AOÛT 1914 - LE POINT DE VUE DU GENERAL VON HAUSEN - 3e ARMÉE

LA IIIème ARMÉE ALLEMANDE DU GÉNÉRAL VON HAUSEN

"SOUVENIRS DE LA CAMPAGNE DE LA MARNE EN 1914"

 

Par Colonel-Général Baron von Hausen

 

Ce livre, traduit par le Chef de Bataillon Mabille, a été publié chez Payot en 1922.

 

AOÛT 1914

PRÉFACE DU GÉNÉRAL MANGIN

Le colonel général baron von Hausen a commandé la IIIe armée allemande depuis sa formation, le 3 août 1914 jusqu'au 12 septembre 1914, date à laquelle une sérieuse atteinte de typhus l'éloigna du front. Cette troisième armée (XIe, XIIe et XIXe corps actif, XIIe corps de réserve) était entièrement saxonne ; le général von Hausen affirme qu'en publiant ses souvenirs, il a voulu la défendre contre les bruits fâcheux qui avaient attribué à sa conduite le repli général des armées allemandes en septembre 1914.

Le récit du général von Hausen est intéressant à comparer avec celui du général von Bülow (Mon rapport sur la bataille de la Marne); commandant la IIe armée, et qui était son voisin de droite; du général von Kluck (La Marche sur Paris), qui commandait la Ire armée formant elle-même l'extrême droite de l'armée allemande ; le témoignage du major général von Tappen, chef du bureau des opérations du Grand Quartier Général allemand, et du général von Kühl (Le grand Etat-Major allemand avant et pendant la guerre mondiale) chef d'Etat-Major de la Ire armée. Von Kluck confirme et précise les témoignages des commandants des Ire, IIe et IIIe armées. La bataille des frontières et la bataille de la Marne apparaissent ainsi clairement vues de l'aile Est des armées allemandes.

Par l'ouvrage du général Lanrezac (Le plan de campagne français et le premier mois de la guerre), commandant la 5e armée française, nous savons dans quelles conditions la droite française s'est repliée après la bataille de Charleroi : c'est par l'ordre du général Lanrezac, dont la droite se trouvait en l'air, par suite du recul de la 4e armée sa voisine ; menacé d'être tourné et coupé, il dut chercher en arrière la liaison avec l'ensemble des armées françaises.

Par l'ensemble des publications nouvelles du côté allemand, nous allons saisir le moment où le repli allemand, aveu de la défaite, a été ordonné.

Dans le grand mouvement de conversion de la droite allemande à travers la Belgique, les Ire et IIe armées déployaient leurs mouvements sur la rive gauche de la Marne ; Liège pris et Namur investi, elles se portaient sur la Sambre, de Namur à Charleroi, pendant que la IIIe armée Von Hausen atteignait la Meuse, de Namur à Givet. La 5e armée Lanrezac s'alignait le long de la Sambre, et se trouvait ainsi dans une tenaille formée par les Ire, IIe armées déployées face au sud, et la IIIe armée déployée face à l'ouest. La gauche de l'armée Lanrezac n'avait qu'une liaison insuffisante avec la petite armée anglaise du maréchal French, sa droite était gardée par une division de réserve qui défendait les passages de la Meuse, face à l'est, et avait devant elle les quatre corps d'armée saxons.

Le Haut Commandement allemand se rendait parfaitement compte des avantages que présentaient la base en équerre qui se trouvait à sa disposition dans cette partie du front. Son ordre du 20 août portait : " l'attaque de la IIe armée contre l'ennemi à l'ouest de Namur devra coïncider avec l'attaque de la IIIe armée contre la ligne de la Meuse, de Namur à Givet, les commandants d'armée se concerteront à cet effet ". A cette date le général von Hausen croit qu'il a devant lui les 1er, 2e et peut-être le 10e corps français ; et le général von Bülow pense n'avoir affaire qu'à trois divisions de cavalerie. C'est seulement le 23 que le concert prescrit par le G. Q. G. allemand a pu se réaliser, et la IIIe armée s'engage.

Nous saisissons mal, dans les souvenirs du général von Hausen, le motif de ses lenteurs et de ses indécisions pendant cette journée. Il avait pris pied sur la rive gauche, en cinq ou six points différents, et paraissait attendre que l'avance de la IIe armée facilitât le passage de ses gros. La XXIVe division qui était seule en force sur la rive gauche, s'était emparée d'Onhaye, qui commandait tous ces passages entre Hastières et Dinant, et aurait pu faire tête de pont pour toute la IIIe armée ; mais elle s'en laissa débusquer par deux bataillons de la 8e brigade, envoyés à la rescousse par le général d'Esperey. Le général von Hausen, sans doute mal renseigné par ses subordonnés, affirme à tort que cette division a cédé le terrain devant " des forces supérieures ".

Une division du XIXe corps sous le commandement du général Götz von Olenhüsen, avait reçu la mission de forcer le passage de la Meuse, au sud de Givet. Ce mouvement aurait, pu séparer complètement les 4e et 5e armées françaises, et cette rupture de front eût été grosse de conséquences. Mais il se laissa amuser par quelques arrière-gardes sur la rive droite de la Meuse, s'arrêta à Fumay devant cette rivière qu'il ne franchit qu'après beaucoup d'hésitation ; sur la rive droite, sa marche fut retardée les jours suivants par quelques compagnies d'un régiment de réserve qui lui disputèrent adroitement le terrain. En résumé, dans la bataille de Charleroi, la IIIe armée allemande ne joua pas le rôle auquel l'appelaient sa position stratégique et la prédominance de ses forces, mais sa présence en arrière du flanc droit de l'armée Lanrezac constituait une menace, qui, jointe au recul des Anglais en arrière de Mons, plaçait la 5e armée française dans la situation la plus dangereuse, d'où elle ne pouvait échapper que par une prompte retraite qui commença le 24.

 

Pendant la bataille de la Marne, l'armée saxonne combattit avec une grande bravoure et obtint quelques succès, mais ces succès se déroulaient loin du point critique où se décidait le sort de la bataille, et comme ils n'étaient pas suffisants pour amener une rupture du front, la IIIe armée dut se replier par ordre en même temps que la ligne allemande.

Le Haut Commandement allemand, en approuvant le mouvement de von Klück qui obliquait vers le sud-est et négligeait Paris, avait prescrit l'échelonnement de la Ire armée au nord de la Marne, et aux Ie et IIe armées un changement de front vers l'ouest, qui aurait eu pour résultat de couvrir le flanc droit des armées d'invasion pendant qu'elles eussent anéanti le centre français. Mais ces ordres étaient donnés alors que la Ire armée avait déjà franchi la Marne, et seul un corps d'armée se trouvait disponible pour s'opposer au premier mouvement de l'armée Maunoury vers l'Ourcq le 5 septembre. Dès le 7, von Kluck se trouva obligé de ramener de sa gauche à son extrême droite, les IIe et IXe corps ; de ce fait un trou se forma entre les Ire et IIe armées. Le IXe corps avait d'ailleurs été fortement bousculé le 6 vers Escardes-Courgivaux, et le VIIe qui le remplaçait dans la ligne de bataille continuait à céder le terrain devant les attaques françaises. La gauche de l'armée d'Esperey remportait donc un succès tactique en refoulant la droite de l'armée von Bülow, et les trois corps de l'armée britannique n'ayant devant elle que la cavalerie von der Marwitz, s'avançaient en accentuant ce mouvement de débordement et en menaçant en même temps la droite et les arrières de la Ire armée von Kluck.

Le 8 septembre, von Bülow n'a plus qu'une ressource : organiser la retraite à laquelle il vient d'être contraint. C'est à ce moment qu'arrive à son quartier général le lieutenant-colonel Hentsch (agent de liaison du G. Q. G.), qui approuve cette décision et, d'accord avec von Bülow, en tire toutes les conséquences : c'est le repli général qui s'impose. On lira dans l'étude critique de M. Frédéric Kircheisen le récit de son entrevue avec le général von Kühl dans l'après-midi du 9, d'après le journal de marche de la Ire armée. Le lieutenant-colonel Hentsch apporte la communication suivante : " La situation n'est pas favorable, la Ve armée est fixée devant Verdun, les VIe et VIIe devant Nancy et Epinal, la IIe armée n'est plus que scorie. La retraite derrière la Marne est inévitable. L'aile droite de la IIe armée n'a pas rétrogradé, mais a été refoulée. Il est donc nécessaire de décrocher les armées toutes à la fois et les ramener : la IIIe au nord de Châlons ; les IVe et Ve par Clermont-en-Argonne et sans perdre la liaison sur Verdun. La Ire armée doit donc aussi reculer, direction Soissons, Fère-en-Tardenois, au pis aller plus loin, même sur Laon, La Fère ".

En outre, le 10 à, la première heure, le général von Bülow, envoyait au G. Q. G. la communication suivante : " D'accord avec Hentsch, la situation est jugée comme suit : Retraite de la Ire armée derrière l'Aisne, commandée par situation stratégique et tactique. IIe armée doit appuyer Ire armée au Nord de la Marne, faute de quoi aile droite des armées sera enfoncée et enroulée... ". Le Haut Commandement répondait immédiatement en subordonnant la Ire armée au commandement de la IIe et, dans l'après-midi, donnait ses ordres de repli aux IIIe, IVe et Ve armées : la bataille de la Marne était gagnée.

Le général von Hausen nous raconte les rudes combats que son armée saxonne renforcée d'une division de la Garde, livra du 6 au 10 septembre à la 9e armée française. Il a raison de dire que ni lui, ni son armée, n'ont aucune responsabilité dans le repli sur la rive droite de la Marne, mais il s'avance un peu quand il affirme que " le 9 septembre il était en train d'ouvrir au centre du front ennemi une brèche qui aurait peut-être suffi pour changer la face des choses ". Après avoir rompu de quelques pas, le général Foch se trouvait à même d'opposer à l'attaque qui se préparait une résistance renforcée. Son voisin le général d' Esperey avait déjà mis à sa disposition le 10e corps, et il pouvait dire à ses troupes le 9 dans un ordre célèbre " la, situation est excellente... ,j'ordonne de nouveau de reprendre l'offensive ". Le général von Hausen était donc fort loin de la décision qu'il croyait entrevoir.

En réalité l'événement s'était produit ailleurs : à la gauche de l'armée d'Esperey qui s'avançait par Escardes, Montmirail, Thillois. Les témoignages allemands que nous venons de citer sont formels : " L'aile droite de la IIe armée n'a pas rétrogradé, mais a été refoulée... "

" IIe armée doit appuyer Ire armée au nord de la Marne, faute de quoi aile droite des armées serait enfoncée et enroulée.. .. "

 

Les dernières publications allemandes, et en particulier les Souvenir du général von Hausen ne présentent pas seulement l'intérêt de nous fixer enfin sur les manœuvres et le moment qui ont décidé la Victoire de la Marne ; nous y constatons également les fautes d'organisation et de commandement qui ont fait pencher du côté français le plateau de la balance. Le G. Q. G. allemand placé à Coblence, puis à Luxembourg, était trop éloigné pour apprécier sainement la situation, prendre ses décisions en connaissance de cause et donner ses ordres à temps. Chacune des armées manœuvrait pour son compte avec des liaisons tout à fait insuffisantes avec ses voisines, et avec l'arrière. La mésintelligence entre les commandants d'armée est flagrante ; elle se constate journellement dans les ouvrages de von Klück, von Bülow et von Hausen. Dans ces conditions, la subordination momentanée d'un Etat-Major d'armée à un autre n'était qu'un palliatif insuffisant.

Le général von Hausen aurait souhaité qu'un commandement de groupe d'armées coordonnât l'action des Ire, IIe, IIIe et IVe armées allemandes. Il hésite à affirmer si cette organisation du groupe d'armées doit être permanente ou simplement occasionnelle et prise en vue d'opérations déterminées, mais paraît pencher pour la première solution.

Au cas particulier, le commandement de l'aile droite allemande aurait dû être organisé. L'éloignement du Grand Quartier Général, et la difficulté des liaisons, encore bien imparfaites au début de la campagne, rendait le Groupe d'armées indispensable. Par contre, l'expérience a montré au cours de la dernière guerre que la permanence de cet organe si lourd est à rejeter absolument. Dans les armées allemandes, il a surtout servi à placer dans une situation honorifique les membres des familles régnantes : Kronprinz Allemand, Kronprinz de Bavière, duc de Wurtemberg. Les questions de personnes jouent un rôle capital. On voit le Kronprinz prendre le commandement direct des attaques contre Verdun en février 1916, par dessus la tête du commandant de l'armée, puis, le succès tardant à couronner ses efforts, il organise un commandement des attaques sur la rive droite et un autre sur la rive gauche de la Meuse. En mars 1918, Lüdendorff choisit un terrain d'attaque à cheval sur deux commandements de groupes d'armées : ceux des deux Kronprinz. " Je tenais à exercer la plus grande influence sur la bataille, dit-il dans ses Souvenirs de guerre, ce qui était délicat quand elle était dirigée par un seul groupe d'armées, toute intervention était dans ce cas trop facilement taxée d'ingérence oiseuse de l'autorité immédiatement supérieure ", (Souvenirs de guerre) et, tout en se défendant d'être courtisan, il étale une joie sans mélange " d'amener son Altesse Impériale le Kronprinz à prendre part à la première grande bataille offensive sur le front occidental ". En outre, le Haut Commandement avait à diriger sur des fronts très éloignés : Pologne, Galicie, Roumanie, Italie, des opérations qui concentrèrent à certaines époques toute son attention.

Mais sur le front français, qui diminuait d'étendue à mesure qu'augmentait le front anglais, et où l'intérêt dynastique n'existait point, le groupe d'armées n'a eu que des inconvénients. La volonté du général en chef ne se transmettait pas avec toute son énergie, son action s'en trouvait retardée et émoussée. Dans la guerre moderne l'armée est un organisme de plus en plus compliqué et qui exige un personnel de plus en plus nombreux ; lui superposer inutilement un autre organisme au moins aussi compliqué avec un personnel au moins aussi nombreux, qui tous deux ne vivent qu'au détriment des armées, c'est une faute.

Le groupe d'armées ne sera donc qu'une organisation de circonstance, créé dans un but de coordination, et avec un état-major très restreint.

Dans ses souvenirs, le colonel général von Hausen se plaint de la morgue prussienne et déplore qu'après son départ de l'armée saxonne, le Haut Commandement l'ait morcelée sans motif militaire. Guéri en mai 1915, il ne fut plus employé au cours de la campagne, et c'est sans invraisemblance qu'il attribue cet ostracisme à la volonté de donner la préférence, dans les hauts postes de commandement qui étaient sans cesse créés, aux généraux prussiens et bavarois, pendant la guerre comme pendant la paix, et il ajoute : " Le représentant de l'armée saxonne n'a pas pu avoir le dessus sur le G. Q. G. et le Cabinet prussien ". Il affirme que les troupes saxonnes ont été très péniblement impressionnées par cette injuste déconsidération qui paraissait peser sur leurs chefs.

En dehors des faits purement militaires, il cherche à justifier les troupes saxonnes des atrocités qu'elles ont commises en Belgique, notamment à Dinant et il, voit partout des francs-tireurs, même dans le département de l'Aube. La fatigue des longues marches, les grandes chaleurs, l'émotion des premiers combats mettaient les troupes dans un état de surexcitation nerveuse qui les prédisposaient aux suggestions collectives de leur méfiance naturelle ; les bruits répandus avec intention étaient donc accueillis sans contrôle, et la pratique de fusiller sans jugement et d'incendier sans enquête, fut établie par le Haut Commandement ; le viol et le pillage s'ensuivirent très naturellement dans la troupe.

Les troupes saxonnes se montrèrent particulièrement barbares. En très grande majorité protestantes elles s'acharnèrent contre les couvents et les prêtres isolés. Il est presque toujours impossible de déterminer à distance le prétexte de chaque cruauté. Les notes journalières que la plupart des soldats inscrivirent sur des carnets de route au début de la campagne sont tombées entre les mains de troupes françaises, et c'est une source de renseignements précieux. Nous savons par exemple qu'au charmant petit village Le Gué d'Ossus, un cycliste tomba maladroitement et fit partir un coup de fusil ; ce fut le signal du massacre et de l'incendie du village. En reprenant le village d'Onhaye nos troupes trouvèrent le cadavre du bourgmestre près de son coffre-fort éventré.

Le but avoué du Haut Commandement allemand était de propager la terreur en provoquant la fuite des populations épouvantées, et de démoraliser ainsi successivement la Belgique et la France. Il pensait de cette façon arriver plus vite à la paix.

 

On lira avec intérêt l'étude critique de M. Frédéric Kircheisen qui contient des vues générales sur l'ensemble des opérations. Le lecteur mettra lui-même au point le récit de la bataille de Charleroi et de la bataille de la Marne. L'auteur interprète les événements d'une manière bien curieuse et il a beaucoup de peine à sortir des contradictions qu'il accumule. Mais parmi ses erreurs de faits il faut signaler cette affirmation que les troupes et le commandement français n'ont pas considéré la bataille de la Marne comme une victoire au moment où elle s'est livrée.

Il est vrai que le communiqué français, très modeste a toujours eu peur du mot " Victoire ", mais ni le pays ni l'armée, ni ses chefs, ne se sont trompés sur la signification des événements qui se sont déroulés du 6 au 13 septembre. Les troupes françaises ont eu le sentiment de la victoire à partir du moment où elles ont fait demi-tour pour passer à l'offensive. Beaucoup d'unités n'avaient pas encore combattu et brûlaient de le faire ; d'autres n'avaient remporté que des succès et cependant s'étaient trouvées entraînées dans le mouvement général de repli dont l'exécution s'était imposée au Haut Commandement. Le recul de l'ennemi devant leur progression n'a fait qu'accentuer ce sentiment.

Quant au Haut Commandement, le général d'Esperey disait à la 5e armée : " Soldats, sur les mémorables champs de Montmirail, de Vauchamps et de Champaubert, qui, il y a un siècle, furent témoins des victoires de nos ancêtres sur les Prussiens de Blücher, votre vigoureuse offensive a triomphé de la résistance des Allemands ; ce premier succès n'est qu'un prélude ".

Le général Maunoury disait à ses troupes : " Grâce à vous, la victoire est venue couronner nos drapeaux ". Enfin l'ordre du jour du général Joffre du 12 septembre a été publié dans le monde entier : " La bataille qui se livre depuis cinq jours s'achève par une victoire incontestable. La retraite des Ire, IIe et IIIe armées allemandes s'accentue devant notre gauche et notre centre. A son tour la IVe armée ennemie commence à se replier au nord de Vitry et de Sermaize. Partout l'ennemi laisse sur place de nombreux blessés et des quantités de munitions, partout on fait des prisonniers ; en gagnant du terrain, nos troupes constatent la trace de l'intensité de la lutte et l'importance des moyens mis en oeuvre par les Allemands pour essayer de résister à notre élan. La reprise vigoureuse de l'offensive a déterminé le succès, tous officiers, sous-officiers et soldats avez répondu à mon appel, vous avez bien mérité de la Patrie. "

Général MANGIN.

"SOUVENIRS DE LA CAMPAGNE DE LA MARNE EN 1914"

Par Colonel-Général Baron von Hausen

PRÉFACE

 

Plus de quatre années se sont écoulées depuis la fin de la guerre de mouvement de 1914 sans que, en haut lieu, on ait tenu pour nécessaire d'éclairer le public sur le fond même des événements qui se déroulèrent à cette époque.

 

Faut-il en chercher la raison dans ce fait qu'il n'a pas encore été possible de commencer l'histoire de la guerre mondiale, ou peut être même de sortir des longs travaux préparatoires qu'elle exige ?

A mon avis, un pareil retard ne pouvait empêcher les autorités compétentes de publier, en attendant, des relations exactes des faits qui se sont déroulés depuis le début de la guerre jusque et y compris les combats de la Marne. Cette publication aurait pu se faire, par exemple, sous forme de monographies, comme cela s'est déjà produit pour bien d'autres événements de la guerre.

Quel que soit l'auteur de cette omission volontaire ou non, il ne peut échapper au reproche d'avoir - par un silence prolongé pendant plusieurs années - risqué d'éveiller le soupçon que le G. Q. G. ait voulu éviter de s'accuser lui-même ou qu'il ait entendu ménager telle ou telle des personnes ou des autorités qui lui étaient alors subordonnées.

Quoi qu'il en soit, une réserve aussi longtemps gardée - peut-être à dessein - n'a servi qu'à détourner l'attention publique des journées d'août et septembre 1914, tout en laissant le champ libre à maintes légendes de guerre, qui, faute d'avoir été officiellement démenties, rencontrèrent des oreilles complaisantes.

Je n'en considère que davantage comme un devoir de contribuer par mon témoignage à sauver l'honneur de la 3e armée, dont j'avais le commandement, et de couper ainsi les ailes à tous les racontars que l'on tenterait de faire pour se décharger de ses propres fautes et les rejeter sur la 3e armée.

C'est dans ce but et dans cet esprit que je me suis décidé, non sans en avoir été sollicité, à écrire ces lignes sous le titre : Souvenirs de da Campagne de la Mare en 1914.

Mon récit s'appuie étroitement sur mon mémoire du 11 juillet 1918 intitulé : Ce lice j'ai vécu et ce que j'ai appris comme commandant en chef de la 3e armée pendant la guerre de mouvement de 1914. Il est strictement conforme à la vérité; je n'y ai voilé aucune faute personnelle et n'ai cherché à atténuer aucune de mes actions.

En rédigeant " Ce que j'ai vécu et ce que j'ai appris ", je m'en suis tenu surtout au point de vue militaire. J'ai, par exemple, développé les décisions du Commandement, en reproduisant textuellement les directives reçues, les ordres donnés, les comptes-rendus, etc... Dans mes " Souvenirs de la Campagne de la Marne " au contraire, je pouvais éliminer de l'exposé des opérations les détails purement techniques des ordres et des comptes-rendus. Mais en revanche, j'y introduisis des notes personnelles.

La forme même de ces Souvenirs devait forcément m'entraîner à des considérations critiques. En les formulant, je n'ai eu à cœur que de faire valoir ce que nous avons vécu, ce que nous avons fait pour la patrie. Je n'ai pas voulu que ma voix se tût. Si j'attaque des opinions différentes des miennes, si je porte des jugements sur ce qui s'est passé en dehors de l'Etat-Major de la 3e armée, ce n'est pas pour m'en prendre aux personnes ni aux autorités. Je n'ai d'autre intérêt en vue que celui de la vérité et de la patrie.

Puisse-t-on partir des mêmes principes le jour ou les " Souvenirs de la Campagne de la Marne en 1914 " viendraient à servir de base à une histoire de la guerre.

C'est par ce souhait que je terminerai cette préface, non sans y ajouter un souvenir de gratitude pour mon chef d'État-major : M. le général-major von Hoeppner, et pour tous les membres du Q. G. A3., et un témoignage de reconnaissance sans réserve aux troupes royales saxonnes qui, formant la 3e armée, c'est-à-dire une armée purement saxonne ont franchi victorieusement la Meuse, l'Aisne et la Marne, et ont évacué les champs de leurs victoires ,au sud de la Marne, non de leur plein gré ou sous la pression de l'ennemi, mais bien sur l'ordre supérieure de S.M. l'Empereur et parce que la situation générale des armées allemandes l'exigeait.

Loschwitz (Dresde), le 21 février 1919.

Baron von Hausen,

Colonel-général.

CHAPITRE PREMIER

MOBILISATION - 1er AU 7 AOUT

Quelques heures après la publication de l'Avis de " danger imminent de guerre " le samedi 1e août 1914 dans l'après-midi, je reçus à Loschwitz 2, rue Wunderlich, par un coup de téléphone du Ministre de la Guerre de Berlin, l'avis suivant :

" ORDRE DE MOBILISATION. - Le 2 août est le premier jour de la mobilisation " Le lendemain, un ordre supérieur de S. M. l'empereur me faisait connaître mon affectation, celle même qui avait été envisagée pour moi depuis l'année 1910. Le message impérial qui m'était adressé portait :

" Je vous nomme, pour la durée des opérations actives, commandant en chef de la 3e armée (Lieu de mobilisation du quartier général de l'armée : Dresde).

Berlin, le 1er août 1914.

Signé : Guillaume

Je fis immédiatement part par écrit de ma nomination au roi de Saxe et en informai le Ministre de la Guerre ; puis je me rendis à Dresde-Neustadt où je m'établis à l' " hôtel du Kronprinz".

Dans les jours qui suivirent, la mobilisation du Q. G. A3. s'effectua conformément au plan préparé par,

l'Etat-major du XIIe C. A. Elle ne donna lieu à aucun incident important et se termina par une revue du Q. G. A3. que je passai, dans l'après-midi du 7 août, devant le Ministère des finances et à la fin de laquelle je poussai un hourrah en l'honneur de l'empereur allemand et du roi de Saxe.

Pendant mon séjour à Dresde, le roi de Saxe me reçut au château de la Résidence ; il se montra plein de confiance, me recommanda le Kronprinz qui devait suivre Ie Q. G. A3, et m'exprima le désir de me voir affecter le prince à un service actif. Au cours des événements, j'ai souvent déféré au désir royal, et j'ai toujours eu la joie de constater avec quelle fidélité au devoir et avec quel calme ce jeune prince s'acquittait de ses obligations, quelle intelligence il apportait dans le service, et combien il se plaisait dans le cercle de ses camarades.

Son abord modeste et plein de tact, sa manière d'être sérieuse et tranquille, son absence de prétention et son affabilité le rendaient sympathique à tous.

L'avant dernier jour de la mobilisation, je me rendis avec ma femme chez le Dr Friedrich, conseiller de Consistoire, prédicateur de la Cour. Nous y reçûmes la communion. Le 7 août, jour de pénitence et de prières générales, nous assistâmes le matin au service divin, dit par le Docteur en théologie Dibélius, premier prédicateur de la Cour.

D'immenses foules suivirent ces offices dans toutes les églises du pays, pénétrées de la gravité de l'heure, mais pleines d'espoir et de confiance. Les mêmes sentiments régnaient aussi lorsque, le même jour, â 9 h. 40 du soir, le premier échelon du Q. G. A3 s'embarqua à la gare de marchandises de Dresde-Neustadt pour Prüm dans l'Eifel ; le deuxième échelon suivit quelques heures plus tard.

Au moment de l'embarquement du premier échelon, le Roi, accompagné de tous les membres de la maison royale, parut à la gare ou je lui présentai les membres du Q. G. A3. et lui adressai une courte allocution terminée par un hourrah ! Le Roi exprima à son tour ses vœux de prompt et glorieux retour, et le train se mit en marche.

Plein de gratitude, je pense encore à ma femme qui m'accompagna à la gare, le 7 août au soir, au départ de Dresde-Neustadt et qui m'adoucit la séparation par son attitude héroïque. Ni elle, ni moi, ne soupçonnions dans quelles circonstances nous devions nous revoir et quelles épreuves cruelles nous aurions à traverser ensemble.

CONCENTRATION (8-17 AOUT).

La 3e armée, dont la composition est donnée à l'annexe 4 , devait se concentrer, d'après l'ordre du G. Q. G., dans la région frontière de l'Eifel (Saint-Vith, Waxweiler, Neuerburg, Prüm, Wittlich) appuyée à droite à la 2e armée, à gauche à la 4e armée :

En 1re ligne.

Le XIe C. A. à l'aile droite.

Le XIIe C. A. au centre.

Le XIXe C. A. à l'aile gauche.

Le XIIe C. R. en seconde ligne derrière les XIIe et XIXe C. A.

Dès la publication de l'ordre de mobilisation, une brigade de chacun des XIIe et XIXe C. A. fut envoyée à la frontière, en couverture de cette zone de concentration. Ces brigades partageaient avec la cavalerie d'armée (1er C. C. von Richthofen arrivé de bonne heure) la mission de couvrir le rassemblement des troupes amenées par chemin de fer.

Parti de Dresde le 7 août à 9 h. 40 du soir, le premier échelon du Q. G. A3., passant par Leipzig, Eisenach, Marburg, Coblence, Cochem, Wengerohr, arriva à Prüm le 9 août à 9 h. 20 du soir ; le deuxième échelon suivit le 10 août dans la matinée. Malgré la fatigue de ce long voyage en chemin de fer, j'ai conservé l'inoubliable impression de l'ordre qui régnait dans toutes les localités traversées et de l'enthousiasme qui débordait de tous les cœurs. Cet enthousiasme trouvait un vif écho parmi les troupes en cours de transport ; il était d'autant plus sincère que l'alcool, dont l'usage avait été interdit, n'y avait aucune part.

A Prüm, je fus reçu par le capitaine d'état-major Loof, qui avait précédé le Q. G. A3. dans la zone de concentration, ainsi que par les représentants du commandant du XIe C. A. déjà arrivé à Saint-Vith : le capitaine von Plessen et le prince Joachim de Prusse. Je descendis chez le juge de paix Muller, rue du Coq. Muller, personnalité d'élite, en pleine force, bien que frisant la cinquantaine, fut pour moi, aidé en cela par sa femme pleine de sollicitude, un hôte agréable, sympathique et attentif. Résidant depuis seize ans à Prüm, il y jouissait, comme juge de paix, d'une grande considération ; il était très au courant des affaires de Belgique et put me donner beaucoup de bons conseils pour l'organisation de la police de campagne du Q. G. A. et pour mon service de renseignements. Plus tard, il sut me communiquer, au sujet des agissements de la presse chauvine belge, des indications précieuses qui trouvèrent leur application dans deux proclamations adressées aux Belges par le Q. G. A.

Le Q. G. A3., dont la composition est donnée à l'annexe 2, avait à regretter l'absence, pour cause de maladie, des ducs de Saxe-Meiningen et Saxe-Cobourg-Gotha qui devaient y être attachés ; il se trouva, à son arrivée dans la zone de concentration, en présence de problèmes importants. Il s'agissait, non seulement d'organiser le service intérieur, de préparer une liaison plus étroite entre le commandement et les services, de chercher à se mettre directement en relations personnelles avec les commandants des corps d'armée subordonnés et avec le commandement des armées voisines, mais encore d'envisager sur le champ les mesures à prendre pour préparer la marche en avant de la 3e armée telle qu'elle était projetée pour le commencement des opérations de guerre.

La 2e armée devait effectuer son débouché de bonne heure. Néanmoins les directives du G. Q. G. prescrivaient à la 3e armée d'achever d'abord sa concentration ; elle n'entamerait ensuite sa marche vers la Meuse, en direction de Namur et de Givet, qu'après en avoir reçu l'ordre. Elle ne devait pas perdre de vue dans ce mouvement qu'elle pourrait être appelée à prendre part à l'investissement du front sud de Namur.

D'après le terme fixé à la période de concentration, je pouvais admettre que les mouvements commenceraient le 18 août. En effet, d'après le plan de transport, l'arrivée des derniers éléments combattants du XIIe C.R. était prévue pour le 17 août. Les Corps d'Armée disposaient donc des journées du 12 au 17 août pour prendre les mesures préparatoires à l'attaque générale, que le Q. G. A3. jugeait indispensables.

Un coup d'œil sur la carte montre que les corps de première ligne s'étaient vu affecter par l'Etat-Major général des zones de concentration de grande profondeur, savoir :

58 kilm. au XIe C. A., mesurés sur la route : Gerolstein, Prüm, Bleialf, Saint-Vith, frontière.

75 kilm. au XIIe C. A., mesurés sur la route Oberkeil, Bitburg, Waxweiler, Burgreuland, frontière.

105 kilm. au XIXe C. A., mesurés sur la route Hetzerath, Quint, Speicher, Auw, Meckel, Wolfsfeld, Bettingen, Neuerburg, Dasburg, frontière.

Et seulement 30 kilm. au XIIe C. R., dont la zone n'était pas, comme les autres, longue et étroite, mais très large et courte sur la route Bengel, Wittlich, Eisenschmitt, frontière.

 

Cet échelonnement considérable des XIe, XIIe, et XIXe C. A., maintenait les têtes du XIIe C.R. à deux ou trois journées de marche en arrière et à l'est de celles des autres corps d'armée de première ligne ; il fallait donc immédiatement raccourcir cette distance afin de rapprocher le XIIe C.R. du front dès le début des opérations. En conséquence, ,je me décidai à mettre en marche les troupes de ce corps d'armée aussitôt que possible après leur arrivée et à ordonner aux autres corps de serrer de plus en plus vers l'ouest et de dégager peu à peu toute la partie est de leur zone de cantonnement afin que le XIIe C.R. pût à son tour y pénétrer dès le 13 août.

En outre la possibilité, envisagée par le G.Q.G., d'une participation au siège de Namur, m'obligeait a prévoir un déploiement prochain de l'aile droite de la 3e armée. J'estimai donc qu'il fallait déplacer le XIIe C.R. vers l'avant, sur un large front - ses deux divisions accolées - et le porter derrière les XIe et XIIe C.A. D'après les calculs du Q. G. A3., basés sur ces considérations, on pouvait admettre que, sans avoir naturellement pris un jour de repos, le XIIe C. R. serait, le 17 août, à gauche de l'Our :

La 24e D. R. au Sud-Est de Saint-Vith, derrière le XIe C. A.

La 23e D. R. au Sud-Est de Burgreuland, derrière le XIIe C. A.

De cette façon le Q. G. A3. aurait le XIIe C.R. sous la main, dans le cas où, le 18 août, le G. Q. G. donnerait à la 3e armée l'ordre de se porter en avant.

La cavalerie d'armée - 5e D. C. et division de cavalerie de la garde - renforcée par les bataillons de chasseurs et de tirailleurs de la garde, 11e, 12e et 13e, avait été chargée par le G. Q. G. de se porter en avant de la zone de concentration, par Bastogne, en direction ouest, sur Dinant avec mission d'observer et d'explorer la ligne de la Meuse de Namur à Mézières. Dans l'accomplissement de cette mission, elle se heurta d'abord à de faibles détachements de cavalerie française, puis à de plus forts ; c'est seulement sur le secteur de la Meuse, au sud de Namur, qu'elle rencontra une résistance qu'elle ne put briser d'emblée.

C'est ainsi qu'eurent lieu des combats à Assesse et à Dinant qui se renouvelèrent au cours de l'exploration, mais qui permirent cependant à la cavalerie de recueillir des renseignements étendus sur l'ennemi et sur ses positions à Dinant. Ces succès de l'exploration de la cavalerie renforcèrent la confiance du Q. G. A3. dans la possibilité pour l'armée d'exécuter sans à-coup ses premiers mouvements ; mais d'autres nouvelles, émanant du corps de cavalerie et des brigades chargées de la surveillance de la frontière, relatives à l'attitude de la population belge, donnèrent de l'inquiétude pour l'avenir. Ces rapports établissaient tous que les habitants de l'autre côté de la frontière, tant qu'ils étaient en présence de nos troupes, ne se montraient pas absolument hostiles ; mais que dès que celles-ci avaient tourné le dos ou qu'un isolé se présentait, ils ne manquaient pas de les molester par derrière à la faveur de l'obscurité chaque fois qu'ils en trouvaient l'occasion. D'après ce qui s'était passé dans beaucoup de localités et dans toutes les contrées traversées, on acquit l'impression évidente que la population, excitée par la presse chauvine, par le clergé et par le gouvernement, agissait d'après des instructions données à l'avance. On ne pouvait et ne devait par suite hésiter un seul instant à parer à cette situation par les mesures les plus sérieuses et les plus rigoureuses. Les incidents qui témoignaient de cette hostilité ont été trop nombreux pour pouvoir être rapportés ici. La découverte de dépôts de fusils, de revolvers, de munitions et de dynamite, n'était pas chose rare, non plus que les destructions de lignes télégraphiques et téléphoniques, de ponts sur les routes ou sur les voies ferrées, l'obstruction de chemins par l'abatage, parfois sur des kilomètres de longueur, des arbres qui les bordaient ; etc... etc.....

Particulièrement caractéristique était une circulaire d'une autorité postale belge, tombée entre les mains de l'État-Major du XIe C. A., qui donnait le conseil d'aller amicalement au devant des Allemands, mais de leur faire sous main et par derrière tout le mal possible. Des assassinats furent la conséquence de ces sentiments hostiles. Alors, devant la nécessité, le G. Q. G. n'hésita pas à réprimer avec la dernière rigueur la conduite hostile, contraire au droit des gens, de la population belge. L'arrestation comme otages de personnes considérées notamment de propriétaires fonciers, de maires, de curés, etc., l'incendie de maisons et de fermes, la mise à mort des gens pris sur le fait, ne purent être parfois évités. Cette attitude perfide des habitants surexcita beaucoup non seulement les troupes des 48e et 64e brigades d'infanterie qui se trouvaient dès le début sur la frontière et qui furent ensuite poussées en avant pour la protection des voies ferrées en territoire belge, mais bientôt aussi les troupes des corps d'armée qui se trouvaient encore dans la zone de concentration. Ces dernières durent exécuter leurs mouvements dans cette zone par une chaleur torride qui leur occasionna quelques pertes à la traversée des montagnes de l'Eifel ; mais, d'un autre côté, l'obligation de participer à des marches journalières renforça la discipline et l'aptitude à la guerre des troupes de toutes armes. Dans les tournées que j'effectuai chaque jour de Prüm, pour visiter les commandants de corps d'armée ou le Q. G. A2. voisin, je rencontrai souvent des colonnes en marche du XIe C. A., de la 2e D. I. G. et des corps d'armée saxons ; partout régnaient dans les rangs allemands un ordre et une discipline exemplaires.

J'eus une impression tout à fait singulière en rencontrant un bataillon du 102e R. I. C'est à la fin de la matinée du 12 août que je croisai ce bataillon au sommet d'une côte escarpée où il faisait halte en plein soleil. Le chef de bataillon avait ordonné de mettre sac à terre et même permis d'ôter les tuniques. Des centaines d'hommes profitèrent de cette occasion pour retirer aussi leurs chemises et les faire sécher au soleil. Environ un millier d'hommes prenaient un bain d'air le torse nu, n'ayant pour tout vêtement que leur pantalon. Pour quoi des aviateurs ennemis auraient ils pris une semblable troupe au repos ? Quelques heures plus tard, à mon retour, je rencontrai de nouveau ce bataillon, cette fois en marche, gaillard, sans un seul traînard, preuve vivante de l'influence rafraîchissante d'un bain d'air pris en masse.

Pendant le séjour du Q. G. A3. à Prüm, les officiers et fonctionnaires militaires se réunissaient journellement en conférence, prenaient leur repas en commun et resserraient les liens de la camaraderie ; mais ils souffraient déjà de la séparation de leurs proches par suite de la suppression du service postal; quelques-uns seulement eurent le bonheur de recevoir des nouvelles des leurs, grâce à des circonstances particulières. Je fus moi-même un jour au nombre de ces heureux quand le lieutenant comte Münster, arrivant de Dresde, le 12 août, m'apporta une lettre de ma femme, la première qui me parvint et qui devait rester la seule jusqu'au 17 août, par suite de la fermeture de la poste.

Le 13 août au soir, eut lieu, à l'abbaye de Prüm, un service divin catholique et évangélique pour le Q. G. A3. Il fut célébré par les ecclésiastiques du pays ; malheureusement, il ne fut pas commun, mais séparé par confessions.

Les rapports de la cavalerie d'armée, arrivés jusqu'à la fin de cette journée, et les résultats des reconnaissances aériennes précisèrent la situation de l'adversaire devant la 3e armée. Ils permirent de se rendre compte que le groupe du nord de l'armée française était encore en voie de concentration et que, abstraction faite de la garnison de Namur, la 3e armée avait devant elle :

Deux divisions de cavalerie, la 1re et la 5e, avançant timidement devant l'aile gauche de la 3e armée et l'aile droite de la 4e. Le 1er C. A. près de Namur et au sud, derrière la Meuse, un autre C. A. , venant du sud par Givet.

En présence de cet état de choses, le G. Q. A3. examina le 13 août sa situation et celle de l'adversaire. On savait que la France espérait que l'armée belge, appuyée sur les forteresses d'Anvers, de Liège et de Namur et renforcée par des éléments anglais et français, serait capable d'opposer à la marche des Allemands à travers la Belgique une résistance assez longue pour qu'une contre offensive de grand style pût être entreprise par les Français vraisemblablement par Verdun sur la Lorraine.

Cet espoir de l'ennemi fut réduit à néant par la prise aussi rapide qu'inattendue de Liège, car le G. Q. G. français se vit ainsi dans la nécessité, à peine la concentration commencée, de modifier de fond en comble le plan d'opérations de son aile nord. La question de savoir où l'ennemi chercherait vraisemblablement à établir sa nouvelle base se résolvait d'elle-même ; il suffisait pour cela de jeter un coup d'œil sur le cours de la Meuse entre Charleville et Namur. Je ne doutai donc pas que les Français appuieraient leur aile nord sur la Meuse au sud de Namur et sur Namur même pour réaliser la liaison avec les Anglais débarquant à Anvers ou à l'ouest et avec les forces belges en campagne et à Anvers.

Cette hypothèse fut non seulement confirmée au cours des journées suivantes, mais encore se changea en certitude lorsque des fractions importantes de l'armée française furent poussées vers le nord, et, par Philippeville, sur la Sambre.

La concentration de la 3e armée fut terminée le 17 août comme elle devait l'être ; le Q. G. A3. déclina ce jour-la, comme il avait déjà eu l'occasion de le faire une première fois, une demande du Q. G. A2., tendant à déterminer la 3e armée à s'ébranler prématurément ; mais je fus à même d annoncer au G. Q. G. que la 3e armée tout entière était prête à se mettre en marche à l'exception de quelques colonnes de munitions du XIIe C. R. encore en cours de transport par chemin de fer.

CHAPITRE II

AVANCE SUR LA MEUSE, 18-22 AOUT.

 

L'avance générale avait été prescrite par l'Empereur pour le 18 août, et la 3e armée notamment devait porter son aile droite par Durberg (Durbuy), Havelange, contre le front sud-est de Namur, en liaison avec l'aile gauche de la 2e armée et se maintenir, par son aile gauche, en contact étroit avec l'aile droite de la 4e armée.

En même temps, d'autres dispositions furent arrêtées pour la prise de Namur par l'aile gauche de la 2e armée et l'aile droite de la 3e ; cette dernière reçut pour l'attaque 4 batteries autrichiennes de mortiers lourds.

Tandis que le Ier C.C. qui opérait en avant de la 3e armée exécutait avec succès, le 18 août, une nouvelle reconnaissance offensive de la ligne de la Meuse occupée par les Français vers Dinant et que les 1re et 2e armées allaient continuer leur marche en avant à partir de la ligne Hasselt, Saint-Trond, la 3e armée s'ébranla, le dit jour et porta son quartier général de Prüm à Viel-Salm.

Quartier général du XIe C. A. à Soy.

- XIIe - à Laroche.

- XIXe - à Mabompré.

- XIIe C.R. à Burgreuland.

Le corps de l'aile droite (VIIIe) de la 4e armée atteignit Wiltz.

Un ordre du G. Q. G., arrivé dans l'après-midi, chargea la 2e armée de l'attaque sur Namur. Le XIe C. A., avec le IIIe bataillon du 1er régiment d'artillerie à pied et le 23e régiment de pionniers, passait à la 2e armée. A la 3e armée incombait la mission de couvrir l'attaque sur Namur, face à la ligne de la Meuse Namur-Givet tenue par l'ennemi. Le débarquement des mortiers autrichiens était poussé dans la zone de la 2e armée.

Je profitai du déplacement du Q. G. A. pour faire une nouvelle visite au général commandant le XIe C. A. Je le rencontrai au moment où il faisait défiler une partie de son C. A. devant le Grand-Duc de Saxe Weimar, et le prince héritier de Waldeck. Les troupes et les convois, les hommes et les chevaux, étaient en parfait état. En cours de route je pénétrai pour la première fois en territoire belge. Je constatai le soin avec lequel la population avait cherché à multiplier les obstacles à la marche des Allemands, en coupant et en barrant les routes et les ponts, et combien, pour réprimer ces actes contraires au droit des gens, l'autorité militaire avait été forcée de sévir fréquemment contre les habitants, en brûlant les maisons ou par tout autre moyen.

A Viel-Salm, le Q. G. A3. s'établit au château d'un industriel belge, M. Sincay. Cette maison de maître, très luxueusement installée, au milieu d'un parc ancien, servait probablement de séjour durant la saison des chasses à courre. On y trouvait des écuries pour 50 chevaux et plus de 40 chambres. Nous ne trouvâmes au château qu'un vieux serviteur qui, aidé par sa femme et avec le secours de nos vivres réglementaires se chargea de notre bien-être matériel.

Le 19 août, nous restâmes à Viel-Salm, tandis que les corps d'armée continuaient leur mouvement vers l'ouest, le XIe C. A. restant encore dans la zone de la 3e armée. J'eus ainsi l'occasion de saluer à Viel-Salm le général von Ehrenthal et de nombreux éléments de sa 24e D. R.

Les rapports parvenus ce jour-là, ainsi que ceux de la veille, confirmèrent, en les complétant, les vues que j'avais déjà à Prüm. L'ennemi paraissait concentrer non seulement les 1er et 2e C. A., mais encore d'autres forces importantes, peut-être sa 5e armée, à l'ouest de la Meuse, de Namur à Dinant et à Givet, et; au sud de la Sambre, en amont et en aval de Charleroi.

La question de savoir comment il emploierait ses forces de la Sambre, soit pour une offensive, soit en restant sur la défensive, en liaison avec des troupes belges et peut-être anglaises, allait bientôt être résolue. En tout cas l'occupation par les Français de la coupure de la Meuse, Namur-Dinant-Givet, pouvait être considérée comme constituant une liaison entre le groupe d'armées déployé à l'est de Charleville et les éléments d'armée de la Sambre ou bien comme formant le flanc droit d'un front constitué sur la Sambre, face au nord. La ligne de la Meuse, en aval de Givet, facilitait extraordinairement l'exécution de cette double mission.

La rivière coule, en effet, dans une vallée profondément encaissée, surplombée à certains endroits par des rochers à pic, elle ne peut être franchie que sur des ponts et constituait par suite un sérieux obstacle devant la position fortifiée occupée par les Français sur la rive gauche et qui s'appuyait solidement au nord sur la forteresse de Namur et au sud sur le fort de Givet.

Il était certain pour moi que nous allions nous heurter à l'adversaire sur cette coupure et en venir aux mains ; mais l'incertitude régnait sur l'évaluation des effectifs que nous rencontrerions sur la Meuse. La force de la position et la valeur de l'obstacle permettaient au commandement français de n'y employer relativement que peu de troupes. Cependant le danger que présentait, pour les opérations françaises, une irruption des Allemands sur l'aile nord à Dinant, ne permettait pas non plus de sous-estimer les effectifs ennemis. Je tenais donc pour vraisemblable que des troupes des 1er et 2e C. A. s'opposeraient à notre tentative de forcer la coupure de la Meuse à Dinant, mais je ne croyais pas, en raison de la nature du front défensif de 15 km. de long, que la totalité de ces deux corps d'armée serait affectée à la défense de la Meuse.

20 août. - Le 20 août, le XIe C. A. prit position contre Namur, tandis que les XIIe et XIXe C. A. portaient leurs éléments de sûreté jusqu'à Spontin, Celles, Ciergnon, leurs gros immédiatement en arrière :

Q. G. du XIIe C. A. à Haversin.

Q. G: du XIXe C. A. à Buissonville. Q. G. du XIIe C. R. à Erezée.

Chacun d'entre eux entreprit immédiatement la reconnaissance détaillée de la position de la Meuse.

Le Q. G. A3. se porta sur Marche; en m'y rendant, je rencontrai près de Natoye le général de cavalerie von Richthofen, commandant le 1er C. C. ; il avait reçu du G. Q. G. l'ordre de laisser en arrière les 12e et 13e bataillons de chasseurs, de traverser la Meuse à l'est de Namur, puis de se mettre à la disposition de la 2e armée.

C'est avec joie que je me rappelle cette rencontre qui non seulement me permit d'échanger avec ce général des vues sur la situation militaire, mais encore me fournit l'occasion de lui exprimer ma reconnaissance pour les services rendus par le Ier C. C. devant le front de la 3e armée. J'appris également là combien les 12e et 13e bataillons de chasseurs s'étaient fait apprécier dans le corps de cavalerie pour leur brave et glorieuse conduite devant l'ennemi.

Des renseignements verbaux et écrits ainsi qu'une série de rapports de la cavalerie d'armée, confirmés et complétés par les résultats de l'exploration aérienne me fournirent la possibilité d'adresser encore ce jour là aux troupes de la 3e armée un croquis représentant la ligne de défense française en aval et en amont de Dinant.

Aussi le Corps de Cavalerie avait été pour le Q. G. A3., d'un grand secours pour les opérations tactiques qui allaient se dérouler sur la ligne de la Meuse. D'autre part, dans le domaine stratégique, l'exploration du général de cavalerie von Richthofen nous avait permis de bien voir clair dans la situation de l'ennemi.

Dès les 17 et 18 août, la cavalerie annonçait que le pays, au sud-est de Givet, était vide de troupes ; ces renseignements confirmés les jours suivants éveillèrent en moi la pensée qu'il devait y avoir là un intervalle comme, en principe, le plan de concentration français en laissait entre les groupes d'Armées. En raison de son étendue, de Givet à Bouillon-Paliseul, on pouvait le considérer comme un point faible dans le dispositif ennemi.

A Marche, où ,je pus saluer, dans l'après-midi, de troupes de la 23e D. I. (lieutenant-général baron von Lindman) et des fractions de la 45e brigade d'infanterie de réserve (lieutenant-général von Suckow) pendant qu'ils traversaient la ville, j'occupai la villa d'un monsieur Léonard, homme riche et vieux célibataire, d'ailleurs absent.

Les officiers et fonctionnaires du Q. G. A3. mangeaient ensemble dans le voisinage, à l'hôtel de la Cloche ; tous remarquèrent les dispositions hostiles de la population ; cependant il ne se produisit ce jour-là aucun incident. Le départ de la cavalerie d'armée me tourmentait beaucoup. Je comprenais bien qu'il était nécessaire de disposer, à l'aile droite de l'armée allemande, d'une forte cavalerie, mais ,je redoutais également que, par suite du passage du Ier C. C. sur la rive gauche de la Meuse, la 3e armée se trouvât réduite dans la suite aux seules troupes de cavalerie qui en faisaient organiquement partie. Bien que cette crainte ne fût pas justifiée pour les combats imminents sur la Meuse, elle paraissait l'être pour la suite des opérations après forcement de la coupure de la Meuse à Dinant ; car, sur les 22 escadrons qui me restaient après le départ du XIe C. A., 6 escadrons, laissés comme troupes de réserve dans la zone de concentration, n'avaient pas encore acquis à ce moment l'aptitude nécessaire à la guerre. Je n'eus pas le loisir de m'arrêter longtemps à ces préoccupations et de chercher à y obvier, car un ordre du G. Q. G. adressé à la 3e et à la 2e armée absorba toute l'activité du Q. G. A3., dans l'après-midi du 20 août. Cet ordre portait : " L'attaque de la 2e armée contre l'ennemi à l'ouest de Namur devra coïncider avec l'attaque de la 3e armée contre la ligne de la Meuse de Namur à Givet. Les commandants d'armée se concerteront à cet effet ".

L'ordre recommandait également de rester en liaison avec l'aile droite de la 4e armée.

Comme le G. Q. G., en émettant cet ordre, avait négligé de régler lui-même le mode de coopération des deux armées et aussi d'indiquer dans quelle direction il faudrait porter l'attaque décisive, ,j'envoyai un officier d'état-major au quartier général de la 2e armée pour coordonner les opérations qui paraîtraient nécessaires. Ce n'est qu'au bout d'un temps assez long que l'on parvint à accorder d'une manière satisfaisante les opérations envisagées par la 2e armée et par la 3e, car le Q. G. A2. pas plus que le Q. G. A3. ne pouvait s'appuyer sur des considérations décisives. Aucune de ces deux autorités ne se préoccupait de la situation de l'autre ni de la situation générale, chacune d'elles, qu'elle le voulût ou non, ne s'occupant que de ses propres intérêts. La manière de voir du Q. G. A3. était à peu près la suivante : Si, comme le croit le Q. G. A3., le déploiement de la 2e armée est en avance sur celui de l'adversaire qui lui est opposé, il est indiqué d'utiliser les avantages tactiques et de rechercher immédiatement la décision tandis que la 3e armée attaquera le détachement d'armée ennemi rencontré sur la Meuse à Dinant, non seulement en vue de le fixer, mais encore pour acquérir la possibilité d'agir sur les arrières du groupe d'armée ennemi aux prises avec la 2e armée.

D'autre part, je me disais que l'attaque décisive de la 2e armée en direction sud ne portait pas en elle-même le germe d'un succès stratégique aussi grand que celui réservé à une offensive de la 3e armée cherchant la décision en direction est-ouest. Si la 3e armée réussissait à battre son ennemi et à pénétrer dans le dispositif français, avec des forces suffisantes, par la trouée repérée au sud de Givet, l'adversaire combattant au sud de la Sambre non seulement succomberait sous les coups de la 2e armée, mais encore se trouverait séparé de l'armée voisine qui devait se trouver vers Charleville.

Après un échange de dépêches télégraphiques et après que j'eusse donné l'assurance que la 3e armée ne serait pas en mesure, avant le 21 août au soir, d'agir méthodiquement par son artillerie sur la ligne de la Meuse, le Q. G. A2. renonça à son projet d'attaquer dès le 20 août. Il m'informa le même ,jour par un radio confirmé le lendemain matin par lettre, qu'il avait fixé l'attaque au 23 août au matin ; l'aile gauche de la 2e armée se porta alors en direction Jemeppe-Mettet.

Il était évident que la 3e armée ne pouvait pas fixer une date plus rapprochée pour une action combinée avec la deuxième. Le prélèvement du XIe C. A. afFaiblissait la 3e armée d'un quart de son effectif, ce qui l'obligeait à porter en avant le XIIe C. R. pour lui permettre de prendre immédiatement part à l'action. Il fallait donc appeler le XIIe C. R., marchant en deuxième ligne, à la place du XIe C. A. en première ligne. Il allait de soi que ce mouvement exigerait un certain temps et qu'il devait retarder le moment de l'attaque. Pendant ces négociations entre le Q. G. A2. et le Q. G. A3., commencées le 20 août et seulement terminées le 21, les mouvements suivants s'accomplirent :

Le XIIe C. A. - 32e D. I. à droite, 23e à gauche - avança jusqu'à Spontin-Thynes-Sorinne-Foy Notre-Dame.Q. G. à Achène.

Le XIXe C. A., échelonné en profondeur pour assurer la protection du flanc, laissa son Q. G. à Buissonville et atteignit, avec la 24e D. I., Furfooz, avec la, 4Oe D. I., Ciergnon, tandis que le XIIe C. R. portant son Q. G. à Baillonville atteignit avec les têtes de la 24e D. R. Nettine avec les têtes de la 23e D. R. Hogne.

Le Q. G. A3. resta le 21 août à Marche et y apprit par le Q. G. A4. que la 4e armée porterait son corps de droite (VIIIe C. A.) à Wawreille, avec quartier général à Saint-Hubert, afin d'être prête à couvrir le flanc gauche du XIXe C. A. pour le cas où celui-ci viendrait à être attaqué par le sud ou le sud-ouest.

C'est avec cette assurance que la 3e armée serra davantage, le 22 août, sur la coupure de la Meuse :

Le Q. G. A3. fut porté à Leignon. Le XIIe C. A. . Q. G. à Taviet.

Le XIXe C. A. : Q. G. à Custinne.

Le XIIe C. R. : Q. G. à Braibant (24e D. R. à Natoye, 23e D. R. à Sovet).

Elle entra ainsi en contact plus étroit avec les avant-postes encore maintenus par les français sur la rive droite de Meuse à Dinant, les rejeta de l'autre côté du fleuve, entreprit les reconnaissances de la ligne de la Meuse qui avaient été prescrites en vue de l'attaque envisagée et prit toutes les mesures d'ordre tactique et, technique qui paraissaient nécessaires pour l'attaque du 23 août.

Pendant que l'activité du Q. G. A3 se trouvait ainsi dirigée vers l'ouest, il arriva soudain à Leignon un message téléphoné du commandant du XIXe C. A. annonçant que la 4e armée se dirigeait vers le sud, mais qu'elle laisserait à Beauraing une brigade mixte pour protéger le flanc gauche de la 3e armée contre Givet. Peu de temps après, le Q. G. A4. confirmait le fait et ajoutait que l'adversaire venant du sud, avec cinq corps au moins, déclenchait une offensive et obligeait la 4e armée au combat. En présence de ce changement, une question se posait pour moi : que doit faire la 3e armée, voisine d'une armée attaquée, pour faire face à la nouvelle situation créée dans le dispositif général ?

Le fait que la 2e et la 3e armées se trouvaient en posture d'obtenir immédiatement la décision, cherchée par elles à l'ouest et au sud de Namur, ne me laissa pas le moindre doute qu'il fallût s'en tenir à l'accord intervenu avec le Q. G. A2. et, comme cela était convenu, commencer les opérations le 23 août et les poursuivre sans désemparer.

A la vérité, le changement de front entrepris le 22 août par la 4e armée, en raison de l'avance de l'ennemi venant du sud, était conforme au plan général de conversion vers le sud, envisagé par le G. Q. G. Cependant la 3e armée ne pouvait pas y participer jusqu'à ce que l'adversaire rencontré par les 2e et 3e armées à Namur fût mis en déroute. Certes un tel succès supposait que la 4e armée réussît à parer le coup dirigé contre elle. Je l'espérais avec confiance, non seulement parce que les forces françaises qui cherchaient la décision contre la 4e armée n'étaient pas supérieures en nombre et qu'elles se trouvaient aussi dans la zone d'action de la 5e armée allemande, mais encore parce que l'aile ouest du groupe d'armée français qui avançait contre la 4e armée, sauf une division de cavalerie, faisait mouvement par Bouillon : que, par suite, il n'y avait à craindre de sa part aucune menace directe et immédiate sur Dinant.

Appuyé sur ces considérations, l'ordre pour la journée du 23 août parut le 22. Il prescrivait une attaque combinée avec celle de l 2e armée : l'exécution en était fixée au 23 août, 5 heures du matin. Contre toute attente, je me trouvai de nouveau, à 11 heures du soir, en présence d'une situation modifiée. A cette heure, arriva un radio de la 2e armée, déjà lancé, semble-t-il, dans l'après~midi : il faisait connaître que l'ennemi ne semblait disposer jusqu'alors, au sud de la Sambre, que de trois divisions de cavalerie avec un peu d'infanterie.

On exprimait le " désir pressant " que la 3e armée fît une avance rapide sur Mettet, tandis que la 2e armée pousserait jusqu'à Binche-Mettet. L'officier d'état-major, de retour du Q. G. A2. peu après l'arrivée de ce radio (il avait dû faire un long détour par le nord de Namur et avait perdu beaucoup de temps en route par suite des mouvements de troupes et de colonnes de munitions qui lui barraient le chemin), confirma la nouvelle que le Corps de la Garde avait traversé la Sambre dès le 22 août et qu'il avait immédiatement attaqué.

Pour m'expliquer que le Q. G. A3 se fût écarté des conventions intervenues, j'imaginai que la 2e armée avait tout d'abord surestimé les forces françaises rencontrées sur la Sambre et qu'aujourd'hui elle pensait au contraire être seulement en présence de 3 divisions de cavalerie.

A cette heure très avancée, il ne restait plus que peu de temps avant le départ des troupes ; il m'était impossible de rien modifier aux instructions contenues dans mon ordre d'armée. L'hypothèse d'une retraite possible de l'ennemi, provoquée par l'avance de la 2e armée, n'entraînait d'autre conséquence que l'ordre au XIXe C. A. d'avoir à s'emparer, avec la 40e D. I, dans la nuit même (22-23 août) du passage d'Hastière-Lavaux. De la sorte il serait prêt pour la poursuite au cas où l'adversaire se serait résolu à rompre le contact avec la 2e armée.

Le lendemain, on pouvait déjà percevoir le feu de l'artillerie de siège entrée en action contre Namur dès le 20 août à midi ; il arriva aussi au nouveau quartier général de l'armée, à Leignon, des nouvelles de succès obtenus là-bas ainsi qu'un rapport indiquant qu'à Marche, récemment abandonné par le Q. G. A3., on avait dressé une embuscade et tiré contre un détachement du régiment d'infanterie de réserve n° 103.

Au cours d'une inspection que je fis personnellement du terrain à l'est de Dinant,,je rencontrai mon régiment d'infanterie n° 182 aux avant-postes de la 23e D. I., sur la route de Sorinne à Dinant; je rentrai ensuite au château de Leignon que j'occupais depuis le matin avec mon état-major. Nous y avions été fraîchement accueillis par le propriétaire, M. le conseiller de légation en retraite Eggremont. Le château était une grande construction neuve confortablement installée, bâtie sur une hauteur au milieu d'un parc ; il surplombait le village, et sur sa tour flottait le pavillon de la croix de Genève. Les écuries pour trente chevaux, un manège couvert, de nombreuses serres froides et chaudes, entouraient la cour.

Le châtelain et toute sa famille étaient présents ; sa femme, deux fils presque adultes, une fille mariée au châtelain de Sorinne qui savait son mari à Dinant, et une vieille femme de Namur avec sa fille sans doute fiancée à l'un des jeunes Eggremont. Le vieux était un homme grognon qui, le poing serré dans la poche, paraissait fort importuné par ses hôtes forcés. Dans le salon du château, il y avait une collection extrêmement précieuse d'armes japonaises et chinoises qu'Eggremont avait rassemblée dans les divers postes diplomatiques qu'il avait occupés en Extrême-Orient.

L'officier chargé du cantonnement, premier lieutenant von Hoesch, avait accepté à mon insu l'invitation de Mme Eggremont pour le déjeuner et le dîner de tout l'état-major. Mon intention de décliner cette invitation se heurta à l'impossibilité de trouver à nous restaurer ailleurs ; c'est pourquoi von Hoesch avait cru pouvoir s'adresser à la famille Eggremont. D'ailleurs, le comte von Strachiwitz, d'un régiment de dragons de la garde, avait été cantonné là pendant une semaine et y avait reçu une attentive hospitalité. Le repas de midi ne se passa pas trop mal, bien qu'il y régnât une certaine contrainte. Les dames Eggremont justifiaient la présence de la croix de Genève sur le château par ce fait que quelques blessés du bataillon de chasseurs de la garde et du 12e bataillon étaient couchés dans les communs et soignés par elles, à la vérité sans l'assistance d'aucun médecin. La manière " choquante et importune " qu'elles employèrent me fit reconnaître trop clairement qu'elles n'avaient pas obéi à un sentiment d'humanité, mais qu'elles étaient seulement poussées par le désir d'échapper ainsi à des vexations de la part des troupes allemandes. Pour mettre fin à cet état de choses j'ordonnai, après visite des blessés, de les transporter aussitôt dans une ambulance et de retirer la croix de Genève.

Très vexée par cet ordre, la partie masculine de la famille Eggremont se permit de tenir des propos hostiles lorsque la police militaire procéda à la recherche des armes pour se les faire livrer : elle persista même dans son attitude après que j'eusse ordonné de ne pas confisquer les armes qui faisaient partie de la collection. Les fils ne parurent pas au dîner et le père s'y présenta fort en retard. Il se montrait troublé et ne répondait à aucune question. Mme Eggremont faisait bonne mine à ce jeu dont elle ne surprenait pas encore le motif (sic). Après dîner, j'appris par le conseiller privé de gouvernement Hartenstein, qui était chargé de la saisie des armes, que les fils Eggremont s'étaient exprimés d'une façon inconvenante à l'égard des Allemands et que le chef de famille n'avait consenti à livrer un revolver qu'il avait à la main qu'après emploi de la force. Je me décidai donc à faire emprisonner séparément les deux fils chacun dans leurs chambres, à les faire surveiller par des sentinelles et à étendre également cette surveillance au vieux monsieur. En tout cas, cette situation était très pénible pour les deux parties, et on aurait pu l'éviter en n'acceptant pas l'invitation de l'hôtesse.

Au surplus, je crois me rappeler avoir appris dans la suite que l'inspection d'étapes n° 3, lorsqu'elle fut logée, quelque temps après, au château de Leignon, avait été dans la nécessité de faire interner la partie masculine de la famille Eggremont.

CHAPITRE III

COMBATS DES 23 et 24 AOUT A DINANT ET AUX ENVIRONS

 

Le Q. G. A. quitta le 23 août à 4 heures du matin le château de Leignon et se rendit au poste de combat qu'il avait choisi sur la route Achêne-Dinant, au sud et près de Taviet. C'est là que parvinrent, à 4 h. 45, les comptes-rendus des XIIe et XIXe C. A. suivant lesquels l'artillerie était prête à ouvrir le feu. Un épais brouillard couvrait la vallée de la Meuse et empêchait toute observation lointaine. Enfin, à l'aurore, à 5 h. 50, je pus donner personnellement l'ordre de commencer le feu .

L'artillerie française ne tarda pas à répondre vigoureusement; les renseignements faisaient connaître que l'adversaire se tenait à l'ouest de la Meuse avec des forces importantes ; il n'avait pas encore détruit les ponts de Dinant, le pont d'Anseremme, bien qu'endommagé, était encore praticable pour des troupes à pied ; enfin le combat, pour la possession du pont de Hastière-Lavaux, ne s'était pas encore terminé favorablement. Sous la protection du feu d'artillerie, le XIIe C. A. fit avancer sa 32e D. I. sur Houx et sa 23e D. I. sur Dinant en vue de faire intervenir son infanterie dans la lutte contre le défenseur ; de la même manière, les forces principales du XIXe C. A. se rapprochèrent de la Meuse, d'Anseremme à Lavaux. Les troupes ne parvinrent que péniblement à progresser ; la configuration et les couverts du pays, la force du courant de la Meuse et l'attitude hostile des habitants leur causaient des difficultés de toutes sortes et favorisaient la résistance du défenseur.

A 8 heures 35, un radio du G. Q. G. parvint au Q. G. A3. à Taviet, au sujet du combat engagé le 22 août par la 4e armée, et d'une opération grâce à laquelle la 2e armée devait ouvrir à la 3e le passage de la Meuse entre Namur et Givet. Pour conclure, il recommandait de faire traverser la Meuse, au sud de Givet, par les troupes disponibles de la 3e armée dans le but de couper la retraite à l'ennemi. Cette dernière indication causa une grande joie au Q. G. A3; elle était complètement d'accord avec notre conception qui avait déjà trouvé son expression dans l'ordre adressé par le commandant de l'armée, la veille au soir, au XIXe C. A. de s'emparer dans la nuit du 22 au 23 août du pont de Hastière-Lavaux.

En réfléchissant aux moyens de réaliser la directive du G. Q. G. , j'éprouvai le besoin de voir d'un peu plus près ce qui se passait à l'aile gauche de la 3e armée. Je décidai donc de me rendre avec un État-major réduit auprès du Q. G. du XIXe C. A. Ce déplacement, envisagé seulement pour un court espace de temps, parut sans inconvénient ; les opérations ne se développaient en effet que lentement au XIIe C. A. devant et à l'intérieur de Dinant, et le XIIe C. R. se rapprochait de la Meuse au nord de la 32e D, I. après que le régiment d'infanterie de réserve n° 103, marchant â la tête de la 23e D. R., eut livré à Dorinne un sérieux combat contre des paysans armés.

A la suite d'un entretien avec le général de cavalerie von Laffert, je lançai d'Hulsonniaux un ordre d'armée qui prescrivait de continuer l'attaque commencée sur la Meuse, de poursuivre la tentative de passage de vive force près de Lenne et en outre de mettre en marche toutes les forces disponibles du XIXe C. A. sous les ordres du général de division Götz von Olenhusen. Il s'agissait, avec ces forces, de pousser au sud de Givet, en direction générale de Fumay, au-delà de la Meuse, pour couper à l'ennemi la retraite vers le sud- ouest ou l'ouest, tandis que la brigade du VIIIe C. A., arrivée à Beauraing continuerait à couvrir le flanc gauche de la 3e armée.

A mon retour à Taviet m'attendaient des renseignements d'aviateurs de grande importance qui ne laissaient aucun doute sur la situation : l'ennemi opérant au sud de la Sambre avait commencé sa retraite, fait sauter le pont de Dinant et évacué une partie de la position à l'ouest de cette ville.

On pouvait dès lors escompter, avec beaucoup de vraisemblance, que la résistance sur la Meuse en amont et en aval de Dinant ne se prolongerait plus longtemps ; cette manière de voir conduisait donc - sans plus - à la décision d'effectuer l'opération confiée au général de division Götz von Olenhusen non seulement avec les troupes disponibles du XIXe C. A., mais bien avec le XIXe C. A. tout entier, car cette opération portait en elle même le germe d'un grand succès.

Elle pouvait aboutir, soit à séparer l'ennemi qui se trouvait en face des 1re, 2e et 3e armées, du groupe d'armée aux prises avec la 4e armée ; soit, en cas de plus large développement, à réaliser même l'encerclement de la partie de l'armée française opposée à nos 1e, 2e et 3e armées.

L'espoir que nous avions, le 22 août à midi, de triompher rapidement de l'obstacle de la Meuse ne devait malheureusement pas se réaliser ; bien plus, les succès obtenus au cours de l'après-midi au prix d'une lutte acharnée devaient rester au-dessous de ce qu'on attendait.

La cause doit en être recherchée d'un côté dans ce fait que le projet de la 2e armée qui nous avait été communiqué par elle, puis confirmé par le G. Q. G., et qui tendait à ouvrir le 23 août le passage de la Meuse à la 3e armée n'avait pas abouti en fait à une réalisation tactique ; d'un autre côté, dans les particularités des combats près de Dinant. Là le XIIe C. A. ne put obtenir un succès rapide. Pourtant l'ennemi ne semblait tenir que par ses arrière-gardes - deux brigades actives renforcées, et des éléments d'une division de réserve, comme on l'apprit dans la suite. - Il faut attribuer ce retard, comme on l'a déjà dit plus haut, à la configuration du sol et à l'attitude de la population.

La rive droite de la Meuse, aux environs de Dinant, est bordés par une muraille de rochers, haute de cent mètres, presque verticale, creusée de grottes, crevassée et tapissée de broussailles.

La rive gauche beaucoup plus basse est constituée par de petites collines à pentes douces, couvertes de haies et de buissons qui, organisés pour la défense, permettaient de prendre facilement sous le feu les chemins conduisant de l'est de la Meuse à son thalweg, par exemple par Yvoir, Houx, Lelfe, Dinant, Herbuchenne et Les Rivages. Elle commandait d'ailleurs la route qui bordé étroitement la rive droite du fleuve. Ainsi, le forcement de la Meuse se présentait comme une opération très difficile. Il pouvait même, d'un moment à l'autre, mettre l'assaillant dans une situation désespérée, si la population de Dinant prenait part à la bataille. Après avoir avancé jusque dans la partie de la ville située sur la rive est, la troupe se heurta à des habitants armés dont la participation à la résistance semblait avoir été organisée militairement. De toutes les maisons, dont les toits, les fenêtres et les caves avaient été préparés pour la défense, partait un feu terrible pour l'assaillant. Le peuple aveuglé usait de toutes les perfidies ; on vit même des femmes et des jeunes filles se mêler à la bataille.

Ainsi se déroula à Dinant un combat de rues du plus grand acharnement et qui dut être mené sans merci. La conduite des habitants, si contraire au droit des gens, retarda la construction du pont projeté pour le passage de la 23e D. I. Les pionniers, en mettant les bateaux à l'eau, subirent des pertes très élevées. La moitié du matériel fut crevée par les balles d'infanterie. Sa remise en état dura jusqu'au lendemain. Mais dans les faubourgs aussi, une population fanatique, soutenue de la rive gauche par les Français, opposait une vive résistance. Le XIIe C. R. près de Houx, la 32e D. I. près de Leffe, la 23e D. I. près de Les Rivages arrivèrent bien à prendre pied sur la rive gauche avec quelques faibles unités, mais non à forcer rapidement le passage avec des éléments suffisamment importants. Seule la 24e D. I. réussit à le faire, vers la tombée de la nuit, à Lenne. Elle chercha ensuite à s'emparer encore d'Onhaye. Chassée de là par des forces supérieures elle se maintint cependant dans les petits bois de Freyr et de Lenne qui devaient servir de points d'appui pour faciliter le passage de la rivière, le 24 août à la 3e armée. Cette opération aurait déjà pu commencer la veille, si la 2e armée était parvenue à ouvrir de vive force le passage de la Meuse le 23 août ainsi qu'elle en avait annoncé l'intention. Comment expliquer que l'aide promise par la 2e armée ne se soit pas produite ? Je n'ai jamais pu approfondir cette question ; mais les faits sont là. Le corps de la garde, placé à l'aile gauche de la 2e armée, traversa la Sambre dès le 22 août au lieu du 23, jour convenu, et attaqua avec la conviction de ne rencontrer là que " 3 divisions de cavalerie française avec une faible infanterie ". Cette offensive prématurée se heurta à des forces sensiblement plus élevées que " 3 divisions de cavalerie " ; la garde fut arrêtée le 23 août à Saint-Gérard. Le Q. G. A2, au lieu d'ouvrir le passage de la Meuse à la 3e armée au sud de Namur, fut ainsi conduit à lui adresser, à 6 heures 30 du soir, cet appel au secours : " Passage de la Meuse par 3e armée instamment désiré pour aujourd'hui même. De cette demande si pressante résulte la preuve irréfutable que la 2e armée avait un besoin urgent de l'aide de la 3e et qu'elle n'était pas en mesure d'intervenir effectivement sur la Meuse en aval de Di nant. Certes l'avance du corps de la garde et du Xe C. A. le 23 août jusqu'à Gerpinnes-Saint-Gérard ne devait pas rester sans influence sur l'issue de la résistance française, le 24 août, derrière la Meuse, des deux côtés de Dinant ; de même l'attaque de la 3e armée, le 23 août, devait influer sur l'évacuation de la région au sud de la Sambre. Mais il est probable que le commandement français, en présence de l'action combinée des 2e et 3e armées allemandes, aura considéré l'avance de la 3e armée, dont la direction menaçait ses arrières, comme plus dangereuse que le mouvement de la 2e armée marchant du nord au sud.

Quelles que soient les considérations qui aient déterminé le commandement français à renoncer à, la résistance contre les 2e et 3e armées, il demeure incontestable que les deux brigades d'arrière-garde de la 2e D. I. française, renforcées par des fractions de la 51e D. R. et appuyées sur la résistance de la population belge, avaient rempli complètement leur mission.

Le Q. G. A3. fut transféré dans la soirée au château de Taviet. Mais auparavant les généraux commandants de corps d'armée furent mis au courant de la situation. Il leur fut prescrit pour la tombée de la nuit :

" S'il est possible d'accorder du repos aux gros des C. A., il est nécessaire néanmoins d'entreprendre la poursuite avec des troupes de toutes armes, à savoir :

XIIe C. A. en direction Philippeville.

XlXe C. A. (24e D. I.) Romerée-Marienbourg ".

Bien que la journée du 23 août se fût passée autrement qu'on ne pouvait s'y attendre le matin, eu égard à la situation générale et aux progrès des combats sur notre propre front, j'étais cependant résolu, vers le soir, à m'en tenir à mon plan.

La nouvelle que l'ennemi battait en retraite par Philippeville et avait dû commencer l'évacuation des bords de la Meuse à Dinant, me confirma dans mon idée, déjà réalisée le 23, qu'il fallait poursuivre mon mouvement en direction du sud-ouest. Après en avoir rendu compte au G. Q. G. et en avoir informé les armées voisines, je rédigeai le 24 août à 2 h. 30 du matin, à Taviet, l'ordre d'armée relatif aux opérations de cette journée. A peine cet ordre était-il envoyé, que se présenta, à 4 heures du matin, un officier d'état-major du G. G. A2, le major von Fouqué, qui fit connaître :

" Que la 2e armée avait l'impression de s'être heurtée le 23 août à un ennemi fort d'environ 5 corps d'armée qui paraissaient occuper une position fortifiée et qui avaient attaqué avec succès le Xe C.R. ; l'attaque de la 2e armée le 23 août avait eu en général un développement favorable ; cependant, en vue de son renouvellement envisagé pour le 24 août à la pointe du jour, il s'imposait d'urgence que la 3e armée, par une attaque en direction est-ouest soutînt l'attaque de l'aile gauche de la 2e armée en direction générale de Mettet ". Cette demande de secours de la 2e armée, renforçant le son de cloche " instamment désiré ", déjà entendu le 23 août à 6 h. 30 du soir, me mettait en présence de la grave décision soit de maintenir mon ordre à la 3e armée envoyé une heure et demie auparavant, soit de prêter l'oreille à la proposition de la 2e armée d'avancer en direction est-ouest. Le court délai qui restait disponible pour réfléchir et se décider - puisque la 2e armée devait attaquer à la pointe du jour - excluait toute nouvelle délibération soit avec le G. Q. G. soit avec le Q. G A2. Le rapport présenté par le délégué de la 2e armée fit naître à Taviet la pensée que non seulement les combats livrés par la 2e armée, le 23 août, n'avaient pas répondu aux espoirs caressés par le Q. G. A2., mais encore qu'il n'y avait pas lieu de se réjouir de la situation. eu égard au succès avec lequel l'ennemi avait attaqué le Xe C.A.

Une telle manière de voir ne pouvait être infirmée par l'expression dont se servait le Q. G. A2. " l'attaque du 23 août aurait été en général favorable ".

En tout cas c'était un fait que :

1° Le 23 août, l'ouverture de la ligne de la Meuse, espérée par le Q. G. A2. et annoncée par le G. Q. G., me s'était pas réalisée.

2° L'appel au secours " pressant " du Q. G. A2., arrivé dès 6 heures 30 du soir, se renouvelait presque aussitôt, par envoyé spécial : on ajoutait même qu'il " s'imposait d'urgence " .

3° L'appui de la 3e armée était demandé, en direction est-ouest.

Tout cela n'était pas fait pour rassurer le G. Q. A3. sur le succès de sa coopération avec la 2e armée, le 24 août.

Le cœur serré, mais il le fallait, je me livrai, le 24 août, à 4 heures du matin, à de nouvelles réflexions. Je pensai aux circonstances dans lesquelles l'idée d'une offensive vers le sud-ouest s'était développée et avait pris tant d'importance. J'examinai les perspectives stratégiques qui s'offraient en cas d'exécution de cette offensive. Néanmoins, il restait hors de doute pour nous que la poussée de la 3e armée vers le sud-ouest ne conduirait à un succès décisif que si elle se combinait avec les mouvements de la 2e armée.

Un échec tactique de la 2e armée au sud de la Sambre rendait cette combinaison impossible. Et alors, la 3e armée, amputée du XIe C. A., courait le danger d'être, à son tour, coupée de la deuxième par un ennemi supérieur en nombre, et rejetée sur la quatrième. Il saute aux yeux qu'une telle éventualité aurait eu des conséquences d'autant plus funestes que la 3e armée aurait pénétré plus avant vers le sud-ouest, dans une région où la configuration du terrain, l'état des routes, des chemins et des ponts paralyseraient la liberté de ses mouvements. Dès lors, non seulement l'opération d'ensemble de l'aile droite de l'armée allemande aurait été compromise, mais encore les succès que venait d'obtenir la 4e armée auraient été remis en question.

A ces réflexions s'ajoutait une autre considération tirée de la demande de secours présentée par le major von Fouqué. On pouvait bien penser que la direction " est-ouest " indiquée pour l'attaque par le Q. G. A2. n'était donnée sous forme impérative que pour réaliser l'entente tactique au sujet de l'entrée en ligne des ailes intérieures des 2e et 3e armées et que, dans ces conditions, une intervention de la 2e armée dans la direction des affaires de la 3e ne devait pas être repoussée. Du reste la manière dont était rédigée la demande de soutien indiquait bien que la situation de la 2e armée était de nature à réclamer une aide immédiate par les moyens les plus rapides et dans le délai le plus court. Cet appel au secours, renouvelé, sous une forme si caractéristique par le Q. G. A2. devait, sous le coup des événements survenus le 23 août à la 2e armée, ébranler notre confiance dans toute coopération avec cette dernière. Mais une condition primordiale du succès de l'attaque projetée par la 3e armée, en direction du sud-ouest, était qu'elle fût couverte et que les mouvements de la 2e et de la 3e armée, prévus pour le 24 août, fussent en concordance au point de vue stratégique. La situation difficile de la 2e armée obligeait donc la troisième à faire abstraction de ses propres desseins : il lui fallait marcher, le 24 août, non plus en direction du sud-ouest, mais bien en direction est-ouest. Ainsi nous allions sacrifier nos vues personnelles appropriées à la situation et faire prévaloir les préoccupations tactiques du voisin sur la situation stratégique dont nous nous étions exclusivement préoccupés jusqu'ici. Malgré le danger qu'il y avait à substituer à un ordre d'armée à peine lancé des instructions nouvelles pouvant occasionner des coincements dans la transmission des ordres et dans les mouvements de troupes, je donnai à 5 heures 50 du matin un nouvel ordre d'armée pour le 24 août, le second.

Cette concession du Q. G. A3. permit de réaliser à une heure critique une action concertée dans l'intérêt de la 2e armée.

Si les 1re, 2e, 3e et 4e armées avaient formé un groupe d'armées placé sous une direction unique, la coopération tactique des 3e et 2e armées n'aurait pas risqué de n'être pas assurée dans cette circonstance. Une telle direction eût été seule en mesure de juger s'il était possible, et par quel moyen, d'adapter à la situation sur le front de la Sambre les mesures stratégiques que je me proposais de prendre.

On peut se demander tout de suite pourquoi le commandant de la 3e armée, elle-même en contact étroit avec l'ennemi, attachait tant d'importance aux demandes de secours de ses voisins.

Incontestablement le quartier général de la 3e armée; au cours de la guerre de mouvement, a eu beaucoup à souffrir de telles demandes venant de sa droite et de sa gauche, et les critiques pourraient penser que de semblables appels à l'aide ont été pris trop sérieusement en considération.

0n doit pourtant ne pas perdre de vue que seul un péril extrême pouvait conduire un chef aussi éprouvé et aussi hautement apprécié que celui qui était à la tète de la 2e armée à réclamer impérieusement du secours en allant même jusqu'à indiquer le moyen à employer pour lui venir en aide au lieu de laisser le choix de ce moyen à l'appréciation de celui dont il réclamait le concours.

Eu égard à la situation de la 2e armée, la 3e armée entama le 24 août la marche droit à l'ouest après avoir réussi au moyen de pontons, de bacs, et même en construisant des ponts militaires, à franchir successivement la Meuse d'abord à Lenne, puis à Leffe, enfin à Les Rivages. Toutefois, des rapports d'aviateurs parvenus dans les premières heures de la matinée apportèrent de nouveaux renseignements établissant que les troupes françaises se retiraient sur un large front vers le sud et le sud-ouest au delà de la ligne Givet-Philippeville-Beaumont. Le Q. G. A3. revint dès lors immédiatement à son intention primitive de diriger son offensive vers le sud-ouest et abandonna le mouvement. " Est-Ouest " qui avait été sollicité par la 2e armée.

Après avoir rédigé, à 9 heures 45 du matin., un troisième ordre d'armée devenu maintenant nécessaire, après m'être assuré que la construction du pont de Leffe était sur le point d'être achevée et que le passage sur la rive gauche de la 32e D. I. - et ensuite de la 23e D. R. - commencerait incessamment, je me rendis à Les Rivages à l'emplacement de pont choisi pour la 23e D.I. J'y rencontrai le 100e régiment des grenadiers encore occupé à 1 heure de l'après-midi à effectuer un passage qui prenait du temps. Je me joignis avec mon état-major restreint à ce régiment et je me mis personnellement en rapport avec la troupe. Le contact étroit que j'eus avec elle me permit de constater, d'une part, les bonnes et joyeuses dispositions des officiers et, des hommes à la suite du succès remporté par nos armes, mais, d'autre part aussi, l'exaspération qui régnait parmi les grenadiers par suite de la participation perfide de la population belge à la bataille.

Sur la rive gauche se trouvaient rassemblées plusieurs centaines d'habitants de Dinant et de Les Rivages qui sous la surveillance des grenadiers, se tenaient. au bord de la rivière, étroitement serrés les uns contre les autres, debout, accroupis ou couchés. Des vieillards, des femmes, des jeunes filles de tout âge, des garçons ayant atteint la moitié de leur croissance, des enfants grands et petits, avaient été réunis là de force. Dans leur maintien et sur leurs visages se reflétaient une frayeur et une angoisse sans nom, une rage concentrée un désir de vengeance et de représailles provoqué par toutes les calamités dont souffrait la population ; une hostilité indomptable s'incarnait en eux. Beaucoup fondaient en larmes, déploraient la perte de leurs proches ou de leurs biens, envisageaient désespérément l'avenir en exhalant leur douleur, tombaient dans des crises de nerfs, criaient et vociféraient. Un malade mourut au milieu d'eux ; un Français, soldat du 208e régiment d'infanterie de réserve, blessé à la tête, le visage inondé de sang, était accroupi, muet et apathique, se refusant toutefois à recevoir aucune assistance médicale. Quelle somme de malheurs et de misères se trouvaient là réunis, cela ne peut s'exprimer par aucune parole ; la responsabilité de tels maux et de telles souffrances incombe à ceux qui ont excité la population belge et qui lui ont mis entre les mains des armes pour attaquer avec perfidie les Allemands.

Un coup d'œil rétrospectif sur cette scène et en général sur la résistance opposée à la 3e armée sur le territoire belge, dès qu'elle eut dépassé la frontière, m'impose la conviction que la conduite contraire au droit des gens de la population belge vis-à-vis des troupes allemandes, pour n'être pas la conséquence d'instructions publiques et spontanées du gouvernement belge, a néanmoins été provoquée, sous main, par ses délégués et constamment soutenue avec efficacité. L'unité dans l'organisation de la résistance, la manière conforme à un plan prémédité avec laquelle se battit une population enflammée d'une ardeur sauvage, la soigneuse préparation rencontrée partout à cet effet, comme le fait qu'à l'entrée en France les combats avec la population civile prirent fin, sont des preuves irréfragables que la direction de la guerre populaire en Belgique était entre les mains d'une autorité centrale. D'autre part, toutes les dispositions d'ordre tactique rencontrées à Dinant et dans les villages voisins témoignaient de l'application d'une méthode appropriée au but à atteindre et excluaient la possibilité qu'elles eussent été laissées au hasard de l'improvisation. Aucun doute ne peut subsister que les habitants de Dinant et d'autres localités étaient préparés à l'invasion des troupes allemandes et que toute la population était animée - par l'ordre de qui ? - de la volonté d'arrêter de toutes ses forces la marche en avant des Allemands.

Les troupes du XIIe C. A. dont la mission était de passer promptement la Meuse étaient particulièrement exposées à ces dangers. Pour y obvier, elles se trouvèrent en présence de la nécessité de guerre de casser les reins à la résistance organisée en vue de contrarier leurs desseins. C'est à ce point de vue que me paraît justifié, sans plus, le bombardement par l'artillerie d'une ville qui prenait une part active à la batailLe, l'incendie des maisons occupées par une garnison civile, la mise à mort des habitants rencontrés les armes à la main ; la condamnation des otages était aussi conforme au droit des gens : on ne s'était emparé d'eux que pour s'assurer d'une attitude exempte d'hostilité de la part de la population et celle-ci prit néanmoins part à la lutte.

Tout cela ne pouvait être évité, eu égard au but de guerre que l'on se proposait à atteindre et à la situation critique où se trouvait la troupe, surprise dans les rues de la ville et dans les villages voisins par des attaques perfides sur ses derrières.

Certes, on déplore profondément du côté allemand que les événements du 23 au 24 août 1914 aient ruiné la ville de Dinant et qu'ils aient coûté un grand nombre de vies humaines. La troupe saxonne qui se vit obligée, dans sa lutte contre la population qui l'attaquait avec perfidie, de recourir à des représailles nécessitées par l'objet de la guerre n'en porte pas la responsabilité, mais bien :

En premier lien le gouvernement belge qui approuvait une guerre de rues, contraire au droit des gens. En second lieu les populations des localités qui prirent part d'une manière fanatique au combat engagé. En tout cas, les habitants de ces villages belges doivent s'en prendre à eux-mêmes s'ils ont été victimes de dangers auxquels ils se sont exposés en connaissance de cause. S'ils s'étaient abstenus d'une résistance armée et d'une participation aux combats, ils auraient à peine souffert dans leur vie et dans leurs biens malgré la situation périlleuse dans laquelle ils se trouvaient nécessairement placés du fait des opérations de guerre.

Profondément ému par les images de désolation sur les bords de la Meuse et frappé des indicibles difficultés auxquelles s'était heurtée la construction du pont près de Les Rivages, je quittai avec mon état-major restreint l'emplacement du pont.

Nous roulâmes jusqu'à Onhaye, en traversant le champ de bataille situé à mi-chemin entre Lenne et Onhaye; le service de santé y était encore en pleine activité. Les organisations défensives réalisées là par les Français témoignaient incontestablement de l'habileté extraordinaire et de l'intelligence avec lesquelles le soldat français s'entend à ce genre de travaux.

Certainement il a fallu pour cela disposer de beaucoup de temps et de beaucoup de main-d'œuvre. En continuant la course en automobile par Anthée jusqu'auprès de Rosée, sans rencontrer sur la route ni amis ni ennemis, nous observâmes un combat qui se déroulait sur la hauteur au sud-ouest de Morville entre la tête de la 24e D.I. et une arrière-garde française ; nous gagnâmes plus tard la bifurcation de la route au sud-est de Biert-l'Abbé.

Près de cet endroit survint un détachement d'infanterie belge d'environ soixante hommes appartenant, à divers régiments, véritable caricature de soldats, marchant en ordre, précédés d'un drapeau blanc et suivi de deux automobiles. Ces gens se rendirent à nous sans plus et furent confiés à la pointe de l'infanterie de la 32e D.I. qui s'approchait sur le chemin de Falaen à Flavion. Du combat observé près de Morville et de la rencontre de la tête de la division ci-dessus indiquée, je conclus avec une plus grande certitude que la marche en direction sud-ouest, prescrite par l'ordre de la 3e armée, avait déjà été entamée par les troupes.

Une rencontre ultérieure avec le commandant du XIIe C. A. à Serville me permit de m'assurer que le XIIe C. A. tout entier se rapprochait de Franchimont, objectif de son mouvement, et qu'à côté de lui le XIIe C. R. exécutait aussi la marche prévue. Le 24 août au soir atteignirent ainsi :

XIIe C. R. (moins la 24e D. R. maintenue à Dinant pour la couverture et la protection des ponts) Florennes ; XIIe C. A. - après léger combat à Rozée - les bois au sud-ouest de ce village au lieu de Franchimont ; XIXe C. A. (moins le général Götz von Olenhusen) Romedenne.

Le Q. G. A3. se porta à Gérin ; là on reçut avis du Q. G. A2. que la 2e armée avait atteint Florennes, qu'elle se proposait de poursuivre sa marche en avant le 25 août dans une direction plus au sud-ouest, et qu'après prise de possession de Namur, le XIe C. A. serait mis en marche sur Philippeville. Cette avance de la 2e armée me prouva combien nous avions sagement agi, aussitôt qu'un aviateur eut repéré le mouvement général de retraite des Français, en renonçant dès 9 heures 45 du matin à marcher dans la direction indiquée par la 2e armée, c'est-à-dire de l'est à l'ouest.

Si nous n'avions pas opéré ainsi, les mouvements des ailes des 2e et 3e armées qui se touchaient eussent occasionné des frictions très gênantes, par suite des rencontres et des croisements de colonnes, et causé des pertes de temps plus considérables encore que celles provoquées par les réclamations du Q. G. A2.

La 4e armée annonça, vers le soir, que son aile droite continuerait la poursuite le 25 août, en direction Charleville ; mais elle souhaitait une meilleure liaison avec la 3e armée. Si la 2e armée n'était pas intervenue le 24 août dans les projets d'opérations de la 3e armée, en exprimant d'une manière pressante le désir de la voir marcher vers l'ouest, la 4e armée n'aurait pas eu besoin de se préoccuper de sa liaison avec la 3e. Cette préoccupation fut-elle occasionnée par le changement de direction de la 3e armée ou tint-elle à la conduite de la brigade du VIIIe C. A., qui avait été détachée vers Beauraing, je n'en ai jamais rien su.

En tout cas, je craignais que cette brigade n'eût la tentation de s'occuper bien plus de l'action du VIIIe C. A., en direction du sud-ouest, que de conserver le contact avec le XIXe C. A.. Mon appréhension était justifiée. Le général Götz von Olenhusen, au cours de son mouvement sur Fumay, eut l'occasion de le constater. Ce général partit le 23 août, à 1 heure de l'après-midi, de la croisée de routes à l'est de Feschaux, avec 10 bataillons, 3 escadrons et 6 batteries du XIXe C. A. Un bataillon du VIIIe C. A., rencontré au sud de cette localité, se joignit à lui, jusqu'à Beauraing. Là, il le quitta, sous prétexte que la brigade attendue avait pris une direction inconnue. Sans chercher à se renseigner sur ce point, et encore moins à reprendre la liaison avec cette brigade, le général Götz von Olenhusen continua sa marche. A la sortie de Beauraing il prit la route de Javingue-Felenne-Bourseigne-Neuve.

Son avant-garde se heurta à 10 heures du soir, près de Willerzies, à de l'infanterie ennemie qui se maintint dans le village et le bois voisin pendant toute la nuit. Au lieu de s'emparer immédiatement de ce village qui barrait la route, par une attaque brusquée, sans égard pour la grande fatigue des troupes, l'avant-garde se mit au repos et trouva le 24 août Willerzies évacué. Puis, la division reprit sa marche sur Fumay. Elle attendit en vain la compagnie de pionniers avec l'équipage de pont que lui avait emprunté le XIXe C. A. pour la construction des ponts de Lenne, demeurant sous l'impression du refus opposé par le VIIIe C. A. de lui prêter pour quelque temps son matériel de pont. C'est ainsi qu'elle rencontra de nouveau à Haybes un ennemi soutenu par des forestiers et des douaniers qui s'opposa à l'avance allemande dans le vallon étroit, rocheux et couvert de bois. Le défilé formé par la vallée et les bois ne se prêtait à aucun déploiement de troupes. Les ponts de Fumay étaient rompus et, dans de telles circonstances, il paraissait impossible de forcer le passage de la rivière. Le lieutenant-général Götz von Olenhusen jugea opportun d'arrêter son avant-garde à Haybes et son gros près de Hargnies.

Par suite de l'impossibilité de traverser la Meuse en temps utile, l'entreprise du général Götz von Olenhusen échoua et devint d'ailleurs sans objet, eu égard à l'avance des XIXe et XIIe C. A. à l'ouest de la Meuse le 25 août. La question de savoir s'il eût été possible, par une attaque brusquée le 23 août sur Willerzies, de trouver le pont de la Meuse à Fumay encore intact le 24 août, reste ouverte, comme aussi celle de savoir s'il y aurait eu avantage à jeter des chasseurs cyclistes de l'autre côté de la Meuse par des moyens de fortune.

Certainement cette tentative, si elle avait réussi en temps utile et avait été menée audacieusement, aurait pu avoir une action appréciable sur la route de retraite Philippeville-Rocroi, tandis que l'indisponibilité du matériel de pont employé à Lenne et le refus du VIII C. A. d'en fournir excluaient la possibilité de suppléer à la rupture du pont de Fumay.

A la fin de ce chapitre, ,je voudrai encore rappeler un fait survenu le 23 août et qui ne manque pas d'intérêt. En entrant au château de Taviet, l'après-midi, nous trouvâmes un avion français qui avait été descendu par le feu de l'infanterie allemande et qui gisait en pièces sur le sol. Il avait été attribué, depuis quelques jours déjà, comme butin à la cavalerie d'armée. Nous étions en train de nous réjouir d'un tel succès dû à l'habileté du tir allemand, lorsque nous fut apportée la preuve d'une égale précision du tir de l'infanterie français. Un lieutenant de hussards, M. von Stietenkron , se présenta à moi, portant à la tête une forte plaie d'où coulait du sang ; il était apparemment encore sous l'impression d'une forte commotion nerveuse. D'après ses dires, il fallait admettre que, pendant un vol à longue distance qu'il accomplissait le 22 août comme observateur avec son camarade, le lieutenant pilote aviateur Jansen, ils avaient été pris, à une hauteur de 500 mètres, sous un feu d'infanterie française dont son camarade fut victime.

Après l'atterrissage en un endroit inconnu, probablement à Paliseul, et alors avoir repris connaissance, il se serait trouvé au milieu d'infanterie française au repos. Il aurait été traité par celle-ci d'une manière indigne et grossière jusqu'à ce qu'enfin un coup de clairon appelât la troupe aux armes.

 

Lorsque cette infanterie reprit sa marche, on le laissa couché, le tenant sans doute pour mort ; il put alors, après la tombée de la nuit et grâce au couvert qu'offrait le bois voisin, trouver l'occasion d'éviter la captivité et de gagner les avant-postes allemands. Pendant qu'il était encore prisonnier, le souvenir des observations qu'il avait faites au cours de son vol s'était évanoui. L'appareil détruit était resté sur place ainsi que son camarade tué par une balle dans la tête.

CHAPITRE IV

DE LA MEUSE A L'AISNE. - 25 AU 31 AOUT

25 août. - La poursuite, commencée le 25 août, conduisit la 3e armée par Philippeville-Romerée sur la ligne Dailly-Couvin-Olloy-Vierves ; le XIe C. A. serra sur Florennes ; le détachement Götz von Olenhusen était arrêtés à Haybes-Hargnies. Je me rendis en automobile de Gérin par Rosée à Villers-le-Gambon, et comme, au sud de ce village, le quartier général du XIIe C. A. était soumis au feu des Français en retraite, je me dirigeai par Vodecée vers le XIIe C. R. à Philippeville. Je tombait cependant à Vodecée et près de ce village sous le feu des cyclistes ennemis. Je gagnai donc par un petit détour la région au sud-ouest de Lotenne où je vis passer des colonnes du XIIe C. A. ; je fus bientôt de nouveau importuné par une fusillade partant des bois le long du chemin de Franchimont à Surice et qu'entretenaient des traînards français: Le soi, le commandement de la 3e armée s'établit au château de Merlemont et y reçut des rapports relatant qu'au cours de la journée non seulement les troupes avaient dû briser la résistance offerte par des avant- gardes-françaises, par exemple : à Samart, Villers en- Fagne et Marienbourg, mais aussi qu'elles avaient eu beaucoup à souffrir de l'hostilité de la population belge. En plusieurs endroits, les habitants avaient immédiatement fait le coup de feu au côté des troupes françaises combattantes, mais en général ils laissaient d'abord les Allemands traverser le village sans les inquiéter pour tirer ensuite avec perfidie sur les Etats-majors, les trains et même sur des convois de blessés.

 

26 août. - L'ordre d'armée donné le 25 août au soir pour le 26 prescrivait la continuation de la poursuite :

23e D. R. sur le Tremblois (sud de Rocroi) ;

XIIe C. A. Rimogne ;

XIXe C. A. Renwez ;

24e D. R. Givet en prévision de l'attaque de la forteresse par la division

Le XIe C. A. devait suivre de Florennes par Philippeville sur Maubert-Fontaine. La joie qui régnait au Q. G. A3. par suite du retour du XIe C. A. fut troublée par un radiotélégramme du G. Q. G. qui s'abattit sur nous, le 26 août à 3 heures 50 du matin, comme un coup de foudre par un ciel serein. Aux termes de ce radio, le XIe C.A. devait être mis en route le plus tôt possible par Malmédy et Saint-Vith en vue de son transport sur le front oriental. Loin de moi la pensée de porter un jugement sur la décision qui nous enlevait le XIe C. A. au profit du théâtre oriental de la guerre, décision dont les motifs ne pouvaient être pesés que par une autorité capable d'embrasser l'ensemble de la situation militaire et politique ; je voudrais pourtant pas cacher que, dans cette mémorable matinée du mois d'août, la perte du XIe C. A. fut très sérieusement déplorée par le Q. G. A3. J'eus un chagrin amer en pensant que cette diminution de force se produisait au moment où la 3e armée allait avoir à vaincre des difficultés croissantes pour remplir sa mission et en apprenant qu'elle ne serait pas seule à souffrir d'un affaiblissement, puisque la 2e armée partageait sa mauvaise fortune. En effet, cette armée perdait le corps de réserve de la Garde. Ainsi l'aile de l'armée allemande, dont la mission capitale était de chercher la décision, voyait l'ensemble de ses forces réduit dans des proportions dangereuses. Mais cet affaiblissement s'accrut encore lorsque le G. Q. G. céda à la nécessité de prélever d'autres troupes pour l'attaque d'Anvers, de Maubeuge... etc... etc. La 3e armée dut ainsi affecter la 24e D. R. au siège de Givet. Dès lors la 3e armée, réduite à deux corps d'armée 1/2, sans rideau de cavalerie d'armée devant elle et encadrée par les 2e et 4e armées, devait non seulement continuer sur un large front à briser toute résistance qui lui serait opposée, mais encore se tenir prête à secourir ses deux voisins toujours en train de réclamer, dès que l'ennemi leur faisait face ou se jetait sur eux avec des forces supérieures.

La suite du retrait du XIe C. A. qui, dès le 26 août, fut mis en route pour sa nouvelle destination, il devint nécessaire de modifier les objectifs de marche des corps d'armée et de régler à nouveau leurs lignes de communication avec l'arrière. Les mouvements entrepris en conséquence conduisirent à des combats avec les arrière-gardes françaises à Rièzes (où le général d'artillerie von Kirbach, commandant le XIIe C. R., fut légèrement blessé) à Bruly et au Trou du Diable près de Fumay à l'ouest de la Meuse.

Poussant l'ennemi devant elles, les tètes de la :3e armée atteignirent Regniowez-Rocroi-les-Mazures. En arrivant à Fumay, le général commandant le XIXe C. A. ordonna an général Götz von Olenhusen, auquel il envoya du matériel de pont, de passer sur la rive gauche de la Meuse le 27 août à Revin et de rejoindre ensuite le XIXe C. A. aux Mazures.

La 24e D. R. assurait la protection du passage de la Meuse à Dinant et investissait Givet. Le Q. G. A3. demeura pour la nuit du 26 au 27 août à Merlemont ; le châtelain, le baron van Nottomb, ancien ministre de Belgique à Berlin, ainsi que sa femme, nous reçut fraîchement, mais obligeamment et, pendant notre séjour, il prit soin de notre vie matérielle. Peu avant notre arrivée au château un grand État-major français, probablement celui du 1er ou du 5e C. A., avait quitté les liens ; sur une position d'artillerie, rencontrée là, fut trouvée une grande quantité de munitions françaises d'artillerie de campagne. M. et Mme van Nottomb se trouvaient dans une situation particulière au regard des armées belligérantes. Ils avaient un gendre dans l'armée belge un autre dans l'armée française et un troisième, le colonel von Zedlitz, dans l'armée allemande où il commandait la 19e brigade de cavalerie.

 

 

27 août. - Le 27 août au matin, le général von Ehrenthal, commandant la 24e D. R., vint me voir pour m'entretenir de l'attaque de Givet : je quittai ensuite le château de Merlemont qui avait été abandonné bien auparavant par M. et Mme van Nottomb partis en automobile. Je leur avais donné un sauf conduit pour le voyage à Bruxelles qu'ils voulaient entreprendre et j'espère qu'il a pu leur être utile.

D'après les dispositions que j'avais arrêtées, la 3e armée devait atteindre le 27 août la coupure de la Sormonne, d'Auvillers à Tournes, avec dispositif de sûreté au sud de la coupure ; mais comme on apprit dans le courant de la matinée que l'adversaire tenait encore les hauteurs au sud de la Sormonne, ,j'ordonnai. après mon entrée à Rocroi et après la rencontre que j'y fis du général commandant le XIXe C. A., de chasser l'ennemi et à cet effet de l'attaquer de front avec la 23e D. R. et le XIIe C. A., tandis que le XIXe C. A., en se couvrant du côté de Mézières, attaquerait l'aile gauche. Après un court combat, l'adversaire abandonna la partie et les têtes de la 3e armée purent atteindre la ligne Girondelle, l'Echelle-Lonny .

En entrant à Rocroi, je trouvai la ville dans un état indescriptible. Ma désillusion fut grande. car j'avais conservé depuis 1871 un excellent souvenir de la localité, alors occupée par les officiers du 12e bataillon de chasseurs auxquels je faisais de fréquentes visites grâce à la proximité de mes garnisons de Revin et de Charleville. Le fait que Rocroi était tombé entre nos mains sans combat me permettait d'espérer mieux. Les fractions de la 5e armée française qui - dans la retraite - avaient traversé Rocroi, avaient singulièrement maltraité la ville. Les rues, la place du marché, l'église, les casernes, les magasins étaient d'une saleté repoussante ; des fenêtres brisées, des portes enfoncées des effets d'habillement de toute sorte jetés, des mobiliers mis en pièces, des bouteilles de vin ou de champagne vidées..., etc., témoignaient de l'état d'indiscipline dans lequel avaient dû se trouver les colonnes françaises, au moins lors de leur passage à travers la ville. Quelques vieilles femmes seulement étaient restées à Rocroi : aucune de celles que j'abordai ne voulait se souvenir de l'ordre qui avait régné dans la ville pendant son occupation en 1871 par le 12e bataillon de chasseurs. Je me logeai, avec le prince royal de Saxe, dans l'appartement du sous-préfet que celui-ci avait abandonné dans un état de complète saleté. Tout était ouvert, les chambres pas faites, les armoires pillées, un séjour repoussant. (Un peu plus confortables étaient l'hôtel de ville où le Q. G. A3. installa ses bureaux et une banque où notre officier d'approvisionnement ne réussit qu'au prix de grandes difficultés à apaiser notre faim, mais où il lui fut beaucoup plus aisé de calmer notre soif, car une source de vin avait jailli pour lui.

Le séjour à Rocroi, déjà bien désagréable par lui-même, devait être rendu moins récréatif encore pour le Q. G. A3. le 27 août, par suite de nos rapports avec nos armées voisines. Les demandes de secours qui arrivèrent là du Q. G. A2. et du Q. G. A4. mirent encore une fois en évidence les inconvénients résultant de l'absence d'une direction unique.

Les demandes formulées par le Q. G. A2. étaient surtout basées sur ses besoins propres et ses intérêts particuliers. Après qu'il eut fait connaître, le matin, l'endroit où il se tenait et qu'à sa demande de renseignements sur la situation de la 3e armée on eut répondu que celle-ci était maîtresse de la coupure de la Sormonne, il indiqua que la 2e armée maintenait son aile gauche à La Capelle et qu'elle attendrait là, le 28 août, une liaison plus étroite avec la 3e armée. Je répondis là-dessus que l'aile droite de la 4e armée était engagée au sud de Sedan, qu'elle avait absolument besoin du secours de la 3e armée et que celle-ci, pour être en mesure de fournir là l'aide réclamée, devait de son côté demander à la 2e armée de couvrir ses derrières. Mais le Q. G. A2. déclina cette proposition : son refus était motivé par le grand éloignement des deux armées : cependant cet éloignement ne l'avait pas empêché, lorsqu'il s'était agi de ses intérêts à lui, de réclamer pour le 28 la liaison avec la 3e armée.

L'après-midi du 27 août arrivèrent deux radios du Q. G. A4. d'après lesquels l'aile droite de la 4e armée avait forcé le passage de la Meuse à Donchery et réclamait instamment le concours de la 3e armée. Là-dessus je me résolus à ordonner aux XIIe et XIXe C. A. de poursuivre, dès le 27, leur marche jusqu'à Signy-l'Abbaye et Thin-le-Moutier (la 23e D. R. devait rester à Auvillers) et je fis part de cet ordre au Q. G. A4. ainsi qu'au G. Q. G. Dans sa réponse à cette communication, le G. Q. G. annonçait également l'envoi d'instructions pour le 28 août, de sorte que je me disposai à faire un rapport au G. Q. G. lui annonçant que j'attendrais l'arrivée de ses instructions avant de mettre mon projet à exécution. Les instructions du G. Q. G., d'abord données par télégraphe, ne tardèrent d'ailleurs pas à arriver ; elles stipulaient :

" Poursuivre la marche en direction générale sud-ouest. Ordre suit ".

Je pus immédiatement faire part de ces ordres à un officier d'ordonnance du Q. G. A4. qui venait d'arriver à Rocroi porteur d'une nouvelle demande de secours, le VIIIe C. A. étant arrêté au sud de Sedan par le feu de l'artillerie lourde française. En présence de l'ordre catégorique du G. Q. G. je dus renoncer à mon intention d'apporter à la 4e armée, comme celle-ci le désirait, un secours du côté de Cheveuges en contournant Mézières par l'Ouest et je fus obligé de donner la préférence aux intérêts de la 2e armée par rapport à ceux de la 4e. En conséquence, j'ordonnai aux XIIe et XIXe C. A. et à la 23e D. R. d'atteindre le 28 août avant 4 heures du soir, avec la tête de leurs gros, la ligne : Rumigny-Liart-Signy l'Abbave-Lannois.

 

 

28 août. - Le 28 août au matin, l'ordre annoncé télégraphiquement la veille au soir par le G. Q. G. parvint à Rocroi, et cela sous la forme d' " Instructions générales aux armées 1 à 7 pour la suite des opérations " . Elles commençaient par un court exposé des mouvements de l'armée ennemie depuis le début de la campagne, faisaient connaître que le plan ennemi de prendre de flanc l'aile droite allemande par un groupement réuni au nord avait échoué grâce à l'opération débordante de la 1re armée. Il en avait été de même de l'offensive dirigée contre la 4e armée par le groupe du centre rassemblé entre Mézières et Verdun. Elles ajoutaient que les groupes du nord et du centre de l'armée française étaient en pleine retraite en direction sud-ouest et ouest, c'est-à-dire sur Paris et qu'ils nous opposeraient vraisemblablement une résistance acharnée sur les routes qui y conduisent. Cette manière de procéder aurait probablement pour but de gagner du temps, de fixer la plus grande partie des forces allemandes devant le front français et de favoriser ainsi l'offensive des Russes. Elles se terminaient par des considérations d'après lesquelles les groupes français du nord et du centre, renforcés par les Anglais, pouvaient chercher, après la perte de la ligne de la Meuse, à résister de nouveau derrière l'Aisne (aile gauche avancée vers Saint-Quentin-Laon, aile droite à l'ouest de l'Argonne. à Sainte-Ménehould) ; il faudrait également tenir compte de la possibilité d'un rassemblement de forces sur la Basse-Seine quand plus tard l'ennemi se porterait derrière la Marne et appuierait son flanc à Paris. Il importait dès lors, par une marche rapide sur Paris, de ne laisser aucun répit à l'ennemi, d'empêcher la formation de nouvelles unité et d'enlever au pays le plus possible de moyens de lutte.

En conséquence la 1re armée, avec le 2e C. C., devait avancer à l'ouest de l'Oise contre la Basse Seine ; la 2e armée, avec le 1er C. G. dépassant la ligne La Fère-Laon, devait marcher sur Paris, en assurant en outre l'investissement et la prise de Maubeuge, La Fère-Laon (et pour cette dernière place avec le concours de la 3e armée). A gauche de ces deux armées, et se reliant avec elles, la 3e armée, dépassant la ligne Laon-Guignicourt, ouest de Neufchâtel, devait se diriger sur Château-Thierry avec mission d'enlever Hirson et partiellement Laon. La 4e armée se porterait sur Epernay par Reims.

La 5e contre la coupure Châlons-sur-Marne, Vitry-le-François.

Ces instructions recommandaient aussi à toutes les armées d'agir en liaison réciproque, et de se soutenir au combat sur les diverses coupures ; elles faisaient enfin allusion à l'éventualité d'une forte résistance de l'ennemi sur l'Aisne et plus tard sur la Marne, résistance qui rendrait peut-être nécessaire une conversion des armées allemandes du sud-ouest vers le sud.

Sans tenir compte des instructions du G. Q. G., qui lui étaient pourtant parvenues et qui prescrivaient de marcher dans la direction sud-ouest et malgré le refus que j'avais déjà opposé deux fois, le 27 août, à la quatrième armée de la soutenir immédiatement, le Q. G. A4. m'adressa une nouvelle et pressante demande de secours qui m'arriva dans les premières heures de la matinée du 28 août.

Elle était motivée par l'impossibilité où se trouvait le VIIIe C. A. de poursuivre sa marche, à cause du feu des batteries lourdes françaises. Pour aider quelque peu le voisin de l'est en situation difficile, le XIIe C.A. reçut l'ordre d'envoyer un détachement par Poix-Terron pour réduire l'artillerie lourde française dans la région des Ayvelles. A peine cet ordre fut-il connu du Q. G. A4. que celui-ci sollicita un secours plus important, celui du XIXe C.A. tout entier. Le motif allégué dans cette demande, à savoir que l'aile gauche de la 4e armée avait dû se replier sur Olizy, éveilla en moi la conviction qu'en de telles circonstances il était commandé de s'écarter des instructions du G. Q. G. et de voler avec de grandes forces au secours de la 4e armée, car il s'agissait après tout d'empêcher que l'aile droite de cette armée fût enfoncée et obligée de repasser sur la rive droite de la Meuse. Il est d'ailleurs certain que, si l'on avait pu compter sur la pleine puissance de combat du XIXe C. A., c'eût été sans conteste à ce corps qu'eût incombé la mission d'obliquer sur Vendresse. Mais le général commandant le XIXe C. A. avait annoncé, dans l'après midi du 27 août. qu'à la suite des grands efforts demandés à ses troupes au cours des marches de ces derniers jours, il ne pourrait, vu sa fatigue, prendre la responsabilité de conduire le corps au combat. Ce fut dès lors au XIIe C.A., dont la tête s'approchait de Signy-l'Abbaye, qu'il fut ordonné, le 28 août à 2 heures 45 du soir, de marcher en direction de Vendresse. Dans l'intention de me rendre personnellement compte de l'état des troupes du XIIe C.A. sur lesquelles en tout état de cause, mon attention état appelée, je me rendis de Rocroi à ce corps d'armée. Je voulais aussi examiner sur place si les circonstances ne permettaient pas de lancer au secours de la 4e armée au moins quelques fractions du XIXe C. A.

A Thin-le-Moutier, où sur ces entrefaites la 24e D.I., marchant en tête de son corps d'armée, avait eu un engagement avec l'ennemi, je rencontrai le général de cavalerie von Laffert. Après que je lui eus de nouveau représenté la situation difficile de la 4e armée, il retira ses objections antérieures et me demanda immédiatement de l'autoriser à faire participer le XIXe C. A. à l'intervention du XIIe C. A. en faveur de la 4e armée. En conséquence, je réglai la continuation de l'offensive en prescrivant que le 29 août, à 6 heures du matin. le XIIe C. A. dépasserait Bouvellemont, le XIXe C. A . Singly. Les combats qui s'étaient allumés à Thin-le-Moutier (XIXe) et à l'est de Signy-l'Abbaye (XIIe), et auxquels j'assistai, s'apaisèrent avec la tombée de la nuit et je retournai à Rocroi.

 

29 août. - En arrivant là. à 11 h. 30 du soir. J'y trouvai des renseignements sur l'ennemi d'après lesquels le 1er C. A. se serait embarqué à Montcornet et un deuxième corps français aurait été repéré en marche, venant de Rethel.

Dans ces conditions, la question se posait de savoir s'il était bien prudent de laisser exécuter immédiatement la conversion à gauche des XIIe et XIXe C. A. envisagée pour soutenir la 4e armée. Sans doute cette opération était déjà préparée par suite des ordres parvenus à Thin-le-Moutier et Signy-l'Abbaye. Néanmoins on pouvait craindre que le mouvement sur Vendresse-Louvergny, projeté pour les XIIe et XIXe C.A., n'exposât ces corps à être pris en flanc ou par derrière par l'ennemi en marche de Montcornet à Rethel. En cette occurrence, je me trouverais dans l'obligation d'orienter le XlIe C. A. vers le sud. Ce corps, avec l'aide de la 23e D. R., aurait pu à la vérité affronter l'adversaire venant de Montcornet-Rethel ; cependant il fallait tenir compte du danger qui pouvait résulter de la supériorité numérique des Français. Il n'y avait pas à songer à réclamer l'aide de la 2e armée, car le temps manquait pour se concerter avec le Q. G. A2. qui d'ailleurs avait lui-même refusé la veille d'assurer la couverture des arrières de la 3e armée.

C'est ainsi que je me vis obligé, si pénible que cela fût pour moi, de revenir sur les dispositions déjà arrêtées et de retarder, jusqu'à plus ample informé sur la menace venant de Montcornet-Rethel, la marche vers la gauche que j'avais envisagée. J'en informai d'ailleurs les armées voisines de droite et de gauche. Le 29 août, à 5 h. 30 du matin, j'entrai à Signy-l'Abbaye. Du manque de toute nouvelle de la 23e D. R. concernant l'ennemi signalé vers Montcornet, je conclus qu'aucun danger immédiat n'était à craindre de ce côté ; je fis donc avancer le XIXe C. A. sur Vendresse ; je prescrivis au XIIe C. A. de rejeter vers le sud l'ennemi venant de Rethel, mais de ne pas dépasser tout d'abord Novion-Porcien. L'exécution de ces ordres provoqua le 29 août des combats au cours desquels la 23e D. I. repoussa de Novion-Porcien à Corny-la-ville une brigade d'infanterie du 9e C. A. français, renforcée par des cuirassiers et de l'artillerie ; la 32e D. I. repoussa vers le sud les zouaves déjà rencontrés la veille au soir à Dommery. Le XIXe C. A., dès le commencement de sa marche, se heurta également à l'ennemi qui occupait en grande force une position fortifiée sur les hauteurs de la Bougardière-la Fosse à l'Eau et réussit à le rejeter vers l'est par une attaque de front de la 24e D. I. combinée avec une attaque enveloppante de la 40e D. I. Peut-être cette retraite de l'adversaire devant le XIXe C. A. fut-elle déterminée aussi par l'entrée en ligne de la 23e D.I.; en effet, les fractions du gros de cette division qui n'avait pas été engagée dans le combat de Novion-Porcien et qui se portait de Wagnon sur Vieil-Saint-Remy avaient attaqué et repoussé sur la route de Launois à Faissault de l'infanterie du 9e C. A. français. De la situation tactique telle qu'elle nous apparaissait à Signy-l'Abbaye, comme aussi du manque persistant de nouvelle de la 23e D. R. détachée vers Rumigny-Liart pour la protection du flanc droit de l'armée. j'acquis la conviction que pour le moment aucune attaque française sérieuse n'était à redouter ni du côté de Moncornet, ni du côté de Rethel ; en outre, de l'apparition au sud-ouest du 9e C. A. français et ne troupes coloniales je conclus que l'adversaire, probablement déjà informé du débouché des têtes de la 3e armée à les lisières sud de la région boisée de Rocroi, avait détaché vers le nord-ouest des forces importantes du groupe d'armée en lutte avec la 4e armée. Guidé par cette considération, j'ordonnai le 29 à midi de poursuivre l'ennemi battu vers le sud jusqu'à la coupure de l'Aisne et vers l'est aussi loin que le permettrait la force combative de la troupe, et de pousser les forces principales du XIIe C. A. jusqu'à Singly afin de reprendre, le 30 août au matin, la marche sur Vendresse.

Pour couvrir le flanc droit contre les forces qui se retiraient derrière l'Aisne, la 23e D. R. reçut l'ordre de gagner, dès le 29 août, la région de Wassigny. Le Q. G. A3. fut porté à Signy-l'Abbaye : à 4 heures du soir, tandis que nous ne songions qu'à courir vers l'est de toutes nos forces pour secourir la 4e armée, arriva un radio de Q. G. A2. annonçant que l'aile gauche de la 2e armée soutenait, depuis le 28 août, un violent combat sur la ligne Guise-Eréaupont et indiquant comme très désirable une prompte intervention de la 3e armée en direction de Vervins. Eu égard à la situation de la 4e armée et aux événements auxquels la 3e armée devait elle-même faire face, il était absolument impossible de déférer à ce désir. A peine cette question était-elle ainsi résolue négativement, qu'à 6 h. 30 du soir arrivaient des télégrammes du Q. G. A4. annonçant que la 4e armée occupait Méziéres, que l'adversaire avait entamé la retraite vers l'ouest par Vendresse-Sauville, apparemment sous la protection des forces aux prises avec la 3e armée, de telle sorte qu'une avance sur Rethel-Attigny procurerait à la 3e armée un grand succès.

En présence de cette situation il ne me restait qu'à renoncer à l'intention que j'avais de secourir le voisin en fidèle et désintéressé camarade, qu'à arrêter la marche entamée dans la direction maintenant devenue sans objet et qu'à me porter vers le sud-ouest pour couper la retraite vers l'ouest à l'ennemi reculant devant la 4e armée ou, le cas échéant, pour le rejeter vers le sud.

 

 

30 août. - C'est dans cet esprit que je rédigeai, à Signy-l'Abbaye, à 8 h. 30 du soir, l'ordre d'armée pour le 30 août aux termes duquel le XIIe C.A. devait, avec une partie de ses forces, se rendre maître, le jour même, des passages de Rethel et le 30, marcher sur Rethel avec toutes ses forces, tandis que la 23e D. R, recevait comme objectif de marche Château-Porcien et le XIXe C.A. Attigny. Il en résulta de très sérieux combats qui furent d'autant plus sévères pour les troupes que la marche fournie sans interruption par les chaleurs du mois d'août avait exigé un effort physique extrême de la part de l'infanterie et que celle-ci était arrivée à la limite de ce qu'on pouvait lui demander. Seule la 23e D. R. s'acquitta aisément de sa mission et repoussa sur la rive sud de l'Aisne la cavalerie et les cyclistes qu'elle rencontra. Elle amena dans l'après-midi sur cette rivière une forte artillerie soutenue par de l'infanterie vers la hauteur La Croix-l'Ermite au sud de Château-Porcien d'où il lui était possible d'intervenir par le canon dans le combat soutenu par le XIIe C. A. près de Rethel. La 23e D. I. rencontra une plus forte résistance sur la ligne : sortie nord de Rethel, hauteur à l'ouest de Bertoncourt: elle réussit cependant, malgré la supériorité de l'artillerie française, à repousser l'ennemi. Après avoir traversé Rethel presque entièrement en flammes, elle se porta jusque sur les hauteurs de l'autre côté de l'Aisne où l'artillerie de la 23e D. R. en position sur les hauteurs de La Croix-l'Ermite, au sud de Château-Porcien, lui vint heureusement en aide. Plus difficilement encore la 32e D. I. parvint à gagner du terrain au delà de Saulces-Monclin, Vauzelles, Auboncourt, Novy et Lucquy; l'ennemi tint là opiniâtrement, faisant même de nombreuses contre-attaques, jusqu'au moment où, à la faveur de la nuit, il se retira derrière l'Aisne.

Plus dure encore était la situation au XIXe C. A. à l'aile gauche de l'armée. De ce côté, la 40e D. I. rencontra une vigoureuse résistance de la part d'un ennemi paraissant supérieur en nombre. Elle ne put progresser que lentement, au prix de combats livrés à Wignicourt et au Chesnois, mais qui furent particulièrement opiniâtres au Pré-Boulet et à Tourteron. Cette circonstance détermina le général commandant le XIXe C. A. à faire intervenir la 24e D. I. qui - après un violent combat - débouchait par Lanerie et La Sabotterie ; son intervention ne permit cependant pas d'obtenir un succès appréciable sur la ligne Tourteron-Villers-Mahu. L'opiniâtreté avec laquelle l'ennemi se maintenait à Tourteron et la certitude, basée sur une reconnaissance d'aviateurs très sûrs qu'il disposait encore de grandes forces à Attigny, Rilly et Semuy déterminèrent le général de cavalerie von Laffert à demander à la 15e D. I., qu'il rencontra près de Chagny, d'attaquer en direction de Semuy, et cela, bien que l'intervention de cette division eût déjà été sollicitée en vain par la 24e D. I. dans la même journée. Il ne fut malheureusement pas donné suite à cette demande et la situation du XlXe C. A. se trouva ainsi sérieusement aggravée. Les motifs que pouvait avoir le VIIIe C. A. de refuser ainsi l'appui demandé me sont encore actuellement restés inconnus; quoi qu'il en fût, il n'était pas réjouissant pour la 3e armée de se voir ainsi récompensée de la camaraderie dont elle avait fait preuve les jours précédents en se portant au secours de la 4e armée.

Pendant les combats du 30 août, j'avais, à partir de 6h. 30 du matin, porté mon poste de commandement à Novion-Porcien. A la sortie sud-ouest de ce village, passa auprès de moi, se dirigeant vers Rethel, le gros de la 23e D. I. comprenant le 11e bataillon de chasseurs. Sur une des voitures de compagnie de ce bataillon était juché un renard attaché à une chaîne. L'artillerie ennemie en batterie aux environ de Corny-la-Ville, à la-quelle ce mouvement n'avait pas échappé ou qui, plus probablement, en avait eu connaissance par un service de renseignements soigneusement préparé, dirigea un tir fusant sur la sortie du village. Bien que celui-ci restât inefficace par suite de la trop grande hauteur des éclatements, il me parut plus indiqué - après que les troupes eurent défilé devant moi - de porter mon poste de commandement à la sortie nord du village sur le chemin de Mesmont. A cette occasion, le prince royal de Saxe reçut le baptême du feu de l'artillerie sous lequel il se montra, comme je m'y attendais, particulièrement ferme, tranquille et calme, sans crainte du danger, tout comme il l'avait déjà fait à Vodecée et à d'autres endroits sous le feu d'infanterie.

Sous l'impression que l'adversaire pourrait bien tenir la coupure de l'Aisne avec des forces particulièrement élevées et tenant compte de l'éventualité, envisagée dans la directive du 28 août, d'un changement de direction des armées du sud-ouest vers le sud, je posai au G. Q. G. la question de savoir si la 3e armée devait poursuivre le 31 août plus avant vers le sud; ou reprendre la direction de marche vers le sud-ouest primitivement prescrite. En attendant une décision à ce sujet, ;je me mis en relation avec le Q. G. A4. pour assurer, le cas échéant, la coopération des 3e et 4e armées le 31 août. J'allais ainsi au-devant des vues du G. Q. G. comme en témoigne le radio suivant reçu à 11 heures du soir à Signy-l'Abbaye.

" D'accord sur la marche en direction sud envisagée par 3e armée, 4e armée devra concerter ses mouvements avec 3e armée. Aile gauche 2e armée prend à peu près direction Reims. "

La situation changeait, toute l'aile droite allemande prenant la direction du sud, au lieu de la direction du sud-ouest suivie jusque là. J'étais donc amené à maintenir solidement la liaison réalisée avec la 4e armée et à mettre, pour le 31 août, les mouvements de la 3e armée en concordance avec ceux de la 4e. Conformément à l'entente intervenue à ce sujet, je me tins fermement à la directive reçue de combiner avec la 4e armée une attaque enveloppante contre la gauche de l'ennemi qui s'avançait contre les 4e et 5e armées afin de le couper de ses communications avec l'ouest.

 

 

31 août. - C'est ainsi que la 3e armée reprit l'offensive le 31 août, non toutefois sans qu'il eût été d'abord nécessaire de dissiper un malentendu survenu sur ces entrefaites avec la 4e armée au sujet des arrangements de la veille. La 23e D. R. et le XIIe C. A., après combat à Biermes et à Ménil, gagnèrent la ligne Avançon-Perthes-Ménil ; mais le XIXe C. A., ne réussit pas à franchir l'Aisne dans la matinée. L'attaque, renouvelée dans l'après midi, procura à la vérité quelques gains de terrain à ce corps ; mais il dut se mettre en garde contre des entreprises ennemies sur son flanc gauche et pour cette raison demeurer la nuit suivante sur la rive droite de l'Aisne. On ne s'explique pas pourquoi encore et jusqu'à quel point la coopération du corps voisin, le VIIIe, a fait défaut dans cette circonstance et on ne connaît pas davantage la raison pour laquelle ce corps s'était tout récemment récusé à Tourteron.

Les journées du 29 au 31 août, passées à Signy-l'Abbaye, furent particulièrement mouvementées pour moi. Les événements sur le front, les difficultés que suscitaient les fréquents besoins de secours des armées voisines et les ordres du G. Q. G. réclamaient tous les jours de plus grands efforts de la part du commandement ; mais ce qui se passait sur les lignes d'étapes de la 3e armée, ainsi que la prise de Givet, demandait aussi une attention soutenue. Des incidents, de nature diverse, eurent à ce moment une sérieuse répercussion sur l'organisation et le rendement du service des étapes. Tout d'abord le départ du XIe C. A. nécessita la réorganisation des liaisons des divers corps d'armée avec l'arrière.

Ensuite la conversion de l'armée vers le sud-ouest après conquête de la coupure de la Meuse, et plus tard sa conversion vers le sud, réclamèrent une nouvelle organisation du service des étapes. A chacune de ces occasions le nombre et la résistance des ponts sur la Meuse dont on disposait à Dinant jouèrent un rôle important.

Déjà au moment du forcement de la ligne de la Meuse, ,je prévoyais qu'aussitôt le passage conquis, l'intérêt du commandement exigerait le repliement des ponts de bateaux qui avaient été jetés et leur acheminement vers l'avant. Je me disais que la construction des ponts de circonstance, nécessaires pour les remplacer, prendrait beaucoup de temps et ne laisserait pas d'influer sérieusement sur le service des étapes, en réduisant infailliblement le nombre des points de passage. Pour parer, autant que possible, à cet inconvénient, je me résolus à maintenir à Dinant, jusqu'à l'achèvement des ponts de circonstance, une partie du matériel d'équipage et des détachements de pontonniers. Si cette précaution était d'ailleurs indiquée afin d'assurer le fonctionnement des lignes d'étapes au-delà de la Meuse, il n'en restait pas moins qu'elle ne constituait essentiellement qu'un pis-aller.

Le service des étapes avait ici à lutter avec des difficultés extraordinaires. Si le trafic a été entretenu sans frottement perceptible ni interruption quelconque, ce n'est que grâce à l'activité et à la compétence remarquables avec lesquelles la troisième inspection d'étapes s'acquitta de ses fonctions.

Une telle aide était dans ce moment là d'autant plus précieuse pour le Q. G. A3. qu'aux préoccupations de la conduite de la 3e armée de la Meuse ,jusqu'à l'Aisne, s'ajoutait le souci de la prise de la forteresse de Givet. Le général von Ehrenthal avait investi la place dès le 26 août avec la 24e D. R. renforcée par de l'artillerie à pied et des batteries lourdes de mortiers autrichiens. Après avoir triomphé des nombreuses difficultés que l'on rencontra pour amener, devant Givet, les batteries de siège de Namur, on réussit, le 29 août dans l'après-midi, à ouvrir le feu contre la forteresse et à obliger celle-ci à capituler à la suite d'un bombardement de deux jours. 40 officiers, 2910 hommes, 70 canons et mitrailleuses tombèrent entre les mains de l'assiégeant.

La veille, S. M. le roi de Saxe m'avait adressé par téléphone, en ma qualité de chef du contingent formé par les trois corps d'armée saxons constituant la 3e armée, un haut témoignage de sa reconnaissance dans les termes suivants :

" A l'occasion de l'avance victorieuse de votre armée, je vous exprime mes cordiaux souhaits de bonheur. Puisse la grâce de Dieu accorder la victoire à nos glorieux drapeaux. Je vous prie de transmettre à mes braves troupes mon remerciement et ma reconnaissance " .

Ce gracieux message fut communiqué aux troupes le 30 août à Signy-l'Abbaye par la voie de l'ordre. Dans ce village, le Q. G. A3., était installé dans une maison de maître, très bien et richement installée, appartenant à un industriel alors absent, M. Bessons-Bertélérny, dans les bâtiments de la fabrique et les bureaux voisins. Le parc et le verger y attenant, remarquablement soignés, étaient admirablement entretenus. Nous fûmes particulièrement intéressés par un haut et long mur garni d'espaliers chargés de poires du Doyenné et qui portaient des fruits innombrables et énormes, mais malheureusement pas encore complètement mûrs.

Le comte de Münster s'était de nouveau occupé avec beaucoup de succès de notre repas auquel il ne nous convoqua pas toutefois tous ensemble, mais en deux séries, à cause du manque de place. Dans le village même régnait une grande animation ; des petits blessés des combats précédents s'y étaient rassemblés. C'est ainsi que je rencontrai le colonel Gustave von der Decken, le major comte Kilmansegg du régiment des grenadiers du corps et d'autres camarades qui tous parlaient avec enthousiasme du moral de leurs troupes. Je reçus également la visite du général d'artillerie von Kirchbach, commandant le XIIe C. R.. Légèrement blessé au haut de la cuisse il ne pouvait marcher que lentement ; il déclina, en raison de l'heure avancée, l'invitation que je lui fis de prendre part au dîner de ma série ; par contre, le prince Schoenburg-Waldenburg, hussard de la garde du corps, se joignit à moi. Qui de nous aurait pensé que ce jeune prince devait quelques jours plus tard tomber au champ d'honneur en rentrant de patrouille ? Je dois rappeler aussi la rencontre que je fis du prince Max, duc de Saxe, qui appartenait, en qualité d'aumônier catholique, à l'État-major de la 23e D. I. Je le trouvai de mauvaise humeur parce qu'il avait manqué la rencontre de son État-major. Mais je pus lui donner des indications à ce sujet et aussi lui faire savoir que, peu d'heures auparavant, j'avais reçu par téléphone les vœux de sa sœur, la princesse Mathilde, pour le succès de la 3e armée.

 

 

RETOUR VERS LE MENU DU POINT DE VUE DU GENERAL VON HAUSEN - 3e ARMÉE

RETOUR VERS LE POINT DE VUE ALLEMAND

RETOUR VERS LA PAGE D'ACCUEIL