SOUVENIRS D'UN ENFANT A CHATEAU-THIERRY EN SEPTEMBRE 1914

Souvenirs de Monsieur Jean Paul CHOPART, qu'il nous a confiés en 1983.

lère PARTIE

EVENEMENTS VECUS et dont JE ME SOUVIENS FORT BIEN SURVENUS à CHATEAU THIERRY, du 3 au 10 SEPTEMBRE 1914

Nous habitions LAON où j'ai vu passer en retraite, des artilleurs Hippo, des cavaliers, hussards bleu clair, dragons et cuirassiers - ces derniers surtout ont marqué ma mémoire avec leur cuirasse, leur casque à crinière et leur lance . Ils m'enthousiasmaient avec leurs beaux uniformes et surtout leurs chevaux ; tous avaient faim. Leurs récits étaient hallucinants. L'un d'eux a dit qu'il avait déjà embroché trois Allemands, mais que maintenant il avait peur.

Jour et nuit, les réfugiés passaient - cortège qu'hélas, nous avons revu. La différence entre l'exode de 14 et celui de 40, réside dans les moyens de transport qui étaient uniquement à traction animale : chevaux, boeufs, chiens, et à pied. En 1940, l'auto primait, mais il y avait aussi beaucoup de chevaux , des fermes entières fuyaient.

Devant cette marée Nord-Sud, ma mère a décidé de me confier le 31 Août à des amis de LAON qui venaient à Château en auto pour les services de la Préfecture qui se repliaient et, partis de Laon à 8 heures du matin, nous n'étions qu'à FERE-EN-TARDENOIS pour déjeuner, après 4 crevaisons, et à CHATEAU vers 16 heures chez mes grands-parents GAUDE-PLANSON, 6 Quai des Baigneuses (Quai Couesnon maintenant).

Le canon tonnait au loin comme un orage sourd et irrégulier.

Les habitants - le reste - étaient nerveux et quittaient Château en grand nombre par tous moyens, surtout à pied.

Mes grands-parents avaient décidé de rester, d'abord parce que mon Grand Père avait 74 ans, qu'il avait déjà vu les Prussiens en 70, et ensuite parce qu'ils ne savaient pas où se rendre.

De plus, ma Mère devait arriver par le train. Elle prit le dernier train de LAON par REIMS le ler Septembre. Ceux qui ont pris à la même heure celui par VillersCôtterets, ont fait demi-tour vers SOISSONS et sont rentrés à LAON pour 4 ans.

La peur était dans l'air pour les rares habitants qui restaient à CHATEAU et mes grands-parents qui avaient l'expérience de 1870, ont décidé de faire des provisions de légumes que nous sommes allés chercher à leur jardin Rue de la Prairie - et conserve en boites de l'Epicerie Gaudé-Beck.

Le jardin était entouré de murs et en contrebas de la rue de la Prairie. Pour des raisons encore inexpliquées, on entendait le bruit des mitrailleuses et fusils en étant dans le jardin. Ma mère prit peur et sortit dans la rue de la Prairie - mais plus rien - Elle rentre dans le jardin et çà recommence.

Le temps pourtant calme et beau, nous apportait intra-muros le bruit des mitrailleuses et à l'air libre on n'entendait plus rien.

Lorsque tout à coup le bruit fut plus précis et plus fort, mon grand-père dit "Ils sont à FRANJALLE".

Vite, nous rentrons en courant disant à tous : "Les Prussiens sont à FRANJALLE" et je me souviens du vieux Monsieur BOUVRANDE en face de la fontaine Méchin et Monsieur RONSIER Cafetier où se trouve la Triperie PETIT maintenant, qui ont aussitôt posé leurs volets.

Arrivés 6 Quai des Baigneuses, nous avons retrouvé plusieurs personnes venues pour se mettre à l'abri dans la cave voûtée.

Ma tante GAUDE-BECK et son frère Henri BECK (qui a été tué en 1915) ont aidé mon grand-père à bourrer des caisses de vieux clous dans les soupiraux pour faire obstacle aux éclats et aux balles, et puis, le bruit s'est calmé.

Ayant cuit le pot-au-feu dans la journée, les dames ont décidé de quitter la maison pour se réfugier dans une petite maison derrière donnant sur le jardin, bien abritée. Là, nous avons dîné !!

Quand tout à coup, le canon a tonné en provenance de BLANCHARD et de "La Plante aux Chênes''. Les fusils et les mitrailleuses répondirent très vite et fort, du Quai des Baigneuses et de la Place Thiers. Nous entendions causer français. Derrière chaque borne, il y avait un ou deux soldats qui tiraient sans arrêt en direction de l'autre rive, dans la gare du C.S.A., l'hôtel de l'Eléphant, et la Société Générale.

De temps à autre, des cris, des appels, des pas, au travers de la fusillade. Vers 1 heure du matin : silence. Nous croyons tout le monde parti - nous étions dans la cave, mon grand-père est monté se coucher.

Les soldats français toujours au guet, se sont mis à crier je ne sais après qui, la fusillade reprit, le canon aussi. Tous les carreaux tombèrent, la maison tremblait, 3 obus de 77 avaient ouvert des brèches au ler étage, toutes les maisons du Quai étaient touchées, celle de l'Avenir de l'Aisne, Monsieur SCHNEIDER, et celle de l'angle de la Rue Carnot - Quai des Baigneuses, épicerie GAUDE-BECK appartenant à mes grands parents avaient particulièrement souffert.

Au matin de ce 4 Septembre, du sang partout sur le Quai, une infirmerie de secours dans une petite ruelle avait laissé 3 morts. Partout des équipements militaires et des armes.

Tout à coup, ma soeur aînée regardant le Vieux Château par un trou d'obus, aperçoit sur la tour Ouest, des Hussards de la Mort avec leur grande cape blanche - une dizaine - avec casque carré, cuirasse, lance, et leur fanion blanc. Leur domination hurlante était écoeurante, mon grand-père pleurait de rage et d'humiliation.

Vers 6 heures du matin, comme par enchantement, la Place Thiers fut couverte d'artillerie allemande avec chevaux. Un officier vint parlementer en français à travers la grille avec ma mère pour demander une chambre pour un général, elle lui fut donnée.

Mais avant d'en prendre possession, la maison fut visitée de fond en comble par un officier qui suivait ma mère et 2 soldats revolver au poing. Toutes les armoires, tous les recoins y passèrent. N'ayant rien trouvé, le général prit possession du bureau et de la chambre. Il a constamment été saoul au champagne et au cognac pendant 3 jours.

Nous avons eu des sentinelles à la porte côté Place Thiers tout le temps de la présence du Général. Les officiers venaient bavarder, demander quand j'irais monter à cheval chez lui en Allemagne, ma soeur jouer à la poupée. Mais il y aura une grande bataille là (Soissons). - Malheur la guerre !!!

Le 2ème jour nous n'avions plus de pain lorsqu'un Allemand avec une voiture à cheval, appela mon Grand-père et lui dit : "Monsieur, cheval, voiture, à vous." C'était celle d'un boulanger de CROUY SUR AISNE avec du pain. Nous avons fait des heureux et en avons conservé beaucoup.

Pendant ce temps, le pillage était roi par les soldats allemands. Sur plainte à un officier, celui-ci entra dans le magasin GAUDE-BECK par un trou d'obus - cris, les soldats se figèrent, ils avaient des sardines, du pâté, du fromage, des fruits au sirop, etc ... dans les mains. L'officier hurla, les hommes se sauvèrent par le trou d'obus. L'officier écrivit à la craie sur les volets, en allemand : "Ici, braves gens pillage interdit." Aucun n'est jamais revenu.

Le leitmotiv des soldats Allemands était "BOUM BOUM PARISSS KAPUT ...". Un jour, un avion français est passé au-dessus de la Marne et j'ai vu un soldat allemand tirer sur lui au fusil, de l'angle MOLARD , et il criait, courait, tirait , il croyait l'avoir descendu - mais non, il a disparu derrière le Vieux Château.

Mes grands oncle et tante HEBERT-PLANSON habitaient COURTEAU. Nous sommes allés prendre de leurs nouvelles - tout allait bien, mais ma grand-tante était drôle . Elle nous raconta qu'un peloton de cavaliers Français avait été décimé le 2 Septembre au soir (celui de la fusillade à Frangealet que nous avions entendue), partant en reconnaissance sur la route de Paris, alors que les Allemands étaient postés à VINCELLES. Presque tous les dragons furent tués ou blessés - et ma Tante soignait un blessé dans sa cave. Elle ne voulait pas nous voir longtemps, et nous sommes rentrés à Château.

Nous avons appris ce jour-là que Monsieur MERSCHARD d'Essômes avait été requis avec cheval et voiture, par les Allemands, pour les conduire on ne savait où ... et personne ne l'a jamais revu depuis. Terreur d'enfant de 6 ans !! (Il est revenu après la guerre).

Le 9 -10 Septembre, tout recommença - le canon, la mitraille, mais venant du Sud - Les Allemands, massés sur la Place Thiers, ont déguerpi dans la nuit, et au jour c'était le grand calme jusqu'au moment où arrivèrent au galop les cavaliers Français depuis le viaduc ; traversant la Fausse-Marne, puis la Marne en trombe , ils tiraient au galop. Les Allemands montant l'Avenue de Soissons abandonnaient leurs équipements et se réfugiaient où ils pouvaient. Le galop n'a pas duré, il a été prolongé par une profonde marée bleu marine, au pas, maintenant, de leurs chevaux fourbus , eux-mêmes hâves, affamés, rompus, sales, tenant d'une main leur cheval et de l'autre leur lance.

Nous sommes montés au 1er étage, 1 rue Carnot et leur jetions chocolat, pain, confitures, conserves plein mes bras. Quand ils avaient manqué la réception , ils essayaient de rattraper avec leur lance, en piquant la boite au sol . Tout notre stock de pain de 3 jours, y passa. Notre joie - la mienne - était immense, indescriptible. Je pleurais sans larmes.

Des corbeilles de melons que nous donnait Monsieur TASSIN, maraîcher, ont été distribuées.

Quand la ville fut investie , des groupes de cavaliers ont été chargés de nettoyer la ville.

Ma soeur aînée est allée planter un drapeau dans la maison démolie du Café Français, angle de la Rue Carnot et Quai des Filoirs. Elle fut mise en joue au 1er étage par un canon de fusil, vit l'Allemand, et redescendit affolée en disant : "Il y en a un, là" . La maison fut fouillée, la soir venait (il n'y avait pas d'électricité), des sentinelles furent mises et la lendemain, l'Allemand fut découvert dans la cave, caché dans un tonneau qu'il avait défoncé ; il a été fort malmené par les dragons et emmené.

J'ai été témoin, et un peu l'auteur, d'un coup dur à l'école Maternelle de la Place Thiers. J'avais vu des Allemands quitter la maison COUESNON et se faufiler le long des écoles et entrer à l'école maternelle.

Quand le peloton de cuirassiers est arrivé (voir en annexe, le récit de Arnal BAZIL) , ils ont mis pied à terre , l'un d'eux a tenu les chevaux et tous les autres sont partis avec revolver et sabre . Je leur ai dit, car ils étaient contre notre maison : "il y en a dans l'école". Ils ont regardé ce gamin de 6 ans qui leur affirmait pareille chose et ils sont tout de même allés à l'école. Ils ont senti que l'on résistait derrière la porte . L'un d'eux a embroché l'Allemand au travers de la porte, avec son sabre.

J'en ai eu des cauchemars pendant des années, car j'étais le responsable horreur - horreur - du crime de guerre dont je m'accusai . J'avais beau dire que c'était la guerre et avoir revu depuis, quantité d'autres atrocités, il faut se remettre dans l'esprit de cette époque, début de la guerre 1914, mais ce n'était pas une raison, ni une excuse.

Le Collège Jean de La Fontaine a été immédiatement transformé en hôpital (ceci dura 4 ans) dont Mme COUSIN était la brave et dévouée servante et concierge, et dont Mme LINET, Melle de CORLIEU, Mme PANGAULT, Mme VAUDESCAL et Mme GAUDE-PLANSON, ma grand-mère, étaient les infirmières sous l'appellation "Les Dames de France". Elles ont ensuite créé un petit hôpital dans l'Institution de la Madeleine, qu'elles entretenaient de leurs deniers.

Il y a quelques années, une voiture s'arrête au Garage 44 Avenue de Paris et un Monsieur âgé de 65-70 ans expliquait à des jeunes en montrant du doigt les alentours. Je lui ai dit : "Vous connaissez ces lieux ?" Il me dît : "Oui, j'étais là un 1914". Ce fut tout.

Mais, lors d'une réunion de la Chambre Syndicale des Déménageurs de France où tout le monde porte au veston un badge indiquant son nom et sa ville, un monsieur vient à moi et me dit : "J'étais à Château-Thierry en 1914, Maréchal des Logis Chef ALAUX "19ème Dragons, de Castres. Nous venions des Vosges, nous avons rejoint Épernay par "voie ferrée et, sans étape sommes arrivés à CHATEAU-THIERRY, où j'ai embarqué des chevaux blessés ou inaptes. Mon Régiment faisait partie du 1er Corps de Cavalerie (Général CONNEAU), attaché à la 10ème Armée."

"Nous avons été désignés pour entrer dans la ville occupée par les Allemands. Un Escadron à droite , un Escadron à gauche, un Escadron au centre précédé du ler cycliste de Limoges - dans lequel se trouvait M. Jean PARICHON de Périgueux , avec les bicyclettes Girard pliantes . Les Allemande fuyaient vers le Nord ...."

"A la sortie de la ville, sur la route de Soissons, un peloton des Hussards de la Mort, en bataille, partait en longeant les bois, vers l'Est."

"Le Capitaine du 2ème Escadron, de chez nous (Capitaine VIDAL) qui était de Carcassonne (et décédé depuis 3 ans) commandait la poursuite de ce peloton Allemand. Mais l'officier qui commandait ce dernier, stoppait son aile droite, faisait demi-tour et se présentait en bataille - lances en avant - devant les nôtres."

"Le choc fut rude; l'officier Allemand est resté à terre, notre Capitaine blessé au ventre, et plusieurs cavaliers à terre, également blessés."

"Un sous-officier de notre Escadron, du nom de POTIN, poursuivit au sabre le cavalier Allemand qui avait blessé notre Capitaine, et la transperça sur la route. Notre Capitaine blessé, fut conduit à l'Hôpital de Château-Thierry, où se trouvait un Major Allemand."

"Après quelques jours passés dans un petit hameau à 4 ou 5 km. de votre ville (dont je ne me souviens pas la nom) nous avons continué la course à la mer, avec sur notre droite la cavalerie Allemande : SOISSONS, COMPIEGNE, MONTDIDIER, AMIENS, ARRAS, FREVENT, LA BASSEE, HAUBOURDIN, etc ... "

2ème PARTIE

LES EVENEMENTS VUS de COURTEAU du 2 au 9 SEPTEMBRE 1914

Le Dimanche 2 Août 1914, par un étouffant après-midi sous les épaisses frondaisons des Petits-Prés, se déroule la distribution des prix aux élèves des écoles publiques.

M. PERRENOT, Inspecteur Primaire, n'attend pas la fin de la cérémonie, et, dans une allocution d'adieux, nous dit qu'il doit prendre le train ce soir pour répondre à l'ordre de mobilisation générale.

Nous remontons à Courteau un peu tristement , car notre père s'en va , lui aussi.

Quelques jours plus tard, il ne reste plus que les hommes âgés, les femmes, les enfants. Pour ceux-ci, qui sont en vacances depuis le ler Août, il n'y a, à vrai dire, pas grand chose de changé : les vacances tant attendues sont arrivées, le mois d'août est superbe, et ils passent leurs journées dans les champs et dans les bois tout proches. Pourtant, on les voit se rassembler deux fois par jour - à l'heure de la soupe - près du gros tilleul qui, planté sur une petite terrasse hérissée d'orties, domine toutes les maisons du village. C'est qu'il y a là, installé dans la maison du père MOLIN, un poste de gardes des voies ferrées. Parmi les territoriaux, se trouve RUCKEBUSCH, charcutier à Essômes. C'est tout naturellement à lui qu'ont été confiées les délicates fonctions de cuistot. Les soldats partagent généreusement avec les gosses, l'abondante et succulente cuisine du joyeux Ruckebusch qui nous connaît d'ailleurs tous. Il faut ajouter M. Jean DAMERY cultivateur à Meurcy, près Fère-en-Tardenois et Louis LEREDDE vigneron à Crouttes.

Le Mercredi 2 Septembre, au matin, le "poste" déménage, les soldats ont reçu l'ordre de se rendre au Bureau de la Place, avec armes et bagages. Ils n'en savent pas plus.

A Courteau, qui est accroché comme un nid d'aigle au flanc de la colline, à l'écart de la route, on ignore ce qui se passe en ville. Le journal parle d'une bataille en cours près de Guise et surtout d'une grande victoire des Russes sur les Autrichiens, annonçant aussi que Saint-Pétersbourg s'appellera désormais Pétrograd.

Inquiète, notre mère décide d'aller cet après-midi à Brasles voir nos tantes et leur demander ce qu'elles comptent faire si la situation s'aggrave.

Comme à son habitude, elle ferme à clef les portes extérieures de l'habitation, nous laissant - nous sommes cinq enfants de quatre à treize ans - la disposition de la maison, de la grande cour et du jardin.

Elle avait convenu depuis plusieurs jours avec M. Rose GALLIEN, cultivateur à Courteau, qu'il nous emmènerait dans sa voiture si les circonstances l'obligeaient à partir lui-même. Simple précaution, les Prussiens étaient encore loin. (En fait, ils étaient à Vaux, mais nous n'en savions rien. C'était la 18ème division du IXème corps, Corps de droite de la 1ère Armée (von Kluck); elle débordait largement la gros de la lère armée, qui avait elle-même une journée de marche d'avance sur sa voisine (IIème Armée, von Bulow).)

Vers quatre heures, des coups de fusil se font entendre du côté de la route de Paris, en direction de Vaux. Puis, sur le versant en face, dans les champs et dans les jardins qui dominent Saint-Martin et jusque derrière l'école des garçons - aujourd'hui, la garderie - on distingue des soldats qui courent en tiraillant.

Le soleil donne à toutes choses un coloris merveilleux. Les pantalons rouges font des taches éclatantes. Les gamelles sur les sacs et les moindres objets de métal, boutons, poignées de baïonnettes, plaques de ceinturons, lancent des éclairs au plus léger mouvement. Un peu partout s'élèvent des flocons de fumée blanche.

Nous sommes effrayés. Nous cherchons à sortir et nous y parvenons avec l'aide de Jacques GALLET, notre voisin, guère plus âgé que nous - aujourd'hui artisan maçon à la Mare-Aubry - qui escalade une grande porte cochère et réussit à l'ouvrir de l'intérieur. Nous nous réfugions chez lui, où se trouvent sa mère et ses deux soeurs.

Sans trop nous aventurer, nous allons tendre la cou dans le petit chemin qui surplombe la route de Paris sur laquelle il débouche à côté du cabaret du Panier Fleuri.

Plus hardi, l'un de nous, Marcel MARTIN ( classe 1915. Incorporé au 106ème R..I.., plusieurs fois blessé, grièvement atteint en Octobre 1918, mort à l'hôpital de Boulogne-sur-Mer le 10 Novembre 1918, la veille de l'Armistice. Ses parents et ses six frères et soeurs ont appris la nouvelle à Craon (Mayenne) où nous étions réfugiés ensemble.), va jusqu'au bout du chemin et revient nous dire que les soldats, cachés derrière la baraque de la mère MALLET, la marchande de peaux de lapin , tirent en direction de Vaux.

Nous montons à deux ou trois au-dessus de Courteau, mais devant le mur du jardin de Madame TOISON (grand-mère d'André TOISON, Ebéniste, Avenue de Paris. La mère Adèle ou la mère Loupeigne du nom de son pays d'origine.), un uhlan est en embuscade, masqué par des petits pruniers, un genou en terre, carabine au poing. Notre frayeur la fait rire, mais nous détalons à toutes jambes sans demander notre reste. Blottis dans le couloir, chez Mme GALLET, nous entendons un bruit de bottes : c'est un lieutenant du 11ème Dragons (éléments de la 4ème Division de Cavalerie, cantonnée à Epieds, couvrant le pont de Mézy afin de permettre à la 53ème Division de réserve (Vème Armée, Lanrezac) de passer la Marne pendant la nuit.) qui descend à grands pas. Il porte son casque sous la bras et son visage est ensanglanté. Sans s'arrêter, il nous dit que son cheval a été tué sous lui. Nous saurons plus tard que trois Dragons venaient d'être tués par des uhlans: un cavalier, Picart Arthur (de Belfort) qui fut tué près de Vaux et enterré dans le cimetière de Monneaux; un brigadier et un trompette, près de la tour de Frangealet, qui furent enterrés sur place, le premier la tête tournée vers le midi, le second la tête tournée vers le nord. Les deux tombes furent constamment fleuries par les habitants de Courteau, jusqu'à leur enlèvement en 1919.

Pendant que se déroulaient ces événements, notre mère, revenant de Brasles en toute hâte, avait été arrêtée à la Bascule par des soldats qui lui interdirent d'aller plus loin: on se battait sur la route. Elle eût beau dire que ses "gamins étaient restés seuls et enfermés dans la maison, précisément tout près du lieu du combat, et qu'il fallait absolument qu'elle aille les retrouver, il n'y eût rien à faire. Mortellement inquiète, elle prit l'avenue d'Essômes et monta à Courteau par des ruelles et une sente au milieu des marais que nous appelions le "Chemin vert". Elle nous retrouva enfin et, sans perdre de temps, nous fit revêtir nos habits "du dimanche" et prépara hâtivement quelques valises et paquets.

Quant à M. GALLIEN, il nous a attendus longtemps et nous avons vu sa charrette stationnant sur la côté gauche de la route, devant la maison de l'éleveur de volailles et apiculteur DEHAKER. Ne voyant rien venir, la nuit étant sur le point de tomber et, par surcroît, l'endroit étant assez malsain, il se décida à partir sans nous.

Mais son père est resté. Nous allons le voir. Tout à coup retentit un coup de canon, suivi de plusieurs autres. Nous acceptons l'offre que nous fait le père Gallien de passer la nuit dans sa cave, avec la famille Gallet, que nous allons chercher. C'est une cave de vigneron, très profonde, composée de plusieurs pièces, très saine et très propre. Nous nous étendons sur de la paille fraîche. Nous ne dormons pas, nous écoutons. Les coups de fusil pétillent de tous côtés. Un clairon français sonne "Couchez-vous ! couchez-vous par terre !" Nous entendons les petits clairons trapus des Prussiens, sur la côte et, en bas, les claires sonneries des nôtres. Les départs d'une batterie allemande installée à la Plante-aux-Chênes font vaciller la flamme de la lanterne d'écurie et la sifflement des obus qui passent au-dessus de nous fait passer un frisson désagréable. Peu à peu, la fusillade se ralentit, les coups de canon s'espacent, tout se tait, nous nous endormons.

De bonne heure, le jeudi 3 Septembre, au matin, nous nous risquons dehors. Tout est désert, mais un roulement de voitures, un piétinement de chevaux montent de la route de Paris. Nous grelottons, un brouillard froid couvre la ville, troué par trois sinistres lueurs rouges aux Chesneaux, vers Chierry et tout près de nous, au bord de la Marne. Trois tisons dansant dans la fumée, voilà le souvenir que j'en ai conservé. Nous pensons que les Allemands ont mis le feu à la ville: c'était, à Chierry, le château de Varolles qui brûlait et, sur la Marne, près de la Vignotte, une péniche chargée de pétrole que les mariniers avaient incendiée afin qu'elle ne tombe pas entre les mains de l'ennemi.

Nous regagnons la maison. Dans la cuisine, il fait bon. Et le café aussi est bon. Le brouillard est dissipé, une vive lumière inonde la ville, nous collons nos visages aux carreaux pour regarder l'armée allemande qui descend sur la route de Paris.

Je me souviens de cavaliers à long manteau bleu aux parements cerise et jonquille, sur d'énormes chevaux, les hussards gris, les uhlans verts, les tuniques sombres des fantassins, la tête enfoncée dans le casque à pointe, les batteries d'artillerie suivant, sur les casques noirs, les boules de cuivre étincellent. Et surtout, mélangées aux basses et longues voitures régimentaires, des véhicules de toutes sortes ramassées dans la nord de la France: tilburys, tonneaux, charrettes, tapissières voitures de livraison et camions de déménagement venant de Cambrai, d'Arras, de SaintQuentin ... Cela défila toute la journée, donnant une impression de force irrésistible. C'était tout le IXème Corps de la lère Armée (Von Kluck).

Dans la matinée, des soldats montent à Courteau. La plupart des maisons sont vides. Chez le père Gallien, ils veulent de la paille et de l'avoine; revolver au poing ils accompagnent le vieux cultivateur dans une grange de l'autre côté de la rue. L'un d'eux pénètre dans le passage qui fait communiquer notre maison avec le haut du pays et fait irruption dans notre chambre au premier étage, qui ouvre de plain-pied dans le passage. Un moment d'émoi, mais il avise sur la cheminée une photographie qui nous représente, les cinq enfants avec nos parents. Par signes, il interroge notre mère et lui fait comprendre qu'il a aussi des petits enfants dont il indique l'âge en montrant leur grandeur respective avec sa main successivement élevée au-dessus du sol.

Un petit drame se joue à l'autre bout du pays. Pour emporter la paille et l'avoine qu'ils ont trouvé, les soldats ont besoin d'une voiture et d'un cheval, et ils ont découvert leur affaire chez le père GAILLARD. Mais celui-ci, pas commode, et qui a déjà vu les Prussiens en 1870, ne veut rien savoir. Menacé, bousculé, il ne cède qu'à la condition que son fils (Petit-Louis) conduira l'attelage, qu'il ramènera quand les Allemands n'en auront plus besoin. Ce qui fut accepté. C'est ainsi que Petit-Louis alla un peu partout, à la suite des armées allemandes, jusqu'en Russie et ne revint qu'en Novembre 1918, mais sans le cheval et la voiture. Ce long voyage lui vaut une pension de "victime civile de la guerre". (Nous nous trouvions dans les décombres de notre maison quand il est revenu à Courteau en train de déblayer avec l'aide de deux P.G., et les premières paroles qu'il a prononcées en revenant au pays natal, le furent en allemand pour dire bonjour à ces deux prisonniers.)

Nous nous hasardons à descendre à l'épicerie-buvette "Au Panier Fleuri". La propriétaire, Madame GALLET, est partie et nous a laissé les clefs. Nous prenons quelques paquets de pâtes et regardons la route : le flot coule toujours, cavaliers, fantassins, artilleurs, les caissons et les pièces, les charrois , un fleuve qui déferle et clapote, inlassablement.

Les incendies des Chesneaux et de Chierry sont éteints, mais la péniche de pétrole brûle toujours à la Vignotte, noircissant le ciel d'une fumée nauséabonde.

Revenus "Au Panier Fleuri" dans l'après-midi, nous trouvons du changement tout a été retourné dans la maison, chaque pièce a été visitée, chaque tiroir a été vidé et toutes sortes de meubles, d'objets, de vaisselle, de linge, etc ... ont été jetés sans cérémonie sur la route. Il en est de même pour les maisons voisines jusqu'au pont de Courteau. Par les fenêtres ouvertes, chez Marlier, chez Cremer, on distingue le fouillis des nippes arrachées, piétinées, qui dégorge des armoires et des commodes forcées. Les Allemands nous font comprendre que, seules, les maisons habitées seraient respectées.

Je remarque - et ceci me frappe - des pots de confitures éparpillés devant chaque maison, sans exception. Nous récupérons, devant le Panier Fleuri, ceux qui ne sont pas cassés, nous mettons un peu d'ordre dans la maison. Dans l'épicerie, nous prenons tout ce qui peut nous être utile : conserves, vin, chocolat, pâtes . Nous viendrons prendre ici nos repas, pour donner l'impression que la maison est habitée et éviter le pillage.

Et les jours s'écoulent, sans que l'on revoie, il me semble, de "Prussiens" à Courteau. Mais les bruits familiers qui venaient de la ville ont disparu. Les huit ou dix trains journaliers qui montaient et descendaient sur la ligne des Chesneaux au pied de Courteau, rythmant la vie quotidienne, nous manquent. La vois ferrée de Paris-Avricourt, au loin, ne s'empanache plus de la fumée des grands express qui roulaient jour et nuit ; les cheminées noires du Dépôt sont comme muettes; on n'entend plus le halètement des machines de la fabrique de chaussures PINET, à la Mare-Aubry l'horloge de la Tour Balhan, qui sonnait tous les quarts d'heure, S'est arrêtée, ainsi que celle de l'église Saint-Crépin. La ville qui, vue de Courteau, ressemble à un grand parc piqué de quelques maisons éparses, parait morte. En fait, elle est abandonnée, et les quelques habitants qui n'ont pas voulu ou qui n'ont pas pu s'en aller ne font guère de bruit.

Derrière le "Panier Fleuri" dont la façade blanche est éclatante dans le soleil, en bordure de la route, s'étend un jardin avec une large allée au milieu pour les joueurs de boules, entouré d'une haie toujours vibrante d'abeilles. Nous déjeunons là. Un jour, un détachement s'arrête. L'officier demande de l'eau. Il y a dans la cour un puits d'où l'on tire une eau glacée, délicieuse à boire. Mais il n'en veut pas, et il faut aller emplir un broc à la fontaine de Courteau. C'est assez loin, il s'impatiente. Ensuite, il exige que notre mère en boive un verre avant lui, et comme elle laisse un peu d'eau, il l'oblige à vider tout jusqu'à la dernière goutte. Après quoi, dans le même verre et sans descendre de cheval, il se décide à boire à son tour.

Au début, nous n'avons pas de pain. Notre mère, descendue en ville, n'a trouvé que des "petit beurre", que des soldats lui ont pris alors qu'elle remontait. Par contre, nous avons à profusion des légumes, que nous allons chercher dans le jardin de Madame COURGIBET au Bas-Courteau. Nous n'avons jamais mangé autant de melons que pendant ces huit jours d'occupation. Il faut croire que nous manquions aussi de café, car nous déjeunions le matin avec du Racahout des Arabes, une sorte de mixture douceâtre un peu épaisse, ayant vaguement le goût du chocolat. La boite qui la contenait, rangée depuis bien longtemps au fond d'un placard, n'aurait probablement jamais été ouverte sans cette circonstance.

On apprend que notre boulanger TERLET, rue Saint-Martin, est resté et qu'il fait un peu de pain. Mon frère aîné et Jacques Gallet sont envoyés en chercher. Ils remontent deux pains de quatre livres, mais ils croisent un détachement sur la route de Paris. Deux soldats sortent des rangs et se précipitent sur eux en essayant de leur arracher leur pain, qui est bouillant et se déchire, un bon morceau restant entre les mains des enfants. Un sous-officier fait revenir à leur place, à coups de bottes dans le bas des reins, les deux pillards , mais il ne rend pas le pain volé. Les gosses se sauvent avec ce qui leur reste, à travers champs vers les Pâtis pour éviter une nouvelle agression.

Un jour, à midi, un aéroplane français se trouve aux prises avec un allemand juste au-dessus de Courteau. Ce sont deux biplans, et je vois encore les deux engins de bois et de toile tourner gauchement, à deux ou trois cents mètres de hauteur, montant, descendant, exécutant des cercles dans le ciel, semblant se provoquer, mais sans tirer un seul coup de carabine. Au bout d'une heure d'évolutions, l'avion français prend le large et s'éloigne vers l'Est.

A la même heure, pendant le déjeuner, un autre jour, les accents d'une lente marche funèbre nous font accourir au bout du jardin. Un long cortège défile, sous un soleil de plomb, dans la chemin de la Mare-Aubry bordé de noyers. Cette musique triste scandée par les coups sourds frappés, à intervalles réguliers, sur la grosse caisse, nous laisse une pénible impression. - Nous saurons par la suite que c'étaient les obsèques d'un colonel Allemand

Il y a un pré dans le haut de l'Avenue de Paris, à gauche, tout de suite avant le pont (on a bâti dessus la Cité Bordier). Dès le premier jour de leur arrivée, les Allemands ont dressé de grandes tentes dans cette prairie et nous ne savons pas trop ce qui se passe à l'intérieur. Un va-et-vient continuel anime ce camp, qui constitue pour nous une attraction de choix. Du bout du jardin, nos regards plongent directement sur lui. Le soir, et tard dans la nuit, il en sort des cris, des chants et je crois bien que les soldats dansaient entre eux. Ils ont amené un piano "emprunté" dans quelque maison bourgeoise et tapent dessus comme des sourds.

Il fait toujours beau. Les jours sont encore longs (on ne connaîtra l'heure d'été qu'en 1917), il n'y a pas de couvre-feu à Courteau, où les soldats ne viennent jamais.

Le mardi 8 Septembre dans l'après-midi, un aéroplane venant du sud, pique sur le plateau de Blanchard, où des appareils vont atterrir de temps en temps. Celui-là ne se pose pas, il descend assez bas, lâche quelques fusées blanches et disparaît au nord.

Le lendemain matin, de bonne heure, un autre avion vient tournoyer au-dessus du "camp" près de chez nous, et je crois qu'il va s'y écraser tellement il descend bas. Mais il reprend de la hauteur et s'en va à tire-d'aile. Son passage a fait l'effet d'un litre de pétrole dans une fourmilière. En grande hâte, les soldats s'interpellent, s'agitent. En un clin d'oeil, tout est ramassé, les chevaux attelés, les voitures chargées. Une heure après il ne reste sur l'herbe que les bouteilles vides et les traces habituelles d'un campement.

A la Mare-Aubry, branle-bas général. Des cavaliers passent ventre à terre. Des ordres brefs sont donnés. Des soldats courent dans toutes les directions. On les rassemble en hâte. Nous sommes surpris de ne voir aucune colonne sur la route de Paris, alors que le bruit sourd de convois en marche nous parvient de la ville.

À 13 heures, un soldat de la 36ème Brigade d'Infanterie allemande avait été tué par un cavalier anglais à Essômes

Vers quatre heures de l'après-midi, nous entendons une vive fusillade au loin. De notre terrasse, à Courteau, nous avons une vue splendide sur la ville et la vallée.

Nous distinguons des flocons blancs sur les hauteurs de Nesles, accompagnés d'un pétillement semblable à une flambée de brindilles sèches.

Des soldats courent sur la route de la Mare-Aubry, venant d'Essômes. Nous ne reconnaissons pas les uniformes allemands.

Et puis, des cris de joie dans Courteau. Tout la monde se précipite. Les quelques habitants restés, des femmes, entourent un soldat français essoufflé, couvert de sueur, un chasseur à pied, l'embrassent, lui demandent des nouvelles. Il faisait partie du 10ème Groupe cycliste du 1er Bataillon de Chasseurs à pied (10ème Division de Cavalerie Grellet, du Corps CONNEAU), mais à ce moment là, il était à pied ...

Lui, ne sait pas grand chose, il vient d'Essômes et va à Vincelles porter un pli, naturellement urgent. On finit par le laisser partir en l'escortant triomphalement jusqu'au bout du village.

Nous descendons sur la route. On devine de l'agitation en ville. Ici, tout est calme, les Allemands ont dû s'enfuir par la route de Soissons. Soudain, une voiture automobile descend à vive allure, venant de Vaux. On se gare, une auto, à cette époque, c'est un événement. Voiture découverte ... et quatre Allemands dedans. Nous sommes consternés : ils reviennent ? Un peu avant d'arriver à la Bascule, l'auto s'arrête net, fait demi-tour et remonte, passant devant nous à toute vitesse, mais nous nous sommes prudemment abrités dans l'herbe. Derrière, galopent furieusement quelques dragons , carabine à la main. Près de la fontaine de Frangealet, des soldats venant d'Essômes crèveront à coups de fusil les pneus de la voiture, contraignant les occupants à se rendre.

Dès le lendemain du départ des Allemands, les gosses ne quittent pas la route de Paris, au-dessus du pont de Courteau, pour voir passer les soldats. Vers 11 heures du matin, nous entendons un coup de fusil de l'autre côté de la "ligne", tout près. Moment d'émoi. Des soldats se précipitent. Nous hésitons, puis y allons. Un jeune soldat vient de se blesser au pied. Il est assis le long du talus, près de la roulotte du père Antonin, auvergnat raccommodeur de parapluies. On la déchausse, il a le visage tout blanc, il est sur le point de s'évanouir. On l'emmène, mais les soldats paraissent sceptiques sur les circonstances de ce bizarre "accident". Chacun est convaincu que le malheureux, fatigué, a eu un moment de défaillance et s'est fait lui-même la légère blessure qui l'éloignera de la bataille.

Des soldats anglais montent chez nous et nous donnent du "singe" en boites carrées et du pain de munition, en boules (?) carrées, elles aussi. Malgré les nombreuses taches vertes de moisissure, nous nous régalons avec ce pain, qui est de couleur safran et dont j'ai encore le goût particulier dans la bouche.

Ensuite, la vie normale revient peu à peu, la vie d'une ville placée désormais à 40 kilomètres du front, vie qui sera la nôtre jusqu'au 30 Mai 1918.

Pendant le temps de ce récit, la première, la grande, l'immense Bataille de la Marne s'opérait.

Ce n'est qu'ensuite, après avoir vu et subi ces faits extraordinaires qui m'ont tant marqué, que nous avons appris qu'elle s'était produite grâce à l'héroïsme de tous les soldats participants et au génie du Général JOFFRE, aidé par le Général GALLIENI Commandant militaire de Paris, qui avait déplacé de nuit, 8000 hommes en taxis, de Paris à la région de Dammartin-en-Goële.

Nous, sur place, avons repris confiance et habitudes. Moi, J'ai eu peur des Allemande (des Boches) toute la durée de la guerre 1914-1918, car nous sommes restés à Château-Thierry jusqu'au 28 Mai 1918.

Monsieur MORISSET de La Rochelle (oncle de M. BLANCHARD) faisait partie du peloton de Dragons qui a été mitraillé à Franjallé en Septembre 1914 - mais n'a pas été touché.

Le Maréchal des Logis du 20ème Cuirassiers de Montpellier, M. Arnal BAZIL m'a dit :

"Je connais bien votre pays, J'y suis passé en Septembre 1914 - vous n'y étiez certainement pas ..." (Mais si, J'y étais !)

"C'est mon peloton qui a embroché l'Allemand au travers de la porte de l'école de la Place Thiers."

Monsieur Arnal BAZIL m'a dit encore que "ce jour-là il aurait dû être tué par l'un des Allemands qui étaient cachés dans l'école et qui a voulu le percer de son sabre. Mais celui-ci n'est pas rentré parce qu'il a ricoché sur des pièces d'or, cousues par sa mère dans son gilet de flanelle lui faisant ainsi la meilleure des cuirasses.

Monsieur Arnal BAZIL m'a dit que beaucoup de soldats étaient partis en 1914 avec de l'or cousu dans leur ceinture de flanelle (réglementaire) ou dans un gilet spécialement confectionné pour cela. Lui-même en a conservé jusqu'en 1918 et son reste lui fut volé dans un hôpital français. Il avait été grièvement blessé à la tête et laissé pour mort pendant 3 jours dans une école, puis, comme il était toujours vivant, le chirurgien major français a dit un matin : "Et celui-là, qu'est-ce qu'on en fait ? Il faut l'opérer dit son assistant."

Monsieur Arnal BAZIL n'a repris connaissance que sur un lit d'hôpital, complètement délesté de tout ce qu'il possédait.

(Récit authentique)

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