LE POINT DE VUE DU GENERAL VON KUHL, DU 4 AU 6 SEPTEMBRE INCLUS

Le texte en Allemand, du Général von Kuhl a été édité au lendemain de la guerre, en 1920. La traduction française du Commandant Koeltz, est sortie en 1927, chez Payot. Ce texte est particulièrement intéressant par les analyses comparatives des théories en présence.

 

LA JOURNEE DU 4 SEPTEMBRE.

 

CONTINUATION DU MOUVEMENT. LES 2e ET 3e ARMEES FRANCHISSENT LA MARNE.

 

A la 1re armée le IXe C. A. continua au cours de la journée du 4 septembre à rejeter l'ennemi en direction de Montmirail. Cette localité était encore en fin de journée aux mains de l'ennemi. Celui-ci opposait une résistance opiniâtre. Le commandement du corps d'armée n'avait pas l'impression d'avoir devant lui un ennemi en fuite. On n'avait aucun indice d'une retraite désordonnée, tels que fusils jetés, canons et voitures abandonnés. Le IIIe C. A. se heurta à la résistance d'arrière-gardes qu'il brisa. Il atteignit son objectif de marche à savoir la région de Saint-Barthélémy-Montolivet. Le IVe C. A. parvint sans combat jusqu'à la région de Rebais. Le IIe C. A. se mit au repos dans la soirée dans le coude de la Marne au nord-est de Meaux. Les ponts de Meaux et de La Ferté-sous-Jouarre étaient sautés. Le IVe C. R. atteignit la région de Nanteuil-le-Haudouin, le 2e C. C. La Ferté-sous-Jouarre.

Des renseignements reçus au cours de la journée il résultait que l'ennemi continuait sa retraite de Montmirail sur Esternay et de Coulommiers- Rebais vers le sud. Dammartin était occupé par de l'infanterie ennemie.

Le commandement de l'armée éprouva alors des doutes sur la suite des opérations. Plus l'armée poussait vers le sud, plus la couverture du flanc face à Paris devenait difficile. Les forces de l'armée n'étaient pas assez importantes. Le commandement de l'armée avait compté que des forces suffisantes seraient amenées en deuxième ligne derrière l'aile droite de l'armée. Je savais que c'était là un point important du plan de Schlieffen et qu'entre autres les divisions d'ersatz étaient destinées à cette mission. Mais l'échelon attendu n'arrivait pas et l'ensemble de la situation de l'armée allemande n'était pas claire pour nous. Nous éprouvâmes des doutes sur les victoires décisives des autres armées.

Ces considérations donnèrent naissance au radio suivant qui fut envoyé le 4 septembre au matin à la Direction suprême : " 1re armée demande des renseignements sur la situation des autres armées dont les annonces de victoire décisives ont été suivies à plusieurs reprises de demandes de soutien. La 1re armée est arrivée au prix de durs combats et de marches incessantes à la limite de ses forces. Ce n'est que de cette façon qu'elle a pu ouvrir le passage de la Marne aux autres armées et obliger l'ennemi à continuer sa retraite. En cette occurrence le IXe C. A. s'est acquis les plus grands mérites par la hardiesse de ses opérations.

Nous espérons maintenant pouvoir exploiter le succès. La directive 2220 de la Direction suprême prescrivant à la 1re armée de suivre la 2e armée en échelon ne pouvait être suivie dans ces conditions. Le projet de refouler l'ennemi vers le sud-est en le coupant de Paris ne peut être exécuté que si la 1re armée se porte en avant. La nécessité de couvrir le flanc droit affaiblit la force offensive de l'armée, Il est instamment désirable que l'aile droite soit bientôt renforcée par d'autres éléments (IIIe C. R. ou VIIe C. R.). Étant donnés les changements incessants de situation la 1re armée ne sera en état de prendre des décisions importantes que si elle est renseigné d'une façon permanente sur la situation des autres armées qui semblent plus en arrière. La liaison avec la 2e armée est assurée d'une façon constante ".

 

 

Les objections et demandes de la 1re armée étaient justifiées. Il aurait été, il est vrai, préférable que le commandement de la 1re armée exposât ses scrupules dès le 3. Si la Direction suprême n'avait pas encore mis de renforts en marche, ils ne pouvaient plus arriver à temps. Notre radio parvint en outre avec du retard à la Direction suprême alors que celle-ci avait déjà pris une autre décision et envoyé un officier pour nous apporter des directives détaillées. Le radio précédent montre la grande incertitude dans laquelle se trouvait le commandement de la 1re armée et le peu de renseignements qu'il possédait sur la situation générale.

Malgré les scrupules qu'il avait exprimés le commandement de la 1re armée estima qu'il pouvait encore continuer son mouvement pendant une journée dans le sens de ses intentions antérieures. Le IXe C. A. devait se porter le 5 jusque dans la région d'Esternay. La 2e armée s'en trouva resserrée et refoulée avec son aile droite sur la route Montmirail-Sézanne. Le IIIe C. A. devait atteindre la région de Sancy, le IVe C. A. Choisy. La couverture face au front nord-est de Paris échut, au nord de la Marne, au IVe C. R. et à la 4e D. C. dans la région de Marcilly-Chambry (nord de Meaux), au sud de la Marne, face au front nord-est de Paris, au IIe C. A. qui fut alors poussé, lui aussi, au sud de la Marne vers la région de Coulommiers. Le corps de cavalerie reçut l'ordre de se porter dans la région de Provins pour attaquer si possible ultérieurement l'aile droite française au passage de la Seine.

Le compte rendu suivant fut adressé dans la soirée à la Direction suprême : " Aile gauche de la 1re armée a rejeté les Français sur Montmirail. Anglais dans la région de Coulommiers semblent en retraite vers le sud et le sud-ouest. L'armée se portera en avant le 6. L'ennemi sera attaqué partout où on le rencontrera. IXe C. A. Esternay, IIIe Sancy, IVe Choisy, IIe Coulommiers, IVe C. R. nord de Meaux, IIe C. A. et IVe C. R. assurent la couverture du flanc droit avec la 4e D. C. ; 2e C. C. avec 2e et 9e D. C. Provins. Q. G. de l'armée : Rebais. "

La 2e, armée franchit la Marne le 4 septembre et atteignit la ligne Pargny la Dhuis-Mareuil en Brie-Épernay sans rencontrer l'ennemi.

La 3e armée parvint elle aussi le 4 à franchir la ligne de la Marne entre Athis (est d'Epernay) et Châlons-sur-Marne. Ses troupes étaient à bout de forces. Un jour de repos fut prescrit en conséquence pour le 5.

La 4e armée atteignit la région comprise entre la Moivre et Valmy.

La 5e armée parvint jusqu'à la ligne Clermont-Récicourt et se couvrit face à Verdun, dans la région de Forges sur la rive gauche, avec le Ve C. A. sur la rive droite.

 

LA JOURNÉE DU -5 SEPTEMBRE. CHANGEMENT DANS LES OPERATIONS. LES 1re ET 2e ARMÉES DOIVENT CONVERSER FACE À PARIS. L'AILE GAUCHE DES ARMÉES ALLEMANDES CONTINUF SON OFFENSIVE- LA BATAILLE DE L'OURCQ COMMENCE.

 

A 7 heures du matin arriva au Q. G. de la 1re armée à La Ferté-Milon un radio de la Direction suprême, envoyé la veille au soir, qui plaça les 1re et 2e armées devant une mission toute nouvelle et provoqua un changement complet dans les opérations - " Les 1re et 2e armées resteront face au front est de Paris, 1re entre Oise et Marne tenant les ponts de la Marne à l'ouest de Château-Thierry, 2e armée entre Marne et Seine tenant les passages de la Seine entre Nogent et Mery inclus. 3e armée marche sur Troyes et à l'est. "

Les directives données peu de temps auparavant par la Direction suprême étaient à nouveau renversées. Les motifs qui avaient amené la Direction suprême à cette modification nous étaient inconnus. Nous ne pouvions pas nous faire une image exacte de la situation, car nous ne pouvions pas embrasser les événements qui se passaient au centre et, à l'aile gauche des armées. L'idée de refouler les Français vers le sud-est était abandonnée. Le grand mouvement enveloppant par la Belgique n'avait pas abouti à l'enveloppement des Français : le plan de Schlieffen avait échoué.

La 1re armée était obligée de lâcher l'ennemi, tous ses efforts avaient été vains. Nous ne pouvions pas " rester " entre Oise et Marne, nous ne pouvions qu'y retourner. Le commandement de la 1re armée ne put pas s'expliquer cette expression de la Direction suprême, car nous admettions qu'elle devait connaître exactement le dispositif de notre armée d'après nos comptes rendus.

La Direction suprême en était probablement venue à éprouver elle-même des scrupules analogues à ceux que nous avions exprimés dans notre radio du 4 au matin. L'aile droite était trop faible pour défiler devant Paris. Est-ce qu'un danger spécial nous menaçait dans cette région

Nous n'avions pas de renseignements indiquant de nouveaux déplacements de forces françaises. Or plus on accrochait les Français énergiquement sur tout le front, plus on les empêchait de faire des déplacements de troupes.

Dans ces conditions le commandement de la 1re armée crut pouvoir proposer à la Direction suprême, du moment que la Marne était déjà franchie, de continuer à poursuivre les Français sur une petite distance, jusqu'à la Seine, et de n'investir Paris qu'ensuite. Une fois les Français rejetés derrière la Seine, les forces françaises apparues dans notre flanc droit au nord de Paris seraient obligées, elles aussi, de se replier. Le radio suivant fut envoyé à la Direction suprême : " Par suite de la directive antérieure de la Direction suprême, l'armée est en marche par Rebais-Montmirail vers la Seine. 2 corps d'armée en couverture face à Paris de part et d'autre de la Marne. A Coulommiers contact de combat avec environ trois divisions anglaises, à Montmirail avec l'aile gauche des Français.

Ceux-ci opposent une résistance énergique avec des arrière-gardes; ils souffriraient sérieusement si on continuait la poursuite jusqu'à la Seine. N'ont été jusqu'à présent que refoulés de front et ne sont nullement hors de cause. Leur retraite se fait sur Nogent. Si l'investissement de Paris ordonné s'effectue, cet ennemi aura toute liberté d'action vers Troyes. A Paris des forces ennemies importantes ne sont probablement qu'en voie de concentration. Des éléments de l'armée de campagne y sont sans doute rameutés, mais cela demandera du temps. J'estime que lâcher une armée qui est encore entièrement en état de combattre et déplacer actuellement les 1re et 2e armées est une mesure peu favorable. Je propose de continuer la poursuite jusqu'à la Seine et de n'investir Paris qu'ensuite ". Cette proposition découlait logiquement du raisonnement tenu jusqu'alors par le commandement de la 1re armée, mais elle reposait sur une connaissance insuffisante de la situation.

Sans tenir compte de cette proposition des mesures, furent immédiatement prises pour exécuter les ordres de la Direction suprême. La conversion ordonnée était difficile au point de vue technique de marche et demandait du temps, maintenant que l'armée s'était avancée aussi loin en direction de la Seine. Il parut tout au moins nécessaire de rejeter auparavant les forces ennemies qui étaient signalées immédiatement devant le front de l'armée à Coulommiers et Montmirail. Il était également nécessaire de s'entendre avec la 2e armée. Un officier d'état-major, muni d'une directive écrite, fut envoyé à la 2e armée pour la renseigner sur la façon de voir de la 1re armée et sur la proposition qu'elle avait faite à la Direction suprême. Cet officier devait également attirer l'attention de la 2e armée sur le fait que les forces ennemies qui se trouvaient devant elle n'étaient, de l'avis du commandement de la 1re armée, nullement battues d'une façon décisive, mais étaient encore en parfait état de se battre et avaient opposé à Château-Thierry une résistance énergique. Il devait ajouter que la 2e armée ne pourrait franchir la ligne Esternay-Montmirail que quand la 1re armée l'aurait évacuée et que les mouvements de la 1rre armée ne pouvaient plus être arrêtés pour la journée.

Le commandement de l'armée n'essaya d'arrêter que les seuls IVe C. R. et 2e C. C. Le premier se trouvait dans le voisinage, le second pouvait être atteint par T. S. F. Le IVe C. R. reçut l'ordre de s'arrêter où l'ordre le toucherait. Mais l'ordre ne l'atteignit qu'à midi alors qu'il avait déjà atteint son objectif de marche. Quant au 2e C. C. il ne fallait pas qu'il nous échappât en continuant à marcher vers le sud. Avec les autres corps nous n'avions à ce moment-là aucune liaison; les officiers destinés à venir prendre les ordres journaliers n'avaient été commandés que pour Rebais où nous devions nous rendre à midi. Nous estimâmes qu'il n'était pas possible d'atteindre les états-majors de corps d'armée en temps voulu, étant donnée la distance où ils se trouvaient de La Ferté-Milon, ni d'arrêter les corps qui n'avaient en partie qu'une faible étape à couvrir, sans provoquer d'à-coups.

Le mouvement prescrit devant commencer le 6 de bonne heure, les mesures à prendre furent préparées.

Arrivé à midi à Rebais le commandement de la 1re armée y trouva des renseignements disant que l'ennemi se repliait par Sézanne, Esternay, Provins en direction du sud ; les bivouacs de Montmirail étaient évacués, une longue colonne avait été vue en marche en direction du sud-ouest sur Brie-Comte-Robert (sud-est de Paris).

Le IIIe C. A. refoula une forte cavalerie soutenue par de l'artillerie et de faibles éléments d'infanterie. Au cours de son mouvement, le IVe C. A. entra en contact de combat avec l'ennemi, mais celui-ci se retira après quelques coups de canon. Le IXe C. A. se heurta encore à Montmirail aux forces ennemies qui se repliaient sur Sézanne. Du IVe C. R. on reçut dans la soirée le renseignement suivant : " Les forces ennemies qui se trouvent près de Dammartin ne semblent être que faibles, mais sont encore en place ". Devant le IIe C. A. l'ennemi se repliait en direction du sud et du sud-ouest. Le 2e C. C. transmit dans l'après-midi le renseignement suivant : " Les forces ennemies de Coulommiers ne se sont repliées vers le sud qu'à 6 heures ". L'ennemi était donc en pleine retraite sur tout le front depuis Coulommiers jusqu'à Montmirail. Aucun indice n'indiquait l'existence d'un danger dans le flanc droit de l'armée au nord de la Marne.

Le centre et l'aile gauche de l'armée atteignirent leurs objectifs de marche dans la région de Coulommiers-Esternay

Dans la soirée le lieutenant-colonel Hentsch de la Direction suprême arriva à notre Q. G. pour nous apporter des éclaircissements sur la situation. Nous reçûmes en même temps par un autre officier de la Direction suprême une directive écrite très détaillée.

Cette directive du 5 septembre pour les armée 1 à 7 était ainsi conçue :

" L'ennemi s'est soustrait à l'attaque enveloppante des 1re et 2e armées et a réussi avec une partie de ses forces à prendre contact avec Paris. Des comptes-rendus du front et des renseignements d'agents sûrs permettent en outre de conclure qu'il transporte vers l'ouest des forces provenant de la ligne Toul-Belfort et qu'il procède également à des retraits de forces devant nos armées 3 à 5. Il n'est donc plus possible de refouler toute l'armée française vers la frontière suisse en direction du sud-est. Il faut plutôt s'attendre à voir l'ennemi rameuter de nombreuses forces dans la région de Paris et y amener des forces nouvelles afin de protéger sa capitale et de menacer le flanc droit des armées allemandes.

" Les 1re et 2e armées doivent en conséquence rester devant le front est de Paris. Elles auront pour mission de s'opposer offensivement à toute entreprise ennemie venant de la région de Paris et de s'appuyer réciproquement dans ces opérations.

" Les 4e et 5e armées sont encore au contact de forces ennemies importantes. Elles devront s'efforcer de les refouler sans arrêt en direction du sud-est, ce qui aura également pour effet d'ouvrir à la 6e armée le passage de la Moselle entre Toul et Épinal. On ne peut encore dire si cette opération réussira, de concert avec les 6e et 7e armées, à rejeter des forces ennemies importantes sur la frontière suisse.

" Les 6e et 7e armées conserveront tout d'abord pour mission d'accrocher les forces ennemies qui se trouvent devant leur front. Elles devront se porter aussitôt que possible à l'attaque de la ligne de la Moselle entre Toul et Épinal en se couvrant face à ces places.

" La 3e armée marchera sur Troyes-Vendoeuvre. Suivant la situation elle sera employée soit à soutenir les 1re et 2e armées au delà de la Seine en direction ouest soit à participer en direction du sud et du sud-est aux combats livrés par notre aile gauche.

" En conséquence Sa Majesté ordonne :

" 1° Les 1re et 2e armées demeureront face au front est de Paris pour s'opposer offensivement à toute tentative ennemie venant de Paris : 1re armée entre Oise et Marne ; les passages de la Marne en aval de Château-Thierry seront tenus pour permettre le passage d'une rive à l'autre. 2e armée entre Marne et Seine ; la prise de possession des passages de la Seine entre Nogent et Méry est très importante. Il est recommandé aux deux armées de tenir le gros de leurs forces suffisamment loin de Paris pour pouvoir conserver une liberté d'action suffisante pour leurs opérations. Le 2e C. C. restera sous les ordres de la 1re armée et passera une division au 1er C. C. Le 1er C. C. restera sous les ordres de la 2e armée et passera une division à la 3e armée.

" Le 2e C. C. aura pour mission d'observer le front nord de Paris entre la Marne et la Basse-Seine et d'éclairer entre Somme et Basse-Seine jusqu'à la côte. L'exploration lointaine au delà de la ligne Lille-Amiens en direction de la côte sera assurée par l'aviation de la 1re armée.

" Le 1er C. C. observera le front sud de Paris entre la Marne et la Seine en aval de Paris ; il explorera dans les directions de Caen, Alençon, le Mans, Tours et Bourges et devra recevoir l'aviation nécessaire à cet effet.

" Les deux corps de cavalerie détruiront les voies ferrées conduisant à Paris aussi près que possible de la capitale.

" 2° La 3e armée marchera sur Troyes-Vendoeuvre. Une division de cavalerie lui sera passée par le 2e C. C. Exploration vers la ligne Nevers-Le Creusot; les forces d'aviation répondant à cette mission devront lui être affectées.

" 3° Les 4e et 5e armées se portant résolument en direction du sud-est ouvriront le passage de la Moselle aux 6e et 7e armées. Aile droite de la 4e armée par Vitry-le-François et Montierender ; aile droite de la 5e armée par Revigny-Stainville-Morlaix. La 5e armée assurera avec son aile gauche la couverture face aux ouvrages de la Meuse et enlèvera les forts de Troyon, des Paroches et du camp des Romains. Le 4e C. C. restera sous les ordres de la 5e armée. Il éclairera devant le front des 4e et 5e armées en direction de la ligne Dijon-Besançon-Belfort. Il transmettra également ses renseignements à la 4e armée.

" 4° La mission des 6e ci 7e armées reste inchangée ".

 

Signé : VON MOLTKE

 

D'après mes notes le lieutenant-colonel Hentsch complèta verbalement la directive de la Direction suprême en nous donnant les indications suivantes : la situation est mauvaise. Notre aile gauche est accrochée devant Nancy-Épinal et ne progresse pas d'un seul pas, malgré de lourdes pertes. Verdun est coupé. A l'ouest de Verdun les 4e et 5e armées exécutent un mouvement débordant pour prendre en flanc les Français qui se trouvent derrière le front Verdun-Toul. Là aussi on n'avance que lentement. Des transports semblent avoir lieu de l'aile droite de l'armée française vers Paris. Quelque chose semble se préparer également plus au nord, sensiblement vers la région de Lille. De nouvelles troupes anglaises seraient en cours de débarquement, peut-être à Ostende. Il est possible qu'Anvers soit soutenu par les Anglais.

La 1re armée se trouvait devant une situation entièrement nouvelle. Il n'était plus question de notre percée sur la Haute-Moselle sur laquelle nous avions compté. Les Français n'étaient nullement accrochés partout, des déplacements de troupes importants étaient en cours. Le danger dans notre flanc droit augmentait bien qu'il ne parût pas encore tout à fait imminent. Le projet que nous avions fait le matin de rejeter d'abord les Français au delà de la Seine était liquidé.

Nous fîmes connaître au lieutenant-colonel Hentsch quelles étaient les mesures que nous avions déjà prises pour nous replier et faire face à Paris et comment ce mouvement devait être exécuté à partir du 6. Il déclara que ces mesures étaient conformes aux intentions de la Direction suprême et souligna plusieurs fois, en présence du plus ancien officier d'état-major de l'état-major de la 1re armée, le lieutenant-colonel Grautoff que la mouvement devait être exécuté avec calme et qu'il n'était pas particulièrement nécessaire de se hâter. La déclaration du lieutenant-général Tappen (ouv. cit. page 23) selon laquelle l'ordre de la Direction suprême n'aurait pas été exécuté entièrement à l'aile droite dans la hâte de se porter en avant, demande donc, d'après ce qui précède, à être justifiée.

Il ne faut pas oublier dans l'appréciation de ces événements que ni la Direction suprême ni le commandement de la 1re armée ne songeait si peu que ce fût à l'imminence d'une offensive générale de toute l'armée française telle qu'elle était effectivement en préparation. On admettait fermement que l'armée française continuait à battre en retraite. Il n'était question que d'un danger venant de Paris et menaçant notre flanc. Autrement un mouvement semblable à celui de la conversion à droite de la 2e armée n'aurait jamais pu être ordonné.

Nous reçûmes également de la 2e armée à Rebais une appréciation de la situation qui répondait entièrement aux indications données par la directive de la Direction suprême.

Il fut onze heures du soir avant que l'ordre d'armée pour la journée du 6 pût être donné. Dans la soirée nous reçûmes encore un renseignement d'aviation disant que dans l'après-midi un corps d'armée ennemi avait été vu en partie au bivouac, en partie encore en mouvement à Tournan (sud-est de Paris) et qu'une division avait été également aperçue au bivouac à Rozoy. Le 6 septembre, le IIe C. A. devait se porter dans la région nord-est de Meaux, le IVe C. A. en direction de La Ferté-sous-Jouarre jusqu'à Doue, le IIIe C. A. jusqu'à La Ferté-Gaucher pendant que le IXe C. A. devait rester en place. Notre intention était de constituer notre nouveau front par une contre marche et un à droite au cours desquels les corps conserveraient le même ordre, le IXe C. A. restant par conséquent à l'aile gauche. Dans ce but le mouvement devait commencer par l'aile droite et par échelons. On aurait pu aussi faire faire demi-tour à l'armée, puis lui faire exécuter ensuite une conversion à gauche ; les corps se seraient alors trouvés en ordre inverse, le IXe C. A. à l'aile droite. Mais cette manœuvre aurait nécessité un déplacement des parcs et convois dont le mouvement était déjà suffisamment difficile sans cela. L'état-major de l'armée fut obligé de le régler lui-même chaque jour.

Le 2e C. C. devait masquer le mouvement en arrière et à droite de l'armée, face au front sud-est de Paris et à la Basse-Seine, en se portant dans la région Lumigny-Rozoy. Toutes les mesures nécessaires pour que le passage de la Marne se fit en bon ordre furent prises.

La 3e armée ne faisant pas mouvement et se reposant le 5, la 2e armée ne fit ce jour-là qu'une courte étape jusqu'à la ligne Montmirail-Vertus, puis après l'arrivée de la directive de la Direction suprême elle amorça son nouveau mouvement par une conversion sur la ligne Montmirail-Morains-le-Petit. Le 6 elle devait continuer sa conversion jusqu'à la ligne Montmirail-Marigny-le-Grand. L'exécution des mouvements se présenta ici sous une forme beaucoup plus simple qu'à la 1re armée qui était, elle, obligée d'exécuter la conversion prescrite tout en se portant en arrière.

La 3e armée avait l'intention de continuer le 6 son mouvement vers le sud.

La 4e armée atteignit le 5 la ligne Vitry le François-Heitz l'Évêque-Saint-Mard sur le Mont.

La 5e armée se couvrant face à Verdun atteignit avec son centre et son aile droite Villers en Argonne-Fleury.

La journée du 6 septembre s'écoula autrement que nous l'avions pensé à l'état-major de la 1re armée. Dès le 5 après-midi les canons tonnèrent dans le flanc droit de la 1re armée. La couverture du flanc était confiée dans cette région au commandant, du IVe C. R., le général de l'artillerie von Gronau. Le premier renseignement disant que le IVe C. R. s'était heurté à Dammartin à un ennemi supérieur et s'était retiré à une heure avancée de la soirée derrière la coupure de la Thérouane, nous arriva tard dans la soirée à Rebais, alors que l'ordre pour la journée du 6 était déjà parti depuis longtemps : il nous parvint par une conversation du IIe C. A. avec l'officier le plus ancien de l'état-major de la 1re armée.

La bataille de l'Ourcq était commencée. C'était le lever de rideau de la puissante bataille de la Marne. L'attaque ennemie frappait l'aile droite de l'armée allemande en situation défavorable, car la 1re armée s'était trop avancée. La grande offensive française exécutée sur tout le front nous surprit complètement. Aucun indice, aucune déclaration de prisonniers, aucune nouvelle de journaux ne l'avait annoncée. L'ennemi ne s'y était décidé qu'au dernier moment. Nous nous trouvions devant une crise grave.

La 1re armée était-elle capable de la surmonter ? La troupe était épuisée. Depuis le déclenchement du mouvement en avant elle avait marché sans interruption, sans un seul jour de repos. Des efforts de marche considérables lui avaient été demandés toujours de nouveau pour essayer d'atteindre l'ennemi. Le IVe C. R. n'avait été nullement inférieur aux corps actifs, Du 17 août, jour où il avait franchi la frontière, au 4 septembre il avait parcouru 480 kilomètres, soit une moyenne de 27 kilomètres par jour pendant 18 jours, la plupart du temps sur une seule route et jusqu'au 26 août derrière un autre corps d'armée. Du 31 août au 2 septembre il avait parcouru 90 kilomètres en trois jours. Quant aux performances étonnantes des corps actifs je les ai signalées à plusieurs reprises. Dans toute l'histoire militaire on ne trouve, à ma connaissance, aucun exemple de performances de marche semblables à celles de la 1re armée. Mais maintenant la troupe était presque épuisée et les plaintes des commandants de corps d'armée devenaient chaque jour plus pressantes. Le 4 septembre, le commandant du IIIe C. A., le général von Lochow, adressa à la 1re armée une lettre où il signalait l'épuisement de ses troupes à la suite des performances de marche inouïes qu'elles avaient accomplies et les inconvénients graves qui en résultaient pour leur discipline et leur aptitude au combat.

C'est dans cet état que la 1re armée entra dans la bataille de la Marne. Le principal lui restait encore à faire. La troupe en vint également à bout. Les corps, en se hâtant vers le champ de bataille, accomplirent des marches qui dépassèrent tout ce qui avait été fait jusqu'alors. Seule une armée aussi brillante que celle avec laquelle nous étions entrés en campagne en 1914 était capable de pareils exploits.

 

APPRECIATION SUR L'ORDRE, DE LA DIRECTION SUPRÊME, DU 4 SEPTEMBRE

 

L'ordre de la Direction suprême du 4 septembre partait manifestement de l'hypothèse que la 1re armée n'était pas aussi loin en avant que c'était le cas dans la réalité. Autrement l'ordre n'aurait pu dire : l'armée restera entre Oise et Marne. Comment cela peut-il s'expliquer ? Le compte rendu de la 1re armée du 3 septembre après-midi disant que la Marne allait être franchie n'arriva au G. Q. G. que le 4 à 17 h. 20 ; le compte rendu du 3 septembre au soir arriva un peu plus tard. Ils n'avaient visiblement pas encore été présentés quand partit le radio de la Direction suprême de 19 heures à la 1re armée.

Le grand éloignement du G. Q. G. et l'insuffisance des liaisons furent en cette circonstance extrêmement désavantageux. Il était impossible de diriger les opérations dans ces conditions. La 1re armée avait néanmoins rendu compte, le 2 septembre au soir, que le IXe C. A. avait obliqué sur Château-Thierry pour attaquer en flanc les Français en retraite et que le IIIe C. A. l'avait suivi en échelon à l'est de Crouy. Or comme ce jour-là la 2e armée franchissait seulement la Vesle, on pouvait en déduire tout au moins que la 1re armée était sérieusement en avance.

On trouve aussi dans les archives de la Direction suprême un radio de la 1re armée du 3 septembre après-midi, radio adressé aux 2e et 3e armées, capté à Luxembourg et remis à la Direction suprême le 4 à 2 h. 19 - " 1re armée franchit aujourd'hui la Marne à Château-Thierry et à l'ouest ". Une annotation portée au crayon sur le radio par le lieutenant-colonel Tappen montre qu'il est parvenu à sa connaissance. Le 5 septembre le lieutenant-colonel Hentsch avait supposé que l'état-major de la 1re armée était encore à La Ferté-Milon. Un officier d'état-major du IVe C. A. l'ayant en effet rencontré dans l'après-midi, alors qu'il était à la recherche du Q. G. de la 1re armée, le lieutenant- colonel Hentsch avait été étonné d'apprendre qu'il était si au sud et lui avait déclaré qu'il le croyait plus au nord.

L'ordre de la Direction suprême était basé sur l'intention suivante : former à l'aile droite un front défensif contre lequel échouerait l'attaque qu'il fallait s'attendre à voir déboucher de Paris, pendant que l'aile gauche continuerait son offensive. Le plan de Schlieffen était transformé en son contraire ! Au lieu d'exécuter une offensive écrasante à l'aile ouest nous attaquions à l'est le front fortifié qu'il fallait précisément éviter !

Les perspectives de défense face à Paris étaient certes suffisantes à condition toutefois que le nouveau front pût être établi en temps voulu par les 1re et 2e armées. La Direction suprême croyait avoir suffisamment de temps pour le faire. Cela résulte d'ailleurs aussi de toute la contexture de son ordre. Mais ce qui constituait un grand danger c'était le fait que l'ennemi pouvait rameuter des forces de beaucoup supérieures grâce à son excellent réseau ferré aboutissant à Paris et les rassembler également plus au nord pour nous envelopper une fois que nous serions tombés dans la défensive à l'est de Paris et que nous lui aurions rendu toute liberté d'action.

Les effets que l'on pouvait attendre de l'offensive de notre aile gauche étaient très douteux. Jusqu'à présent on n'avait pas réussi à percer entre Toul et Épinal. Peut-être les perspectives étaient-elles devenues plus favorables depuis que l'ennemi prélevait des troupes dans cette région. Mais nous commençâmes, nous aussi, précisément le 6 septembre, à retirer des troupes du front des 6e et 7e armées pour les porter à l'aile droite. Il était évident qu'en continuant l'offensive sur la Moselle on ne voulait qu'accrocher l'ennemi, pendant qu'à l'ouest de la Meuse les 4e et 5e armées continueraient leur marche en direction du sud et tomberaient sur ses derrières. Mais il était douteux que cette manœuvre réussit. Nous avons déjà signalé les conditions difficiles Où se trouvait la 5e armée. On ne pouvait guère espérer qu'une attaque concentrique des 4e, 5e, 6e et 7e armées réussirait et aboutirait à un encerclement de l'ennemi ou à son refoulement vers la Suisse. En mettant les choses au mieux on pouvait refouler l'ennemi au loin à l'intérieur du pays.

Le plan de la Direction suprême ne contenait pas de grande idée, d'idée vivifiante. Il nous fit l'impression d'une manœuvre de gens embarrassés.

La critique a posteriori est facile. Qu'aurait-il fallu faire ?

Il aurait fallu enfin renoncer à la malheureuse tentative de percée sur la Moselle et mettre l'aile gauche sur la défensive.

On aurait dû tant bien que mal réparer ce qui avait été omis jusqu'alors et transporter le plus de troupes possible aussi vite que possible de l'aile gauche à l'aile droite. L'ennemi, il est vrai, nous avait déjà devancé dans ce déplacement de forces et disposait de meilleures voies ferrées.

Hanotaux estime que Joffre en pareil cas se serait replié. Il n'y avait aucune raison de le faire, cela n'aurait pas amélioré notre situation.

Dans l'ordre de la Direction suprême, ainsi que dans les communications faites par le lieutenant-colonel Hentsch, on trouve une certaine inquiétude au sujet des entreprises ennemies venant de la côte soit d'Ostende soit de la direction de Lille. On avait effectivement projeté du côté anglais d'exécuter une attaque partant de la mer pour dégager l'armée anglaise. Mais on ne disposait pour cela que de quelques bataillons de marine, 3.000 hommes environ. Ils furent débarqués, les 27 et 28 août, à Ostende et eurent plutôt pour mission de protéger ce port contre une entreprise allemande. Il ne fallait pas en effet qu'Ostende tombât aux mains des Allemands tant que les transports anglais étaient dirigés sur Le Havre. Lorsque la base anglaise, comme nous le verrons plus tard, fut reportée sur Saint-Nazaire, l'occupation d'Ostende perdit son importance. Les troupes de marine anglaises furent rembarquées le 31 août. On avait également songé pendant un certain temps à débarquer à Ostende et Zeebrugge les 16.000 Belges qui, venant de Namur, étaient arrivés au Havre; mais on les transporta sur Anvers.

Lorsque l'ordre du 5 septembre arriva aux armées il était déjà dépassé par les événements. Le 6 au matin, sans qu'on s'y attendît, l'attaque franco-anglaise commença sur tout le front.

 

Son septième chapitre LES OPÉRATIONS FRANÇAISES ET ANGLAISES DEPUIS LES BATAILLES D'AOUT JUSQU'A LA BATAILLE DE LA MARNE

 

COMMENCEMENT DE LA RETRAITE (24 AOUT).

 

Le 24 août au soir l'offensive française avait échoué sur tout le front. Les armées se trouvaient alors :

L'armée de Lorraine à l'est de la Meuse face à Metz, l'aile gauche à Spincourt ;

La 3e armée en liaison avec la précédente sur l'Othain, par Marville jusqu'au sud-ouest de Virton;

La 4e armée sur le front : nord de Montmédy-Carignan-sud de Sedan-nord de Mézières;

La 5e armée en retraite par Mariembourg-Avesnes.

Les Anglais à Bavai.

Le 25 au soir la situation était la suivante:

L'armée de Lorraine était sur l'Orne à Conflans-Etain. Elle fut dissoute le 25 au soir; deux divisions furent envoyées sur la Somme, quatre demeurèrent sur les Hauts de Meuse au sud de Verdun,

La 3e armée était dans la région Azannes-Dun

La 4e armée sur la ligne Stenay-Mezières.

La 5e armée sur le front Rocroi-Hirson-ouest d'Avesnes.

Les Anglais à Landrecies-Le Cateau.

L'effet des grandes batailles d'août, batailles de Lorraine, de Longwy-Longuyon, de Neufchâteau, de Namur et de Mons, fut considérable. La retraite livrait à l'ennemi la partie nord-est de la France, sa région industrielle la plus importante dont la perte avait pour la France les plus graves conséquences. Les défaites subies par toutes les armées posèrent lourdement sur la troupe. On songeait aux événements de 1870. Les exposés français indiquent nettement combien l'impression des combats livrés du 20 au 25 août fut puissante. Un découragement marqué se fit voir dans certains corps d'armée (Palat, ouv. cit., t. III, pages 241 et 314).

Il est dit au sujet de certains éléments de la 5e armée que les masses refluèrent dans un désordre indescriptible. Palat prend formellement parti contre l'exposé d'Hanotaux qui cherche à diminuer l'importance des batailles d'août. Il déclare que la retraite a eu pour conséquence que le 5 septembre on se trouvait au sud de la Marne et que l'on s'était fait à l'idée de se replier derrière la Seine; que Paris était sans protection suffisante et que le gouvernement s'était retiré à Bordeaux. Nous verrons ultérieurement comment l'effet de la retraite s'accrut à la longue et atteignit un degré inquiétant. " Si la bataille de la Marne avait été perdue, tout aurait été terminé un mois après l'ouverture des hostilités. Tout redressement aurait été impossible ". (Le Gros, La Genèse de la Bataille de la Marne, page 19).

 

 

Le général Lanrezac (Le plan de campagne français et le premier mois de la guerre, Paris, Payot 1920, pages 185 et suivantes) dépeint comme suit la situation de l'armée française après les batailles d'août : " L'armée française tout entière est alors dans la plus triste situation. Ce n'est pas seulement la 5e armée qui a subi un échec grave : l'armée de Langle a été battue au nord de la Semoy et se trouve contrainte de rétrograder vers la Meuse, découvrant la droite de la 5e armée sur une profondeur de plus de deux marches. L'armée Ruffey n'a pas été beaucoup plus heureuse entre Arlon et Thionville et devra reculer sur Verdun. Les armées Castelnau et Dubail, après de vains efforts pour déloger les Allemands de Morhange et de Sarrebourg, ont été contraintes de rétrograder, celle de Castelnau Couronné de Nancy et celle de Dubail derrière la Mortagne. Nous avons été battus partout de la Sambre aux Vosges. Toutes nos armées grandement éprouvées n'ont plus d'autres ressources que de battre en retraite au plus vite pour échapper à une destruction totale ".

 

L'ORDRE DE RETRAITE DE JOFFRE DU 25 AOUT

 

Le Q. G. du généralissime français se trouvait le 25 août à Vitry-le-François. Il avait pour chef d'état-major le général Belin, pour chef du 3e bureau le général Berthelot. On ne peut refuser à l'état-major du commandant en chef français qu'après les graves défaites des frontières il n'a pas perdu la tête et qu'il a dirigé la retraite judicieusement. Joffre lui-même fit preuve d'une activité infatigable pour relever la confiance ébranlée de l'armée, coordonner les mouvements des armées et vivifier la force de résistance et l'esprit offensif des troupes.

L'ordre de base fut envoyé le 25 août à 22 heures. Palat estime que le texte jusqu'alors connu ne semble pas être tout à fait exact. Il est ainsi conçu :

1° La manœuvre offensive projetée n'ayant pu être exécutée, les opérations ultérieures seront réglées de manière à constituer, à notre gauche, par la jonction des 4e et 5e armées, de l'armée anglaise et de forces nouvelles prélevées sur la région de l'est, une masse capable de reprendre l'offensive pendant que les autres armées contiendront, le temps nécessaire, l'effort de l'ennemi.

2° Dans son mouvement de repli, chacune des 3e, 4e et 5e armées tiendra compte des mouvements des armées voisines avec lesquelles elle devra rester en liaison.

Le mouvement sera couvert par des arrière-gardes laissées sur les coupures favorables du terrain de façon à utiliser tous les obstacles pour arrêter par des contre-attaques courtes et violentes dont l'élément principal sera l'artillerie, la marche de l'ennemi ou tout au moins la retarder.

3° Limite des zones d'action entre les différentes armées

Armée W (armée britannique) Au nord-est de la ligne Le Cateau-Vermand-Nesle incluse

4e et 5e armées : entre cette dernière ligne exclue à l'ouest et la ligne Stenay-Grand-Pré-Suippes-Condé sur Marne à l'est (incluse) ;

3e armée y compris l'armée de Lorraine : entre la ligne Sassey-Fléville-Ville-sur-Tourbe-Vitry-le- François (incluse) à l'ouest et la ligne Vigneulles-Void-Gondrecourt, à l'est (incluse).

4° A l'extrême gauche entre Pecquigny et la mer un barrage sera tenu sur la Somme par les divisions territoriales du nord ayant comme réserve les 61e et 62e D. R.

5° Le corps de cavalerie sur l'Authie prêt à suivre le mouvement de l'extrême gauche.

6° En avant d'Amiens, entre Domart-en-Ponthieu et Corbie, ou en arrière de la Somme entre Pecquigny et Villers-Bretonneux, un nouveau groupement de forces, constitué par des éléments transportés en chemin de fer (7e C. A., 4 divisions de réserve et peut-être un corps d'armée actif) sera groupé du 27 août au 2 septembre.

Ce groupement sera prêt à passer à l'offensive en direction générale Saint-Pol-Arras ou Arras-Bapaume.

7° L'armée W (britannique) en arrière de la Somme, de Bray-sur-Somme à Ham prête à se poser soit vers le nord sur Bertincourt, soit vers l'est sur Le Catelet

8° La 5e armée aura le gros de ses forces dans la région Vermand-Saint Quentin-Moy (front offensif) pour déboucher en direction générale de Bohain, sa droite tenant la ligne La Fère-Laon-Craonne-Saint Erme

9° 4e armée : en arrière de l'Aisne, sur le front Guignicourt-Vouziers ou, en cas d'impossibilité, sur le front Berry au bac-Reims-Montagne de Reims, en se réservant toujours les moyens de prendre l'offensive face au nord.

10° 3e armée : appuyant sa droite à la place de Verdun et sa gauche au défilé du Grand Pré ou à Varennes-Sainte Menehoulde.

11° Toutes les positions indiquées devront être organisées avec le plus grand soin de manière à pouvoir y offrir le maximum de résistance à l'ennemie. On partira de cette situation pour le mouvement offensif.

12° Les 1re et 2e armées continueront à maintenir les forces ennemies qui leur sont opposées. En cas de repli forcé, elles auront comme zone d'action :

2e armée : entre la route Frouard-Toul-Vaucouleurs (incluse) et la route Bayon-Charmes-Mirecourt-Vittel-Clef-mont (incluse).

1re armée au nord de la route Châtel-Dompaire-La-marche-Montigny-le-Roi (incluse)

 

Signé : : JOFFRE

 

 

On est obligé de reconnaître que la volonté du reprendre bientôt l'offensive est exprimée dans cet ordre. La direction décisive dans laquelle l'offensive doit être engagée celle de l'aile droite extérieure allemande , y est également indiquée. Enfin le fait que les forces nécessaires à cette manœuvre peuvent être prélevées sur le front est en raison de la confiance que l'on a dans la puissance du secteur fortifié français, y est aussi Judicieusement reconnu.

Le gros des forces devait être ramené sur la ligne générale Verdun-Rethel ou Reims-Laon-Saint-Quentin-Péronne, pendant qu'une nouvelle armée serait rassemblée à Amiens. La retraite se faisait donc en direction générale de Paris, l'armée devait être disposée en droite ligne de Verdun à Amiens en s'appuyant sur les fortifications de Verdun, Reims, Laon, La Fère et sur les coupures de l'Aisne et de la Somme et, être couvent sur son flanc droit par la ligne fortifiée Epinal-Verdun L'attaque était confiée au nouveau groupement constitué vers Amiens aux Anglais et à l'aile gauche de la 5e armée. La 4e armée devait se joindre à l'attaque, tandis que la 3e armée recevait une mission défensive. Les renforts destinés à l'aile gauche devaient être prélevés sur le front est.

Le comte Schlieffen avait prévu ce dispositif. L'aile gauche allemande devait marcher dans ce cas sur Abbeville Mais en 1914 nous n'en fûmes pas capables en raison de la répartition de nos forces telle qu'elle résultait du notre concentration. La rapidité dut remplacer ce qui nous manquait à l'aile droite en fait de forces. Les opérations de la 1re armée avaient été en particulier dirigées d'après cette idée. Son rôle était de déborder vers la droite aussi loin que la cohérence de l'ensemble des armées le permettait. Il apparut dès lors comme extrêmement efficace qu'après la bataille du Cateau la 1re armée n'ait pas suivi les Anglais en direction du sud comme le général Maurice estime que c'eût été judicieux, mais ait pis la direction du Péronne.

Les Anglais ne furent pas un état de prendre le secteur Bray-Ham qui leur était affecté dans le nouveau front de bataille, mais furent obligés de se replier sans arrêt, jour et nuit, par La Fère et Noyon devant l'enveloppement qui les menaçait. Le 28 la 1re armée traversa déjà la Somme de part et d'autre du Péronne; le 30 son aile droite se trouva devant Amiens avant que la mise en place de la nouvelle armée française y eût été réalisée. Tous les éléments de cette armée qui se trouvaient déjà dans cette région ou y arrivèrent peu à peu furent battus isolément et dispersés. La rapidité de notre marche en avant a ainsi trouvé sa récompense. De même qu'au début elle avait disloqué la concentration commune des Belges, des Anglais et de l'aile gauche française, de même elle bouleversait maintenant tout le plan de Joffre. Au lieu de se replier derrière l'Aisne et la Somme, il fut obligé de se replier derrière la Marne.

Si Joffre était parvenu à exécuter son plan, la 1re armée, qui d'après la directive du 27 août devait se porter en avant au nord de l'Oise, se serait heurtée à Amiens et Péronne à des forces puissantes. Le général-lieutenant Tappen mentionne dans son ouvrage que la Direction suprême a songé plusieurs fois à marquer un temps d'arrêt avant de forcer les coupures difficiles pour permettre aux troupes de serrer, mais que cette idée fut abandonnée. Ce fut avec raison. Si nous étions arrêtés par exemple devant la forte position envisagée par Joffre, notre offensive se serait enlisée. En serait-on déjà arrivé en cet endroit à la guerre de position ? C'est une question à laquelle on ne peut répondre, Mais la continuation des opérations aurait été certainement très difficile et un enveloppement de l'aile gauche française impossible.

L'ordre de Joffre perd de vue la mesure de ce qu'il était possible de faire. Comment la nouvelle armée, si elle n'était rassemblée que dans la période du 27 août au 2 septembre, pouvait-elle espérer pouvoir, encore attaquer en direction d'Arras ou même de Saint-Pol ? Il ne fallait pas compter que les Allemands, qui étaient déjà le 25 devant Solesmes, laisseraient à cette armée le temps de se rassembler jusqu'au 2 septembre.

L'intention d'exécuter une puissante attaque contre le flanc droit allemand n'est pas indiquée formellement dans l'ordre. Il y est plutôt question d'une façon générale de reprendre l'offensive. On a prétendu en France que l'intention d'attaquer ne devait pas être prise au sérieux et qu'elle avait été exprimée plutôt pour calmer le pays. Cette allégation provient des partisans de Galliéni qui veulent attribuer à ce dernier le mérite principal de l'attaque ultérieure de la Marne. Nous reviendrons sur ce différend. Palat estime, lui aussi, que l'idée directrice n'apparaît pas d'une façon suffisamment claire dans l'ordre de Joffre, peut-être parce que chez Joffre lui-même elle n'était pas encore arrêtée.

L'armée française ne pouvait pas conserver la direction sud-ouest qui lui était assignée. Si le contact était conservé à droite avec 'Verdun, la grande extension du front vers la gauche était appelée à disloquer l'armée. D'autre part il devait être très difficile pour les Anglais de se replier au nord de la ligne Le Cateau-Nesle en défilant obliquement devant l'ennemi. L'armée française prit d'elle-même une direction sud plus marquée comme chez nous, tandis que l'armée anglaise fut refoulée derrière l'Oise et la nouvelle armée française dispersée.

 

LES JOURNEES DU 27 AU 30 AOUT. LA CONCENTRATION DE LA 6 ARMÉE DANS LA RÉGION D'AMIENS NE PEUT ETRE RÉALISÉE.

 

Le général Maunoury, jusqu'alors commandant de l'armée de Lorraine, lut désigné comme chef de la nouvelle 6e armée qui devait être formée à Amiens. D'après les intentions de Joffre sa première mission devait être de dégager les Anglais, fortement menacés d'enveloppement par la 1re armée allemande. Si les autres armées reprenaient l'offensive générale, il devait se porter contre le flanc droit allemand. En cas de nécessité il devait reculer sur Paris et coopérer à la défense de la capitale. Le rassemblement de l'armée était prévu pour la période 27 août2 Septembre dans la région d'Amiens. Le général Maunoury quitta Verdun le 28 août et se rendit à Montdidier où il installa son Q.G. La 6e devait comprendre les unités suivantes :

1° Le 7e C. A., composé de la 14e D. I. et de la 63e D. R., aux ordres du général Vautier. Ce corps venait d'Alsace où l'armée d'Alsace fut dissoute et devait être débarqué pour le 28 août aux environs d'Amiens

2° Le 5e groupe de divisions de réserve composé des 55e et 56e D.R., aux ordres du général de Lamaze. Ces divisions avaient appartenu jusqu'alors à l'armée de Lorraine et avaient combattu en Lorraine. Elles furent embarquées à partir du 27 août sur la Meuse à Saint-Mihiel et Dieue et débarquées jusqu'aux 29-30 août à Tricot et Estrées-Saint-Denis (sud de Montdidier)

3° Une brigade indigène (Marocains) sous les ordres du général Ditte.

4° Le 6e groupe de divisions de réserve, composé des 61e et 62e D.R., aux ordres du général Ebener. Appartenant initialement à la garnison de Paris elles étaient passées le 25 août au détachement d'armée Amade. Après leur défaite elles avaient été si ébranlées dans leur cohésion qu'il avait fallu les replier sur Paris où elles avaient été placées sous les ordres du gouverneur de Paris. Elles ne rejoignirent la 6e armée que le 7 septembre.

5° Le corps de cavalerie Sordet. Son état était tel qu'on forma avec ses éléments encore utilisables une division à 18 escadrons aux ordres du général Cornulier-Lucinière. Le 29 août celle-ci se trouvait sur l'Avre; le corps de cavalerie était en arrière, à l'ouest de Montdidier. Il resta tout d'abord à l'armée Maunoury, mais fut replié ultérieurement sur Versailles.

L'armée dont le général Maunoury allait disposer n'était donc pas très importante. Des renforts étaient bien annoncés (4e C. A. et 45e D.I.), mais il fut impossible de les concentrer en temps voulu.

A Montdidier Maunoury trouva des renseignements annonçant que des colonnes allemandes marchaient sur Péronne. Le 28 les Allemands occupèrent cette ville, Maunoury eut d'abord l'intention de se porter au devant d'eux, mais il préféra ensuite se tenir momentanément sur la défensive, jusqu'à ce que ses troupes fussent rassemblées, pour Attaquer ensuite par surprise. Au centre, dans la région du Corbie-Bray-Chaulnes, le 7e C.A. devait couvrir Amiens et la route de Paris. A l'aile gauche, le C.C. Sordet devait maintenir la liaison avec le groupe Amade sur la Somme inférieure. A l'aile droite, à Curchy-Nesles, les divisions de réserve du général de Lamaze devaient couvrir la région Roye-Lassigny et se maintenir en liaison avec les Anglais. La division de cavalerie du général Cornulier-Lucinière se rendit à droite. Les intentions du général Maunoury furent cependant contrecarrées par l'avance allemande. Le général d'Amade chercha à remettre sur pieds ses divisions fortement réduites par les opérations décousues de la région nord. Des fractions des 81e et 82e D.T. furent rameutées d'Abbeville et Pecquigny sur Amiens, mais elles se trouvaient encore en grand désordre. On ne pouvait pas attendre grand chose des troupes d'Amade. Lors d'une entrevue avec Joffre à Saint Quentin le général d'Amade déclara que " les territoriaux avaient lâché dès qu'ils avaient vu la cavalerie allemande " (Lanrezac, ouv. cit. page 208).

A peine débarquée et portée en avant, la 55e D.R. fut attaquée par des forces supérieures. En ce même moment l'armée anglaise se repliait derrière la ligne Noyon-Chauny-La Fère. L'aile droite de la 6e armée suivit ce mouvement et s'infléchit sur Roye en couvrant le flanc du 7e C.A. qui devait faire face à Chaulnes-Bray, donc face à l'est. Il était difficile pour l'armée Maunoury de couvrir, à la fois, Amiens et Paris et de se maintenir en liaison, à la fois, avec les Anglais et avec d'Amade sans trop s'étendre.

Le 7e C.A. se heurta également après son débarquement à l'aile droite allemande et après un violent combat, près de Proyart, le 29 août, fut battu et rejeté au-delà de Villers-Bretonneux. D'après certaines données françaises, il se serait encore replié de 20 km pendant la nuit. L'attaque allemande avait frappé la meilleure troupe de la nouvelle 6e armée, la 14e D.I.. Le 7e C.A. se replia au delà de l'Avre en se maintenant en liaison à droite, à Guerbigny, avec la 55e D.R. qui devait défendre Roye pour garder le contact avec les Anglais. La 56e D. R. n'avait pas encore fini de débarquer.

Le 30 août Maunoury apprit que les Anglais se repliaient sur Compiègne-Soissons. Son armée était en l'air. Il battit en retraite sur Clermont. Le groupement d'Amade dont la valeur combative était extrêmement faible, fut mis en marche, le 30 août, de la Somme inférieure sur Rouen à la nouvelle de l'avance allemande sur Amiens par Albert.

Le colonel-général von Kluck avait donc raison quand, à ce moment-là, il n'attachait pas une trop grande importance aux troupes françaises qui étaient apparues dans son flanc et avaient été battues, et quand il admettait qu'une avance rapide vers le sud les obligerait à une retraite précipitée, sinon elles perdraient toute liaison avec l'armée française. Quant à agir dans le flanc allemand, elles n'étaient pas en état de le faire pour le moment. La situation ne changea que quand l'armée Maunoury put se rassembler par la suite sous la protection de Paris, mettre de l'ordre dans ses unités et faire venir des renforts.

 

LA RETRAITE DES 3e, 4e ET 5e ARMÉES JUSQU'AU 2 SEPTEMBRE. LA BATAILLE DE SAINT-QUENTIN. COMBATS DES 3e ET 4e ARMEES SUR LA MEUSE

 

Après la bataille de Namur la 5e armée s'était repliée sur Avesnes-Mariembourg et avait atteint le 25 août la ligne Maroilles-Avesnes-Fourmies-Regnowez, le 27, l'Oise sur la ligne Guise-Rumigny, Son objectif de marche était la région Laon-La Fère.

Le 27 août Joffre prit la décision d'exécuter une contre-offensive avec son aile gauche. On donne comme raison de cette décision l'intention de dégager les Anglais de la pression que l'aile droite allemande exerçait sur eux. French prétend, lui, que d'une part on avait appris l'enlèvement de forces allemandes importantes et que d'autre part on voulait surtout couvrir Paris. En fait d'enlèvement de troupes allemandes on n'en entendit parler en réalité que le 29 août. Quoi qu'il en soit le plan de Joffre prit de l'extension en ce sens que la 6e et les Anglais devaient coopérer à l'action, les armées de von Kluck et de von Bülow étant attaquées en venant d'Amiens, de Saint-Quentin et de Guise.

L'attaque de la 5e armée devait avoir lieu, d'après l'idée de Joffre, en direction de Saint-Quentin en se couvrant au nord face à Guise pendant que les Anglais se porteraient en avant avec leur aile droite de La Fère sur Saint-Quentin et que la 6e armée partirait d'Amiens. La 5e armée, qui se repliait en direction du sud et qui était épuisée, devait pour cette attaque se regrouper face à l'ouest. Lanrezac aurait, d'après ses dires personnels, exprimé des objections contre l'attaque en direction de Saint-Quentin. Il déclare qu'il craignait en cette occurrence d'être attaqué dans son flanc droit et que la brèche qui existait déjà entre la 5e et la 4e armées devait également s'en trouver accrue, mais que Joffre maintint sa décision d'attaquer.

Malgré l'insistance de Joffre l'attaque ne put avoir lieu avant le 29 au matin. Mais entre temps les Anglais s'étaient retirés derrière l'Oise sur La Fère-Noyon, abandonnant ainsi la Somme et prenant un front face au nord-ouest au lieu de face au nord. Joffre se rendit en vain auprès de French pour l'amener à coopérer à l'action d'une façon quelconque, French, alléguant l'épuisement de ses troupes, s'y refusa et déclara qu'il était obligé de continuer sa retraite sur Soissons-Compiègne.

Il fallut donc déclencher l'attaque le 29 au matin sans les Anglais. Les 3e et l8e C. A. devaient attaquer en direction de Saint-Quentin par Origny-Sainte-Benoite et Ribémont pendant que le 10e C. A. assurerait la couverture ait nord face à Guise. Le 1er C. A. au centre fut maintenu en réserve à la disposition du général Lanrezac. A l'aile gauche les divisions de réserve Valabrègue durent être engagées à la place des Anglais si bien que la partie la plus importante de l'attaque échut aux troupes de réserve. Mais entre temps la 2e armée allemande s'était emparée des passages de Guise le 28 après-midi et attaqua le 29 en partant de la ligne Guise-Etréaupont. (voir croquis 4)

Le général Lanrezac tomba dans une situation difficile. Quelle que fût la direction dans laquelle il se tournât avec, le gros de ses forces, que ce fût sur Guise ou sur Saint-Quentin, il était toujours attaqué en flanc dans l'autre direction.

Pour une opération sur ligne intérieure, l'espace manquait. A sa gauche les Anglais se dérobaient, à sa droite il avait un grand vide. Pour la deuxième fois il se trouvait en danger d'être anéanti. Il prit la décision de rompre l'attaque sur Saint-Quentin et de rejeter au delà de l'Oise avec les 3e, 1er et 10e C. A, les forces ennemies qui s'avançaient à Guise et à l'est, pendant que le 18e C. A. et les divisions de réserve éviteraient tout combat décisif contre des forces supérieures. A 17 heures les Français attaquèrent sur tout le front compris entre Origny et Vervins et refoulèrent, d'après leur exposé, les Allemands (Garde et Xe C. A.) sur l'Oise sans que, ainsi que le concède Palat, le succès se transformât en victoire. Les Allemands conservèrent les passages de l'Oise en leur possession. Sur ces entrefaites le 18e C. A. et les divisions de réserve furent rejetées sur l'Oise, l'offensive de Saint-Quentin avait échoué.

La situation de Lanrezac devint intenable. Sa retraite était menacée par la défaite de Saint-Quentin. La 3e armée allemande qui venait de la direction de Rocroi pouvait se glisser dans la brèche qui existait entre son armée et la 4e armée, Le général Joffre ordonna en conséquence, le 29, à 22 h; 30, à la 5e armée de battre en retraite. Le 30 cette armée franchit la Serre entre Marle et La Fère, le 31 elle atteignit la région de Prémontré-Montcornet (de part et d'autre de Laon) ; le 1er septembre elle parvint, en toute hâte par une marche de nuit, derrière l'Aisne entre Soissons et Guignicourt (voir croquis 6), pour échapper à l'enveloppement qui la menaçait des deux côtés.

La bataille de Saint-Quentin est extrêmement intéressante au point de vue tactique et mérite d'être étudiée d'une façon détaillée. Elle eut pour effet stratégique de faire échouer le plan de Joffre du 25août. L'armée française ne put plus être arrêtée sur la ligne Verdun-Amiens. Mais cette bataille influença aussi sérieusement les opérations allemandes. La 2e armée fut arrêtée et obligée de se reposer le 31 tandis que la 1re armée fut amenée à converser sur Compiègne-Noyon pour exploiter son succès. Celle-ci prit de l'avance sur la 2e armée et demeura aussi par la suite en avant d'elle. C'est ainsi que l'idée de la Direction suprême de couper les Français de Paris prit naissance.

Bien qu'ayant reconnu les grandes difficultés de sa situation, le général Lanrezac aurait eu, selon ses dires, le 29 au soir, l'intention de continuer son attaque le 30 pour exploiter le succès qu'il avait obtenu en direction de Guise et de rejeter l'ennemi au delà de l'Oise. Il ne voulut pas rompre sans ordre formel de Joffre, l'offensive que celui-ci lui avait prescrite malgré ses objections. Cet ordre arriva comme nous l'avons déjà dit. On ne peut que regretter que Lanrezac n'ait pas mis à exécution ses intentions. La journée du 30 lui aurait été fatale, même avec un nouveau succès a Guise, en admettant qu'il l'ait obtenu.

Des perspectives brillantes se seraient offertes à nous pour une manœuvre de Cannes si nous avions eu de notre côté un commandement unique qui se serait efforcé de soutenir la 2e armée, non pas en rapprochant directement les armées voisines, mais en exécutant une poursuite débordante. La 3e armé, avait la possibilité de remporter un grand succès en continuant à marcher en direction de Château-Porcien. Malheureusement fut tiraillée à droite et à gauche par les cris d'appel de ses voisins.

Le 26 août la 3e armée française franchit la Meuse sur la ligne région nord de Verdun-Dun; la 4e armée sur le front Stenay-Mézières. Les deux armées s'opposèrent énergiquement au passage de la Meuse par les troupes allemandes. La 4e armée exécuta en particulier, les 27 et 28, une puissante contre-offensive. Mais ces mesures furent sérieusement influencées par l'attitude de la 5e armée. Celle-ci ayant ramené son aile droite sur Vervins avant la bataille de Saint-Quentin, il en résulta, le 28, une grande brèche entre la 5e armée et l'aile gauche de la 4e repliée sur Launois, brèche dans laquelle la 3e armée allemande, s'avançant par Rocroi, menaçait de se glisser. La 4e armée cessa en conséquence de résister sur la Meuse le 29 et se replia le jour même et le lendemain sur l'Aisne. Le 29 le détachement d'armée Foch fut formé en enlevant à la 4e armée son aile gauche. Il ne fut donc pas composé d'unités nouvellement rameutées. Cette division de la forte 4e armée en deux éléments était destinée à faciliter le maintien de la liaison entre les 4e et 5e armées. Le détachement d'armée Foch parvint au prix de durs combats à se maintenir derrière l'Aisne, les 30 et 31, sur la ligne Attigny-Rethel-Château Porcien à boucher la trouée entre les 4e et 5e armées et à barrer la route Rethel-Paris. La 4e armée traversa l'Aisne de part et d'autre de Vouziers le 30. Le même jour la 5e armée commença à battre en retraite au delà de la Serre en direction de Laon.

Au cours des journées suivantes la 4e armée et, le détachement d'armée Foch continuèrent leur retraite ; ils atteignirent le 1er septembre la région entre Reims et Aisne pendant que la 5e armée parvenait jusqu'à l'Aisne par Soissons et Guignicourt. La 5e armée prit ensuite pour direction générale de marche Dormans, le détachement d'armée Foch et la 4e armée la région de part et d'autre de Châlons.

Pendant ce temps, la 3e armée avait défendu le cours de la Meuse jusqu'au 1er septembre dans la région de Dun; elle conversa ensuite peu à peu en arrière et à gauche autour de Verdun comme pivot et se trouva, le 2 septembre, sur la ligne Apremont-Montfaucon. Le 30 le général Sarrail avait été nommé au commandement de la 3e armée à la place de Ruffey. Le 4e C. A. fut retiré du front de l'armée, embarqué à Vienne-la-Ville et transporté à la nouvelle 6e armée Maunoury.

 

LA RETRAITE DES ANGLAIS DERRIERE LA MARNE. LES JOURNEES DU 28 AOUT AU 3 SEPTEMBRE. INTERVENTION DE KITCHENER.

 

Après la bataille du Cateau les Anglais s'étaient repliés de Landrecies et du Cateau sur La Fère et Noyon. Le 28 au soir leur 1er C. A. se trouvait au sud de la Fère entre l'Oise et la forêt de Saint-Gobain, leur 2e C. A. à Noyon. Le 29 l'armée se reposa. Ayant pris avec son aile gauche la direction Le Cateau-région nord et près de Saint-Quentin, la 1re armée allemande perdit tout d'abord le contact de l'armée anglaise. Celle-ci fut soulagée efficacement par la bataille de Saint-Quentin-Guise les 29 et 30 août.

Le général Maurice (ouv. cit.) reproche au colonel-général von Kluck de ne pas avoir poursuivi directement les Anglais après la bataille du Cateau et d'avoir pris une direction sud-ouest. Il déclare que si le 2e C. A. anglais avait été talonné et obligé encore une fois de combattre contre des forces supérieures, Il aurait été perdu; au lieu de cela von Kluck se tourna le 27 contre les Français et marcha en direction de Péronne si bien que l'armée anglaise échappa. Le général Maurice est d'avis que le colonel-général von Kluck aurait dû poursuivre les Anglais le 27 avec le gros de ses forces, les battre ou les refouler au sud de Paris, pendant qu'il n'aurait envoyé sur la Somme contre les Français que les forces nécessaires pour qu'ils ne puissent intervenir. Il aurait alors pu empêcher les Français d'utiliser les voies ferrées passant par le nœud de Paris; les troupes des généraux Maunoury et d'Amade auraient été coupées du gros de l'armée française; Maunoury n'aurait pas pu dans ce cas rester près d'Amiens.

Les motifs qui ont amené le général von Kluck à prendre après la bataille du Cateau la direction de Péronne ont déjà été examinés ainsi que les circonstances qui ont retardé la poursuite de l'ennemi par la 2e armée. On admettait que les Anglais se replieraient vers le sud-ouest pour ne pas perdre LA RETRAITE DES ANGLAIS DERRIERE -LA MARNE. LES

 

JOURNEES Du 28 AOUT AU 3 SEPTEMBRE INTERVENTION DE KITCHENER.

 

Après la bataille du Cateau les Anglais S'étaient repliés de Landrecies et du Cateau sur La Fère et Noyon. Le 28 au soir leur 1er C. A. se trouvait au 811(1 (le la Fère entre ]'Oise et la forêt de Saint-Gobain, leur 2e C. A. à Noyon. Le 29 l'armée se reposa. Ayant pris avec son aile gauche la direction Le Cateau-région nord et près de Saint-Quentin, la Ire armée allemande perdit tout d'abord le contact (le l'armée anglaise. Celle-ci fut soulagée efficacement par la bataille de Saint-Quentin-Guise les 29 et 30 août.

Le général Maurice (ouv. cit. reproche au colonel-général von Kluck de ne pas avoir poursuivi directement les Anglais après la bataille du Cateau et d'avoir pris une direction sud-ouest (voir page 124). Il déclare que si le 2e C. A. anglais avait été talonné et obligé encore une fois de combattre contre des forces supérieures, Il aurait été perdu ; au ],*eu (le cela von Kluck se tourna le 27 contre les Français et marcha en direction de Péronne si bien que l'armée anglaise échappa. Le général Maurice est d'avis que le colonel-général von Kluck aurait dû poursuivre les Anglais le 27 aveu le gros de ses forces, les battre ou les refouler au sud (le Paris, pendant qu'il n'aurait envoyé sur la Somme contre les Français que les forces nécessaires pour qu'ils ne puissent intervenir. Il aurait alors pu empêcher les Français d'utiliser les voies ferrées passant par le nœud de Paris ;les troupes des généraux Maunoury et d'Amade auraient été coupées du gros de l'armée française; Maunoury n'aurait pas pu dans ce cas rester près d'Amiens.

Les motifs qui ont amené le général von Kluck à prendre après la bataille du Cateau la direction de Péronne ont déjà été examinés ainsi que les circonstances qui ont, retardé la poursuite de l'ennemi par la 2e armée. On admettait que les Anglais se replieraient vers le sud-ouest pour ne pas perdre leur liaison avec les ports. C'est pourquoi il parut nécessaire d'exécuter une poursuite débordante. Si la 1re armée avait suivi les Anglais du Cateau vers le sud, elle aurait laissé toute liberté d'action à Maunoury pour rassembler son armée tandis que les Anglais auraient pu se dérober vers le sud. Un groupement de forces menaçant aurait alors pu se constituer dans notre flanc droit, tandis que la 1re armée avec sa conversion prématurée vers le sud aurait gêné le mouvement des autres armées.

Pour les Anglais il s'agissait avant tout, d'après leur propre exposé, de reconstituer leur armée. Les fatigues causées par la retraite étaient, ainsi que le dit le général Maurice, extraordinairement grandes. Les hommes n'avaient pas le temps de préparer de repas chauds. Il régnait une chaleur écrasante. Quand on s'arrêtait les hommes tombaient de fatigue.

Pendant la retraite continue ils sentaient partout des dangers autour d'eux. Palat, se basant manifestement sur la description d'un témoin oculaire qui observa les Anglais le 28 pendant leur traversée de Noyon, donne dans son ouvrage, (tome V, page 178) un tableau impressionnant de l'état dans lequel se trouvait l'armée anglaise pendant sa retraite : "Les troupes se succédaient sans interruption à travers Noyon. Un mélange de chevaux sans cavaliers, de cavaliers sans chevaux, d'Ecossais isolés dont les genoux, brillaient sous la tunique, artilleurs, fantassins, blessés légers sur des voitures, tous se pressaient en désordre et dans une hâte, fébrile ".

Le Q.G. du général French fut installé du 28 au 30 à Compiègne. Les fortes pertes de son armée n'ayant pas encore été comblées, il tint pour nécessaire de continuer à battre en retraite en direction de Compiègne-Soissons. Le 29 il eut avec Joffre à Compiègne l'entrevue que nous avons déjà citée. Il y souligna que l'armée anglaise ne pourrait pas prendre part à une offensive avant plusieurs jours et qu'elle devait, se reposer et attendre des renforts. Il estima qu'il était préférable d'attirer les Allemands au loin derrière soi et de ne s'arrêter qu'au sud de la Marne, entre Marne et Seine Joffre dut par suite se contenter de demander à French avec insistance de vouloir bien tout au moins ne pas se retirer complètement du front et de boucher le vide entre les 5e et 6e armées.

La situation morale dans laquelle se trouvait l'armée anglaise ressort du fait qu'au cours d'une conférence du commandant en chef avec ses généraux, conférence consécutive à la rencontre avec Joffre du 29, le général Smith Dorrien, commandant du 2e C. A., exprima l'avis qu'il n'y avait plus rien d'autre à faire qu'à retourner à la base, à y embarquer les troupes et à rentrer en Angleterre. Bien que French ait rejeté cette idée, cette proposition n'en jette pas moins, ainsi que le remarque Palat (ouv. cit. tome V, page 220), une " triste lumière sur l'état moral du haut commandement anglais ".

Les communications avec Le Havre étant menacées par la retraite ultérieure, on commença à les déplacer sur Saint-Nazaire et Nantes avec base avancée au Mans. Dès le repli qui avait suivi la bataille de Mons, les ports du havre, et de Boulogne ayant déjà paru en danger, les transports vers ces ports avaient été arrêtés dès le 24 août, et l'Office de guerre avait voulu organiser une nouvelle base à Cherboug. French avait estimé cependant à ce moment-là qu'il n'était pas encore nécessaire de transporter la base du Havre et qu'il suffisait d'abandonner Boulogne. Mais le 29 il déclara qu'il était nécessaire de déplacer immédiatement la base du Havre

On décida de passer de la Manche à la côte ouverte de l'océan et d'organiser la nouvelle base à Saint-Nazaire sur la Loire bien que de grosses difficultés fussent liées à cette question. Jusqu'à présent on n'avait eu à assurer la sécurité, des convois que dans la Manche et sur du courts trajets; maintenant il fallait le faire sur de grandes étendues et en pleine mer. Les gros dépôts du Havre durent être transférés à Saint-Nazaire où la 6e division fut ensuite débarquée.

Mais en sortant la base de la Manche on n'avait pas l'intention d'abandonner les ports du détroit, car ceux-ci étaient d'une importance décisive pour la guerre navale et leur perte aurait eu les plus graves conséquences. On attacha la plus grande valeur à la défense de Dunkerque, Calais et Boulogne : elle fut réglée avec le gouvernement français.

Le 30 août l'armée anglaise continua sa retraite vers l'Aisne en direction de Compiègne-Soissons. French apprit que d'après les directives du général Joffre la 5e armée devait se replier derrière la Serre, l'aile gauche à La Fère; la 4e armée; derrière l'Aisne dans la région de Rethel; la 6e en direction de Compiègne-Clermont, le corps de cavalerie à l'aile gauche, et, qu'on attendait de lui, French, qu'il s'arrêtât et comblât la trouée entre Compiègne et La Fère avait-il l'intention d'accepter la bataille sur la ligne citée, maintenant que l'offensive générale de l'aile gauche de l'armée projetée le 27 n'avait été exécutée qu'incomplètement et sans succès ? On ne peut le déterminer avec certitude. Le comte Schlieffen avait prévu dans ses hypothèses que les Français pourraient constituer un grand flanc défensif derrière l'Oise sur la ligne La Fère-Paris. Il Voulait dans ce cas attaquer la position ennemie de front et la tourner par l'ouest et le sud de Paris.

Mais French, d'après son exposé, s'en tint le 30 août à sa conception antérieure et déclara qu'il ne pourrait ni faire front, ni combattre avant plusieurs jours; il ajouta cependant qu'il était prêt à maintenir sa place entre les 5e et 6e armées au cas où la retraite serait continuée lentement et prudemment. Il s'appuya en cette occurrence sur la directive générale qu'il avait reçu de son gouvernement.

Le 31 août les Anglais franchirent l'Aisne et atteignirent la région Néry-Crépy-en-Valois-Villers-Cotterêts. A son nouveau Q.G. de Dammartin, French avait reçu une nouvelle demande pressante du généralissime français le priant de s'arrêter et d'accepter le combat. French rapporte qu'en ce même moment Lanrezac était sur le point de replier son aile gauche plus en arrière et d'augmenter la brèche qui existait entre les deux armées : " J'étais fermement convaincu que si j'avais accédé à cette demande pressante, toute l'armée alliée aurait été rejetée en désordre sur la Marne et que Paris serait devenu une proie facile pour l'ennemi.

Il est impossible d'exagérer le danger de la situation à ce moment-là. Ni ce jour-là, ni les jours suivants, je ne reçus un homme, un canon, un cheval, une mitrailleuse pour combler mes pertes. En conséquence je refusai ". Les plaintes réciproques des Français et des Anglais se renouvelèrent pendant toute la retraite. La 5e armée et le G. Q. C. français déclarent que la retraite précipitée des Anglais fut cause de l'échec de tous leurs plans, tandis que les Anglais, eux, invoquent la retraite de la 5e armée française et la protection insuffisante de leur flanc gauche par la 6e armée. Cette opposition se manifesta aussi après la guerre dans les exposés historiques On doit concéder cependant à French que s'il était resté sur place il aurait subi le 1er septembre une attaque enveloppante de la 1re armée (croquis 6).

Nous sommes plus exactement renseignés sur le moral déprimé du généralissime anglais par ses télégrammes et sa correspondance avec lord Kitchener. Il en ressort que French voulait se replier derrière la Seine, ce qu'il a négligé de dire dans son livre. Le 31 août au matin on reçut à Londres un télégramme de French d'après lequel il avait fait savoir à Joffre ce qui suit : " Je lui ai dit clairement qu'étant donné l'état actuel de mes troupes je me trouvais dans l'impossibilité absolue de rester dans la ligne de front, car il a commencé sa retraite. J'ai décidé de commencer dès demain ma retraite derrière la Seine dans une direction sud-ouest en passant à l'ouest et près de Paris. Cela signifie une marche de huit jours environ à une distance considérable de l'ennemi sans fatiguer les troupes... Le plan de Joffre ne me plaît pas. J'aurais voulu qu'on prit dès le début une vigoureuse offensive et ce désir lui a été exposé. En réponse il invoque l'actuelle incapacité de l'armée anglaise de se porter en avant comme un motif pour effectuer la retraite et gagner du temps. Naturellement s'il a en vue l'avance des Russes il peut avoir raison... Mes intentions ont été mal comprises. Je n'ai nullement l'idée d'effectuer une retraite complète, et prolongée. "

D'après cela Joffre a voulu attendre l'effet de l'avance russe. French, lui, veut avoir été partisan de l'offensive. Mais il projette lui-même de se replier derrière la Seine et se décharge sur les Français du soin d'exécuter une " offensive énergique ". Projet facile et peu cher. Comment Joffre aurait-il pu l'exécuter ?

Quelques heures après le déchiffrement du télégramme précité arrivait à Londres une lettre de French peu rassurante et datée de Compiégne du 30 août :

" Je ne saurais dire que je considère avec beaucoup de confiance le développement et l'avenir de la campagne de France... Ma confiance dans la capacité des chefs de l'armée française à poursuivre cette campagne avec succès jusqu'à la victoire décroît rapidement et c'est, là la véritable raison de la décision que j'ai prise de retirer si loin les forces britanniques.

" On annonce ce soir que, la 4e armée française a été refoulée sur Rethel. C'est la ligne qui, comme je vous l'ai télégraphié ce matin, lui était assignée dans les nouvelles dispositions du général Joffre. Bien que le bruit de ce recul de Joffre puisse n'être pas confirmé , il n'en est pas moins très inquiétant.

" Je suis de plus en plus persuadé de la nécessité absolue pour moi de conserver l'indépendance d'action la plus complète et de pouvoir me retirer sur ma base quand les circonstances le rendront nécessaire. On a beaucoup insisté pour que je continue à rester sur le front, ébranlé comme je le suis. Mais j'ai absolument refusé et j'espère que vous approuverez le parti que j'ai pris. Il s'accorde non seulement avec l'esprit et la lettre de vos instructions, mais il est encore dicté par le sens commun. Sachant ce que je sais des vertus combatives du soldat français et du soin, de l'énergie, de l'adresse, du temps qui ont été prodigués sans compter depuis des années à perfectionner son instruction et son, entraînement, je ne puis attribuer ses échecs persistants qu'aux défaillances du haut commandement"

Kitchener était une forte personnalité. Avec sa grande perspicacité il avait reconnu qu'il s'agissait d'une guerre de longue durée. L'Angleterre avait besoin de temps pour devenir une puissance militaire. On n'avait pas le droit de laisser les Français dans l'embarras, maintenant, que Paris était menacé. Le fait que French voulait se retirer de la ligne de front pouvait avoir des effets funestes. Comme la question était d'une importance politique considérable le cabinet fut convoqué d'urgence. Mais Kitchener télégraphia entre temps à French : " Je suis surpris de votre décision de vous retirer derrière la Seine. Je vous prie de me faire connaître, si vous le pouvez toutes vos raisons. Quel sera l'effet d'une pareille détermination sur nos relations avec l'armée française et sur la situation militaire générale ?

Votre retraite laissera-t-elle une brèche ouverte dans la ligne française et ne pourra-t-elle pas causer chez nos alliés un découragement dont les Allemands pourront tirer avantage pour exécuter la première partie de leur programme : écraser d'abord la France pour pouvoir se retourner ensuite contre la Russie ? On annonçait hier que trente-deux trains de troupes allemandes sont partis du front occidental pour la frontière orientale allemande ".

D'après le récit de sir George Arthur, Kitchener exposa ensuite au cabinet le sérieux danger que l'on courait de voir se produire une brèche entre les armées françaises et anglaises. Il déclara que la liaison avec Joffre, devait être maintenue et que la retraite derrière la Seine pouvait amener la perte de la guerre. Le cabinet l'approuva. Kitchener télégraphia à French le 31 août : " Votre télégramme 162 soumis au cabinet. Le gouvernement craint très sérieusement que vous ne soyez plus en état de coopérer très étroitement avec nos alliés et de leur fournir un appui continu si, précisément à ce moment de la campagne, vous retirez vos troupes aussi loin en arrière du front de combat. Le gouvernement attend que vous vous conformiez autant que possible aux intentions du général Joffre pour la conduite de la campagne. Il attend la réponse que vous aurez certainement faite à mon télégramme du ce matin. Il compte que vous aurez toute confiance en vos troupes et en vous-même. "

La réponse du généralissime anglais arriva dès minuit. Les Français, y disait-il, se replient à ma droite et à ma gauche, sans donner de leurs nouvelles. S'ils continuent ainsi et abandonnent toute idée offensive, la brèche existant dans le front français continuera à exister. Ils devront, en supporter les conséquences. " Tout ce que je puis dire, c'est qu'il sera difficile à mon armée, dans l'état où elle se trouve actuellement, de résister à une attaque violente, ne fût ce que d'un seul corps allemand. Si, grâce à la pression russe, la retraite allemande devient une réalité, il me sera facile d'interrompre ma retraite et de me refaire au nord de Paris ", Et il ajoutait que les Français pouvaient maintenant par une offensive rapprocher leurs ailes intérieures et combler la brèche. " Mais comme ils ne saisissent pas une pareille occasion, je ne vois pas pourquoi on me demanderait de courir le risque d'un désastre complet pour les sauver encore une fois. Je ne crois pas que vous réalisiez l'état de désorganisation de mon 2e C. A. et combien cette situation paralyse ma capacité offensive. "

Kitchener ne resta pas plus longtemps à Londres. Il se rendit en hâte à Paris le 1er septembre; dans l'après-midi une conférence eut lieu à l'ambassade d'Angleterre à laquelle assistèrent le président du conseil Viviani et le ministre de la guerre Millerand. Entre temps la situation militaire s'était améliorée. La 1re armée allemande ne semblait plus poursuivre Maunoury, mais se tourner contre l'aile gauche du gros des forces françaises. La pression exercée sur Maunoury et les Anglais disparut de ce fait. L'armée anglaise put se reposer, Maunoury être renforcé. French se déclara prêt à satisfaire les demandes qui lui étaient adressées. Kitchener résuma par écrit le résultat de la conférence : " Les troupes de French sont actuellement engagées sur la ligne de combat. Il y restera en se conformant aux mouvements de l'armée française, mais en agissant cependant avec prudence pour éviter d'avoir ses flancs découverts ".

Dans son exposé French glisse sur les événements qui viennent d'être décrits. Mais il ne peut y avoir aucun doute sur leur exactitude en raison des documents publiés. Ces événements sont d'une grande importance pour qui veut porter un jugement sur les événements de la Marne. Le découragement désespéré du généralissime anglais et l'état d'ébranlement des troupes anglaises sont incontestables. Les succès que la 1re armée avait obtenus en poursuivant l'ennemi sans répit et en tendant à l'extrême les forces des hommes et des chevaux étaient encore plus grands qu'on ne l'avait admis. La confiance des Anglais dans le commandement français avait disparu. Les pertes des Anglais depuis Mons jusqu'à leur arrivée sur la Marne étaient évaluées à 20.000 hommes. Ce fut uniquement grâce à l'intervention de Kitchener que l'armée anglaise ne se retira pas sans plus derrière la Seine. Le commandement de la 1re armé. allemande admit par la suite, pendant la bataille de la Marne, que French ne passerait pas du jour au lendemain d'une longue retraite à une offensive brutale. Il ne s'est pas trompé.

Le 1er septembre au soir l'armée anglaise se trouvait dans la région La Ferté Milon-Betz-Nanteuil-le-Haudoin. Des combats d'arrière-gardes assez importants avaient eu lieu à Verberie, Néry et Villers-Cotterêts.

Le 2 septembre elle atteignit la Marne à Lagny et Meaux seule la 4e D. I. était encore en arrière à Dammartin. Le 3, la Marne fut traversée.

Le 1er septembre au soir French était rentré à son Q. G. de Dammartin. Ce Q. G. fut transféré dans la nuit à Lagny-sur-Marne, où de nouvelles directives importantes du généralissime français arrivèrent le 2 septembre.

 

LA RETRAITE DE LA 6e ARMÉE SUR PARIS. (31 AOUT-3 SEPTEMBRE.)

 

Maunoury qui s'était mis en retraite le 30 août sur Clermont, s'organisa défensivement le 31 au nord-est de cette ville. La brigade marocaine Ditte resta en réserve à Creil, le. corps de cavalerie Sordet était, à Beauvais, la division de cavalerie Cornulier-Lucinière à Pont-Sainte-Maxence sur l'Oise. Elle aurait déjà constaté ce jour-là que les Allemands prenaient la direction de Compiègne. Maunoury, craignant pour son flanc droit, se porta le 1er septembre dans la région de Senlis-Creil pour se rapprocher de l'aile gauche anglaise qui se trouvait le soir à Nanteuil-le-Haudouin (croquis 6).

Les Anglais continuant le 2 septembre leur retraite sur Meaux-Lagny, Maunoury se porta tout d'abord dans la région au sud de la grande forêt de Chantilly. Pour que son armée ne fût pas coupée, il fut décidé qu'elle se rendrait dans le rayon de la place de Paris et couvrirait la capitale. La 56e D. R. et la brigade Ditte furent encore mêlées, le 2 septembre, à de violents combats près de Senlis (croquis 7).

La 6e armée arriva dans la zone avancée de la place de Paris dans la nuit du 2 au 3 septembre au moment où les Anglais se disposaient à franchir la Marne.

D'après les exposés français les troupes de Maunoury se trouvaient dans un état d'épuisement extrême, succombant sous la fatigue résultant des longues marches, de la chaleur, des privations, des combats et de l'accumulation de toutes les difficultés qui peuvent mettre à l'épreuve une armée de nouvelle formation (Hanotaux). D'après Palat ce fut surtout dans les divisions de réserve Lamaze que des signes de désorganisation furent visibles. Ces descriptions ont une grande importance quand on veut apprécier les succès jusqu'alors obtenus par les opérations allemandes et les perspectives futures.

Le 3 au matin la 6e armée fut désignée pour défendre Paris et prit le nom d'armée de Paris. Elle se disposa en avant de la capitale dans la région de Dammartin et au nord-ouest.

Le groupe Ebener (61e et 62e D. R.) avait été replié sur Paris ainsi que cela a déjà été dit. Ses divisions étaient "fortement ébranlées ". Joffre écrivit le 3 au général Galliéni, gouverneur de Paris : " J'espère que les divisions de réserve reprendront bientôt quelque cohésion ".

Le corps de cavalerie Sordet devait se reposer à Versailles et passa sous les ordres du gouverneur de Paris.

Comme renforts on avait fait entrevoir au général Maunoury qu'il recevrait la 45e D. I. et le 4e C. A.

La garnison de Paris comprenait : 5 divisions territoriales dont une partie se trouvait sur le front nord-est de la place, une partie au sud de la Marne sur les fronts sud-est et est; une brigade de fusiliers marins, dix compagnies de zouaves, la brigade de cavalerie Gillet et trois groupes d'artillerie de sortie.

Hanotaux évalue les forces totales de l'armée Maunoury et de la garnison de Paris à plus de 140.000 hommes, mais une grande partie était de faible valeur et épuisée.

 

LA RETRAITE DE LA 5e ARMEE FRANÇAISE DERRIERE LA MARNE LES 2 ET 3 SEPTEMBRE.

 

Les événements qui se sont déroulés à la 5e armée les 2 et 3 septembre sont d'une importance particulière. La situation stratégique tout entière s'en trouve éclairée. Il est par suite nécessaire d'entrer ici dans les détails tactiques (croquis 7).

Après avoir traversé l'Aisne, la 5e armée était parvenue le 2 septembre jusque dans la région d'Oulchy le Château-Fère en Tardenois-Courtagnon (sud-ouest de Reims). A l'aile gauche se trouvaient les deux divisions du groupe Valabrègue qui, selon la description du général Lanrezac, étaient dans un " état alarmant ". " D'après les indications du général Valabrègue la plupart des unités sont éreintées et démoralisées à ce point que si elles avaient à combattre sérieusement, on aurait à craindre qu'elles ne se débandent et n'aillent jeter le trouble et le désordre dans les corps voisins ". On avait projeté initialement de mettre ces deux divisions en marche à 9 heures du matin et de leur faire traverser la Marne à Château-Thierry. Le corps de cavalerie Conneau, de nouvelle formation, fut concentré du ler au 3 septembre par voie ferrée dans la région d'Épernay et devait être poussé de là sur Château-Thierry. La 8e D. C., première division débarquée, se porta le 2 septembre par la rive sud de la Marne et par Dormans sur Château-Thierry pour tenir cette localité, mais elle s'y trouva dès la soirée en présence de l'ennemi et ne put pas déboucher de la ville. Elle occupa le pont où se trouvait déjà un détachement de territoriaux, mais se replia ultérieurement sur Essises (sud de Château-Thierry). Dans la nuit une brigade de la 10e D. C. arriva encore au sud de Château-Thierry pendant que les autres éléments de la division se portaient d'Épernay sur Montmirail.

Lanrezac était d'avis qu'il n'y avait à Château-Thierry, en fait de troupes allemandes, que de la cavalerie. Malgré l'état inquiétant dans lequel se trouvaient les divisions Valabrègue, il projeta de les porter le 3 sur Château-Thierry. Appuyer davantage vers l'est paraissait impossible parce que le 18e C. A., qui se trouvait dans cette région, ne disposait que d'une seule route de marche. Les divisions Valabrègue devaient attaquer Château-Thierry par le nord pendant que des fractions du 18e C. A. poussées en avant et franchissant la Marne plus à l'est l'attaqueraient par le sud. Mais dans la nuit du 2 au 3, à une heure avancée, on reçut un renseignement disant qu'une division d'infanterie allemande était devant Château-Thierry. Le projet de Lanrezac devenait inexécutable. Il dut alors se décider à faire traverser la Marne plus à l'est aux divisions Valabrègue et au 18e C. A. Les mouvements commencèrent le 3 septembre à 2 heures du matin. Le 18e C. A. fut poussé à l'aile gauche au sud de la Marne, les divisions de réserve à sa droite. Entre temps les Allemands s'étaient emparés, pendant la nuit, de la ville et du pont de Château-Thierry. Les territoriaux s'étaient repliés sans qu'on ait réussi à détruire le pont.

La 5e armée arriva derrière la Marne le 3 de grand matin. La division d'aile gauche, poussée au sud de la Marne en couverture sur Château-Thierry, se replia sur Condé-en-Brie, " sur la simple menace d'une attaque, lorsqu'elle lut canonnée à grande distance par les obusiers lourds ennemis ".

Il n'est pas douteux que l'armée Lanrezac serait tombée dans la situation la plus difficile si elle avait été atteinte les 2 et 3 septembre par la 2e armée allemande au passage de la Marne, pendant que notre IXe C. A. l'attaquait en flanc. La grande importance stratégique de cette attaque et la portée de la décision spontanée du général von Quast apparaissent en pleine lumière. C'était là le vrai point où nous devions nous engager pour saisir l'aile gauche française avant d'arriver dans le rayon d'action de la place de Paris. L'aile droite de la 1re armée y était encore en situation d'assurer la couverture contre l'armée Maunoury battue et contre les Anglais toujours en retraite. Plus nous nous approcherions de Paris ultérieurement, moins la 1re armée pouvait être en mesure de remplir à la fois toutes ces missions si aucun échelon ne suivait derrière elle. On ne peut que regretter que l'action hardie du IXe C. A. n'ait pas été couronnée d'un succès décisif le 2 septembre.

 

LA DÉCISION DE JOFFRE DE SE REPLIER DERRIÈRE LA SEINE.

LES ORDRES DU G. Q. G. DES 1er ET 2 SEPTEMBRE.

 

Ses plans ayant échoué, Joffre fut obligé sur ces entrefaites de prendre une nouvelle décision. Le dégagement que l'on attendait de l'offensive russe paraissait cependant devenu désormais une réalité. D'après Palat (ouv. cit., t. V, page 151) on fit savoir d'Anvers le 29 août que 160 trains avaient traversé la Belgique le 28 et dans la nuit du 28 au 29 en direction du nord-est. Un télégramme de Copenhague annonça le 28 que le trafic ferroviaire était interrompu en Allemagne en raison des transports vers l'est. Un autre renseignement disait que deux corps d'armée environ avaient été transportés de la région de Courtrai vers le front russe. Kitchener, lui aussi, dans son télégramme du 31 août à French parle de transports allemands vers le front russe. En réalité les deux corps allemands dont il s'agit s'étaient rendus par étapes à Aix-la-Chapelle, Malmédy et Saint-Vith et n'y avaient été embarqués que le 30 août. Dans quelle mesure ces renseignements ont-ils agi sur l'intention de Joffre de se replier derrière la Seine ? On ne peut le dire.

Lu 1er et 2 septembre les nouveaux ordres jurent donnés. La " directive générale n° 4 " du ler septembre disait :

" 1° Malgré les succès tactiques obtenus par les 3e, 4e et 5e armées dans la région de la Meuse et à Guise, le mouvement débordant effectué par l'ennemi sur l'aile gauche de la 5e armée, insuffisamment arrêté par les troupes anglaises et la 6e armée, oblige l'ensemble de notre dispositif à pivoter autour de notre droite.

" Dès que la 5e armée aura échappé à la menace d'enveloppement prononcée sur sa gauche, l'ensemble des 3e, 4e et 5e armées reprendra l'offensive.

" 2° Le mouvement de repli peut conduire les armées à se retirer pendant un certain temps dans la direction générale nord-sud.

" La 5e armée à l'aile marchante ne doit en aucun cas laisser l'ennemi saisir sa gauche; les autres armées, moins pressées dans l'exécution de leur mouvement, pourront s'arrêter, faire face à l'ennemi et saisir toute occasion favorable de lui infliger un échec.

" Le mouvement de chaque armée doit toutefois être tel qu'il ne découvre pas les armées voisines et les commandants d'armée devront constamment se communiquer leurs intentions, leurs mouvements et leurs renseignements.

 

 

" 3° Les lignes séparant les zones de marche des différentes armées sont les suivantes :

" Entre la 5e et la 4e armées (détachement Foch): route Reims-Epernay (à la 4e armée), route Montmort-Sézanne-Romilly (à la 5e armée).

"Entre la 4e et la 3e armée: route Grand Pré-Sainte Menehould-Revigny (à la 4e armée).

" Dans la zone affectée à la 4e armée le détachement d'armée du général Foch se tiendra en liaison constante avec la 5e armée, l'intervalle entre ce détachement et le gros de la 4e armée étant surveillé par les 7e et 9e D. C. relevant de la 4e armée et appuyées par des détachements d'infanterie fournis par cette armée.

" La 3e armée effectuerait son mouvement à l'abri des Hauts de Meuse.

" 4° On peut envisager comme limite du mouvement de recul et sans que cette indication implique que cette limite doive forcément être atteinte le moment où les armées seraient dans la situation suivante :

" Un corps de cavalerie de nouvelle formation en arrière de la Seine, au sud de Bray ;

" 5e armée, en arrière de la Seine, au sud de Nogent-sur-Seine ;

" 4e armée (détachement Foch) en arrière de l'Aube, au sud d'Arcis-sur-Aube, le gros derrière l'Ornain au sud de Vitry-le-François;

" 4e armée derrière l'Ornain à, l'est de Vitry

" 3e armée au sud de Bar-le-Duc.

" La 3e armée serait à ce moment renforcée par les divisions de réserve qui abandonneraient les Hauts de Meuse pour participer au mouvement offensif.

" Si les circonstances le permettent des fractions des 1re et 2e armées seraient appelées en temps opportun pour participer à l'offensive ; enfin les troupes mobiles du camp retranché de Paris pourraient également prendre part à l'action générale. "

Le 2 septembre une Note secrète fut envoyée aux commandants d'armée :

" Le plan général d'opérations qui a motivé l'envoi de l'instruction n° 4 vise les points suivants :

a) Soustraire les armées à la pression de l'ennemi et les amener à s'organiser et à se fortifier dans la zone où elles s'établiront en fin de repli,

b) Établir l'ensemble de nos forces sur une ligne générale marquée par Pont-sur-Yonne, Nogent-sur-Seine, Arcis-sur-Aube, Brienne le Château, Joinville, sur laquelle elles se recomplèteront par l'envoi des dépôts.

c) Renforcer l'armée de gauche par deux corps prélevés sur les armées de Nancy et d'Epinal.

d) A ce moment passer à l'offensive sur tout le front.

e) Couvrir notre aile gauche par toute la cavalerie disponible entre Montereau et Melun.

f) Demander à l'armée anglaise de participer à la manœuvre :

1° en tenant la Seine de Melun à Juvisy

2° en débouchant sur le même front lorsque la 5e armée sera à l'attaque,

g) Simultanément la garnison de Paris agirait en direction de Meaux. "

JOFFRE

 

L'importance de ces ordres est vivement discutée en France. Tandis que les uns y voient la base de l'offensive ultérieure victorieuse, les autres prétendent que Joffre voulait avant tout se soustraire à l'enveloppement qui le menaçait par une retraite lointaine derrière la Seine et que s'il y eut bataille derrière la Marne, le mérite en revient à Galliéni, gouverneur de Paris. Plus les Allemands s'approchèrent, plus la personne de Gallieni passa au premier plan. Une certaine jalousie semble avoir existé entre Gallieni et Joffre. Pendant la bataille de l'Ourcq. Joffre communiqua au gouverneur de Paris, le 7 septembre, qu'il enverrait des ordres directement à la 6e armée, En même temps il l'invita à n'envoyer au gouvernement aucun renseignement sur les opérations, disant que c'était exclusivement son affaire et qu'il était mieux en situation de juger ce que l'on pouvait communiquer au gouvernement sur les opérations.

La question de savoir si la capitale en tant que place devait être défendue ou abandonnée et le rôle qui devait incomber dans le premier cas à la forteresse dans les opérations de l'armée de campagne jouèrent naturellement un grand rôle dans les considérations du généralissime et du gouvernement français. Le 26 août, le général Galliéni avait été nommé gouverneur de Paris. Le 28 août, le gouvernement avait pris la décision d'abandonner la capitale comme ville ouverte, mais il l'annula le 30 sur la représentation des autorités locales et de quelques ministres. Le 2 septembre sur la demande de Joffre la place de Paris fut englobée par le ministre de la guerre dans la zone des opérations des armées et placée de ce fait sous les ordres de Joffre. Ce jour-là le gouvernement se retira à Bordeaux.

Galliéni estimait que la capacité défensive de Paris était faible en raison de sa garnison peu nombreuse et de peu de valeur, de ses organisations défensives médiocres et très exposées au bombardement et de son armement démodé : "Paris, si vous ne lui donnez pas des troupes actives de renfort, au moins trois corps d'armée, est dans l'impossibilité de résister ", écrivait Galliéni le 2, septembre au généralissime. Dans une lettre du 8 septembre au ministre de la guerre il fait les remarques suivantes : " Paris ne peut se défendre longtemps et dans de bonnes conditions. Il est donc indispensable , quoi qu'il arrive, que l'armée d'opérations le défende. Paris doit être constamment couvert par l'armée ". Pendant le peu de temps dont il disposa le général Galliéni chercha par tous les moyens à augmenter la capacité de défense de Paris. Nous avons déjà cité les troupes qui étaient à sa disposition, en dehors de la 6e armée placée directement sous ses ordres.

Pans les ordres de Joffre le point de vue mis au premier plan comme le plus important est de soustraire Farinée à l'enveloppement menaçant par une marche vers le sud. L'infanterie de prendre l'offensive est certes également soulignée; mais une fois l'armée parvenue derrière la Seine et l'Aube, cette offensive devenait très difficile, car elle devait être portée au delà de ces cours d'eau. Or il n'est nullement question de têtes de pont dans les ordres. La cavalerie tout entière était, elle aussi, repliée derrière la Seine.

L'attaque devait être exécutée principalement par les 3e, 4e et 5e armées, donc essentiellement de front, L'idée d'une puissante attaque de flanc ressort tout aussi peu dans l'ordre du 2 septembre que dans l'ordre du 25 août. Le centre de gravité de l'offensive aurait dû au contraire être placé a l'attaque de flanc que l'on aurait fait déboucher de Paris avec des forces supérieures, tandis que l'on aurait pu se maintenir sur la forte coupure de la Seine au besoin avec des forces plus faibles. C'est pourquoi on a prétendu en France (par exemple Le Gros, ouv. cit., pages 50 et suivantes) que Joffre a tout d'abord songé surtout à se défendre derrière la Seine et l'Aube et à gagner du temps jusqu'à ce que les succès des Russes fissent sentir leur effet. Le Gros déclare que l'offensive fut remise à une date indéterminée, qu'elle fut mentionnée dans les ordres, comme le 25 août, plutôt pour calmer l'opinion générale, et que l'abandon de Paris prouve également que Joffre voulait surtout se replier. Il dit même que Joffre forma le projet de continuer à battre en retraite jusqu'à la ligne Briare-Morvan-Dijon-Besançon au cas où l'offensive russe se ferait attendre : " Il est établi que cette ligne fut envisagée en cas de nécessité " (Le Gros, ouv. cit., page 45). On n'en sait pas davantage à ce sujet. Les ordres et les autres données ne laissent pas apparaître cette intention.

Je crois que l'on va trop loin avec ces allégations. L'espoir que les victoires russes apporteraient un soulagement au front français peut fort bien avoir joué un rôle dans la décision de Joffre. Il a d'ailleurs fait valoir lui-même cette idée devant French ainsi que cela résulte de la communication que celui-ci a faite à Kitchener. L'intention de prendre l'offensive est exprimée néanmoins dans les ordres. Quant à dire que Paris devait être abandonné, ce n'est pas possible. Bien que la capitale ne pût résister longtemps devant les moyens d'attaque modernes, il est certain cependant qu'on pouvait fort bien la tenir pendant un certain temps d'autant plus que la 6e armée était mise à la disposition de la défense. Il est un point qui demeure obscur : Verdun devait-il être compris dans le front de l'armée ? Si l'on se repliait sur la ligne Brienne le Château-Joinville, il fallait l'abandonner à son sort. En tout cas l'aile droite du gros des forces, la 3e armée, devait conserver le contact avec le front fortifié de Meuse et de Moselle.

La décision était prise désormais provisoirement du côté français : la retraite derrière la Seine était décidée. Joffre refusa formellement d'accepter de combattre déjà sur la Marne. French, qui initialement avait fait pression pour se retirer derrière la Seine, déclare que ce fut lui qui proposa à ce moment-là de combattre sur la Marne et recommanda de former dans ce but une aile gauche puissante. De la réponse écrite de Joffre il résulte que ce dernier estima que le plan de French était inexécutable en raison de la situation où se trouvait alors la 5e armée. Il y déclarait en effet que l'armée anglaise n'était pas assurée d'avoir un appui efficace à son aile droite, mais que les Anglais étaient couverts à leur aile gauche par l'armée Maunoury qui devait défendre le front nord-est de Paris, donc que French pouvait bien tenir quelque temps sur la Marne, mais qu'il devait ensuite se retirer sur la rive gauche de la Seine en direction de Melun-Juvisy. Il ajoutait que les directives qui venaient d'être envoyées avaient pour but de mettre l'armée dans une situation d'où l'on pourrait dans un délai rapproché passer à l'offensive et que le moment de cette offensive serait communiqué en temps utile pour que l'armée anglaise pût participer à l'attaque générale.

On pourrait, en admettant que la concentration allemande du mois d'août 1914 se fût effectuée entièrement suivant les intentions du comte Schlieffen, faire un tableau brillant des opérations. Si au début de septembre nous étions arrivés devant Paris avec une aile droite très forte, suivie en échelon par d'autres forces, les perspectives les plus favorables que l'on puisse imaginer se seraient alors offertes à nous pour exécuter le plan de campagne de Schlieffen. L'essentiel de ce plan consistait, comme nous l'avons déjà dit, à refouler les Français dans la direction de l'est contre leurs places de la Moselle en les attaquant dans leur flanc gauche. Joffre venait précisément au devant de cette intention d'une façon insoupçonnée en voulant appuyer le gros de ses forces à droite au front fortifié de l'est et disposer son armée au sud de la ligne Bar-le-Duc-Nogent sur Seine avec un front presque nord-ouest. La 6e armée aurait alors pu être enfermée dans Paris, si elle ne s'était repliée en toute hâte; les Anglais auraient été battus ou refoulés et l'aile gauche enveloppée à Nogent-sur-Seine : c'est là une chose qui était tout à fait dans le domaine des possibilités et qui ne peut être qualifiée de chimère.

 

LA JOURNÉE DU 3 SEPTEMBRE. LA RETRAITE CONTINUE. GALLIENI S'APERCOIT QUE LES ALLEMANDS ABANDONNENT LA DIRECTION DE PARIS ET OBLIQUENT VERS LE SUD-EST.

 

Le 3 septembre, l'armée britannique traversa la Marne et atteignit la région sud de Lagny et sud-est de Meaux. Dans l'après-midi on reçut les premiers renseignements indiquant que l'aile droite allemande " renonçait " à marcher droit sur Paris. De puissantes colonnes étaient signalées en marche vers le sud-est et vers l'est. La région située immédiatement devant l'armée anglaise au nord de la Marne était libre d'ennemis ; quatre corps d'armée au moins marchaient vers la Marne, en direction de Château-Thierry et plus à l'est ; le combat avait commencé à la 5e armée. Bientôt on annonça que Château-Thierry était pris par l'ennemi et que les Français se repliaient (croquis 7).

Galliéni apprit, lui aussi, dans la journée du 3 septembre par son aviation que les colonnes ennemies qui marchaient jusqu'alors sur Paris semblaient obliquer vers le sud-est. Des officiers de son état-major en observation aux avant-postes du front nord de Paris confirmèrent le renseignement. La veille déjà quelques renseignements avaient attiré l'attention sur ce point. Galliéni ordonna alors aux troupes de la 6e armée " de dissimuler leur présence aux reconnaissances aériennes ennemies et d'éviter toute rencontre qui n'était pas absolument nécessaire à la défense de la place ". Il était dit dans l'ordre ; " Un corps d'armée allemand, vraisemblablement le IIe , s'est porté de Senlis vers le sud, mais n'a pas continué son mouvement sur Paris et semble avoir obliqué vers le sud-est. D'une manière générale les troupes allemandes qui se trouvaient devant la 6e armée semblent avoir pris la direction du sud-est ". Joffre fut aussitôt informé téléphoniquement par Galliéni. En lisant les exposés français on reconnaît nettement quel souci fut enlevé au G. Q. G. quand le danger qui menaçait Paris disparut. On respira. Mais Galliéni aurait aussitôt signalé l'occasion favorable qui s'offrait de porter la 6e armée à l'attaque sur la rive nord de la Marne.

Galliéni chercha également à agir sur le haut commandement anglais pour l'amener à attaquer. French lui fit répondre qu'il avait reçu ses premiers renforts et que ceux-ci devaient être répartis le 4 entre les unités ; qu'il ne pouvait pour le moment faire aucun mouvement, mais qu'il pourrait peut-être se porter le 4 au soir dans la direction de l'est, en particulier si la 6e armée, qui semblait maintenant n'avoir aucun ennemi devant elle, se portait elle aussi en avant pour venir à son aile gauche. Il exprima également le désir que le débarquement du 4e C. A. français, annoncé comme devant renforcer la 6e armée, fût effectué de telle façon qu'on pût former avec les Anglais une armée aussi forte que possible. French adopte donc comme toujours une attitude prudente et se laisse pousser. Galliéni au contraire agit avec décision et prévision.

Sur ces entrefaites les premiers renforts annoncés commencèrent à arriver à la 6e armée.

Le 4e C. A. français, aux ordres du général Boelle, fut prélevé sur la 3e armée. Son enlèvement commença le 2 septembre. La 7e D. I. devait être débarquée à Noisy-le-Sec, tandis que la 8e D. I. fut tout d'abord désignée pour assurer à Lagny la liaison avec les Anglais. Il était vraisemblable que le corps d'armée ne pourrait intervenir que le 7 septembre.

La 45e D. I, aux ordres du général Drude et venant d'Alger, arriva dès le 3 septembre. Elle s'était portée, le 2, vers la région au nord du Bourget en traversant Paris.

Les autres déplacements de forces que Joffre avait annoncés ,dans son ordre du 2 septembre étaient également en cours. Le 21e C. A. de la 1re armée fut transportée du 4 au 6 à Joinville et Vassy et passa à la 4e armée. Le 15e C. A. quitta le 3 septembre la 2e armée et passa par Vaucouleurs et Gondrecourt à la 3e où il arriva le 8.

La 5e armée avait atteint le 3 septembre la région sud de la Marne de Château-Thierry à Épernay. Le général Lanrezac était inquiet pour son aile gauche. Il voulut appuyer davantage vers l'est pour se soustraire à l'enveloppement, mais s'éloigna alors des Anglais. La liaison avec l'armée anglaise était déjà très lâche sans cela. Le nouveau corps de cavalerie Conneau qui avait été poussé dans la brèche ne put pas la combler suffisamment. Le général Lanrezac fut remplacé ce jour-là à la tête de la 5e armée par le général Franchet d'Espérey (croquis 7).

Le détachement d'armée Foch atteignit le 3 septembre la région nord-ouest de Châlons de part et d'autre de la Marne.

La 4e armée continua à marcher en direction de Vitry-leFrançois.

La 3e armée continua sa retraite entre Meuse et Aire jusqu'à la région comprise entre Varennes et Verdun.

 

LA JOURNÉE Du 4 SEPTEMBRE.

GALLIENI DÉCIDE JOFFRE A PRENDRE L'OFFENSIVE

 

Le 4 septembre fut le jour décisif, le tournant de la campagne (croquis 8).

Galliéni se rendit de grand matin avec son chef d'état-major aux avant-postes du front nord-est de Paris et y reçut confirmation que les colonnes ennemies avaient pris la direction du sud-est. Il apprit également que les Allemands auraient franchi la Marne à Trilport. Il acquit alors la conviction que la 6e armée devait être portée en avant pour attaquer le flanc allemand. Bien que n'ayant pas encore eu de réponse de Joffre au sujet de sa suggestion de la veille, il prit néanmoins toutes les dispositions et donna à 9 heures du matin l'ordre suivant à Maunoury :

" En raison du mouvement des armées allemandes qui paraissent glisser en avant de notre front dans la direction du sud-est, j'ai l'intention de porter votre armée en avant dans leur flanc, c'est-à-dire dans la direction de l'est en liaison avec les troupes anglaises.

" Je vous indiquerai votre direction de marche quand je connaîtrai celle de l'armée anglaise. Mais prenez dès maintenant vos dispositions pour que vos troupes soient prêtes à marcher cet après-midi et à entamer demain un mouvement général dans l'est du camp retranché.

" Poussez immédiatement des reconnaissances de cavalerie dans tout le secteur entre la route de Chantilly et la Marne.

" Je mets la 45e division dès maintenant sous vos ordres.

" Venez de votre personne me parler le plus tôt possible. "

Signé : GALLIENI.

 

Une attaque isolée de la 6e armée était cependant impossible. Il fallait que le mouvement de repli de toute l'armée française fût arrêté et que l'attaque fût déclenchée sur tout le front. Galliéni se mit encore une fois en liaison avec Joffre. Il n'y eut pas d'entrevue entre eux, mais trois conversations téléphoniques. La première se termina par un refus de la part du généralissime. Joffre se serait plaint auprès du gouvernement que Galliéni le poussait à une offensive prématurée. Galliéni continua à faire pression jusqu'à ce que Joffre donnait enfin son consentement, " pour le salut de la France " pense Le Gros. Bonnal déclare que ce récit des événements lui fut fait personnellement par Galliéni.

Sans attendre un ordre écrit de Joffre, Galliéni envoya alors à 20 h. 30 l'ordre suivant :

" 1. Tous les renseignements concordent à démontrer que les gros de la 1re armée allemande qui faisaient face jusqu'ici à la 6e armée se sont orientés vers le sud-est. Des colonnes importantes ont été signalées hier soir se dirigeant sur la Marne pour la franchir entre La Ferté-sous-Jouarre et Château-Thierry. Le mouvement parait nettement dirigé contre la droite anglaise et la gauche de la 5e armée française.

" Dans ces conditions Paris cessant d'être menacé, toutes les forces mobiles de l'armée de Paris doivent manœuvrer de manière à conserver le contact de l'armée allemande et à la suivre pour se tenir prêtes à participer à la bataille à prévoir.

" 2. La 6e armée poussera des reconnaissances de cavalerie dans les directions de Chantilly, Senlis, Nanteuil-le-Haudouin, Meaux et Lizy-sur-Ourcq. Des dispositions sont prises pour renforcer la cavalerie de la 6e armée de tous les éléments disponibles.

" 3. Demain la 6e armée se mettra en mouvement dans la direction de l'est en se maintenant sur la rive droite (nord) de la Marne, de manière à amener son front à hauteur de Meaux et à être prête à attaquer, le 6 au matin, en liaison avec l'armée anglaise qui attaquera le front Coulommiers-Changis.

" 4. En vue de cette marche vers l'est la 6e armée sera renforcée successivement des éléments suivants :

" 45e Division passe dès maintenant sous les ordres du général Maunoury.

" 4e C. A. se tiendra prêt à suivre le mouvement de la 6e armée au fur et à mesure qu'une division aura débarqué en totalité. Le passage sous les ordres du général Maunoury sera réglé par des ordres particuliers ".

Les paragraphes 5 à 7 de l'ordre contenaient des prescriptions sur la sécurité de Paris, les organisations défensives et le Quartier général.

A minuit Galliéni reçut les ordres définitifs de Joffre. Il n'eut rien à changer à ses dispositions.

Le tout était que l'armée britannique se joignit à l'offensive, sinon le plan tombait. Le 3, French y était encore peu disposé et préférait continuer sa retraite. Galliéni se rendit, le 4 à midi, à Melun au Q. G. anglais, mais ne trouva que le chef d'état-major général Wilson qui voulait s'en tenir à la décision de battre en retraite. Entre temps French était allé voir le commandant du 1er corps, le général Douglas Haig, à Coulommiers. L'état des troupes était inquiétant, elles avaient le plus grand besoin de repos. De retour dans la soirée à Melun, French apprit que Galliéni était venu et avait communiqué le nouveau plan de Joffre d'après lequel, l'armée anglaise devait boucher la brèche entre l'aile droite de la 6e armée sur la Marne et l'aile gauche de la 5e armée à Provins. French trouva cette brèche inquiétante. Il ordonna par suite, d'après son récit, que l'armée continuerait à se replier pour faciliter l'arrivée des renforts et le ravitaillement. Dans la nuit du 4 au 5 septembre l'armée anglaise se replia derrière la forêt de Crécy, dans la région de Rozoy-Tournan. Le généralissime anglais n'avait pas grand esprit d'entreprise.

 

LES ORDRES DE JOFFRE DES 4 ET 6 SEPTEMBRE POUR L'ATTAQUE

 

Ce fut une heure grave que celle où le général Joffre dut se décider, le 4 septembre au soir, à Bar-sur-Aube. Les derniers renseignements étaient arrivés de Paris par téléphone. Le général Berthelot aurait été partisan de la retraite derrière la Seine, pour laisser la 1re armée allemande pénétrer entièrement dans la nasse. Joffre au contraire voulut saisir immédiatement l'occasion favorable : " Eh bien ! messieurs, on se battra sur la Marne ! " décida-t-il finalement. Les ordres furent donnés.

Nous serons obligés de lui donner raison. A la vérité, le succès français aurait pu devenir beaucoup plus grand si les Allemands avaient poussé dans l'arc de la Seine près de Melun et avaient été bloqués devant ce fleuve puissant, pendant que la 6e armée, recevant de nouveaux renforts et rassemblée méthodiquement, aurait débouché de Paris et au nord et se serait portée dans le flanc et sur les derrières des Allemands.

Mais il n'était nullement certain que les Allemands pénétreraient dans la nasse. Les événements ont en tous cas donné raison au général Joffre. En effet, dans cette même soirée où il se décida à prendre l'offensive, la Direction suprême allemande, qui avait eu connaissance des transports français, donna l'ordre à ses 1re et 2e armées de faire face à Paris. La nasse du général Berthelot aurait été tendue en vain.

Quelque grande que l'on puisse estimer l'action que Galliéni a exercée sur la décision de Joffre, on est obligé cependant d'attribuer aussi le mérite de cette décision à celui qui en portait la responsabilité. Il avait en effet dirigé la retraite de ses armées de telle façon, prescrit les déplacements de troupes et le renforcement de la 6e armée en temps si opportun que l'armée française fut en situation de répondre immédiatement à son appel.

A 6 heures du soir, l'ordre décisif, la Directive générale n° 5, fut donné. Il était ainsi conçu :

" 1° Il convient de profiter de la situation aventurée de la 1re armée allemande pour concentrer sur elle les efforts des armées alliées d'extrême gauche.

Toutes dispositions seront prises dans la journée du 5 septembre en vue de partir à l'attaque le 6.

2° Le dispositif à réaliser pour le 5 septembre au soir sera :

a) Toutes les forces disponibles de la 6e armée au nord-est de Meaux prêtes à franchir l'Ourcq entre Lizy-sur-Ourcq et May-en-Multien, dans la direction de Château-Thierry.

Les éléments disponibles du corps de cavalerie qui sont à proximité seront mis aux ordres du général Maunoury pour cette opération.

b) L'armée anglaise établie sur le front Changis-Coulommiers, face à l'est, prête à attaquer dans la direction générale de Montmirail.

c) La 5e armée, se resserrant légèrement sur sa gauche, s'établira sur le front Courtacon-Esternay-Sezanne, prête à attaquer dans la direction générale sud-nord, le 2e C. C. assurant la liaison entre l'armée britannique et la 5e armée.

d) La 9e armée couvrira la droite de la 5e armée en tenant les débouchés sud des marais de Saint-Gond et en portant une partie de ses forces sur le plateau au nord de Sézanne.

3° L'offensive de ces différentes armées sera prise le 6 septembre dès le matin ".

Signé : JOFFRE.

 

Le 5 septembre dans la matinée les de et 5e armées reçurent aussi leurs ordres :

4e armée (général Langle de Cary) : " Demain 6 septembre nos armées de gauche attaqueront de front et de flanc les 1re et 2e armées allemandes.

La 4e armée, arrêtant son mouvement vers le sud, fera tête à l'ennemi en liant son mouvement à celui de la 3e armée qui, débouchant au nord de Revigny, prend l'off offensive en se portant vers l'ouest. "

3e armée (général Sarrail) : " La 3e armée, se couvrant vers le nord-est, débouchera vers l'ouest pour attaquer le flanc gauche des forces ennemies qui marchent à l'ouest de l'Argonne. Elle liera son action à celle de la 4e armée qui a l'ordre de faire tête à l'ennemi. "

Les 1re et 2e armées sur le front est conservèrent leur mission défensive et n'eurent pas besoin de nouveaux ordres.

Un télégramme de Joffre du 5 septembre au ministre de la Guerre résume encore une fois les motifs de sa décision

" La situation qui m'a décidé à refuser une première fois la bataille générale et à replier nos armées vers le sud s'est modifiée de la manière suivante : La 1re armée allemande a abandonné la direction de Paris et a infléchi sa marche vers le sud-est pour chercher notre flanc gauche. Grâce aux dispositions prises elle n'a pas pu trouver ce flanc et la 5e armée se trouve maintenant au nord de la Seine prête à aborder de front les colonnes allemandes. A sa gauche les troupes anglaises sont rassemblées entre Seine et Marne, prêtes à l'attaque. Elles seront elles-mêmes, appuyées et flanquées à gauche par les forces mobiles de la garnison de Paris, agissant en direction de Meaux de manière à les garantir contre toute crainte d'enveloppement. La situation stratégique est donc excellente et nous ne pouvons compter sur des conditions meilleures pour notre offensive. C'est pourquoi j'ai décidé de passer à l'attaque. La lutte qui va s'engager peut avoir des résultats décisifs, mais peut aussi avoir pour le pays, en cas d'échec, les conséquences les plus graves. Je suis décidé à engager nos troupes à fond et sans réserve pour conquérir la victoire. "

Le 5 septembre au soir Joffre transféra son Q. G. de Bar-sur-Aube à Châtillon-sur-Seine. On n'en voit pas le motif.

 

 

APPRÉCIATION SUR LES ORDRES DE JOFFRE

 

Les ordres qui furent donnés le 4 septembre au soir au G. Q. G. français aboutirent à une lutte d'une importance mondiale, à une bataille d'une étendue énorme, de Verdun à Paris. Il n'est pas douteux que le Haut commandement français saisit l'occasion favorable et qu'il prit rapidement les mesures nécessaires. On ne peut méconnaître la grandeur des dispositions prises pour monter l'opération. Au premier abord on croit voir se développer un nouveau " Cannes ". Pendant que le centre (9e et 4e armées) recevait une mission plutôt défensive, les deux ailes devaient exécuter une attaque enveloppante. Mais les conditions d'une manœuvre de Cannes n'étaient nullement réalisées. Le centre aurait pu être plus faible, l'aile gauche aurait dû être beaucoup plus forte, l'aile droite n'était pas en situation de remplir sa mission.

L'armée Maunoury n'était pas encore prête, ses renforts n'étaient pas encore tous arrivés. Joffre n'avait envisagé l'offensive que pour une date ultérieure ; maintenant on était obligé de la précipiter. La composition de l'armée était très inégale : à côté de bonnes troupes elle en comprenait de médiocres. Elles avaient toutes plus on moins souffert dans les combats antérieurs. Le centre de gravité de la bataille était à la 6e armée. Cette armée ne pouvait donc être trop forte. C'est vers elle et non vers les 3e et 4e armées qu'auraient dû être dirigés les deux corps prélevés sur les 1re et 2e armées. Etant données les excellentes communications par voies ferrées qui de toutes les directions aboutissaient à Paris, ils auraient encore pu être amenés en temps voulu et provoquer la décision. Il était également absolument nécessaire d'avoir plus de cavalerie à cette aile. Or le corps de cavalerie Sordet était épuisé.

La 3e armée était suffisamment forte, mais l'ensemble de la situation et la direction qui lui était prescrite rendaient plus difficile sa mission d'enveloppement. Elle devait en effet, en se portant en direction de l'ouest, attaquer le flanc gauche des troupes allemandes qui s'avançaient à l'ouest de l'Argonne. Or ces troupes progressaient non seulement à l'ouest de l'Argonne, mais encore à travers ce massif et obligèrent la 3e armée à faire front vers le nord pour leur faire face, En outre elle était fortement menacée sur ses derrières. Si les Allemands perçaient en un point quelconque au sud de Verdun, approximativement vers Saint-Mihiel, et traversaient la Meuse, elle était perdue. La condition préalable de son offensive était donc de conserver la ligne de la Meuse à Verdun et au sud. " Verdun était l'ancre auquel était accroché le salut de la France " (Hanotaux). On peut donc se demander s'il n'aurait pas été préférable de prescrire à la 3e armée de se tenir sur la défensive et d'envoyer à l'aile gauche les corps dont elle pouvait se passer.

Les combats de front des armées du centre ne pouvaient guère amener de décision. Au cours de la retraite la 5e armée avait été décalée vers la gauche pour la rapprocher de l'armée anglaise. Il en était résulté une brèche dangereuse entre les 4e et 9e armées. La liaison entre la 5e armée et l'armée anglaise était néanmoins très lâche. En cherchant à exécuter un mouvement enveloppant en partant de Paris et à maintenir la liaison à droite avec la ligne fortifiée de la Meuse, on disloquait l'armée.

Quant à savoir si l'armée anglaise remplirait la mission qui lui était confiée dans la ligne de combat en se portant franchement en avant, c'était une question qui devait apparaître très douteuse, étant donnée l'attitude que French avait eue jusqu'alors. Par suite de son ardent désir d'arriver derrière la Seine, il se trouvait si en arrière qu'il ne put atteindre au début de la bataille la position de départ qui lui était assignée.

L'ordre d'attaque était donc entaché de certains désavantages qui empêchèrent d'obtenir un succès complet. L'enveloppement qui devait amener la décision échoua. La possibilité d'une percée s'offrit par contre tout à coup au cours de la bataille. De même que du côté allemand, les différentes armées constituant l'aile décisive ne furent pas conduites avec la cohésion nécessaire ; il manqua de part et d'autre un commandement de groupe d'armées ; du côté français ce commandement aurait dû avoir sous ses ordres les 5e et 6e armées françaises ainsi que l'armée anglaise. De même que chez nous le G. Q. G. se tint beaucoup trop loin du point décisif.

Une grande partie des remarques qui précèdent ont été faites également du côté français. Mais on n'en est pas moins obligé de reconnaître dans l'ensemble les qualités de chef du général Joffre. Il est un fait qui mérite d'être signalé tout particulièrement, c'est que, confiant dans la puissance du front fortifié de l'est, Joffre retira sans hésitation des 1re et 2e armées toutes les forces qui ne leur étaient pas indispensables.

L'utilisation des places françaises de Paris, Verdun et de tout le front de Meuse et de Moselle fut encore une fois d'une grande importance pour la bataille.

 

MISE EN PLACE DES ARMÉES POUR L'ATTAQUE LES 4 ET 5 SEPTEMBRE

 

La 3e armée (Sarrail) avait conversé les 3 et 4 entre Verdun et Varennes pour venir se placer sur la ligne générale Souilly (sud-ouest de Verdun)-Revigny ; le 5 septembre, elle se trouvait dans la région de Vaubécourt, face au nord-ouest, formant un angle obtus avec la 4e armée. À son aile droite elle s'appuyait à la place de Verdun et était en liaison avec les éléments avancés de la garnison ; à son aile gauche, à Revigny, il y avait un vide entre elle et la 4e armée, mais ce vide allait être comblé, le 8 septembre, par le 15e C. A. venant de Lorraine et de la 2e armée.

La 4e armée (Langle de Cary) était le 5 au soir au sud de l'Ornain sur la ligne Sermaize-Sompuis, face à Vitry-le-François. Elle était séparée de la 9e armée par un vide de 20 kilomètres que la 9e D. C. ne pouvait combler dans la région de Mailly.

A sa gauche elle était en liaison avec le détachement d'armée Foch, devenu 9e armée, qui avait continué à battre en retraite le 4 jusque dans la région de Vertus et qui se trouvait le 5 en face des marais de Saint-Gond sur la ligne :Camp de Mailly-Sézanne. Le 4 la subordination du détachement d'armée Foch à la 4e armée avait été levée. Il devint indépendant en tant que " 9e armée ", mais conserva la même composition.

La 5e armée avait atteint le 3 septembre, comme nous l'avons déjà dit, la région : sud d'Epernay-sud de ChâteauThierry. L'attaque du IXe C. A. allemand par Château-Thierry l'effraya de nouveau. Dans la nuit du 3 au 4, elle continua sa retraite, son aile gauche marchant de Condé-en-Brie sur Montolivet par Montmirail. La traversée de Montmirail sous le feu de l'ennemi lut particulièrement difficile. Le corps de cavalerie Conneau devait retarder la marche de l'ennemi à l'aile gauche. Dans le courant de la journée du 4 l'armée atteignit la région Etoges-nord-est de La Ferté-Gaucher; elle s'étendit donc vers la gauche pour diminuer l'étendue de la brèche qui existait entre elle et l'armée anglaise.

Le 5 septembre la 5e armée se porta derrière la ligne Sézanne-Courtacon qui lui avait été assignée comme base de départ pour l'attaque, le corps de cavalerie Conneau à son aile gauche.

Le général Lanrezac donne dans son ouvrage (page 256) une description de l'état de son armée qui est d'une grande importance pour l'appréciation des événements ultérieurs. Pour échapper à l'enveloppement, la 5e armée avait marché jour et nuit pendant la période du 1er au 5 septembre. De nombreux soldats abandonnaient les drapeaux sous prétexte qu'ils avaient perdu leur unité ou qu'ils étaient malades. Ils prenaient peu à peu de l'avance sur les colonnes de marche, erraient par petits groupes en pillant et terrifiant la population par leurs récits. Le désordre augmentait parmi les convois. Ils barraient la route aux troupes si bien que celles-ci ne pouvaient avancer et restaient sur pied nuit et jour. L'épuisement devint extrême. " Je crois, écrit le général Lanrezac dans sa conclusion, qu'il n'y a jamais eu une armée qui ait subi une situation plus pénible que celle de la 5e armée dans la période du 30 août au 4 septembre. " Palat confirme, lui aussi, cette description.

La même armée, quelques jours plus tard, menaça de percer le front allemand pendant la bataille de la Marne et eut une influence décisive sur le cours des événements. Elle le dut non pas à ses exploits, mais à la situation favorable qui s'offrit à elle. On ne peut pas s'empêcher d'avoir l'impression qu'il aurait été possible d'opposer une digue à son avance et cette digue n'aurait pas eu besoin d'être très puissante.

L'armée britannique, qui devait combler la brèche entre les 6e et 5e armées, avait, comme nous l'avons déjà dit, continué sa retraite pendant la nuit du 4 au 5 septembre vers la région Rozoy-Tournan; elle se trouvait donc le 5 loin en arrière de la ligne Coulommiers-Changis qui lui avait été prescrite pour attaquer en direction de Montmirail. Entre les Anglais et la 5e armée il n'y avait aucune liaison. " Chaque armée marchait pour son compte, sans entente " (Palat, ouv. cit., tome 5, page 406). Joffre arriva le 5 septembre au Q. G. anglais de Melun pour discuter des opérations avec French. " Joffre était plein d'espoir " (French, ouv. cit.).

La 6e armée resta en gros sur place le 4 septembre. Palat donne de son état la description suivante (tome 5, page 407) : " Sa cohésion avait souffert de sa longue retraite précipitée. De sombres et mauvaises nouvelles, des bruits de trahison augmentaient le découragement général ". La 55e D. R. qui avait marché en toute hâte et sans arrêt n'offrait pas un beau spectacle. De nombreux traînards étaient assis sur les voitures et les pièces de canons. La division était dans un désordre indescriptible. Le 7e C. A. fit aussi une triste impression au cours de son passage.

Telle était, à la veille de la bataille de la Marne, la condition des troupes de l'aile gauche ennemie, chargée de la décision. Ce qui était à son avantage, c'était qu'elle était dans une situation stratégique incomparablement meilleure que celle de l'aile droite allemande. Il faut reconnaître cependant que la troupe eut la force de passer immédiatement de la retraite à l'offensive. Mais on acquiert aussi la conviction qu'une deuxième grande défaite aurait définitivement brisé sa puissance. C'est avec raison que Joffre avait écrit au ministre de la guerre que l'échec de l'offensive aurait les plus graves conséquences pour le pays . On allait voir si dans la grande bataille imminente les brillantes qualités des troupes allemandes seraient en état de changer à notre avantage la situation stratégique défavorable et si nos chefs auraient les nerfs suffisants pour surmonter la crise.

 

Son septième chapitre

LA BATAILLE DE LA MARNE - LA JOURNÉE DU 5 SEPTEMBRE.

LE COMBAT DU IVe C. R. CONTRE LA 6e ARMEE

 

Le 5 septembre au matin la 6e armée, forte de 5 divisions 1/2 d'infanterie et d'une division de cavalerie, déboucha de la ligne Claye-Dammartin-lisière sud de la forêt d'Ermenonville pour se porter, conformément à l'ordre de Galliéni, au nord de la Marne à hauteur de Meaux et prendre ses dispositions pour l'offensive en direction de Château-Thierry qui devait commencer le 6.

A l'aile droite la brigade indigène Ditte (Marocains) et le groupe Lamaze (55e et 56e D. R.) auquel étaient rattachés la brigade de cavalerie Gillet et les deux groupes d'artillerie de sortie, se portèrent en avant en 3 colonnes, à savoir par Charny sur Penchard, par Le Plessis-aux-Bois sur Monthyon et par Montgé sur Saint-Soupplets. La brigade de cavalerie éclairait en direction de Meaux.

A leur gauche, le 7e C. A. (14e D. I. et 63e D. R.) se porta tout d'abord en direction du nord pour venir ensuite vers l'est se placer à côté du groupe Lamaze en passant par Dammartin-Othis et la région au nord.

A l'aile droite, entre Claye et Thorigny, la division de cavalerie composée de Cornulier-Lucinière devait maintenir la liaison avec les Anglais.

En deuxième ligne la 45e D. I. (Drude) se trouvait dans la région de Mauregard (ouest de Dammartin). Le 4e C. A. ne put être débarqué que les 6 et 7 septembre. Le groupe de divisions de réserve du général Ebener (61e et 62e D. R.) resta tout d'abord en arrière, à l'intérieur du camp retranché de Paris.

Contrairement à toute attente le général de Lamaze se heurta tout à coup à l'ennemi. De violents combats se développèrent dans la région de Penchard, Monthyon et Saint-Soupplets. D'après les récits français ils se terminèrent dans la soirée sur la ligne Charny-Villeroy-Le Plessis aux Bois-Cuisy-Montgé.

L'ennemi auquel les Français s'étaient heurtés était le IVe C. R. L'exploration française a dû être extrêmement faible bien qu'une cavalerie suffisante fût à la disposition de la 6e armée. Chose curieuse, elle se trouvait tout entière à l'aile droite, sur la Marne. L'aviation, elle aussi, semble avoir été défaillante. L'avance imprudente de Maunoury était contraire aux intentions de Galliéni qui voulait cacher à son adversaire le danger qui le menaçait. Pour nous le combat fut d'une grande importance : il nous découvrit le jeu de l'ennemi.

Le IVe C. R. était parvenu le 4 par Creil-Senlis jusque dans la région au sud-est de Nanteuil-le-Haudouin. Le 5 il devait d'après l'ordre de l'armée " se porter dans la région de Marcilly-Chambry et prendre à son compte au nord de la Marne la couverture face au front nord-est de Paris ". Après avoir reçu cet ordre le commandant du corps d'armée, le général de l'artillerie von Gronau, envoya l'ordre suivant, le 5 à 12 heures 30, de Nanteuil-le-Haudouin :

" 1° L'ennemi, apparemment des éléments avancés de la garnison de Paris, est encore à Dammartin. Au sud de la Marne, des forces ennemies sont encore signalées à Coulommiers, sur le point, semble-t-il, de se replier vers le sud et le sud-ouest. Reims est tombé.

2° L'armée continue son mouvement vers la Seine en se couvrant face à Paris. Le IIe C. A. se porte au delà de la Marne jusqu'au Grand Morin inférieur en aval de Coulommiers. Il couvre le flanc de l'armée face au front est de Paris.

3° Le IVe C. R., ayant sous ses ordres la 4e D. C., se portera dans la région de Marcilly-Chambry (nord de Meaux), Il assurera au nord de la Marne la couverture face au front nord-est de Paris, "

La 22e D. R. devait rompre à 4 h. 30 de Villers-Saint-Genest et se porter par Bouillancy-Puisieux sur Chambry; la 7e D. R. devait rompre à 6 heures de Sennevières et se porter sur Barcy par Chévreville-Brégy-La Ramée-Marcilly ; la 4e D. C., rompant à 5 h. 30 de Droiselles, devait marcher sur Silly le Long-Ognes et suivre ensuite le mouvement de la 7e D. R. en échelon en arrière.

Le cours des événements du 6 septembre fut le suivant d'après les communications du général von Gronau et le journal de marche du IVe C. R.

Bien que le corps d'armée se fût sans cesse efforcé d'éclairer en direction de Paris, la situation n'avait pas pu être éclaircie.

Les patrouiller, ne purent percer à travers les forêts de Chantilly et d'Ermenonville, ni pousser vers les hauteurs boisées de Dammartin, ni voir ce qui se passait dans le terrain en arrière. Les aviateurs envoyés par l'armée ne purent pas établir, eux non plus, si des troupes importantes étaient rassemblées ou non près de Paris.

Les renseignements reçus jusqu'au 4 au soir montrèrent que Dammartin était occupé par de la cavalerie ennemie et que des éléments d'infanterie peu importants se trouvaient en arrière. Le 5 septembre la 4e D. C. transmit tout d'abord les mêmes renseignements ; plus tard elle signala que des postes d'infanterie ennemis, établis sur les routes venant de Paris et conduisant vers le nord-est, empêchaient ses propres ailes d'avancer. Il était également impossible aux patrons patrouilles de se porter vers le front nord de Paris en faisant un détour, car la grande forêt située au nord de Senlis était occupée par des postes ennemis.

A 10 heures, un compte rendu de la 4e D. C. annonça que plusieurs pointes de cavalerie ennemie étaient en marche par Dammartin, Saint-Mard et Jully. La division ajoutait qu'elle avait l'impression qu'une attaque d'une division de cavalerie ennemie était en train de se développer contre elle.

A ce moment-là arriva l'ordre de l'armée envoyé de La Ferté-Milon prescrivant au IVe C. R. de s'arrêter. Mais le corps d'armée avait déjà atteint son objectif de marche. La 7e D. R. avait serré sur sa tête entre Marcilly et Barcy, la 22e D. R. avait fait de même à Chambry.

Les premières heures qui suivirent n'apportèrent, elles aussi, aucun éclaircissement. La division de cavalerie annonça qu'une colonne ennemie était en marche de Saint-Mard sur Montgé.

Devant cette situation le corps ne pouvait pas se mettre au repos. Il fallait savoir ce qui se passait en avant dans la région de Paris, si la 1re armée devait défiler devant la place. Seule une attaque pouvait déchirer le voile. À midi le commandant du corps d'armée dit à son chef d'état-major, le lieutenant-colonel von der Heyde : " Lieutenant-colonel, c'est inévitable, il faut attaquer ! "

C'était là une de ces grandes décisions de chef dont l'histoire doit parler.

Le général von Gronau donna l'ordre suivant :

Barcy le 5 septembre 12 h. 15.

" 1° Dans la forêt de Montgé-Cuisy cavalerie ennemie qui empêche la nôtre de voir ce qui se passe. Derrière cette forêt d'autres éléments de cavalerie et de l'infanterie.

2° La 7e D. R. se portera à l'attaque en plusieurs colonnes par Cuisy-Montgé sur Saint-Mard pour refouler l'ennemi.

3° La 4e D. C. participera à l'attaque en se portant par Marchemoret sur Dammartin.

4° La 22e D. R. sera tenue prête entre Barcy et Monthyon.

5° Etat-major du C. A. avec la 22e D. R. "

 

Von GRONAU.

 

 

La 7e D. R. ne se porta pas en avant en formation ouverte comme il était prescrit, mais en une seule colonne par la route de Pringy-Monthyon. Au delà de Monthyon elle se heurta à l'ennemi et passa à l'attaque. La 22e D. R. qui suivait par Penchard intervint à sa gauche dans le combat. La division de cavalerie couvrit le flanc droit. Des combats très violents s'engagèrent dans la région Saint-Soupplets-Monthyon-Penchard et durèrent jusque dans la nuit. L'ennemi fut rejeté.

Entre temps la 4e D. C. s'était heurtée, au cours de son mouvement, à des forces ennemies très puissantes. Il n'était pas possible d'exploiter d'une façon décisive le succès obtenu. L'ennemi pouvait se réfugier à l'intérieur de la ceinture des forts; il pouvait aussi recevoir des renforts de Paris. Le IVe C. R. avait engagé ses dernières forces. Le but était atteint : des forces ennemies puissantes avaient été identifiées. Il s'agissait maintenant d'empêcher l'ennemi de se porter dans le flanc de la 1re armée. Le corps d'armée ne pouvait pas rester où il se trouvait. Il pouvait être enveloppé. D'autre part les passages de l'Ourcq devaient être maintenus ouverts pour le cas où la 1re armée voudrait envoyer des renforts. Le commandant du corps d'armée, le général von Gronau, se décida par suite à se replier derrière la coupure de la Thérouane. Dans la soirée il donna l'ordre suivant :

" L'ennemi battu ne devra pas être poursuivi au delà de la ligne Cuisy-Iverny. A la tombée de la nuit le corps de réserve se repliera derrière la coupure de la Thérouane pour se soustraire à une menace d'enveloppement par le nord et pour sortir du rayon de la place :

La 7e D. R. de Saint-Soupplets sur La Ramée et de Plessis-l'Evèque sur l'ouest d'Etrepilly.

La 22e D. R. de la ligne Iverny-Penchard vers la ligne Etrepilly-Gué à Tresmes.

Les positions seront renforcées au cours même de la nuit. Postes de surveillance sur la coupure de la Thérouane.

4e D. C. : Brégy.

Q. G. du C. A. : Puisieux ".

Von GRONAU.

 

En conséquence de cet ordre le combat prit peu à peu un caractère traînant sur la ligne Le Plessis l'Evêque-Iverny-Neufmoutiers. Il ne restait plus qu'à prendre Saint-Soupplets pour pouvoir décrocher les troupes sans être gêné et remporter également à l'aile droite une victoire décisive. La dernière réserve du commandant du corps d'armée fut mise dans ce but à la disposition de la 7e D. R. A 19 h. 45 Saint-Soupplets fut pris d'assaut et l'ennemi rejeté sur les boqueteaux de Dammartin.

Les mouvements ultérieurs s'effectuèrent presque sans à coups dans la nuit par clair de lune. Le seul élément qui fut obligé de rester en arrière et qui tomba aux mains de l'ennemi fut une partie du poste de secours principal installé à Pringy avec ses blessés intransportables. On est obligé de rendre le plus grand hommage à la hardiesse de la décision du général von Gronau de passer à l'attaque, à la sûreté avec laquelle le combat fut conduit, à l'opportunité du repli du corps d'armée pour le soustraire à l'enveloppement menaçant, enfin à la brillante conduite des troupes. La surprise projetée par Joffre et Galliéni avait échoué. Le grand danger qui menaçait notre flanc avait été éventé au dernier moment; le colonel-général von Kluck put encore prendre ses mesures dans la nuit.

Le corps d'armée avait livré un combat glorieux contre des forces considérablement supérieures. Il lui manquait toujours la 43e brigade de réserve Lepel laissée à Bruxelles. Chaque brigade n'avait qu'une compagnie de mitrailleuses, chaque division un seul régiment d'artillerie à 6 batteries de canons. Il n'avait ni artillerie lourde, ni aviation.

Du côté français ce furent surtout le groupe Lamaze et la brigade marocaine qui combattirent. Le 7e C. A. n'est pas intervenu, pour des motifs que nous ignorons, bien qu'il fût en situation d'envelopper complètement le IVe C. R. Le général Maunoury n'a fait aucun usage de sa grosse supériorité, sinon le général von Gronau serait tombé dans une situation critique. Mais la chance fut favorable à l'audacieux.

Dans la soirée le général Maunoury était encore loin de l'Ourcq qu'il devait franchir le 6 pour se porter à l'attaque. Une partie importante du plan d'attaque français était devenue caduque.

La journée du 5 septembre fut la grande journée du IVe C. R. au cours de la guerre.

 

LA JOURNÉE DU 6 SEPTEMBRE

 

Le 6 septembre au matin le combat décisif commença sur tout le front de Verdun à Paris, à la surprise complète des Allemands. Un ordre de Joffre enflamme les troupes :

" Au moment où s'engage une bataille dont dépend le salut du pays, il importe de rappeler à tous que le moment n'est plus de regarder en arrière ; tous les efforts doivent être employés à attaquer et à refouler l'ennemi. Une troupe qui ne peut plus avancer devra coûte que coûte garder le terrain conquis et se faire tuer sur place plutôt que de reculer. Dans les circonstances actuelles aucune défaillance ne peut être tolérée. "

Dans la nuit du 5 au 6 septembre arrivèrent au Q. C. de la 1re armée à Rebais les premiers comptes rendus sur le combat du IVe C.R.. Pour juger la situation il faut se libérer entièrement de la connaissance a posteriori des contingences. Le 6 au matin, ni la 1re armée, ni la Direction suprême ne soupçonnaient quoi que ce soit d'une offensive générale française entre Paris et Verdun. On admettait que l'ennemi était en pleine retraite au delà de la Seine et de l'Aube. Le 6 à midi la 2e armée, supposant que l'ennemi avait déjà franchi en grande partie la Seine, donna encore un ordre de poursuite. D'après les déclarations que nous avait faites le lieutenant-colonel Hentsch sur la situation et d'après l'ordre de la Direction suprême il fallait s'attendre à une puissante attaque française contre le flanc droit pour arrêter notre poursuite. Elle vint plus tôt que ne l'avait admis la Direction suprême.

Le général von Kluck fut placé dans la nuit du 5 au 6 devant une décision difficile à prendre. Il était indiqué d'agir au plus vite. Les différentes possibilités furent examinées brièvement. Fallait-il protéger le flanc des armées défensivement ou bien fallait-il se donner de l'air sur le flanc et les derrières en attaquant et en refoulant l'ennemie ?

La Direction suprême avait ordonné de s'opposer offensive ment au nord de la Marne, à l'avance des forces ennemies qui déboucheraient de Paris. Il n'y avait aucune raison impérieuse d se limiter à une défensive qui ne pouvait en aucun cas protéger suffisamment le flanc de l'armée. Seule l'offensive pouvait dégager ce flanc. Étant donnée la façon dont la situation était envisagée le 6 au matin à la 1re et à la 2e armée, il fallait admettre que la 2e armée pourrait converser entre Seine et Marne pour s'établir sur la ligne qui lui était prescrite. Le général von Kluck se prononça pour l'offensive.

L'ordre d'armée avait prescrit que le mouvement de repli, basé sur l'ordre de la Direction suprême, aurait lieu le 6, par échelon en commençant par l'aile droite, dans l'hypothèse, également indiquée par le lieutenant-colonel Hentsch, que l'on avait suffisamment de temps devant soi. Mais maintenant les mesures déjà prises étaient contrecarrées, le mouvement compliqué de l'armée était rendu plus difficile par la nécessité d'apporter une aide rapide au IVe C. R.. Le commandement de l'armée fut obligé de maintenir l'ordre dans la zone arrière, d'éviter l'embouteillage des routes et de garantir le ravitaillement de l'armée en vivres et munitions en donnant des ordres précis aux colonnes de marche et en particulier aux parcs et convois ,de tous les corps d'armée. En fait les mouvements des jours suivants s'effectuèrent sans grands à coups ni frottements.

A minuit le IIe C. A. reçut l'ordre de se porter, aussitôt que possible après la réception de l'ordre, sur Lizy-Germiny pour soutenir le IVe C. R.

 

 

L'état-major de la 1re armée se rendit le 6 dans la matinée à Charly. Le commandant en chef se porta en avant en automobile sur les hauteurs à l'est de Lizy. On n'y entendait aucun bruit de combat au IVe C. R. Il semblait que l'ennemi ne continuait pas à attaquer. Nous espérâmes gagner du temps et pouvoir amener des renforts en temps voulu. Mais une fois arrivés à Charly nous apprîmes bientôt par le quartier-maître général, le colonel von Bergmann, qui avait été envoyé au IVe C. R., que ce corps d'armée était attaqué en direction La Ramée-Trocy. Ordre fut alors donné à midi au IVe C. A. qui était en marche sur Doue, d'envoyer immédiatement un régiment d'artillerie de campagne au IIe C. A. sous la protection d'une escorte de cavalerie.

Au IVe C. R. la nuit avait été tranquille. Le 6 au lever du jour, le général von Gronau reconnut la position de la coupure de la Thérouane. Elle n'avait été indiquée à la troupe que provisoirement, pour la nuit, car elle était facile à désigner et à atteindre. Mais elle ne se prêtait pas à une défense opiniâtre contre un ennemi supérieur en nombre. Le cours même de la Thérouane, était également défavorable, car l'aile droite de la position formait saillant et était exposée à être, enveloppée. Le général von Gronau établit par suite la 7e D. R. sur les hauteurs comprises entre Puisieux et Manœuvre qui étaient favorables à la défense et la 22e D. R. en liaison avec elle au sud-est jusqu'à Gué à Tresmes. Comme l'aile gauche ennemie s'avançait par Brégy, les réserves durent être employées à prolonger la position jusqu'à Acy-en-Multien. L'étendue du front était considérable; aucune réserve ne put plus être prélevée.

A 10 heures du matin le général von Linsingen, commandant du IIe C. A., arriva sur le champ de bataille. Les Français, qui ne s'étaient manifestement aperçus du repli du IVe C. R. qu'après minuit, s'étaient avancés à l'aube avec une très grande prudence. Ce ne fut qu'à 9 heures du matin qu'ils se heurtèrent aux avant-postes encore en position sur la Thérouane. Mais un violent combat se déroula bientôt sur tout le front. Par ordre du commandant de l'armée le général Linsingen prit également sous ses ordres le IVe C. R.. A 12 h. 30 il chargea celui-ci de tenir sa position de Vincy-Manoeuvre- à Tresmes, pendant que le IIe C. A. interviendrait à sa droite et à sa gauche, à savoir avec la 3e D. I. par Vareddes, avec la 4e D.I. par May en Multien-Vincy-Manoeuvre. Il se produisit donc dès le début un mélange d'unités qui ne fit qu'augmenter au cours du combat. Une fois le IIe C. A. arrivé, on devait passer à l'attaque sur toute la ligne.

Le IIe C. A. fut engagé dans la direction précédemment indiquée parce qu'on estima que le IVe C. R. devait être renforcé aussitôt que possible. Si on veut faire de la critique après coup en se basant sur la connaissance des événements, on peut dire qu'il aurait été indiqué de porter le IIe C. A. tout entier à l'aile droite. En effet, au cours des jours suivants, la 3e D. I. tomba à Vareddes dans une situation intenable d'où il fallut la retirer. D'autre part la mince ligne de combat du IVe C. R. put se maintenir le 6 septembre jusqu'au soir. La 4e D. I., elle, passant par Rosoy-en-Multien, exécuta sur l'initiative de son chef un mouvement débordant plus prononcé vers le nord en direction d'Etavigny. Le IIe C. A. qui avait rompu de nuit eut à exécuter, par la poussière et la chaleur, une marche extrêmement fatigante. La 4e D. I. ne put intervenir que dans la soirée, mais remporta encore un succès sur le 7e C. A. français au nord de Acy-en-Multien.

Le IVe C. A. reçut à 17 h, 30 du commandement de la 1re armée l'ordre de continuer encore dans la journée jusqu'à la région au nord de La Ferté-sous-Jouarre. Le moment et la direction où il devait être engagé pour soutenir le IIe C. A. et le IVe C. R. restèrent réservés.

Entre temps les événements qui s'étaient passés à l'aile gauche de l'armée avaient contrecarré en partie les intentions du commandement. Dans cette région le IXe C. A. devait rester tout d'abord sur place, le IIIe C. A. se porter sur La Ferté-Gaucher dans l'hypothèse, comme cela a été dit, que l'ennemi continuait sa retraite. Mais le 6 septembre au matin l'avant-garde de la 17e D. I. fut prise tout à coup sous le feu de l'ennemi. Des aviateurs rendirent compte que des forces ennemies venant du sud se portaient sur Esternay. Il semblait s'agir d'une contre-attaque de l'ennemi en retraite. Le commandant du IXe C. A., le général von Quasi, décida de passer lui-même à l'attaque et demanda au IIIe C. A. ainsi qu'au VIIe C. A. qui se trouvait à l'aile droite de la 2e armée, de l'appuyer; l'attaque faciliterait l'avance de la 2e armée qui était encore engagée dans un dur combat sur le Petit Morin supérieur. De plus, ainsi qu'il était dit dans la demande adressée au VIIe C. A., " le repli des IIIe et IXe C. A. sur Paris n'était considéré comme possible que quand l'ennemi aurait été rejeté au delà de la Seine".

Le IIIe C. A. avait déjà commencé le mouvement de repli qui lui avait été prescrit, quand arriva la demande du IXe C. A. Au même moment ses arrière-gardes furent attaquées à Montceaux et Sancy. Le général von Lochow se décida à faire front et à accepter le combat. Mais un certain temps s'écoula naturellement avant que son corps ne fût à nouveau déployé pour combattre. Les deux corps d'armée se maintinrent sans difficulté. En fin de journée la situation du combat était entièrement favorable. A l'aile droite le 1re C. C. refoula à Courtacon le corps de cavalerie Conneau. Le VIIe C. A. soutint efficacement le IXe C. A. avec l'artillerie de la 13e D. I. qui avait été poussée en avant.

En fait les deux corps s'étaient trouvés dans une situation difficile. Ils avaient eu affaire à l'aile gauche et au centre de la 5e armée française. Nous ne le savions pas. Mais nous pûmes cependant nous apercevoir que la situation ne répondait plus à la conception jusqu'alors admise. Le flanc droit du IIIe C. A. paraissait menacé. Le commandement de l'armée ordonna en conséquence à 17 h. 45 au IIIe C. A. de couvrir provisoirement le flanc droit du IXe C. A. pendant le restant de la journée, jusqu'à ce qu'on pût décider de son emploi ultérieur une fois la situation éclaircie.

Pendant ce temps le 2e C. C. était entré en contact de combat avec les Anglais à Rozoy. La brèche qui s'était ouverte dans la région de Coulommiers après le départ des IIe et IVe C. A. exigeait qu'on fît attention de ce côté. La distance qui séparait les IIIe et IXe C. A. de la 1re armée était grande. Il parut préférable de les lier provisoirement aux directives de la 2e armée tant qu'ils resteraient dans cette région. Ils en furent informés ainsi que la 2e armée. Celle-ci fut en outre priée dans la soirée par T. S. F. d'engager le VIIe C. A. et Xe C. R. à l'ouest du IIIe C. A. pour protéger son flanc. Mais dans la soirée le capitaine Brinkmann de l'état-major de la 2e armée arriva à Charly et convainquit le commandement de la 1re armée qu'il était impossible de donner satisfaction à cette demande. Il déclara qu'une division du VIIe C. A. était déjà engagée et qu'une seule était disponible derrière le front. Le commandement de la 1re armée dut alors prendre une décision sur l'emploi des IIIe et IXe C. A. Ils ne pouvaient rester où ils étaient. D'autre part on ne pouvait pas encore voir où ils étaient le plus nécessaires. D'après les ordres de la Direction suprême, la 1re armée tout entière devait passer sur la rive nord de la Marne. L'attaque de flanc ennemie avait d'ailleurs commencé dans cette région. Le commandement de la 1re armée décida par suite dans la soirée de replier les deux corps tout d'abord derrière le Petit Morin, sur la ligne Montmirail-Boitron, mais de les laisser encore provisoirement sous les ordres de la 2e armée. Il y avait là, au point de vue du droit de donner des ordres, un manque de précision qui conduisit à des frottements.

A 22 h. 30 ordre fut envoyé au IVe C. A. de se porter pendant la nuit encore suffisamment en avant pour qu'au lever du jour il pût attaquer au delà de la ligne Rozoy en Multien-Trocy suivant les indications plus détaillées du commandement du IIe C. A.

Des aviateurs avaient rendu compte que des colonnes ennemies avaient débouché à 18 heures de la ligne Rozoy-Forêt de Crécy. Il fut décidé que le 2e C. C. assurerait la couverture dans cette direction de concert avec le 1er C. C. et comblerait la brèche de Coulommiers pour s'opposer à l'avance anglaise désormais évidente. L'assentiment de la 2e armée fut demandé dans ce but. Il aurait été instamment nécessaire que toute la cavalerie fût placée sous un commandement supérieur unique, mais il aurait été encore plus nécessaire de grouper les 1re et 2e armées sous les ordres d'un commandement de groupe d'armées. En effet la 1re armée poussait vers l'Ourcq, la 2e vers la Seine. Quant à la Direction suprême elle ne dit mot du 5 au 9 septembre.

Le 6 septembre les deux corps de cavalerie parvinrent à retarder considérablement l'avance des Anglais vers le Grand Morin, le corps von der Marwitz dans la région Rozoy-Coulommiers, le corps Richthofen dans la région de Courtacon.

Dans la soirée le commandement de la 1re armée reçut de l'inspection d'étapes des renseignements inquiétants qui augmentèrent l'incertitude de la situation. Ces renseignements disaient que la région de Lille était occupée par les Français, peut-être aussi par les Anglais. Les voies ferrées et les communications arrières paraissaient menacées. La veille au soir le lieutenant-colonel Hentsch avait parlé, lui aussi, de rassemblements de troupes dans la région de Lille et de débarquements à Ostende ajoutant que des renseignements de ce genre étaient parvenus à plusieurs reprises au G. Q. G.

Le compte rendu suivant fut adressé à 22 h. 45 à la Direction suprême : " IIe C. A. et IVe C. R. engagés au nord de la Marne dans un violent combat au sud-ouest de Crouy contre des forces ennemies puissantes venues de Paris. Le IVe C. A. interviendra demain. IIIe et IXe C. A. couvrent à l'ouest de Montmirail le flanc de la 2e armée qui à l'est de ce point attaque vers le sud des forces ennemies puissantes ". La difficulté de la situation pouvait être déduite de ce compte rendu.

La 2e armée avait voulu, le 6 septembre en exécution de l'ordre de la Direction suprême, continuer à converser autour de Montmirail, son aile gauche se portant de Morains-le-Petit sur Marigny-le-Grand, pendant que le VIIe C. A. resterait au nord de Montmirail. Le commandant de la 2e armée était parti, lui aussi, de l'hypothèse que l'ennemi continuait sa retraite. A midi, quand il envoya un ordre de poursuite, il était encore de cet avis : " La 5e armée française a déjà le gros de ses forces derrière la Seine. Des renseignements concordants signalent des transports de troupes de Romilly-Nogent sur Seine vers l'ouest ; au nord de la Seine il n'y a plus que des troupes de couverture. Il est nécessaire d'agir et de poursuivre sans aucun ménagement pour anéantir ces forces et détruire la section de voie ferrée indiquée. En conséquence continuation de la poursuite. "

Mais dans la réalité la 2e armée se heurta à l'aile droite de la 5e armée qui se portait en avant et à la 9e armée. Son aile droite, à l'est de Montmirail, ne progressa de ce fait que lentement et ne gagna que peu de terrain au delà du Petit Morin tandis que son aile gauche parvînt jusqu'à la lisière nord des Marais de Saint-Gond. La 2e armée n'était pas dans une situation facile : la 1re armée conversait en arrière vers le nord, la 3e armée était en retrait.

La 3e armée, qui était restée au repos le 5 septembre, se porta le 6 en direction du sud, , admettant, elle aussi, qu'elle n'avait en face d'elle que des arrière-gardes. En cours de marche elle reçut des demandes de secours de la 2e et de la 4e armées, engagées l'une et l'autre dans de violents combats si bien que son aile droite fut attirée en direction de Fère-Champenoise, son aile gauche en direction de Vitry-le-François et qu'en son centre, dans la région de Sommesous et Soudé, en face de Mailly, une brèche se forma qui ne put être comblée que par la suite par la mise en ligne d'éléments venus de l'arrière. Par hasard il y avait aussi une brèche du côté français dans la région de Mailly. La soirée s'écoula sans que la 3e armée pût intervenir énergiquement à l'aile gauche de la 2e armée.

La 4e armée se heurta sans s'y attendre à des forces ennemies puissantes sur le canal de la Marne au Rhin entre Vitry-le-François et Revigny. Cette région, coupée de nombreux cours d'eau, était extrêmement difficile à attaquer.

La 5e armée se porta entre Revigny et Verdun au delà de la ligne Laheycourt-Vaubécourt-Saint André pendant que son aile gauche investissait Verdun ; elle se heurta, elle aussi, à une énergique résistance.

Du côté français la 6e armée avait continué son mouvement en avant le 6 septembre et avait atteint à 9 heures la ligne Chambry-Barcy-Forfry-Oissery, le groupe Lamaze à droite, le 7e C. A., qui devait exécuter un mouvement enveloppant, à gauche. La division de cavalerie resta dans la vallée de la Marne; le corps de cavalerie Sordet, fortement épuisé, fut dirigé de Versailles et Saint-Cyr sur Nanteui-le-Haudouin, en partie par voie ferrée, en majorité par la route et aurait parcouru 70 kilomètres avec des chevaux fourbus.

D'après les données françaises une puissante contre-attaque se serait produite dans l'après-midi à Chambry-Barcy. Il s'agit sans doute de l'intervention de la 3e D. I. par Vareddes. Le succès de la 4e D. I. à Acy-en-Multien n'est pas mentionné. Dans la soirée la 6e armée se trouvait sur la ligne Chambry-Marcilly (groupe Lamaze), Puisieux-ouest de Acy-en-Multien (7e C. A.).

progressé. Elle était très éloignée de son objectif Château-Thierry.

Des aviateurs firent savoir que des colonnes ennemies venant du sud semblaient se replier vers le nord et franchir la Marne. Galliéni reconnut l'importance de ces mouvements; il intervint ici aussi et adressa dans la soirée le message suivant à French:

" La 6e armée a entamé ce matin son offensive vers l'est dans les conditions convenues. A 9 heures son front arrivait à hauteur de Meaux sur la ligne Chambry-Barcy-Forfry-Oissery. Général Maunoury rencontre résistance sérieuse et croit avoir devant lui tout le IVe C. R. En outre il signale que 2 colonnes ennemies, chacune d'une division, remontent du sud et atteignent la Marne à Vareddes et Lizy à 9 heures. Opération en bonne voie. Pour étayer davantage notre offensive je donne dès maintenant tous les moyens dont je dispose au général Maunoury. Mais il est absolument indispensable que l'action de la 6earmée ne reste pas isolée et que les Allemands ne puissent pas ramener contre elle les éléments qui se trouveront en face de l'armée anglaise. En conséquence je prie instamment le maréchal French de bien vouloir de son côté porter son armée en avant, conformément aux instructions du général Joffre, de manière que l'offensive générale prévue pour aujourd'hui soit bien générale et pour qu'il y ait entre les diverses armées une concordance qui seule peut assurer un succès décisif. "

 

Il est manifeste que l'on n'avait pas une trop grande confiance dans l'énergie du maréchal French. Les événements allaient le justifier.

 

L'armée britannique avait bien eu quelque repos et avait aussi recomplété en partie son armement et son matériel. Mais le maréchal French croyait que la situation exigeait de la prudence. A son avis la 1re armée allemande était déjà parvenue presque tout entière au sud du Grand Morin et n'avait laissé au nord de la Marne que 1 à 2 divisions. Il crut par suite ne pas pouvoir atteindre le 6 le Grand Morin. Le 1er C. A. se porta par Rozoy en direction de Vaudoy-Ormeaux, le 2e C. A. plus au nord, le 3e C. A. suivit comme réserve derrière l'aile gauche. Peu à peu on reconnut que l'ennemi était en retraite sous la protection d'arrière-gardes. French veut avoir ordonné à ce moment-là de poursuivre énergiquement. La marche fut continuée par Choisy-Coulommiers-Crécy. On ne parvint cependant à atteindre le Grand Morin que le lendemain, ainsi que le dit French lui-même. Dans la soirée il reçut de Galliéni la lettre citée plus haut. Joffre, lui aussi, lui demanda dans la nuit de prendre une direction nord plus marquée.

Les Français sont très mécontents de la façon dont l'armée anglaise a progressé au cours de cette journée. Ils disent que tandis que French ne s'avançait qu'avec hésitation, les Allemands s'étaient retirés derrière un épais rideau de cavalerie. " Les suites de cette hésitation furent graves ", dit le général Canonge (La bataille de la Marne, Paris, 1918). La cavalerie d'armée allemande avait bien rempli sa mission ce jour-là.

Le 3 septembre le général Franchet d'Espérey avait pris le commandement de la 5e armée française. Il avait pour mission d'attaquer en direction générale de Montmirail en se portant au delà de la ligne Sézanne-Courtacon. Son flanc droit devait être couvert par la 9e armée. Mais au cours de la bataille les événements furent tels, d'après les versions françaises, qu'au lieu de cela le général Franchet d'Espérey fut obligé de soutenir la 9e armée avec un corps d'armée le 7 septembre et de couvrir en outre son flanc avec un autre corps si bien que finalement il ne lui resta plus pour attaquer, Montmirail que 2 corps d'armée en dehors de ses divisions de réserve.

Le 6 septembre le 2e C. C. Conneau, à l'aile gauche, se porta sur Courtacon ; puis, de gauche à droite, le 18e C. A. se porta sur Sancy, le 3e C. A. sur Courgivaux, le 1er C. A. sur Esternay, le 10e C. A. sur Moeurs. Le 4e groupe de divisions de réserve du général Valabrègue suivit en réserve. La 5e armée se heurta donc essentiellement à l'aile gauche de la 1re armée (IIIe et IXe C. A.), l'aile droite de la 2e armée étant en retrait. Les Français ne furent pas en situation de tirer avantage de la situation très exposée de ces deux corps.

D'après le rapport français la 5e armée parvint dans la soirée après de violents combats jusqu'à la ligne La Villeneuve-Esternay-Courtacon.

La 9e armée française, aux ordres du général Foch, s'était disposée entre Sommesous et Sézanne. A l'aile gauche, au nord de Sézanne, se trouvaient la 42e D. I. et la division marocaine ; plus à l'est l'armée était couverte par les Marais de Saint-Gond. Le 9e C. A. était en face de Fère-Champenoise, le 11e C. A. en face de Sommesous. Les divisions de réserve étaient en arrière. Entre l'aile droite de la 9e armée et l'aile gauche de la 4e à Sommepuis il y avait une brèche de 20 kilomètres qui ne pouvait être bouchée par la 9e D. C. à Mailly. Un hasard curieux avait fait que, comme nous l'avons déjà dit, une brèche s'était également formée, le 5 septembre, précisément en face de cet endroit par suite de la conversion à droite et à gauche de la 3e armée allemande.

Foch avait l'ordre de soutenir l'offensive de la 5e armée avec son aile gauche et par ailleurs de rester sur la défensive jusqu'à ce que l'avance de la 4e armée lui permit de se joindre à J'attaque. Mais son armée fut attaquée à son aile gauche par la 2e armée allemande conversant autour de Montmirail et refoulée lentement au cours de durs combats.

" La journée ne fut pas favorable à la 9e armée ", dit le général Canonge (ouv. cit.).

Le général Langle de Cary, chef de la 4e armée, devait adapter ses mouvements à ceux de la 3e armée qui devait se porter en direction de l'ouest au nord de Revigny. La 4e armée était établie au sud de l'Ornain de Sermaize à Sompuis, séparée, comme nous l'avons dit, de la 9e armée par une brèche. Ici aussi on en vint à de durs combats qui obligèrent à renforcer 1a 4e armée par le 2le C. A. Celui-ci venant de la 1re armée arriva à Joinville et Wassy dans la période du 4 au 6 septembre.

La 3e armée déboucha de la ligne Souilly (sud-ouest de Verdun) - Beauzée-Vaubécourt-Revigny un direction du nord-ouest, l'aile droite appuyée à Verdun.

Les 1re et 2e armées couvraient les derrières dans la région de Pont-à-Mousson, protégeaient Nancy et se maintenaient sur la ligne générale Lunéville- Saint-Dié.

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