LA RELATION MARECHAL FRENCH - GENERAL LANREZAC

Beaucoup d'historiens attribuent à leurs relations, suite à la première rencontre, du 17 août 1914, entre le Maréchal French et le Général Lanrezac, les conséquences néfastes de la suite des événements de la fin août 1914. En particulier, le refus britannique de participer, après les combats de Solesmes et du Cateau, aux combats de Guise - Saint-Quentin, à la gauche de la 5ème Armée, pourrait trouver son origine dans le doute du maréchal dans les capacités des généraux français.

Le Maréchal French avait, à priori, confiance dans les déclarations du Général Joffre et de son entourage sur la pertinence du plan XVII et la conviction que les Allemands seraient piégés en Belgique et que de toute façon ils ne dépasseraient pas la vallée de la Meuse. Les événements allaient rapidement le convaincre que le Grand Etat-Major Français n'avait pas analysé avec objectivité la situation et que la place de l'Armée Britannique, à l'extrême ouest du dispositif allié n'allait pas être de tout repos !

Cette prise de conscience des erreurs d'analyse du Grand Etat-Major Français est postérieur à sa négative rencontre avec le Général Lanrezac, dont les qualités militaires étaient connues et dont la réputation était bien établie. Plusieurs versions existent de cette rencontre, celle qui est présentée ci-après est extraite du livre de Messieurs Georges Beau et Léopold Gaubusseau, sous le titre "En août 1914 Lanrezac a-t-il sauvé la France ?", publié, semble-t-il aux Presses de la Cité dans les années 50. Merci à la personne qui nous a transmis cet extrait.

 

16 août. " J'ai été désigné le 16 août, raconte le capitaine Heilbronner, avec le capitaine Fagalde, lorsqu'on a distribué les missions de liaison entre les officiers des 2e et 3e bureaux chargés de faire la liaison entre le Q. G. de la Ve armée et le Q.G. britannique et les généraux des corps d'armée anglais. Spears nous a été adjoint le soir même.

" Le même jour, je fus envoyé avec Spears pour saluer le maréchal French. Je me présentai au colonel Huguet, chef de la mission militaire française, qui me reçut froidement et sur ma demande de me présenter au maréchal French et à ses généraux, me répondit " que c'était inutile, que je n'avais qu'à lui transmettre les rapports de la Ve armée ".

" Ayant reçu du général Lanrezac et du général Hély d'Oissel l'ordre de me présenter aux généraux alliés, je demandai au lieutenant Spears de m'introduire auprès du chef d'état-major britannique. Celui-ci était absent ; seul le quartier maître général (sous-chef d'état-major) le général Wilson accompagnait le lieutenant Spears. Ce dernier me présenta au général Wilson qui m'accueillit avec la plus grande amabilité (je l'ai revu souvent en 1914, 1915, 1919; il a toujours été charmant pour moi). Il me présenta alors au maréchal French qui était dans sa chambre à coucher et me reçut très courtoisement.

" J'ai rendu compte en rentrant à notre Q. G. de la façon don j'avais été accueilli; j'ai reçu alors l'ordre de ne plus faire la liaison qu'avec les officiers anglais. ......

....... 17 août. Les communiqués français annoncent : continuation de nos succès dans la vallée des Vosges. Les Allemands se replient en grand désordre vers Strasbourg, laissant entre nos mains une quantité énorme de matériel. En Lorraine et en Alsace nos troupes ont dépassé en moyenne de 10 à 20 kilomètres la ligne frontière.

Joffre qui a cru jusqu'au 15 août que la menace allemande au nord de la Sambre est à lointaine échéance, n'est pas entièrement convaincu du contraire quand il reçoit sir John French, le 17. Il remet au chef du corps expéditionnaire britannique une note contenant toujours le même leitmotiv sur l'impossibilité, pour les Allemands, de déboucher à l'ouest de la Meuse.

" 1° L'ennemi, dit cette note, semble porter son principal effort du côté de sa droite et de son centre en développant deux attaques, l'une au nord de Givet, l'autre sur le front de Sedan-Montmédy-Damvillers. Au sud de Metz il paraît se tenir sur la défensive.

" 2° Le général Lanrezac a reçu mission d'opérer contre le groupe allemand du nord de concert avec les deux armées anglaise et belge... "

La suite de la note laisse croire à French que Lanrezac le protège et qu'il n'aura rien à redouter : " L'armée anglaise se trouverait à gauche de la Ve armée si notre aile gauche était amenée à déboucher vers le nord ou en échelon refusé (C'est-à-dire légèrement en arrière, en escalier) à gauche si cette armée se dirigeait plus à l'est. "

Dans la conversation, Joffre expose au maréchal French son idée fixe que la menace allemande au nord de la Sambre est loin d'être certaine et que l'hypothèse la plus vraisemblable est une attaque ennemie vers Givet et légèrement au nord sur la Meuse. French qui a reçu des instructions secrètes de son gouvernement lui recommandant de conserver son armée intacte, en l'exposant le moins possible, est heureux d'entendre Joffre poursuivre : " Dans tous les cas, le corps de cavalerie Sordet couvrirait au nord de la Sambre le mouvement de l'armée anglaise. La cavalerie anglaise pourrait opérer de concert avec le corps Sordet. Quand l'ennemi arriverait à son contact, le corps de cavalerie se porterait à gauche de l'armée anglaise. "

Le général Berthelot éprouve le besoin de surenchérir en chantant les louanges de Lanrezac . " Lanrezac est un véritable lion. C'est notre meilleur stratège, notre plus habile manœuvrier et il possède au plus haut degré l'esprit offensif. A sa gauche, il n'y a rien à craindre. "

Selon un témoin, voici ce qui aurait été dit à French au G. Q. G. pendant le déjeuner auquel l'avait convié Joffre : " La victoire sera facile parce que Anglais, Belges et Français réunis possèdent une énorme supériorité numérique. Si Lanrezac a demandé l'autorisation de faire remonter son armée sur la Sambre, c'est parce qu'il sait bien que les Allemands n'ont rien de prêt de ce côté. Il veut cueillir tous les lauriers et si vous ne vous hâtez pas, monsieur le Maréchal, il ne vous en laissera aucun. "

Quoi qu'il en soit, sir John quitte Vitry-le-François le cœur léger. Il décide de passer par Rethel pour y saluer le premier " le lion Lanrezac ". Le maréchal trouve élégant de faire ce premier pas à l'intention du général.

Cette journée d'août est brûlante. Le maréchal en tenue impeccable surprend le général au travail. Ce dernier a si chaud qu'il a dégrafé son col, déboutonné son dolman. Le maréchal anglais est choqué : il trouve le général vraiment débraillé. La conversation s'engage difficilement. Le général Wilson, chef d'état-major anglais, tient le rôle d'interprète. Dès les premiers mots échangés entre les deux chefs, French devine que Lanrezac ne voit pas la réalité avec des yeux aussi naïvement optimistes que les officiers du G. Q. G. Il s'approche de la grande carte murale et demande au général français où il suppose que se trouvent les gros ennemis. Ce dernier indique des positions qui sont bien plus proches que celles que lui avait désignées Joffre. French est perplexe. Qui doit-il croire ? A tout hasard il pose son index à égale distance de Liège et de Namur, exactement à Huy. Mais le mot est imprononçable pour une bouche anglaise et il demande à Lanrezac s'il croit que les Allemand ont l'intention de passer la Meuse... " là ". C'est au tour de Lanrezac de regarder French d'un air ahuri et soudain il devient écarlate. Le maréchal anglais se moquerait-il de lui ? Dans d'aussi tragiques circonstances, la plaisanterie dépasserait les limites permises : il y a, en effet, vingt-quatre heures que la cavalerie allemande a précisément traversé la rivière à Huy. French rougit à son tour et ne trouve à l'annonce de cette nouvelle inattendue, qu'un seul mot à dire, le seul mot peut-être qu'il eût fallu éviter : " Pourquoi ? ".

Certains auteurs ont prétendu que Lanrezac aurait répondu à cette question saugrenue par une impertinence : " Mais voyons, pour pêcher à la ligne ! " Des témoins dignes de foi, qui vivent encore, affirment que c'est absolument faux. Ce n'est que le soir, en dînant avec les officiers de son état-major et leur racontant la scène en riant que Lanrezac ajouta : " J'avais envie de lui répondre que si les Allemands avaient franchi la Meuse à Huy, c'était pour y pêcher à la ligne ! "

French, conscient des deux gaffes qu'il avait commises sentait confusément qu'il avait perdu la face devant le général français. Celui-ci n'avait pas eu besoin de prononcer un seul mot. Son silence avait suffi. Et le maréchal anglais ne pardonna jamais à Lanrezac d'avoir été témoin de son manque de perspicacité.

D'ailleurs les deux chefs militaires n'éprouvaient pas l'un pour l'autre cette sympathie qui permet d'atténuer les heurts inévitables. Le maréchal French trouvait que le général Lanrezac le traitait trop d'égal à égal. Ce dernier a nettement dit ce qu'il pensait. Il a été poli mais assez froid. Tout à son affaire, il n'a pas invité le chef du corps expéditionnaire anglais à prendre le thé et, plus tard, alors que la retraite battra son plein, il n'acceptera pas le repas que French fera préparer à Saint-Quentin.

Il faut toutefois préciser que si les relations entre les deux chefs n'étaient pas réellement cordiales, elles n'étaient pas tendues. Les deux chefs d'états-majors alliés, le général Wilson et le général Hély d'Oissel, entretenaient d'excellents rapports.

Ce même jour, 17 août, à 20 heures, Joffre envoie à Lanrezac le message téléphoné suivant :

" Il est urgent que le corps de cavalerie remplisse la mission qui lui a été assignée hier (Couvrir l'armée anglaise au nord de la Sambre). Bruxelles s'affole et le gouvernement se retire à Anvers. Il faut éviter à tout prix que l'armée belge suive ce mouvement. Par suite, il est indispensable que le corps de cavalerie prenne liaison avec elle. "

Comment le généralissime français peut-il penser qu'un corps de cavalerie à trois divisions peut arrêter et tenir tête aux trois premières armées allemandes alors que l'armée belge, composée d'infanterie, de cavalerie et d'artillerie, est bousculée, laminée ? Le renfort du corps de cavalerie Sordet c'est un litre d'eau dans la mer.

La malchance poursuit Sordet. En poussant vers Fleurus, pour attaquer une masse de cavalerie ennemie signalée dans la région de Ramillies, ses troupes sont prises sous le feu d'une brigade d'infanterie belge qui se trouve sur sa gauche. Des chevaux sont tués. Après cela, la brigade belge, sans avertissement, se retire vers l'ouest et disparaît. Sordet est alors obligé de se mettre à l'abri derrière le canal de Charleroi à Bruxelles.

18 août. Dans l'après-midi, Lanrezac reçoit du généralissime l'instruction dont voici le texte :

" Les IIIe, IVe, Ve armées françaises, agissant de concert avec les armées anglaise et belge (Les Anglais ne sont pas encore arrivés et les Belges sont partis !) auront pour objectif les forces allemandes réunies autour de Thionville, dans le Luxembourg et en Belgique.

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