LE POINT DE VUE DU CAPITAINE NETTER SUR LE LIVRE DU GENERAL VON KLUCK

En 1920, en annexe du livre du général von Bülow, le Capitaine Netter commente le livre écrit en 1918, "La marche sur Paris", par le général A. von Kluck. Ce texte est intéressant car très proche, dans le temps, des événements présentés. Il semble penser que les combats en Belgique ne sont pas ceux prévus par le plan Schlieffen notamment, il recherche les Britanniques beaucoup plus au nord-ouest.

La 1re armée (von Kluck), à l'aile marchante du dispositif allemand, avait pour mission d'abord de couper d'Anvers les forces belges qui pourraient lui être opposées, d'empêcher leur jonction avec l'armée française et de les détruire avant les débarquements anglais à craindre soit à Ostende, soit à Zeebrugge ; elle devait ensuite attaquer les forces franco-anglaises, encercler la méprisable petite armée anglaise et 1a réduire à capituler, tandis que les 2e et 3e armées se chargeraient des Français.

Kluck s'efforça vainement de couper les Belges d'Anvers; il ne réussit pas mieux à réduire les Anglais à merci; il ne put arriver à fixer définitivement son faible mais vaillant adversaire pour l'écraser sous sa masse. French lui échappa.

Réduit au rôle de flanc-garde de l'armée allemande, Kluck, après avoir éventé les divisions territoriales de Brugère, ne sut pas discerner l'importance des débarquements qu'il avait cependant observés dans la région d'Amiens. Il ne flaira pas là le noyau de l'armée Maunoury.

Tandis que son voisin Bülow se voit retardé, les 29 et 30 août, par la résistance des Français à la bataille de Guise, appelée bataille de Saint-Quentin par les Allemands, Kluck ne trouve rien ou à peu près rien devant lui. Or il a reçu, le 28, les instructions générales du G. Q. G. lui prescrivant de marcher à l'ouest de l'Oise contre la Basse-Seine en restant prêt à intervenir dans le combat de la 2e armée et en assurant la protection du flanc droit des armées allemandes. Ce même jour, il avait franchi l'arc de la Somme entre Fricourt-Péronne et Epenancourt.

Le lendemain, après une faible résistance rencontrée de l'autre côté de la Somme, à Proyart et à Harbonnières, il a le champ libre devant lui - mais au lieu d'exécuter l'ordre du G. Q. G. et de marcher à l'ouest de l'Oise, il entend exploiter le succès remporté le même jour par Bülow. Le 30 août, il marche donc vers le Sud-Est et franchit l'Oise entre Pont-Sainte-Maxence et Noyon. Il reçoit d'ailleurs le 31 l'assentiment du G. Q. G. à cette manœuvre. Son ardeur ne connaît dès lors plus de bornes; il oublie toute prudence; le 3 septembre, trois de ses corps d'armée sur cinq ont déjà franchi la Marne.

La même jour, à son quartier général de La Ferté-Milon, lui parvient un radio du G. Q. G. manifestant l'intention de couper les Français de Paris en direction Sud-Est et lui ordonnant de s'échelonner en profondeur en arrière de la 2e armée. Oubliant Maunoury, il pense qu'en faisant lui-même une étape de plus il répondra pour le mieux aux intentions de Moltke. Puisque Bülow a du retard, c'est lui Kluck qui remplira son rôle; n'a-t-il pas, d'ailleurs, en échelon en arrière, son IVe corps de réserve, à Nanteuil-le-Haudouin et son IIe C. A. encore sur la Marne ?

Mais voilà que, le 5 septembre au matin, arrive à La Ferté-Milon un nouvel ordre du G. Q. G., lui prescrivant de se déployer face à Paris entre l'Oise et la Marne, tandis que Bülow tiendra le secteur entre Marne et Seine. A ce moment son IVe corps de réserve est au nord de Meaux, ses quatre autres corps entre Esternay et l'est de Coulommiers.

Sans nul doute le G. Q. G. ne se doutait pas, le 4 septembre au soir, lorsqu'il prescrivait à Kluck de s'aligner face à Paris entre Oise et Marne, que la 1re armée avait déjà franchi cette dernière rivière avec quatre de ses corps d'armée, que le 5e était sur le point de la traverser et que le quartier général lui-même était déjà établi au sud de la Marne à Rebais,

Kluck cherche donc, à interpréter l'ordre, qu'il vient de recevoir et ne le considère comme exécutoire qu'autant que la 1re et la 2e armées auront rejeté Français et Anglais de l'autre côté de la Seine. Comment admettre en effet que le G. Q. G. ait pu lancer le 3 septembre l'ordre de couper les Français de Paris, en direction Sud-Est, s'il n'avait pas eu à ce moment la certitude, par son service de renseignements, qu'il n'y avait absolument rien à craindre de la part de forces ennemies débouchant de Paris pour se porter sur le flanc et sur les communications de l'aile droite allemande.

Mais dans la soirée du 5, le lieutenant-colonel Hentsch, du G. Q. G., arrive au quartier général de Kluck, porteur d'un commentaire détaillé du radiotélégramme que Moltke avait lancé le 4 au soir et qui était parvenu seulement le 5 au matin à La Ferté-Milon.

A sa grande stupéfaction, Kluck apprend par ce commentaire et par les explications de Hentsch que la situation générale est loin d'être aussi favorable qu'on le supposait au Q. G. A. 1. En effet, les 7e, 6e et 5e armées formant l'aile gauche allemande sont arrêtées sur notre front fortifié de l'Est. Elles ne peuvent déboucher pour empêcher Joffre de prélever entre Toul et Belfort des forces importantes qu'il sera maître de transporter par chemin de fer dans la direction de Paris. Il faut maintenant compter sur cette éventualité et envisager tout autrement qu'on ne l'a fait jusqu'ici la situation de la 1re armée.

Au Surplus, l'annonce de victoires décisives remportées par diverses armées allemandes n'a-t-elle pas presque toujours été précédée ou suivie de demandes pressantes de secours adressées par ces armées à leurs voisines ?

Kluck devient circonspect.

Il ne croit cependant pas encore à un danger immédiat sur son flanc droit et, à 11 heures 30 minutes du soir, il indique, dans un ordre à son armée, que ses aviateurs ont repéré d'importantes forces françaises en retraite vers la Seine et que par suite la 1re et la 2e armées peuvent commencer à exécuter l'ordre du G. Q. G. leur prescrivant de se déployer face à Paris. Ce mouvement, il entend l'opérer tranquillement en repliant son IIe corps jusqu'à la Marne vers Trilport, tandis que le IVe C. A. reculera moins. Ces deux corps laisseront toutefois des arrière-gardes sur le Grand-Morin. Les IIIe et IXe C. A. continueront à prolonger le front de la 2e armée (von Bülow).

Mais voici, qu'un peu plus tard, le IVe corps de réserve annonce qu'après avoir victorieusement repoussé, dans la journée, aux environs de Dammartin, une attaque française venant de la direction de Paris, il a dû se replier derrière la Thérouanne, affluent de l'Ourcq.

Kluck se rappelle alors ce précepte de César que, dans les grandes et périlleuses entreprises, il ne faut pas délibérer, mais agir. Il se souvient aussi que dans des circonstances désespérées au point de vue stratégique, Frédéric-le-Grand et d'autres capitaines ont obtenu des succès tactiques si éblouissants qu'ils en ont tiré de grands résultats politiques.

Au reçu du rapport du commandant du IVe C. R. sur les combats du 5, Kluck. ordonna donc au général von Linsingen, commandant le IIe C. A., de se presser de manière à être en en mesure de soutenir le IVe C. R. dès le 6.

Ce même jour, 6 septembre, à 5 heures 30 minutes après-midi, il ramène son IVe C. A. sur la Marne et, à 10 heures 30 minutes, il lui ordonne d'exécuter une marche de nuit pour attaquer à la pointe du jour.

Le 7 au matin, il a ainsi en ligne, face à Maunoury, 3 corps d'armée appuyés au nord par une division de cavalerie.

Cependant la pression des Français dont il ignore le nombre devient trop forte. A 1 heure 15 minutes de l'après-midi, il appelle à la rescousse ses deux derniers corps d'armée, le IIIe et le IXe qui prolongeaient jusqu'alors le front de la 2e armée et avaient été laissés à la disposition de celle-ci. Il va ainsi créer un vide énorme entre son armée et celle de Bülow, mais qu'importe ? Un éblouissant succès tactique sauvera la situation.

L'arrivée en ligne de la 5e division du IIIe corps, le 8 au matin, à Trocy, lui permet d'enrayer une tentative de percée des Français. En se portant lui-même, en automobile, avec son état-major à La Ferté-Milon, au centre de la bataille, il aperçoit, non loin de là, de la cavalerie ennemie qui vient de surprendre un parc à ballons. Il faut quitter les automobiles, sauter sur les fusils, les carabines et les revolvers et se déployer en tirailleurs. Heureusement les escadrons français sont dispersés par le feu de troupes du IXe C. A. Mais quelle belle prise vient d'échapper à " ces braves " ! (C'est vraisemblablement cet incident qui, exploité par le service d'espionnage allemand en France, lui a permis de répandre d'abord à Paris, puis dans tout le pays, le bruit de la capture de Kluck, de son état major et de quelques 30.000 Allemands. Le démenti qui ne pouvait tarder devait infailliblement déprimer l'opinion publique : la douche froide, après la douche chaude !).

On a réussi le 8 à tenir sur toute la ligne. Le 9 au matin les trois dernières divisions des IIIe et IXe corps devaient déboucher au nord du champ de bataille, la brigade du IVe corps de. réserve, laissée en garnison à Bruxelles d'où elle arrivait à marches forcées, devait se porter sur les derrières de l'ennemi. Toutes les formations actives encore affectées au service des étapes ainsi qu'une brigade de Landwehr avaient été rappelées pour prendre part à l'action.

Le flanc gauche du côté de la Marne paraissait suffisamment couvert par le corps de cavalerie von Marwitz, appuyé de deux régiments d'artillerie et d'une brigade, du IXe corps.

Cependant Marwitz, à 10 heures 20 minutes du matin, annonce le passage de la Marne à Nanteuil et à Charly par d'importantes colonnes d'infanterie anglaise.

Kluck ordonne immédiatement à son aile droite (von Linsingen) de se replier derrière l'Ourcq et d'envoyer au secours de Marwitz la 5e division d'infanterie. Toutefois une conversation téléphonique avec le chef d'état-major du IIe C. A. apprend que la situation sur l'Ourcq n'exige pas encore de repli et, d'accord avec Kluck, Linsingen reste provisoirement en position.

Peu après une heure de l'après-midi, arrive un radio de la 2e armée annonçant le débouché de fortes colonnes ennemies sur la Marne et la retraite de Bülow qui porte son aile droite à Damery.

Par ce mouvement, la lacune existant déjà dans le front de l'aile droite allemande, allait prendre une extension considérable.

Cependant l'aile gauche de Kluck tenait encore, son flanc gauche paraissait suffisamment protégé par Marwitz qui, même sans le concours annoncé de la 5e D. I., avait à peu près réussi à contenir les Anglais; l'aile droite faisait de sérieux progrès. Kluck attend de ce côté l'événement qui lui procurera l'éblouissant succès tactique.

Il caresse toujours cet espoir lorsque survient le lieutenant-colonel Hentsch. Celui-ci arrive du Q. G. A2. (von Bülow et fait à l'état-major de Kluck les déclarations suivantes : " La situation générale n'est pas favorable, la 5e armée est arrêtée devant Verdun, les 6e et 7e armées devant Nancy-Epinal. Le repli de la 2e armée devant la Marne est définitif, son aile droite (VIIe C. A.) ne s'est pas repliée de plein gré, mais bien de force. Il suit de là qu'il faut que toutes les armées reculent. La 3e armée au nord de Châlons, les 4e et 5e serrant sur Verdun par Clermont-en-Argonne.

La 1re armée doit par suite reculer aussi en direction Soissons, Fère-en-Tardenois, peut-être même jusqu'à Laon, La Fère.

Une nouvelle armée allemande est en formation vers Saint-Quentin en vue d'une opération ultérieure. "

Le chef d'état-major de von Kluck fit observer que la 1re armée était en pleine attaque, qu'une retraite serait particulièrement scabreuse , et que d'ailleurs l'armée était épuisée au dernier degré, toutes les unités étant engagées.

Le lieutenant-colonel Hentsch passa outre et maintint qu'il ne restait pas autre chose à faire. Il affirma qu'il était muni de pleins pouvoirs pour donner cette directive.

A 2 heures de l'après-midi, Kluck ordonna donc à son aile droite de ne pas pousser son offensive plus loin qu'il ne faudrait pour permettre la rupture du combat. A 10 heures du soir il ordonnait la retraite.

Le 10 septembre, un ordre du G. Q. G. subordonnait la 1re armée au commandant en chef de la 2e. Kluck devait dès lors recevoir de Bülow les directives.

Reprenant l'examen de la situation après avoir complété sa documentation par des renseignements de source française, Kluck maintient qu'il aurait obtenu un grand succès en poursuivant, l'attaque le 9 septembre au soir; mais il reconnaît qu'une fois ce succès obtenu, le flanc gauche et les arrières de son armée eussent été tellement découverts que la retraite en direction de Dieppe, ou tout au moins d'Amiens, se serait imposée à lui et que ces objectifs lointains étaient difficiles à atteindre eu égard à l'épuisement de ses troupes, à la pression des Anglais et aux qualités manœuvrières de Franchet d'Esperey.

Il rappelle que si peut-être l'initiative de l'enveloppement de la droite allemande a été prise par Galliéni, en tout, cas l'idée maîtresse qui visait à étouffer toute l'armée ennemie, comme fit Annibal à Cannes, appartient incontestablement à Joffre et à son état-major.

Les résultats obtenus par le généralissime français n'ont pas répondu à cette attente. Annibal força le destin par sa grande bataille de manœuvre; Joffre n'y réussit pas, parce, que le commandement allemand sut donner le coup de barre nécessaire, renoncer à son plan et passer de la guerre de mouvement à la guerre de position.

Être mis en parallèle avec, le Carthaginois est une marque d'honneur pour des hommes de guerre de notre époque et cela, selon Kluck, à quelque armée qu'ils appartiennent.

En terminant cette analyse, du mémoire du colonel général von Kluck, il convient de souligner les dispositions remarquables que prit 1e chef de la 1re armée pour ramener sur l'Ourcq ses quatre corps d'armée déjà engagés bien au sud de la Marne.

A cet effet il a immédiatement débarrassé les commandants de corps d'armée du souci de leurs convois, en leur prescrivant de les faire filer, sur le champ, au nord de la Marne dans des directions déterminées par lui et en se chargeant lui-même de régler la marche de toutes les colonnes de munitions et de tous les trains jusqu'à complet achèvement du changement de front.

Ainsi allégés de leurs impedimenta, les corps d'armée purent exécuter un véritable tête-à-queue pour se porter sur la nouvelle ligne de bataille.

Les IIe et IVe C. A. arrivèrent sur l'Ourcq dès le 7 septembre au matin et les IIIe et IXe C. A., rappelés le même jour dans l'après-midi, pouvaient prendre part à la lutte dans la matinée du 9, à la droite du front, après avoir couvert, en moins de 18 heures, le premier, près de 50 kilomètres, le second, plus de 70 kilomètres.

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