LA FERME DE NOGEON, LE DRAPEAU ENNEMI

Merci à Marc Patiou, qui nous a transmis ce texte, cité par Alain Malinowski dans "Histoforums, Première Guerre Mondiale".

Prise d’un drapeau ennemi par le Sous-Lieutenant de Réserve Colin, du 60e R.I.

(Exécution de la note de la 14e D.I. N° 1098/1 en date du 4 Mars 1919)

 

Le 7 septembre 1914, à la tombée de la nuit, après le combat livré dans la journée, dans la zone de Bouillancy-Acy-en-Multien, l’ordre d’opérations prescrivait, d’une manière générale pour l’armée de Paris, de poursuivre l’offensive dans la direction de l’Ourcq, et, pour le 60e R.I., vers Vincy-Manoeuvre par la ferme Nogeon.

A cet effet, le Régiment réduit par les pertes des journées précédentes à 6 Compagnies, sous le commandement du Chef de bataillon De Pirey, se portait sur la ferme Nogeon.

Après entente avec le commandant du Régiment de réserve voisin, une attaque de nuit devait être menée de concert par les deux régiments contre l’ennemi établi au Sud de la ferme, à cheval sur la route de Vincy.

Pendant la mise en place préparatoire à l’attaque des unités du 60e, une compagnie, (la 1e, Commandant, Lt Kah ), était porté en avant-garde au Sud de la ferme, un peu à l’ouest de la route de Vincy : 3 sections déployées, celle du lieutenant Colin, au centre, s’arrêtait à 300 m. environ de la ferme, la gauche appuyée à la route. Cette ligne déployée avait dépassé, en se portant en avant, une section du 298e déjà placée en avance avant l’arrivée du 60e. Une partie de la ferme Nogeon, (la Râperie) incendiée dans la journée par les obus, continuait à brûler et éclairait au Sud, à une certaine distance, le terrain d’action. De la position d’arrêt, où les sections de la 1ère Cie s’étaient couchées, dans un champ de betteraves à la limite d’un champ de blé, on apercevait des taches sombres mobiles à 3 ou 400 mètres en avant ; on entendait des commandements en allemand et surtout, on percevait à plusieurs reprises la sonnerie : "baïonnette au canon pour la charge". Cette sonnerie était très nettement reconnue par un soldat alsacien (Schwander) de la section Colin, qui en fit part à cet officier. A la lueur de l’incendie, on remarquait dans un groupe ennemi une sorte d’étendard dont la couleur paraissait brune et nettement rayée par une large croix noire. Quelques instants après , on distingua les mouvements en avant des sections en ordre dense et le Lt Colin fit exécuter alors un ou deux feux par salve.

Malgré cette rafale , la ligne allemande continuait à avancer, excitée par ses officiers, et on entendait distinctement crier en français à diverses reprises : " amis anglais, ne tirez pas !"

S’étant approché de 50 à 60 mètres environ, et après avoir subi un nouveau feu de la 1ère Cie, la ligne ennemie, sur un signal, se coucha sans tirer et l'on vit distinctement en arrière, tout près, une section qui faisait de son côté la même sommation, la ligne de la 1ère Cie enlevée par le Lt Colin se porta en avant à la baïonnette jusqu’au corps à corps.

A ce moment, le Lt Colin ayant auprès de lui les soldats : Bouchacourt, Coulet, et Schwander, Buette, Perdrix et Boutrand, se trouva face à face avec l’officier allemand, qui, à demi soulevé de terre au milieu de sa section couchée, maintenait sous lui un drapeau, et cherchait à se défendre avec son revolver dont une balle blessa à la main le soldat Coulet.

Le soldat Perdrix, à la gauche du Lt Colin, dans un mouvement rapide comme l’éclair, transperça d’un coup de baïonnette le casque et la tête de l’officier allemand, en même temps que le Lt Colin, armé de son sabre, le lui enfonçait dans la poitrine et saisissait ensuite, de la main gauche, le drapeau étendu à terre ne sachant exactement si c’était un drapeau ou un fanion. Il le passa alors de la main gauche, sans quitter des yeux son adversaire, à l’homme immédiatement derrière lui et qu’il croyait être un soldat de sa section. Dans la ruée en avant, quelques hommes de la section du 298e qui étaient restés en arrière de la section Colin, avaient rejoint cette dernière et s’étaient mélangés à elle. Un soldat du 298e, nommé Guillemard, reçut le drapeau passé par le Lt Colin et refusa de le rendre au soldat du 60e qui le lui réclamait avec de vives protestations. Ce soldat se sauva précipitamment en arrière vers la ferme Nogeon entouré de quelques hommes de son régiment qui se retiraient en désordre en poussant des cris de joie, clameurs insolites mêlées à une vive fusillade et que le Colonel Bourquin, Cdt la 27e Brigade entendait en arrivant vers 20 heures à la ferme Nogeon.

A la suite de cet assaut, la ligne ennemie menacée sur sa droite par des groupes, notamment une section du génie qui la débordait, et soumise à des feux partant de divers côtés, commença sa retraite sans avoir pu faire usage de ses mitrailleuses et se replia sans précipitation vers ses tranchées, en chantant en cœur le "Wacht Am Rhein", pendant que les officiers sonnaient de la corne pour le ralliement.

Après le rétablissement de l’ordre, les sections de la 1ère Cie restaient sur le front occupé, y passaient la nuit en avant-poste de combat, jusqu’à la reprise de la bataille, le 8, à 3 heures du matin.

Le Commandant de Pirey avait été blessé vers 22 heures d’une balle qui lui avait traversé la jambe droite, et avait passé le commandement au Capitaine Doillon. Transporté à la ferme Nogeon, il se faisait panser, quand vers minuit, le sous-lieutenant Colin vint le trouver et lui raconta la prise du drapeau par lui-même et sa section, et l’incident avec le 298e. Le Commandant De Pirey avant d’être évacué, consigna en quelques mots le compte-rendu du Lt Colin, signa, et data le papier qui est encore entre les mains de la famille Colin, et dit au Lieutenant de faire un rapport dès le lendemain à son Commandant de Cie et au Cdt de Régiment. Par suite de la continuation de la bataille, de la poursuite qui dura plusieurs jours, de la mort du Lt Colin tué à Autreches, le 17 septembre 1914, ce fait ne fut connu que tardivement. Pendant ce temps, le soldat Guillemard présentait le drapeau comme pris par lui et recevait la Médaille Militaire, et le Drapeau du 298e était décoré de la Légion d’Honneur.

Pourtant, de cet exposé, dont les détails sont certifiés par de nombreux témoignages écrits, et quelques témoins encore présents : Perdrix, Boutrand, le Colonel de Pirey, il résulte que le drapeau du 36e R.I. allemand a été pris par le 60eR.I.

Toutes les demandes tardives, (rapports du Colonel Bourquin, en date du 15 novembre 1914 au Général de Villaret, et au Général Vauthier, réponse de ces deux officiers généraux en date des 17 novembre et 1er décembre 1914) tendant à faire rectifier cette regrettable erreur, se sont heurtées à un fait acquis, sur lequel il n’a pas été possible au commandement de revenir, mais l’honneur et le bénéfice de la capture de ce trophée, auraient dû appartenir à ses auteurs : le Lieutenant Colin, le soldat Perdrix, de le 2e section de la 1ère Compagnie et au 60e Régiment d’Infanterie.

TÉMOINS : soldat Bouchacourt Pierre, soldat Coulet Aimé, caporal Schwander, soldat Buette Louis, soldat Perdrix de le 1ère Compagnie du 60e Régiment d’Infanterie

Besançon, le 30 Mai 1919

 

Le Colonel de Pirey, Commandant le 60e R.I.

signé : " G. de Pirey. "

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