LA BATAILLE DE ROSSIGNOL

(Luxembourg Belge)

Ce texte est la reproduction d'une plaquette remarquable réalisée par des Anciens des Troupes de Marine. Un grand merci à la personne qui nous l'a confiée car elle résume parfaitement l'ensemble des combats de la 3e D.I.C. et l'esprit de " la Colo ".

Cette plaquette a été éditée pour les pèlerins qui, chaque année, viennent se recueillir sur les lieux des combats livrés par le Corps d'Armée Colonial le 22 août 1914.

En leur faisant revivre ces rudes combats, elle leur montrera ce que fut le moral de l'Armée Française de 1914 qui, pendant quatre ans, lutta jusqu'à la victoire, malgré ses immenses sacrifices.

Cette plaquette offre aussi aux " Coloniaux " l'occasion de rendre hommage et d'adresser leurs remerciements émus aux hautes autorités civiles et militaires de Belgique et plus particulièrement de la Province du Luxembourg, à Messieurs les Bourgmestres, aux municipalités et populations des communes de Neufchâteau, Rossignol, Tintigny et Bellefontaine qui, chaque année, les accueillent avec tant de générosité et communient avec eux dans le souvenir de leurs morts.

Que ceux qui apportent tous leurs soins à l'organisation de ces cérémonies, qui avec tant de piété et de ferveur entretiennent, de si touchante façon, les sépultures des héros tombés sur cette terre belge et qui ont manifesté avec force leur volonté d'en demeurer les gardiens vigilants, trouvent ici l'expression de leur profonde reconnaissance.

 

LE PELERINAGE, EN BELGIQUE, SUR LES CHAMPS DE BATAILLE DU 22 AOUT 1914, A BELLEFONTAINE, TINTIGNY, ROSSIGNOL, NEUFCHATEAU

 

Le 22 août 1914, en une terrible bataille de rencontre, les Marsouins et Bigors du Corps d'Armée Colonial écrivirent en ces lieux une page douloureuse certes, mais particulièrement héroïque de notre histoire militaire.

Lancés dans l'offensive, ils durent, après des combats d'un acharnement indescriptible, devant un ennemi très supérieur en nombre, passer au combat en retraite.

Mais ils le firent l'arme hauts sans que l'ennemi, cruellement éprouvé, moralement dominé par des faits d'armes qui dépassèrent le prodigieux, n'osât les harceler.

On demeure surtout confondu par l'impétuosité, le courage, l'esprit de sacrifice et les ressources morales des Coloniaux. Au soir de cette lutte, malgré leurs lourdes pertes, leur moral était intact; ils le montrèrent quelques jours plus tard à la bataille de la Marne.

Dès la veille de cette dure journée, chacun sent que le combat est proche, le désir d'en venir aux mains avec l'ennemi est à son comble, les esprits sont galvanisés par les prémices de la " Grande Revanche " et par les nouvelles des premiers succès; les communiqués n'annoncent-ils pas en effet la prise d'Altkirch et l'occupation du Togo ?

Malgré les fatigues dues à la lente concentration et aux voyages interminables en chemin de fer, malgré la chaleur accablante, le Corps d'Armée Colonial est plein d'enthousiasme; le moment en effet approche où il va pouvoir donner sa mesure et venger ses glorieux Anciens de Bazeilles dont le général Lefèvre, commandant le Corps d'Armée, vient justement d'évoquer le souvenir au moment où le 16 août il franchissait la Meuse.

C'est cet enthousiasme puis cette volonté farouche qui ont donné à ces combats cette âpreté et cet acharnement qui en ont fait la grandeur.

Pour faire revivre cette journée du 22 août 1914, nous nous proposons :

- Dans une première partie,

de rappeler brièvement le déroulement de la bataille engagée par le Corps d'Armée Colonial et de retracer certains épisodes de ces combats;

- Dans une deuxième partie,

de décrire l'itinéraire du pèlerinage en signalant ses différentes étapes.

PREMIERE PARTIE

DEROULEMENT DE LA BATAILLE

 

LA SITUATION ET LES FORCES EN PRÉSENCE

 

Dès le 19 août, les armées françaises, de la Sambre aux Vosges, se préparent à la bataille.

Des forces allemandes importantes sont signalées dans le Luxembourg et en Belgique. Elles se dirigeraient du Sud-Est vers le Nord-Ouest. Bruxelles vient d'être occupée par l'ennemi.

Compte tenu du fait que les forces allemandes d'Alsace et de Lorraine sont demeurées en place, le haut-commandement français a estimé qu'un vide devait fatalement se produire entre le dispositif des armées allemandes en mouvement vers la Meuse et celui d'Alsace.

C'est dans cette région présumée dégarnie que le commandement compte pénétrer pour couper en deux le dispositif ennemi.

Tous les renseignements concordent.

Le Corps de Cavalerie de la IVe Armée (4e et 9e Divisions) a refoulé, sans difficultés, au-delà de Tintigny les cavaliers allemands qui avaient occupé depuis quelques jours la région considérée, non sans se livrer déjà à des actes d'atrocités vis-à-vis de la population.

Il rend compte le 19 août au soir que les lisières de Neufchâteau ne sont tenues que par des éléments légers ennemis. Il précise qu'il se portera en avant le 20 et, débouchant de la région Neufchâteau-Bertrix, poussera l'exploration sur Bastogne et Saint-Hubert.

L'aviation confirme ces renseignements.

C'est dans ces conditions que le Général Commandant en Chef arrête le 20 août son plan de manœuvre : attaquer au centre avec les IIIe et IVe Armées, puis lancer immédiatement la IVe Armée du général de Langle de Cary sur le flanc gauche des forces allemandes qui, au Nord, en Belgique, marchent vers la Meuse.

La IVe Armée dont fait partie le Corps Colonial stationne sur un front de 70 km entre Mézières et Montmédy.

Pour dissimuler à l'ennemi la mise en place de son dispositif, le général de Langle de Cary prescrit que les gros du 2e C. A., du C. A. C., des 12e, 17e et 11e C. A., seront mis en mouvement de nuit, le 20 au soir, pour être établis le 21 en stationnement sur la ligne Grand-Verneuil - Torgny (2e Corps), Sommethone Margny (C. A. C.), Villers devant Orval, Mogues, Matton (12e Corps)...

Tardivement le 20 août, on apprend que le Corps de Cavalerie a eu des engagements violents et qu'il n'a pu ni déboucher de Neufchâteau, ni s'y maintenir.

Mais, d'une part la confirmation de l'évacuation de Briey par les Allemands qui paraissent en mouvement vers la Meuse, au Nord d'autre part la violente attaque lancée par les Allemands en Lorraine contre la IIe Armée, font estimer au Général Commandant en Chef que le moment est venu pour les IIIe et IVe Armées de passer à l'offensive et de pénétrer en force dans le dispositif central ennemi.

Le 21 août à 7 heures il donne l'ordre au Général Commandant la IVe Armée de se mettre en mouvement :

- " Combinant sa marche en direction de Neufchâteau, avec à sa droite celle de la IIIe Armée sur Arlon, la IVe Armée prendra pareillement pour objectif les forces ennemies qui sont entrées dans le Luxembourg belge.

- " Elle portera dans la nuit du 21 au 22 août de fortes avant-gardes de toutes armes sur la ligne générale Paliseul, Bertrix, Straimont, Tintigny pour assurer les débouchés de l'armée au-delà de la Semois.

- " Le mouvement se poursuivra le 22 en direction Nord-Sud. - " L'ennemi sera attaqué partout où on le rencontrera. "

A 18 heures l'ordre donné par le général de Langle définit la mission de la IVe Armée pour le 22 ao0t.

Le Corps Colonial aura pour objectif Neufchâteau; toutefois sa 2e Division, maintenue en seconde ligne à la disposition du commandant de l'Armée, ne dépassera pas Jamoigne.

A sa droite le 2e C. A. s'avancera en une colonne par Tintigny et Mellier ayant pour objectif Léglise.

A sa gauche le 12e C. A. débouchant par Saint-Médard et Straimont prendra pour objectifs Recogne et Libramont.

Telles sont donc les missions des C. A. qui vont agir dans cette région. De l'ennemi on sait bien peu de choses.

Le 20 ao0t, le capitaine Reboul, de l'Etat-Major du Corps Colonial, en mission à Arlon, a pris contact avec le comte de Brevis, gouverneur général du Luxembourg. Ce dernier était inquiet. " Les Allemands sont dans la forêt de Rulles et dans le bois d'Etolles. Ils sont en force."

A Stenay, le rapport du capitaine est jugé pessimiste.

Cependant le 21, le lieutenant-colonel Aubert et le capitaine Reboul sont envoyés en reconnaissance en automobile, dans la région de Sommethonne, Meix et Gérouville. Ils essuient des coups de feu, les habitants signalent de nombreux Allemands dans la région et particulièrement dans les bois.

Le capitaine Reboul rend compte à Stenay mais ses dires ne sont pas pris au sérieux.

On sait bien que les 4e et 9e Divisions de cavalerie ont livré le 20 un sérieux combat à Neufchâteau, que des forces ennemies importantes viennent de pénétrer dans le Luxembourg mais " cela montre que l'ennemi fait mouvement et que ses forces ne peuvent, dans la région, être considérables ". L'ambiance est à l'offensive, il faut aller vite, se montrer audacieux. Et les ordres sont simples et nets :

" L'ennemi sera attaqué partout où on le rencontrera."

 

LE CORPS D'ARMEE COLONIAL DANS LA BATAILLE

 

A la mobilisation le Corps d'Armée Colonial comptait trois divisions :

- La 1re Division a perdu sa 2e Brigade laissée d'abord à la frontière italienne, puis envoyée en Lorraine elle ne compte plus que la 5e Brigade (brigade Goulet) composée des régiments de Paris, les 21e et 23e.

- La 2e Division, celle de Toulon (général Leblois) est au complet avec :

- la 4e Brigade (colonel Bourdonnet) comprenant les 4e et 8e Régiments; - la 6e Brigade (général Caudrelier) comprenant le 22e et le 24e Régiments. Le 1er Régiment d'Artillerie Coloniale constitue l'artillerie divisionnaire.

- La 3e Division (général Raffenel) est la division de Brest :

- sa 1re Brigade (général Montignault) comprend les 1e et 2e Régiments sa 3e Brigade (général Rondony) comprend le 3e et le 7e Régiments.

Le 2e Régiment d'Artillerie Coloniale constitue l'artillerie divisionnaire. Les unités organiques du Corps d'Armée sont :

- pour la cavalerie, le 3e Régiment de Chasseurs d'Afrique de Constantine. - pour l'artillerie, le 3e Régiment d'Artillerie Coloniale de Toulon.

- pour le Génie : 4 compagnies.

Le Corps d'Armée Colonial est un corps d'élite entre tous.

Il est constitué en majorité par des engagés volontaires qui ont déjà vu le feu. Il est débordant d'enthousiasme, avide d'aventures, dévoué à ses chefs et prêt à tous les sacrifices.

Le 21 août à 21 heures, l'ordre de la IVe Armée parvient au quartier général du Corps Colonial à Baalon.

Immédiatement la 3e Division et la 5e Brigade sont averties qu'elles devront le lendemain se porter sur Neufchâteau, la première par Rossignol, la seconde par Suxy.

Des détachements poussés en avant sur Saint-Vincent et sur Jamoigne constituent l'avant-garde, ils devront franchir à 6 h 30 la ligne Jamoigne (5e Brigade), Mesnil Breuvannes (3e D. I. C.).

Le 3e Chasseurs d'Afrique se tiendra en arrière de l'avant-garde de la 3e Division Coloniale jusqu'à sa sortie des bois à hauteur des Fossés. Il éclairera alors le C. A. dans la direction de Neufchâteau.

L'artillerie de corps marchera avec la 3e D. I. C.

Le Corps Colonial aura à sa droite le 2e C. A. marchant de Bellefontaine vers Mellier et l'Eglise; à sa gauche le 12e C. A. marchant d'Izel par Chiny, Straimont et Petitvoir (13 km Ouest de Neufchâteau).

LE DÉROULEMENT DE LA BATAILLE

- Croquis n° 1

Pour chacune des deux colonnes engagées en direction de Neufchâteau les combats présentent une physionomie identique, surprise, attaques échevelées, résistance, contre-attaques de dégagement.

Pour l'une comme pour l'autre la surprise a été totale, le haut commandement français était mal renseigné: il ignorait d'abord l'existence des corps de réserve allemands et était persuadé du vide qu'il allait trouver devant lui. L'ennemi avait, en outre, tout fait pour passer inaperçu. Les cantonnements avaient été abandonnés pour se dissimuler dans les bois profonds, les organiser et y bivouaquer en attendant l'offensive adverse.

Pour le gros de la 3e D. I. C. les combats tournèrent en une lutte désespérée du fait de l'attaque que les Allemands ont pu réaliser sur son flanc droit dégarni par suite du retard du 2e C. A. La 5e Brigade, elle, remporta un net succès tactique. En liaison avec le 12e C. A. qui attaquait à sa gauche, elle tint en échec un corps d'armée tout entier et lui causa d'énormes pertes qui éprouvèrent durement son moral.

Pour la clarté du récit nous exposerons successivement le déroulement des combats livrés par chacune de ces colonnes, qui opéraient d'ailleurs sans liaison entre elles. Dans l'esprit offensif de 1914, chacune devait courir à l'ennemi, le succès de l'une devant entraîner le succès des voisins. D'ailleurs toute liaison était rendue fort difficile par le caractère du terrain vallonné et coupé de forêts profondes dont le couvert a permis à l'ennemi de se concentrer en secret et de se dissimuler.

En se dirigeant de Montmédy vers Neufchâteau, on trouve en effet une première bande boisée : la forêt d'Orval (Comprenant les bois de Merlanvaux, de Meix et de Virton.) qui sépare la vallée de la Chiers (d'où partira le C. A. C.) de la vallée de la Semois. Celle-ci coule d'Est en Ouest et étire ses nombreux méandres dans la clairière de Florenville, que jalonnent les villages de Jamoigne, Saint-Vincent, Tintigny et Rossignol. Au Nord, nouvelle bande boisée : les forêts de Chiny, Neufchâteau et Rulles, limitées par trois pénétrantes qui, partant de Florenville, Jamoigne et Rossignol, convergent vers Neufchâteau.

C'est dans ce cadre que la 5e Brigade d'une part, la 3e D. I. C. d'autre part, vont séparément engager la bataille.

 

COMBATS DE NEUFCHATEAU

- Croquis n° 2

Comme il a été dit plus haut, la 5e Brigade ou brigade mixte Goulet est constituée par :

les 21e et 23e R. I. C. à 3 bataillons;

- un groupe de 75 C. (groupe Texier); - deux sections du 4e Génie;

- un peloton du 8e Régiment de Dragons.

Dans la nuit du 21 au 22 août, le général Goulet a reçu les ordres du C. A. C. prescrivant la marche sur Neufchâteau par Suxy et donnant quelques renseignements sur l'ennemi; il était précisé que le C. A. C. n'avait devant lui que des patrouilles de cavalerie allemande et que la région Paliseul, Bertrix, Herbeaumont était dégarnie.

Et pourtant, à Jamoigne où vient d'arriver l'avant-garde commandée par le colonel Neple (2 bataillons du 23e avec le peloton de dragons), les habitants sont inquiets; les Allemands seraient, disent-ils, très nombreux dans les bois; ils s'y seraient retranchés.

En fait un engagement a déjà eu lieu: une patrouille allemande installée à la ferme de la Hailleuse en a été délogée; deux officiers certes ont été blessés, mais c'est un premier succès et le moral que ni l'orage, ni la pluie, ni la fatigue n'ont pu entamer, en est au contraire exalté : l'Armée d'Alsace ne vient-elle pas d'occuper Mulhouse enlevant vingt-quatre canons à l'ennemi ?..

l'heure approche où les Coloniaux vont pouvoir eux aussi en découdre... " La région est vide d'Allemands - précisait l'ordre d'opération. A la vérité le XVIIIe Corps d'Armée de réserve allemand ayant disposé quelques éléments de cavalerie en avant-garde à Neufchâteau s'est installé dans une région située à une dizaine de kilomètres au Nord-Est sur l'axe Neufchâteau-Bastogne.

Ce Corps d'Armée comprend les XXIe et XXVe Divisions d'Infanterie, les hommes sont des réservistes jeunes, récemment libérés du service actif. C'est en vérité 28 OO0 combattants et 72 pièces d'artillerie qui vont se porter au-devant de la brigade Goulet, de ses quelque 6 000 hommes et ses 12 pièces de 75.

Mais revenons à cette brigade dont l'avant-garde se présente comme prévu à 7 heures à la sortie des Bulles; les hommes n'ont pas eu de café mais qu'importe; on aura meilleur appétit pour le repas de midi à Neufchâteau.

En tête viennent les dragons sur leurs lourds chevaux de réquisition ainsi que trois sections de la 1re Compagnie du 23e régiment.

A 200 mètres une compagnie du même régiment.

A 600 mètres le gros de l'avant-garde qui suit le général Goulet.

A 1 500 mètres le gros de la colonne avec en tête le colonel Aube commandant le 21e, 4 bataillons, de groupe d'artillerie, le génie, etc.

La colonne s'étend ainsi sur six kilomètres.

Dès la sortie des Bulles les alertes vont commencer; des cavaliers ennemis apparaissent et disparaissent, on échange quelques coups de feu et on arrive à Suxy avec un certain retard sur l'horaire, vers 10 heures du matin.

La traversée de la forêt de Basse Hevreau s'effectue sans incidents notables et la pointe de l'avant-garde débouche sur le plateau.

On devine à quelques kilomètres la ville de Neufchâteau. Les fourriers sont poussés en avant pour préparer le cantonnement.

La pointe de l'avant-garde va franchir le pont du ruisseau de Neufchâteau lorsque la fusillade crépite, l'ennemi est là; quelques dragons sont blessés. Les trois sections de tête se déploient, et progressent, il est 11 h 30. A Montplainchamp, les habitants affirment que de grandes forces ennemies sont à Neufchâteau.

A midi la bataille s'engage, les Allemands occupent en force le bois d'Ospot avec des mitrailleuses, et sont installés sur un front de plusieurs kilomètres. La fusillade crépite. Les obus ennemis tombent aux abords du pont.

Le colonel Neple le franchit à pied, installe son P. C. à proximité. Le commandant du 2e Bataillon du 23e appelé au P. C. y prend ses ordres. Deux compagnies reçoivent pour objectif la crête au nord du ruisseau, les deux autres le bois d'Ospot.

Les marsouins franchissent le ruisseau. Le colonel Neple de son P. C., d'un geste, leur montre l'objectif. Pleins d'entrain ils s'élancent sous le feu adverse. Le commandant Amiel a la cuisse fracturée par un éclat d'obus.

Aussitôt le combat devient acharné. Les Allemands sont nombreux dans le bois d'Ospot et leurs feux meurtriers prennent à revers l'avant-garde qui est désormais engagée dans la bataille.

Le général Goulet, assuré de la couverture de son flanc gauche par le 12e Corps qui est au contact - on entend en effet les tirs d'artillerie dans sa direction - décide à 12 h 30 d'intervenir avec le gros, vers le bois d'Ospot.

Il pense ainsi protéger son flanc droit contre toute attaque ennemie débouchant de la ville et porter aide en même temps à la 3e D. I. C., dont on apprend qu'elle est durement accrochée aux environs de Rossignol.

Il confie cette tâche au 21e Régiment avec les 1er et 2e Bataillons : bataillons Moreau et Reymond. Le 23e Régiment, s'il ne peut progresser, restera sur place.

La situation est donc la suivante :

- au Nord du ruisseau de Neutchâteau le 23e R. I. C. enfoncé en coin entre les XXIe et XXVe Divisions allemandes;

- au Sud, face au bois d'Ospot, le 21e R. I. C. avec en face de lui la XXVe Division.

A 12 h 45 le groupe d'artillerie est en batterie; il exécute des tirs sur le bois d'Ospot où le 88e Régiment d'Infanterie allemand s'est installé. Des renseignements de source allemande diront quelques semaines plus tard que " le tir effrayant et précis des batteries dé 75 faucha la moitié des effectifs; que le groupe d'artillerie proche fut en un instant réduit au silence, ses servants tués, son matériel détruit ".

Au 21e R. I. C., à droite, la progression du bataillon Moreau sur le bois d'Ospot commencée à 13 heures s'effectue tout d'abord sans incident. Le colonel Aubé, à cheval, marche derrière les éclaireurs. A moins d'un kilomètre du bois, les coups de feu claquent, venant d'une petite sapinière. Les éclaireurs se replient; cependant le colonel Aubé, pied à terre, ordonne la reprise de la marche en avant.

La sapinière est abordée au pas de course mais à sa sortie nord, au moment de franchir la crête, le feu se déclenche, meurtrier. Les Allemands sont là, avec le soutien de leur artillerie dont les tirs sont d'ailleurs imprécis. Les fusants éclatent trop haut sans causer de pertes, et les marsouins gouailleurs s'en gaussent sans retenue.

Par une irrésistible charge, ils repoussent de plusieurs centaines de mètres les Allemands surpris, qui allaient les aborder.

Sur la gauche, le bataillon Reymond se trouve vers 14 heures à cheval sur la route de Neufchâteau devant Montplainchamp; il se porte en avant vers la lisière du bois d'Ospot devant laquelle il doit s'aligner à gauche du bataillon Moreau. Mais la progression des compagnies sous le feu meurtrier est difficile. Les pertes sont sérieuses. Le capitaine Imbert est tué; en moins de vingt minutes le quart de l'effectif est hors de combat en dépit du soutien très efficace de l'artillerie.

C'est l'arrêt; les hommes s'abritent et répondent au feu ennemi. Aussi le général Goulet décide-t-il de faire appel au bataillon Ibos. Vers 14 h 30 toute la 5e Brigade, à l'exception de trois compagnies, est donc engagée.

Au 23e R. I. C., au Nord du ruisseau de Neufchâteau, le combat est acharné. Les 2 bataillons du Régiment ont devant eux, à quelques centaines de mètres, du bois des Blancs Cailloux jusqu'aux lisières de Neutchâteau, toute la XXIe Division de réserve allemande.

Ils sont en outre sous les feux des unités de la XXVe Division de réserve allemande qui, des lisières Nord du bois d'Ospot, les prennent à revers.

Très calme, le colonel Neple ne songe pas un seul instant à déplacer son P. C. vers l'arrière. " Le 21e R. 1. C. va nous dégager " déclare-t-il plein de confiance.

Deux faits d'armes, pris parmi ceux qui s'accomplissent dans cet enfer de feux, donnent une idée de ce que fut cette lutte épique.

A gauche de la ligne de feux, la compagnie Lasseau parvient à stopper 2 bataillons dès 80e et 87e Régiments allemands qui cherchent à déborder notre dispositif par le ruisseau du Gros Caillou.

Mais face su Nord, devant elle, progressent cinq bataillons allemands des mêmes régiments. L'ennemi parvient à s'infiltrer derrière la crête. Il s'est rassemblé presque au coude à coude.

L'alarme est donnée " Debout voilà l'ennemi "; un tir ajusté fait hésiter la ligne allemande, une section se jette en avant baïonnette au canon. Vingt fois supérieur en nombre, l'ennemi fait demi-tour et regagne ses abris à trois cents mètres en arrière.

A la droite du dispositif, une section, en suivant la route, est parvenue à deux cents mètres à l'Ouest de Neufchâteau. Elle a perdu son chef et est déjà en partie décimée.

Le lieutenant Legentilhomme de l'E. M. de la Brigade venu pour suivre le combat, en prend le commandement.

Il est rejoint par la section de mitrailleuses du lieutenant Bergey. De cette section il ne reste plus qu'un officier, un sous-officier, trois servants et une seule pièce; le reste est tombé en route, mort ou blessé.

C'est donc une dizaine d'hommes en tout qui est là pour arrêter un bataillon entier du 87e qui tente de déboucher de Neufchâteau.

Sous une grêle de balles, le chef de section met sa pièce en batterie. Sa position étant mauvaise, pour tirer efficacement, il s'installe sur la route, à découvert et tire... l'ennemi n'avance pas. Mais un à un les servants tombent, les munitions vont manquer, il faut songer à rejoindre le P. C. Avec les quatre à cinq hommes qui sont encore valides, les deux officiers se décident à ce repli. le lieutenant Bergey tombe, tous les mitrailleurs sont touchés et finalement seul, avec un servant blessé, le lieutenant Legentilhomme, portant la mitrailleuse, arrive au P. C. auprès du colonel Neple.

Vers 16 heures, il faut cependant admettre la nécessité d'un repli. Il s'opère par échelon sous les feux convergents de l'ennemi qui est à moins de deux cents mètres.

Au cours de ce mouvement particulièrement difficile, le colonel Neple est gravement touché à plusieurs reprises (évacué, il mourra quelques semaines plus tard à ('hôpital de Châlons).

C'est que l'ennemi tient toujours le bois d'Ospot et menace de déborder la droite de la brigade par le Sart et Molifaing.

Les I et II/21e R. I. C. se sont battus là furieusement toute la journée, contre toute la 25e Division allemande. Attaques et contre-attaques se sont succédé avec un acharnement indescriptible. Le Colonel Commandant le 21e R. I. C. blessé a été fait prisonnier.

A la nuit tombante l'ennemi, dont les pertes sont considérables, semble relâcher sa pression.

Le général Goulet, sans nouvelles de la 3e D. I. C. dont il a attendu en vain l'arrivée, regroupe à Montplainchamp ses bataillons épuisés et décimés. Puis il décide le repli vers Suxy et Bulles; mouvement qui s'effectue sans que l'ennemi atteint dans son moral n'ose le harceler.

Ainsi prend fin pour la 5e Brigade cette journée sanglante au cours de laquelle nos deux régiments de marsouins admirablement soutenus par un groupe d'artillerie, magnifiques de cran, d'audace et de mépris de la mort tinrent tête à un corps d'armée tout entier et ne se sont repliés que sur ordre.

Ce fut un rude baptême du feu car la brigade a perdu en une journée la moitié de ses effectifs. Mais l'ennemi dira un jour que ce fut une journée terrible. Il pensait avoir devant lui tout un Corps d'Armée et il n'osa pas quitter ses positions avant l'après-midi du lendemain. Sa surexcitation et son dépit se manifestèrent par des actes d'atrocités vis-à-vis des blessés et des populations civiles avoisinantes.

 

COMBATS DE ROSSIGNOL ET DE BREUVANNES

- Croquis n° 3 et 4

Sous le commandement du général Raffenel, la 3e D. I. C. est constituée, on s'en souvient, de la brigade Montignault (1er et 2e R. I. C.), de la brigade Rondony (3e et 7e R. I. C.) et du 2e R. A. C.; le 3e Régiment de Chasseurs d'Afrique lui est rattaché.

La division doit, sans désemparer, se porter sur Neufchâteau par l'itinéraire Saint-Vincent, Mesnil-Breuvannes, Rossignol, les Fossés. Le 2e Corps d'Armée doit la couvrir à l'est de Bellefontaine vers Mellier et l'Eglise.

En face, le commandement est formel, l'ennemi n'aurait que des patrouilles de cavalerie.

En fait, pendant les durs combats du 22 août, la 3e D. I. C. se heurte aux XIe et XIIe Divisions d'Infanterie du VIe Corps Silésien.

Au lever du jour, la situation des deux adversaires est la suivante.

Le général Montigault, qui a passé la nuit près de Saint-Vincent avec un détachement mixte constitué du 1er R. 1. C., du 6e Escadron de Dragons et d'une batterie du 2e R. A C., doit, à partir de 06 h 30, faire mouvement en direction de Neufchâteau, par Breuvannes et Rossignol, en avant-garde de la division.

Les gros de la 3e D. I. C. qui ont cantonné dans les villages de La Soye, Gérouville, Limes et Breux, à la frontière, empruntent le même itinéraire que le détachement Montigault qu'ils suivent à environ un kilomètres.

Le 3e Chasseurs d'Afrique, venant du village de Les Bulles, doit s'insérer dans la colonne au passage à Breuvannes.

Le 7e R.I.C. dont le général Lefebvre s'est réservé l'emploi, assure la protection des batteries du 3e R.A.C.. Le régiment et l'artillerie de corps d'armée doivent emprunter le même itinéraire que la division, environ trois heures plus tard.

A l'ouest, sur l'itinéraire Jamoigne-Suxy, la 5e Brigade progresse elle aussi, en direction de Neufchâteau.

La 2e D.I.C., maintenue en réserve d'armée, ne doit pas dépasser la rocade Jamoigne-Tintigny.

Dans l'esprit du commandement français, ce mouvement en avant n'est que le prélude d'une action offensive dans le flanc gauche de l'ennemi qui, d'après l'interprétation des renseignements et indices recueillis, serait en mouvement d'est en ouest, au nord de Neufchâteau.

Comme leurs camarades de la 5e Brigade, bien des hommes, par suite des déplacements continuels de la veille, n'ont pas mangé depuis vingt-quatre heures; ils ont vainement espéré le café; dans le brouillard de l'aube, quelques vivres ont été hâtivement distribués. Mais le moral est excellent, l'ordre lu aux unités avant le départ est rassurant " Aujourd'hui, marche de trente-trois kilomètres. Arrivée à Neufchâteau à 11 heures. Cantonnement. Aucune rencontre à prévoir ".

Des patrouilles de Uhlans observent à distance les déplacements de nos colonnes; mais cette activité d'une cavalerie légère qui refuse obstinément le contact, n'est pas faite pour inciter nos coloniaux à la prudence.

Quant au VIe Corps Silésien, pour la nuit du 21 au 22 août, il a bivouaqué dans les bois, entre Mellier, Léglise et Thibessart. C'est dans cette région que le 2e Corps, voisin de droite du C. A. C., doit venir s'établir dans l'après-midi du 22 août.

Mais, dans la nuit, le Ve Corps allemand, qui opère plus à l'est, a reçu l'ordre de prendre l'offensive vers le sud, en direction de Virton. Pour couvrir son flanc droit, le commandant du Ve Corps a demandé à son voisin de droite, le VIe Corps Silésien, de bien vouloir se porter un peu plus au sud. L'armée, la Ve, celle du Kronprinz impérial, ayant autorisé ce mouvement, le commandant du VIe Corps a décidé de pousser sa XIIe Division sur Rossignol par la route venant de Neufchâteau et sa XIe Division sur Tintigny par l'itinéraire : Mellier, Marbehan, Harinsart.

L'ordre n'ayant été diffusé qu'en fin de nuit, les mouvements commencent à peine au lever du jour.

La 3e D. I. C. et la XIIe Division Silésienne marchent donc à la rencontre l'une de l'autre sur la route de Rossignol à Neufchâteau. Chacune d'elles ignore le mouvement de son adversaire. Compte tenu de leurs heures respectives de départ, les têtes des colonnes doivent venir butter l'une contre l'autre, dans la partie sud des forêts de Chiny et de Neufchâteau, entre sept et huit heures.

Quant à la XIe Division Silésienne, elle devrait se heurter aux unités de tête du 2e C. A. Pour des raisons encore inexpliquées, les avant-gardes du 2e Corps, qui devaient sensiblement s'aligner sur celles du C. A. C. - bien que cet alignement ne fut point imposé par l'Armée - sont à trois ou quatre heures de marche plus au sud. La XIe Division Silésienne peut donc progresser librement vers Tintigny.

A Rossignol, le 6e Escadron de Dragons, en pointe d'avant-garde, s'est heurté à un escadron de Uhlans qui s'est dérobé vers l'est. Dans la forêt, à 500 mètres au-delà de la lisière, quelques Uhlans essaient encore de retarder l'escadron. Un kilomètre plus loin, nouveau heurt. Cette fois, la rencontre est sérieuse car de l'infanterie ennemie se déploie pour s'opposer à nos cavaliers qui se replient.

Il est près de huit heures; le 2e Bataillon du 1er R. I. C., qui marchait paisiblement en colonne de route derrière les dragons, s'engage à gauche et à droite de la chaussée, pour forcer le passage. En face, les Allemands se déploient plus vite encore, et engagent tout un régiment : le 157° R. I.

Une lutte atroce s'engage dans les sous-bois; les clairons sonnent et les Marsouins se lançant en avant, chargent à la baïonnette. Les Allemands, plus prudents, utilisent le terrain; des carrières et des levées de terre leur offrent des retranchements tout préparés. Leur feu est terriblement efficace et le bataillon du 1er R. I. C. subit d'effroyables pertes.

 

 

Les gros de la division ont serré sur l'avant-garde et piétinent aux lisières nord de Rossignol. Le général Montignault engage les deux autres bataillons du 1er R. I. C., le premier à cheval sur la route et le troisième à gauche de celle-ci pour tenter de passer.

Le front de la mêlée s'étend et nos Marsouins continuent à se faire décimer sans parvenir à déloger l'ennemi qui, pourtant, durement éprouvé, faiblit en son centre.

Le Général commandant la XIIe Division Silésienne, décide alors de déborder par l'ouest la résistance française. Pour ce faire, il engage, dès avant 9 heures, un régiment d'infanterie - le 63e - soutenu par un groupe d'artillerie, sur les layons de la forêt de Chiny qui débouchent au nord du village de Termes.

A l'est, la XIe Division qui progresse rapidement a des vues sur la cuvette Breuvannes-Rossignol où piétinent les gros de la 3e D. I. C. Son chef apprécie rapidement et sainement la situation et, sans désemparer, pousse ses forces sur Tintigny et Saint-Vincent pour couper la retraite de la colonne française engagée au nord de la Sémoy et qui ne dispose que du pont de Breuvannes pour se replier. Ce pont devient l'objectif prioritaire de l'artillerie de la XIe Division et Breuvannes est menacé par un bataillon de Grenadiers.

A Rossignol, le général Raffenel est trop engagé pour apprécier correctement la situation. A 11 heures, cherchant toujours à forcer le passage, il engage deux bataillons du 2e R. I. C. pour soutenir le 1er Régiment. Mais prudemment, il confie au général Rondony le soin d'organiser un centre de résistance à Rossignol; le bataillon du 2e R. I. C. non engagé dans la forêt et le 3e R. I. C. (qu'un officier de liaison est allé chercher au sud de Breuvannes où il doit se trouver, car il marche derrière l'artillerie divisionnaire arrêtée en colonne de route entre Breuvannes et Rossignol), assureront la défense du village.

Mais au sud de Breuvannes, le 3e R. I. C. est déjà aux prises avec l'ennemi qui débouche de Tintigny. Le Colonel commandant le régiment cherche à faire franchir la Semoy à gué à son 1er bataillon, à l'ouest de Breuvannes, pour le pousser sur Rossignol par les prairies. Mais ce bataillon est brutalement cloué au sol avant d'avoir atteint la rivière, par le détachement allemand qui, débouchant de la forêt de Chiny, vient d'Occuper Termes et !es hauteurs avoisinant ce village.

Pendant ce temps, l'artillerie de corps, puis le 7e R. I. C. sont arrivés un peu avant 10 heures à Saint-Vincent. Sans comprendre exactement ce qui se passe, le Colonel commandant le 7e R. I. C. se rend compte que l'ennemi occupe Tintigny et progresse vers Saint-Vincent. En accord avec le général Lefèvre, dont le P. C. vient de s'installer dans ce dernier village, le 7e R. I. C. se déploie pour s'opposer à la progression de la 22e Brigade de la XIe Division qui menace les arrières de la 3e D. I. C.

Ainsi, à midi, une furieuse bataille est engagée depuis la lisière des forêts au nord de Rossignol et la ferme du Chesnois située au sud de la route de Jamoigne à Tintigny. Coupée en trois tronçons qui mènent chacun un combat singulier, la 3e D. I. C. est dans une situation dramatique.

La 1re Brigade, un bataillon du 3e R. I. C. qui a réussi à rejoindre Rossignol en se faufilant dans Breuvannes, l'artillerie divisionnaire sont pris dans une nasse. La seule issue, le pont de Breuvannes, est impraticable (le bruit court à l'avant qu'il est détruit). La chaussée entre Breuvannes et Rossignol traverse des prairies marécageuses infranchissables pour l'artillerie; la Semoy au sud, la Sivanne à l'est, sont des coupures difficiles à traverser sous le feu, même pour l'infanterie, que gênent aussi de nombreuses clôtures de fils de fer barbelés.

Le 3e R. I. C., cloué au sol sur la rive sud de la Semoy et aux lisières ouest de Mesnil-Breuvannes, dont un seul bataillon a réussi à se glisser dans Breuvannes et à rejoindre Rossignol, contient tant bien que mal l'ennemi et l'empêche de fermer la nasse. Le 3e Chasseur d'Afrique lutte aux côtés du 3e R. I. C.

Le 7e R. I. C., dans un combat à un contre deux, contient difficilement la 22e Brigade de la XIe Division qui cherche à couper toute voie de retraite aux Français en s'emparant de Saint-Vincent et peut-être de Jamoigne.

Derrière son 157e R.I., le Général commandant la XIIe D.I. a engagé ses deux derniers régiments d'infanterie et, méthodiquement, la progression allemande vers les lisières sud des forets de Chiny et de Neufchâteau commencée vers midi, se poursuit.

Décimés, les bataillons des 1er et 2e R. I. C. se replient en défendant chaque arbre et chaque buisson. Une ligne de résistance s'organise sur un mouvement de terrain à quelques centaines de mètres au sud des lisières. Ses occupants empêcheront l'ennemi de sortir des bois jusque vers 16 heures. Mais entre 16 et 17 heures, décimés, ayant épuisé la presque totalité de leurs munitions, les cinq bataillons engagés dans la forêt, réduits à quelques centaines d'hommes que commande une poignée d'officiers et de sous-officiers, se replient sur Rossignol.

Bien que Marsouins et Bigors, dignes héritiers de leurs anciens de Bazeilles, résistent jusqu'à l'extrême limite de leurs forces, l'ennemi réussit à se rendre maître du village avant la tombée de la nuit. De petits groupes et des isolés échappent à la capture et rejoignent le 3e R. I. C., ou les unités du 2e C. A., qui ont enfin atteint Bellefontaine dans l'après-midi.

Le général Lefèvre, qui a demandé à l'Armée de remettre la 2e D. I. C. a sa disposition, n'obtient satisfaction qu'en fin d'après-midi, vers dix-sept heures, alors que Rossignol agonise.

Toutefois, de sa propre initiative, le général Leblois, commandant cette division, a engagé le 22e R. I. C. dans une contre-attaque vers Termes. Au prix de lourdes pertes, ce régiment s'est emparé du village et a créé chez l'ennemi une panique grave qui retarde l'assaut final sur Rossignol et permet aux deux bataillons du 3e R. I. C. immobilisés sur la rive sud de la Semoy de se rétablir sur les hauteurs au nord de la route de Jamoigne à Tintigny.

Le 7e R. I. C., fortement éprouvé, perd pied en avant de Saint-Vincent et son Colonel ( Le colonel Mazillier, qui selon Gouraud avait sauvé Fez deux ans plus tôt et en 1918 sauvera Reims à la tête du 1er Corps d'Armée Colonial dont il est devenu le chef.) envisage son repli sur la ligne de crête qui domine Prouvy à l'ouest, à trois kilomètres de Saint-Vincent. Mais l'ennemi fait effort vers l'ouest et le Colonel commandant le 7e R. I. C. donne alors aux unités qu'il peut atteindre dans cette furieuse mêlée, l'ordre de se dérober vers le sud et de se regrouper à la lisière nord de la forêt de Merlanvaux.

Le général Lefèvre prescrit à la 2e D. I. C. de barrer la route de Tintigny à Jamoigne à hauteur de Prouvy, car l'ennemi pourrait également couper la retraite de la 5e Brigade qui se replie par l'itinéraire qu'elle a emprunté le matin.

A la tombée de la nuit, la bataille s'éteint. Epuisés et durement éprouvés, les deux divisions du VIe Corps Silésien sont incapables d'entamer une poursuite et bivouaquent sur les objectifs atteints : Rossignol, Tintigny et Saint-Vincent.

Ainsi, le 22 août 1914, les Marsouins et Bigors du Corps d'Armée Colonial écrivirent en ces lieux une page héroïque de l'histoire militaire de la France.

Lancés de façon intrépide dans une offensive contre un ennemi plus prudent et plus manœuvrier qui sut s'assurer partout la supériorité numérique au moment opportun, ils durent s'incliner. Mais ils le firent sans faillir à l'honneur et leur résistance héroïque dépasse le prodigieux.

Dans le malheur; comme leurs anciens de la Division Bleue du général de Vassoigne à Bazeilles, ils furent sublimes. Au soir de cette lutte épique, leur moral restait intact et quelques jours plus tard, sur la Marne, une grande victoire à laquelle ils participèrent d'ailleurs dans la région de Vitry-le-François, qui sauva la patrie et ses alliés, vint couronner tant de sacrifices.

DEUXIÈME PARTIE

 

En août 1914 - La Province du Luxembourg belge vit encore sinon dans la quiétude, tout au moins dans l'ignorance du drame qui se prépare. Sa population, sans doute déjà troublée par les rumeurs qui circulent et par les premiers départs des hommes mobilisés, vaque cependant à ses occupations. Sa campagne revêt le même aspect qu'aujourd'hui avec ses villages épars, ses prairies grasses et verdoyantes, ses forêts profondes dont le silence n'est troublé que par le bruit léger du vent dans les frondaisons.

C'est ce même paysage paisible qui va servir de cadre à la tragédie que nous venons de décrire et dont les actes divers portent les noms de Tintigny, Breuvannes, Rossignol, Neufchâteau.

 

TINTIGNY

 

C'est Tintigny qui constitue la première étape de notre pèlerinage. Située sur la rive sud de la Semois. cette localité est un nœud important de communication - elle est en effet traversée d'Ouest en Est par la route

Florenville-Arlon et du Sud au Nord par la route Gérouville-l'Eglise.

Son occupation permit au commandement allemand de réaliser aisément son attaque sur le flanc droit de la 3e D. I. C., attaque qui fut décisive pour l'issue de la bataille.

Tintigny ne fut donc pas le théâtre d'importants combats, le 2e C. A. n'ayant pu, hormis quelques éléments légers progresser vers le Nord au delà de Bellefontaine, mais sa population dont l'attitude patriotique exaspéra le commandement ennemi fut sauvagement éprouvée.

Le village fut soumis au tir systématique de l'artillerie allemande et fut totalement incendié. Quatre-vingt-treize habitants de la commune furent fusillés sous le faux prétexte qu'ils étaient des francs-tireurs.

 

BREUVANNES

 

De Tintigny gagnons Breuvannes sur la Semois qu'enjambe la route Saint - Vincent - Rossignol - Neufchâteau axe de marche de la 3e D. I. C.

La Semois large d'une quinzaine de mètres n'est pas très profonde mais ses berges grasses et marécageuses rendent impossible le passage en dehors de la route et du pont, des véhicules de toute nature. Quant à l'infanterie, sa traversée à gué est aléatoire et son déploiement le long de ses berges fort malaisé.

Ce pont que nous voyons devant nous était pour la 3e D. I. C. et pour son artillerie en particulier un point de passage obligé, aussi dès le début de la matinée va-t-il être soumis au tir incessant des batteries ennemies chargées d'en interdire le franchissement et de le détruire.

Dès 10 heures les projectiles s'abattent sur Breuvannes, les maisons s'écroulent, des débris de toutes natures viennent obstruer le pont qui devient infranchissable.

On imagine facilement ce que furent les scènes dont ce coin aujourd'hui tranquille fut le témoin; la ville en feu où s'abritaient les trains et les postes de secours, le pont et ses accès obstrués par des matériaux de toutes sortes; le 1er et le 2e Bataillons du 3e Régiment d'Infanterie Coloniale incapables de progresser et isolés dans la boucle de la Semois, les tentatives de franchissement à gué, et les hommes couverts de boue progressant sous le feu de l'ennemi qui de sa position, sur la rive Nord, domine cette partie du champ de bataille, les combats désespérés qui se déroulèrent dans l'après-midi aux abords de la crête 352.

 

ROSSIGNOL

 

Dirigeons nous sur Rossignol par cette route qu'à l'aube du 22 août 1914 les coloniaux de la 3e D. I. C., oubliant leurs fatigues et pleins d'enthousiasme, suivaient en une longue et insouciante colonne.

C'est ici dans ce cadre étroit et compartimenté que dans la soirée le drame que nous connaissons trouvera son dénouement.

STELE PSICHARI

A l'entrée Sud du village, sur le bord de la route, une modeste stèle attire notre attention. Elle a été élevée à l'emplacement où le lieutenant Psichari, chef de section au 2e Groupe du 2e R. A. C., trouva la mort d'un balle au front. L'auteur des " Voix qui crient dans le désert " et du " Voyage du Centurion " repose un peu plus loin au milieu de ses camarades à la Basilique forestière.

Lorsqu'au soir du 22 août les coloniaux des 1er et 2e R. I. C. retranchés dans Rossignol, eurent cessé le combat, les Allemands envahirent la localité tandis qu'un peu partout nombre de nos blessés étaient achevés sans pitié.

MAUSOLEE DE ROSSIGNOL

Le dimanche 23 août le feu est mis au village, le 25 août cent huit habitants de Rossignol dont une femme, sept de Breuvannes et cinq de Saint-Vincent, accusés faussement d'avoir tait le coup de feu sur des soldats allemands isolés, sont conduits à Arlon. Ils sont fusillés le 26, par groupe de dix, le long d'un talus dans des conditions particulièrement atroces.

Les restes de ces martyrs transférés solennellement à Rossignol en 1920 en présence de Sa Majesté le Roi Albert Ier reposent dans un mausolée devant lequel se déroule chaque année à l'occasion de notre pèlerinage une émouvante cérémonie suivie au cimetière d'une manifestation du souvenir au monument aux morts de la commune.

Au milieu du village s'élève le château de Rossignol, reste d'une ancienne forteresse féodale, qui fut dès les premiers jours de la guerre, grâce au concours de toute la population, aménagé en ambulance où les blessés furent soignés avec un admirable dévouement.

NECROPOLES FORESTIERES

Il nous faut quitter Rossignol où cependant nous aimerions évoquer plus longuement ce que furent ces moments tragiques et recueillir de la bouche même des habitants, encore jeunes enfants à l'époque, certains détails bien peu connus, mais c'est un peu plus loin que nous attend dans les profondeurs de la forêt la grande leçon d'héroïsme et de sacrifice total que nous sommes venus chercher.

En nous dirigeant vers Neufchâteau nous apercevons sur la gauche une piéta; en cet endroit appelé " Camp de la Misère " les Allemands parquèrent sans ménagements tous les hommes de Rossignol.

... Et voici la forêt. A son orée, s'élève le monument érigé à la gloire des Coloniaux, au carrefour des routes de Suxy et de Neufchâteau.

A gauche, le cimetière principal étage ses fosses communes et individuelles dans l'ombre et le silence, sous ce toit de verdure que portent les troncs centenaires, véritables piliers d'une basilique naturelle.

C'est là que reposent, dans ce cadre propre à la méditation, 2 589 des nôtres, héros en grand nombre inconnus, pour la plupart marsouins chevronnés, fidèles jusqu'à la mort à la règle qu'ils s'étaient donnés.

Quoi de plus émouvant que ce service religieux célébré à la lueur des torches dont la flamme tremblante anime ces lieux d'ombres irréelles et mystérieuses, que ces chants liturgiques répercutés dans le silence de la forêt obscure qui nous entoure, que cette atmosphère de silence et de recueillement si propre à la méditation.

Quel contraste avec ces paysages verdoyants que nous venons de traverser, avec cette nature inondée de soleil et de lumière où vit paisible et heureux un peuple libre.

N'est-ce pas le sacrifice de ceux qui reposent ici qui a permis cette vie toute proche ? N'est-ce pas grâce à de tels exemples que se transmettent de génération en génération les vertus que nous sommes venus affermir en nous et qui sont le garant de notre indépendance et de la vie lumineuse et fière que nous voulons pour nos enfants ?

Aussi ne nous laissons pas accabler par la tristesse de ces lieux. Sachons élever nos pensées au delà de ce champ de repos. Puisons en ce dialogue avec nos morts une foi nouvelle et une pleine confiance en la vie. Quittons-les, plus forts, plus assurés de nous-mêmes, rassérénés par cette grande leçon qu'ils nous ont si bien fait comprendre aujourd'hui.

Arrêtons-nous un moment à cet autre cimetière situé à quelques centaines de mètres plus loin où reposent dans un cadre semblable 470 combattants de la 3e D. I. C. et 146 allemands.

Parcourons cette forêt où se livrèrent tant de farouches combats puis dirigeons-nous vers Neufchâteau qui à l'aube du 22 août 1914, dans les ordres comme dans les esprits, concrétisait le cantonnement du soir, le repos et le délassement du guerrier.

 

NEUFCHATEAU

 

A dernière étape de notre pèlerinage sera ce petit cimetière situé à un kilomètre au sud-ouest de la ville où dorment quatre cents coloniaux de la brigade Goulet parvenue à quelques centaines de mètres de l'entrée de la ville sans pouvoir y pénétrer.

Evoquons les lieux tout proches où nous les avons vu lutter farouchement contre un ennemi considérablement supérieur en nombre :

- le bois d'Ospot, le ruisseau de Neufchâteau, la route où s'accrocha désespérément le lieutenant Legentilhomme avec son unique mitrailleuse, le village de Montplainchamp...

- plus loin sur le plateau, les bois de Basse Heneau...

Ainsi dans ce cadre lumineux des Ardennes belges se présentent à notre pensée les marsouins du 21e et du 23e R. I. C. tels que nous nous les représentons, soldats de métier au verbe coloré, facilement gouailleurs, soldats sûrs, fidèles et dévoués à leurs chefs, pétris dans un ensemble qui avait nom " la Coloniale ", imbus de traditions prestigieuses dont nous sommes les héritiers, soldats à qui il suffisait de dire " En avant " pour les voir s'enlever en un élan magnifique sous le feu le plus meurtrier.

L'heure est venue de nous séparer non sans avoir rendu un ultime hommage aux victimes civiles de Neufchâteau qui furent massacrées par l'ennemi au cours de ces journées.

Après avoir pris congé des autorités civiles et militaires locales et les avoir remerciées de leur chaleureux accueil nous reprenons la direction de la France également dominés par ce sentiment apaisant d'avoir accompli un devoir sacré et par cette vivifiante impression de grandeur et de force qui exalte notre foi en l'avenir.

 

Ernest Psichari au cours d'une reconnaissance en Mauritanie s'arrêta un jour devant une stèle élevée à la mémoire des soldats d'un détachement massacré par six cents guerriers maures en octobre 1906, après un héroïque combat.

Dans son livre " Les voix qui crient dans le désert " après avoir conté les péripéties de cet engagement, il écrit :

 

" Il reste de cette journée de sang l'humble monument que de rares passants viennent saluer. Mais ceux-là du moins y viennent demander un secours. Ces pèlerins-là ont des âmes tremblantes devant la France. Accablés d'amour au souvenir de la Patrie ils murmurent " Oh ! être digne d'elle !"

Et cette ardente supplication qu'ils traînent éternellement avec eux."

 

Pèlerins d'aujourd'hui, comme ces Coloniaux errants qui au hasard de leurs randonnées découvrent en maints endroits le témoignage des faits d'armes et des actes d'héroïsme de leurs anciens, bouleversés par tant de grandeur nous évoquons avec passion l'image de la Patrie dont l'amour a suscité ces immenses sacrifices.

Comme eux nous nous posons la même ardente question " Saurais-je être digne ?, question à laquelle chacun de nous, l'âme affermie par tant d'exemples saura, comme Psichari le 22 août 1914, trouver dans le plus profond de son être, la réponse.

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