LE POINT DE VUE DU CAPITAINE NETTER SUR LE LIVRE DU GENERAL VON BÜLOW

En 1920, en préface du livre du général von Bülow, le Capitaine Netter commente le livre écrit dès décembre 1914, "Mon Rapport sur la Bataille de la Marne", par le général A. von Bülow. Ce texte est intéressant car très proche, dans le temps, des événements présentés et parce que le Capitaine Netter est le traducteur du livre de von Bülow.

Il faut un certain courage pour mêler un nom français, si obscur qu'il soit, à ceux de reîtres tels que Bülow, Kluck ou Hausen, qui ont couvert de leur autorité, quand ils ne les ont pas eux-mêmes ordonnés, les odieux massacres de vieillards, de femmes et d'enfants belges ou français, les sinistres incendies de villes et de villages, allumés à la torche, les barbares destruction qui ont marqué les étapes de l'invasion.

De tels actes attachent au nom des généraux allemands un opprobre éternel. Nous n'aurons heureusement à parler ici que de leur stratégie.

Le général feld-maréchal von Bülow, frère du prince de Bülow, ancien chancelier de l'Empire, avait commandé la plus brillante unité de l'armée allemande, le corps de la garde composé de deux divisions d'infanterie et d'une division de cavalerie.

Il fut placé ensuite à la tète de la 2e inspection d'armée à Hanovre.

Aux corps d'armée actifs (Garde, VIIe et Xe C. A.) qui devaient former le noyau de la 2e armée vinrent se joindre, dès la mobilisation, le corps de réserve de la garde et les VIIe et Xe corps de réserve ainsi que des formations de landwehr comprenant les 25e et 29e brigades de landwehr, 4 batteries de mortiers, 1 bataillon de canons de 10 cm., 2 batteries lourdes de mortiers de côtes et 2 régiments de pionniers.

Un corps de cavalerie composé de la division de cavalerie de la garde et des 7e et 10e divisions de cavalerie étaient rattachés à la 2e armée.

Celle-ci s'augmenta encore du IXe corps d'armée actif qui lui fut cédé par la 1re armée avant le commencement des opérations stratégiques; elle perdit, par contre, à la fin du mois d'août, le corps de réserve de la garde qui fut expédié en Prusse orientale.

La 2e armée entrait donc en ligne avec 7 corps d'armée, 1 corps de cavalerie et en dehors de l'artillerie lourde de campagne que possédait chacun de ses corps d'armée actifs - une artillerie lourde d'armée très puissante.

Ce formidable instrument de guerre était placé au centre de l'aile droite allemande, formé des 1re , 2e et 3e armées.

Le plan colossal assignait à cette aile la mission d'envahir la Belgique, d'enfoncer et d'envelopper l'aile gauche française; en même temps les 4e, 5e, 6e et 7e armées devaient battre notre centre et notre aile droite de manière qu'une fois la décision obtenue et l'enveloppement réalisé par l'aile droite allemande, il devînt possible de rejeter toute l'armée française sur la frontière suisse.

Dès lors, la direction générale donnée à l'aile droite allemande est primitivement le sud-ouest; la mission d'enveloppement est plus spécialement dévolue à la 1re armée (von Kluck) avec consigne formelle de protéger le flanc droit des armées allemandes; le rôle, de marteau de choc est confié à la 2e armée, tandis que la 3e (Hausen) doit assurer la liaison de l'aile droite avec le centre allemand.

Pour l'intelligence du rapport du feld-maréchal von Bülow il est utile de donner ici la composition des 1re et 3e armées.

La 1re armée (von Kluck) était formée (après l'ouverture des opérations) des IIe IIIe, IVe corps d'armée actifs, des IIIe, IVe et IXe corps d'armée de réserve, du 2e corps de cavalerie, comprenant les 2e, 4e et 9e divisions de cavalerie, de 3 brigades de landwehr et d'un régiment de pionniers de landwehr.

Les IIIe et IXe corps d'armée de réserve, affectés en principes à des opérations contre Calais, furent affectés aux opérations contre Anvers. Après la défaite de la Marne, le 9e C. R. fut ramené dans la région de Noyon.

La 3e armée (von Hausen) comprenait le XIe C. A. les XIIe et XIXe corps d'armée actifs saxons, le XIIe corps d'armée de réserve saxon, la 47e brigade de Landwehr saxonne, 1 batterie de mortiers et 2 régiments de pionniers de landwehr. Après le départ du XIe C. A., à la fin du mois d'août, pour la Prusse orientale, cette armée, réduite à 3 corps d'armée, se trouva exclusivement formée de contingents saxons.

Constamment sollicitée d'intervenir dans le combat en faveur des 2e et 4e armées qui l'encadraient, elle eut un rôle particulièrement ingrat et on lui attribua même, en Allemagne, la responsabilité de la défaite. Son chef, le colonel général von Hausen, vient de réfuter cette accusation dans de très intéressants mémoires.

Les documents allemands projettent une vive lumière sur ce que l'on a appelé le miracle de la Marne. Avec une audace confinant à la folie, l'état-major allemand osait envahir la Belgique malgré le veto de l'Angleterre et confier à une armée forte seulement de quatre corps la défense de la frontière russe.

Surpris par l'avalanche, mais non déconcerté, le généralissime français, après la secousse de Charleroi, n'eut pas un instant d'hésitation.

Il sut interrompre à temps la bataille de Belgique, se dérober à l'enveloppement, malgré l'énorme supériorité numérique de 1'ennemi, battre en retraite, en livrant seulement les combats nécessaires pour conserver la liberté de ses mouvements, se redresser enfin pour la lutte suprême aussitôt qu'il eut réussi à renforcer son extrême aile gauche et à conduire à pied d'œuvre une nouvelle armée, la 9e, qu'il avait pu constituer avec des effectifs prélevés sur son aile droite inébranlable, sous Dubail et Castelnau.

Ce splendide redressement effectué après la plus sage des retraites est l'œuvre maîtresse de la guerre.

Il fut récompensé par la plus grande victoire qu'aient enregistrée les annales des nations.

Le plan allemand était par terre; finie la guerre fraîche et joyeuse.

La France saluait en Joffre son plus grand capitaine.

1870 était effacé.

D'après leurs mémoires, les généraux allemands, victorieux jusqu'au bout, n'auraient vidé le champ de bataille que sur un ordre formel dicté par la situation générale.

Kluck, en effet, a pu soutenir la lutte contre Maunoury jusqu'à le menacer sérieusement, et Hausen a failli réussir à enfoncer Foch. Par malheur pour eux le premier avait dû pour cela découvrir complètement l'aile droite de l'armée de Bülow tandis que le second faisait appel au secours de l'aile gauche. Dès lors Bülow, débordé et battu sur sa droite par Franchey d'Espérey, et menacé d'enveloppement, doit détaler pendant la nuit et il ne reste à ses collègues qu'à l'imiter s'ils ne veulent pas être débordés à leur tour.

Là situation générale invoquée par Bülow est donc la conséquence fatale des mouvements imposés aux Allemands par le dispositif français.

Pour éviter la ruine du plan colossal, il eût fallu qu'Hausen enfonçât Foch dès le troisième jour de la bataille, ou bien que Kluck parvînt à maîtriser Maunoury avec les forces dont il disposait ce même jour.

Seuls d'aussi foudroyants succès tactiques auraient pu avoir raison de la stratégie de Joffre; mais ses lieutenants et ses soldats étaient de ceux qui ne font pas mentir la science de leur général.

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