OPERATIONS BRITANNIQUES EN FRANCE ET BELGIQUE 1914
Ecrit par le Général de Brigade James E. Edmonds
Publié par Macmillan & Co, 1933
Traduit, en Français par Jean René Robin. Merci
LE DEBUT DE LA GUERRE
Chapitre 1
LA DECLARATION DE GUERRE
(Schémas 1, 2, 3, 4, & 5 ; Cartes 1, 2, & 5)
Les archives des négociations, des correspondances et conversations diplomatiques qui eurent lieu après l’assassinat de l’Archiduc Franz Ferdinand d’Autriche et son Consort à Sarajevo le 28 juin 1914 et jusqu’à la déclaration de guerre sont disponibles dans une publication officielle. Dans ce document, les efforts du gouvernement britannique pour aboutir à une médiation et leur détermination à éviter toute démarche qui pouvait précipiter la guerre, sont clairement et abondamment exposés. Il ne sera donc pas nécessaire de rappeler, ici, le processus diplomatique, mais de montrer comment ce processus a influencé les préparatifs militaires.
Le 27 juillet, le gouvernement britannique jugea la situation suffisamment sérieuse pour justifier ces préparatifs, et arrêta la dispersion, alors en cours, des "Home Fleets" à la fin d’exercices maritimes qui suivaient un test de mobilisation. Le 28 juillet à 17 heures – jour où l’Autriche Hongrie déclara la guerre à la Serbie – la "First Fleet" reçut l’ordre de se diriger au Nord vers une position de guerre avancée. Le 29 juillet à 14 heures, le gouvernement ordonna de mettre en vigueur les mesures de précaution préparées par l’Etat Major dans le cas d’une perspective de guerre imminente. Ces mesures ne touchaient seulement que les troupes régulières et comprenaient le rappel des officiers et des hommes en permission ainsi que la mise en alerte des défenses côtières.
Le gouvernement belge décida de mettre son armée en état alerte maximum.
Ce même jour, 29 juillet, le Chancelier allemand demanda à l’Ambassadeur britannique à Berlin l’assurance de la neutralité de l’Angleterre dans le cas où la Russie devrait attaquer l’Autriche et si un conflit européen en découlait. A cette demande d’importance, Sir Edward Grey, le ministre des Affaires Etrangères, répondit le 30 juillet en refusant d’y donner suite. Ce jour là, la Russie ordonna la mobilisation de ses quatre armées du sud ; et l’Allemagne menaça de commencer sa propre mobilisation à moins que la Russie cesse la sienne. On apprenait aussi le bombardement de Belgrade par l’Autriche. Afin d’éviter tout incident frontalier le gouvernement français ordonna qu’aucun individu, qu’aucune patrouille, et sous aucun prétexte, ne franchise la ligne entre Hussigny (sur la frontière luxembourgeoise à l’est de Longwy) et Delle (sur la frontière suisse au sud ouest de Belfort). Cette ligne était à environ 10 kilomètres à l’intérieur des frontières françaises.
Le 30 juillet à 13 heures, le " Berlin Lokalanzeiger " tirait un numéro spécial (Extrablatt) annonçant que l’ordre de mobilisation avait été donné. Cette information fut aussitôt contredite, mais elle avait été télégraphiée à Saint-Pétersbourg. Et à 18 heures, avant que la contradiction arrive, la Russie avait donné l’ordre de mobilisation générale. Le 31 juillet l’Autriche annonça la couleur en décrétant la mobilisation générale de ses forces en vertu de quoi l’Allemagne fit une déclaration formelle d’un " Danger de guerre imminent " (drohende Kriegsgefahr), qui lui permettait de prendre des mesures de précaution similaires aux Britanniques. En même temps l’Allemagne présentait un ultimatum à la Russie et, à moins que celle-ci arrête sa mobilisation dans les 12 heures, l’Allemagne se mobiliserait sur les deux frontières. Et, d’une manière vigoureuse, la Turquie ordonna aussi la mobilisation le 31 juillet. Le même jour, Sir Edward Grey, envoya une demande identique à l’Allemagne et à la France afin de savoir s’ils respecteraient la neutralité de la Belgique. La France répondit immédiatement par l’affirmative et sans équivoque ; l’Allemagne n'envoya seulement qu'une réponse évasive ; et le 1er août, la France et l’Allemagne, toutes deux, ordonnèrent la mobilisation générale.
Le début de la mobilisation en France amena la Grande Bretagne à se poser sérieusement la question. Il est vrai qu’il n’y avait pas d’accord défini ou de convention qui obligeait la Grande Bretagne à porter assistance à la France, et le gouvernement britannique était libre de décider de la paix ou de la guerre, sans autre obligation. Mais un schéma avait été élaboré entre les Etats Majors des deux pays, pour certaines éventualités. Un point essentiel de ce schéma était que le premier mouvement des éléments précurseurs britanniques en charge des matériels et des munitions devait commencer le premier jour de la mobilisation. Admettant la concomitance de ce mouvement et de la mobilisation, on considéra que, tout compte fait, six divisions – ou quatre, si six divisions ne pouvaient être disponibles, – une division de cavalerie et une brigade de cavalerie, pouvaient être transportées de Grande Bretagne vers des zones de concentration entre Avesnes et Le Cateau, et qu’elles seraient prêtes à intervenir le quinzième jour après que l’ordre de mobilisation aurait été donné.
Aussi, il est évident que la mobilisation en Grande Bretagne, si elle devait avoir lieu interviendrait après celle des Français. En conséquence l’Etat Major Général Britannique suggéra que des mesures puissent être prises au cas où la mobilisation devrait intervenir, afin de s’assurer que l’ordre de mouvement vers la France des éléments précurseurs, qui seraient avertis en même temps, soit simultané avec l’ordre de mobilisation. Une autre mesure importante était la protection des lignes de chemin de fer reliant les ports d’embarquement. Cette tâche avait été attribuée à certaines unités de la force Territoriale; mais celles-ci étaient sur le point de se rendre à leur base pour leur entraînement annuel. Et à moins d’annuler cet entraînement, il pourrait y avoir un retard dans l’envoi du Corps Expéditionnaire. Le gouvernement considéra toutefois que l’annulation des ordres pour l’entraînement de la force Territoriale devait être rédigée dans des termes aussi agressifs que l’ordre de mobilisation. Il évita aussi toute mesure qui pourrait étouffer tout espoir de paix.
Le 1er août, à midi, l’ultimatum allemand adressé à la Russie expira et un conflit général devenait inévitable. Le 2 août à 14 heures, le Cabinet annula les ordres pour les manœuvres de la force Territoriale, et à 18 heures ceux pour les manœuvres de l'Armée; mais n’émit aucun ordre de mobilisation. La 'Navy' était tout à fait prête pour entrer en action, et l’ambassadeur de France avait reçu l’assurance que, si la flotte allemande pénétrait dans la Manche ou dans la Mer du Nord afin d’engager des opérations contre des bateaux français ou contre les côtes françaises, la marine britannique apporterait toute sa protection. Au-delà de cette promesse conditionnelle de l’intervention de la marine, le Cabinet ne voulait pas s’engager plus sans consulter le Parlement. Celui-ci fût consulté le jour suivant, c’est à dire le 3 août ; mais pendant ce temps un événement d’une extrême importance se produisit.
Respectant fidèlement les obligations qui lui étaient imposées par traité, la Belgique avait donné l’ordre de mobilisation à ses troupes le 1er août, et se préparait à résister à toute violation de son territoire en quelque lieu que ce soit ; mais le 2 août à 19 heures, le Ministre Allemand à Bruxelles présenta une " Note " au gouvernement belge demandant une réponse dans les 12 heures. Cette " Note " avait été rédigée par le Chef d’Etat Major en date du 26 juillet et adressée le 29 sous pli scellé au Ministre Allemand en place à Bruxelles avec l’ordre qu’elle ne soit pas ouverte avant d’avoir reçu de nouvelles instructions. Il est établi que le gouvernement allemand avait des renseignements sûrs concernant l’intention des forces françaises d’avancer sur la Meuse par Givet et Namur. En vue de cette attaque, le gouvernement allemand demandait que ses troupes puissent pénétrer librement et sans résistance sur le territoire belge. Le gouvernement belge répondit qu’il repousserait toute attaque française ou Allemande sur son territoire ; il déclina également l’aide de la France contre toute intrusion allemande, et ce, jusqu’à ce qu’il fasse appel formellement aux Puissances – dont la Prusse - qui garantissaient la neutralité de la Belgique.
En ce 2 août, d’autres évènements important survinrent : Les troupes allemandes passèrent la frontière polonaise, franchirent celle de la France en quatre points différents et entrèrent sur le territoire luxembourgeois.
Le 3 août, quand Sir Edward Grey se présenta à la Chambre des Communes, il n’avait pas de renseignement précis sur la nature exacte de l’ultimatum allemand à la Belgique. Toutefois il était au courant du fait brutal qu’un ultimatum avait été présenté. Et pendant qu’il se dirigeait vers la Chambre des Communes, il avait été informé que le Roi Albert avait télégraphié au Roi Georges lui demandant l’intervention diplomatique de l’Angleterre afin de sauvegarder l’intégrité de la Belgique. Il présenta donc, en bonne et due forme, le déroulement des évènements tels qu’il les avait suivis et les motifs qui les dictaient. La Chambre des Communes, qui le soutenait, applaudit sa décision de ne pas engager le pays dans une intervention armée sur la base d’un différend serbe ; et approuva la promesse conditionnelle de l’aide de la marine à la France. La Chambre des Communes s'enthousiasma quand elle entendit que la Grande Bretagne serait fidèle à ses engagements de maintenir l’intégrité de la Belgique.
Aucune résolution ne suivit le discours du Secrétaire d’Etat aux Affaires Etrangères. Après la suspension de séance qui en suivit, vers 19 heures, il lui était possible de lire à la Chambre des Communes la totalité des informations reçues de la Légation belge au sujet de la " Note " allemande qui avait était présentée à Bruxelles. Il ne faisait aucun doute que l’attaque allemande était imminente, à moins qu’elle n’ait, en fait, déjà commencé.
Les mesures prises immédiatement furent d’annoncer qu’un moratoire serait proclamé et que le gouvernement prendrait la responsabilité de la sécurité maritime. La force Territoriale était incorporée et les réservistes de la marine furent rappelés. Maintenant il était évident que la mobilisation britannique interviendrait au moins trois jours après celle des Français et que, précisément, la mise en mouvement de la force Territoriale ne pouvait s’effectuer simultanément. Toutefois, le gouvernement reconnut que, suite à ce retard, il avait plus à gagner qu’à perdre en préservant pratiquement l'union de la Nation, et la bienveillance de ceux qui voulaient rester neutres.
Le 3 août à 18 heures 45, l’Allemagne déclara la guerre à la France, prétextant une violation de sa frontière par des patrouilles et de son territoire par l’aviation. L’Italie, bien que membre de la Triple Alliance, déclara qu’elle souhaitait maintenir sa neutralité dans ce combat imminent.
Pendant ce temps l’Allemagne, ne s’embarrassant pas de considérations morales, finalisait son dispositif pour l’invasion de la Belgique. Le 4 août au matin, elle déclara la guerre à la Belgique et deux de ses divisions de cavalerie passèrent la frontière. Dans l’après midi les têtes de colonne de l’infanterie entrèrent aussi en Belgique.
Tôt dans l’après midi du 4 août, Sir Edward Grey télégraphiait à l’ambassadeur britannique à Berlin lui demandant de récupérer ses passeports si, à minuit (23 heures, heure de Greenwich) aucune réponse satisfaisante n’était donnée quant au respect de la neutralité de la Belgique. A 16 heures, le gouvernement britannique donna l’ordre de mobilisation des Armées. Le matin du 5 août à 0 heure 15, le ministère des Affaires Etrangères émit la déclaration suivante :
" En raison du rejet par le gouvernement allemand de la requête présentée par le gouvernement de Sa Majesté concernant l’assurance que la neutralité de la Belgique sera respectée, l’Ambassadeur de Sa Majesté à Berlin a reçu ses passeports, et le gouvernement de Sa Majesté a déclaré au gouvernement allemand qu’un état de guerre existait entre la Grande Bretagne et l’Allemagne à dater du 4 août à 23 heures. "
Les 5 et 6 août, afin d’étudier la conduite de la guerre, eurent lieu deux réunions, auxquelles assistaient les principaux ministres, dont Lord Kitchener de retour d’Egypte et qui devint Secrétaire d’Etat à la Guerre le 6 août, ainsi que les responsables des Etats Majors des armées et de la marine britannique. A ce moment, la situation exacte était que la Grande Bretagne, la France et la Russie étaient en guerre avec l’Allemagne, et que la Belgique avait été attaquée délibérément mais résistait mieux que prévu. L’Autriche était uniquement en guerre avec la Serbie, et l’Italie était neutre. Les principales questions militaires à résoudre étaient l’utilisation et l’organisation du Corps Expéditionnaire, tout en tenant compte du retard dans la mobilisation. On décida tout d’abord que ce Corps Expéditionnaire, moins les 4e et 6e divisions devaient embarquer pour le continent. Afin de réduire les chances d’un débarquement allemand qui pourrait entraver ce mouvement, le Secrétaire d’Etat décida que la 18e brigade de la 6e division, alors à Lichfield, devait se rendre à Edinburgh, et que deux brigades de la 4e division devaient se diriger vers Cromer et York, chacune des brigades étant accompagnée par de l’artillerie. La 11e brigade de la 4e division était déjà à Colchester. Cinq bataillons de cyclistes et éventuellement la division des troupes montées, devaient être envoyés sur la côte est. Le reste de la 6e division restait en Irlande.
Puis la dernière décision à prendre fut de fixer la destination du Corps Expéditionnaire. Compte tenu de l’attaque de la Belgique, le contingent britannique aurait-il la dimension suffisante pour mener à bien des actions indépendantes et d’envergure, à partir d’Anvers qui avait des éléments favorables pour être choisi comme base des opérations militaires ? Mais le contingent était considéré trop petit, et Anvers, en raison d’une partie de son accès (Schelde) par les eaux territoriales hollandaises, ne pouvait être atteinte que par voie terrestre après un débarquement à Ostende et dans d’autres ports. De plus, comme les opérations dans le Nord pouvaient entraîner une séparation avec les Français, cette suggestion ne fut pas retenue. Il ne restait donc que les sites déjà étudiés avec les Français, à savoir les environs de Le Cateau et d’Avesnes. Cependant l’opinion de certains militaires était de ne pas concentrer les forces britanniques en un lieu au-delà d’Amiens. Finalement après avoir discuté du déploiement de l’armée, il fut convenu de laisser la décision à nos Alliés, les Français ; et le Conseil se sépara après avoir accepté trois résolutions :
Le travail effectué par le Colonel Huguet qui, entre temps, fit des allers et retours entre Paris et Londres, permit d'établir que le Corps Expéditionnaire devait se diriger vers une zone choisie en temps de paix par l’Etat Major français, avec quelques légères modifications mais en accord avec le planning britannique. A la demande du Général Joffre pour qu’au moins une division britannique soit envoyée aussi rapidement que possible pour prendre place sur la ligne de front, Lord Kitchener refusa sous prétexte que toute modification au plan de transport des troupes engendrerait de la confusion et à la fin du retard.
Le Secrétaire d’Etat à la Guerre remit des instructions spéciales de coopération avec les Français au " Field-Marshal Sir John French " qui avait été sélectionné pour commander le Corps Expéditionnaire.
Le Lieutenant-Général Sir Douglas Haig fut désigné pour commander le 1er Corps, le Lieutenant-Général Sir James Grierson le 2e Corps, le Lieutenant-Général W.P. Pulteney le 3e Corps, et le Major-Général E.H.H. Allenby la division de Cavalerie.
Les six divisions étaient commandées par les Major-Généraux S.H. Lomax, C.C. Monro, H.I.W. Hamilton, T. D’O. Snow, Sir C. Fergusson et J.L. Keir.
LE DEROULEMENT DES EVENEMENTS
Comme déjà indiqué, le 4 août à 16 heures, l’ordre de mobilisation du Corps Expéditionnaire et de la force Territoriale avait été publié par le gouvernement britannique, et le 5 août fut déclaré 'le premier jour de la mobilisation'. En fait la mobilisation arrivait au plus mauvais moment, car le 3 août était jour férié et, comme c’était l’habitude au milieu de l’été, les unités Territoriales faisaient mouvement vers les différents camps pour leur entraînement annuel quand les ordres d’annulation arrivèrent. Ensuite vint la question de savoir si les plannings existants pour la concentration des troupes étaient maintenus ou si les mouvements par chemin de fer devaient être suspendus. Le Cabinet décida d’un bref ajournement et, comme déjà mentionné, donna des ordres pour que l’embarquement du Corps Expéditionnaire ne commence pas avant le 9 août, bien que les éléments précurseurs eussent dû se mettre en route le 7 août. Pendant ce temps la mobilisation de différentes unités se faisait dans le calme, comme prévu. Tous les choses essentielles se déroulèrent conformément au plan, même la tache de rassembler 120 000 chevaux fut accomplie en douze jours. Le principe de l’embarquement était que chaque train chargé correspondait à une unité complète ou à une subdivision d’une unité de sorte qu’à leur arrivée en France après la traversée, elle soit autonome et ait suffisamment de moyen de transport pour aller directement dans un camp de repos ou dans un autre train.
Les ports d’embarquement étaient les suivants : Southampton pour toutes les troupes en Grande Bretagne, Avonmouth pour les transports motorisés et l’essence, Newhaven pour les munitions et le matériel, Liverpool pour la viande congelée et les transports motorisés, Glasgow pour quelques produits divers et Dublin, Cork et Belfast pour les 5e et 6e divisions.
Les bateaux furent aussi répartis en plusieurs classes : (1) personnel, (2) chevaux et véhicules, (3) transports motorisés, (4) munitions.
Les ports de débarquement en France étaient : Le Havre, Rouen, et Boulogne.
Ce fut cinq jours d’une très grande activité avec 1800 trains spéciaux qui circulèrent en Grande Bretagne et en Irlande, et le jour le plus actif fut celui où 8 trains contenant l’équivalent d’une division arrivèrent aux docks de Southampton. La moyenne journalière des bateaux envoyés en France était de treize, avec un tonnage moyen journalier de 52 000 tonnes. Au début les transports partaient individuellement, dès qu’ils étaient prêts, aussi bien de jour que de nuit, car jusqu’alors, il n’y avait pas la menace des sous-marins allemands et des mesures avait été prises par la marine britannique pour assurer une sécurité absolue. Tout se déroula normalement dans le calme et le programme officiel fut suivi à la lettre avec une marge de sécurité.
Sa Majesté le Roi adressa le message suivant aux troupes embarquées :
" Vous quittez votre demeure afin de combattre pour la sécurité et l’honneur de mon Empire. La Belgique pour laquelle nous nous sommes engagés à défendre son territoire, a été attaquée et la France est sur le point d’être envahie par la même puissance ennemie.
Mes soldats, j’ai une confiance absolue en vous. Servir est votre mot d’ordre, et je sais que vous ferez votre devoir noblement.
Je vous suivrai à chaque instant avec le plus grand intérêt et je noterai avec satisfaction et impatience vos avancées quotidiennes ; en vérité votre bien ne sera jamais absent de mes pensées.
Je prie pour que Dieu vous bénisse et vous garde, et vous ramène victorieux. "
Entre temps la situation en Belgique et à la frontière française évoluait rapidement. Durant la nuit du 3 au 4 août il devenait clair que les Allemands avaient l’intention d’avancer en Belgique, avec ou sans permission. Immédiatement l’Etat Major belge prit les mesures nécessaires pour défendre la neutralité de leur pays face à l’Allemagne. La 3e division, défendue par les fortifications de la ville de Liège, devait faire front à l’avance allemande. Avec la couverture de la 3e division, les 1e, 2e, 5e et 6e divisions devaient se déplacer sur le front de la rivière Gette, la division de Cavalerie et les détachements de Liège et Namur devant protéger ces mouvements. Ce dispositif couvrait une bonne partie de la Belgique, Bruxelles et les liaisons avec Anvers. La concentration des troupes commença le 4 août et le matin du 6 août l’armée belge était en position à deux jours de marche à l’ouest de Liège, dans la région de Tirlemont (1e division), de Perwez (5e division), de Louvain (2e division) et de Wavre (6e division).
Le matin du 4 août, quand la Cavalerie allemande franchit la frontière belge et avança sur Visé au nord de Liège, elle trouva le pont sur la Meuse détruit, et la rive gauche tenue par les troupes Belges. Deux régiments se dirigeaient au nord vers Lixhe (3 miles au nord de Visé) où ils traversèrent la rivière à gué. Les Belges trouvant leur flanc gauche menacé se replièrent sur Liège. A la tombée du jour les têtes de six petites colonnes allemandes, de toutes les armes, qui avaient traversé la frontière, se trouvaient à environ deux miles à l’intérieur de la Belgique. On rapportait également la formation d’autres concentrations vers le sud. Il devenait évident qu’une très grande armée menaçait d’invasion le long des lignes avancées qui étaient protégées par la forteresse de Liège et par la 3e division.
LIEGE
Le 5 août, les Allemands ayant franchi la Meuse à Lixhe avancèrent des patrouilles vers Tongres (environ 10 miles au nord-nord-ouest de Liège), et le commandant en chef des troupes d’invasion, le Général von Emmich (Xe Corps) demanda de traverser librement Liège. Cela lui fut refusé sur-le-champ et il essaya de s’emparer de la place par un coup de main. Ses troupes étaient composées de six brigades d’infanterie (affectées aux forces frontières en temps de paix) et provenant des IIIe, IVe, VIIe, IXe, Xe, et XIe Corps, chacune avec un escadron de Cavalerie, une batterie d’artillerie, un bataillon de chasseurs (Jäger) et de cyclistes.
Deux des six batteries avaient des canons de campagne et les quatre autres des obusiers. A coté de cette force le Général von Emmich avait à sa disposition deux batteries de mortiers lourds et le Corps de cavalerie du Général von der Marwitz comprenant les 2e, 4e et 9e divisions de cavalerie.
Après une tentative ratée de kidnapper le commandant de la ville de Liège, le Général von Emmich donna des ordres pour une attaque de nuit. Son plan d’ensemble était de faire des tentatives contre les forts avec quelques compagnies, et d’envoyer les six brigades entre les forts afin de s’assurer la ville et la citadelle, et enfin de s’emparer des forts par l’arrière. Cette attaque fut lancée juste après la tombée de la nuit avec cinq colonnes : une par le nord, une par le nord-est (avec deux brigades qui prirent des routes différentes), une par l’est (la colonne centrale), et deux par le sud. Les deux premières colonnes, pour une bonne partie, perdirent leur chemin et se replièrent après avoir subi de lourdes pertes, bien qu’un bataillon pénétra dans Liège mais fût capturé. Quant aux deux colonnes du sud, l’une fut arrêtée, ayant eu des pertes si sévères qu’elle devait renoncer à avancer, et l’autre fut saisie de panique, les hommes se tirant les uns sur les autres. La colonne centrale rencontra une sérieuse résistance ; le brigadier et le commandant du régiment de tête ayant été tué, la colonne était sur le point de se replier quand le Major-Général Ludendorff, qui en tant qu’adjoint au chef d’Etat Major de la 2e Armée était avec le Général von Emmich pour surveiller les opérations, arriva, prit le commandement et avança. Il était particulièrement concerné car il avait planifié toutes ces opérations au calme quand il était le chef de la Section des Opérations à l’Etat Major Général. Après avoir pris du repos, il renouvela l’attaque dans la matinée du 6 août et avança jusqu’à ce que ses troupes de tête soient à moins d’un mile de Liège. Bien que n’étant pas appuyé par les autres colonnes, il décida de se ruer sur la citadelle, et en avançant, il ne trouva pratiquement aucune opposition. L’Etat Major belge, pensant que la 3e division pouvait être encerclée, la replia vers Gette ; ainsi les Allemands se retrouvèrent en possession de la ville de Liège.
Ensuite commença le véritable siège de la forteresse. Le Corps de Cavalerie du Général Marwitz se positionna sur le flanc ouest des défenses et l’artillerie allemande bombarda les forts. Le 12 août, des obusiers de 42 cm furent amenés et le dernier des forts tomba le 16 août à 8 heures 30. Le commandant de la forteresse, le Général Leman, fut ramassé inconscient sous un amas de décombres et fait prisonnier. Liège était perdu, mais en retardant l’avance allemande, c’était un immense service rendu aux Alliés de la Belgique. Le temps gagné par les Alliés était d’environ 4 à 5 jours. Selon Kluck (p. 10-19), ses trois corps de tête se trouvaient sur une ligne Kermpt-Stevort-Gorssurn, à 40 miles (c’est à dire à 3 jours de marche), à l’ouest d’Aix la Chapelle, la nuit du 17 août. Ils avaient commencé à se regrouper dans une zone au nord-est d’Aix le 7 août. Liège n’ayant offert aucune résistance, ils avaient donc avancé en territoire belge. Ils ne comprenaient pas pourquoi les IIe, IIIe, et IVe Corps n’avaient pas atteint la ligne ci-dessus le 10 août et terminé leur regroupement dans cette zone le 12 ou 13 août, c’est à dire 4 ou 5 jours plutôt. Les six brigades mixtes et le corps de Cavalerie qui avait attaqué Liège pouvait couvrir ce regroupement. Même le 10 août, le Commandement Suprême allemand espérait commencer sa progression le 13 août, cinq jours plutôt que prévu (Bülow, p.11,12). Cependant, suivant les publications allemandes d’après guerre, les " Graf Schlieffen und der Weltkrieg " de Foerster, le programme allemand prévoyait que les armées atteindraient la ligne Thionville-Sedan-Mons le 22e jour après la date de mobilisation, soit le 23 août. De fait ils étaient légèrement en avance sur leur programme, mais ceci est à mettre au compte d’une retraite hâtive des armées françaises après leur premier contact avec l’ennemi. Dans l’opinion belge, c’est au moins quatre jours qui furent gagnés (cf.-le " Bulletin Belge des Sciences Militaires, " de septembre 1921).
Le 10 août, tandis que le siège continuait, la cavalerie et les chasseurs allemands (il faut savoir qu’une division de cavalerie allemande était une force composée de toutes les armes, avec deux ou plusieurs bataillons de chasseurs (Jäger) – voir planche L) apparurent en avant de la ligne de Gette, étendirent progressivement leur front vers le Nord jusqu'à Hasselt (18 miles au nord-est de Tirlemont) et Diest (12 miles au nord de Tirlemont). Le 12 août, six régiments allemands de Cavalerie avec trois batteries et deux bataillons de chasseurs (Jäger) attaquèrent la ligne de Gette à Haelen, légèrement au sud-est de Diest. Après avoir avancé, les Allemands furent finalement repoussés par les Belges avec des pertes non négligeables après dix heures de combats acharnés.
Pourtant les troupes allemandes continuaient à envahir la Belgique. Le 17 août, l’espace entre la Meuse, la Demer et la Gette était occupé en totalité par les troupes allemandes malgré le blocage systématique des routes et la destruction des ponts par l’Armée belge assistée par la Garde Civique. Le flanc droit de la ligne de Gette était d’ores et déjà menacé et les colonnes allemandes qui soutenaient le mouvement tournant, franchirent la Meuse à Huy, où le pont que les Belges avaient fait sauter, avait été réparé. Le 18 août, les Allemands attaquèrent encore, prirent Haelen et entrèrent à Tirlemont. Ensuite ils tombèrent sur le front et le flanc gauche de la 1e division belge, et après de durs combats ils étaient tenus aux abois. Maintenant il était évident que la position de Gette courait un danger imminent. Il était certain que les IIe, IVe et IXe Corps allemands, couverts par les 2e et 4e divisions de Cavalerie, étaient en face du flanc gauche belge entre Diest et Tirlemont , tandis que la Garde, le Xe et le VIIe Corps avançaient sur le flanc droit belge sur une ligne de front allant de Jodoigne (7 miles au sud-sud-ouest de Tirlemont) à Namur. On savait aussi que les Corps d'active étaient suivi par les Corps de réserve, c’est à dire dans la 1e armée par les IIIe, IVe et IXe Corps de réserve, dans la 2e armée par la Garde et les VIIe et Xe Corps de réserve et enfin dans la 3e armée par le XIIe Corps de réserve. Comme nous le verrons, ni les Français, ni les Britanniques n’étaient à proximité pour apporter leur appui et c’était sans espoir pour les Belges de penser lutter de façon inégale, à quatre ou cinq contre un. En conséquence, le soir du 18 août, les cinq divisions belges furent habilement repliées du nord-ouest de Gette sur Anvers et le 20 août elles étaient à l’intérieur des lignes de cette forteresse sans avoir été sérieusement malmenées. Ainsi, si les Allemands avançaient à l’ouest, ils prêtaient leur flanc et s’ils devaient se tourner vers le sud, ils présentaient leurs arrières ; l'armée belge demeurait une menace pour l’ennemi.
[ Selon Hausen, le commandant de la 3e armée (" Marneschlacht " p. 244, f.n.), le IIIe et le IXe Corps de réserve étaient prévus à l’origine pour aller jusqu’à la côte "direction Calais", mais cet ordre fut annulé quand l’armée belge se retira à Anvers et les deux Corps furent envoyés pour surveiller la forteresse. Plus tard, début septembre, le XVe Corps était maintenu près de Bruxelles dans l’éventualité d’une attaque possible à partir d’Anvers. Ces trois Corps étaient absents de la Bataille de la Marne, bien que les IXe et XVe Corps de réserve atteignirent l’Aisne suffisamment à temps pour s’opposer à une avance des Alliés. De plus les unités suivantes étaient utilisées à Anvers : la " 4e Ersatz division " (envoyée de la 6e armée), la " 1e Ersatz division " de réserve, une " Matrosen division ", les 26e et 37e " Landwher brigades " en plus d’une artillerie lourde et des ingénieurs.]
NAMUR
- Voir " La Défense de la Position Fortifiée de Namur " (Etude officielle Belge), et " Lüttich-Namur ". –
Plus au sud, près de Namur, était stationnée la 4e division belge. Le 5 août, au nord de la forteresse, puis le 7 août au sud-est, des patrouilles allemandes de Cavalerie se trouvèrent au contact avec la cavalerie belge. Mais pas moins de quinze jours plus tard, le gros des troupes ennemies approcha. Pendant ce temps, la garnison avait été rejointe le 19 août par la 8e brigade belge qui, complètement isolée à Huy, avait fait sauter le pont sur la Meuse et s’était repliée sur Namur. Ce même jour, apparurent, au nord de la forteresse, le Corps de réserve de la Garde de la Seconde Armée allemande, et au sud-est, le Xe Corps comprenant les 22e et 38e divisions de la Troisième armée. Ces troupes étaient sous le commandement du Général von Gallwitz et disposaient d’une grande quantité d’artillerie incluant quatre batteries de mortiers autrichiens de 30,5 cm et une batterie d’obusiers Krupp de 42 cm.
Le 20 août, les Allemands firent une poussée sur les avant-postes belges, mais cette fois au lieu de tenter un coup de main, ils attendirent leurs canons lourds, et le 21 août, ouvrir le feu sur les forts situés à l’est et au sud-est. Le Commandant belge était impuissant à garder à distance ces monstres d’obusiers ou de les réduire au silence par des contre-feux. Avant le soir, deux des principaux forts avaient été sérieusement endommagés. Dans les vingt quatre heures suivantes, ces deux forts étaient pratiquement détruits. Le 22 août, les deux contre attaques belges échouèrent. Dans la soirée du 23 août les fronts belges Nord et Est étaient écrasés et cinq des neuf forts constituant le cercle de protection, étaient en ruines. A minuit, la 4e division et la garnison mobile belge se retiraient vers le sud, perdant 5 500 hommes, mais échappaient aux griffes de l’ennemi qui encerclait la forteresse. Ils purent aussi s’échapper en France d’où ils rejoignèrent plus tard la principale armée belge à Anvers.
Ainsi pendant dix huit jours les Belges ont dû affronter l’invasion allemande, retardant l’avance belliqueuse au moment le plus critique, et en faisant gagner un temps précieux aux Alliers. En plus de ce grand avantage stratégique, le fait que la première opération allemande menée contre des forteresses avec une stratégie de guerre moderne fut rapidement couronnée de succès, a été un avertissement pour la France afin qu’elle réajuste ses conceptions de défense de son front fortifié et réorganise ses lignes en tenant compte des effets des bombardements par des obusiers lourds.
LES OPERATIONS FRANCAISES
Le 2 août, le jour de la présentation de l’ultimatum allemand à la Belgique, le Commandant en Chef français décida d’utiliser les zones alternatives de concentration pour les Quatrième et Cinquième armées, de façon à intercaler la Quatrième armée dans la ligne générale et étendre davantage l’aile gauche plus au nord.
Le 3 août, étant donné la violation du territoire luxembourgeois par l’Allemagne, le Général Joffre ordonna au Corps de cavalerie du Général Sordet d’avancer le jour suivant à l’est de Mézières, mais téléphona à son Commandant et aux Commandants des Armées en insistant " sur l’impérieuse obligation "de ne pas passer la frontière. " S’il y avait des incidents " dit-il, " ils doivent " survenir et se développer uniquement sur le territoire français. Le soir du 4 août, vingt quatre heures après la déclaration de guerre allemande et douze heures après que la cavalerie allemande avait pénétré en Belgique, le Roi Albert autorisa la France à entrer sur son territoire afin de constater la direction prise par l’avancée allemande et de retarder leurs colonnes. Le Général Sordet traversa la frontière le 6 août et fit d’abord mouvement vers Neufchâteau (36 miles à l’est de Mézières). Puis, s’enfonçant vers le nord, il arriva finalement à 9 miles de Liège. Mais voyant que les troupes belges avaient été retirées de la zone de la forteresse, il se replia en direction de la Meuse le 10 août. Il obtint des informations précieuses d’un officier qui avait été capturé le 9 août sur les mouvements de l’ennemi; car autrement la reconnaissance stratégique pour obtenir des renseignements étaient infructueuse. Et le Général Sordet n’atteignit pas plus son deuxième objectif qui était de retarder l’avance ennemie ; car, grâce à la résistance de Liège, aucune colonne importante des troupes allemandes n’avait pénétré à ce moment dans la zone explorée.
Pour boucher le trou entre la Cinquième armée française et les troupes belges défendant Namur, un régiment d’infanterie français était envoyé le 8 août pour occuper tous les ponts sur la Meuse au nord de Dinant et entrer en contact avec les Belges. Le Ier Corps étendit ses troupes de protection le long de la Meuse, de Mézières à Givet. Le 13 août, tout le Ier Corps fut envoyé au Nord " pour s’opposer à toute tentative de traversée de la Meuse par l’ennemi entre Givet et Namur ". Le 15 août, conjointement avec la 8e Brigade du Général Mangin (spécialement détachée pour appuyer le corps de cavalerie), ce régiment d’infanterie française repoussa une tentative de franchissement de la Meuse près de Dinant par le corps de cavalerie de Richthofen (la Garde et la 5e division de cavalerie).
Entre le 6 et 8 août, il devenait certain qu’une force ennemie comprenant des unités appartenant à cinq différents corps d’armée, manœuvrait autour de Liège ; mais le principal groupe des Armées allemandes apparut au chef d’Etat Major français autour de Metz, en face de Thionville et au Luxembourg. On pensa donc que l’ennemi était en position soit d’avancer à l’ouest si Liège tombait, soit d’effectuer un mouvement tournant sur Metz si Liège tenait. En conséquence, le Général Joffre prit une décision et fit part aux Armées françaises le 8 août (voir l’Instruction n°1, datée du 8 août 1914 à 7 heures, F.O.A., i. Annexe n° 130) de son intention d’amener les Allemands à livrer bataille avec toutes ses forces réunies, suivant le plan original, et en étendant son aile droite vers le Rhin. Si nécessaire, l’aile gauche de la ligne resterait en arrière afin d’éviter un engagement prématuré d’une des armées avant que les autres ne puissent lui apporter un soutien. Toutefois, si la droite ennemie était retardée en face de Liège ou se tournait vers le sud, l’aile gauche pourrait avancer. Des directives générales furent communiquées aux armées sur les objectifs et les zones d’action. On ordonna à la Cinquième armée de rester concentrée afin d’être en position soit d’empêcher l’ennemi de passer la Meuse entre Mézières et Mouzon (20 miles au-dessus de Mézières), soit de la traverser elle-même entre ces deux villes. Ces directives se terminaient par un ordre pour que tout soit prêt pour passer à l’action dès la réception d’un télégramme et pour rendre l’offensive foudroyante.
Le 13 août, le Général Joffre aboutit à la conclusion que l’ennemi faisait route au sud vers les Troisième, Quatrième et Cinquième armées en amont de la Meuse, et qu’il était trop tard pour que ces armées envisagent une bataille au delà de la rivière " dans de bonnes conditions. " Il leur ordonna d’être prêts à contre-attaquer. Il ne prêta pas attention au point de vue du Général Lanzerac (Cinquième armée) que le mouvement de l’ennemi était d’une nature beaucoup plus vaste.
Pendants ce temps, en Alsace, " pour faciliter l’attaque des armées principales ", une petite offensive (esquissée dans le plan original) fut lancée sur l’extrême droite par un détachement de la Première armée composé du VIIe Corps et de la 8e division de cavalerie. Ce détachement passa la frontière le 6 août. Après que sa garde avancée eut atteint Mulhouse, il se trouva en face de forces supérieures et se retira. Le 14 août, l’offensive fut renouvelée avec une force armée plus vigoureuse, appelée l’Armée d’Alsace, comprenant le VIIe Corps, la division Alpine et trois divisions de réserve, sous le commandement du Général Pau. A la même date, la Première armée et la Seconde armée commencèrent leur mouvement pour passer la frontière. Pour les armées sur l’aile gauche seulement, certains ordres de précaution avaient été donnés. Mais durant l’après midi du 15 août, des nouvelles venant de l’armée belge signalaient que 200 000 Allemands étaient en train de traverser la Meuse au-dessous de Visé, et le Ier Corps informait d’une attaque à Dinant. En conséquence le Grand Quartier Général (G.Q.G.) ordonna à la Cinquième armée d’adjoindre à la Quatrième armée son IIe Corps droit et son Groupe de divisions de réserve qui gardait la Meuse et était en contact avec le Ier Corps, d’emmener le reste de ses forces au nord en passant la frontière belge dans l’angle formé par la Meuse et la Sambre vers la région de Mariembourg (24 miles au nord ouest de Mézières) ou de Philippeville (33 miles au nord de Mézières) " afin d’agir de concert " avec l’armée britannique et les forces belges contre " les forces ennemies au nord. " Ensuite G.Q.G. plaça le Corps de cavalerie de Sordet et le Groupe des divisions de réserve de Valabrègue à Vervins (36 miles à l’ouest de Mézières) sous la Cinquième armée et il y disposa aussi deux divisions d’Afrique, récemment arrivées ainsi que le XVIIIe Corps de réserve générale, originellement affecté à la Seconde armée.
Afin de laisser la Troisième armée totalement libre pour se concentrer sur des actions offensives, l’obligation de masquer Metz était demandé à une nouvelle force, l’Armée de Lorraine, composée de trois divisions de réserve de la Troisième armée et de trois autres envoyées pour la circonstance. Le Général Maunoury, qui à l’origine avait été sur la frontière italienne, reçut le Commandement de l’armée de Lorraine. Le Général prenait donc en charge l’aile gauche.
Le plan général des opérations françaises commençait à prendre maintenant sa forme définitive, alors qu’un ensemble de faits évidents montraient que l’avancée allemande en territoire belge progressait.
La situation telle qu’elle se présentait au G.Q.G. le 16 août était la suivante :
Maintenant l’intention du Général Joffre était de porter la principale attaque avec les Troisième et Quatrième armées à travers le Luxembourg et le Luxembourg Belge afin de frapper le flanc des forces ennemies qui avaient franchi la Meuse entre Namur et la frontière allemande, détruire leurs communications et si possible les attaquer avant qu’elles ne se mettent en ordre de bataille au sud. Pour soutenir cette offensive les Première et Seconde armées devaient seulement porter une attaque peu importante entre Metz et les Vosges, dans le but de retenir l’ennemi qui semblait se déplacer graduellement vers l’ouest et qui pouvait se trouver sur le flanc des armées françaises qui attaquait au Luxembourg. Enfin, l’aile gauche composée de la Cinquième armée, de l’armée britannique quand elle arriverait, et de l’armée belge devait remonter afin de tenir en joue les forces allemandes qui pouvaient venir de la Meuse et ainsi gagner suffisamment de temps pour permettre une attaque de la Troisième armée et de la Quatrième armée. Afin de donner du poids à l’attaque, les Troisième et Quatrième armées avaient été quelque peu renforcé.
En bref, le premier objectif du Général Joffre était de briser le centre ennemi. Pour cela il avait l’intention de tomber avec toutes les forces disponibles sur la droite ou l’aile gauche des armées allemandes.
Les instructions qui ont été envoyées le 20 août au Général Ruffey étaient les suivantes :
Le Général Joffre adressa le télégramme suivant au Général de Langle de la Quatrième armée :
Au matin du 20 août les positions montraient les mouvements préliminaires qui avaient été effectués pour passer à l’action. Ces positions étaient les suivantes :
On observera que le front de la Cinquième armée aux ordres du Général Lanzerac le long de la Meuse et de la Sambre formait, juste en deçà de la forteresse de Namur, une pointe vers laquelle les Allemands se rapprochaient le 20 août. En conséquence toute faiblesse de sa droite à se maintenir sur la Meuse placerait son centre et sa gauche dans une situation dangereuse et entraînerait leur séparation.
Cependant le 20 août, avant que l’avancée générale ne débuta, des infortunes avaient déjà rattrapé les Français. Suivant les bulletins publiés au début " La Première armée et la Seconde armée, fatiguées par plusieurs jours de marche et de combats, se trouva face à des positions fortement organisées, armées d’une artillerie puissante dont la puissance de feu avait été admirablement préparée et ajustée par l’aviation. " Cependant, ce ne fut pas toujours le cas. La Sixième armée allemande a d’abord dû se replier avant la Seconde armée allemande qui était poursuivie sur sa gauche, le 18 août, par le XXe Corps du Général Foch. Tôt le matin du 20 août l’ennemi attaquait à nouveau la Seconde armée au centre et sur le flanc gauche. Il fut contraint de se retirer et la Première armée dut s’adapter à ses mouvements. Les actions dans lesquelles la Première armée et la Seconde armée étaient engagées sont connues sous le nom des batailles de Sarrebourg et Morhange (25 miles au nord-ouest de Sarrebourg). Il doit être également mentionné ici qu’une tentative de poursuite de la Seconde armée par les Allemands avait été sérieusement bloquée le 25 août ; en effet, en dépit du revers, la Première armée française reprit l’offensive et les frappa sur leur flanc. Après quelques combats indécis, la situation des Première et Seconde armées françaises se stabilisa sur une ligne, juste à l’intérieur des frontières françaises.
Le 21 août, en dépit du revers de l’aile droite française, les Troisième et Quatrième armées traversèrent la frontière et avancèrent de dix à quinze miles dans la difficile région des Ardennes, une région accidentée de montagnes et de profondes vallées, couverte par des forêts entrecoupées de zones étroites de pâturages. L’aviation ne pouvait rien voir, la cavalerie ne pouvait pas avancer. Et dans les défilés parcourus par des routes traversant les villages et des forêts les colonnes françaises foncèrent littéralement à angle droit sur les colonnes allemandes appartenant aux armées du Prince de la Couronne allemande et au Duc Albert de Württemberg et légèrement supérieures en nombre.
Français Allemands
Troisième armée 168 000 hommes Quatrième armée 200 000 hommes
Cinquième armée 193 000 hommes Cinquième armée 180 000 hommes
Total 361 000 hommes Total 380 000 hommes
Après ces combats connus sous le nom des batailles de Virton et de la Semoy, les pertes subies étaient lourdes, en particulier chez les officiers (il y a un exposé précis de ces combats dans le livre du Commandant Grasset intitulé "Ethe, Virton et Neufchâteau "). La Troisième et la Quatrième armée étaient contraintes de se replier vers la Meuse. La tentative de briser le centre allemand avant que l’aile droite ne puisse venir frapper l’aile gauche des Alliés avait donc échoué à cause des Français
Cependant, nous pouvons remercier le Prince de la Couronne allemande pour sa tentative prématurée d’encerclement, qui permit que le revers soit moins sérieux qu’il ne l’aurait été autrement.
Quant à la Cinquième armée française, le Général Lanrezac considéra qu’il ne lui était pas envisageable de faire avancer son armée simultanément avec les autres armées sur sa droite. Il préféra attendre
Comme nous le verrons bientôt, le 21 août la force de Sir John French approchait la ligne formée par le canal de Mons-Condé. La situation générale dans laquelle le Général Lanrezac se trouvait pour jouer son rôle pourrait être résumé ainsi :
(La tactique française que l’infanterie attaque " tête baissée " sans se préoccuper d’un appui de tirs rapides ou d’artillerie prouva sa totale inaptitude à une guerre moderne. Le 24 août la note suivante, signée du Général Joffre, fut diffusée à toutes les armées françaises :
LES OPERATIONS ALLEMANDES
(Voir G.O.A., i. p.69 et la note 11 à la fin du chapitre)
L’Allemagne avait un accord de coopération avec l’armée austro-hongroise. Elle laissa donc, sur sa frontière Est, seulement trois Corps d’active et trois divisions de réserve secondées par une division de Cavalerie, une division " d’Ersatz " et des formations de " Landwehr ", soit quelques 250 000 hommes en tout. Elle laissa aussi dans l’état du " Schleswig " le IXe Corps de réserve (jusqu’au 23 août) et des formations de "Landwehr " pour se protéger d’un débarquement possible. Et enfin, elle regroupa le reste de ses troupes mobiles disponibles sur sa frontière Ouest en sept armées, avec à la tête le " Generaloberst von Moltke " comme Chef d’Etat Major. (Pour l’ordre de bataille, voir appendices 6 et 7). En chiffres ronds (G.O.A. i. p.69) cela représentait 1 600 000 hommes en excluant 4 Corps de Cavalerie et les troupes couvrant la Haute Alsace :
- Première Armée 320 000 hommes
- Seconde Armée 260 000 hommes
- Troisième Armée 180 000 hommes
- Quatrième Armée 180 000 hommes
- Cinquième Armée 200 000 hommes
- Sixième Armée 220 000 hommes
- Septième Armée 125 000 hommes
- Total 1 485 000 hommes
A cela s’ajoutaient 61/2 divisions mobiles " d’Ersatz " (soit 100 000 hommes) qui devaient être prêtes le 12e jour de mobilisation.
Le soir du 17 août, ces armées, prêtes à se mettre en mouvement, étaient rassemblées le long d’un front s’étendant de la forteresse de Strasbourg à la frontière allemande au nord de Liège. Ce front passait par Sarrebourg, Metz et Thionville. (Les fortifications continues autour et reliant ces deux dernières places formaient ce qui était appelé la Position Moselle.) Le front montait du centre du Duché du Luxembourg (dont la neutralité avait été violée le 2 août) jusqu’à Liège, puis au nord-ouest de cette forteresse où l’armée allemande la plus au nord, celle de Kluck, était déployée sur la Gette face aux Belges. L’armée de Kluck défila sur trois colonnes à travers Aix la Chapelle, afin d’atteindre l’extrémité de la zone neutre formée par l’avancée de la province hollandaise de " Limbourg " et derrière laquelle l’armée de Kluck s’y regroupa. Les armées de Kluck (Première armée) et de Bülow (Seconde armée), agissant ensemble sous le commandement de ce dernier, reçurent les ordres suivants du Commandement Suprême (O.H.L.)
La Première armée devait mettre en place un détachement pour masquer Anvers et tenir en retrait sa droite pour se prémunir d’un débarquement britannique sur la côte. La Troisième armée d’Hausen devait gagner la ligne de la Meuse de Givet à Namur. Namur devait être attaqué et prise aussi tôt que possible par la gauche de la Seconde armée et par la droite de la Troisième armée. Pendant ce temps, les Quatrième et Cinquièmes armées devaient s’adapter pour que la totalité des cinq armées puissent effectuer un gigantesque mouvement tournant sur leur droite, d’abord vers la ligne Thionville- Bruxelles puis dans une direction sud-ouest, Thionville demeurant le pivot.
Les Sixième et Septième armées, sous le commandement du commandant en chef, le Prince Rupprecht de Bavière, avaient reçu comme tâche principale la protection du flanc gauche des cinq armées en mouvement. Comment pourrait-il le faire? Cela dépendait des actions de l’ennemi. Si les Français, appuyés sur leur ligne de forteresses, restaient sur une position défensive, le Prince Rupprecht devait prendre l’offensive. Il devait " avancer jusqu’à la Moselle en dessous de Frouard " (5 miles en dessous de Nancy) et jusqu’à la Meurthe, tout en maintenant fermement les troupes françaises (La Première armée et la Seconde armée), rassemblées là et empêcher leur déplacement vers l’aile gauche française. " Si, d’un autre côté, les Français avançaient en nombre supérieur contre ce front, et que le Prince Rupprecht devait perdre du terrain, il devait se retirait vers une position préparée sur la Nied, qui était flanqué par Strasbourg et Metz. Si le flanc gauche des armées effectuant leur rotation ne semblait pas menacé, une partie de la Sixième armée et de la Septième armée pourraient se replier sur Metz pour combattre sur la rive gauche de la Moselle. Le Prince Rupprecht avait commencé son retrait le 14 août selon la deuxième hypothèse, restant en contact avec les défenses extérieures de Metz ; mais dans la soirée du 17 août, la Seconde armée française, dans sa progression, avait exposé " un flanc très étalé et visiblement clairsemé vers Metz qui invitait à une frappe " et la majorité de cette armée était concentrée entre Morhange et Sarrebourg. Bien que Moltke fût partisan de laisser les Français s’approcher plus près, Rupprecht émit des ordres pour " une attaque surprise et foudroyante " avec un résultat déjà prévisible. (Cf. : Récit Officiel Bavarois " Die Schlacht in Lothringen ").
L’objectif stratégique était de déborder les Français par l’ouest et les repousser à l’est contre la frontière suisse. Pour donner suffisamment de poids à la frappe qui devait écraser la gauche des Alliers, laminer la ligne ouest, et, pousser la totalité de la ligne de bataille au sud-est vers un territoire neutre avec l’appui des Troisième, Quatrième et Cinquième armées, cinq des dix divisions de cavalerie et vingt six des soixante douze divisions du front ouest furent affectées aux deux armées sous les ordres du Général von Bülow. Il est intéressant de voir la densité des différentes armées allemandes sur le front du 17 août :
- Front de la Première armée 18 miles about 18 000 hommes par mile
- Front de la Seconde armée 20 miles about 13 000 hommes par mile
- Front de la Troisième armée 15 miles about 12 000 hommes par mile
- Front de la Quatrième armée 30 miles about 6 000 hommes par mile
- Front de la Cinquième armée 40 miles about 5 000 hommes par mile
- Front de la Sixième armée 70 miles about 3 100 hommes par mile
- Front de la Septième armée 35 miles about 3 500 hommes par mile
Pour résumer les mouvements initiaux de deux belligérants, nous voyons que l’offensive française, menée par les armées de Dubail et de Castelnau le 14 août au sud de Metz, avait été repoussée par la Sixième et la Septième armée allemande et avait échoué tactiquement. Aussi, l’avantage stratégique général restait aux Allemands, car leurs 350 000 hommes, incluant les détachements de la Haute Alsace avaient contenu environ 450 000 Français. Le 21 août commença l’offensive des armées de Ruffey et de de Langle de Cary, au nord de Thionville. Elle les opposa aux Quatrième et Cinquième armées allemandes qui avaient commencé le 17 août leur mouvement tournant vers la ligne Thionville-Givet, de sorte que deux armées rencontrèrent deux autres armées de forces à peu près égales ; là encore les Français ont eu à subir quelques petits désastres.
Le résultat des opérations ci-dessus était distinctement en faveur des Allemands, mais pas d’une manière décisive. Toutefois ceci n’était pas tout. Leur dispositif laissait aux trois armées, -celle d’Hausen, celle de Bülow et celle de Kluck, comprenant en tout, trente quatre divisions – la liberté d’agir face aux dix divisions de l’armée de Lanrezac, aux quatre divisions de la petite armée britannique et aux six divisions de l’armée belge toutes aussi petite. Il y avait au total trente quatre divisions contre vingt, couvrant une frontière dépourvue d’obstacle naturel, gardée seulement par des forteresses obsolètes, et, derrière elle, la route la plus courte et la plus directe vers Paris.
En regard de ses objectifs, la première étape du plan allemand avait donc été une réussite. Les lignes dessinées pour la première étape du mouvement tournant sur Thionville avaient été atteintes. Liège et Namur avaient été prises. Le seul échec était que l’armée belge, qui s’était retiré à Anvers le 20 août après un combat d’arrière garde, n’avait pu en être délogée. Parfois même ce fut une surprise qu’en août 1914 les Allemands ne poussèrent pas leurs détachements jusqu’aux ports de la Manche où il n’y avait pas de force disponible, mis à part quelques unités Territoriales françaises, pour s’y opposer. Néanmoins, il apparaîtrait qu’ils avaient l’intention de le faire, mais la nécessité d’encercler l’armée belge à Anvers absorba les deux corps (la IIIe réserve et la IVe réserve) qui avaient été choisis pour le besoin. En outre, quand, au début de la campagne, son déroulement était si proche du plan prévu, et qu’il semblait y avoir une certitude de gagner la guerre en quelques jours par une grande défaite des Français comme à Sedan mais en terrain découvert, il eut été stratégiquement injustifiable de détourner un seul homme pour occuper une partie de la côte.
L’ARRIVEE DES ANGLAIS EN France
Le 12 août le Commandant en chef, gardant avec lui une petite partie de son équipe proche, envoya des officiers généraux de son quartier général (GHQ) de Londres à Southampton. Ils traversèrent la Manche jusqu’au Havre le 14 août, et prirent le train tôt le matin du 16 août pour atteindre Le Cateau tard dans la nuit.
Le 14 août, Sir John French, lui-même, quitta Londres avec son équipe. Il arriva à Amiens peu après 21 heures. Une heure plus tard, l’officier d’Etat Major, le Général Valabrègue, vint lui rapporter que son groupe, les 53e et 69e divisions de réserve se retranchaient au sud de l’Oise entre Vervins et Hirson pour former une seconde ligne à la gauche française.
Les jours suivants, les 15, 16 et 17 août, le Commandant en chef visita successivement le Ministre français de la Guerre à Paris, le Général Joffre au Grand Quartier Général (G.Q.G.) à Vitry le François, et le Général Lanrezac au quartier général de la Cinquième armée à Rethel.
Par eux, il eut quelques précisions sur le dispositif des forces françaises dans l’angle formé par la Sambre et la Meuse au sud-ouest de Namur.(Comme ni le Général Lanrezac ni Sir John French ne parlait ou ne comprenait complètement la langue de l’autre, il n’a malheureusement pas été possible d’établir un bon accord entre les personnes lors de leur réunion. Voir " Le plan de Campagne français " de Lanrezac, p.91-2 ; et " 1914 " de French, p.36-7). Ensuite l’armée du Général Lanrezac fut rapidement concentrée dans la zone au sud de Charleroi ; Sur la droite le Ier Corps était déjà regroupé entre Namur et Givet ; La tête du IIIe Corps était à Philippeville et celle du Xe Corps était à Bohain, à mi-chemin entre Saint-Quentin et Le Cateau. Le XIIIe Corps était attendu dans la zone entre Bohain et Avesnes pour les 18 et 19 août.
Comme déjà indiqué plus haut, les divisions du Général Valabrègue étaient en position au Sud d’Avesnes. Le Corps de cavalerie du Général Sordet avançait à nouveau, cette fois au nord-est à partir de Charleroi et s’il devait se replier il devait passer à la gauche de l’armée britannique. La tâche de cette armée était de se déplacer au nord et de former l’extrême gauche de l’avance française.
Tout au long de cette période, c’est à dire du 12 au 17 août, les troupes britanniques devaient avoir traversé la Manche et débarqué sur le sol français. Tout était prêt pour les recevoir et l’accueil réservé par les habitants était enthousiaste. Le 14 août et les jours suivants les différents corps et divisions étaient acheminés par train jusqu’aux zones de concentration qui avaient été préparées de manière que l’armée britannique soit rassemblée dans une zone en forme de poire entre Maubeuge et Le Cateau, sur une longueur d’environ vingt cinq miles, du nord-est au sud-ouest, et sur une largeur moyenne de dix miles. La cavalerie était à l’extrémité nord-est, prête à se joindre à la Cinquième armée française.
Dans le détail, les zones étaient les suivantes :
L’aviation britannique, qui prenait part dans une guerre pour la première fois, était basée sur l’aérodrome de Maubeuge. Elle comprenait quatre escadrons, avec 105 officiers, 755 sous-officiers et hommes du rang et 63 aéroplanes. Il avait aussi un stationnement pour les avions à Amiens.
La concentration était pratiquement terminée le 20 août, soit avec 6 jours de retard d’après le décompte français, à cause des différents retards déjà mentionnés. Un seul incident triste entacha la progression sur le théâtre des opérations : la mort du lieutenant général Sir James Grierson, commandant le IIe Corps. Il décéda subitement dans le train le matin du 17 août. Sir John French demanda que Sir Herbert Plumer puisse prendre la place du Général Grierson, mais le Secrétaire d’Etat à la Guerre décida d’envoyer Sir Horace Smith-Dorrien.
Le 19 août, G.H.Q. était informé que la 4e division allait être immédiatement envoyée ; et il fut décidé que les " 2/Royal Welsh Fusiliers ", " 1/Scottish Rifles ", " 1/Middlesex "et " 2/Argyll et Sutherland Highlanders ", qui avaient été employés sur les lignes de communications, devaient former la 19e brigade sous les ordres du Major-Général L.G. Drummond. Le même jour l’aviation était chargée d’effectuer sa première reconnaissance à partir de Maubeuge en se dirigeant au nord vers Bruxelles et au nord-est au-dessus de Tournai et de Courtrai. Aucun ensemble important de troupes n’était repéré. Le 20 août, la cavalerie fit une poussée jusqu’à Binche au nord sans rencontrer l’ennemi. Mais une reconnaissance aérienne ce jour permit d’observer une colonne de troupes s’étendant à perte de vue à partir de Louvain. C’était la colonne de la première armée allemande. Kluck s’enfonçait à l’ouest en détournant une partie de son IIIe Corps de réserve, suivi ensuite par le IXe Corps de réserve et l’équivalant de cinq divisions, pour poursuivre les forces belges vers Anvers. Ce même jour, le 20, ses troupes entraient à Bruxelles. C’était un jour décisif sous plusieurs aspects, car durant son trajet l’armée belge s’était retirée à Anvers, les Allemands arrivaient à une portée décisive de Namur et le Général Joffre donnait ses ordres pour une marche en avant généralisée.
Dans ce grand mouvement, dont les contours ont déjà été donnés, les Britanniques devaient avancer sur la gauche de la Cinquième armée au nord-est en passant par Soignies, dans la direction générale de Nivelles. Si Kluck effectuait un mouvement tournant au sud de Bruxelles, il n’était pas prévu que sa droite pourrait s‘étendre très au-delà de Mons. En conséquence, si les Britanniques étaient en ligne à cet endroit, ils seraient prêts, quand le général Lanrezac aurait passé la Sambre, à se tourner à l’est et à envelopper la droite allemande. Pour effectuer cet enveloppement le plus sûrement possible, le Corps de cavalerie du général Sordet, qui ce même jour s’était replié de l’autre côté de la Sambre, à Fontaine l’Evêque (à mi-chemin entre Charleroi et Binche), reçut l’ordre de prendre position de l’autre coté de la gauche britannique. Encore plus à l’ouest, les trois divisions Territoriales françaises, sous le commandement du général d’Amade, devaient avancer graduellement.
L’initiative semblait être aux mains des Allemands et il était urgent de s’assurer par une reconnaissance aérienne ou par d’autres moyens, comment ils l’exploiteraient. Pendant ce temps, conformément au plan du général Joffre, le G.H.Q. donna des ordres le soir du 20 août, pour faire mouvement vers le nord, durant les trois jours suivants. L’impact général de l’exécution de ces ordres devait être que, le 23 août, l’armée se trouverait alignée sur un front, grossièrement face l’est, allant de Estinne-au-Mont (près de Binche) au sud-est, à Lens (huit miles au nord de Mons) au nord-ouest. La division de cavalerie du Major Général E.H. H. Allenby se trouverait donc sur la gauche, tandis que la 5e brigade de cavalerie du brigadier général Sir P. W. Chetwode qui avait couvert le flanc droit durant le mouvement, devrait se retrouver finalement en avance du front droit. Les mouvements journaliers devaient être les suivants :
La matinée du 21 août était lourde et brumeuse, rendant impossible toute reconnaissance aérienne jusqu’à l’après midi. La cavalerie se déplaça tôt vers le nord, et après avoir atteint Villers Saint Ghislain(six miles, au sud-est de Mons), on apprit que la cavalerie allemande était en force cinq miles plus au nord. Une patrouille qui était entrée dans Mons découvrit que la même information y circulait. La 2e brigade de cavalerie du brigadier général H. de B. de Lisle, après avoir traversé le canal de Condé à l’est de Mons occupa, sur les deux rives, une ligne de Maubeuge à Obourg. Des patrouilles du 9e Lancier et du 4e Dragon virent des patrouilles allemandes aux alentours des deux ponts à l’est de Mons, de ceux de Nimy et Obourg ; mais elles n’étaient pas entrées en contact. Cependant les informations fournies par les paysans tendaient à montrer qu’il y avait un mouvement de forces très important au sud de Soihgnies (10 miles au nord-est de Mons).
Le IIe Corps suivait la cavalerie jusqu’à une ligne à l’ouest de Maubeuge ; sur la droite la 3e division avançait jusqu’à la ligne Bettignies - Feignies - La Longueville, et sur la gauche la 5e division avançait jusqu’à la ligne Houdain - Saint Waast - Gommegnies. Venant d’Angleterre Sir Horace Smith-Dorien atteint Bavai à 16 heures et pris le commandement du Corps. Dans la soirée les avant postes de la 9e brigade regardaient le vieux champ bataille de Malplaquet lorsqu’ils furent découverts par le régiment du " Lincolnshire " qui, avec les " Royal Scots Fusiliers ", y avaient livré bataille deux cents ans auparavant.
Simultanément, le Ier Corps se déplaça jusqu’à la ligne Avesnes-Landrecies, environ dix miles derrière le front du IIe Corps, la première division sur la droite, et la seconde division sur la gauche. La journée était étouffante et beaucoup de réservistes en souffraient. Un grand nombre d’hommes ressentaient encore les effets des vaccinations et tous trouvèrent la surface irrégulière et dure des routes pavées, extrêmement éprouvante pour la marche. Dans l’après midi le temps s’éclaircit et l’aviation pouvait effectuer des missions de reconnaissances.
On signalait un groupe important de cavalerie avec de l’infanterie et des canons au sud-est de Nivelles. Ce renseignement fut confirmé et la formation fut identifiée comme étant la 9e division de cavalerie allemande, par un officier des renseignements britanniques qui était à Nivelles quand la division y entra et qui pu s’échapper en voiture. La présence de deux autres divisions de cavalerie était incertaine. L’une d’elle, la 2e division, avait poussé ses troupes loin à l’ouest, et avait atteint la ligne Ghent - Audernarde, avec l’intention de reconnaître la zone jusqu’à la mer. L’autre division, supposée être la 4e division, était entre Charleroi et Seneffe. (La 4e division de cavalerie était sur la ligne mentionnée au milieu de la journée du 20 août et le 21 août se déplaçait vers l’ouest, de Soignies vers Ath. Par ailleurs les identifications étaient tout à fait correctes. Voir Poseck, carte). Ces trois disions de cavalerie formaient le IIe corps de cavalerie allemande sous les ordres du Général von der Marwitz. (Le Corps, après s’être concentré près de Ath, fut envoyé au nord-ouest vers la côte en face du flanc droit de la première armée, pour observer l’armée britannique. Voir Poseck p.35). On était également informé que les principales lignes allemandes s’étendaient au sud-est de Grammont, via Enghien, Nivelles, Jemappes et Sombreffe jusqu’à Charleroi. Nous savons maintenant que de la droite à la gauche, c’est à dire du nord-ouest au sud-est, l’ordre du Corps allemand était la IVe (avec la IIe espacée derrière), la IIIe, la IXe, la VIIe, la Xe et la Garde, avec quatre corps de réserve derrière elles. Le Haut Commandement allié était correctement informé quant au nombre exact de Corps allemands en Belgique, mais il ne pouvait pas faire autre chose que de prévoir le schéma de leur progression. Au moins une partie de la cavalerie de Kluck et probablement une partie de son infanterie avait commencé leur mouvement tournant au sud-ouest à partir de Bruxelles. Il avait l’intention soit de continuer dans cette direction, soit de s’étendre plus à l’ouest. Il était encore impossible de porter un jugement sur l’information recueillie. Sur la droite britannique, l’armée du Général Lanrezac était au contact avec l’infanterie de la Seconde armée allemande tout au long de la ligne de la Sambre, de chaque côté de Charleroi, de Tamines à Pont de Celles, de sorte qu’un dur combat dans ce secteur le lendemain était presque certain. Il semblait y avoir toutes les chances pour que ce combat s’étende plus à l’ouest.
A 14 heures 45, G.H.Q. ordonna à la cavalerie de se rapprocher de la ligne entre la gauche française et Mons. La 5e brigade de cavalerie pris position sur une ligne allant de la gauche du corps de cavalerie du Général Sordet à Fontaine l’Evêque, à Péronne, en face de Binche. La division de cavalerie prolongeait cette ligne jusqu’au canal à Boussois (cinq miles à l’est de Mons) avec une autre brigade, la 3e (aux ordres du Général H. de la P. Gough). Puis des patrouilles furent poussées en avant au nord et au nord-est. Les ordres pour les opérations, émis par le G.H.Q., peu avant minuit, confirmaient que le tableau de marche diffusé le 20 août était toujours valable pour le 22 août avec deux modifications :
Et il était toujours dans l’intention des Britanniques de prendre l’offensive.