LE CAPORAL CHAULIN DU 104éme R.I.

Merci au Colonel Keraudren, Secrétaire Général Adjoint du Souvenir Français et à son épouse qui ont autorisé, notre association, à reproduire ce document familial

 

Le 104e R.I., avec le 103e, fait partie de la 14e Brigade, de la 7e D.I qui comprend également la 13e Brigade (101e et 102e R.I.). Cette division, commandée à la mobilisation en 4e région par le Général de Trentinian, comprend un escadron du 14e Hussards, 3 groupes de 75 du 26e R.A.C., fera partie à partir du 3 août du 4e C.A.. Le 4ème C.A. appartient à la IIIe Armée, puis le 4e C.A. passe au G.M.P. le 2 septembre, enfin le 7 septembre il passe à la VIe Armée.

 

Le Caporal CHAULIN, qui a juste 25 ans, est instituteur en Normandie, dans le civil, ce qui explique ses observations et remarques.

 

Eugène Henri Jean CHAULIN né le 27 août 1889 à PARIS 10ème Arrondissement, a

fait son service militaire à la TOUR MAUBOURG à PARIS comme Caporal Secrétaire.

Fils de feu Jean, Eugène CHAULIN et de feue Joséphine, Victoire BISSON

Epoux de Mlle Gabrielle, Henriette, EugènieBARRAUD née le 15 janvier 1889 à SAINTES Département : Charente Inférieure

Enfant : Jeannine, Gabrielle, Henriette CHAULIN née le 19 août 1913 à SAINT FRAIMBAULT-sur-PISSE - Département : Orne

 

 

Matricule 04796

C A P O R A L C H A U L I N

104ème R E G I M E N T d'I N F A N T E R I E

3ème BATAILLON

12ème COMPAGNIE

12ème ESCOUADE

 

JOURNAL DU CAPORAL CHAULIN

 

Samedi 1er AOUT 1914 ordre de mobilisation générale

 

2 AOUT

 

3 AOUT

 

Départ pour la mobilisation - 2ème jour. Déclaration de guerre de l'Allemagne à la France

 

4 AOUT

 

Visite et habillement

 

5 AOUT

 

Exercices divers de service en campagne

 

6 AOUT

 

Même chose

 

 

7 AOUT

 

Marche de la Compagnie pour réunion du bataillon à CHATILLON, pluie battante.

 

8 AOUT

 

Départ samedi, 2 heures embarquement à VAUGIRARD

Passage et arrêt à MEAUX 9 h 1/2

Passage et arrêt REIMS 15 h

Arrivée VERDUN dimanche matin 1 heure.

Stationnement à BELLEVILLE à 2 km de VERDUN. On couche dans une grange

 

9 AOUT

 

Repos à BELLEVILLE; Le matin avec un camarade on déjeune d'une boite de langouste et d'une bouteille de vin gris à 0 F 80.

 

10 AOUT

 

Départ à 2 h du matin. Direction de la frontière - marche pénible et longue dans les côtes de la MEUSE du côté de ORNES par BRAS. Bivouac vers 9 h du matin dans un verger garni de prunes dont on mange les prunes. Le 104 est mis en réserve près de GREMILLY. On achète des œufs et un peu de vin.

9 h du soir. Changement de position. On distribue un supplément de cartouches Bivouac dans un champ d'avoine où l'on arrive fort en sueur. - Garde de tranchée. Je couche dans le champ d'avoine, le matin je suis réveillé par le froid, la rosée nous mouillant tous nos vêtements.

 

Mardi 11 AOUT

 

Garde dans les tranchées occupées la veille. Il fait très chaud, le soleil est brûlant. On établit des abris avec des feuillages pour avoir de l'ombre. On couche dans les tranchées. On se repose assez bien, on n'a pas trop froid.

 

Mercredi 12 AOUT

 

On quitte les tranchées dès le matin pour aller occuper une ferme. Après nous avons exploré le terrain. Là, un camarade achète du beurre. Dispositions pour surveillance. Pendant 6 heures, de 2 h à 8 h, je suis en patrouille fixe au milieu d'un immense champ d'avoine à surveiller la lisière d'un bois. Le soleil est brûlant, la place peu agréable.

 

Jeudi 13 AOUT

 

Alerte dans la nuit (Une section tire des coups de fusils dans un bois sur un ennemi imaginaire). Départ vers 2 h 1/2 pour aller occuper une autre ferme où l'on bivouaque (on couche dehors sur la terre) et où l'on cantonne après avoir établi les postes de surveillance. Journée de complet repos. Le soir pendant 2 h, de 8 à 10, poste pour garder la compagnie.

 

Vendredi 14 AOUT

 

La compagnie reste à occuper la ferme. Ma section est de piquet. Vers 11 h groupement du bataillon à 200 m dans un champ. Repas. Départ, on repasse par la ferme occupée le 12 Août. (changement de direction causé par la présence de l'ennemi dans une ferme qu'on avait occupée). Reconnaissance d'un bois. Vers 10 h du soir groupement en bivouac de tout le Régiment au HAUT.

Le 104 doit être en réserve, et une grande bataille doit se dessiner, ayant pour but d'anéantir le corps d'armée allemand coupé par le Général d'AMADE.

 

Samedi 15 AOUT

 

Réveil causé par le froid - Suivi de concentration présentant un fond marécageux. Non loin de l'endroit, se trouve la tombe d'un soldat du 130è blessé dernièrement et mort à la suite de ses blessures.

Le 104è reste en réserve. Je vois DUVAL et PETRON. On entend le canon au loin. Fusillade sur un aéroplane allemand. GAUTHIER vient me voir et m'apporte des lettres.

Après la soupe du matin on transporte le bivouac dans un petit bois contigu après avoir aménagé de petites cabanes garnies de roseaux. Il y a eu distribution d'eau de vie à cause du mauvais temps. Vers 6 h du soir, une pluie intense commence, qui dure une grande partie de la nuit. Mais nous n'avons guère été mouillés. Les capotes étaient à peine traversées.

 

Dimanche 16 AOUT

 

Le matin nous conservons nos cantonnements, les hommes se réunissent autour des feux pour sécher leurs effets. Eau mauvaise à boire, elle est puisée dans un étang. A midi 1/2, départ pour aller occuper une ferme à 2 km environ afin de se trouver logé à l'abri dans les granges et les hangars. Temps nuageux et pluvieux.

Nuit tranquille. Nous sommes très tassés. Les jambes des uns dans les jambes des autres. On repose cependant.

 

Samedi 17 AOUT

 

 

A 5 h 30 départ pour la direction de ROMAGNES sur COTES - lieu où nous arrivons vers 9 h. Tout le long du parcours on remarque les abattis de bois, les tranchées, les barrages. On passe dans un lieu où il y a eu sans doute bataille à cause des traces de vêtements et d'obus. Dans la matinée, on entend le canon à différentes reprises - Toute la brigade est réunie, je trouve des camarades du 103 (LEBOUC) des infirmiers (TOURMART) un médecin major (DELIVET).

A noter la bataille du 10 Août à MANGIENNES où le 130è Régiment d'Infanterie (2 bataillons, MAYENNE et DOMFRONT) ont subi une perte importante. D'une compagnie, il ne reste qu'un officier et un soldat. Malgré tout, les Allemands reculent parce qu'ils sont repoussés par le 26 d'Artillerie qui arrive au secours du 130 dont le départ est dû à une manœuvre risquée.

A noter la cherté et la rareté des vivres. On ne trouve rien, ni sucre, ni chocolat, ni vin. Le vin se vend 2 F 25 le litre et on ne peut même pas en avoir. Cela vient de ce que beaucoup de troupes ont passé avant nous.

 

Mardi 18 AOUT

 

A 5 H 30, départ pour la direction de RUPT après avoir dépassé DAMVILLERS et DAMBRAS - (Beaucoup de noms de cette région portent le nom de RUPT. Beaucoup d'autres noms se terminent en COURT et en EL). Marche longue plus de 25 km (environ) route sinueuse, beaucoup de côtes longues et abruptes, chemin très boueux et de mauvaise odeur. On arrive tard à RUPT (environ 1 heure ). On s'installe dans une remise. : (RUPT sur OTHAIN, BETRUPT) ce nom de RUPT doit signifier rivière ou vallée. Beaucoup de noms se terminent en DUN (VERDUN, AUDUN). La marche a été longue et pénible, chaleur intense. Beaucoup d'hommes sont exténués et tombent sur la route. J'ai fait installer des feuillées. J'ai vu un chargeur allemand avec ses balles, ainsi qu'un ceinturon et un biscuit extérieurement petit, à peine gros comme un morceau de sucre. (Ces trophées viennent du combat de MANGIENNES). Nuit tranquille, on repose dans une grange.

Un ami m'a acheté 6 morceaux de sucre pour 2 sous. Nous sommes dans de petits pays de peu d'importance et mal ravitaillés. Heureusement que l'ordinaire nous suffit.

 

Mercredi 19 AOUT

 

8 h 1/2. 4 camarades, nous allons chez une brave femme boiteuse qui nous sert à chacun un demi bol de café avec un verre d'eau de vie, le tout pour 30 centimes. Elle nous vend 1 sou les 5 morceaux de sucre. Je conserve ma part d'eau de vie dans une bouteille à alcool de menthe que me cède un camarade.

Notes générales. Dans chaque endroit, beaucoup de camarades achètent poules, canards, lapins, à des prix différents. Je n'achète rien pour la bonne raison que c'est difficile et long de préparer toutes ces victuailles et que d'autre part, nous ne manquons pas de viande.

Vers 11 h, rassemblement de la compagnie. Nous partons nous installer aux avant-postes placés à environ 4 km au N de RUPT sur OTHAIN. Notre escouade est installée en petit poste au milieu d'un champ d'avoine, sous l'ardeur des rayons d'un brûlant soleil d'Août. Nous voyons un aéroplane allemand. Le soir, on nous apporte à manger, mais on ne nous apporte ni pain ni viande.

Nous passons la nuit abrités par quelques gerbes d'orge. Nous dormons peu car il faut veiller étant assez proche de l'ennemi. La nuit est très fraîche et nous n'avons pas trop chaud, surtout aux pieds. Malgré tout, la nuit se passe tranquillement.

 

REMARQUES GENERALES

 

ASPECTS du PAYS

(Département du NE)

 

- PHYSIQUE. Grandes étendues de terrains en plaine ou en coteau. Des côtes. Des mamelons. Des bois. Rappelle plutôt la BEAUCE que la NORMANDIE, du moins dans notre région. De petites forêts. Routes boueuses ravinées - Terrain calcaire (coquelicot - bleuet). Pas de haies.

- Dans l'OISE grandes plaines cultivées surtout en blé et en betteraves. Rappelle beaucoup la BEAUCE mais avec un aspect moins rigide. Les bourgs sont plus coquets et plus riches.

- POLITIQUE. Peu de gros villages. Fermes isolées et de grande étendue. Dans les villages ce ne sont pas des maisons de commune mais de grosses fermes réunies.

- ÉCONOMIQUE. Pays agricole. Grandes cultures de blé, avoine, orge. Prairies artificielles, luzerne, trèfle. Culture en grand. Dans chaque ferme toutes les machines agricoles modernes (moissonneuses, râteaux, faucheuses, etc. .. On emploie le bœuf dans les travaux champêtres. Les vaches sont noires et blanches. Culture des pruniers dont les prunes servent à faire une eau de vie utilisée dans le pays.

- HABITATION. Constructions en pierres assez solides. A remarquer la toiture très plate. Couverture en tuiles (les tuiles sont ovales et s'emboîtent les unes dans les autres). Les charrettes et les chariots sont à 4 roues, ils diffèrent beaucoup des voitures employées en NORMANDIE. Les maisons sont vieilles, elles datent de 1820 environ (la date y figure).

- MOEURS. Les femmes portent de gros souliers pour aller travailler dans les champs. L'hygiène est peu observée dans les bourgs, tous les tas de fumier se trouvent installés devant les portes.

- LANGAGE.

Les habitants ont un accent spécial, ils parlent en donnant l'impression qu'ils serrent les dents. Ils ne brillent pas par leur propreté. Ils sont en général d'un accueil peu sympathique.

- BELGIQUE

Suite naturelle du pays environnant. Villages plus concentrés, plus propres. Les gens parlent un français analogue à celui des départements frontières. A noter les poteaux indicateurs sur les routes ayant plusieurs bras et les plaques bien plus claires et plus lisibles que les nôtres (genre métro).

 

Aspect du Pays révélant l'état de guerre

 

D'abord dans les champs des tranchées recouvertes suivant les lieux (de blé, d'avoine, d'herbe).Puis les rouleaux de fil de fer déroulés le long des haies pour présenter un obstacle à la cavalerie ou des réseaux de fil de fer attachés de piquet en piquet dans le même but.

Les barrages des routes, des chemins, des abords des villages avec voitures, machines agricoles, arbres, terre, pierres etc. - afin de retarder l'arrivée des ennemis et permettre aux troupes d'organiser le combat.

Les abattis de bois et de taillis à hauteur de genoux pour servir de piège à la cavalerie ennemie et servir de couvert à l'infanterie. Les routes sont abîmées par le passage réitéré des troupes de toutes armes. Dans beaucoup d'endroits, les gens quittent leurs fermes, emmenant leur bétail et leur mobilier de peur de l'invasion ennemie. On coupe les fils de fer. On traverse les champs en pleine culture, on y creuse des tranchées.

Beaucoup de soldats de régiments divers se conduisent en pirates et pillent les fermes où ils cantonnent (prennent les légumes du jardin, les fruits des arbres, le bois, les poules etc. ... )

Les villages où ont lieu des combats sont complètement saccagés. ils sont incendiés. Tous les boulets et beaucoup de balles arrivent sur les maisons. Le soir, on aperçoit, au loin des lueurs, ce sont des villages incendiés.

Les rails des lignes de chemin de fer sont enlevés. Les pays se vident et c'est un spectacle malheureux que de voir tous ces habitants s'enfuir avec leur matériel, leur bétail et leurs biens. Les vieux, les jeunes, tous se sauvent de village en village avec une mine effarée.

Tout le long de la route, on trouve des cadavres de chevaux épuisés de fatigue et abandonnés. Prés de SAINT MENEHOULD, dans les champs, on voit des quantités de tripailles de bœufs et de vaches qui ont dû être tués pour le ravitaillement de la troupe. Le long de la ligne de chemin de fer, nous croisons des trains de la CROIX ROUGE qui vont chercher des blessés. Les voitures sont aménagées avec des lits pour le transport des blessés.

 

Départements parcourus ou traversés

 

MEUSE, MEURTHE et MOSELLE, Belgique, ARDENNES, MARNE, OISE, AISNE

 

Jeudi 20 AOUT

 

Dès 4 h 1/2, nous sommes debout. Quelques temps après, nous voyons arriver du pain et un casse-croûte. Le soleil nous réchauffe et nous sommes bien.

- Nous épluchons des petits pois trouvés au milieu du champ d'avoine. Nous supportons jusqu'à midi 1/2, les ardeurs du soleil.

- A cette heure, nous sommes remplacés par une autre compagnie et nous rentrons à RUPT

Il faut aller tout préparer pour passer une revue. Vivres de réserves, chaussures, cartouches, (188). Toute notre soirée est ainsi occupée en vue de cette revue d'un commandant.

Je reçois 2 lettres en arrivant de notre garde.

Après la revue, repas et coucher dans une grange où je repose bien.

 

Vendredi 21 AOUT

 

Le réveil est donné à 4 h, mais seulement vers 6 h nous quittons RUPT sur OTHAIN pour direction de la Belgique pour GRAND FAILLY. Petit FAILLY - VILLETTE, CHARENCY, c'est à quelques km de cette dernière localité que nous entrons en BELGIQUE où la démarcation de frontière est donnée par la lisière d'un bois et un chemin. Il est environ 1 heure de l'après-midi. Près de la frontière, se trouve une maison où l'on vend du tabac, des allumettes à des prix très faibles. Près de CHARENCY, au bord d'un champ d'avoine on a vu un uhlan tué quelques instants auparavant. Dans une rencontre entre une patrouille de hussards et de uhlans - 2 hussards, 2 frères dont l'un officier, ont été tués.

A partir de 1 h nous reconnaissons un bois, dans lequel nous restons jusque vers 5 heures. Notre compagnie est en réserve pendant que le 1er Bataillon du 104 et du 103 se mettent aux prises avec l'ennemi. On entend le canon et la fusillade une bonne partie de la journée et tard encore vers le soir. Un orage vers 4 h 1/2 avec pluie intense arrête un instant le combat. Nous profitons de l'accalmie pour sortir du bois et venir se former sur la route. Nous attendons alors pour se rendre à notre commandement. Le canon tonne toujours dans le lointain. Une partie du 14ème HUSSARDS défile devant nous et l'on remarque un casque de uhlan, des lances, et un cheval du 19e uhlans - 2 hussards ont été blessés et un cheval tué.

Nous sommes bien reçus. Un peu après CHARENCY on nous donne un litre de grenadine.

Une fois reformés sur la route, 2 dames nous distribuent du café et du lait.

Nous arrivons vers 8 h du soir au cantonnement à RUETTE. Les gens sont très affables, ils nous donnent à profusion du café, mais ils n'ont pas beaucoup de provisions car les Allemands leur ont empêché le ravitaillement.

Nous sommes très tassés, nous sommes obligés de dormir accroupis. A cause de la fatigue, on dort cependant surtout que nos nuits sont brèves.

 

Samedi 22 AOUT

 

Réveil et départ dès 4 h. Toute la division au complet avec toutes les armes. C'est le 4è corps d'Armée qui marche en BELGIQUE vers l'ennemi.

Itinéraire :RUETTE - 2 petits pays et arrivée au village de GILZAR où doit se livrer la bataille.

Au premier village précédent, on distribue des cartouches et les outils sont accrochés au ceinturon.

A peine arrivé au village d'ETHE (BELGIQUE) qu'un échange de quelques coups de fusils a lieu. On arrive alors à la gare et l'on continue vers la ligne de chemin de fer. On trouve alors 2 uhlans et un cheval de tués, on rencontre un soldat du 103è blessé. Les balles sifflent, notre section gravit le talus et va prendre position près des rails.

Les Allemands sont installés sur l'autre côté. Notre Commandant tombe aux premières balles. La fusillade dure un long moment des 2 côtés. L'artillerie rentre en ligne et le canon tonne des 2 côtés. A ce moment l'ordre est donné de se replier sur le village pour laisser le champ libre à l'Artillerie. on dégringole le talus sous les balles, on saute par dessus les fils de fer. On traverse routes, fossés, gare et l'on suit quelque temps une ligne de chemin de fer, on côtoie une rivière, on traverse des champs et enfin on se retrouve dans le village. Une partie de la compagnie va occuper une crête, les autres se réfugient vers une aciérie. Après quelque temps, on quitte cette position et le capitaine nous installe à l'abri d'une barge de fagots. Nous restons là. Les canons bombardent toujours et la fusillade a lieu par moment. Enfin à 8 h l'ordre de retraite est donné. Tous les hommes sont dispersés, il y en a de tous les régiments et de toutes les compagnies. Sur une largeur de plus de 100 m on ne rencontre que chevaux tués, voitures cassées, blessés qui geignent et appellent au secours. Tout le monde fuit sans ordre et avec hâte malgré l'état de fatigue physique et morale. Nous arrivons au cantonnement de la ville de RUETTE à 10 h 1/2, nous reposons un peu, mais de peur de surprises de l'ennemi, nous quittons ce lieu dès minuit et nous reprenons le chemin de la frontière.

Nous franchissons cette dernière et après une marche de plusieurs kilomètres nous arrivons au petit jour à CHARENCY. Nous couchons comme nous pouvons dans les maisons.

Avec PETRON et quelques autres, nous couchons dans une pièce sur un parquet. Nous sommes tellement harassés que nous dormons tout de même. C'est une grande journée de bataille qui m'a vivement impressionné.

Deux villages sont incendiés.

 

Dimanche 23 AOUT

 

Vers 8 h du matin nous nous groupons. Les régiments se reforment. On fait l'appel. On reconnaît alors la quantité d'absents morts ou blessés, laissés sur le champ de bataille. Il parait que les Allemands circulent le soir et achèvent les blessés. Dans le régiment de plus de 3.000 on en compte environ 900. Dans notre Compagnie, manquent le Lieutenant, le Sergent Major, 4 Sergents, bon nombre de caporaux et de soldats.

Nous commençons à bivouaquer au bas du pays. L'ordre est alors donné de se replier plus en arrière car les Allemands sont signalés comme s'avançant toujours. Nous allons établir notre bivouac à VILLERS le ROND quelques heures après, nous repartons à nouveau pour aller passer notre nuit dans un champ d'avoine, près d'un petit bois de sapins à quelque distance du hameau du PETIT FAILLY.

Nous dormons avec plaisir et bien que peu confortablement installés, nous reposons tout de même bien.

Toute la journée, nous entendons le canon au loin.

 

11ème ESCOUADE

Présents

Manquants

CHAULIN

VORMON

BRUCHE

SOUCHOT

ONFRAY

DESHAYE

GESLIN

SIELSBERG

MARTEL

NOIREAUCOURT

BELLEC

SAULIEURE

GUILLAUME

 

CALLOC

 

 

12ème ESCOUADE

CHAULIN Caporal

PERBET

GAUDIN

HELIE

MARTIN (évacué)

ONFROY

RAY

GANNIER

BEHUET

 

SABLE

 

CHENU

 

TOURNERI

 

POTTER Henri

 

MORMAND

 

 

Lundi 24 AOUT

 

Dès 4 heures, le réveil est sonné. Quelque temps après, nous partons. Nous passons à MARVELLES, nous prenons la direction NE de ce pays.

Toutes les crêtes sont occupées par l'Artillerie. Notre régiment va occuper une crête à gauche pour soutenir les dernières lignes d'Artillerie.

Notre section est détachée vers 10 h pour aller occuper et défendre le passage d'une rivière près du petit village de FLASSIGNY. Nous sommes là en attente, cachés dans un buisson.

On entend seulement notre artillerie qui tire de temps en temps. Vers le soir, nous quittons le buisson pour aller prendre position de nuit à la lisière d'un bois tout proche.

Nous installons de la paille sous un arbre après avoir abattu les branches pour passer la nuit. A 8 h, je fais une patrouille.

De toute la journée, nous ne touchons ni pain, ni viande. Nous mangeons nos vieilles croûtes et les morceaux de viande qui nous restent de la veille. La nuit se passe cependant tranquillement.

A signaler, dans l'après-midi, le passage de deux aéroplanes allemands sur lesquels l'Infanterie et l'Artillerie tirent vainement.

 

Mardi 25 AOUT

 

De bonne heure, nous sommes debout. La canonnade et la fusillade reprennent très intenses. Bien que ne recevant pas d'ordre, nous insistons auprès de l'adjudant pour quitter ce lieu - périlleux où nous sommes pris entre les obus français et allemands pour rejoindre notre compagnie dans les tranchées. Nous arrivons dans ces dernières accompagnés de maints obus qui, heureusement ne nous causent aucun dommage. Après un moment passé dans les tranchées, nous nous replions dans un bois que nous traversons pour gagner la route de JAMETZ et nous traversons le village de REMOIVILLE. A peu de distance de ce village, nous nous installons en ligne de tirailleurs par section à l'abri d'une crête.

On repart environ 1 h après pour aller cantonner au village de BREHEVILLE mais on ne fait que bivouaquer et à 9 h du soir on se remet en route.

On dîne avec les pains de gruau et les boîtes de conserves, bien que nous ayons des légumes et de la viande que nous ne pouvons faire cuire, les feux pouvant éveiller l'attention de l'ennemi.

Nous marchons toute la nuit par BRANDEVILLE - DUN sur MEUSE et nous arrivons au jour à BRIEULLES sur MEUSE après avoir marché longtemps sous bois. Nous sommes bien fatigués et avons grand besoin de dormir, aux haltes, nous nous couchons sur la route.

 

Mercredi 26 AOUT

 

Nous nous installons à BRIEULLES sur MEUSE. J'avale 2 œufs, j'achète une bouteille de vin blanc et avec un camarade, nous nous faisons faire un bol de café. Nous passons notre matinée et une partie de l'après-midi en repos.

Vers 3 heures, nous repartons par NANTILLOIS et venons nous coucher à GESNES où nous passons une bonne nuit.

 

Jeudi 27 AOUT

 

Réveil dès 4 h en vue d'un départ à 5 h qui n'a pas lieu. Nous restons toute la journée dans notre cantonnement. Nous en profitons pour faire quelques repas un peu reconstituant et à se reposer un peu. L'eau qui tombait vers le matin, cesse aussitôt vers 10 h et la journée se termine par du beau temps. Je vais voir SEREE et DENIS au 26è Artillerie. Nous faisons un bon repas. Nous apprenons le succès de nos armes et le rôle de notre 3è Armée. Quelques soldats rejoignent le régiment après avoir pu échapper au combat du 22.

 

Vendredi 28 AOUT

 

A minuit, l'ordre de départ d'urgence est donné. Nous quittons GESNES et marchons par REMAGNE sur MEUSE, puis nous laissons la MEUSE pour entrer dans les ARDENNES par ANDEVANNE et passons par TAILLIS. Là nous stationnons à environ 1 km au N. Nous sommes en réserve pour défendre la MEUSE que veulent traverser les Allemands.

2 Corps d'Armée, 6 régiments d'artillerie attaquent les Allemands. Nous préparons le café pendant que défilent le 26è et le 44è Artillerie. Je vois passer SEREE. Il est environ 7h 3/4 quand on passe à TAILLIS où je demande une carte des ARDENNES. Nous restons là, toute la matinée. Nous préparons notre repas. Nous quittons notre emplacement vers 2 heures, pendant qu'on prépare le logement.

Nous allons nous installer 1 km plus loin et nous attendons le départ pour aller occuper nos cantonnements. Nous allons nous installer vers 6 heures du soir au pays de BEAUCLAIR. Notre compagnie en entier et le groupe des brancardiers, logeons dans la même grange. Nous ne touchons aucun vivre. Nous soupons donc avec du riz, des boîtes de conserves et des pommes de terre cuites à l'eau.

 

Samedi 29 AOUT

 

Réveil à 3 heures - A 3 heures 1/2 départ. Nous allons occuper un emplacement à 500 m en avant de BEAUCLAIR. Nous y restons à peine une heure puis nous nous replions par BEAUCLAIR, TAILLIS et suivons la route faite la veille. A TAILLIS, nous voyons des blessés allemands faits prisonniers, 35 dans une ambulance et 1 dans une petite voiture. Nous prenons position à 3 heures de TAILLIS. Nous y restons en tirailleurs. Environ 1 heure. Nous recevons les distributions mais pas de viande. Nous quittons alors nos positions pour en occuper d'autres où nous faisons des tranchées. Nous restons une bonne partie de l'après-midi sous les chauds rayons du soleil. Nous mangeons du pain et du singe et nous manquons d'eau. Vers 4 heures nous quittons ces positions pour en occuper d'autres un peu plus éloignées. Puis vers 5 heures 1/2 nous allumons les feux. A peine ceux-ci sont-ils prêts qu'il faut tout détruire. L'heure du départ étant donnée. Nous faisons environ 6 km pour aller en cantonnement à REMONVILLE où nous arrivons vers 8 heures. Nous préparons un peu de cuisine et du café, puis vers minuit, nous reposons toute la compagnie dans une grange. Nous marchons toujours à travers les champs d'avoine, de trèfle, de guéret et les chemins de terre ainsi que les bois. Rarement nous suivons les routes.

 

Dimanche 30 AOUT

 

Vers 3 heures, nous sommes réveillés par les distributions. Nous préparons un peu de viande et de café. Puis vers 4 heures 1/2 nous quittons REMONVILLE pour aller occuper des positions au Sud du pays à quelques cents mètres. Nous opérons alors une série de mouvements tournants d'aller et retour. Enfin vers 9 heures 1/2 l'ordre de marche en avant est donné. Il parait que toutes les troupes en 1ère ligne doivent prendre l'offensive. Nous repassons donc par REMONVILLE, BARRICOURT. Là nous devons encadrer l'Artillerie. Notre section s'installe à la lisière d'un bois. Au loin on aperçoit une patrouille de uhlans qui prend contact avec une patrouille française. Vers 1 heure nous allons dans un petit plan près du village où nous préparons notre repas. Les obus allemands éclatent près de nous, nous craignons de ne pouvoir faire toute notre cuisine. Nous préparons des beefsteacks et du café. Nous restons à cette place jusque vers 4 heures. Puis nous partons dans la direction de TAILLIS. Nous avons vu un prisonnier poméranien amené par des cyclistes. En venant vers TAILLIS, nous voyons sur un brancard, un Allemand blessé. Nous arrivons au cantonnement à TAILLIS vers 9 heures. Il faut amener les distributions et l'on ne dort pas avant 1 heure du matin - après avoir mangé un beefsteack et bu 1/4 de café. Je couche dans un petit réduit sur la terre protégé par quelques sacs.

 

LUNDI 31 AOUT

 

Nous prenons la direction de BEAUCLAIR. Le 101ème et le 102ème sont partis en avant. Ils vont attaquer les Allemands qui ayant passé la MEUSE sont installés dans le pays. Nous partons vers 5 heures. Il y a encore beaucoup de brouillard lorsque la bataille s'engage. Le 104ème est en réserve comme soutien d'artillerie. Peu de temps après la bataille engagée, nous voyons le 101ème et le 102ème qui se replient. Toute la division suit le mouvement et nous nous replions jusqu'à TAILLIS. Là vers 1 heure nous préparons un peu de riz ou de café. Les obus des Allemands éclatent près du village.

Je profite de cet instant pour me changer de linge, ce que je n'ai pas fait depuis le commencement de la campagne. Une demi-heure après, nous quittons le TAILLIS et notre bataillon s'en va explorer et occuper un bois pour permettre le rassemblement du Régiment. Nous rejoignons ce dernier, puis après plusieurs marches et contre marches, nous arrivons vers 11 heures à la lisière d'un petit taillis, où nous nous couchons la valeur de 2 à 3 heures un peu enfermés dans les haies pour être à l'abri du froid.

 

MARDI 1er SEPTEMBRE

 

Dès 2 heures ou 2 heures 1/2 du matin, nous repartons et nous remettons en marche pour compléter notre mouvement de se replier. Nous repassons par REMONVILLE et prenons la direction de LANDRES. Nous stationnons à 800 m au Nord de ce pays. Toute la division réunie se repose. Nous préparons un plat de pommes de terre et une tasse de café. Nous quittons cet emplacement pour en occuper un peu plus loin 200 m environ. Là, nous faisons toutes les distributions de pain, de viande, de vivres de réserves et d'eau de vie. Les réservistes du dépôt d'ARGENTAN viennent compléter notre effectif. On reforme les sections de la compagnie. Je passe à la 3ème section, 12 escouade. Vers 5 heure notre 1/2 section va occuper pendant 1 heure le poste de soutien d'Artillerie. Les obus allemands éclatent peu loin de nous. Le soir, vers 7 heures, nous quittons notre poste pour aller s'installer à 200 m au Sud de LANDRES. Là, on refait des distributions, à cause des réservistes. Puis tout le monde bivouaque et se repose en plein champ sur un peu de paille. Il ne fait pas chaud du tout et l'on sommeille plutôt que l'on ne dort.

 

Mercredi 2 SEPTEMBRE 1914

 

Dès 4 h du matin, nous nous remettons en marche. Nous nous replions et laissons passer en avant de nous le 5è Corps. Il parait que l'on se replie pour se reformer.

Nous suivons l'itinéraire suivant : LANDRES-SOMMERANCE-FLEVILLE-CORNAY.

Là, nous faisons une pause d'une demi heure. Ensuite nous reprenons notre route dans la direction de LANÇON. Nous stationnons dans un bois où nous restons un moment pour préparer notre repas. J'en profite pour me laver, car voilà 8 jours que je ne l'ai pas fait.

Nous nous remettons en route à travers bois, nous en sortons et nous suivons l'itinéraire de BINARVILLE et nous stationnons à VIENNE le CHATEAU.

Nous rencontrons beaucoup de troupes d'autres corps d'Armée, des cuirassiers, spécialement des cyclistes.

Je vois GAUTIER à une halte avant le campement, il me donne quelques nouvelles et une carte de correspondance.

Le soir, nous touchons les distributions ordinaires et du vin ainsi que le prêt. Je bois un peu de vin et mange des confitures ce qui me semble bien bon.

Nous couchons dans un grenier.

 

Jeudi 3 SEPTEMBRE

 

Réveil dès 4 h puis départ vers 5 h par l'itinéraire de VIENNE la VILLENOIREMONT et SAINTE MENEHOULD. Dans cette ville nous arrivons vers 9 h 1/2 et stationnons dans une espèce de terrain vague où nous préparons un petit repas et du café.

Vers 11 h nous nous mettons en marche pour aller nous embarquer pour une destination inconnue. A peu de distance de la gare nous nous arrêtons, nous formons les faisceaux et nous attendons. Nous en profitons pour prendre quelques rafraîchissements car il fait bien chaud.

Je mange une salade de tomates, ce que je trouve excellent. Je profite de l'instant d'arrêt à SAINTE MENEHOULD pour acheter du papier à lettres et des enveloppes.

Nous embarquons vers 5 h. Au moment de notre départ, un aéroplane circule au dessus de la gare. Nous partons vers 5 h 1/4.

Une heure environ après notre départ, nous croisons un train du 304 où j'ai le plaisir de trouver M. BEHUET, nous avons tout juste le temps d'échanger un bonjour. Nous circulons toute la nuit dans une direction qui doit être celle de PARIS.

Nous dormons comme nous pouvons et le jour se lève alors que nous sommes en arrêt.

 

Vendredi 4 septembre

 

Toute la matinée, nous restons à la même place et ignorons le lieu où nous sommes. Nous allons à un pays voisin de l'arrêt pour faire quelques provisions de pain et de fromage, des gâteaux et de. vin. Un camarade m'offre une tranche de melon. Notre train ne se remet en route que vers 6 heures du soir. Il ne fait pas grand chemin pendant la nuit. Nous sommes plutôt mal installés et ne dormons pas très bien. Nous avons quelques nouvelles car nous lisons les journaux.

 

Samedi 5 septembre

 

Dès le matin, le train se remet un peu en marche. Nous sommes toujours dans une région inconnue. Nous remarquons que nous allons vers l'OUEST, sans doute vers PARIS, mais nous ignorons le nom du pays où nous sommes arrêtés. Le train fait peu de chemin, il a de nombreux et longs arrêts. Nous arrivons à TROYES vers 9 heures. A partir de ce moment, les arrêts sont moins longs. Nous croisons beaucoup de trains qui conduisent des émigrés et des troupes vers l'EST. Nous continuons notre voyage toute la nuit. Nous sommes couchés toujours dans les mêmes conditions. Nous reposons très mal. Nous continuons d'être renseignés par les journaux.

 

Dimanche 6 septembre

 

Au réveil, nous sommes dans une petite gare à quelque distance de MONTEREAU. Notre train marche toujours à son allure régulière. Nous passons plusieurs stations, entre autres FONTAINEBLEAU. Là une infirmière distribue des gâteaux, des cartes postales ; des hommes viennent apporter du tabac aux soldats. Il est alors 2 heures. Nous passons ensuite à MELUN. Là, nous croisons un détachement anglais qui cantonne dans la gare. Il y a un grand échange de marques de sympathie entre les soldats des 2 pays. L'uniforme des Anglais se rapproche beaucoup de celui des Allemands. La couleur est seulement un peu plus claire.

Aux différents arrêts, nous trouvons des femmes, des enfants, des soldats qui nous distribuent de l'eau des pommes. Nous croisons beaucoup de trains remplis de voyageurs et de voyageuses, on sent notre approche de PARIS, car les uns et les unes font un heureux contraste avec les habitants de la MEUSE. Beaucoup de dames charitables apportent des victuailles et des boissons aux blessés. Nous passons à NOISY le SEC et nous débarquons en gare de PANTIN vers 10 heures du soir, nous nous mettons en route pour BOBIGNY pour la direction de GAGNY où nous arrivons au petit jour. Nous couchons dans une usine à plâtre où nous reposons un peu car nous sommes bien fatigués. Nous sommes bien contents d'être près de PARIS.

 

Lundi 7 septembre

 

Dès le réveil tardif je vais faire un bon casse-croûte pour me remettre. Nous changeons de cantonnement. Je vois beaucoup de femmes qui viennent voir leur maris ; j'envie bien fort le sort de ces derniers. Enfin, j'ai l'espoir que ce sera bientôt mon tour. Le matin, nous déjeunons au restaurant pour nous changer de l'ordinaire. Je profite de notre matinée de repos pour laver grosso modo mon linge que je fais sécher. Je perds ainsi un mouchoir. Le Caporal GUESLIN me prête 10 F car je n'ai plus d'argent. L'accueil des gens est très bon à notre égard. Nous sommes bien fêtés. Dans les restaurants on nous fait cuire les aliments qu'on achète et tout le monde s'empresse à nous servir. On sent un air de sincère affection. Le soir vers 6 heures, l'ordre de départ est donné. Nous montons tous dans des taxis et nous mettons en route vers 6 heures 1/2. Tout le monde est dans les rues, les appels les plus sympathiques nous sont lancés. on sent tous ces cœurs vibrer à l'unisson devant l'approche de l'ennemi. Nous quittons GAGNY, nous traversons IVRY, là, c'est le même accueil, les femmes nous apportent des roses, pour ma part j'en reçois une blanche et une rouge. Notre course en taxis se continue marquée par l'incident qui résulte de ce que la colonne se trouve coupée et qu'un taxi va se jeter dans un fossé. Il faut alors ensuite retrouver sa route. Enfin à 1 heure du matin, nous débarquons et allons bivouaquer dans un champ contigu du village de SILLY-le-LONG (Oise). Ce transport des troupes en taxi était très pittoresque. Grande différence entre ces Français et ceux de la MEUSE.

 

Mardi 8 septembre

 

Notre réveil a lieu au jour et nous nous réchauffons en préparant un bon quart de café. Il paraît que le pays qui a été occupé par les 10000 Allemands pendant trois jours, est dans un état lamentable. Le champ où nous sommes a été occupé par les Allemands, nous y reconnaissons tout le ravage qu'ils ont fait. Ils ont tué une multitude de poules, de lapins, un porc dont on retrouve toute la peau. On trouve des bouteilles vides en quantité. En me promenant, j'ai trouvé des cartes à jouer allemandes, des cartes postales, une lampe électrique qui ne fonctionnait plus. Vers 10 heures, nous quittons notre bivouac, nous traversons la bourgade où nous constatons tout le pillage, carreaux cassés, portes défoncées, maisons mises sens dessus dessous. Nous prenons alors une direction à travers champs pour nous rapprocher de l'ennemi dans la direction de NANTEUIL. Nous renforçons des bataillons de chasseur alpins et servons de soutien d'artillerie. Toute la soirée, les obus éclatent. Les Allemands tirent des bombes sur 2 aéroplanes français. Le soir, nous couchons dans un champ de trèfle ; près de la crête, 2 sentinelles veillent. Nous nous couvrons avec du foin puis dans des tas qui sont dans les champs. Dans ce même champ, à quelques mètres de nous, se trouvent quelques morts français de précédents combats (un caporal et un adjudant). La nuit est fraîche, le temps à l'air de vouloir devenir pluvieux. Tous, toute la journée, nous n'avons touché qu'un peu de pain.

 

Mercredi 9 SEPTEMBRE

 

Notre réveil a lieu vers 5 h. On entend quelques coups de fusil.

On nous apporte de la viande cuite.

On aperçoit plus tard, un gamin qui ramène un officier prussien.

Vers 7 h, nous quittons notre position et nous replions en suivant le chemin de la veille. Nous passons par SENNIEVIERE (CHEVREVILLE). Nous stationnons longuement dans une vaste prairie où se trouve aussi le 108ème.

Dans les plaines nous voyons beaucoup de lièvres qui se sauvent au bruit de la canonnade. A notre compagnie, des camarades en attrapent deux.

Nous quittons notre emplacement vers 3 heures pour continuer un mouvement de repli. En attendant, notre cantonnement, nous voyons passer sur la route une quantité de blessés d'un bataillon du 102ème qui s'est trouvé aux prises avec l'ennemi.

Nous venons cantonner au pays de OGNES.

Nous couchons dehors dans le village sur la paille.

Nous n'avons pas eu dans la journée, le temps de faire de la cuisine. Il a fallu se contenter de pain sec et d'eau.

PS. Je n'ai pas de carte car les villages que nous traversons ont été occupés par les Allemands et il ne reste plus rien. J'entre dans plusieurs maisons pour trouver une carte, mais je n'en trouve pas.

 

Jeudi 10 SEPTEMBRE

 

Réveil dès 4 h du matin. On prépare le café. Je visite quelques maisons pillées par les ennemis dans ce village de OGNES. Les maisons sont sens dessus dessous, tout est bouleversé : les armoires sont vidées, les tiroirs fouillés, les meubles, les objets d'art brisés, les lits, les matelas enlevés, les papiers personnels jetés pêle-mêle. C'est un spectacle vraiment attristant.

Nous avons dans la matinée, un moment d'accalmie, nous n'entendons ni le canon, ni la fusillade, on ne sait pourquoi.

Nous en profitons pour faire une bonne soupe de légumes, de mouton, des légumes et du café.

Vers 3 h, nous nous remettons en route dans la direction de NANTEUIL.

A OGNES, 2 uhlans sont amenés prisonniers.

Entre SILLY et NANTEUIL, nous rencontrons un blessé allemand.

A NANTEUIL, nous voyons le désastre causé par la guerre.

Entre NANTEUIL et VERSIGNY, on rencontre une voiture de blessés Allemands, il y en a environ une douzaine. Avant de tourner vers ROSIERES, nous voyons un Français mort sur le bord de la route.

De NANTEUIL, nous prenons la direction de VERSIGNY, avant cette localité, nous tournons vers le N dans la direction de ROSIERES. Nous allons cantonner dans une ferme près de ce pays. Notre section couche dans une bergerie. Il est environ 10 ou 11 heures.

Tout le long de la route, on voit qu'il y a eu des batailles. Au village de GROSELLES, il y a eu un Lieutenant Français blessé et 3 Allemands que le régiment emmène avec lui.

Dans la nuit, vers 2 h, nous sommes réveillés pour toucher la viande. Nous la faisons cuire et vers 3 h 1/2 nous mangeons une bonne gamelle de soupe et buvons du café.

 

Vendredi 11 septembre

 

Dès les 7 heures environ, nous nous remettons en route. En chemin, l'on nous transmet l'ordre général n° 5 du Général MAUNOURY Commandant de la 6ème Armée qui félicite les troupes de leur endurance et les remercie pour la grande victoire remportée sur toute la ligne après 6 jours de fatigues, de privations et d'ardeur au combat. Le temps est fort couvert, la veille vers 4 h 1/2, nous avons eu une forte ondée. Nous marchons toute la journée, sans aucun répit pour faire la chasse à l'ennemi. Par DUVRY, CREPY en VALOIS, FRESNOY, ROY ST NICOLAS (Aisne). C'est une journée très pénible. Nous restons sur pied depuis 7 h du matin jusque vers minuit où nous arrivons pour nous reposer au cantonnement dans un grenier. Nous ne faisons aucune halte, repas, et ne touchons aucun vivre dans la journée. D'autre part, la pluie nous prend vers 3 h 1/2 et dure assez longtemps avec intensité. Nous sommes traversés. Heureusement que nous avons un peu de viande du matin et qu'en passant à CREPY, on peut acheter un peu de pain et de vin (c'est ce que je fais pour ma part) Nous sommes exténués en arrivant à SAINT NICOLAS (Aisne) où nous tombons de fatigue. beaucoup restent en chemin et ne rejoignent que le lendemain matin. J'ai trouvé une carte en passant à DUVRY. Nous poursuivons l'ennemi à quelques heures de marche.

 

Samedi 12 septembre

 

Dès le réveil vers 5 h 1/2 le temps est pluvieux. En attendant le départ, nous préparons le café, puis nous préparons un peu de riz. J'achète dans une ferme un pot de confitures et un litre de cidre, puis du beurre. Le canon se fait entendre vers les 9 h, le temps est gris. Vers 7 h, nous nous mettons en route, nous rentrons dans l'OISE par CHELLES. A 500 m du village nous prenons position comme soutien d'artillerie. La canonnade dure toute la journée. Les obus éclatent tout près de nous. Pendant la distribution nous sommes obligés de nous déplacer pour éviter les obus. Nous sommes par colonne de compagnie à 50 m.

Vers 5 h 1/2 un obus éclate entre la 12è et la 10è Cie. Plusieurs soldats sont blessés, d'autres tués. A la 12è un soldat de la 2è Section reçoit un éclat en pleine poitrine et est tué, un autre, un éclat en haut de la cuisse. MARTIN, de mon escouade, un éclat au mollet, 2 autres légèrement atteints à la tête. Nous nous mettons à l'abri d'un bois pendant un instant et nous nous remettons en route pour rentrer dans nos cantonnements de la veille à SAINT NICOLAS sous une pluie battante. La journée a été très pluvieuse. Nous sommes trempés. Les routes sont boueuses. Le soir la pluie est si intense, qu'on se couche et n'allumons pas de feu pour la cuisine. Chacun utilise ses réserves. Nous touchons nos vestes, ce dont nous sommes heureux car nos capotes sont traversées. Enfin, on passe une bonne nuit de repos malgré la pluie et le vent qui font rage. Le matin au cantonnement, je vois et manie un fusil allemand.

 

Dimanche 13 septembre

 

Dès 6 h environ nous sommes réveillés et rassemblés pour le départ. J'ai juste le temps de prendre 1/4 de café et mettre un bout de viande sur la braise.

Nous nous mettons en marche et refaisons l'itinéraire de la veille. Nous poursuivons en suite par GUISE la MOTTE et BERNEUIL sur AISNE. Là nous passons l'AISNE sur un pont de bateau construit par le Génie. Le pont ordinaire ayant été détruit la veille par les Allemands. Nous continuons par BERNEUIL sur AISNE et passons ce pays le soir, nous allons cantonner dans un village près de TRACY-le-MONT. Près d'arriver, nous rencontrons un détachement de 200 Allemands. Nous rencontrons une multitude de soldats blessés français et allemands.

Le soir, au moment de se reposer, nous avons eu une forte alerte causée par la fusillade d'une patrouille ennemie. Une débandade s'ensuivit à travers champs, les balles nous sifflaient fort aux oreilles, plusieurs ont été blessés. Arrivés sur la route, un commandant nous a rassurés, nous a fait reformer. Nous sommes alors revenus à notre cantonnement où nous nous sommes reposés plutôt mal. D'autre part, la pluie a pris dans la nuit et des rafales avec le vent pénétraient sous le hangar, ce qui fait que nous n'avions pas chaud.

- Tous les habitants sont heureux de nous voir. Ils détestent les Allemands qui leur prennent tout ce qu'ils ont.

 

Lundi 14 septembre

 

Dès 6 h du matin, nous nous mettons en route sous une pluie battante. Tout le long, nous rencontrons des blessés et des morts français et allemands.

Nous poursuivons par TRACY le MONT, TRACY le VAL, BAILLY, RIBECOURT. Dans tous ces pays, nous sommes bien reçus, on nous donne du vin, du cidre, du pain, des confitures, du café. Spécialement une bonne sœur à TRACY-le-MONT - A TRACY-le-VAL, nous avons du café, des pommes cuites, du pain, de l'eau de vie etc. ...

Vers 10 h, près de BAILLY, nous faisons une grande halte, nous touchons les distributions et faisons cuire de la viande et buvons du café. Nous traversons l'OISE à BAILLY sur un pont suspendu qui n'a pas été détruit par les Allemands parce qu'il n'en ont pas eu le temps.

Nous n'allons pas jusqu'à RIBECOURT, nous redoublons à BAILLY où vers 3 h 1/2 nous venons nous installer en tirailleurs. Nous voyons 2 hussards allemands qu'une patrouille vient de faire prisonnier.

Nous allons alors prendre position en tirailleurs pour garder un petit pont. Nous y restons jusqu'à la nuit, les cuisines nous y apportent la soupe et du riz.

Plus tard, je vais avec mon escouade installer un petit poste pour garder un moulin.

Nous y restons environ 3 h, puis l'on vient nous rechercher, nous regagnons le bourg de BAILLY et nous allons cantonner dans une maison inhabitée. Nous sommes assez bien installés et nous dormons bien. Dans BAILLY se trouvent quelques évacués de VERDUN.

 

Mardi 15 septembre

 

Réveil dès les 4 h 1/2 et départ dès les 5 h environ. Nous repassons le pont suspendu de BAILLY et venons prendre les positions que nous avons occupées la veille sur la route de RIBECOURT. Nous faisons du café. Nous passons une partie de la matinée à cet endroit où nous touchons les distributions. Puis, vers 1 heure, nous nous remettons en route pour BAILLY.

Nous dépassons cette localité, nous reprenons la direction de TRACY-le-VAL, mais avant d'arriver là, nous prenons à droite dans la direction de MAMPCEL. Vers 3 h, nous nous arrêtons. Nous entendons le canon tonner avec intensité. Il paraît que nous avons ordre de cerner une armée allemande.

Je goûte du pain allemand qu'un camarade a trouvé la veille. Ce pain est plus noir que le nôtre, il doit être fait de seigle et a un goût sûr. Nous restons jusqu'au soir en réserve au bord de la route, la pluie se met à tomber, et l'on se met à l'abri au bord du bois.

Le soir, nous nous mettons en marche en avant. Puis après 1 km, l'ordre est donné de se replier et d'aller cantonner à TRACY-le-VAL.

Il est environ 9 h, quand nous pouvons nous installer.

Pour ma part, je le suis très mal, il me faudrait dormir assis sur un sac de grains. Aussi je quitte ma section pour aller avec un camarade d'une autre section qui m'offre une place.

Je suis alors assez bien et je me repose, couché dans un grenier par terre. La nuit, il tombe de l'eau.

 

Mercredi 16 septembre

 

Réveil dès 4 h et départ doit avoir lieu à 4 h 1/2. Mais il est retardé d'un bon moment et l'on part faire le café. Le temps est pluvieux. Nous reprenons la route suivie la veille et nous stationnons un moment dans un champ pendant qu'on entend les canons et les mitrailleuses.

Les Allemands tirent à la même place pour permettre à leurs troupes de s'embarquer. Au bout d'une heure, nous quittons cet emplacement pour en occuper un plus avant dans un bois.

Vers 11 h, nous quittons le bois et nous dirigeons par la route de CARLEPONT. Nous prenons position dans un champ à la lisière d'un bois occupé par l'ennemi. Nous installons des tranchées et nous mettons à l'abri derrière. Toute la journée, le canon tonne des 2 côtés ainsi que la fusillade.

C'est surtout dans le bois que la lutte est vive. Plusieurs régiments d'Infanterie sont engagés, entre autre le 104ème qui ce jour devait être en réserve de division. Notre compagnie étant en réserve du régiment, nous n'avons pas donné, mais étions en position avec ordre de résister à outrance pour permettre à 2 brigades d'Infanterie de prendre l'ennemi du côté de BAILLY.

Nous restons dans nos tranchées assez tard dans la soirée puis nous nous replions pour venir cantonner à TRACY-le-VAL dans nos emplacements de la veille.

Les voitures de distributions étant parties, notre compagnie ne touche aucun vivre. Le soir nous faisons un peu de riz et du café. Il est environ 11 h quand nous nous couchons.

 

Jeudi 17 septembre

 

Le réveil a lieu vers 4 h 1/2. Nous préparons le café, puis nous restons à attendre à notre cantonnement.

1/2 heure plus tard, nous quittons TRACY pour aller occuper un village dans la direction de MANPCEL. Nous nous installons là, comme soutien d'Artillerie. Comme nous n'avons touché aucun vivre, nous faisons cuire des pommes de terre à l'eau. La pluie se met à tomber vers les 11 h 1/2 et dure toute la journée.

Nous sommes traversés et rien à manger. Un camarade et moi, vers les 6 h refaisons cuire une gamelle de pommes de terre. A la nuit, nous reprenons la direction de notre cantonnement de TRACY-le-VAL. Les routes déformées par les voitures et les canons, sont couvertes de boue, on en a jusqu'au dessus de la cheville. Il est difficile à la nuit, de marcher dans ces chemins étroits et boueux. Enfin, vers 9 h nous arrivons. Nous faisons les distributions, mais interdiction de faire du feu. On se couche vers 10 heures.

 

Vendredi 18 septembre

 

Réveil des 3 h 1/2 pour préparer la cuisine. Nous faisons un peu de soupe avec la moitié de la viande, et le reste en beefsteack. Nous mangeons la soupe à la hâte. Vers 4 h 1/2 nous partons après avoir distribué la viande. Nous retournons à notre place de la veille. "Mais à peine un quart d'heure après nous nous remettons en marche à travers bois". En chemin, nous croisons la brigade marocaine (chameaux, zouaves, sénégalais) - là nous faisons une petite halte, nous entendons le canon et la fusillade.

Nous quittons ce lieu pour revenir par TRACY-le-VAL puis TRACY-la-MURE. Nous nous arrêtons à peu de distance du pays, dans le champ de courses. Là, nous préparons des pommes de terre et du café, nous touchons les distributions, y compris du vin. Des lettres nous sont distribuées, et nous en adressons d'autres. Vers 6 h 1/2 nous partons, nous repassons par BREUIL-sur-AISNE, CUISE-LA-MOTTE et allons à COMPIEGNE en traversant la forêt sous une pluie battante. Nous arrivons à 2 h de COMPIEGNE où nous attendons le cantonnement sous la pluie.

En route, à la dernière pause le Capitaine commandant le Bataillon me frappe parce que je réclame la pause étant malade et fatigué.

Enfin, vers 3 h, nous logeons tout le Bataillon dans le manège de la Caserne de Cavalerie. Nous dormons dans la soirée avec peu de paille. Nous sommes traversés entièrement.

 

Samedi 19 septembre

 

Dès 4 h 1/2, nous sommes réveillés. Il faut repartir. Nous traversons l'OISE sur un pont de bateaux puis nous traversons la ville et nous dirigeons par BOUEGY. Là, nous restons une demi heure et profitons pour acheter eau de vie, vin. Une brave femme nous donne des pommes, des noix.

Nous continuons encore 4 heures et allons nous installer à garder une ferme de la commune de ANTHEUIL. Il est environ 10 H. Nous nous installons dehors. Nous allons faire des tranchées dans un champ de betteraves. Puis nous préparons du café, faisons cuire des pommes de terre. Moi, je fais une compote de poires et le soir une compote de pommes.

Je ne suis pas dans un meilleur état de santé, surtout du côté du ventre et de l'estomac - Vers 6 h, nous touchons les distributions réglementaires. La journée se passe sans pluie, mais avec du vent. On se chauffe, et on se sèche autour des feux

Le soir, nous allons nous coucher dans un grenier dépendant de la ferme, où nous passons une assez bonne nuit. Malgré tout, on a un peu froid.

Dimanche 20 septembre

 

Réveil dès 4 h 1/2. La pluie s'est remise à tomber dès le matin. Nous préparons le café. Nous touchons de l'eau de vie. Puis nous restons dans nos cantonnements.

Je me lave, je ne l'avais pas fait depuis le séjour de GAGNY. Nous mangeons du rata.

A 10 h, nous partons et stationnons dans un champ pour protéger le passage d'un division.

A 1 h 1/2 nous nous mettons en marche et venons cantonner à GOURNAY où nous nous installons vers 3 h 1/2.

Nous trouvons à acheter peu de choses, car tout a été pris par les Allemands, et les troupes qui ont passé. J'achète du miel, du vin, de l'anisette, des grillades de lard, du cresson. Nous touchons notre prêt.

Le soir, nous nous couchons d'assez bonne heure et reposons bien dans une sorte de remise garnie de gerbes.

 

Lundi 21 septembre

 

Réveil dès 4 h. Mais on se lève guère que vers 5 h, heure du rassemblement.

La compagnie réunie, nous attendons le départ qui doit avoir lieu après 6 h.

Je bois un doigt d'eau de vie. J'ai acheté des pruneaux et une sorte de cache-nez. Je me fais cuire à la boucherie, une grillade de mouton que je mange avec plaisir. Je trouve GAUTHIER qui me prend une lettre, nous trinquons ensemble avec de la crème de noyau et de la prunelle. Avant, je bois du cassis et de la cerise.

Nous quittons GOURNAY à 9 H moins 1/4.

Nous prenons la direction de RENNES puis LA NEUVILLE. Là nous stationnons jusqu'à la nuit, nous faisons la distribution. Puis nous allons cantonner à ROYE.

Nous couchons dans un grenier sans beaucoup de paille, je me fais un lit avec de vieux chiffons. Toute la nuit, on entend le canon et la fusillade.

 

Mardi 22 septembre

 

Réveil dès 4 h. Puis rassemblement. Nous prenons le café. Nous profitons que le départ n'a pas lieu immédiatement pour faire cuire des beefsteacks. Le départ a enfin lieu à 7 h. Nous allons sans doute nous engager dans une bataille.

Nous passons par CANNY-sur-MATZ. A quelques centaines de mètres de ce pays, près du pays de FRESNIERES, nous nous installons dans un champ de betteraves. Nous restons couchés là, étant soutien d'Artillerie.

 

Avec cette dernière ligne du 22 septembre 1914, s'achève la rédaction du petit carnet de bord du Caporal CHAULIN, relatant, jour après jour, d'une écriture fine, sans une faute d'orthographe, au crayon, avec des mots presque effacés (après de si longues années) et difficiles à déchiffrer, le déroulement des faits importants.

Au cours de cette bataille annoncée le 22, il a été blessé à CONCHY les POTS, à proximité de CANNY sur MATZ, d'un éclat d'obus au haut de la cuisse, c'est à dire, dans l'aine. Une Déclaration au Journal Officiel du 18 mai 1922 stipule que l'attribution de la Médaille Militaire a été décernée au Caporal CHAULIN.

Il a été transporté dans des wagons à bestiaux, à la suite de cette blessure à l'hôpital maritime de BREST. Dans le compte rendu si méticuleux de sa correspondance, on note le 24 septembre une lettre écrite d'AUBERVILLIERS, le 25, une écrite de RENNES, et la dernière sans précision de lieu, rédigée le samedi 26 ....

Son épouse, avertie, s'est rendue de SAINT FRAIMBAULT sur PISSE, dans l'Orne, où ils étaient tous les deux instituteurs, à BREST où à son arrivée, on lui a appris que son mari était décédé le 29.

La gangrène avait envahie sa plaie au cours de ce si long transport, et causé sa mort. Le 19 septembre ; il signalait dans son carnet, son mauvais état de santé ... sa résistance devait être bien amoindrie.

On a remis à son épouse, un petit porte-monnaie contenant un petit éléphant porte bonheur en ivoire et un petit couteau; ainsi que toute la correspondance qu'elle lui avait adressée au cours de ces deux mois. Avant de quitter pour toujours son mari, son épouse lui a coupé une épaisse mèche de cheveux, contenue dans une enveloppe.

Celle-ci a jugé bon de faire enterrer son époux dans le petit cimetière de SAINT MARTIN des LANDES dans l'Orne dont étaient originaires les parents du Caporal, eux mêmes enterrés à cet endroit et disparus à cette époque.

Son nom figure sur la petite colonne érigée dans le cimetière et où sont inscrits le nom des soldats morts pour la FRANCE.

 

POEME de CHARLES PEGUY tué le 5 septembre 1914

 

"Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle

"Mais pourvu que ce fut dans une juste guerre

"Heureux ceux qui sont morts pour quatre coins de terre.

"Heureux ceux qui sont morts d'une mort solennelle. ( ... )

"Heureux ceux qui sont morts pour leur âtre et leur feu

"Et les pauvres honneurs des maisons paternelles".

 

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