L'AVIATION ALLEMANDE BOMBARDE PARIS, EN AOÛT ET SEPTEMBRE 1914

Ce texte est emprunté au livre de Jean Hallade "1914-1918, de l'Aisne on bombardait Paris"

 

Ce sont quelques biplan "Farman" de reconnaissance qui signaleront à notre Etat-Major quelques jours avant la bataille de la Marne, le glissement de l'armée de von Kluck sur la gauche et feront prendre, du côté français, des décisions importantes pour la suite des opérations.

En cette fin de la deuxième quinzaine du mois d'août, des avions aux croix noires, des croix de Malte, des monoplans Rumpler " Taube " atterrissent sur un terrain près de Saint-Quentin et s'y installent.

Parmi les pilotes de ce 11e groupe, un jeune lieutenant, déjà pilote chevronné : von Hiddessen. Depuis 1912, cet aviateur a participé à la poste aérienne sur le Rhin et c'est peut-être son habitude des vols à grande distance qui va le faire désigner pour une mission particulière de la guerre psychologique. Le soir du samedi 29 août, il reçoit l'ordre du commandant de groupe de survoler Paris le lendemain. La mission est de repérer d'éventuels mouvements de troupes mais aussi de jeter quelques bombes, des paquets de tracts et une longue banderole aux couleurs allemandes.

Ce vol ne peut avoir aucune signification militaire car les bombes sont trop petites et les avions n'ont pas encore à l'époque d'appareil de visée, il est surtout d'une importance psychologique avec pour but, la démoralisation des arrières du front en touchant les civils avant une bataille militaire que les Allemands pensent être décisive devant la capitale.

Au matin du dimanche 30 août, le terrain d'aviation et la région saint-quentinoise sont recouverts par un épais brouillard. Impossible de décoller, mais ce brouillard annonce une belle journée et tout à l'heure, le soleil brillera. Sur le terrain, le " Taube " avec son chargement attend bien sagement.

 

En route vers Paris...

 

Vers 10 heures, le ciel se dégage et le soleil commence à percer la brume. Il est un peu plus de 11 heures quand le lieutenant von Hiddessen et son observateur décollent leur monoplan du terrain, sous les regards des camarades d'escadrille venus leur souhaiter bonne chance.

A midi vingt, un moteur ronfle bruyamment dans le ciel de Paris. C'est le premier avion allemand qui survole la capitale. Voici les impressions que rapportera von Niddessen de son raid sur Paris.

" Je partis avec mon observateur et nous atteignîmes, sous quelques coups de feu, la banlieue et la ceinture de fortifications de Paris aux environs de midi. De l'altitude où nous volions, nous avions une vue superbe de la jolie ville qui s'étendait sous nous, en plein soleil. Nous connaissions Paris pour avoir visité deux expositions d'aviation et nous savions la richesse de son histoire, de sa culture et de ses monuments.

" Pour éviter des pertes parmi la population civile, nous avions reçu l'ordre d'emporter les plus petites bombes, d'environ 2 kilos. Elles n'avaient presque pas d'efficacité, mais elles faisaient énormément de bruit. Seul, le moral de la population pouvait être influencé par ce raid, et peut-être pouvait-on espérer faire déclarer Paris ville ouverte, vu l'état de la vétusté de ses fortifications.

" La population était nombreuse dans les grandes rues et sur les places par ce beau jour d'un été tardif. Il n'y avait aucune panique, les habitants paraissaient tranquilles et ils regardaient en l'air.

" Après avoir survolé la ville pendant environ une demi-heure, mon observateur me rappela notre ordre. Il me désigna une région où les rues étaient étroites, les places petites, et où il y avait peu de monde. C'est à cet endroit qu'il lança, à de courts intervalles, les bombes et tracts par dessus bord.

" C'était une impression pénible d'autant plus que nous n'avions remarqué aucune bataille ni aucune défense. "

Si cette incursion d'un aéroplane ennemi dans le ciel de Paris fut la première du genre, elle marque aussi le premier bombardement aérien de la capitale.

Il est exactement midi quarante-cinq lorsque le premier projectile est lancé de l'avion allemand qui survole Paris à une hauteur estimée a un peu moins de 1 000 mètres. Une violente explosion retentit au 39, rue des Vinaigriers, au coin de la rue Albouy, à côté d'une boulangerie dont la vitrine vole en éclats tandis qu'une épaisse fumée noire se répand dans la rue. Quelques instants plus tard, un second projectile tombe en face du numéro 66 de la rue des Marais devant un magasin, non loin du boulevard Magenta. Là aussi, quelques vitres sont également brisées par l'explosion.

Une troisième bombe tombe dans la cour de l'immeuble situé 107, quai de Valmy, devant un asile de nuit dont les vitres volent en morceaux. Il y a deux femmes très légèrement blessées que, pour la forme, on conduit à l'hôpital Saint-Louis.

Enfin une quatrième bombe tombe rue des Recollets, sur la toiture vitrée d'une cour intérieure. Elle n'éclate pas et on retrouve un engin d'une vingtaine de centimètres de haut, en forme de poire, sans empennage, chargé de poudre et de shrapnels.

Le " Taube " tourne toujours dans le ciel de Paris. Les deux aviateurs allemands ayant épuisé leurs munitions, lancent une oriflamme aux couleurs allemandes, longue de deux mètres cinquante, à laquelle est attachée une pochette en caoutchouc contenant du sable pour faire le poids et entraîner le drapeau vers le sol.

A cette pochette lestée, est fixée une enveloppe contenant une lettre disant : " L'armée allemande est aux portes de Paris, vous n'avez plus qu'à vous rendre ".

Longtemps, dans les différents récits faits sur cette première attaque aérienne de Paris, il n'a été question que des quatre bombes et de l'oriflamme sans jamais parler des nombreux tracts qui furent lancés en même temps.

Ce n'est pas un seul " avis " que jeta von Hiddessen, mais bien de nombreux tracts que l'équipage déversa par dessus bord. L'avis était le même que celui accompagnant l'oriflamme et signé : Lieutenant von Hiddessen. Première campagne de démoralisation des arrières, au cours de cette guerre, par la voie aérienne...

L'oriflamme est recueillie. Elle est transportée à la Préfecture de Paris dans le cabinet de M. Hennion et par un temps toujours très beau, l'avion allemand quitte le ciel de la capitale. Deux heures plus tard, après un vol sans histoire, le " Taube " repasse le front et se pose sur son terrain de départ parmi les applaudissements des compagnons du Lieutenant von Hiddessen, présents à leur retour.

Comme ce 30 août 1914 est un dimanche, un public considérable ne cesse de circuler durant l'après-midi autour du théâtre des explosions. Rue des Vinaigriers, notamment, la foule est très dense. On se montre les éraflures que les éclats ont produit sur les pierres des immeubles avoisinants, à plusieurs mètres de l'endroit où la bombe a creusé un trou dans le sol.

Cette promenade agressive du premier avion allemand dans le ciel de Paris, loin d'affoler la population, avait excité sa badauderie en lui faisant choisir pour but de promenade dominicale les points de chutes des bombes. Cela changera avec la venue des " Zeppelins ", plus tard des " Gothas " et enfin des obus...

Les autres raids

 

Deux jours plus tard, le 1er septembre, un autre " Taube " rend visite à Paris. Quatre rues reçoivent des bombes et avec ce second raid les premières victimes. Une bombe tombe au 1 , rue de Moscou et fait deux morts et dix blessés. La deuxième explose 37, rue de la Condamine où il y a un mort et six blessés. Deux autres bombes sont encore jetées sans faire de victime.

Malgré les premiers tués et pensant, suivant la théorie bien connue " que se faire tuer par un " Taube ", cela n'arrive qu'aux autres ", les Parisiens sont davantage dominés par la curiosité que par un sentiment de frayeur. Ils sortent armés de jumelles et s'installent sur les bancs des squares et des boulevards pour attendre les assaillants.

On fait même mieux ! Les points élevés de Paris sont envahis et sur la butte de Montmartre on loue des chaises et des longues-vues pour attendre l'apparition dans le ciel des " Taubes quotidiens ".

Effectivement, en ce mercredi 2 septembre, un premier avion allemand aux grandes croix de fer noires peintes sur et sous les ailes apparaît, du côté de Neuilly, vers cinq heures du soir. Il passe non loin de la Tour Eiffel, fait un crochet au-dessus de la place Denfert et après avoir approché la cathédrale Notre-Dame s'éloigne vers l'est.

Un second " Taube " est aperçu, un peu avant 18 heures, sur la droite de Saint-Denis et approche Paris vers la Porte de la Chapelle en direction de la rue des Poissonniers, tourne au-dessus de la basilique du Sacré-Coeur, pousse jusqu'au Louvres et sort du ciel de Paris en survolant les abattoirs et de nouveau la Porte de la Chapelle.

Un troisième avion, vers la même heure, arrive par l'est de Paris et fait des crochets, à une assez grande hauteur, entre la butte de Montmartre et Belleville puis s'éloigne.

Ces trois avions n'ont pas tous jeté des bombes sur Paris. On signale seulement quatre points de chute qui font un mort et trois blessés. En prenant le chemin du retour, ces avions larguent leurs trois dernières bombes rue Ferragues à Aubervilliers, dans un champ près de cette ville et la troisième sur la gare de marchandises de la Plaine Saint-Denis.

Une curieuse histoire, faisant probablement partie des légendes circulant à cette époque mouvementée, se déroule dans l'après-midi du mardi 8 septembre vers 17 heures. En cet instant, plusieurs avions allemands - " Taube " ou autres avions - survolent la région parisienne sans lâcher de bombes. Peut-être viennent-ils voir le déroulement de la bataille et les armées allemandes approcher de Paris ? L'un d'eux, après avoir survolé Raincy, arrive en vue du fort de Chelles où un régiment d'infanterie y stationne. Tout le régiment tire, au fusil, un feu de salve sur l'avion qui, réservoir d'essence crevé, se voit contraint de descendre en vol plané entre le fort de Chelles et le village de Bron. L'avion vient - parait-il se poser en plein dans un chantier où des ouvriers terrassiers sont occupés à creuser des tranchées autour du camp de Paris car les armées de von Kluck et von Bülow avancent toujours vers la capitale où l'on se prépare à la bataille.

Le pilote, un officier allemand, saute de son appareil, décharge son revolver en direction des ouvriers qui, pioches dans les mains, se ruent sur lui et l'exécutent sur le champ à coups de pioches. Nous n'avons retrouvé aucune trace officielle de cet événement qui tient certainement davantage à la légende qu'à l'histoire.

Si l'on sait de façon certaine que le premier avion venu dans le ciel de la capitale le dimanche 30 août 1914 a décollé d'un terrain de l'Aisne, prés de Saint-Quentin, les autres raids sont-ils partis de prairies du sud de l'Aisne ? C'est très probable, ce chemin aérien étant la distance la plus courte pour gagner la capitale.

Les dernières visites aériennes

 

Quinze jours après leur retraite sur le nouveau front, l'aviation allemande reprend ses incursions sur Paris. Elle revient le 27 septembre 1914 sans faire beaucoup de dégâts. Trois attaques seront encore faites en octobre, les 8, 11 et 12 de ce mois toujours sans grands résultats. Ce 12 octobre sera la dernière visite de ces premiers mois de guerre. On compte neuf tués et cinquante-trois blessés pour ces trois mois de raids aériens sur la capitale et sa banlieue.

La visite des avions ennemis sur Paris ne reprend qu'en mai 1915, les 11 , 12, 24 et 28 de ce beau mois de printemps après le dur hiver que les fantassins des deux camps ont passé, à barboter, dans la boue des tranchées.

La dernière attaque se situe le lundi 27 juillet 1915. Si les avions n'ont guère évolué, il y a en cette journée une nouveauté dans le domaine des projectiles. Des torpilles de 10 kilos tombent près de la gare de la Chapelle, à Saint-Denis et au Bourget. Ce sont là les mêmes armes employées depuis le bombardement du 30 août 1914. Par contre, et pour la première fois, des bombes de 50, et une de 100 kilos, sont larguées. Quatre torpilles de 50 kilos sont jetées sur la Courneuve et deux dans les champs proches du Bourget. Par chance, il n'y a aucune victime. Celle de 100 kilos s'écrase au 50, avenue de Paris, à Saint-Denis... et n'éclate pas. Elle est désamorcée. C'est une mine empennée d'un poids de 100 kilos qui ressemble davantage à un bricolage artisanal qu'à une construction en série. Plus tard viendront d'autres bombes du même poids mais parfaitement adaptés au bombardement aérien.

Deux ans et demi vont passer avant que des avions allemands reviennent sur Paris. Si la première visite des nouveaux bombardiers allemands n'aura lieu qu'en janvier 1918, la capitale sera attaquée avec les " Zeppelins " par deux fois en 1916...

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