sa mission principale, assurer là sécurité du flanc droit des armées. L'ennemi se serait trouvé en face d'un front unique qu'il n'aurait pu ni percer, ni déborder.
Ce projet aurait-il été exécutable tactiquement ? C'est une question à laquelle on ne peut répondre. Les IIIe et IXe C. A. auraient pu facilement être ramenés le 7 septembre derrière la coupure du Dolloir. Mais replier les trois autres corps au delà de la coupure profondément encaissée de l'Ourcq pour les reporter dans la nuit du 7 au 8 et dans la journée du 8 vers la région nord de Château-Thierry eût été une mesure d'une grande audace et qui nous aurait exposés au plus grand danger. Elle aurait pour le moins renforcé la volonté de vaincre de l'ennemi et exercé une influence déprimante sur nos troupes.
Mais si les trois corps n'étaient pas capables de venir à bout de l'ennemi à l'ouest de l'Ourcq en attaquant et avec la perspective d'être renforcés, ils l'auraient été encore bien moins après leur retraite en se tenant sur la défensive au nord de Château-Thierry, L'armée poursuivante de Maunoury, animée par son succès, les aurait enveloppés par le nord pendant que les Anglais auraient attaqué leur aile gauche au sud de Château-Thierry. Dans tous les cas la situation de leur aile droite eût été dangereuse. Il est difficile de dire comment les opérations auraient dû être continuées.
Partant d'une autre conception de la situation, l'auteur anonyme de la Critique de la Guerre mondiale est d'avis que la 1re armée n'avait pas besoin du tout des IIIe et IXe C. A. pour lutter contre Maunoury. Il déclare que dès le premier soir de la bataille, c'est-à-dire dès le 6 septembre, la crise était conjurée ; " L'armée Maunoury était bloquée sans espoir dans une lutte coûteuse... L'aiguille de la balance penchait déjà en faveur de Kluck. " Et il ajoute que le rameutement des IIIe et IXe C. A. a amené à l'aile nord de notre flanc ouest défensif un excédent de forces qui n'était plus en rapport avec sa mission purement défensive et que le 7 septembre la 1re armée est passée d'une défensive heureuse à une offensive stratégique superflue. Le critique de la guerre mondiale place le centre de gravité de la manœuvre allemande dans la percée de la région de Mailly qui, à son avis, promettait le succès. Mais abandonnée à son aile droite par la 1re armée, attaquée à Montmirail par les forces supérieures de la 5e armée française, la 2e armée n'a plus eu la force de passer à l'attaque décisive à son aile gauche ; cette attaque s'est transformée en une attaque de dégagement à Fère-Champenoise ; la 3e armée au lieu de percer dans la brèche de Mailly a été détournée en direction de l'ouest pour soutenir la 2e armée ; le 9 la 2e armée qui n'était déjà plus qu'une "scorie " ne fut pas en état de remplir sa mission à savoir, à droite repousser une puissante attaque, à gauche attaquer elle-même. La percée de Mailly qui aurait réussi si les 2e et 3e armées avaient été suffisamment massées resta à l'état de " possibilité ".
L'auteur concède, il est vrai, que la 1re armée a agi judicieusement dans le cadre de sa mission : elle ne pouvait pas savoir qu'entre temps la 2e armée avait été fortement accrochée par l'attaque française, que l'ordre de la Direction suprême du 5 septembre était devenu sans objet et que les IIIe et IXe C. A. ne pouvaient pas être ramenés vers le nord ; il déclare que la mission qui incombait désormais à la 1re armée, était de protéger le flanc au nord et au sud de la Marne mais que seule la Direction suprême pouvait apprécier tout cela. Je crois cependant que l'auteur n'apprécie pas exactement la situation dans la région de Mailly et sur l'Ourcq et l'état de la 2e armée qui n'était nullement une " scorie". La percée à Fère-Champenoise ne serait pas restée une " possibilité", elle serait devenue une réalité si nous n'avions pas rompu le combat. Certes elle serait survenue plus tôt et dans une direction considérablement plus efficace si la 3e armée n'avait pas été affaiblie mal à propos. Elle aurait alors pu non seulement rejeter l'aile droite de l'armée Foch, mais encore percer dès le début dans la brèche de Mailly. Quoi qu'il en soit la victoire aurait été certainement obtenue, les 8 et 9 septembre, à Fère-Champenoise et aurait eu la plus grande importance lors de la continuation de la bataille.
En face de cela la gravité et la portée de la bataille de l'Ourcq ne doivent pas cependant passer à l'arrière-plan. Dire que le 6 septembre l'armée Maunoury était déjà bloquée sans espoir et que le combat avait déjà tourné en faveur de Kluck ne répond pas à la réalité. Le 6 au soir le commandement de la 1re armée était très inquiet et attendait avec impatience l'arrivée du IVe C. A. Nous avons montré sous quel jour défavorable on envisageait le 7 au soir la situation de l'aile droite aussi bien au Q. G. de l'armée qu'au IVe C.A. Au centre et à l'aile gauche le faible IVe C. R. et la 3e D. I. fortement pressée ne se maintenaient qu'avec peine. Le commandement de l'armée dut, pour les soutenir, se dépouiller des faibles éléments qui assuraient la garde de son Q. G. Je n'oublierai jamais la nuit d'inquiétude que nous avons vécue du 7 au 8 à Vendrest. Il était manifeste que le général Joffre voulait envelopper notre aile droite et qu'il renforçait chaque jour la 6e armée. Le danger inouï qui menaçait l'armée allemande toute entière , si la 1re armée était refoulée, nous sautait aux yeux.
Il n'était nullement question d'un excédent de forces sur l'Ourcq. Sans les IIIe et IXe C. A. nous n'aurions pas pu venir à bout de l'ennemi. J'en suis encore convaincu aujourd'hui et tout chef qui en ces dures journées dut tenir à Varreddes, Trocy et Acy-en-Multien en attendant anxieusement des renforts confirmera mon opinion. Le 9 septembre au matin les forces en présence sur l'Ourcq s'élevaient du côté français à 8 divisions 1 /2 d'infanterie et 4 divisions de cavalerie, du côté allemand à 8 divisions d'infanterie et 1 division de cavalerie. En fait de renforts Maunoury avait en marche vers le champ de bataille la 8e D. I., la 1re armée allemande, la brigade de réserve Lepel et la 10e brigade de landwehr. 1 division d'infanterie et 2 divisions de cavalerie allemandes étaient employées sur la Marne en face des Anglais. Si nous ramenions les IIIe et IXe C. A. il était préférable de les employer offensivement que défensivement. Un coup rapide devait nous donner de l'air. L'offensive n'était pas superflue au point de vue " stratégique ".
C'est pourquoi aujourd'hui encore j'estime que le meilleur moyen de s'opposer au danger qui menaçait le flanc allemand était de faire changer de front à la 1re armée pour la jeter à l'attaque vers l'ouest. La crise qui survint de ce fait à l'aile droite de la 2e armée aurait pu être supportée jusqu'au 10. Ce jour-là, autant qu'un homme peut en juger, la victoire aurait été acquise dans la matinée à Fère-Champenoise et sur l'Ourcq tandis que les Anglais auraient été contenus jusqu'à ce moment-là.
Maunoury rejeté sur Paris, les communications des Anglais auraient été menacées au plus haut point. Selon toute vraisemblance ils se seraient repliés.
Le point décisif était Montmirail. C'est là que le sort de la bataille de la Marne fut joué. Qui était dans la situation la plus difficile, la 2e armée allemande dont l'aile droite était menacée, mais dont l'aile gauche progressait victorieusement, ou le général Franchet d'Espérey qui trouvait le chemin ouvert à sa gauche pendant qu'à sa droite les Allemands talonnant la 9e armée battue menaçaient ses derrières ? Une fois que les Anglais se seraient repliés et que l'avance d'une partie des éléments de la 1re armée vers la Marne serait devenue sensible, la 5e armée française aurait pu être menacée à nouveau d'une défaite de Cannes comme à Namur et Saint-Quentin ; elle l'aurait été d'autant plus qu'elle se serait portée davantage en avant. Aurait-elle été alors à la hauteur de cette situation ? On peut en douter fortement, depuis que l'on connaît l'état dans lequel elle se trouvait au début de l'offensive française.
En fait ce n'est que dans le courant de la journée du 10, après le repli de la 2e armée, que Franchet d'Espérey parvint jusqu'à la Marne. Il aurait fallu toutefois qu'après sa victoire la 1re armée allemande eût encore possédé la force de se porter en avant avec son aile gauche vers la Marne dans le flanc découvert de la 5e armée pendant que l'aile gauche de la 2e et l'aile droite de la 3e auraient continué leur offensive victorieuse. Or la 1re armée a entamé sa retraite dans la nuit du 9 au 10 immédiatement au sortir d'une bataille de 5 jours et l'a poursuivie d'une seule traite en de fortes marches jusque derrière l'Aisne où elle se trouva établie le 12 septembre très fatiguée, mais prête à combattre. Après une victoire elle aurait certainement encore trouvé, dans l'offensive, l'élan nécessaire pour se porter sur Château-Thierry. Il y a lieu de remarquer qu'une fois que l'aile gauche de l'armée, commandée par Linsingen, aurait été repliée vers la ligne May-en-Multien-Coulombs, conformément à l'ordre du 9 midi, les groupements Gronau et Trossel (22e D. R. et 3e D. I.) se seraient trouvés prêts sur la rive gauche de l'Ourcq à Fussy-Certigny-Coulombs, après une issue victorieuse de la bataille, à attaquer soit les Anglais, soit le flanc et les derrières de la 5e armée française de concert avec le 2e C. C., la 5e D. I. et la brigade Kraewel (croquis 18).
Il y avait donc crise des deux côtés le 9 septembre. La situation tenait à un fil. Celui des deux adversaires qui voulait dénouer la crise à son avantage devait avoir les nerfs plus solides que l'autre. Assurément c'eût été pour nous faire preuve d'une grande audace que de mener le combat jusqu'au bout, mais le prix en valait la peine. Nous aurions dû avoir cette audace. La situation ne pouvait devenir pire qu'elle le fut pour nous après quatre ans de guerre.
En ce qui concerne la Direction suprême il ne saurait être question de dire qu'elle a dirigé la bataille de la Marne. A l'aile droite de l'armée elle n'intervint pas. Elle ne pouvait le faire de Luxembourg. Les liaisons n'étaient pas suffisantes et nous n'avions pas auprès de nous d'officier de liaison du G. Q. G. Il est hors de doute que nous aurions été victorieux dans la bataille de la Marne si le XIe C. A. et le Corps de réserve de la Garde n'avaient pas été envoyés sur le front est. La 3e armée aurait certainement percé à Mailly avec l'aide du XIe C. A. pendant que le Corps de réserve de la Garde aurait pu, à l'aile droite de la 2e armée, boucher au moins jusqu'à la Marne la brèche qui existait entre les 1re et 2e armées. Oui, une seule division sur la coupure du Dolloir l'aurait fort bien fait. Malheureusement il manquait à la 13e D. I. la 26e brigade d'infanterie renforcée qui avait été laissée devant Maubeuge. La 1re armée serait venue à bout, à elle seule, de la 6e armée et des Anglais.
S'il n'y avait même eu qu'un commandement de groupe d'armées pour supprimer par ses ordres les divergences de conception et d'exécution des armées d'aile droite, pour organiser l'unité de défense de la Marne entre les deux armées et diminuer les dangers de la brèche, tout aurait pu être mené à bonne fin. Des négociations réciproques entre les commandements des 1re et 2e armées ne pouvaient combler cette lacune.
Dans un article excellent de " Wissen und Wehr " (n° 4 de 1920, page 377) l'auteur regrette qu'il n'y ait pas eu d'échange de pensées constant et empreint d'entente entre les deux chefs placés en des postes d'une si haute responsabilité. Or il était impossible aux deux commandants en chef d'avoir des entretiens personnels. Leurs chefs d'état-major d'autre part ne pouvaient pas quitter leur poste un seul instant de jour comme de nuit. Les comptes rendus, les renseignements, ordres et décisions se succédaient sans arrêt au Quartier-général. La liaison par téléphone avec les corps d'armée était insuffisante. La plupart des officiers d'état-major de la 1re armée étaient détachés auprès des unités. Entre les états-majors des 1re et 2e armées il n'y avait de liaison que par T. S. F. Qui a assisté ces jours-là à la vie du Q.G. de la 1er armée peut avoir une idée du surmenage de l'état-major. L'épuisement était si grand que certains voyaient leurs forces les trahir ou s'endormaient en travaillant. Pendant ces journées critiques les deux commandements d'armée sans cesse des officiers d'état-major pour se renseigner réciproquement sur leur situation et leurs intentions. Mais il leur arriva souvent de ne pas réussir à établir une entente.
Au point de vue tactique on peut trouver des choses à redire à la conduite de la bataille de l'Ourcq par la commandement de la 1re armée, mais on reconnaîtra que la conduite du combat ne pouvait être exemplaire si on tient compte de la genèse et du développement de la bataille. Le mélange des unités était chose complètement indésirable, mais il fut impossible de l'éviter, car les troupes ne purent être engagées que peu à peu aux points les plus menacés sur le moment. Les commandants de corps d'armée furent très mécontents de voir placer sous leurs ordres toutes sortes d'unités au lieu et place de leur corps d'armée constitué. Le commandement de l'armée s'en tint sans cesse et fermement à l'idée directrice de l'enveloppement et chercha à amener le gros de ses forces à l'aile droite décisive. La condition préalable pour cela était que le centre et l'aile gauche pussent tenir jusqu'à ce que l'enveloppement fût efficace. Or c'était la première fois que nos troupes se trouvaient pendant des jours à découvert sous le feu puissant de l'artillerie ennemie. On fut donc obligé de soutenir directement le faible IVe C. R., sinon le IVe C. A. aurait pu être engagé dès le début tout entier à l'aile droite. Une division du IIIe C. A. fut également détournée vers l'aile gauche en raison de la situation critique de cette aile.
La répartition en groupements fut un mal nécessaire. Les premiers renforts arrivés furent placés ainsi que le IVe C. R. sous les ordres du général von Linsingen, chef du IIe C. A., qui prit peu a peu le commandement du IVe C. R. et des IIe et IVe C. A. Cette question, elle aussi, ne put pas tout d'abord être réglée autrement. Le commandement de l'armée fut au début si absorbé par l'ensemble de la situation, les ordres à donner aux troupes de la rive sud de la Marne, les négociations avec la 2e armée, puis par les mesures à prendre pour défendre la Marne dans la brèche qui s'était ouverte, qu'il ne put régler les détails de la bataille de l'Ourcq. Tous les mouvements des colonnes et trains durent en outre être dirigés par l'armée si on ne voulait pas laisser naître un désordre sans remède. Le général von Linsingen établit son P. C. très en avant, à Beauvoir-au-Beauval. Il se peut qu'en ce point il se soit trouvé par trop sous l'influence directe des durs combats du front et que de ce fait il ait été porté à le renforcer. C'est cependant au commandement de l'armée qu'en revient la responsabilité, car il lui a confié la direction de la bataille jusqu'au 8. Après l'entrée en ligne du IIIe C. A. le général von Linsingen conserva la direction de l'aile gauche de l'armée (groupements von Lochow, von Gronau et von Trossel). Il n'était pas possible au commandement de l'armée de diriger lui-même la situation embrouillée de cette région. Il concentra son rôle de direction sur l'engagement des groupements de droite voisins, ceux des généraux Sixt von Armin et von Quast, en vue de l'attaque enveloppante.
L'importance décisive de l'enveloppement dans la bataille de l'Ourcq a déjà été signalée. D'un autre côté une percée aurait eu des chances de succès pour l'ennemi sur la Marne et pour nous à Mailly. Dans les deux cas la possibilité de percer reposait sur l'existence d'une brèche dans le front ennemi. Ce fut la menace de percée des Anglais et de la 5e armée française qui amena la décision dans la bataille de la Marne.
Notre cavalerie d'armée était au bon endroit. Il aurait été cependant désirable d'avoir à l'aile droite dans la région de Crépy-en-Valois une cavalerie plus nombreuse que la 4e D. C. L'ennemi y disposait d'une cavalerie considérablement supérieure, mais usée. Il était cependant plus important pour nous d'avoir une forte cavalerie sur la Marne : nous y avions les 1er et 2e C. C. réunis. La 1re armée opérait en effet sur ligne intérieure entre les Anglais et la 6e armée française.
L'espace pour une telle manœuvre étant très réduit, les deux adversaires trop rapprochés, il s'agissait que l'armée anglaise fût retenue suffisamment longtemps sur la Marne.
Au point de vue défense de la Marne le résultat obtenu ne fut pas celui qu'on était en droit d'attendre. Le commandement de l'armée avait compté sur une résistance plus énergique. La Marne est un obstacle important, ses rives sont encadrées par des hauteurs boisées qui permettent au défenseur d'employer favorablement son artillerie et son infanterie. Les forces disponibles pour assurer la défense de la rivière comprirent d'abord le 2e C. C. et 4 bataillons de chasseurs, puis le 8 au soir la brigade Kraewel, le 9 après-midi la 5e D. I.. Ce qui manqua ce fut une direction unique. Le 7 au plus tard, une fois prise la décision de ramener les IIIe et IXe C. A., le commandement de l'armée aurait dû donner l'ordre de faire les préparatifs nécessaires pour détruire les ponts de la Marne. En fait la défense de la rivière à La Ferté et à l'ouest fut confiée au 2e C. C., entre La Ferté et Chézy à la brigade Kraewel. Tous deux furent avisés le 8 septembre de l'importance de la défense de la Marne et chargés de détruire les ponts. Ce ne fut que par la suite que la brigade Kraewel et la 5e D. I. furent placées sous les ordres du 2e C. C. Cela aurait dû être fait dès le début. On aurait dû également mettre en temps voulu à la disposition du 2e C. C. les forces et les moyens techniques nécessaires. La défense aurait pu alors être organisée de façon à placer aux points les plus importants, à La Ferté-sous-Jouarre, Nanteuil-sur-Marne, en face de Nogent-l'Artaud et de Chézy, des détachements chargés aussi bien de faire sauter les ponts que d'assurer la défense locale. En arrière une ou deux réserves auraient dû être tenues prêtes pour le cas où l'ennemi aurait percé en un point quelconque. Il s'agissait en effet avant tout d'une défense locale, d'arrêter l'ennemi et de gagner du temps et non d'assurer d'une façon durable la défense de la rivière et de battre l'ennemi. Il était moins question ici de garder les forces concentrées et d'exécuter une défensive offensive en se portant au devant de l'ennemi franchissant la rivière.
Réussissait-on à empêcher l'ennemi de passer les 9 et 10, le but était atteint. Après s'être replié au nord de la Marne le corps de cavalerie devait surtout travailler comme infanterie et se servir de son artillerie.
Les faits ne furent pas conformes à ce qui précède. On ne fit sauter que le pont de La Ferté-sous-Jouarre que les Anglais avaient détruit dans leur retraite et que notre IVe C. A. avait rétabli avec des moyens de fortune. Nous avons vu combien cette destruction a retardé l'ennemi. Ce n'est que le 10 qu'il parvint à franchir la rivière en ce point, bien que - contrairement à l'exposé anglais - ce fussent non pas des forces importantes, mais seulement quelques éléments de cavalerie et de chasseurs qui lui opposèrent de la résistance. Tous les autres ponts tombèrent intacts aux mains de l'ennemi. Autrement aucun Anglais n'aurait franchi la Marne avant le 10.
La brigade Kraewel était trop faible pour conserver la ligne de la Marne en se portant offensivement d'une position centrale au devant de l'ennemi franchissant la rivière. En fait elle resta sur place le 9. La 5e D. I. n'arriva que le 9 après-midi à un moment où il n'était plus possible d'adopter une autre solution que d'attaquer l'ennemi qui avait passé la Marne.
Ce fut une faute que d'avoir envoyé la 9e D. C. dans la région de Lizy.
Les nouvelles que le commandement de la 1re armée reçut le 9 septembre dans la matinée sur l'insuffisance de la défense de la Marne et sur le grand repli exécuté par l'aile droite de la 2e armée la déterminèrent, à midi, à replier son aile gauche. Du point de vue du moment cette mesure était indiquée. Il aurait été téméraire de laisser l'aile gauche à Congis quand les Anglais franchissaient la Marne sur un large front et que la 5e armée française se portait sensiblement sur Château-Thierry. Cette mesure fut sans influence sur le cours des événements du 9, car les mouvements ne furent commencés que dans le courant de l'après-midi à un moment où la retraite de la 1re armée tout entière était déjà décidée.
Mais elle aurait pu avoir une grande, importance si la bataille avait été livrée jusqu'à décision. Le succès de notre enveloppement aurait été accru si l'ennemi avait été également attaqué de front par notre aile gauche. Le général von Gronau a dépeint l'attente qui suivit le 9 au matin l'arrivée de l'ordre d'armée prescrivant l'attaque générale. Toutes les mesures furent prises. L'activité de l'artillerie adverse n'était plus que faible : " J'eus de plus en plus l'impression que l'attaque prescrite allait aboutir à une victoire complète". C'est alors qu'arriva l'ordre de repli. D'ailleurs si une attaque générale avait eu lieu sur tout le front, seuls les groupements von Gronau et von Trossel auraient fait défaut. Le groupement von Lochow qui se trouvait sur la rive droite de l'Ourcq à May-en-Multien aurait été en effet en situation de se joindre à l'attaque. Cependant, maintenant que je connais ce qui s'est passé sur la Marne au cours de la journée du 9 septembre, je regrette que l'aile gauche ait été repliée. L'idée hardie de la 1re armée, obliger les Anglais à battre en retraite en reportant une victoire complète sur Maunoury pour se tourner ensuite contre la 5e armée française, aurait pu en fin de compte nous amener à mettre tout en jeu sur cette seule carte comme un joueur téméraire, pour gagner la partie par un grand coup ou pour... nous effondrer complètement.
La même idée aurait-elle pu déterminer le 9 septembre à midi, le commandant en chef de la 1re armée à refuser d'obéir à l'ordre apporté par le lieutenant-colonel Hentsch et à poursuivre l'attaque résolument jusqu'à décision ? On l'a prétendu souvent. Le général von François (Marneschlacht und Tannenberg, pages 109 et suivantes) dit : " Les troupes de la 1re armée avaient jusqu'alors accompli des exploits extraordinaires en fait de marches et de combats et le général von Kluck pouvait songer avec un orgueil justifié à la façon exemplaire dont il avait dirigé la bataille de l'Ourcq qui restera dans l'histoire militaire un exemple classique de transformation d'un enveloppement subi en une attaque enveloppante. Il aurait été le héros de la bataille de la Marne s'il avait refusé d'accepter l'ordre de retraite donné par le lieutenant-colonel Hentsch et s'il avait amené au contraire ce dernier à arrêter la retraite de la 2e armée jusqu'à ce que notre chef suprême eût pris lui-même une décision. On aurait ainsi gagné le temps qui était nécessaire pour que les espérances de victoire que les 1re, 3e, 4e, et 5e armées avaient mises avec raison dans leurs attaques déjà déclenchées ou en préparation pussent se réaliser. "
Le colonel-général von Kluck n'aurait pas craint d'agir contrairement à l'ordre donné s'il y avait eu quelque possibilité de le faire. Mais la retraite de la 2e armée ne pouvait plus être arrêtée. Ce fait fut établi au cours de la discussion avec Hentsch. Celui-ci était arrivé à Montmirail avec un grand retard ainsi que nous l'avons déjà dit. Entre temps midi avait sonné ; la 2e armée était en retraite. On n'était en liaison avec elle que par T. S. F. et cette liaison demandait des heures et ne permettait aucun échange d'idées. Nous savons aujourd'hui que le colonel-général von Bülow avait également donné directement l'ordre de retraite à l'aile droite de la 3e armée, ce qui amena à son tour le général von Hausen à se joindre à cette retraite avec les autres éléments de son armée. Comment toutes ces mesures auraient-elles pu être annulées, comment les ordres auraient-ils pu être transmis en temps voulu aux troupes déjà en marche ? La 1re armée ne pouvait pas rester en place si les 2e et 3e armées se repliaient. Demander la décision de la Direction suprême était chose impossible, étant donné l'insuffisance des liaisons.
Dans son livre sur la bataille de la Marne, de beaucoup le meilleur qui ait été écrit sur ce sujet (Der Wendepunkt des Weltkrieges, page 68), le lieutenant- colonel Müller-Loebnitz dit que le 9 septembre entre 11 heures et midi il était encore effectivement possible au commandement de la 1re armée d'amener le commandement de la 2e armée à retirer son ordre de retraite en lui adressant un radio énergique. Mais à ce moment-là le commandement de la 1re armée ne savait pas encore que son voisin avait pris cette décision. Nous ne l'apprîmes que par le lieutenant-colonel Hentsch. L'exposé fait précédemment montre qu'il n'était plus possible de faire annuler l'ordre de retraite de la 2e armée en agissant contrairement à l'avis et aux directives du lieutenant-colonel Hentsch.
La polémique engagée pour savoir qui de la Direction suprême ou du lieutenant-colonel Hentsch doit porter la responsabilité de la retraite de la 1re armée est chose vaine. Il n'est pas douteux que ce dernier a donné l'ordre de retraite au nom de la Direction suprême. Le commandement de la 1re armée a exécuté cet ordre parce qu'il ne lui restait pas autre chose à faire. C'est à Montmort et non à Mareuil qu'est survenue la décision.
Il n'est pas possible de terminer ce coup d'œil rétrospectif sur les événements qui se sont passés du côté allemand pendant la bataille de la Marne sans rendre hommage aux performances remarquables qui furent accomplies par nos troupes dans toutes les armées. Si les performances de marche ont été plus grandes aux armées d'aile droite marchante, l'aile gauche a dû, elle, se frayer son chemin au delà de fortes coupures, en terrain difficile et en livrant des combats presque ininterrompus. Aucune armée ne l'a cédé aux autres.
La 1re armée est entrée dans la bataille de l'Ourcq après des marches ininterrompues, inouïes. Ses corps d'armée atteignirent le champ de bataille la plupart du temps par des marches de nuit d'une longueur étonnante. Tous les corps méritent d'être cités de même façon : le brave IVe C. R.
qui s'accrocha au sol pendant cinq jours avec ses faibles troupes et perdit 163 officiers et 4.000 hommes ; le IIe C. A. qui dans la nuit du 5 au 6 accourut à la bataille et se maintint à l'aile gauche dans la situation la plus difficile ; les IVe et IIIe C. A. qui eurent à couvrir une marche gigantesque pour se rendre sur le champ de bataille en marchant jour et nuit. Étonnante est la performance du IXe C. A. qui, parti d'Esternay, marcha sans arrêt les 7 et 8 par Château-Thierry et La Ferté-Milon et rejeta victorieusement l'ennemi le 9 au delà de Nanteuil-le-Haudoin. On ne sait ce que l'on doit admirer le plus de l'énergie des chefs ou de l'esprit de sacrifice de nos braves troupes donnant sans réserve leurs dernières forces.
Le cours de la bataille du côté français ne répondit pas à l'attente de Joffre. La bataille de la Marne ne fut pas une bataille de Cannes. L'attaque de flanc de Maunoury manqua de résolution. La coopération avec les Anglais fut inexistante. La 6e armée était trop faible pour remplir la mission décisive qui lui était confiée. Elle n'était pas encore rassemblée quand l'attaque fut déclenchée plus tôt qu'il n'était prévu. Les renforts n'arrivèrent que peu à peu. La rencontre prématurée du 5 septembre empêcha la surprise. Galliéni a déclaré par la suite que le plan d'enveloppement de l'aile droite allemande avait échoué parce que la 6e armée n'avait pas été suffisamment soutenue. Mais cette armée ne fut pas non plus conduite habilement. Dès le début elle fut massée sur sa droite bien que dans cette région la Marne empêchât d'étendre son aile et d'envelopper l'ennemi. L'aile gauche chargée de l'enveloppement était trop faible et ne fut renforcée que peu à peu. Le colonel-général von Kluck par contre s'en tînt résolument du 6 au 9 septembre à son idée : rester sur la défensive avec de faibles forces à son aile gauche appuyée à la Marne ; amener malgré toutes les difficultés le gros de ses forces à son aile droite pour exécuter une attaque enveloppante. Bien que le 9 septembre ses forces fussent au total supérieures aux forces de la 1re armée, Maunoury fut cependant le plus faible au point décisif.
Les Anglais ont été manifestement défaillants. La 3e armée française ne fut pas en état d'attaquer le flanc gauche allemand. Elle était elle-même menacée sur ses derrières. La 9e armée de Foch était battue.
Telle était la situation quand une brèche s'offrit inopinément à Joffre dans le front de bataille allemand à l'ouest de Montmirail. Au lieu de l'enveloppement ce fut la percée commençante qui conduisit au but et qui contre toute attente renversa la situation par ailleurs entièrement défavorable. C'est là le " Miracle de la Marne. "
Le résultat en fut un grand succès français. C'est discuter vainement que de chercher si les Français sont en droit de le qualifier de victoire. Nous avons évacué le champ de bataille. Le désavantage essentiel de la bataille de la Marne fut pour nous le coup qu'en ressentit notre prestige militaire. La France respira au moment où elle était sur le point d'être vaincue. C'est de là que datent le raffermissement de sa force de résistance et sa foi en la victoire finale.
Son neuvième chapitre :
LA RETRAITE ALLEMANDE APRÈS LA BATAILLE DE LA MARNE
(10-13 septembre).
Le 9 septembre la Direction suprême avait encore l'intention de continuer à attaquer avec le centre de l'armée allemande et ordonna dans la soirée à la 3e armée de rester au sud de Châlons prête à une nouvelle offensive. La 5e armée devait attaquer dans la nuit du 9 au 10 ; la 4e armée devait faire de même si elle avait des chances de succès et pour cela se mettre en liaison avec la 3e armée. Le 10 septembre cependant, quand le lieutenant-colonel Hentsch fut rentré au G. Q. G. et eut fait son rapport sur la retraite de la 1re et de la 2e armée, la Direction suprême se décida à replier également les autres armées. La 1re armée fut placée sous les ordres du colonel-général von Bülow, la 2e armée reçut l'ordre de se replier derrière la Vesle, l'aile gauche à Thuisy, la 3e armée derrière la Marne sur la ligne Mourmelon le Petit-Francheville ; la 4e armée se liant à la 3e devait s'établir au nord du canal de la Marne au Rhin jusqu'à la région de Revigny ; la 5e armée devait rester sur les positions qu'elle avait atteintes. Les armées devaient renforcer et tenir leurs positions.
La 2e armée franchit la Marne de part et d'autre d'Epernay. Des arrière-gardes restèrent au sud de la rivière. Le commandant de la 2e armée ordonna à la 1re armée de se replier derrière l'Aisne et derrière cet obstacle de se rapprocher de l'aile droite de la 2e armée. La 1re armée atteignit ce jour-là la région de Villers-Cotterêts avec ses arrière gardes sans être pressée par l'ennemi. A la nouvelle de la retraite de la 2e armée la 30 armée avait décidé initialement de se replier le 10 derrière la Marne au nord de Châlons, mais elle reçut le 9 au soir l'ordre de la Direction suprême de rester au sud de Châlons et de reprendre l'offensive le 10 aussitôt que possible. Elle adapta en conséquence son mouvement à celui de la 2e armée de façon à se trouver le 10 entre Vertus et Vitry-le-François. Elle se décrocha de l'ennemi sans difficulté. Seule son aile gauche demeurée sur place à Vitry-le-François fut attaquée dans le courant de l'après-midi.
Le 11 septembre la 2e armée en vint à penser que l'ennemi, marchant vers l'est, cherchait à exécuter une percée dans la zone de la 3e armée. Une colonne ennemie importante avait été vue le 10 au soir en marche sur la route Champaubert-Bergères. La 2e armée adressa le 11 au G. Q. G. un radio où il était dit qu'une percée de l'ennemi sur le front de la 3e armée semblait imminente. Le général-lieutenant Tappen déclare que du fait d'une pareille percée la 4e armée et surtout l'aile droite de la 5e armée pouvaient être acculées à la place de Verdun et se trouver exposées à être anéanties, ce qui nous aurait fait perdre toute la guerre. Il ajoute que la Direction suprême se décida alors à replier les 3e, 4e et 5e armées sur une position unique et que la nécessité de cette mesure se trouva confirmée au cours d'un entretien avec le colonel-général von Bülow à Reims où le colonel-général de Moltke s'était rendu.
La Direction suprême envoya par suite le 11 au soir un nouvel ordre d'après lequel la 3e armée devait atteindre la ligne Thuisy-Suippes, la 4e armée la ligne Suippes-Sainte-Menehould, la 5e armée la région de Sainte-Menehould. Les positions devaient être renforcées et tenues.
Était-il indiqué, au reçu des comptes rendus précités, d'ordonner une telle retraite et de consentir un tel abandon du terrain conquis ? C'est une question qui reste ouverte. De l'exposé du colonel-général baron von Hausen il ressort simplement que l'avance de forces ennemies puissantes en direction de Vitry-le-François et la marche de l'ennemi sur un large front au delà de la ligne Fère-en-Tardenois-Darnery-Mareuil en direction du nord-est contre les 2e et 3e armées, indiquaient seulement qu'une tentative de percée ennemie était possible et non que cette percée était déjà imminente.
La 1re armée traversa l'Aisne le 11 avec son gros entre Soissons et Attichy et laissa de fortes arrière-gardes au sud de la rivière. Ce ne fut que tard dans l'après-midi que des avant-gardes ennemies se montrèrent prudemment devant notre front.
Remettre en ordre notre armée complètement mélangée était une mesure aussi urgente que difficile. Les projets les plus divers furent faits. Nous nous tirâmes d'affaire de la façon suivante : les différents groupements laissèrent le 11 comme arrière-gardes au sud de l'Aisne quelques unités,, dans une certaine mesure constituées, pendant que les éléments restants furent déplacés au nord de la rivière de façon à reconstituer tant bien que mal les corps d'armée. Les arrière-gardes franchirent ensuite l'Aisne le 12 et rejoignirent leur corps d'armée. A tous les passages et carrefours des croquis portant indication des points de rassemblement furent tenus prêts à être distribués aux unités isolées peu importantes. On réussit ainsi à établir l'armée sur l'Aisne très rapidement et dans un ordre suffisant pour un nouveau combat. Il ne fut cependant pas possible de reprendre le contact avec la 2e armée par un mouvement de glissement vers la gauche; une brèche subsista. Dès le 12 après-midi l'armée fut attaquée sur la position Attichy-Soissons.
La 2e armée occupa le 12 la position qu'elle avait reconnue sur la Vesle de part et d'autre de Reims.
Le 13 septembre la 1re armée se maintint sur ses positions et étendit son aile gauche jusqu'à Vailly. Les premiers éléments arrivant de la 7e armée, VIIe C. R. et XVe C. A., purent être intercalés dans la brèche entre les 1re et 2e armées. C'est au VIIe C. R. en particulier que la 1re armée il doit d'avoir été délivrée d'un grave danger, car il arriva à temps, précisément le 13 septembre, après une performance de marche considérable.
Se conformant aux nouvelles instructions de la Direction suprême la 3e armée franchit la Marne de part et d'autre de Châlons le 11 septembre, détruisit derrière elle les passages et continua son mouvement au nord de la rivière sans être gênée. Le 13 elle atteignit la position Prosnes-Souain qui lui était désormais assignée et, à laquelle la 4e armée se relia à gauche.
Les armées se trouvèrent dès lors prêtes à la défensive. Lorsque par la suite les combats visant à frapper le flanc ouest de l'ennemi et la " course à la mer " eurent amené les deux adversaires à prolonger leur front jusqu'à la côte, le front occidental tout, entier se figea dans la guerre de position.
Son neuvième chapitre
LES COMBATS DES 6e ET 7e ARMÉES SUR LA MOSELLE
Les opérations qui se déroulèrent à notre aile gauche en Alsace et Lorraine, pendant les événements que nous venons de décrire, furent d'une grande importance pour le cours de la campagne de la Marne. Les objections auxquelles la force, le groupement et la mission des 6e et 7e armées donnaient lieu ont déjà été étudiées. C'était à l'avenir de montrer si en exécutant l'offensive dont elles étaient chargées en direction de la Moselle en aval de Frouard et en direction de la Meurthe, ces armées réussiraient à accrocher les forces que l'on supposait dans cette région ou à infliger une défaite décisive aux Français au cas où ceux-ci s'avanceraient de leur côté avec des forces puissantes entre Metz et les Vosges. L'avenir devait en outre montrer si les troupes employées en Alsace-Lorraine ne feraient pas défaut à l'aile droite au moment décisif ou si on réussirait à les y transporter en temps voulu une fois leur mission remplie.
Le cours des événements qui se sont déroulés à notre aile droite nous a déjà permis de constater que les espérances que l'on avait mises dans les opérations des 6e et 7e armées ne se sont pas réalisées.
Quand les Français se portèrent avec leur 7e C. A. et leur 8e D. C. de Belfort sur Mulhouse et s'emparèrent de cette ville le 8 août, le colonel-général von Heeringen les contre-attaqua de Colmar avec le XVe C. A., de Neuf-Brisach-Neuenburg avec le XIVe C. A. et les rejeta les 9 et 10 sur Belfort. Ce succès, réjouissant en soi, entraîna la 7e armée au loin vers le sud et retarda l'opération qu'elle devait exécuter de concert avec la 6e armée. Ce ne fut que le 19 août qu'elle fut entièrement rameutée aux côtés de la 6e armée. Entre temps, le 9 août, elle avait été placée sous les ordres de son Altesse royale le kronprinz de Bavière, commandant de la 6e armée.
Le combat de Lagarde du 11 août et d'autres renseignements montrèrent que la 2e armée française avait commencé à pénétrer en Lorraine. L'intention du kronprinz de Bavière était de remplir sa mission si possible offensivement, mais il voulut tout d'abord attendre sur la ligne approximative : région sud-est de Metz-Delme-Château Salins-Blamont-Cirey, l'arrivée de la 7e armée qui devait se concentrer dans la région Saverne-Molsheim.
Jusqu'au 13 août on crut reconnaître que des forces ennemies très importantes, peut-être la masse principale des armées françaises, se rassemblaient sur le front Raon l'Etape-Pont-à-Mousson. Il fallait donc s'attendre à une grande offensive française entre Metz et les Vosges. La décision de la guerre pouvait se jouer dans cette région. Il fallait éviter d'attaquer prématurément un ennemi très supérieur en nombre : le gros des forces allemandes (armées 1 à 5) ne pouvait être rassemblé et prêt à coopérer à la bataille que le 18. La Direction suprême fit savoir en conséquence le 13 août au commandant en chef des 6e et 7e armées qu'il n'était pas dans ses intentions de voir ces armées se porter vers le front Metz-Frouard et vers la Meurthe; que cette offensive ne pourrait être envisagée que quand une partie importante des armées ennemies de Lorraine aurait été transportée sur un autre point ou se serait repliée, enfin que devant un ennemi supérieur en nombre la 6e armée devait battre en retraite.
Il était manifeste que le colonel-général von Moltke songeait à transporter le centre de gravité de ses opérations en Lorraine si le gros des forces ennemies y prenait l'offensive et qu'il voulait chercher à y obtenir la décision. La 4e armée fut informée que la Direction suprême se réservait de la faire coopérer à la bataille de Lorraine si l'opinion que l'on avait des intentions de l'ennemi se confirmait. La 5e armée devait intervenir en pareil cas en débouchant de Metz et de la position de la Nied. Les divisions d'ersatz furent même portées derrière la 6e armée. Les conceptions stratégiques de Moltke s'écartèrent déjà de ce fait de celles du comte Schlieffen. Celui-ci estimait qu'une contre-offensive française en Lorraine était désirable. Il ne voulait pas laisser plus de 4 corps d'armée 1/2 en Alsace-Lorraine en dehors de la cavalerie, des garnisons des places et de la landwehr. Le mouvement débordant par la Belgique devait être exécuté même si les Français prenaient l'offensive en Lorraine. Le comte Schlieffen admettait qu'ils feraient demi-tour. Le colonel-général von Moltke, lui, voulait en pareil cas battre l'ennemi. Au cours d'un voyage du Grand État-major il avait déclaré, lors de la critique finale, que le but du grand mouvement par la Belgique était d'attaquer l'ennemi en rase campagne, hors de ses forteresses, et que si les Français venaient au devant de nous en attaquant en Lorraine ce but serait atteint. Il blâma le chef du parti allemand d'avoir continué en pareil cas son mouvement par la Belgique et déclara qu'il aurait dû exécuter une conversion et marcher à la décision. Une telle situation lui parut réalisée en août 1914.
Au milieu d'août la 6e armée commença à se replier en direction de Sarrebruck-Sarreguemines-Sarrebourg, mais elle s'arrêta sur la ligne Sanry-Han sur Nied-Fenestrange-Sarrebourg quand les renseignements reçus montrèrent que le gros des forces ennemies n'était pas rassemblé en Lorraine. La Direction suprême n'attendant plus désormais la décision d'une bataille en Lorraine, mais du mouvement débordant par la Belgique, la 6e armée reçut alors pour mission de couvrir le flanc gauche du gros de l'armée allemande. Le kronprinz Rupprecht fut laissé entièrement libre de décider s'il devait remplir sa mission offensivement ou défensivement. La Direction suprême lui donna des ordres dans ce sens le 17 août.
Or l'ennemi avait toujours des forces importantes en Lorraine. Il parut mauvais de se replier devant elles, si elles prenaient l'offensive, car il était douteux qu'elles suivraient si en leur tendait un piège entre Metz et la position de la Nied d'une part, la 7e armée concentrée au nord des Vosges d'autre part. Le kronprinz de Bavière décida de remplir sa mission offensivement et de se porter au devant de l'ennemi. Le succès qu'il a remporté lui a donné raison.
Le 20 août la 6e armée déboucha du front Wallersberg-Lauterfingen, la 7e de la région de Phalsbourg et au sud ainsi que de Schirmeck sur Baccarat-Raon l'Etape. Les deux armées se heurtèrent aux 1re et 2e armées françaises qui avaient également pris l'offensive. L'ennemi fut battu du 20 au 22 août dans la bataille de Lorraine et poursuivi par la 6e armée jusqu'à la frontière en direction de Lunéville.
Le kronprinz Rupprecht avait rempli sa mission : le flanc gauche du gros de l'armée allemande était, couvert. Il était encore possible à ce moment-là, mais c'était la dernière limite, de rameuter des forces vers l'aile droite comme on l'avait prévu dans le plan initial. Le général-lieutenant Tappen objecte à cela que la destruction du réseau ferré belge rendait tout rameutement impossible. Or il était à prévoir que ces voies ferrées seraient détruites. Si donc les forces de Lorraine ne purent pas être transportées à cette date à l'aile droite et si elles y firent défaut, c'est que la concentration initiale avait été mauvaise. Mais il était encore possible à ce moment-là de faire roquer par voie ferrée des forces importantes jusqu'à Aix-la-Chapelle et de les faire marcher derrière l'aile droite comme échelon de seconde ligne.
La Direction suprême prit la grave décision de continuer la poursuite en Lorraine avec toutes les forces de cette région pour percer sur la Moselle supérieure en talonnant l'ennemi battu. On croyait, d'après les expériences qui venaient d'être faites sur les forts de Liège, que l'on pourrait venir à bout rapidement des forteresses françaises. Si la percée réussissait, on pourrait conjointement avec le mouvement débordant par la Belgique, réaliser l'enveloppement des deux ailes adverses, l'encerclement complet de l'ennemi, donc un nouveau " Cannes ". On aurait alors la perspective de terminer rapidement la guerre. Le général Tappen estime qu'en prenant cette décision on s'en est tenu entièrement au plan initial. Moi j'estime qu'on l'a complètement abandonné. Mais c'était bien moins l'existence des forts d'arrêt ennemis que la force naturelle du secteur Toul-Épinal et le fait que ses deux ailes étaient appuyées aux zones fortifiées Toul-Nancy d'une part, Épinal d'autre part, qui rendaient la réussite de la percée des plus invraisemblables. Ce n'est pas là une affirmation a posteriori. On savait dès le temps de paix qu'il n'était pas possible de franchir la Moselle entre Toul et Épinal, c'est-à-dire dans la trouée de Charmes. C'est intentionnellement qu'autrefois les Français n'avaient pas fortifié ce secteur. Plusieurs années avant la guerre il existait au Grand-État-major un mémoire sur ce sujet, mémoire basé sur des reconnaissances personnelles et dans lequel il était dit :
C'est une coupure de terrain extraordinairement forte, La rivière est très importante et forme avec le profond canal qui la longe un double et difficile obstacle. La vallée de la Moselle est large de 1 à 2 kilomètres en partie complètement plate et sans couvert. Le terrain de la rive gauche est plus favorable au défenseur que celui de la rive droite à l'assaillant. Les deux ailes du défenseur sont appuyées à deux grandes places. L'assaillant ne peut attaquer que de front et ses deux flancs sont menacés par ces forteresses. " D'après les enseignements de la guerre russo-japonaise une attaque purement frontale dirigée contre une semblable position demanderait tout au moins beaucoup de temps. La guerre prendrait le caractère de la guerre de position ". En ce qui concerne l'ensemble du front de Moselle Belfort-Épinal-Toul, le mémoire disait ce qui suit : " Attaquer dans cette direction ce serait aller au devant du désir des Français. Le système de défense ennemi prendrait ainsi toute sa valeur. Les organisations fortifiées coopèrent avec la puissance naturelle de la coupure pour obliger l'assaillant à passer de la guerre de mouvement à la guerre de position. Les Français espèrent que, derrière cette coupure et à l'abri de leurs places fortes, ils pourront regrouper leurs forces de façon à pouvoir passer à l'offensive sur un point ou sur un autre avec des forces supérieures ".
Le 24 août par ordre de la Direction suprême, la 6e armée, se couvrant face à Nancy, continua la poursuite en direction de Lunéville, la 7e armée en direction de Saint-Dié avec son aile gauche. Dès le 24 le chef d'état-major de la 6e armée, le général-lieutenant Kraft von Delmensingen rendit compte qu'il ne s'agissait pas, ainsi que semblait le croire la Direction suprême, d'une poursuite comme après Iéna ou Waterloo. Il déclara que l'on n'avançait que lentement, que la cavalerie d'armée ne pouvait pas faire grand chose dans cette région, que les corps étaient très fatigués. A droite l'attaque ne dépassa guère la Mortagne, à gauche la région de Saint-Dié. L'ennemi opposa une énergique résistance; il contre-attaqua également l'aile gauche allemande en partant du sud.
L'attaque n'avait donc pas eu le succès qu'on attendait. A la fin du mois la question se posa de savoir ce qu'il fallait faire désormais. La 6e armée rendit compte le 31 août que jusqu'à présent elle n'avait pas encore pu établir que devant elle l'ennemi retirait des forces de son front ou les enlevait par voie ferrée; que par conséquent il n'était pas encore nécessaire de marcher vers la Moselle pour accrocher l'ennemi; que les corps de la 6e armée avaient eu des fortes pertes, mais qu'il en était certainement de même chez l'ennemi et que celui-ci ne devait guère avoir de forces fraîches. " C'est pourquoi le commandement de la 6e armée ne peut encore nullement considérer l'attaque de la Moselle entre Nancy et Epinal comme n'ayant aucune chance de succès ". Le 1er septembre la 6e armée rendit également compte que d'après ses impressions l'ennemi avait encore des forces importantes devant son front. Les préparatifs pour la continuation de l'offensive furent poursuivis.
Après avoir discuté la question en détail avec le commandement de la 6e armée la Direction suprême se prononça, ainsi que le dit le général-lieutenant von Tappen pour la continuation de l'attaque avec l'espérance que la percée réussirait encore ou que l'on pourrait accrocher tout au moins des éléments importants de l'armée française. Tandis que l'aile droite de la 6e armée, renforcée par de l'artillerie lourde amenée de l'intérieur, devait attaquer les positions avancées de Nancy, son aile gauche devait chercher à percer en direction de Bayon. La 7e armée devait participer à cette opération et couvrir le flanc gauche face à Épinal. L'attaque commença le 4 septembre.
Une fois la retraite des armées françaises commencée, les 1re et 2e armées avaient reçu, par ordre du G. Q. G. du 25 août, une mission purement défensive. Elles devaient contenir les forces qui leur étaient opposées pendant que les autres armées se décrocheraient tout d'abord de l'ennemi et qu'un groupement offensif puissant serait formé à l'extrême gauche. Les 1re et 2e armées avaient jusqu'alors complètement rempli leur mission quoique leurs opérations eussent manqué d'unité. A peu près à la même époque où du côté allemand on décidait de continuer l'attaque contre la Moselle, le G. Q. G. français crut pouvoir retirer des forces de la région de la Moselle pour les porter vers le reste de son front. Ces retraits commencèrent le 1er septembre.
Ils ne purent être constatés tout de suite du côté allemand. Le 3 septembre au soir la 6e armée envoya encore le compte rendu suivant : " Aucun mouvement de repli, aucun enlèvement par voie ferrée n'a été encore constaté sur le front de l'armée; par contre des masses puissantes et beaucoup d'artillerie se trouvent encore dans la position ennemie et en arrière de cette position ".
L'attaque de Nancy fut déclenchée le 4 septembre à une époque où la Direction suprême savait déjà parfaitement que les Français avaient commencé à transporter des forces de l'est vers l'ouest. Les positions fortifiées établies sur les hauteurs qui forment un vaste arc de cercle autour de Nancy sont appelées par les Français " Grand Couronné de Nancy ". On y avait travaillé depuis des années. L'attaque allemande dirigée contre ces positions ne progressa nullement. La 7e armée, elle aussi, n'arriva le 5 qu'au voisinage de la région de Rambervillers.
Le 5 la Direction suprême se décida à retirer du front le commandement de la 7e armée, la 7e D. C., le XIVe C. A. et un corps de la 6e armée pour les transporter à l'aile droite. C'était à la veille de la bataille de la Marne. Les voies ferrées belges avaient été suffisamment rétablies entre temps. Le transport de la 7e D. C. commença le 7, celui du XVe C. A. le 8 par Liége-Bruxelles-Mons.
L'attaque de Nancy lut tout d'abord continuée, mais elle ne pouvait plus avoir d'autre but que d'accrocher l'ennemi. Seules les 4e et 5e armées, en se portant vers le sud, pouvaient désormais ouvrir les passages de la Moselle à la 6e armée. Le 8 septembre la nécessité de prélever encore de nouvelles forces sur les 6e et 7e armées pour renforcer l'aile droite de armées allemandes apparut. On ne pouvait plus compter sur une avance des 4e et 5e armées sur la rive gauche de la Meuse. Le 8 septembre la Direction suprême conféra à ce sujet avec le commandant en chef de la 6e armée. Ce dernier aurait encore préféré continuer à attaquer les pertes subies jusqu'alors avaient été considérables renoncer à l'offensive après de semblables sacrifices, c'était l'équivalent d'une défaite. La Direction suprême se décida cependant, en raison de la situation générale, à arrêter l'offensive. Elle ordonna le 8 septembre de tenir le 1er C. B. prêt à être embarqué le 9. Elle fit savoir également à la 6e armée qu'elle prélèverait encore des forces importantes sur son front. Le 9 elle lui envoya l'ordre suivant : " L'attaque de la position avancée de Nancy ne sera pas poussée plus loin. Il s'agit de rendre disponibles aussi vite que possible tous les éléments non indispensables de la 6e armée en vue d'un autre emploi. En conséquence préparer immédiatement l'occupation d'une position défensive arrière. " La guerre de position commença alors également sur ce front.
Il est intéressant cependant de noter que d'après l'exposé de Palat la situation de Nancy fut considérée comme très critique du côté français à partir du 5 septembre. Il dit que la 2e armée ne disposait plus, après les cessions qu'elle avait faites, que de deux corps d'armée actifs en dehors de ses divisions de réserve; que Joffre et le commandant de la 2e armée, le général Castelnau, avaient examiné si on devait abandonner Nancy et se replier sur les positions fortifiées de la forêt de Haye en avant de Toul, mais qu'on décida de tenir encore Nancy pour le moment. Mangin confirme ce qui précède (ouv. cit.). Il dit qu'après de violents combats les Allemands progressèrent les 6 et 7 septembre bien qu'au prix de lourdes pertes et qu'on s'était fait à l'idée de se replier derrière la Meurthe et la Mortagne.
Les cessions que l'aile droite de l'armée française avait été obligée de faire se répartissent comme suit entre les différentes armées :
L'armée d'Alsace fut tout d'abord dissoute le 28 août. Le 7e C. A. (14e D. I. et 63e D. R.) fut dirigé sur la 6e armée de nouvelle formation; la 8e D. C. le 30 août sur Châlons-sur-Marne où elle passa au 2e C. C. Conneau.
La i1re armée qui comprenait initialement les 8e, 13e, 14e, 2le C. A. et 6e D. C., dut céder, le 2 septembre, un corps d'armée, le 21e, qui fut embarqué dans la région de Bruyères et d'Epinal et transporté à la 4e armée. Le 7 septembre elle céda la 6e D. C., le 11 le 13e C. A., ultérieurement le 8e C. A .
La 2e armée comprenait initialement les 18e, 20e, 9e, 15e et 16e C. A. Sur ces forces le 18e C. A. était déjà passé au milieu d'août à la 5e armée ; la moitié du 9e C. A. avait été poussée dans la brèche entre les 4e et 5e armées. Le 1er septembre l'enlèvement de la 10e D. C. fut ordonné : elle passa au corps de cavalerie Conneau. Le 2 septembre ordre fut donné d'enlever le 15e C. A. et le reste du 9e C. A. Le 15e C. A. rompit le 3 en majeure partie de nuit pour cacher son départ par Bayon-Haroué et exécuta des marches forcées fatigantes pour passer à la 3e armée. Les éléments du 9e C. A. se replièrent dans la nuit du 2 au 3 septembre sur Nancy et furent transportés sur Arcis-sur-Aube pour passer à la 9e armée où se trouvaient les autres fractions de ce corps d'armée.
L'armée de Lorraine céda à la 6e armée les 55e et 56e D. R. qui furent débarquées les 29 et 30 août au sud de Montdidier.
Le 4e C. A. qui arriva à la 6e armée à partir du 6 septembre venait de la 3e armée.
Nous voyons donc que du côté français un déplacement de forces important eu lieu de bonne heure de l'aile droite à l'aile gauche. Nous, nous commençâmes à déplacer nos forces trop tard et nous étions loin de disposer de lignes de transport aussi bonnes que celles des Français, mais c'était là une chose que nous pouvions savoir à l'avance; nous aurions donc dû nous grouper en conséquence, dès le début, lors de la concentration.
Sa conclusion :
On pourrait placer en tête du coup d'œil rétrospectif sur les opérations qui se sont déroulées du côté allemand depuis le début de la campagne jusqu'à la bataille de la Marne le mot de Moltke : une faute commise dans la concentration ne peut guère être réparée au cours de toute la compagne. L'aile droite allemande resta trop faible, l'aile gauche trop forte.
La puissance de notre aile gauche nous incita à tenter de percer la frontière fortifiée française du nord-est, entreprise que nous avions voulu précisément éviter en débordant cette frontière par la Belgique. A l'aile droite nos forces ne furent pas suffisantes pour envelopper l'ennemi partout où il se trouvait, comme le voulait Schlieffen. Plus l'offensive nous conduisit profondément en pays ennemi, plus les prélèvements qui furent faits sur cette aile pour couvrir les communications et assiéger les places ennemies furent nombreux sans que d'autres troupes fussent amenées en seconde ligne. La rapidité dut remplacer ce qui nous manquait en fait de forces. Bien des choses furent faites précipitamment sous la contrainte de la nécessité. Les opérations oscillèrent entre les contraires les plus extrêmes. L'aile droite dut d'abord être étendue vers le sud-ouest jusqu'à la Basse Seine, puis elle dut converser face au sud-est en défilant devant Paris jusqu'au jour où finalement (5 septembre) le plan de campagne tout entier s'écroula. Nous étions devant Paris et nous ne sûmes pas nous tirer d'affaire avec cette place.
Il n'est pas en général d'une grande utilité de se demander, après guerre, ce qui serait advenu si telle ou telle chose était arrivée. Mais dans le cas présent il s'agit de prouver qu'en 1914 l'armée allemande n'a rien entrepris qui fût au-dessus de ses forces.
Si notre concentration avait été effectuée logiquement, suivent le plan de Schlieffen, le succès n'aurait pu, autant qu'un homme peut en juger, manquer de nous échoir. Notre avance au nord de la Meuse surprit complètement les Français et renversa leur plan de campagne. Les grandes batailles d'août auraient déjà pu amener la décision ; la bataille de la Marne ou de la Seine aurait certainement pu l'apporter en septembre lorsque Joffre nous offrit par ses mesures l'occasion brillante de refouler les Français vers le sud-est.
Le plan du comte Schlieffen n'était pas démodé, il était plein de vie, ce n'était pas " la recette du défunt Schlieffen ". Mais nous ne l'avons pas suivi.
La campagne aurait été gagnée néanmoins si nous n'avions pas pris en outre de mauvaises dispositions.
Au lieu de pousser derrière l'aile droite tout ce qui était disponible en fait de troupes, on en retira deux corps d'armée. Les divisions d'ersatz furent amenées derrière l'aile gauche; le landsturm fut levé trop tard. Le 23 août et même le 30 août il aurait été encore temps de regrouper nos forces de l'aile gauche à l'aile droite.
Il n'y eut pas de direction de la part du Commandement suprême. De Coblence et de Luxembourg il ne lui était pas possible de tenir les rênes. Les liaisons étaient totalement insuffisantes, les échanges d'idées totalement impossibles. Ses longs ordres écrits étaient dépassés par les événements lors de leur arrivée aux armées. Les commandants d'armées furent souvent livrés à eux-mêmes et avisés d'avoir à s'entendre réciproquement. Avec quel résultat, les événements l'ont montré. Ils agirent aussi bien qu'ils pouvaient le faire de leur point de vue, mais pas toujours en accord avec leurs voisins et dans le cadre de la grande situation stratégique. La Direction suprême se laissa pousser; elle resta souvent sans intervenir lorsque les armées prirent d'autres chemins que ceux qu'elle leur avait prescrits et elle approuva après coup leur conduite.
C'est ainsi que le 23 août sur la Sambre et la Meuse, les 29 et 30 sur l'Oise, l'occasion fut perdue de porter à l'ennemi un grand coup. Sur la Marne les 1re et 2e armées se séparèrent l'une de l'autre.
Nous n'aurions pas perdu la bataille de la Marne si nous avions seulement tenu. La victoire de l'Ourcq, la percée de Fère-Champenoise l'emportaient sur les difficultés de notre situation à Montmirail et sur la Marne.
Après les batailles d'août une deuxième victoire allemande sur la Marne aurait eu, ainsi que les Français le concèdent, la plus grande portée et aurait exercé un effet écrasant sur le moral en France. Paris et Verdun, les deux piliers du dispositif français, seraient vraisemblablement tombés.
Aurions-nous été ensuite en état de continuer les opérations ? Nous n'aurions certainement pas pu le faire immédiatement et dans le délai jusqu'alors fixé. Il nous aurait fallu regrouper nos forces, régler nos communications et assurer le ravitaillement de notre armée. L'offensive aurait pu ensuite être continuée.
La situation en munitions à la 1re armée fut pendant son avance rapide parfois difficile, dans certains cas isolés inquiétante, mais jamais critique au point que les opérations en fussent sérieusement menacées. C'est à la coopération excellente des officiers d'état-major de la 1re armée responsables du ravitaillement avec le service des étapes dont le travail était parfait, aux performances éminentes des colonnes et des parcs que l'on doit qu'il n'y ait pas eu de manque de munitions. Pendant la bataille de l'Ourcq en particulier nous eûmes suffisamment de munitions.
Les voies ferrées de Belgique et du nord de la France n'avaient pas été détruites, par suite de notre progression rapide, dans la mesure où l'on pouvait s'y attendre. De nombreuses compagnies de construction de chemins de fer avaient été engagées avec prévision par le chef du service des chemins de fer derrière les 1re et 2e armées. Néanmoins la situation ferroviaire était défavorable au début de septembre, car la ligne de ravitaillement Aix-la-Chapelle-Liège n'était pas suffisante pour satisfaire toutes les demandes des armées et du service des étapes et elle devait en outre servir à transporter la landwehr, le IXe C. R. et l'artillerie destinée à agir contre Anvers.
Mais les besoins des troupes combattantes n'étaient heureusement pas très grands en dehors des munitions. La moisson était mûre, l'avoine et les autres céréales étaient en meules ou en gerbes dans les champs. Le bétail de toute nature était abondant. Seul le temps et l'expérience manquaient aux troupes pour utiliser les approvisionnements rationnellement. Les grosses masses de cavalerie souffrirent néanmoins à plusieurs reprises et sérieusement du manque d'avoine. Mais en Courlande, Volhynie et Macédoine des difficultés beaucoup plus grandes surgirent au cours de la guerre et furent cependant surmontées.
Alors même qu'il ne nous eût pas été possible d'exploiter complètement notre victoire, alors même qu'on en serait venu à la guerre de position, notre situation aurait été incomparablement meilleure que celle qui survint plus tard dans la réalité. L'occupation des ports de la Manche aurait eu surtout la plus grande importance.
Les jugements portés sur nos opérations dans les exposés français et anglais de la campagne méritent d'être cités.
Le général Maurice dit : " Le plan de campagne allemand était dans son projet hardi, simple et basé sur l'étude la plus minutieuse de la guerre. S'il avait été exécuté sur le champ de bataille avec la même habileté que celle avec laquelle il avait été établi dans les bureaux de l'état-major, il aurait eu pour conséquence l'anéantissement complet de nos cinq premières divisions, la chute de Paris et la perte du nord de la France ". Le général Maurice estime toutefois que même un pareil succès n'aurait pas amené la victoire définitive des Allemands. Il adresse au plan allemand le reproche que la traversée de la Belgique a déterminé le monde entier à se tourner contre nous. Comme si l'Angleterre n'était pas déjà décidée sans cela à entrer dans la lutte.
Le maréchal Foch a exprimé son opinion sur le commandement allemand pendant la bataille de la Marne au cours d'un entretien avec le correspondant d'un journal parisien (Petit Parisien du 7 septembre 1920). Il estime que le plan d'opérations allemand était rigide et ne tenait aucun compte de l'imprévu. Mais le maréchal confond ici le plan et son exécution. Il dit ensuite que la Direction suprême allemande a laissé chacun de ses généraux battre sa propre marche et qu'aucun d'eux ne s'est soucié de ses voisins. Les stratèges de Berlin avaient admis comme chose toute naturelle que tout se déroulerait comme sur le papier. Le général von Kluck qui avait pour mission d'envelopper l'aile gauche ennemie a poussé jusque devant Paris en des marches étonnantes et avec une rapidité inouïe sans faire attention à Galliéni : celui-ci a alors surgi tout à coup dans son flanc au milieu de la plus belle des manœuvres. A ce moment-là une seule solution était indiquée pour la Direction suprême allemande - reprendre énergiquement en mains les rênes qui lui avaient échappé et diriger fermement les armées hésitantes. Au lieu de cela la Direction suprême resta à Luxembourg et perdit toute vue d'ensemble; l'incertitude gagna les chefs jusqu'à ce que le désarroi fût complet.
Quant au fait que sa propre armée fut battue les 8 et 9 septembre le maréchal glisse sur ce point en disant qu'il y eut des heures difficiles, que le 9 au soir il avait donné l'ordre d'attaquer, mais qu'on avait dû remettre l'attaque au lendemain lorsque tout à coup la nouvelle complètement inattendue de la retraite allemande lui parvint.
Il reconnaît sans réserves la valeur des troupes allemandes: " Cette armée allemande de 1914 ! C'était un outil magnifique ! Jamais par la suite l'Allemagne n'a retrouvé d'armée de cette trempe ! "
De Thomasson condamne l'idée que nous avons eue de vouloir percer au delà de la Moselle avec les 6e et 7e armées. Ce faisant n'avons-nous pas attaqué le front fortifié que nous voulions tourner ? Nous aurions mieux fait de faire comme le voulait le vieux Moltke, c'est-à-dire d'envelopper dès la début l'aile droite française pour refouler les Français sur la Belgique au lieu de la refouler sur l'intérieur de leur pays. Nous aurions pu au besoin avoir recours à la traversée de la Suisse, mais nous avons eu de bonnes raisons de nous en abstenir.
Les jugements que porte Hanotaux sur les opérations de la 1re armée ne peuvent guère pour la plupart être pris au sérieux. Ce n'est que de temps en temps que l'on trouve une idée utilisable parmi les nombreux racontars qu'il rapporte au lecteur. Comme exemple de ces racontars disons que selon Hanotaux le colonel-général von Kluck aurait voulu s'emparer de Paris. Un drapeau de 20 mètres de large aurait été préparé pour être planté sur la tour Eiffel. L'entrée à Paris aurait été fixée au 2 septembre. Palat, si modéré par ailleurs, raconte lui-même que déjà avant la bataille de la Marne dix wagons pleins de médailles représentant l'entrée à Paris étaient tenus prêts.
Le 1er septembre l'état-major de la 1re armée resta pendant quelques heures à Lassigny. L'hôte du colonel-général von Kluck, M. Albert Fabre, conseiller à la cour d'appel de Paris, a fait devant une commission d'enquête des déclarations sur notre séjour en cette localité que Hanotaux reproduit. Un officier supérieur, dit-il, entra tout d'abord et nous annonça que dans trois jours les Allemands seraient à Paris et que la ville serait complètement détruite. Puis un officier descendit de l'auto, dans une attitude impressionnante, " grand, majestueux, aux traits durs et au regard terrible. J'avais devant moi l'image d'Attila. C'était Kluck ! " Le colonel-général von Kluck, dit Hanotaux, a alors hésité pour savoir s'il devait prendre Paris ou chercher la liaison avec Bülow ; le fait qu'il a abandonné Paris prouve son manque d'énergie.
Le Gros émet un avis différent à ce sujet. Il déclare que c'est à tort que l'on reproche à Kluck de ne pas avoir continué à marcher sur Paris et d'avoir voulu envelopper l'aile gauche française. Il n'était pas possible de faire les deux choses à la fois. Il a agi entièrement suivant de justes principes stratégiques en cherchant tout d'abord à en finir avec les armées combattantes avant de se tourner contre la place de Paris. Notre défaite en rase campagne aurait eu aussi pour conséquence la chute rapide de la place. Son malheur fut de ne pas avoir connu la présence de l'armée Maunoury.
Quant au motif pour lequel la 1re armée franchit la Marne, Hanotaux grâce à ses dons d'imagination estime que ce fut l'ambition du colonel-général von Kluck. Le commandant de la 1re armée voulait anéantir l'ennemi et maintenant il lui fallait s'arrêter tout à coup, passer au second plan, laisser Bülow prendre les devants et récolter les lauriers !
Le changement de front rapide de la 1re armée vers son flanc pour faire face à Maunoury dans la bataille de l'Ourcq est apprécié unanimement par la critique française : " Notre état-major rend pleine justice aux mesures habiles de Kluck... Cette conversion en arrière comptera, lorsqu'elle sera mieux connue, parmi les manœuvres les plus intéressantes qui furent exécutées au cours de cette guerre. Von Kluck a sauvé les Allemands de la défaite par son esprit de décision et sa rapidité d'exécution " (Fabreguettes, ouv. cit. page 45 et suivantes). Lorsque von Kluck fut attaqué en flanc " il se montra un manœuvrier éminent. Son énergie et son audace ne le quittèrent pas en ces journées difficiles des 8 et 9 septembre quand il se retourna et comprima le flanc gauche de Maunoury " (Général Malleterre, Un peu de lumière sur les batailles d'août et de septembre 1914, page 57). Hanotaux estime, lui aussi, que le 5 septembre Kluch. reconnut son erreur : " Il se retrouve ce qu'il est, un chef expérimenté, plein de sang-froid et décidé. Il fut prévenu et se retourna avant que nous ayons pu lui porter un coup décisif ". Et il ajoute qu'en manœuvrant sur la ligne intérieure il a repris l'initiative. Le général Canonge (La bataille de la Marne Paris, 1918) résume son appréciation en disant que Kluck a souvent été blâmé à tort. " Sa renommée comme général instruit et énergique n'est pas injustifiée. "
En ce qui concerne les mesures prises par le colonel-général von Bülow, Hanotaux lui reproche d'avoir nui à l'enveloppement en attirant directement à soi les armées voisines pour le soutenir. Outre cette action sur la marche des opérations Hanotaux lui impute une influence directe croissante au cours de la campagne sur la Direction suprême et il ajoute que c'est particulièrement vrai pour l'ordre du 4 septembre par lequel l'enveloppement fut définitivement abandonné, mais il ne peut naturellement pas en donner les preuves.
Le 9 septembre 1914 la campagne de la Marne était perdue pour nous, mais la guerre, elle, ne l'était pas. Nous étions certes obligés d'abandonner tout espoir d'une décision rapide, mais l'esprit de l'armée était intact et le serait demeuré jusqu'à la fin s'il avait eu sans cesse derrière lui l'intérieur. Notre " système " serait cause de la perte de la guerre. Pour autant que notre armée est mise en cause en cette occurrence, le " système " d'instruction de nos troupes, d'éducation de notre corps d'officiers, d'activité de notre état-major était excellent. Abstraction faite des conditions politiques défavorables de notre entrée en guerre nous avons surtout perdu la campagne de 1914 à cause de notre commandement. Ce n'est pas notre " système " qui fut défaillant, mais les personnalités dirigeantes.
Mais ce serait à notre " système " que l'on devrait de ne pas avoir mis les hommes qu'il fallait à la place qu'il fallait. Le roi Guillaume 1er a bien trouvé pourtant un Bismarck, un Moltke et un Roon sous le même système. Une démocratie donne-t-elle la garantie que les hommes dirigeants sont en même temps les meilleurs de la nation ? Pour répondre à cette question il faut attendre. Actuellement la preuve n'en est pas encore faite chez nous.
Au cours de la campagne que nous venons de décrire nous devons nous reconnaître coupables de bien des fautes. Seules nos troupes furent impeccables. Jamais elles n'ont été défaillantes, elles ont fait l'impossible. En elles la fidélité allemande était vivante, cette fidélité que nous espérons voir réapparaître un jour. Le souvenir des exploits accomplis par nos troupes justifie notre espoir en un avenir meilleur.