POINT DE VUE DE S.B. PERESLEGIN

Merci à Alexandre Nicolsky qui a traduit ce texte et nous l'a transmis.

Commentaires sur les opérations d'Août 1914

 

(en supplément aux "Canons d'Août" de B. Takman)

I – Le front Ouest. Aspect général des opérations en France et en Belgique

 

"L'art du joueur d'échecs est non seulement de prévoir le bon plan , mais surtout de l'exécuter par des mouvements exacts, parfois uniques"

Le plan Schlieffen était très complexe à exécuter. Il était complexe sur un plan purement technique: celui qui avait le commandement devait en permanence coordonner le mouvement de sept armées du front Ouest et d'une armée du front Est. . pour chaque armée il fallait déterminer l'itinéraire de progression, organiser les réseaux de ravitaillement, assurer la sécurité des communications. Avec les proportions colossales de l'aile droite, même les réseaux routiers de Belgique et de la France du nord pouvaient se trouver insuffisamment denses. Tout le plan pouvait réussir ou échouer selon que les Allemands posséderaient ou pas une seule ligne de chemin de fer.

Schlieffen, qui se retrouvait dans les finesses de son propre plan d'opérations comme seul peut le faire celui qui l'a conçu, est parti à la retraite et est mort quelques années avant le début de la guerre. Même sur son lit de mort, il parlait dans son délire du renforcement de son aile droite. On ne peut pas être trop fort au point décisif".

G. Moltke qui lui a succédé, n'était pas nul, quoi qu'aient écrit à ce sujet les écrivains militaires de l'après-guerre. Il n'était pas un couard non plus. Lorsqu'au début de la guerre Moltke écrit à sa femme qu'il donnerait avec joie sa vie pour conquérir la victoire, il est tout à fait sincère. Mais même les romains de l'antiquité savaient que "le courage convient au soldat, alors que le commandant apporte la valeur de sa clairvoyance".

Bien que Moltke ait consacré presque dix ans à travailler sur le plan d'opérations de Schlieffen, , il n'a absolument pas compris le sens profond de ce plan, son idée directrice. Aussi, toutes les modifications et tous les compléments apportés par Moltke se sont avérés malheureux, pire, en contradiction avec la logique même de Schlieffen.

En affirmant que les allemands ont, en Août 1914 , exécuté "la manœuvre du Plan Schlieffen", nous oublions que la création du maître se distingue de l'imitation de l'élève non point par les contours généraux mais par les détails d'exécution. Le plan Schlieffen était avant tout d'une pièce. Rien ne devait gêner l'aile droite dans son mouvement continu, d'une précision géométrique.. C'est là dessus, et uniquement sur cela, que se basait Schlieffen en bâtissant l'équilibre des forces entre les divers secteurs du front.

Bien entendu, il ignorait totalement les actions de l'adversaire. Si les français peuvent opposer à la précision, à la puissance et à la vitesse de la manœuvre quelque chose de réel – il n'y a alors rien à faire. Rappelons encore que le plan Schlieffen considérait les actions de guerre, en fait, comme un jeu de hasard.

La première erreur de Moltke fut, alors qu'il disposait d'une stratégie formulée à l'avance, il se mit à réfléchir, à analyser et, naturellement à remettre en cause. Avec le doute sur la justesse des idées opérationnelles qu'il avait étudié apparut l'intérêt pour les possibilités de l'adversaire.

Moltke était parvenu à la conclusion que l'aide fournie par la Grande-Bretagne et par la France allait renforcer la résistance des Belges, à la suite de quoi, la progression du flanc droit serait plus lente que prévu. Il est très difficile d'accepter ce raisonnement de Moltke. Les divisions belges sont disposées régulièrement à la frontière. Si les armées franco-britanniques ne pénètrent pas en Belgique avant le début du conflit, c'est à dire qu'elles ne se déploient pas sur le territoire belge, l'interaction entre les armées est impossible à organiser dans les 15 à 20 jours suivant la mobilisation. Par conséquent les forces franco-britanniques ne sont pas en mesure de fournir la moindre aide réelle aux Belges. Dans ces conditions, les Belges vont plutôt accélérer leur retraite afin de se soustraire aux coups et s'unir aux forces principales des Alliés. Dans la mesure où on peut en juger, dans le plan Diehl en 1940 un déploiement franco-britannique était considéré par l'Etat-Major allemand comme tout à fait improbable. De fait il n'était pas prévu.

En outre, à partir de la supposition d'un renforcement général des armées françaises, Moltke concluait que l'adversaire allait débuter sa progression en Alsace-Lorraine – et qu'une telle offensive allait réussir, avant que l'aile droite ne puisse obtenir des résultats décisifs. Une telle logique est encore moins compréhensible. L'avance de l'aile droite amène les Allemands au cœur de la France. Une avance des Français en Lorraine les amènerait, dans le meilleur des cas, sur le Rhin. Forcer se dernier en combattant, représenterait un problème fort difficile à résoudre.

En 1871 l'aîné des Moltke avait exigé des Français la place de Metz (ce qui lui valut un conflit avec Bismarck) afin d'obtenir un tracé des frontières tel que les Français ne puissent établir un quelconque plan offensif raisonnable. Par la suite, Moltke, puis Schlieffen n'ont pas ménagé leurs efforts et l'argent pour renforcer le camp militaire de Metz.

C'était évident, Metz était considéré comme place fortifiée coopérant avec une armée en campagne. Metz restait sur le flanc d'une possible offensive française dans les Ardennes. Metz présentait une gêne considérable pour toute opération d'importance en Lorraine. Prendre d'assaut une citadelle moderne de cette importance (du moins avec l'artillerie dont disposaient les Français) était impossible.

Un siège aurait distrait pour 3 à 6 mois toutes les ressources d'une armée en campagne. Mais d'autre part, aller sur le Rhin, surtout avec Metz sur le flanc, n'était pas envisageable pour le commandement français. Toute avance dans cette direction les mettait en péril. En d'autres termes, en utilisant Metz comme pivot d'une manœuvre, les Allemands étaient en mesure d'agir contre des divisions françaises, successivement au sud et au nord de la place forte.

Une offensive à travers la Belgique était inadmissible pour les Français pour des raisons politiques et de toute façon ne menait nulle part. En fait lorsqu'il parlait d'offensive, Michel ne le faisait que par pure forme. Son plan était purement défensif et n'était vraisemblablement pas viable sur le plan stratégique. En tous cas sa mise en application lors de la guerre suivante a contribué pour la France à une catastrophe rapide et sans gloire.

Mais le "plan 17" malgré des appels tonitruants à "l'offensive jusqu'au bout" était en fait également défensif. La mission de forcer le Rhin n'y était pas formulée. Il n'y était question que, si les circonstances étaient favorables, du retour de la Lorraine, et, si elles étaient tout à fait favorable, d'une tentative de conquérir la Rhénanie. Et cette mission offensive ne devait être confiée qu'à deux des armées sur cinq. (Une offensive dans les Ardennes était toujours considérée par le commandement français comme une des formes de défense active contre l'aile droite allemande.

 

Schlieffen rêvait d'une grande offensive française, n'importe où, en Lorraine ou dans les Ardennes, parce qu'elle donnait la possibilité de faire appel pour l'opération aux ressources de Metz et permettait de gagner sans effort plusieurs phases importantes. Schlieffen regrettait amèrement que, de toute évidence, les Français n'offriront pas aux Allemands une aussi "aimable disposition". Par contre Moltke craignait beaucoup une telle offensive.

Si les suppositions du "Sombre Julius" n'étaient pas évidentes, ses conclusions s'avérèrent absurdes, même si en admettant la justesse de ses suppositions. Pour tenir compte d'un possible ralentissement de la progression de l'aile droite en Belgique ? Moltke prit la décision…. de renforcer son aile gauche en Lorraine. Au lieu d'une Armée (10 DI, 3 Dcav.) il déploya sur ce secteur deux armées (16 DI, 3 D Cav).

Dans l'idée de Moltke, un tel changement n'avait pas de caractère décisif, dans la mesure où les forces de l'aile droite étaient de toute façon étaient nettement supérieures aux les forces que les Alliés lui opposaient. Et au début de la guerre il en était effectivement ainsi. Ce qui est important n'est pas le fait que l'aile droite eut été affaiblie, mais celui que l'aile gauche est devenue trop puissante. Les changements que Moltke apportait au plan, importants ou mineurs, déplaçaient systématiquement le centre de gravité du dispositif vers le sud.

Il en résultait que le renforcement opérationnel qui était dans le plan Schlieffen de 2,08 (5/6émes des armées sur 2/5émes du front) tombait dans le plan de Moltke à 1,3 (2/3 des armées sur 1/2 front) L'axe de l'opération (la ligne à partir de laquelle la quantité de troupes "à droite" et "à gauche" est identique) était déplacé de 20 à 25 kilomètres vers le sud (5,6%) . Dans le plan Schlieffen cet axe passait au nord de la ligne Eupen-Namur, chez Moltke elle était descendue au sud de la ligne Saint-Vit – Givet . Au début du conflit, Moltke, sous l'influence d'on ne sait quels facteurs accidentels, renforça encore l'aile gauche avec des divisions de réserve et de remplacement de réserves ("ersatz"). amenant sa composition à 24 divisions, ce qui déplaçait l'axe de l'opération d'encore quelques kilomètres vers le sud.

De plus, Moltke se compliqua la tâche en décidant de ne pas franchir la frontière des Pays-Bas. En matière de politique étrangère, cette attitude "modérée" n'améliora pas particulièrement la situation de l'Allemagne, par contre, sur le plan stratégique elle créa bien des problèmes. Les Allemands n'avaient pas besoin du territoire hollandais, à l'exception d'une étroite bande de terrain située au sud de la Meuse, et désignée "l'appendice de Maastricht". Ayant renoncé à cet appendice, il fut placé devant la nécessité de faire transiter toute la 1ère armée par Aix-la-Chapelle, seul point de passage entre la zone de concentration de la 2ème armée et la frontière hollandaise. Pour accentuer cette inconvénient, la 1ère armée traversa la Meuse plus au sud qu'il n'aurait fallu et dut, sur la rive sud, tendre vers le nord, parcourant des kilomètres inutiles et perdant un temps précieux.

Une comparaison minutieuse du déploiement prévu par Schlieffen et celui de Moltke permet de conclure que Moltke a cherché un moyen de réduire le risque de l'opération. Mais le risque était dans la nature même de la manœuvre envisagée par Schlieffen, et là, on était parvenu à une situation comparable à la tentative de sauter un gouffre en faisant deux pas !

Les combats, au cours de la période de déploiement se sont limités à l'assaut par les allemands des forts de Liège et à une opération française incohérente en Haute Alsace. L'une et l'autre opérations ont été menées d'une façon qui n'était pas la meilleure. En Belgique Moltke a pris deux jours de retard pour concentrer son artillerie de siège, supposant, apparemment, que les forts tomberaient d'eux mêmes. Après avoir subi des pertes importantes et nullement justifiées en se livrant à des attaques directes, les allemands ont compris qu'il faudrait tout faire "selon les règles". Les forts de Liège sont tombés dans le délai prévu, mais le retard initial de deux jours est resté. Il a encore grandi après le pénible passage de la Meuse par les 1ère et 2ème armées et leur déploiement en territoire belge.

Conséquence de ces actions lentes et manquant de souplesse tactique, l'armée belge a évité la défaite et a fait retraite vers le nord, dans la zone fortifiée d'Anvers.

La décision du roi Albert de reculer sur Anvers (et non sur Namur, comme le demandaient instamment les Alliés) fait l'objet d'une critique polie par B. Takman et par la majorité des historiens militaires. A mon avis Albert avait trouvé le meilleur mouvement possible. Compte tenu de l'importance pour les Allemands des voies de communication belges, il ne leur était pas possible d'abandonner les armées belges à leur sort à Anvers. Ils n'avaient rien pour prendre les forts, l'artillerie lourde se déplaçant difficilement de Liège vers Namur , considéré comme l'objectif principal. Malgré eux, il leur fallut bien bloquer cette dangereuse place fortifiée, faisant appel pour cela, non seulement à des unités du landwehr, mais à deux corps de combat qu'ils furent contraints de prélever sur l'aile droite. Par conséquent l'axe de l'opération se déplaça encore légèrement plus à gauche.

Si après avoir subi des pertes, l'armée belge avait été dirigée sur Namur, elle aurait été coincée entre les unités de Bülow et de von Kluck et aurait vraisemblablement été vite écrasée. Dans le cas présent, elle constituait une menace permanente des communications allemandes. En outre, Anvers étant un grand port et les alliés ayant la maîtrise des mers cette menace était indéterminée donc dangereuse.

En Haute Alsace, les Français ont, avec un corps, occupé Mulhouse, ce qui permit à Joffre d'adresser un ardent appel aux populations des provinces perdues. Une contre-attaque des unités allemandes (14éme et 15éme corps) rejeta les Français, ceux-ci subissant de grosses pertes à la frontière. Fin Août la tentative fut renouvelée avec des forces plus importantes, mais avec sensiblement le même résultat. Il est tout à fait incompréhensible, pourquoi une des parties a eu besoin de dépenser inutilement ses forces pour emporter une région qu'elle même qualifiait de "recoin perdu"(si, si! le mythe de" la ligne bleue des Vosges" si intensément cultivé en France – le besoin était psychologique – note du traducteur) et l'autre partie l'a défendu avec un tel entêtement.

En somme, la "phase de déploiement" a sans nul doute été gagnée par les Allemands, qui, si ce n'est pas de la manière la plus facile, ont tout de même accompli leur première mission stratégique : la traversée de la Meuse et le déploiement des armées de l'aile droite dans le nord de la Belgique. A la mi-Août le commandement français a réalisé l'inadéquation de la disposition de ses forces à la réalité menaçante que représentait le mouvement des forces allemandes à travers la Belgique. Il a alors réagi, comme le supposait Schlieffen : d'une façon instinctive et maladroite. La 5ème armée de Lanrezac a été soustraite au groupement constitué en vue de l'offensive et déplacée vers le nord, dans l'angle formé par la Sambre et la Meuse occupant ainsi l'espace entre la 4éme armée et les Anglais.

Ainsi, vers le 20 Août, les forces des deux adversaires sur le front ouest étaient en place et prêtes à la conflagration. Sans nous arrêter à décrire en détail les phases du conflit, attachons nous à trouver la logique des évènements d'août 1914 et analysons les décisions prises par les parties en présence.

La première crise opérationnelle sur le front ouest fut la bataille des frontières qui s'est déroulée entre le 20 et le 25 août sur un front étendu des Vosges au Canal de Condé.

Selon la logique de Schlieffen, cette bataille était, pour les allemands prématurée. Il était de leur intérêt de l'interrompre le plus tôt possible. Par ailleurs, le résultat n'avait pas d'importance essentielle sur le flanc gauche et au centre, par contre, à droite il fallait obliger l'adversaire à reculer. (idéalement dans une direction nord-est). Le rapport des forces et leur groupement permirent d'y parvenir.

Pour la compréhension de ce qui va suivre, il est indispensable d'éclairer une particularité intéressante du schéma de Schlieffen. Lors de la mise en route de l'opération le front allemand est nettement plus allongé que le front français. Par conséquent, toute contre-attaque française place le groupement qui l'effectue dans une situation dangereuse. Le souhait évident des Allemands de mettre à profit cette situation nécessite un glissement des forces vers la gauche – pour pouvoir, en frappant le flanc et en pénétrant sur ses arrières, battre l'adversaire réalisant de ce fait l'avantage d'une position enveloppante. Si l'ennemi se laisse emporter par son mouvement il sera sans nul doute anéanti. Si cependant il a le temps de reculer (et ceci est réel dans la mesure où, en prenant une règle géométrique simple, il est plus long d'effectuer une manœuvre d'encerclement en suivant un arc de cercle qu'une manœuvre de repli en se déplaçant sur la corde de cet arc de cercle) alors il n'y aura aucun gain réel , mais l'axe des opérations allemandes se déplacera vers la gauche, s'approchant de l'axe du dispositif français. En d'autres termes, les batailles isolées, si elles ne provoquent pas la défaite de l'adversaire, obligent les Allemands à regrouper leurs armées de la droite vers la gauche, et par là à perdre l'avantage de leur position enveloppante. Dans la mesure où, plus la ligne allemande est courte, plus rapidement les français pourront faire les regroupements nécessaires pour neutraliser une manœuvre d'encerclement , on peut dire que les contre-attaques font perdre aux Allemands du temps opérationnel actif. Schlieffen le comprenait parfaitement, aussi ne voulait il pas que l'on coure après les succès tactiques. Il exigeait des actions, non contre le flanc de l'adversaire, mais contre ses arrières profonds, ce qui sous entendait un resserrement des armées, non pas vers la gauche mais vers la droite. Dans son idée, cette phase de réalisation de l'avantage ne doit survenir que dans la dernière phase de la manœuvre, lorsque les armées alliées, s'étant entassées entre Paris et les forteresses de l'est auront perdu la possibilité de manœuvrer, notamment pour une retraite rapide. Jusque là, comme dit plus haut, les gains tactiques des français l'arrangeaient plutôt.

Toutefois, ce schéma exigeait des commandants d'armée de renoncer à leur intérêts particuliers au bénéfice d'une opération unique. Dans la mesure où les êtres humains ont tendance à considérer leurs problèmes comme prioritaires, le Commandement Suprême devait exercer sur les armées un commandement particulièrement ferme.

Mais Moltke (aussi bien que le Kaiser)n'était absolument pas capable d'assurer un tel style de commandement. Tout a commencé lorsque le Quartier Général s'est installé au Luxembourg, dans un lieu où il n'y avait ni de tables normales, ni d'électricité. Il ne disposait pas des moyens adéquats de liaison. Schlieffen, avec son goût pour un confort élémentaire pour le travail d'un Etat-Major se serait renseigné si on ne pouvait pas trouver dans tout le Grand-Duché de local qui aurait été pire ? Le Commandant Suprême, le Kaiser Guillaume II, au lieu d'être aux affaires, se mit à vouloir faire régner l'ordre, en interdisant, par exemple, (compte tenu du temps de guerre) aux officiers de l'Etat-Major Général de consommer de la bière. Toujours compte tenu de l'état de guerre la table du Kaiser était d'une extrême frugalité. Faisant supporter les rigueurs de la guerre aux officiers supérieurs de l'Empire comme à soi-même, le Kaiser considérait avoir accompli son devoir. Il consacra la majeure partie du temps jusqu'à la bataille de la Marne à envoyer des télégrammes de félicitations et des décorations.

Moltke, lui, restait seul avec ses armées. Le 20 Août il aura une première décision importante à prendre.

La bataille des frontières, n'était, en fait, pas une opération unique mais trois batailles dont le seul lien logique était l'idée de Schlieffen (Le plan 17 français n'étant plutôt qu'un recueil de vœux pieux).

Le contenu des opérations peut se résumer comme suit:

En Lorraine, pour les Français – une offensive pour reconquérir les provinces perdues et fixer le flanc sud sur le Rhin, pour les Allemands – attirer l'adversaire sur le Rhin afin de gagner du temps pour la manœuvre de l'aile droite.

Dans les Ardennes, pour les Français – une contre-attaque au centre en vue de neutraliser l'avance allemande par la Belgique centrale et septentrionale, pour les Allemands - l'exécution de la "marche sur place"du plan Schlieffen.

Dans le secteur Charleroi – Mons, pour les alliés – couvrir l'opération principale par le nord, pour les allemands – écraser la résistance adverse et créer les conditions pour une progression aisée vers le sud-ouest.

En d'autres termes, les Allemands devaient avancer en Lorraine, mener une défense active dans les Ardennes et sur la frontière française, mener ce que le règlement appelle "une offensive aux limites".

Et c'est là que la puissance excessive de l'aile gauche joua son rôle négatif. Ruprecht de Bavière n'a pas voulu reculer. Il lui semblait que c'était maintenant même qu'il fallait défaire l'ennemi. Parvenu à cette fin dans la bataille de Sarrebourg, il demande à Moltke d'autoriser le passage des 6éme et 7éme armées à l'offensive. La réponse de Moltke est évasive. en l'absence d'une interdiction claire et nette, Ruprecht rejette les Français vers l'ouest et entame l'attaque des positions fortifiées entre Toul et Epinal. Remarquons que Schlieffen avait choisi l'entrée en Belgique et le conflit avec l'Angleterre uniquement pour éviter la nécessité de percer la ligne fortifiée d'Epinal.

Tactiquement, la bataille en Lorraine s'est soldée par une victoire complète des Allemands. L'équilibre stratégique était cependant négatif: Ayant rejeté les 1ère et 2éme armées françaises vers l'ouest, les Allemands aidaient l'adversaire à consolider son front.

Le matin du 22 août, dans la zone boisée, au relief tourmenté, des Ardennes, dans un épais brouillard, quatre armées se sont heurtées dans une bataille frontale. Les premières actions d'Albert de Würtemberg et du Kronprinz ne laissaient pas souhaiter mieux : les Français ont subi une défaite tactique complète. Le soir, les troupes de de Langle ne sont plus aptes au combat, et nonobstant les ordres de Joffre, reculent jusqu'à la Meuse. Dans une tentative d'encerclement, Albert tire ses unités vers le flanc sud, à la suite de quoi il se forme un trou entre les 4éme et 3éme armées, c'est à dire entre le centre et l'aile droite du dispositif allemand. Avec cela, le centre, au lieu de "marquer le pas", se jette en avant. Par contre, l'aile droite, qui devrait donner la cadence de toute l'offensive, est retenue à Namur et prend du retard. Pourtant, le commandement allemand considère ce qui se passe avec un calme surprenant, approuve les actions du duc de Würtemberg, et autorise le Kronprinz à "rejeter l'adversaire(…) en direction de l'ouest". La 5éme armée exécute la manœuvre, avançant vers les fortifications de Verdun. Bientôt, le prince Guillaume recevra la croix de fer pour sa victoire à Longwy. Si le fantôme de Schlieffen était apparu ce jour-là à l'Etat-Major de la 5éme armée allemande, le prince se serait peut être fait dire qu'il avait troqué ce hochet contre la couronne de l'Empire.

Nous voyons là, de nouveau, une brillante victoire tactique entachée par une faute stratégique. Les Allemands faussent la géométrie du plan Schlieffen, et d'eux-mêmes, encouragent leur adversaire à prendre appui sur la zone fortifiée de Verdun.

La situation sur la frontière belge avait commencé par être favorable aux alliés. La base de leurs forces était la 5éme armée de Lanrezac, établie entre la Sambre et la Meuse et ayant pour mission de progresser, soit vers le nord, soit vers le nord-est. Les deux variantes devaient lui être fatales.

Les flancs de l'armée étaient découverts, La brèche entre la 4ème armée de de Langle et le corps expéditionnaire anglais , était au début de l'opération de 30 km. si Lanrezac avançait vers le nord ou vers l'est, s'il passait la Sambre ou la Meuse il perdait toute possibilité de coopération tactique, du moins avec l'une des armées voisines.

Il n'y avait pas de commandement unifié du front. L'armée anglaise n'était pas subordonnée à Joffre et ne cherchait pas à coordonner ses actions avec Lanrezac. Les unités belges de Namur, suivaient les ordres de leur commandement. Les actions des 5éme et 4éme armées françaises ne s'harmonisaient pas, chacune ayant une mission différente et devant progresser dans des directions divergentes.

Enfin, les Allemands étaient supérieurs en nombre sur le secteur, puisque en face des 310 000 hommes de la 5éme armée, de la garnison de Namur et des britanniques étaient déployés 610 000 Allemands des trois armées de l'aile droite.

La situation menaçait les alliés d'une catastrophe rapide et totale et ils n'avaient que le choix de sa formulation. La décision de Joffre de modifier le dispositif en déplaçant sa 5éme armée vers le nord fut "le mouvement naturel mais nocif" qu'espérait Schlieffen.

D'abord, l'opération était en retard. Malgré la perte inutile de 48 heures en Belgique, les Allemands sont arrivés à la Sambre avant que Lanrezac puisse au moins définir les contours de ses interactions avec les Anglais, les Belges et la 4éme armée. La structure de la 5éme armée, alourdie par des divisions de réserve à la structure encore vague, était "friable" et incommode. Les troupes étaient fatiguées par les marches forcées auxquelles on avait recouru pour corriger les erreurs du déploiement initial, des problèmes de ravitaillement se posaient. Dans ces circonstances, il était difficile de conseiller quoique ce soit à Lanrezac.

Examinons les variantes possibles: Dans le cas d'une offensive vers l'est ou le nord-est, les Allemands poursuivent l'exécution de la manœuvre Schlieffen et entourent automatiquement le flanc gauche de la 5éme armée, si les Anglais ne traversent pas le canal de Condé, ou de l'armée anglaise, si French décide de se joindre à Lanrezac. L'offensive vers le nord ou le nord-ouest est exclue du fait que la 3éme armée allemande a franchi la Meuse.

La 5ème armée ne pouvait même pas rester sur place, une brèche se formerait dans ce cas entre elle et la 4ème armée. Une telle brèche compromettait l'offensive française dans les Ardennes (quelques soient les succès obtenus) et créait pour les armées françaises une situation des plus catastrophiques : l'ennemi exécute rigoureusement son plan alors que les armées alliées sont privées de tout possibilité de contre-attaquer et sont condamnées à la passivité.

Mais Moltke allait recueillir les fruits de sa décision de contourner l'"appendice de Maastricht". le manque d'espace et l'embouteillage d'unités qu'il provoquait sur les routes du sud-est de la Belgique et aux rares ponts sur la Meuse nécessitait que toutes les mesures fussent prises pour coordonner le mouvement des 1ère et 2éme armées. voulant se débarrasser de ce casse-tête, Moltke apporta une fausse solution au problème: il subordonna la 1ére armée à Bülow et lui confia l'élaboration des itinéraires pour les deux armées.

Selon la logique de l'opération, la subordination de von Kluck à Bülow aurait dû cesser soit après la Meuse, soit après la Sambre, mais Moltke n'émit pas l'ordre correspondant. On ne saura jamais si il s'est agi d'un simple oubli, ou si c'était pour assurer, sans faire d'efforts, la meilleure interaction entre les unités de l'aile droite. (Cette dernière version correspond bien en fait au style de commandement de Moltke).

Bülow n'était pas de ces chefs capables de céder une partie de ses intérêts en vue de la victoire commune; malgré la protestation véhémente de von Kluck il attire la 1ére armée vers son flanc droit. Si ce n'était cela, von Kluck, compte tenu du rapport de forces et de la géométrie de l'opération, aurait eu la possibilité de contourner les anglais par la droite, de rejeter le corps expéditionnaire anglais sur les arrières de la 5éme armée française, et avec l'aide de la 2éme et 3éme armées allemandes les anéantir. Or là, il eut à attaquer de front l'ennemi retranché dans les couverts du canal de Condé.

Au soir du 23 août la situation opérationnelle des Alliés se détériore brusquement sur la Sambre, il y a un risque de percée du front des britanniques, risque de percée à la jonction de ces derniers avec la 5ème armée française (la défense à cette jonction avait à peine été esquissée par Lanrezac) et risque d'encerclement des Britanniques. Compte tenu des forces en présence, du moment et du terrain, von Kluck était en mesure de mener à bien l'une des trois opérations énumérées.

Sur la Meuse, l'ennemi (la 3éme armée allemande), était déjà pénétrée avec des forces importantes dans la brèche entre Lanrezac et De Langle. Les unités de la 4éme armée battent en retraite vers le sud-ouest – en direction de Verdun, ouvrant encore plus la brèche.

Il faut se livrer à un effort intellectuel pour trouver un mouvement de l'aile droite allemande qui puisse ne pas réussir….

Bülow ayant emmêlé la situation sur son flanc droit, demande alors de l'aide à Hausen. du coup, la 3éme armée allemande qui avait la possibilité d'un simple mouvement vers l'avant, sur un territoire libre de forces adverses pour couper la retraite à la 5éme armée française, est condamnée à franchir la Meuse en combattant.

Les Britanniques tiennent une journée. A la mi-journée, le 24 août, French réalise ce qui se passe et donne l'ordre de battre en retraite vers le sud. Un effort surhumain des unités du flanc droit de von Kluck auxquelles mission avait été donnée de dépasser les Anglais pour leur couper la retraite, resta sans succès.

Lanrezac, réalisant la situation, donna également l'ordre de repli. S'il avait tardé d'encore une heure, même les maladresses de Bülow n'auraient pas sauvé la 5éme armée française : Hausen arrivait sur ses arrières de l'est, von Kluck – de l'ouest.

La défaite alliée était grave : la 5éme armée et le corps expéditionnaire britannique refoulaient dans une désorganisation complète. Les allemands avaient gagné la bataille des frontières dans le secteur décisif et avaient maintenant le champ libre pour passer à l'exécution de la deuxième phase du plan stratégique.

Stricto sensu, Schlieffen n'aurait pas pu juger trop sévèrement Bülow pour ses erreurs sur la Sambre. En effet, selon lui, une victoire à ce stade de l'opération ne pouvait être obtenue que si l'adversaire commettait de trop grosses absurdités. Pour l'instant, les allemands avaient simplement laissé échapper une chance de terminer rapidement la guerre à l'ouest.

La bataille pour la Meuse et la poursuite

 

Des erreurs décisives ont été commises aussitôt après la bataille des frontières;

Au début de cette phase la composition des armées de l'aile droite avait changé. Deux corps de l'armée de choc de von Kluck avaient été laissés devant Anvers, une des divisions de Hausen est retenue sur la rive droite de la Meuse. Un autre corps est dégagé pour le blocus de Maubeuge. Selon le plan de Schlieffen, ces missions devaient être confiées aux unités de l'Ersatz-Reserve, en cours de mise en place, mais elles avaient été déjà toutes été affectées. Avant la guerre, Moltke supposait qu'à ce stade, il reprendrait à l'aile gauche les unités supplémentaires qui lui avaient été affectées par les modifications du plan Schlieffen et que grâce à elles il résoudrait les problèmes d'effectifs de l'opération principale. Une telle manœuvre –un glissement en retour vers la droite- serait la bonne réponse à la tendance que nous avons vu de déplacement de l'axe de l'opération vers la gauche. Cependant, ayant autorisé Ruprecht à agir contre Epinal et Nancy, Moltke a perdu la possibilité de récupérer des unités dans la 6éme armée allemande et de les transférer sur son flanc droit. Il a donc fallu que l'aile qui devait effectuer la manœuvre de contournement, règle les problèmes d'effectifs "sur son propre compte".

Le 25 Août, la 4éme armée allemande arrive sur la Meuse.

Le plan initial de Schlieffen était tellement bon que même ce jour là, malgré un certain nombre d'actions incertaines et des décisions peu évidentes, voire tout simplement erronées, les Allemands conservaient une position plus qu'avantageuse.

Les armées de leur flanc droit étaient déjà au delà de la Meuse, les armées du centre étaient arrêtées sur la rivière, celles de l'aile gauche étaient enlisées sur la ligne des forts. mais l'aile droite peut se déplacer librement. Dans ces conditions, il paraît naturel de déplacer le dispositif de la 4éme armée vers le nord (où les français n'ont plus le moyen de couvrir la Meuse puisque la zone est "dans l'ombre" du groupe qui effectue la manœuvre tournante). Elle peut y traverser la Meuse, et conformément au plan Schlieffen, "fermer le rang" sur la droite.

Cependant le Duc de Würtemberg, avec la tolérance du Commandement Suprême, déploie l'armée vers le sud-ouest et pendant quatre jours, avec une obstination de maniaque, force tente de forcer le secteur fortifié de la Meuse. De nouveau, une belle victoire tactique est obtenue. De nouveau elle est obtenue au coût d'un glissement des unités vers la gauche. De nouveau les forces ennemies sont rejetées vers l'ouest, c'est à dire là où il faut qu'elles soient.

Ainsi, le duc Albert, a perdu beaucoup d'hommes et quatre jours pour obtenir un résultat dont les Allemands n'avaient nul besoin. Bien au contraire, il était de leur intérêt que les Français s'accrochent aussi longtemps que possible sur la Meuse, pour permettre aux armées du flanc droit de progresser librement.

La bataille sur la Meuse a mis en évidence la tendance dangereuse apparue dans le commandement allemand depuis la bataille des frontières, de résoudre tous les problèmes qui apparaissaient dans une vision tactique. Tant que l'équilibre stratégique leur était favorable, ils y parvenaient.

La bataille des frontières (et c'est là une raison de plus pour que je la qualifie de prématurée) a épuisé l'effet de surprise. L'idée directrice de l'opération allemande était désormais claire, comme l'étaient les mesures à prendre pour réagir.

Les alliés devaient:

1/ Dégager des coups le corps britannique et la 5éme armée.

2/ Consolider le front des 3éme et 4éme armées, remettre ces unités en ordre

3/ Assurer une liaison fiable entre la 4éme et la 5éme armées.

4/ Prendre des forces importantes aux 1ére, 2éme et 3éme armées pour les porter à l'ouest, couvrir avec elles le flanc gauche anglais, la protégeant d'un mouvement d'encerclement.

5/ Allonger la ligne de déploiement vers le nord-ouest pour opposer aux éléments effectuant le mouvement tournant, une force égale.

6/ Tenter eux-mêmes de contourner l'ennemi par l'ouest.

Ce sont là toutes des décisions instinctives que Schlieffen attendait de son adversaire. il se rendait certainement compte que compte tenu du réseau routier, les Français vont déplacer les troupes de Lorraine vers la Somme, bien plus vite que les Allemands . C'est donc pour cela qu'il comptait qu'au début les Allemands n'avaient pas besoin d'y avoir des forces importantes. L'accroissement de la puissance de choc de l'aile droite devait se faire à l'aide des corps de réserve arrivant d'Allemagne. C'est précisément pour cela que Schlieffen faisait participer aux opérations les Ersatz-Reserve.

Il ne faut pas minimiser le danger qui guette les alliés ces jours là (25-27 août); Ils étaient au bord de la catastrophe. Au sud Nancy était sous le feu des allemands, une percée menaçait ? Au nord, le front commençait à s'effondrer. Le commandement britannique considérait la campagne comme perdue et se posait la question d'une retraite vers la mer et d'un rembarquement. Au centre la situation était plus stable, mais là aussi on sentait se développer des tendances défavorables. Dans ces conditions, comme le prévoyait Schlieffen, les réactions défensives des Alliés, prendraient du retard.

Le commandement français le comprenait (maintenant) aussi. En théorie, la prise de conscience d'une défaite imminente aurait dû amener une fracture psychologique de tout le système de commandement. Mais elle n'eut pas lieu.

Joffre renonça calmement au plan 17( qu'un chef ayant plus d'initiative, et plus brillant, aurait tenté de réaliser pendant encore plusieurs jours). Il renonça à la doctrine offensive qui régnait sans partage en France encore une semaine plus tôt. Sans perdre de temps il entreprit de créer deux nouvelles armées: La 6éme du général Maunoury (constituée avec des divisions prises sur le secteur est) était déployée sur la Somme, la 9éme (deux corps de la 4éme et quelques divisions glanées ça et là) sous le commandement de F. Foch reçut l'ordre d'assurer la liaison entre les 5éme et 4éme armées françaises . Par des contre-attaques risquées auxquelles Joffre a littéralement contraint Lanrezac, le commandement français tentait de donner à ces unités le temps de se déployer.

En fait il n'y avait pas d'autre solution pour les Français. L'insuffisance de ces mesures était claire pour tous, et à Joffre lui-même avant tout.

Ainsi, malgré toutes les erreurs des Allemands, ils étaient en train de gagner la guerre en France. D'autant plus qu'au moment décisif Moltke reçut un cadeau du sort.

La 8éme armée de Prittwitz avait été battue à Gumbinnen et avait entamé sa retraite vers la Vistule. L'occasion était offerte d'entraîner les Russes dans de longues batailles pour Dantzig et Königsberg, ce qui permettrait de ramener des unités du front est sur le front ouest pour soutenir l'offensive de l'aile droite.

Moltke réagit conformément à ce que dictait le bon sens et en contradiction totale avec les principes de stratégie: il préleva deux corps sur le front ouest et les envoya sur le front est.

Si on peut comprendre cette décision, on ne peut pas la justifier.

On n'avait pas besoin de ces corps sur le front est. Pour la défense de la Prusse Orientale, (sans même parler de la ligne de la Vistule) ils étaient superflus. Ils n'auraient de toute façon pas été suffisants pour une offensive sur Seidlitz (d'autant plus que les Allemands ne prévoyaient même pas une telle offensive).

Les corps ont été pris sur les armées de l'aile droite.

Maintenant, enfin, elle était devenue vraiment faible.

La zone de progression pour une division était alors définie comme devant être de 4 kilomètres. Selon Schlieffen, sur les 240 km entre Verdun et la mer il devait y avoir environ 60 divisions, ce qui correspond à la valeur donnée. Mais maintenant il ne restait plus que 40 divisions sur le secteur, et dans les trois armées effectuant la manœuvre il n'y en avait que 23, les autres faisaient le pied de grue devant Verdun. la densité moyenne des troupes était tombée à 6 km pour une division. Ce qui signifie qu'une manœuvre de l'envergure prévue par Schlieffen ("Que le dernier homme de droite touche la Manche de l'épaule") ne pouvait en aucun cas être envisagée. il n'y avait simplement pas assez de troupes. Maintenant, le mouvement même de l'aile enveloppante, devait manifester une tendance à s'orienter plus au sud et plus à l'est. Dans la littérature historique, surtout l'allemande, il est d'usage d'expliquer "le tournant de von Kluck vers le sud-est" par des considérations tactiques concrètes ou par des erreurs de calcul. En fait les choses sont bien plus simples : von Kluck ne pouvait simplement pas se diriger sur Paris, parce que dans ce cas il se serait formé entre les armées de l'aile droite, une brèche s'étendant sur 80 kilomètres.

von Kluck n'avait alors plus le choix. Investir le camp retranché de Paris eut coûté trop de temps. Le contourner par l'Ouest eut créé une brèche énorme soit avec la 2éme armée allemande, soit avec les armées du flanc droit et le centre. C'est bien pour cela que Moltke, bien qu'à posteriori, a approuvé la manœuvre.

De toute évidence von Kluck percevait bien la menace qui pouvait venir de la direction de Paris. le 1er Septembre il écrit dans son journal : "Poursuivre la progression en direction du sud serait dangereux, le flanc droit étant menacé depuis ¨Paris. Il convient de s'arrêter et de regrouper les unités afin de progresse ensuite, soit vers le sud, en se couvrant du côté de Paris, soit vers la basse Seine, en aval de Paris… si nous continuons à progresser droit vers le sud, et si les Français établissent leur défense sur la Marne, il faut s'attendre à ce que des actions contre notre flanc soient effectuées depuis la direction de Paris."

Mais il était difficile de "s'arrêter et regrouper les unités". Les troupes allemandes étaient tirées vers le sud par l'inertie de l'offensive et déviées vers l'est par le manque d'effectifs du flanc droit.

La situation qui se dessinait dans les premiers jours de Septembre n'aurait pu apparaître au Comte Albert von Schlieffen que dans un cauchemar…..

1 – L'aile droite affaiblie était devenue égale en effectifs à l'aile gauche.

2 –Le groupement chargé du mouvement tournant, s'était tellement dévié vers le sud et l'est que Paris se trouvait plus à droite que le flanc droit de l'armée allemande. Pire encore, l'aile chargée du choc s'était étirée vers l'intervalle entre les zones fortifiées de Paris et de Verdun, sans avoir les forces pour percer le front et ayant perdu toute possibilité de contournement.

L'axe de l'opération s'était déplacé de Paris (sur le plan de Schlieffen) presque jusqu'à Verdun et coïncidait pratiquement avec l'axe de répartition des troupes alliées.

3 – Les armées du centre avaient amorcé des combats pour Verdun et les hauteurs de la Meuse, combats que Schlieffen considérait a priori comme sans espoir.

4 – Les armées de l'aile droite menaient une offensive en Lorraine, alors que selon le plan elles avaient à attirer l'adversaire vers le Rhin.

5 – Dans les régions au sud de Verdun, les armées alliées avaient reculé sur leurs positions défensives et avaient obtenu la liberté de manœuvre pour déplacer des forces vers le nord de la France, et ce déplacement s'effectuait avec succès.

6 – Il en est résulté que l'aile devant effectuer le mouvement tournant, se trouvait elle-même contournée (6ème armée Maunoury), et l'équilibre des forces, jusqu'ici favorable aux armées de von Kluck, Hausen et Bülow était désormais en faveur de l'adversaire.

Il est clair que dans ces circonstances, la "bataille décisive" se déroula non pas là où le voulait Schlieffen et s'acheva autrement que ce qu'il supposait.

II Front Est. Aspect Général des opérations en Prusse Orientale et en Galicie

Lorsqu'on parle du "Plan Schlieffen" , les analystes modernes, ne voient en général que la manœuvre dissymétrique de l'aile droite allemande en France du nord et en Belgique. Or le plan Schlieffen, de même que le plan de lord Fischer, réunissait en une structure unique tout l'ensemble des efforts militaires de son pays. L'offensive à l'ouest était indissolublement liée aux opérations du front est – la défense active de la Prusse Orientale.

La zone des combats peut être représentée comme un rectangle, limité au nord par la mer Baltique, à l'est par une Ligne Devina – Dniepr, au sud par les Carpates et à l'ouest par la Vistule et le San. Une particularité de ce théâtre d'opérations est ce qu'on nomme "le balcon polonais": sur le milieu de la Vistule, la frontière pénètre profondément dans le territoire allemand.

Similairement aux Allemands à l'ouest, les russes peuvent à l'ouest, donner à leurs troupes des buts décisifs. La Hongrie, la Poméranie, la Silésie, sans parler de la Prusse orientale et de la Galicie, sont "à la portée" des armées russes. La perte de ces provinces prive pratiquement les Puissances Centrales de la possibilité de poursuivre la guerre.

Mais si la retraite sur la Vistule et le San place l'Autriche-Hongrie et l'Allemagne devant la catastrophe, la perte des provinces occidentales a – du moins sur le plan strictement militaire, peu d'importance pour la Russie. En d'autres termes, la géographie dicte aux Puissances Centrales une stratégie défensive. Leurs armées n'ont devant elles aucun objectif opérationnel valable qu'elles puissent atteindre. Il ne peut être question que d'actions contre les forces vives de l'adversaire pour affaiblir sa puissance et repousser ses armées vers l'est – en vue de créer des bases pour des opérations futures.

Schlieffen n'a pas sérieusement considéré l'idée opérationnelle d'une guerre contre la Russie. L'idée d'une double attaque sur Sedletz appartient pour autant qu'on en juge à Conrad von Hetzendorf. Schlieffen (puis Moltke et Ludendorff) n'avaient pas d'objections à ce schéma faute de mieux.

Les deux parties avaient envisagé, dès leurs plans d'avant guerre, la possibilité d'utiliser le "sac polonais" comme une nasse pour les armées russes. C'est en vue de cette utilisation que les Allemands s'efforçaient de conserver la Prusse orientale et les Russes de déployer leurs armées sur la rive est de la Vistule. Une opération d'encerclement en Pologne ne serait pas inattendue pour les Russes. Rien que pour cela ses chances de succès étaient minces. En outre le réseau routier polonais est assez dense et les Russes avaient la possibilité d'utiliser les lignes intérieures.

D'une façon générale, l'Allemagne escomptait vraisemblablement, après que la France fut mise hors d'état, que la Russie accepterait de conclure une paix à des conditions plus ou moins acceptables. Ceci, bien entendu, trahissait l'Autriche-Hongrie, qui dans le meilleur des cas pouvait espérer retrouver ses anciennes frontières) mais une telle politique vis a vis de cet allié avait déjà été prédéterminée depuis le chancelier Bismarck.

Du point de vue de Schlieffen, le front est a un caractère subordonné par rapport au front ouest; . la 8éme armée de Prittwitz a eu pour consigne d'agir de façon rigoureusement tactique : porter un coup bref à l'armée russe la plus proche , reculer, épuiser l'ennemi par une défense mobile, l'obliger à perdre du temps pour se rendre maître de la Prusse Orientale, immobiliser des troupes pour assiéger Königsberg et ne pas arriver sur la Vistule avant 8 à 10 semaines après le début des opérations. Compte tenu du temps nécessaire aux préparatifs pour le franchissement d'un fleuve de cette importance. Schlieffen supposait qu'il disposerait de trois mois avant la chute de Dantzig et la défaite de la défense en Poméranie.

Schlieffen comptait que la 8éme armée pourrait tenir ce laps de temps, uniquement si elle se comporte de manière offensive. Mettant à profit le fait que la Prusse orientale avait dès le temps de paix été équipée comme un théâtre d'opérations optimisé pour une guerre de mouvement.

L'idée des opérations de défense active de la 8éme armée faisait appel au fait que la ligne fortifiée de Lützen interdisait l'organisation d'une coopération entre les armées russes de la Narva et celle du Niémen et pouvait couvrir le déploiement des forces pour une manœuvre contre le flanc interne de l'une ou de l'autre des armées russes (Sujet de Schlieffen pour l'examen de sortie de l'école d'Etat-Major Général 1901).

Bien entendu; l'interaction des deux armées sera rétablie et les armées joindront leurs flancs internes, mais il restera la possibilité d'agir contre les flancs externes en s'appuyant sur Königsberg ou sur Breslawl (?) . pour résoudre ce problème les russes auront encore besoin de temps. et même après cela on devrait pouvoir traîner encore quelques semaines jusqu'à la ligne de la Vistule.

Schlieffen avait exigé de l'Autriche-Hongrie qu'en concentrant ses forces elle commence son offensive contre la Russie. Le seul but réel d'une telle offensive était d'empêcher le regroupement des troupes russes sur la rive gauche de la Vistule. (Schlieffen croyait un tel déploiement peu probable, mais il était tout à fait possible, il valait mieux se garantir).

Au début du conflit, les troupes austro-hongroises, mettant à profit une mobilisation rapide auraient pu frapper victorieusement leur ennemi. Une telle victoire aurait rendu vulnérables les armées russes à l'ouest de la Vistule et aurait obligé leur commandement à les ramener à l'est, retardant leur offensive décisive contre l'Allemagne de plusieurs semaines. Si toutefois, les armées russes ne se redéploient pas entièrement sur la rive droite, le coup des Autrichiens sera dans le vide. Dans ce cas, les armées de l'empire, même victorieuses sont dans une situation stratégique détestable, d'autant plus que l'équilibre des forces, doit avec le temps basculer en faveur de la Russie. Schlieffen considérait ce problème purement autrichien avec un flegme nordique : "Le sort de l'Autriche-Hongrie se joue non pas sur le Boug mais sur la Seine…

D'Août à Novembre, les adversaires exécutent avec opiniâtreté, leurs plans de bataille d'avant-guerre. Ceci les a amené à livrer quatre batailles importantes, dont le contenu stratégique était la lutte pour la possession du "balcon polonais"

L'un des principes de base de l'art militaire est celui de l'économie des forces, dont il résulte qu'il faut se tenir au plan qui réduit autant que possible les pertes. Une de ses corollaires en stratégie est qu'il faut frapper à l'endroit le plus faible, à savoir, dans le cas présent, un secteur du front ou au moins un des partenaires de la coalition.

L'Autriche-Hongrie était bien le maillon faible de l'Alliance. Sa disparition signifiait pour l'Entente une solution victorieuse au conflit, puisque Schlieffen, lui-même, admettait que l'Allemagne n'était pas en mesure de lutter seule en combattant sur trois fronts à la fois.

L'appréciation de la situation par l'Etat-Major Général russe était exacte, d'où la décision de porter l'effort principal sur l'Autriche-Hongrie en vue d'obtenir sa défaite et sa sortie du conflit. Toutefois la campagne de 1914 a été entièrement fondée sur la recherche du moment opportun : Les Allemands avaient en effet la possibilité de mettre hors de combat la France, avant que les Russes n'obtiennent le résultat décisif en Hongrie. Même si les deux évènements étaient simultanés, l'"échange" de la France contre la Hongrie ne pouvait pas satisfaire les pays de l'Entente. D'où il était demandé à la Russie, non seulement de triompher de l'Autriche-Hongrie, mais, de plus, en agissant de façon offensive envers les Allemands, à gagner du temps pour le front ouest.

Dans la mesure où le plan Schlieffen était bien construit (la mobilisation russe était en effet bien plus lente que celle des Allemands, la conquête de la Prusse Orientale et la traversée de la Vistule allaient demander 10 à 12 semaines, il n'était pas tellement question d'une action concrète vis à vis de l'Allemagne, mais plutôt d'une pression psychologique supplémentaire sur son commandement.

Aspect Général de la Campagne de 1914 sur le front Est

Opérations en Prusse Orientale

Le contenu de cette opération, une des plus souvent étudiées dans l'histoire militaire, ne correspond pas à la forme générale de la bataille. Bien que les deux camps aient agi avec détermination et tentent d'obtenir des résultats tactiques importants, sur le plan stratégique, l'opération est stable.

Le but de l'opération a été:

La défense, tactiquement active, de la 8éme armée consistait à utiliser les conditions géographiques pour rendre la coopération des 1ére et 2éme armées russes aussi difficiles que possibles sinon impossibles.

Au cours de cette opération, aucune des parties n'a été capable d'exécuter sa mission. Les Allemands, commandés par Ludendorff qui a remplacé von Prittwitz le 21 Août sont parvenus à obtenir une victoire spectaculaire en battant sous Tannenberg la 2éme armée russe et en encerclant les unités de son centre. Ceci leur permettait d'assurer la défense de la Prusse orientale. Toutefois, cette victoire arriva trop tard, après que Moltke, inquiété par le développement de la situation sur le théâtre russe d'opérations, eut envoyé sur le front Est deux corps de son aile droite. En d'autres mots:, le but principal qui était le gain de temps sur le front est pour leur donner le temps d'achever la campagne à l'ouest était manqué.

L'opération de Galicie

L'une des plus grandes batailles de cette guerre, comparable dans ses proportions et ses conséquences à la bataille de la Marne est pratiquement inconnue, non seulement au lecteur occidental mais même aux Russes, alors que c'est l'une des pages les plus glorieuses de l'histoire des armes russes.

Le but de l'opération était:

Nonobstant l'excellente conduite des troupes par Conrad von Hetzendorf, l'Autriche-Hongrie subit une défaite complète. En fait, après la bataille de Galicie, l'Autriche cesse d'exister en tant qu'état indépendant.

La Russie en Prusse Orientale et l'Autriche en Galicie, se sont "sacrifiées" – chacune en vue de venir en aide à son allié, ayant à ce moment là une tâche stratégique d'un ordre supérieur. La France a nettement mieux utilisé les fruits du sacrifice. A la fin de la bataille de Galicie il est devenu évident que le plan Schlieffen, dans son exécution par Moltke, était complètement raté. Le vieux maréchal avait raison : le sort de l'Autriche s'était joué sur la Seine et non sur le Bug !

Après les défaites subies sur la Marne et en Galicie, l'Allemagne eut à déterminer sa stratégie sur le front Est. La solution fut recherchée jusqu'à la fin de la campagne 1914. Les deux opérations, celle de Varsovie-Ivangorod et celle de Lodz, n'étaient que des improvisations tactiques d'où un but stratégique était absent. Leur seule idée directrice était d'aider l'Autriche-Hongrie et de tenter de ressouder le front est qui était entrain de s'effondrer.

L'opération de Varsovie-Ivangorod

La bataille peut se décrire comme un mouvement de rocade des troupes des deux adversaires depuis les flancs où des combats viennent d'avoir lieu (Prusse Orientale et Galicie) vers la Vistule moyenne. La mission est la même pour les deux partis: assurer la liaison entrer les deux opérations au nord et au sud du théâtre d'opérations. Les deux adversaires tendent vers une solution offensive. Il en résulte un affrontement sur un front particulièrement étendu qui restera sans résultat.

Le bilan de cette opération peut être estimé comme suit:

L'opération de Lodz

Au cours de cette opération les Russes ont tenté de profiter des issues favorables des opérations de Galicie et de Varsovie-Ivangorod. le projet était de pénétrer en Silésie avec des effectifs importants et de développer une offensive vers Berlin en vue de parvenir à terminer la guerre avant la fin de 1914. manquant d'effectifs, les Allemands n'avaient rien de concret à opposer à une telle initiative. Toutefois, Ludendorff, mettant à profit un avantage tactique fortuit, a saisi cette occasion pour montrer au Grand Duc Nikolaï Nicolayevich qu'une offensive à l'ouest de la Vistule serait vouée à l'échec tant que l'adversaire détient la Prusse Orientale.

La campagne de 1914 a ainsi déterminé l'effondrement de l'Autriche-Hongrie (Bataille de Galicie) et a prédéterminé la défaite allemande (transport urgent d'unités d'u front ouest au front Est et échec du plan Schlieffen) Mais bien qu'elle eut des conséquences globales de cette importance la campagne s'achevait avec un résultat indéterminé. Malgré les succès des Russes, les Allemands étaient parvenus à conserver un front entier et solide. Malgré l'efficacité des contre-attaques de Ludendorff, les troupes russes étaient installées sur la rive gauche de la Vistule occupant des positions commodes pour la poursuite des opérations contre l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie.

En somme, les deux belligérants pouvaient être également satisfaits (ou également mécontents) des résultats de la campagne. Schlieffen avait de nouveau raison: le front germano-autrichien restait viable nettement au-delà des 10-12 semaines dont on avait besoin. Manœuvrant avec adresse des forces réduites, les Allemands étaient parvenus à conserver des points désespérément faibles de leurs positions et à s'établir à la fin de 1914 sur le territoire ennemi. mais en même temps on avait la démonstration de l'exactitude des idées du Grand Duc Nicolas : les nerfs du commandement allemand n'avaient pas supporté l'offensive prématurée des Russes ce qui entraîna l'inutile transfert d'unités de l'Ouest vers l'Est et leur défaite sur la Marne

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