LA 5e DIVISION DE CAVALERIE A TROËSNES, LE 8 SEPTEMBRE

Ce texte est extrait du livre, écrit en 1918 par le COMTE ARNAULD DORIA, porte le sous-titre :

Histoire du Raid d'une Division de Cavalerie pendant la Grande Guerre. Edité chez PLON-NOURRIT et Cie, IMPRIMEUR-ÉDITEUR, 8, rue Garancière- 6e . Le texte intégral est sur le site.

Aux premières lueurs du jour, le 8 septembre, le corps de cavalerie repart au combat. Un ordre du général Maunoury vient d'arriver, qui prescrit de nouveau l'offensive et la reprise à tout prix du terrain perdu la veille : .................

A midi, la division quitte Lévignen, précédée par une avant-garde composée d'une demi-batterie, de cyclistes et de la brigade légère du colonel Robillot. Elle se dirige sur Crépy-en-Valois, le matin encore inoccupé par l'ennemi, et, à la hauteur de la Butte de Montigny, se jette, sans être inquiétée, dans la forêt de Villers-Cotterêts.

La Providence, qui fait bien les choses, a placé à l'état-major de la division le capitaine de réserve Moreau qui, habile et passionné veneur, a chassé toute sa vie à courre dans cette forêt, en lisière de laquelle il possède, à Coyolles, une magnifique propriété. Grâce à sa parfaite connaissance du pays, le capitaine Moreau, brillant officier au zèle infatigable et aux initiatives toujours heureuses, sera pour la 5e division de cavalerie un guide incomparable.

Sur ses pas, la colonne s'engage résolument dans les profondeurs de la forêt sauvage, et, par Vaumoise, Oigny et Silly-la-Poterie, va tenter de traverser l'Ourcq. L'ordre de mission prescrit, en effet, formellement de passer sur la rive gauche de cette rivière et d'y faire entendre le canon le jour même. Troësnes, qui possède un pont sur l'Ourcq, étant la première localité au-delà des villages que l'on sait déjà occupés par l'ennemi, est prise aussitôt comme objectif.

Il faut, pour réussir à déborder le flanc droit des armées allemandes, agir vite et discrètement : les patrouilles et flancs-gardes vont donc être réduites au minimum ; rien ne détournera plus la division de son objectif ; les villages seront évités et l'écran des bois utilisé jusqu'à la rivière. Si l'on veut produire, au moment choisi, un effet de surprise, la condition première est de passer inaperçu : rôle difficile à tenir, pour une division opérant en plein territoire ennemi !

Par bonheur, la traversée de la forêt va se faire sans de trop inquiétantes rencontres. Quelques incidents à signaler toutefois : à l'entrée du bois, dans un champ, un avion allemand, repéré par l'avant-garde, est brûlé par les aviateurs, qui réussissent, hélas ! à s'échapper ; au Rond des Dames, à une coupure de la forêt, l'escadron de pointe de Fraguier et les cyclistes se trouvent nez à nez avec des automobiles allemandes se dirigeant sur Coyolles. De ces voitures, partent des coups de feu... Cavaliers et cyclistes ripostent, tuent une partie des occupants et font un prisonnier qui déclare venir de Boursonne, village tout proche, actuellement occupé par six compagnies d'infanterie allemande . Ce coup de main, rapidement mené, en mettant les automobilistes dans l'impossibilité de nuire, permit à la division de continuer sa marche sans être éventée.

Elle traverse, toujours ignorée, la route qui, en droite ligne, va de la Ferté-Milon à Villers-Cotterêts et, peu après, oblique de l'est vers le sud, en direction de Troësnes .

Les cavaliers viennent, sans halte ni repos, de franchir une quarantaine de kilomètres. Déjà éprouvés par les randonnées des jours précédents, ils sont, ce soir, bien fatigués, si l'on en juge par ce qu'en dira un jour l'un d'eux : " Nous continuons cette promenade hallucinante, écrit le brigadier Mallet, sous le soleil torride, tenaillés par la faim, brûlés de soif, et si épuisés de fatigue, que je vois mes camarades se raidir pour ne pas tomber de leurs selles, foudroyés.

" Le soleil se couche dans une gloire que personne ne songe à admirer. Peu à peu, très insensiblement, les bustes s'inclinent jusqu'à toucher les sacoches, et nous cédons à une sorte de torpeur. Puis un long frisson secoue les rangs, et au-dessus du village de Troësnes , nous tombons en pleine bataille . "

Le glissement sur les arrières du front ennemi est, en effet, à cette heure pleinement réalisé. Tandis que le combat fait rage sur la ligne Betz - Mareuil-sur-Ourcq, une division de cavalerie française, à une douzaine de kilomètres au nord de ces localités, a réussi à s'infiltrer et va donner maintenant, dans le dos de l'adversaire, un coup violent et imprévu !

 

A la sortie de Silly-la-Poterie, l'avant-garde découvre, à ses pieds, la vallée de l'Ourcq, aux peupliers géants, aux rives verdoyantes et ardemment convoitées, le modeste village de Troësnes tapi sur une des berges, puis le pont sur la rivière, par bonheur inoccupé, et, au-delà, sur le plateau de la rive gauche, un parc d'aviation où, en toute tranquillité, un avion allemand atterrit. Nous sommes loin ici de la guerre ; la surprise va être complète ! ...

Appelés par le lieutenant-colonel Marey-Monge, commandant de l'avant-garde, le général de Cornulier-Lucinière, le colonel Robillot et le commandant Darroque, accoururent pour se rendre compte et décider du parti à prendre. Les avis étaient partagés ; le chef d'escadron Darroque, commandant l'artillerie de la division, voudrait mettre immédiatement en batterie, pour atteindre ce merveilleux objectif. Le temps est clair ; la portée de 3000 mètres, séparant l'artillerie du centre d'aviation, excellente ; détruire ce but, serait l'affaire d'un instant !

Le général commandant la division n'est pas de cet avis. Il veut se porter avec la cavalerie sur la rive est et attaquer le camp à la tête de ses escadrons. Car, pour lui, l'heure presse de faire passer avec toute sa division, nos canons sur la rive gauche, comme lui indique son ordre de mission.

Le 5e chasseurs, le premier, part à l'attaque, franchit pont, village, voie ferrée, sans encombre, se regroupe au bas du plateau, le gravit, et, en fourrageurs, aborde la ferme de Mosloy, protégé sur son flanc par l'avant-garde. L'escadron de Fraguier atteint cette ferme et s'apprête à faire main basse sur les avions, quand une mitrailleuse installée dans la maison d'habitation, se démasque et oblige nos hommes à se replier, en subissant des pertes. Les escadrons Ravinel, Brissac, Legendre escaladent le plateau en plusieurs points, prenant des objectifs différents. Quelques formations d'infanterie, des réseaux de fils de fer entravent leur progression ; ils font demi-tour, se replient vers Troësnes, et tentent, à la faveur d'un cheminement très escarpé et caché aux vues de l'ennemi, de gravir une seconde fois la hauteur.

Tandis que les deux autres brigades de la division mettent des hommes au combat à pied, les pièces d'artilleries sont hissées, non sans peine, sur le plateau. Les objectifs ne font pas défaut, car, outre le camp d'aviation et ses formations voisines, une troupe importante d'infanterie apparaît à une lieue de là, sur la route de la Ferté-Milon, se dirigeant vers le front. Malheureusement, la fatigue extrême des chevaux d'attelage rendit fort lente la montée du chemin escarpé et un seul canon engagea le tir, au début. L'artillerie ne put donc ouvrir un feu de surprise et ne tarda pas à être violemment prise à partie. Malgré tout, elle fit beaucoup de mal à l'ennemi, et, après avoir arrosé d'obus la route de Neuilly-Saint-Front, neutralisa le tir meurtrier des 77 et des mitrailleuses, sur la ligne des cavaliers.

La seconde attaque de la brigade légère conduite par le brave colonel Robillot, chargeant lui-même en tête de ses escadrons, ne fut pas plus heureuse que la première et ne parvint à atteindre ni l'artillerie, ni le parc d'aviation et son soutien d'infanterie. Fils de fer et mitrailleuses interdisaient, en effet, toute progression... la nuit tombait ; il était temps de rompre le combat... Sous la protection des escadrons pied à terre, les 5e et 15e chasseurs se replièrent et rallièrent la division au pied du plateau.

Voici, raconté par un dragon qui combattit à Troësnes le récit de ces charges valeureuses : " Cela s'est passé si vite que j'en garde une image visuelle seulement. Nous gravissons lentement une colline, dont l'ombre nous cache le soleil couchant, et quand nous débouchons au sommet, nous avons la brusque vision d'un régiment de chasseurs chargeant comme une trombe, sabre au clair, silhouetté en noir sur l'immense écran rouge du ciel. Une pièce de 75, à côté de nous, crache sans interruption. Je revois encore un chasseur blessé se relever brusquement des herbes où il était couché, presque sous la gueule d'un canon, et retomber foudroyé par le déplacement d'air de l'obus. En l'espace d'une seconde, on n'aperçoit plus qu'une confuse mêlée derrière un petit bois, dans un épouvantable fracas composé de mille bruits différents. Un officier de chasseurs, la poitrine trouée, tête nue, et tout barbouillé de sang, redescend la colline appuyé sur son sabre, laissant derrière lui une longue traînée qui rougit l'herbe ; puis le soleil semble s'écrouler, l'immense incendie s'éteint ; tous les bruits se taisent et nous continuons notre chemin dans la nuit qui descend rapidement, ayant eu la brusque et fugitive vision d'une scène parmi les milliers qui composent le drame de la grande bataille  ".

La division, reformée, repassa le pont de Troësnes, gardé par les cyclistes pendant tout le combat ; grâce à l'obscurité, elle gagna Vouty, à cinq kilomètres au nord de l'Ourcq, et prit le bivouac en bordure de la forêt de Villers-Cotterêts.

L'ennemi n'essaya pas de poursuivre les cavaliers, dont beaucoup firent boire, fort tranquillement, leurs chevaux à Troësnes. Inquiété par l'apparition inopinée des Français et la soudaineté de leur attaque, ignorant à qui ils avaient eu exactement à faire, le " Boche " restait profondément troublé. Le cavalier Pouchet, engagé sous son cheval et fait prisonnier, racontera quelques jours plus tard, lors de son évasion, que l'inquiétude des Allemands qui l'interrogèrent était manifeste. Sous peine de mort, il fut sommé de faire connaître si derrière la cavalerie arrivait aussi de l'infanterie ; mais il ne put rien révéler, car lui-même, étant à l'avant-garde, ignorait la composition des troupes qui suivaient.

Nous savons aujourd'hui, de l'aveu du général Klück lui-même, la cause exacte de cet affolement de l'ennemi. Voici, textuellement reproduit, cet important passage tiré de son article de la Revue de Genève : " Tard dans l'après-midi, le haut commandement se transporta à la Ferté-Milon, où la bataille faisait rage. Au crépuscule, de hardis détachements de cavalerie française avaient attaqué une station d'avions au sud de la Ferté-Milon. Les autos du haut commandement arrivèrent justement en cet endroit. Tout l'état-major s'arma de fusils, de carabines, de revolvers pour se défendre contre une attaque éventuelle des cavaliers ennemis, et forma une ligne de tirailleurs couchés, à grands intervalles, conforme à la circonstance. Un ciel nuageux d'un rouge sombre éclairait en fantômes les personnages de ce groupe de combattants unique en son genre. Le tonnerre de l'artillerie des IXe et IVe C. A. composait une harmonie de grondements, les terribles éclairs de l'artillerie lourde sillonnaient les ombres de la nuit tombante. Entre temps, les escadrons français furent dispersés, capturés ou anéantis. Une belle proie avait échappé à ces braves cavaliers  ! "

L'aveu de surprise est complet et si, pour l'excuser, von Klück assure complaisamment que la cavalerie française fut détruite, - et la suite de ce récit prouvera le contraire, - il n'en reste pas moins vrai qu'il fut à deux doigts de sa perte ce jour-là, et les cavaliers de Cornulier-Lucinière peuvent se vanter d'avoir eu devant eux à Troësnes, non pas seulement une unité d'élite ou un régiment de la garde, mais, pour reprendre les propres termes du général allemand, " un groupe de combattants unique en son genre ", les officiers d'état-major de la Ire Armée faisant eux-mêmes le coup de feu, " personnages fantômes " dans un paysage tragique !

Toutes les unités de la région furent alertées et l'infanterie qui se rendait au combat subit un retard et des pertes fort préjudiciables. Toutefois, si le but poursuivi, - faire entendre le canon sur la rive gauche de l'Ourcq, - avait été pleinement atteint, l'objectif principal du combat de Troësnes, la destruction du centre d'aviation, n'avait pu être complète. Nous déplorons aujourd'hui avec d'autant plus de raison que nous savons quelle eût été l'importance capitale de la prise, et notre regret s'avivera en songeant que des salves heureuses de notre artillerie, placée sur le versant nord de la rivière, auraient suffi à endommager gravement le camp d'aviation, à détruire " les autos du haut commandement allemand ", à mettre à notre merci cet orgueilleux État-Major, dont une charge de cavalerie eût ensuite facilement assuré la capture.

Tandis que les hommes s'installent au bivouac, le général de Cornulier-Lucinière et son état-major préparent la continuation du raid sur la rive gauche de l'Ourcq, pour la journée du lendemain

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