APERÇU GÉNÉRAL SUR LA BATAILLE DE LA MARNE

Ce texte est tiré de l'ouvrage "LES ARMEES FRANCAISES DANS LA GRANDE GUERRE" TOME 1, VOLUME 3, CHAPITRE I, de la page 2 à la page  22, ce document est reproduit avec l'autorisation du Service Historique de l'Armée de Terre N° 24/03/2000*004130. Merci au SHAT.

I. GENÈSE DE LA BATAILLE.

(25 AOUT - 6 SEPTEMBRE 1914.)

La manoeuvre en retraite des armées françaises et de l'armée britannique, à la suite de la bataille des frontières, est étudiée dans le précédent volume de cet ouvrage 1, mais il parait utile de résumer, au début de cet exposé, l'ensemble, les conditions dans lesquelles est conçue et préparée, à travers diverses fluctuations, la bataille de la Marne, couronnement de la manoeuvre en retraite.

Le plan n'en est pas élaboré et travaillé à loisir, il est dressé en pleine action et dans une atmosphère de trouble et d'inquiétude résultant de la série d'échecs essuyés en Lorraine et en Belgique et de la dangereuse menace de débordement qui pèse sur l'aile gauche des armées alliées. Le général en chef n'en examine pas moins la situation avec sang-froid : il serait peut-être possible de tenter encore la fortune aux frontières, aucune armée française n'ayant subi de défaite décisive et toutes demeurant, matériellement et moralement, en état de se battre; mais la solution serait périlleuse, du fait de la supériorité numérique réalisée par les Allemands dans le Nord, de la liberté qu'ils conservent de poursuivre leur manoeuvre enveloppante, bref, de l'ascendant incontestable qu'ils possèdent; le général Joffre ne s'y arrête pas. Pour l'instant, ce qui importe avant tout, c'est de durer, devant les masses ennemies, qui déferlent avec une puissance de choc accrue par la vitesse acquise, et de laisser aux armées russes le temps de faire sentir puissamment leur action.

Le général Joffre décide de rompre le combat et de gagner du champ et du temps pour pouvoir regrouper ses forces en vue d'une reprise de l'offensive dès que les conditions seront devenues favorables. Cette décision ouvre la porte à l'invasion. Mais, comme le dira plus tard le maréchal Joffre devant la commission d'enquête de la métallurgie, "c'était le sort des armes françaises et celui même de la France qui se jouaient. Tout s'effaçait devant cette considération . . . Pour réussir la manoeuvre envisagée et reprendre l'ascendant sur l'ennemi, il fallait commencer par lui abandonner, bien à contrecoeur, une partie du territoire national". Au demeurant, une manoeuvre en retraite est des plus délicates, Le général en chef témoigne, en s'y décidant, de la confiance qu'il a dans ses armées et de sa conviction de pouvoir conduire avec ordre et méthode cette retraite qui ne doit rien faire perdre aux troupes de leur vitalité et de leur esprit offensif.

L'idée de manoeuvre est de réaliser la forme enveloppante et de constituer, dans l'ouest, une masse d'offensive destinée à attaquer l'aile marchante et découverte de l'ennemi, tandis que, sur le reste du front, toutes les autres armées feront tête.

Son plan arrêté, le général en chef ne s'en laisse distraire par rien : ni par des succès locaux, si brillants soient ils (Mortagne, Meuse, Guise), ni par des considérations économiques (Briey), ni par des raisons de sentiment (horreur de l'invasion), ni par la peur qui se lève et l'angoisse qui croit à mesure que se poursuit la retraite. Sa conception est ferme, mais reste souple; il demeure le maître de l'heure et du lieu. Si, à deux reprises, il trace sa bataille sur la carte - Somme, Aisne, Verdun, puis Seine, Aube, Hauts-de-Meuse, - il ne s'obstine nullement à la réaliser suivant ces données. L'essentiel est de s'engager au moment propice, quand l'équilibre recherché des forces et leur soudure seront complets.

La première conception est du 25 août 1914. Le général en chef prévoit à ce moment que la reprise de l'offensive pourra avoir lieu sur la ligne générale Somme, Laon, Aisne, Verdun; la masse d'attaque de l'aile gauche, disposée à l'ouest de l'Oise, comprendra : le gros de la Vème armée, l'armée britannique, et un nouveau groupement constitué à l'aide d'unités prélevées dans l'Est et transportées rapidement dans la région d'Amiens; la composition de ce groupement qui formera la VIème armée, sous les ordres du général Maunoury, est précisée le 27 août; c'est lui qui marquera la reprise de l'offensive en attaquant en direction du nord-est.

Ainsi, toutes ses forces étant déployées, le général en chef tire hardiment les réserves, dont il a besoin, de ses corps combattants; le procédé exige un coup d'oeil sûr, car il ne faut pas que les unités ainsi prélevées et transportées viennent à manquer partout, et une mise en oeuvre judicieuse des grandes voies de transport. Le général Joffre pratique, avec une maîtrise incontestable, cette manoeuvre par les lignes intérieures qui, étant données les circonstances, est une véritable noria de champ de bataille.

Les armées alliées se mettent donc en retraite, poursuivies par les Allemands qui orientent leur aile droite vers Paris et la basse Seine. Elles ne se laissent pas entamer et procèdent même à des retours offensifs vigoureux pour ralentir la pression ennemie. Mais l'armée britannique est cruellement éprouvée au cours d'une bataille au Cateau.

Le général en chef suit de près la manoeuvre des différentes armées et ne cesse de faire sentir son action personnelle, attentif à parer à toute menace de dissociation. Il relance les uns en avant - Vème armée à Guise, pour dégager les Anglais, - empêche les autres de s'attarder dans les succès momentanés qu'ils ont remportés (IVème armée sur la Meuse), veille à une répartition rationnelle des forces (IVème armée encore), toujours soucieux d'équilibrer son dispositif et de lui donner plus de souplesse. Des éléments de cavalerie sont placés dans les intervalles des armées pour assurer les liaisons et colmater des brèches; un détachement d'armée est créé, au centre, sous les ordres du général Foch; surtout la constitution de la VIème armée en Picardie est activée le plus possible par la mise en oeuvre des grandes voies de transport en arrière du front. Dans l'Est, les Ière et IIème armées contiennent les armées allemandes qui leur sont opposées, comme elles en ont reçu mission.

Cependant, le général en chef doit renoncer au rétablissement et à la reprise de l'offensive sur la ligne envisagée le 25 août.

En effet, quoique le haut commandement allemand prélève des forces sur ses armées d'occident au profit du front de Prusse orientale où les Russes attaquent, quoique l'aile droite ennemie (1ère armée, général von Kluck) paraisse maintenant orienter sa marche non plus vers le sud-ouest, mais vers le sud-est (elle est signalée, le 31 août au soir, franchissant l'Oise pour passer de la rive droite à la rive gauche), commençant ainsi à prêter le flanc à la VIème armée, les circonstances ne sont pas favorables encore pour une bataille décisive et les commandants d'armée, consultés, ne se montrent pas partisans d'un engagement général immédiat -. au centre, le détachement d'armée Foch est en situation difficile; la Vème armée se trouve en flèche, découverte par le repli rapide des Anglais, et toujours menacée de débordement, l'armée britannique n'est pas remise de son échec du Cateau et reste hors d'état de participer avant quelques jours à un mouvement offensif; la VIème armée est encore incomplète et inconsistante. En somme, le centre est médiocrement solide, l'aile gauche dissociée. Une action de la VIème armée, que le général Maunoury se déclare prêt à déclencher, si c'est nécessaire, en direction du nord-est, ne pourrait être appuyée ni par les Anglais, ni par la Vème armée trop éloignée.

Le général en chef décide donc de poursuivre la retraite plutôt que de livrer une bataille prématurée qui risquerait de tourner à la catastrophe, mais il reste résolu à prendre l'offensive "dès que la Vème armée aura échappé à la menace d'enveloppement prononcée sur sa gauche". Le 2 septembre, dans une note aux commandants d'armée, il résume ses projets :

a. Soustraire les armées à la pression de l'ennemi et les amener à s'organiser et se fortifier dans la zone où elles s'établiront en fin de repli;

b. Établir l'ensemble de nos forces sur une ligne générale marquée par: Pont-sur-Yonne, Nogent-sur-Seine, Arcis-sur-Aube, Brienne-le-Château, Joinville, sur laquelle elles se recompléteront par les envois des dépôts;

c. Renforcer l'armée de gauche par deux corps prélevés sur les armées de Nancy et d'Épinal;

d. A ce moment, passer à l'offensive sur tout le front;

e. Couvrir notre aile gauche avec toute la cavalerie disponible entre Montereau et Melun;

f. Demander à l'armée anglaise de participer à la manoeuvre : 1° - en tenant la ligne de la Seine, de Melun à Juvisy, 2° en débouchant sur le même front lorsque la VIème armée passera à l'attaque;

g. Simultanément, la garnison de Paris agirait en direction de Meaux.

Or, la garnison de Paris est renforcée par la VIème armée, repliée sur la capitale et placée aux ordres du général Gallieni gouverneur militaire, qui va dépendre lui-même directement du général en chef. Ainsi, la bataille prévue par celui-ci le 2 septembre conserve la - forme ", simple et nette, de ligne classique, définie le 25 août.

Le général Joffre donne, d'autre part, les instructions les plus formelles pour que la retraite se poursuive dans le plus grand ordre, en évitant les fatigues inutiles, en prenant d'urgence toutes dispositions pour recompléter les effectifs et les entretenir au cours des opérations prochaines et pour reconstituer les cadres par des promotions :

- Une partie de nos armées se replient pour resserrer leur dispositif, recompléter leurs effectifs et se préparer, avec toutes chances de succès, à l'offensive générale que je donnerai l'ordre de reprendre dans quelques jours.

- Le salut du pays dépend du succès de cette offensive, qui doit, en concordance avec la poussée de nos alliés russes, rompre les armées allemandes que nous avons déjà sérieusement entamées sur différents points.

"Chacun doit être prévenu de cette situation et tendre toutes ses énergies pour la victoire finale". Il faut "que le moral de tous soit à la hauteur des nouvelles tâches"

Les armées sont ainsi nettement orientées sur le proche avenir et rendues dépositaires de la pensée du général en chef.


En définissant la limite du mouvement de recul vers le sud, le général en chef a spécifié que l'indication donnée n'impliquait nullement ne cette limite devrait être forcément atteinte. Au cours des journées les 3 et 4 septembre, il se trouve précisément amené à avancer l'heure de la bataille.

Dans la soirée du 3 septembre, en effet, tandis que la retraite se poursuit normalement, des renseignements émanant de la VIème armée, de la Vème armée, du gouverneur militaire de Paris et de l'armée britannique parviennent au G.Q.G. Il en ressort que le glissement vers le sud-est de l'aile droite allemande le 2 septembre, a paru se redresser vers Paris, reprend et s'accentue. Ces renseignements seront confirmés le 4 au matin par le général Gallieni. La 1ère armée allemande défile devant le camp retranché qu'elle néglige, poursuivant sa poussée torrentueuse dans le dessein évident d'atteindre et de déborder la Vème armée, qu'elle semble prendre pour la gauche des forces françaises. Cette direction des colonnes allemandes ne surprend pas le général en chef qui la prévoyait depuis plusieurs jours et suivait très attentivement les mouvements de l'armée de von Kluck. Dans la nuit du 3 au 4 septembre, il écrit au général Gallieni que "dès maintenant une partie des Forces actives du général Maunoury peut être poussée vers l'est, comme menace sur la droite allemande, afin que la gauche anglaise se sente appuyée de ce côté. Il serait utile de le faire savoir au maréchal French et d'entretenir de fréquentes relations avec lui.

Le général Gallieni fait savoir au général Maunoury, le 4 septembre à 9 heures du matin, qu'il se propose de porter la VIème armée vers l'est, en liaison avec les Anglais; en attendant de pouvoir lui préciser sa zone d'action, il l'invite à se tenir prêt à se mettre en route dans l'après-midi et à entamer le 5 un mouvement général, et il fait demander au général en chef si la VIème armée devra agir par la rive nord ou par la rive sud de la Marne. Le général en chef estime préférable d'engager la VIème armée par la rive sud, en raison de l'incertitude où il se trouve des possibilités et des intentions du commandement anglais. Si cette solution retarde d'un jour l'action de la VIème armée, le délai permettra d'accroître ses forces, grâce à l'arrivée d'une partie des troupes venant de l'Est et encore en cours de transport, et d'organiser de façon ferme la coopération britannique; d'autre part, les Allemands poursuivant leur marche vers le sud, s'enfonceront davantage dans la "nasse" tendue devant eux.

Dans cette même journée du 4 septembre, le général en chef est amené à prendre une décision d'une autre importance. La marche imprudente de la 1ère armée allemande, l'attitude résolue du général Gallieni, la préparation de l'engagement offensif de la VIème armée, posent devant lui, dans toute son ampleur et de façon pressante, la question de la bataille d'ensemble où doit se jouer le sort de la France.

L'heure a-t-elle sonné de faire volte-face et d'assaillir l'ennemi ? Au contraire, ne vaut-il pas mieux le laisser s'enfoncer davantage dans le piège tendu devant lui et retraiter encore ? La bataille, à certains points de vue, serait peut-être meilleure sur la Seine, les troupes pourraient prendre un court repos, les armées recevoir les unités encore en route pour les renforcer. Mais, à tout instant, on peut craindre que les Allemands n'éventent le péril où ils courent et ne prennent des dispositions en conséquence.

La situation générale se présente sous un jour favorable. L'aide russe joue efficacement. L'ennemi a relevé des troupes nombreuses, en France, pour se renforcer en Prusse Orientale; il a des divisions retenues devant Maubeuge et Anvers, certainement aussi des unités égrénées pour la protection de ses voies de communication très allongées; il doit, d'autre part, se trouver gêné dans ses ravitaillements, du fait des destructions effectuées pendant la retraite et qui ne laissent à sa disposition que la ligne Mons, Valenciennes, Aulnoye, Saint-Quentin.

Les armées alliées vont atteindre le front : nord-est de Paris, Provins, Vitry-le-François, Verdun. Le dispositif précédemment prévu est bien près d'être réalisé. A l'aile gauche, deux armées - la VIème et l'armée britannique - vont se trouver sur le flanc de l'adversaire, tandis que la Vème armée, ayant franchi la Marne sans difficulté, commence à échapper à la manoeuvre d'enveloppement dirigée contre sa gauche. Les armées du centre se replient sans être pressées par l'ennemi; le pivot formé par les armées de l'Est est toujours solide.

Le général Joffre écoute les opinions diverses que soutiennent les, officiers de son état-major. Avant de prendre une décision aussi lourde de conséquences que celle à intervenir, il s'assure que le système offensif de ses trois armées de gauche pourra fonctionner.

En ce qui concerne la VIème armée, il n'y a pas de doute.

Un point d'interrogation se pose pour l'armée britannique. Orienté vers la Seine, le maréchal French va-t-il consentir à arrêter sa retraite et à attaquer ? Le général Joffre lui écrit le 4 septembre au matin. Tout en l'informant que le plan d'opérations en cours de réalisation n'est pas, pour l'instant, modifié, il lui signale qu'une action de l'armée britannique pourrait être plus efficace entre Marne et Seine que sur ce fleuve, si les Allemands poursuivent leur marche vers le sud-sud-est. De son côté, le général Gallieni fait connaître au maréchal French les intentions du commandement touchant la VIème armée. Au début de l'après-midi, le G. Q. G. est avisé que le maréchal se déclare prêt à rester sur les positions qu'il occupe au sud de la Marne le plus longtemps possible et à coopérer aux opérations des Vème et VIème armées; le 5 septembre, il placera son armée face à l'est et pourra la porter en avant dans cette direction.

Reste la Vème armée. Le général en chef a fait télégraphier à 12 h 45 au général Franchet d'Esperey, qui vient d'en prendre le commandement : " Les circonstances sont telles qu'il pourrait être avantageux de livrer bataille demain ou après-demain avec toutes les forces de la Vème armée, de concert avec l'armée anglaise et les forces mobiles de la garnison de Paris, contre les 1ère et 2ème armées allemandes. Prière de faire connaître si votre armée est en état de le faire avec des chances de réussite ...

Le général Franchet d'Esperey répond entre 16 heures et 17 heures quoique son armée ne soit pas en brillant état, elle pourra livrer bataille le 6 septembre; le plan à réaliser serait - au nord de la Marne, attaque de la VIème armée débouchant de l'Ourcq le 6 au matin et poussant sur Château-Thierry - au sud de la rivière, attaques convergentes de l'armée britannique, agissant d'ouest en est, et de la Vème armée, agissant du sud vers le nord, en direction de Montmirail; il serait bon que le détachement d'armée du général Foch participe à l'action d'une façon énergique, en direction de Montmort, à la droite de la Vème armée.

Pouvant ainsi compter sur la masse offensive d'aile gauche qu'il a prévue dès le 25 août, le général Joffre décide de livrer la bataille, et, adoptant le plan proposé par le commandant de la Vème armée, il fait télégraphier, le 4 septembre à 22 heures, l'ordre d'attaque :

"Il convient de profiter de la situation aventurée de la 1ère armée allemande pour concentrer sur elle les efforts du armées alliées d'extrême-gauche. Toutes dispositions seront prises dans la journée du 6 septembre en vue de partir à l'attaque le 6."

Le dispositif à réaliser pour le 5 au soir est :

- VIème armée, au nord de la Marne, prête à franchir l'Ourcq et à se porter en direction de Château-Thierry;

- Armée britannique, au sud de la Marne, entre cette rivière et le Grand-Morin, face à l'est, prête à attaquer en direction de Montmirail;

- Vème armée, au sud du Grand-Morin, placée en potence par rapport à l'armée britannique, c'est-à-dire face au nord, prête à attaquer également vers Montmirail;

- Détachement d'armée du général Foch, qui devient IXème armée, couvrant la droite de la Vème armée en tenant les débouchés sud des marais de Saint-Gond et en poussant une partie de ses forces sur le plateau au nord de Sézanne.

- "L'offensive sera prise par ces différentes armées le 6 septembre dès le matin."

Première conceptionde la bataille

Dans la matinée du 5 septembre, le général en chef complète cet ordre d'attaque en définissant le rôle des IIIème et IVème armées, qui ont déjà été invitées à limiter leur recul. Placée de part et d'autre de la Marne à hauteur de Vitry-le-François, la IVème armée fera tête à l'ennemi en liant son mouvement à celui de la IIIème armée qui, " se couvrant vers le nord et le nord-est débouchera vers l'ouest pour attaquer le flanc gauche des forces ennemies qui marchent à l'ouest de l'Argonne ".

En résumé, les armées alliées vont former, du camp retranché de Paris à la région fortifiée de Verdun, un vaste demi-cercle, légèrement renflé partie centrale : Sézanne, marais de Saint-Gond (IXème armée). Leur offensive comportera une double attaque en équerre aux ailes :

A l'aile gauche, attaques concentriques contre la 1ère armée allemande, qui sera assaillie de flanc par les VIème armée et armée britannique et de front par la Vème armée;

A l'aile droite, attaque de la IIIème armée dans le flanc de la 5e armée allemande.

Cette dernière attaque n'avait pas été prévue jusque-là par le général en chef dans son plan de bataille; elle ne pourra pas se développer. D'ailleurs, le simple examen de la répartition des forces va montrer qu'elle ne pouvait avoir l'importance de l'attaque de l'aile gauche. Le groupement offensif des VIème et Vème armées et de l'armée britannique constitue la pièce maîtresse du dispositif; c'est lui qui, par ses actions convergentes, doit déterminer la victoire.

Le général en chef informe le ministre de la Guerre de la décision prise : " ... la lutte qui va s'engager peut avoir des résultats décisifs, mais peut aussi avoir pour le pays, en cas d'échec, les conséquences les plus graves. Je suis décidé à engager toutes nos troupes à fond et sans réserve ... "

Pendant la journée du 5 septembre, véritable veillée des armes, les armées procèdent à leur mise en place; le G. Q.G. se transporte de Bar-sur-Aube à Châtillon-sur-Seine.

La VIème armée entame son mouvement vers l'est et engage de vifs combats avec de forts détachements ennemis; mais en fin de journée, elle se trouve encore à une quinzaine de kilomètres de l'Ourcq; le général Maunoury avait d'ailleurs prévenu, dès le 5 au matin, qu'il ne pourrait atteindre cette rivière dans la journée.

L'armée britannique a marqué, au cours de la nuit du 4 au 5 septembre, un mouvement de repli qui l'a amenée sensiblement plus au sud-ouest qu'il n'avait été décidé. A nouveau le général en chef est inquiet au sujet de cette armée; soucieux d'obtenir de façon ferme sa collaboration sans réserve dans le cadre de la manoeuvre offensive définie la veille, il se rend en personne auprès du maréchal French, au Château de Vaux-le-Pénil, et lui expose la gravité de la situation. Il obtient l'assurance que le maréchal fera tout son possible.

La Vème armée achève avec calme sa retraite, atteignant la ligne générale Provins, Sézanne; au général Franchet d'Esperey, qui demande ce qu'il devra faire s'il est lui-même attaqué le 6 septembre, le général Joffre répond que, dans ce cas, la Vème armée devra d'abord tenir à fond, puis s'engager avec prudence, ensuite attaquer résolument quand elle aura l'impression que l'action de l'armée anglaise peut se faire sentir. A la IXème armée, le général Foch s'apprête à attaquer avec son aile gauche en liaison avec la Vème armée.

La IVème armée achève son repli dans la région de Vitry-le-François sans être sérieusement inquiétée par l'ennemi, mais sa liaison avec la IXème armée dans la région du camp de Mailly est très précaire. Elle se déclare prête à faire tête sur le canal de la Marne au Rhin pour faciliter l'action offensive de la IIIème armée. Celle-ci est déployée entre Ornain et Meuse, face au nord-ouest; elle rappelle les divisions qui occupaient les Hauts-de-Meuse , dont la défense ne va plus être assurée que par la ligne des forts permanents.

En Lorraine, la IIème armée est violemment attaquée, en particulier dans le secteur du Grand-Couronné, et son chef, le général de Castelnau, prévoit qu'il pourra être contraint à un repli comportant l'évacuation de Nancy; mais, de toute façon, il s'efforcera de durer pour couvrir le dispositif général. A la Ière armée, où des opérations locales se déroulent dans la région de Saint-Dié, le front ne subit pas de modifications sensibles.

A l'ouest de l'Oise, il n'est signalé ni rassemblements ni mouvements ennemis importants.

Les transports de troupes, prescrits par le général en chef au cours des journées précédentes pour renforcer ses armées du centre et d'aile gauche, se poursuivent normalement

Ainsi, dans l'ensemble, la situation se présente de façon satisfaisante. Le dispositif préparatoire à l'offensive est pris sans incidents. La manoeuvre en retraite a été menée avec succès de bout en bout. Le calme et la vigilance du général en chef, l'autorité de son commandement, qui lui a permis de toujours conserver ses armées bien en main, la valeur et le dévouement des états-majors et de la troupe, ont été, sans conteste, des éléments essentiels de la réussite.

Cependant, une mauvaise nouvelle vient d'arriver, la défaite des Russes à Tannenberg. Des préoccupations existent aussi du fait de la bataille sous Nancy et des craintes au sujet de la solidité et de la continuité du front des armées du Centre, qui doivent former une chaîne bien rivée, un barrage indestructible pour permettre aux manoeuvres d'ailes de se développer; et puis, à la veille d'une action générale où le destin du pays est en jeu, pèse inévitablement, dans la pensée du haut commandement, l'inquiétude des risques imprévisibles, des hasards, qui règlent souvent le sort des armes. Le général en chef les accepte avec sa robuste confiance et son égalité d'âme habituelles.


Le terrain sur lequel va être livrée la bataille est situé dans la vaste arène qui, de la Meuse à l'Oise, mène au coeur du pays.

Zone normale de combat pour des armées qui, n'ayant pu assurer la défense aux frontières, ont su prendre du champ et restent en état de se battre. Aussi, à plusieurs reprises déjà dans le passé, elle a été le théâtre d'actions décisives pour arrêter des invasions venant de l'est ou du nord-est :

- Bataille des Champs catalauniques, où les forces de la Gaule, rassemblées autour d'Aetius, refoulèrent les Huns d'Attila qui parcouraient l'Europe en maîtres;

- Bataille de Valmy, où les soldats de Dumouriez et de Kellermann arrêtèrent les troupes prussiennes réputées invincibles et portées à méconnaître leurs adversaires comme les armées allemandes de 1914, qui éprouveront la même surprise; à une autre échelle, l'Histoire va se renouveler;

- Campagne de 1814, au cours de laquelle, de la Seine à la Marne et de la Marne à l'Aisne, Napoléon 1er disputa ardemment la France à la coalition, et dont certains noms de batailles, Montmirail, Fère-Champenoise, reparaîtront dans les communiqués, avec leur gloire centenaire;

- En 1870, les Allemands ont franchi la région sans lutte, le commandement français d'alors n'ayant pu se dégager des marches frontières où il a été vaincu une première fois : il s'est obstiné en efforts incohérents qui l'amènent, à Metz et à Sedan, à deux catastrophes irréparables.

Le champ de bataille est divisé naturellement en deux zones, dont la limite est marquée par la falaise de l'Ile-de-france et qui correspondent à des formations géologiques différentes : à l'est, terrains secondaires; à l'ouest, plateau tertiaire constituant la partie centrale du bassin parisien. Il ne peut être question d'attribuer à un terrain qui ne présente ni obstacles ni coupures, sauf la Marne, susceptibles de gêner sérieusement des armées modernes, une importance qu'il ne saurait avoir, au point de vue stratégique, dans une bataille livrée sur un front d'environ 250 kilomètres. On peut remarquer seulement, en passant, que la lutte va revêtir un caractère très différent dans les deux zones indiquées : vue du côté français, elle sera une bataille d'arrêt dans la zone est, et une bataille de manoeuvre offensive dans la zone ouest.

Des régions variées s'alignent au long du champ de bataille.

Dans la zone est :

Le Barrois et le Perthois, où se trouvent les IIIème et IVème armées, sont des plateaux accidentés et boisés qui prolongent l'Argonne et que coupent les vallées de l'Aire, de l'Ornain, de la Saulx et de la Marne; cette dernière s'étale en une plaine largement ouverte au nord-ouest de Saint-Dizier. Toutes ces vallées sont sensiblement perpendiculaires au front; la partie inférieure du cours de l'Ornain, toutefois, et le canal de la Marne au Rhin forment un barrage d'eau entre Vitry-le-François et Revigny.

La Champagne, où sont en ligne la gauche de la IVème armée et la droite de la IXème est, dans cette région, une plaine faiblement ondulée, de population peu dense, de parcours facile, se prêtant au déploiement de troupes nombreuses, mais où d'abondants boqueteaux et quelques plis du terrain bornent presque partout l'horizon; au pied de la falaise de l'Ile-de-france s'étendent les marais de Saint-Gond, à peu près à sec en cette saison d'été. Le front du 6 septembre passe à hauteur de la ligne de partage des eaux entre les affluents de la Marne (Coole, Somme grossie de la Soude) et les affluents de l'Aube, qui coulent, les premiers suivant une direction sud-nord, les seconds suivant une direction nord-sud.

Dans la zone ouest :

La Brie, au sud de la Marne, où sont déployées l'aile gauche de la IXème armée, la Vème armée et l'armée britannique, est une vaste plate-forme portant de grandes plaines agricoles parsemées de bouquets d'arbres, de haies vives, de maisons isolées et de petits étangs, et se terminant par des escarpements en bordure des vallées. Celles-ci, Marne, Surmelin, Petit et Grand-Morin, sont orientées d'est en ouest, c'est-à-dire à peu près parallèles au front. Elles seront donc, pour les troupes françaises venant du sud, des obstacles à franchir au cours de l'offensive.

Au nord de la Marne, la VIème armée va combattre dans le Multien, prolongement de la Brie. C'est un plateau découvert, coupé par des vallées étroites menant à l'Ourcq, et qui forme un couloir d'une vingtaine de kilomètres de large entre la Marne et la région forestière du Valois (forêts de Chantilly, de Compiègne et de Villers-Cotterêts).

En somme, le terrain du champ de bataille présente l'aspect classique de la campagne française, moyennement accidentée, semée de bois et de bosquets, coupée de vallées où coulent des rivières, ni très profondes, ni très larges, et parcourue par de nombreuses routes et chemins.

La Marne sert de lieu entre ces contrées différentes qui vont servir de cadre aux divers épisodes de la bataille, assurant à l'ensemble une sorte d'unité géographique.

Elle ne se présente pas aux Allemands, ainsi qu'en 1814, comme une voie d'invasion mais comme un obstacle. Elle dessine une large courbe, de même que toutes les grandes lignes du terrain caractéristiques de la partie orientale du bassin parisien, mais, de même aussi que ces dernières, elle a le côté convexe de sa courbe tourné vers l'extérieur. Elle ne se prêtait donc pas à la réalisation de la forme enveloppante recherchée par le haut commandement français et les armées ne se sont pas rangées au long de ses rives. L'arc de cercle suivant lequel elles sont déployées et celui qu'elle trace sont d'orientation inverse et se coupent en deux points, vers Vitry-le-François et vers Meaux. Tout le cours moyen de la grande rivière se trouve donc dans les lignes allemandes.

Mais, si la ligne de combat ne suit pas sa vallée, la Marne et ses affluents drainent la majeure partie du champ de bataille, qui est ainsi compris, en presque totalité, dans le bassin de la Marne, pour employer une expression de géographie. A ce titre, la dénomination de bataille de la Marne est donc parfaitement exacte. Elle l'est aussi au point de vue des opérations, puisque la manoeuvre de l'aile gauche, acte déterminant de la victoire, va se dérouler de part et d'autre de la rivière.

La zone arrière des armées alliées est bien dotée en voies de communications de toutes sortes, pour les mouvements de troupes, les ravitaillements et les évacuations. L'équipement en voies ferrées notamment, comporte un réseau complet et assez serré, particulièrement dense dans la région parisienne, avec de grandes rocades - Épinal, Troyes, Paris; Belfort, Dijon, Paris; Nevers, Bourges, Vierzon, Tours, et plusieurs transversales: Dijon, Chagny, Nevers; Troyes, Laroche, Bourges; Troyes, Montargis, Orléans; Melun, Nogent-sur-Seine; Paris, Tours; Paris, Chartres.

Les gares régulatrices : Tours-Saint-Pierre des Corps, Orléans-les-Aubrais, Nevers-Saincaize, assurent les communications des armées non seulement avec la région sud-est de la France, mais avec les régions de l'ouest et du sud-ouest et surtout avec le littoral de l'Atlantique, ce qui permet l'utilisation rapide des arrivages d'outre-mer à Bordeaux, la Rochelle et Saint-Nazaire.

A la veille de la bataille de la Marne, le grand quartier général évalue les forces allemandes en France à 74 divisions d'infanterie et 10 divisions de cavalerie, ainsi réparties :

2 D.I. devant Maubeuge;

26 D.I. et 2 ou 3 D.C. dans l'Est;

46 D. I. et 7 ou 8 D.C. disponibles pour la bataille.

Les études officielles parues en Allemagne, depuis la guerre, montrent que cette évaluation est très voisine de la réalité; elle surestime seulement un peu les forces ennemies présentes en France à cette époque.

2 D.I. devant Maubeuge;

24 D.I. et 3 D.C. dans l'Est;

44 D.I. et 7 D.C. qui vont participer à la bataille.

Ces forces, mis à part le corps de siège de Maubeuge, forment sept armées et un groupement en Haute-Alsace, savoir :

Zone de la Bataille

1ère armée, général von Kluck : 10 D.I. et 3 D.C.

2ème armée, général von Bülow : 8 D.I. et 2 D.C.

3ème armée, général von Hausen 6 D.I.

4ème armée, duc de Wurtemberg : 8 D.I.

5ème armée, kronprinz impérial : 12 D.I. et 2 D.C.

Front de l'Est : 24 D.I. et 3 D.C.

6ème armée, kronprinz de Bavière.

7ème armée, général von Heeringen.

Groupement de Haute-Alsace.

A ces grandes unités s'ajoutent des brigades de landwehr, en nombre variable suivant les armées.

Les cinq armées engagées dans la bataille de la Marne paraissent aligner environ 900.000 hommes au total, mettre en batterie 2.928 canons d'A. C. et 436 canons d'A. L., et disposer d'une vingtaine d'escadrilles de 6 avions.

D'après les renseignements recueillis par le haut commandement français, leur situation le 5 septembre au soir, est la suivante :

la 1ère armée a un corps d'armée ( 2 D.I.) au nord de la Marne, en flanc garde sur l'Ourcq, et le reste de ses forces au sud de la rivière, les éléments les plus avancés dépassant le Grand-Morin; elle fait face à la Vème armée française;

la 2ème armée en retard sur la 1ère, a également franchi la Marne; elle atteint le front Montmirail, Vertus, devant la IXème armée française;

la 3ème armée a dépassé Châlons-sur-Marne et marche vers Sommesous, Sompuis; elle a devant elle l'aile droite de la IXème armée française et l'aile gauche de la IVème;

la 4ème armée, marchant en direction de Vitry-le-François, fait face à la IVème armée française;

la 5ème armée avance de part et d'autre de l'Argonne vers Bar-le-Duc, elle va se heurter à la IIIème armée française; elle parait avoir des éléments en Woèvre

Le grand quartier général allemand est installé à Luxembourg, très désaxé, vers l'est, par rapport au champ de bataille distant de 180 kilomètres environ. L'empereur, chef suprême, est assisté du généraloberst von Moltke, chef d'état-major général des armées en campagne.

Les armées françaises comptent, à la date du 5 septembre 1914, 85 divisions d'infanterie et 10 divisions de cavalerie. Des 85 D.I. il faut défalquer 11 divisions territoriales, qui ont reçu des missions hors de la zone de bataille (garnison du camp retranché de Paris, groupe de divisions du général d'Amade sur la basse Seine, garde des côtes, surveillance de la frontière des Alpes). Restent 74 D.I. et 10 D.C. desquelles 23 D.I. et 2 D.C. forment les armées de l'Est : Ière armée, général Dubail, en Haute-Alsace et en Lorraine, et IIème armée, général de Castelnau, en Lorraine. Les cinq armées françaises engagées dans la bataille de la Marne alignent donc 51 D.I. et 8 D.C., auxquelles s'ajoutent 5 D.I. et 1 D.C. 1/2 britanniques, soit un total de 56 D.I. et 9 D.C. 1/2, ainsi réparties :

VIème armée, général Maunoury, sous le commandement supérieur du général Gallièni disposée face à l'est, entre la forêt de Chantilly et la Marne : 9 D.I. et 3 D.C. ;

Armée britannique, maréchal French, également face à l'est, au sud de la Marne, entre Lagny et Coulommiers : 5 D.I. et 1 D.C. 1/2 ;

Vème armée, général Franchet dEsperey, déployée face au nord, entre Provins et Sézanne : 13 D.I. et 3 D.C. ;

IXème armée, général Foch, face au nord, suivant la ligne : nord de Sézanne, marais de Saint-Gond, Fère-Champenoise : 8 D.I. et 1 D.C.

IVème armée, général de Langle de Cary, face au nord-nord-ouest entre le camp de Mailly et Sermaize-les-Bains : 8 D.I.;

IIIème armée, général Sarrail, face au nord-ouest, entre Revigny (vallée de l'Ornain) et Tilly-sur-Meuse au sud de Verdun : 7 D.I. et 1 D.C.

 Les forces mobiles de Verdun représentent 2 D.I.

En outre, le général en chef dispose des :

21ème C.A. (2 D.I.), venant de Rambervillers, et commençant à débarquer dans la région de Vassy, à une trentaine de kilomètres en arrière du front de la IVème armée;

15ème C.A. (2 D.I.), venant de Lunéville par voie de terre et devant parvenir le 6 septembre dans la région de Gondrecourt, à Une quarantaine de kilomètres en arrière du front de la IIIème armée.

La garnison du camp retranché de Paris (5 D.I. 1/2 territoriales et une brigade de fusiliers marins) ne participera pas aux opérations.

Les effectifs alliés engagés dans la bataille se chiffrent à 1.082.000 officiers et hommes de troupe environ,, dont: 96.000 Anglais et 986.000 Français. L'artillerie met en batterie 3.000 canons, dont 184 d'A.L. seulement; elle est donc sensiblement inférieure à l'artillerie adverse, mais son approvisionnement en munitions, comme celui de l'infanterie, est suffisant et il n'y aura pas d'à-coups sérieux à cet égard au cours de la bataille. L'aviation compte 18 à 19 escadrilles (dont 4 britanniques) de 6 avions, mais nombre de ces appareils laissent à désirer en raison de l'usure rapide qu'ils ont subie.

Le grand quartier général français est installé à Châtillon-sur-Seine, sensiblement à hauteur du centre de la bataille et à une distance variant de 100 à 150 kilomètres du front de combat.

Le bilan des forces en présence fait ressortir une supériorité numérique sérieuse des Alliés, qui disposent, sur le terrain de la bataille, de :

56 D.I. et 9 D.C. 1/ 2 contre 44 D.I. et 7 D.C.

Toute cette supériorité se retrouve, accentuée même, à leur aile gauche. En effet, tandis que, sur le front d'Esternay à Verdun, correspondant aux armées du centre et d'aile droite et mesurant 180 à 200 kilomètres de développement environ, les Alliés opposent 32 à 33 D.I. et 2 D.C. à 34 D.I. et 4 D.C. allemandes, sur le front Esternay, Coulommiers, Senlis (70 kilomètres environ) ils vont attaquer les i10 D.I. et les 3 D. C. de la Ière armée allemande avec 23 à 24 D.I. et 7 D.C. 1/2

Cette répartition des forces alliées, obtenue moyennant de nombreux prélèvements sur les armées de l'Est et une stricte économie aux armées du centre, répond à l'idée de manoeuvre du général eu chef. L'offensive des armées d'aile gauche aura non seulement l'avantage de la convergence des attaques, mais aussi celui de moyens approximativement doubles de ceux de l'adversaire. C'est le retournement complet de la situation de la bataille des Frontières.

Mais la supériorité du nombre n'est pas le seul élément de la victoire; depuis le début des hostilités et au cours de la retraite, le général en chef n'a cessé de se préoccuper de la valeur technique et du moral de ses armées, apportant à ces questions la même volonté patiente, la même continuité de vues qu'à la réalisation de la manoeuvre stratégique.

Il s'est appliqué à améliorer le coin commandement en confiant les unités à - des chefs ayant du caractère et la volonté de vaincre à tout prix ". Il exige aussi de ses lieutenants un esprit de discipline n'excluant certes pas l'initiative, mais s'abstenant d'objections et de discussions de nature à entraver son action en des moments critiques. Il est ainsi amené à procéder à de nombreux changements de personnes, à tous les échelons.

Le recomplètement des cadres, à la suite des lourdes pertes subies pendant les premières journées de la guerre, a également été pour le haut commandement un problème à résoudre dans le plus court délai. Le général en chef a formulé les principes nouveaux dont Il y a lieu de s'inspirer pour l'avancement : - dans les circonstances graves que nous traversons, écrit-il, l'intérêt du pays exige que les plus capables aient accès immédiat aux emplois pour lesquels leur valeur les désigne ". Et encore : " les règles et les habitudes du temps de paix, les droits acquis par l'ancienneté ou les services passés et même toutes les considérations relatives à un avenir plus ou moins éloigné, n'ont plus dans les circonstances actuelles qu'une importance secondaire; il faut reconstituer nos armées pour vaincre; après l'on verra'. , Le général en chef veut non seulement des cadres complets, mais des cadres énergiques, vivants. C'est d'après ces directives que sont faites les premières promotions de guerre.

Le recomplètement des effectifs de la troupe, dont les pertes ont dépassé les prévisions, est réalisé en même temps que celui des cadres, sans trop de difficultés, grâce, aux importantes ressources des dépôts. Dans l'ensemble, les unités sont au complet à la veille de la bataille; certaines présentent même des excédents. D'autre part, les "premiers cent mille" du maréchal French ont pu, eux. aussi, compenser en partie leurs pertes.

Le général en chef s'est attaché enfin à tirer des engagements qui viennent d'avoir lieu les enseignements nécessaires pour l'emploi des grandes unités et des différentes armes. Il a particulièrement insisté sur la nécessité d'une liaison étroite et constante de l'infanterie et de l'artillerie et sur celle de savoir - durer -, par une organisation méthodique, ne compromettant pas la rapidité de décision et d'action. " Pour assurer le succès final, il ne suffit pas d'avoir de l'élan et du courage, il faut aussi savoir durer et par suite éviter l'usure prématurée de la troupe, aussi bien dans les marches que dans le combat. Telle doit être la constante préoccupation du commandement à tous les degrés de la hiérarchie." Ainsi dès cette époque, le général en chef discerne toute l'importance du facteur " durée " qui va jouer de façon décisive non seulement sur les champs de bataille, et d'abord à la Marne, mais dans tous les domaines intéressant la grande guerre. Ces leçons vont porter leurs fruits sans tarder.

Mais savoir durer, pour une troupe, n'implique pas seulement des qualités tactiques et techniques. Le moral, lui aussi, intervient. En principe, une retraite est toujours déprimante, mais avec une attention de tous les instants le général en chef a veillé sur la vertu de ses troupes, et le maintien de la discipline; ses efforts ont été couronnés de succès, car si les armées terminent leur retraite fatiguées par les combats, la chaleur, les longues marches, sous son ferme commandement elles ont triomphé de l'épreuve morale et conservent le ressort traditionnel des troupes françaises.

 

 


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