LE PLAN XVII
CHAPITRE II. - PLAN XVII - BASES - LA MOBILISATION - LES TRANSPORTS - LES ARMÉES ÉTRANGERES - LA CONCENTRATION - LA COUVERTURE - LE RENSEIGNEMENT
Ce texte est tiré de l'ouvrage "LES ARMEES FRANCAISES DANS LA GRANDE GUERRE" TOME 1, VOLUME 1, CHAPITRE II, de la page 18 à la page 67, ce document est reproduit avec l'autorisation du Service Historique de l'Armée de Terre N° 24/03/2000*004130. Merci au SHAT.
Ier - BASES DU PLAN XVII
L'historique des plans précédents a montré l'évolution des idées qui ont présidé aux opérations prévues pour la mobilisation et la concentration des armées françaises depuis 1875. Il y a lieu maintenant d'exposer dans ses grandes lignes le dernier plan mis en vigueur, celui dont les dispositions ont été appliquées au mois d'août 1914.
Les principales données qui ont servi à l'établissement du plan se trouvent condensées dans un exposé préliminaire désigné sous le nom de " Bases du plan XVII " dont on donnera ici l'analyse.
Les " Bases du plan " débutent par un avant-propos résumant les considérations qui motivent l'établissement d'un nouveau plan, les unes relatives à la situation extérieure, les autres rappelant les dispositions en voie de réalisation et tendant à augmenter la valeur de notre armée.
La situation des principales puissances européennes au point de vue militaire est présentée tout d'abord dans l'aperçu suivant :
En raison de la renaissance des états balkaniques, " l'Allemagne ne peut plus escompter, avec le même degré de certitude, le concours que son principal allié avait été jusqu'ici en mesure de lui apporter ".
L'Italie a est toujours en conflit latent avec l'Autriche dans l'Adriatique. Tout porte à croire qu'elle restera, au début, sur l'expectative et se tiendra prête à intervenir après les premiers événements, du côté où elle se sentira en mesure de satisfaire ses désirs de conquête ". En tout état de cause, son action ne peut être ni immédiate en raison des lenteurs de sa mobilisation, ni redoutable en raison des difficultés que présente une action offensive sur le front des Alpes.
L'Allemagne " accroît en conséquence ses armées qui, d'ici deux ans, deviendront un instrument de guerre formidable ".
La loi de 1912 lui donnait : 715.000 hommes sous les drapeaux en temps de paix. La nouvelle loi militaire de 1913 réalise une augmentation de 168.000 hommes (Chiffre global représentant l'augmentation réelle et non l'augmentation budgétaire qui ne comprend que 132.000 sous-officiers et soldats.); soit au total environ 880.000 hommes sous les drapeaux en temps de paix. Les troupes de couverture pourront être de cette façon portées à l'effectif de 721 hommes par bataillon et les unités de l'intérieur (669 hommes par bataillon) pourront être mobilisées en ne faisant appel qu'à une seule classe de réservistes.
" L'Allemagne cherche ainsi à s'assurer la possibilité de produire un brusque effort avec ses corps de couverture, puis de prendre, dans un délai très court, une offensive victorieuse. "
De son côté, l'armée russe a réalisé des progrès considérables. Elle pourrait entamer les opérations le 15ejour de la mobilisation et développer complètement son offensive avec la masse de ses troupes actives ( 24 corps d'armée) du 20e au 23e jour. Cette situation s'améliore d'ailleurs de jour en jour.
Quant à l'Angleterre, elle ne nous a pas assuré sa coopération d'une manière certaine, et n'a même voulu prendre aucun engagement par écrit.
" Sur mer, nous pouvons cependant sans témérité escompter l'appui effectif de la flotte britannique. Sur terre, une entente établie entre les états-majors des deux nations a prévu l'emploi à l'extrême gauche de notre dispositif d'une armée anglaise comprenant : 1 division de cavalerie, 6 divisions d'infanterie et 4 brigades montées, au total 120.000 combattants. " Mais ce secours reste douteux. " Nous agirons donc prudemment en ne faisant pas état des forces anglaises dans nos projets d'opérations. "
Les " Bases du plan " rappellent ensuite les principales dispositions prises en vue d'augmenter la valeur de notre armée.
La loi des cadres de l'infanterie (La loi des cadres de l'infanterie du 23 décembre 1912 augmente de 10 unités le nombre des régiments d'infanterie, portant les troupes d'infanterie à : 173 régiments d'infanterie, 31 bataillons de chasseurs à pied, 4 régiments de zouaves, 12 régiments de tirailleurs indigènes, des régiments étrangers (dont le nombre n'est pas fixé par la loi). Les 10 nouveaux régiments d'infanterie prévus par la loi furent créés par décret du 19 mars 1913. Les tableaux d'effectifs joints à la loi du 23 décembre 1912 prévoient la constitution dans chaque régiment ou bataillon de chasseurs d'un cadre complémentaire comprenant pour 1 régiment d'infanterie : 1 lieutenant-colonel, 2 chefs de bataillon, 6 capitaines. La circulaire du ministre de la Guerre en date du 26 février 1913 précise que les officiers du cadre complémentaire " sont destinés à prendre, au moment de la mobilisation, le commandement d'unités de réserve.") permettra de renforcer l'encadrement de nos unités de réserve. " On est en droit d'envisager l'utilisation de certaines divisions de réserve dans le cadre de nos armées de première ligne, où elles auront à remplir certaines missions dévolues aux unités actives dans le plan en vigueur."
La loi des cadres de la cavalerie (La loi des cadres de la cavalerie du 31 mars 1913 spécifie qu'à chaque corps d'armée est rattaché en principe un régiment de cavalerie légère (exceptionnellement 2 ou 3; dans ce cas ils constituent une brigade). Tous les autres régiments sont endivisionnés et forment 10 D.C. Le nombre total des régiments de cavalerie est fixé par la loi du 31 mars 1913 à 91 (cavalerie d'Afrique comprise).) comportera l'endivisionnement de la majeure partie des régiments. " Cette mesure qui donnera à la cavalerie toute sa puissance offensive conduit à des modifications dans l'ordre de bataille des armées et dans la répartition de la cavalerie employée en couverture. "
L'amélioration de notre réseau ferré, qui sera terminé en 1913, augmentera le rendement de nos lignes d'environ 1/6 et permettra de réaliser un gain de 1 jour dans le transport des éléments combattants et d'avancer de 2 jours environ la fin de la période complète de la concentration.
Enfin, " la loi sur le service de trois ans (Alors à l'étude. Elle fut promulguée le 7 août 1913 et appliquée à partir de novembre 1913.) aura pour objet d'augmenter les effectifs de paix de toutes nos unités, par suite de faciliter la mobilisation de ces unités et d'améliorer les conditions de leur instruction. Elle assurera le renforcement de notre couverture dont les éléments seront portés, de notre côté aussi à un effectif voisin de l'effectif de guerre, et seront en état de répondre, dès la première heure, à une attaque allemande ."
Après cet exposé préliminaire les " Bases du plan " tracent les grandes lignes des nouvelles dispositions dont l'ensemble constituera le plan XVII.
Les modifications suivantes sont apportées à l'organisation :
Dans les corps d'armée mobilisés, la brigade de réserve est supprimée; par contre un régiment de réservistes à 2 bataillons sera affecté à chaque division; la cavalerie est réduite à un régiment.
Chaque corps d'armée normal comportera donc :
2 divisions actives comprenant chacune : 2 brigades à 2 régiments de 3 bataillons, 1 régiment de réservistes à 2 bataillons, 1 régiment d'artillerie à 9 batteries;
1 artillerie de corps comprenant 12 batteries;
1 régiment de cavalerie à 6 escadrons dont 2 de réserve.
Les 2e, 6e, 7e, 14e, 15e, 20e et 21e corps d'armée et le corps d'armée colonial ont une constitution spéciale; le 6e, en particulier, a 3 divisions. L'armée mobilisée comprendra au total :
21 corps d'armée, en comprenant le corps colonial et le 21e corps d'armée dont la création est projetée dans la région d'Epinal;
3 divisions autonomes : les 37e et 38e divisions formées de troupes d'Algérie et Tunisie (Par suite des prélèvements faits pour le Maroc, le 19e C. A. ne peut plus entrer en ligne de compte dans l'armée mobilisée en tant que corps d'armée.), la 43e division (Cette division fut dénommée ultérieurement 44e, la création du 21e C. A. ayant amené la formation dès le temps de paix de la 43e D.I. organique.) constituée par les troupes des Alpes, lesquelles dans le plan XVI devaient former un 21e corps d'armée.
Au total, les formations actives comprendront 46 divisions, chiffre identique à celui qui était prévu au plan précédent, malgré l'effort militaire que la France est obligée de faire au Maroc.
Les grandes unités de réserve seront constituées sur de nouvelles bases. Les régiments de réserve seront ramenés de 3 à 2 bataillons.
Partant de ce principe, chaque division de réserve comprendra :
2 brigades d'infanterie à 3 régiments de 2 bataillons ( La constitution des régiments de réserve à 3 bataillons nécessitait des prélèvements très importants sur les cadres actifs. En adoptant le chiffre de 2 bataillons et en considérant la valeur effective des unités créées plutôt que leur nombre, on espérait réaliser un solide encadrement des régiments de réserve sans appauvrir outre mesure celui des corps actifs qui les alimentaient. Les "principes généraux" de l'Instruction du 21 novembre 1913 sur l'encadrement des formations d'infanterie mobilisées exposent plus en détail les motifs de cette réduction.),
3 groupes de 3 batteries,
2 escadrons de cavalerie.
Le plan XVII prévoit la constitution de 25 divisions de réserve à 12 bataillons chacune (Contre 22 D.R. à 18 bataillons prévues au plan XVI.).
Quant à l'emploi à faire de ces formations, les " Bases du plan " s'expriment ainsi :
" Sans doute on ne saurait dans aucun cas assimiler des unités de réserve à des unités actives. C'est à ces dernières unités que le commandement fera surtout appel pour l'exécution des manœuvres offensives dont dépend le succès des opérations, comptant sur leur instruction meilleure, sur leur entraînement supérieur et sur la solidité des liens tactiques qui unissent tous leurs éléments.
" Mais il est permis de compter que mieux organisées mieux encadrées, mieux commandées, les divisions de réserve du plan XVII deviendront aptes à remplir aux côtés des troupes actives certaines missions d'un caractère spécial que jusqu'à présent on appréhendait de leur confier surtout au début de la guerre."
Il sera constitué 12 divisions territoriales affectées les unes à la défense de Paris, les autres à la protection des côtes ou éventuellement à celle de notre frontière des Pyrénées ( Le plan XVI prévoyait la formation de 9 divisions territoriales.).
L'effectif affecté à la défense des côtes sera notablement réduit. Les unités actives des places et des côtes pourront d'ailleurs, le cas échéant, participer à des opérations de campagne.
L'emploi à la mobilisation des troupes de l'Afrique du Nord est prévu dans les conditions suivantes : celles d'Algérie et Tunisie formeront, comme on vient de le voir, les 37e et 38e divisions; le corps expéditionnaire du Maroc sera maintenu sur ce territoire jusqu'à ce que certaines de ses unités puissent être relevées par des troupes noires.
Enfin des mesures sont envisagées pour renforcer l'artillerie et les unités cyclistes des divisions de cavalerie dont la loi des cadres fixé le nombre à 10 divisions de 3 brigades. D'une part, on portera de 2 à 3 batteries les groupes d'artillerie des divisions de cavalerie existantes et on dotera pareillement les divisions à créer; d'autre part la loi des cadres de l'infanterie prévoit l'affectation à chaque division de cavalerie d'un groupe cycliste de 300 fusils.
En ce qui concerne l'artillerie lourde, les " Bases du plan XVII " prévoient :
1° Des artilleries d'armée comprenant un total de 26 batteries de 155 court à tir rapide.
2° Une artillerie lourde mobile, organe du groupe d'armées, comptant 15 batteries de 120 long et 6 batteries de mortiers de 220.
Il est d'ailleurs nécessaire d'étudier la réorganisation de notre artillerie lourde, en vue d'utiliser les ressources qui seront fournies par le matériel de 105 long nouvellement adopté et par les canons de 155 court à tir rapide.
L'approvisionnement en munitions d'artillerie est prévu pour le corps d'armée à 470 coups par pièce (batteries et parc), pour le grand parc d'armée à 390 coups par pièce. On cherche à porter cet approvisionnement à 500 coups par pièce au corps d'armée et 500 au parc d'armée, soit 1.000 coups par pièce pour les formations de l'avant; on envisage d'ailleurs un accroissement ultérieur de ce chiffre.
" En 1915, lorsque les approvisionnements en munitions de 75 seront alignés à 1.500 coups par pièce, il restera dans les entrepôts de réserve générale, après la constitution des lots des corps d'armée et des armées, un troisième lot de 500 coups par pièce environ.
" En outre, il y a lieu de tenir compte des munitions fabriquées au moment de la mobilisation. Des mesures sont à l'étude dont le résultat serait de porter le rendement de la fabrication à 500 coups par pièce à la fin du deuxième mois."
L'accroissement et le perfectionnement du matériel de l'artillerie ne sont pas les seuls envisagés.
Pour le génie, on étudie un modèle de pont plus puissant permettant le passage des automobiles de poids lourd.
Le nombre des postes de campagne de T. S. F. sera porté à 30.
On prévoit enfin que le service aéronautique comprendra, au printemps de 1914, 13 dirigeables et 21 escadrilles de 6 avions chacune.
On ne prévoit pas de modification importante à la mobilisation. Les unités seront prêtes à embarquer :
Du 4e au 9e jour pour les corps d'armée normaux;
Du 9e au 12e jour pour les divisions de réserve ( Du 5e au 10e jour pour les 2 D. R. du camp retranché de Paris.); Du 5e au 15e jour pour les divisions territoriales;
Le 3e jour à 18 heures pour les divisions de cavalerie.
Les corps d'armée de couverture mobilisent en deux échelons prêts à être enlevés : les premiers de la 3e à la 8e heure, les deuxièmes du 2e au 4e jour.
Les 2e, 5e et 8e corps d'armée destinés à fournir les renforts de couverture tiennent 1 division prête à embarquer le 4e jour.
La mobilisation des places du Nord-Est se termine le 7e jour au matin, ainsi que celle des divisions de réserve affectées à leur défense.
Envisageant ensuite la répartition générale des forces, et considérant que nos armées auraient vraisemblablement à agir sur deux théâtres d'opérations distincts, région du Nord-Est et frontière des Alpes, les " Bases du plan XVII " s'expriment ainsi :
" Il importe que les forces employées sur le théâtre d'opérations du Nord-Est comprennent la presque totalité des forces actives, seules capables de manœuvrer avec la précision et la vigueur nécessaires pour aboutir â un résultat décisif.
" Les formations de deuxième ligne qui ne seront pas affectées à la défense des autres parties du territoire devront également être mises à la disposition du commandant en chef du groupe d'armées du Nord-Est. Sur le théâtre principal, elles seront utilisées à des missions ne nécessitant pas le degré de cohésion qui caractérise les formations actives et, par exemple, à l'occupation de positions, à des investissements, à la défense des régions couvertes ou coupées, etc. Les missions de cette nature y sont d'ailleurs assez fréquentes et assez importantes pour qu'il soit intéressant de réduire au minimum les formations de deuxième ligne, immobilisées sur les frontières secondaires. "
Sur la frontière du Sud-Est " des forces françaises numériquement très inférieures, s'appuyant sur les places qui barrent toutes les routes carrossables, seront en état, le cas échéant, sinon d'arrêter indéfiniment l'invasion, tout au moins de contraindre les corps italiens à n'avancer qu'avec une extrême circonspection. Par suite de la lenteur de la mobilisation de nos adversaires, cette mission, d'ordre essentiellement défensif, n'exigera pas le développement de sérieux efforts avant la fin du premier mois. Elle peut, sans inconvénient, être confiée à des divisions de réserve qui auront acquis, à ce moment, assez de cohésion et de résistance pour faire bonne figure sur le champ de bataille ".
Les régions secondaires, Sud-Ouest et zone du littoral, seront mises à l'abri des coups de main par les garnisons des places et des divisions territoriales d'observation.
Les garnisons mobiles des places du Nord-Est ont été dotées d'organes de transport leur permettant d'agir en dehors de la zone d'action de la place, comme de manœuvrer en liaison avec les armées d'opérations.
Enfin, 2 divisions de réserve (61e et 62e) maintenues provisoirement à Paris et la 67e division de réserve rassemblée au camp de Mailly forment une réserve centrale à la disposition du ministre de la Guerre.
Les " Bases du plan " résument ensuite les dispositions prises en ce qui concerne la concentration des armées du Nord-Est et la protection de celle-ci; puis elles rappellent l'organisation de nos systèmes fortifiés et se terminent par l'indication de l'ordre de bataille.
Pour la concentration et les transports qu'elle nécessite, le commandement dispose de 10 lignes indépendantes. Sur chaque courant de transport s'engageront un corps d'armée à mobilisation rapide ou stationné dans une région voisine de la frontière, un corps d'armée plus éloigné ou à mobilisation normale, et les divisions de réserve correspondant à ces deux corps d'armée.
La richesse du réseau ferroviaire en transversales et en articulations rendra possible l'exécution de variantes prévues ou à improviser suivant les besoins.
L'ensemble du système permettra de reculer ou d'avancer à volonté les zones de concentration entre la ligne Laon, Soissons, Reims, Troyes, Dijon, Besançon et le front, constitué par la Moselle en amont de Toul et la Meuse en aval de Pagny. En outre les commandants d'armée auront la faculté de varianter la concentration à l'intérieur de la zone de leur armée, soit pour modifier l'orientation de leurs forces, soit pour hâter le moment où celles-ci pourront se porter en avant si le général en chef en donne l'ordre.
Les dates d'arrivée dans la zone de concentration sont prévues comme il suit : le 4ejour au soir pour la cavalerie (divisions et régiments de corps); du 5e au 6e jour, soir, pour les divisions hâtives des 2e, 5e et 8e corps d'armée venant en renfort de couverture; du 9e au 10e jour, soir, pour les unités combattantes des corps d'armée; du 11e jour, midi, au 13e jour, soir pour les divisions de réserve.
Les troupes d'Afrique arriveraient probablement le 16e jour à midi dans la région entre Toul et Épinal ou le 17e jour au matin sur un autre point quelconque de la zone de concentration au nord de Toul.
La 43e division provenant des Alpes serait éventuellement transportée dans des conditions analogues.
Pour protéger la concentration, des dispositions nouvelles sont adoptées : " Par suite de l'avance réalisée dans l'exécution des transports stratégiques, la concentration de nos forces pourra, dans le nouveau plan, s'effectuer plus près de la frontière allemande que dans le plan en vigueur. Dans ces conditions, des mesures précises ont dû être envisagées en vue de permettre à nos armées d'exécuter leurs débarquements, de se former, de se réunir et, le cas échéant, de déboucher offensivement sans que l'ennemi puisse entraver ces diverses opérations.
" Les mesures préparées à cet effet visent, d'une part le renforcement de la couverture, d'autre part, l'organisation d'ouvrages du moment destinés à compléter, sur certains points, notre système fortifié.
" Le dispositif actuel de couverture présente certaines défectuosités qui tiennent, d'une part, à la faiblesse des effectifs, et, d'autre part, à la largeur trop considérable des secteurs affectés à chacun des trois corps frontières." Le premier inconvénient sera conjuré par l'application de la nouvelle loi sur le recrutement. Pour remédier au deuxième inconvénient, il est établi un projet de création d'un 21e corps d'armée et un projet de décret modifiant les 2e, 6e, 7e et 20e régions, de manière qu'un plus grand nombre de corps d'armée viennent border la frontière.
Les modifications suivantes sont apportées en outre au dispositif général : En raison de la convergence en Haute-Alsace des routes qui traversent la trouée de Belfort avec celles qui franchissent les Vosges au sud du col de la Schlucht, un même corps d'armée, le 7e, assurera la couverture dans ces deux régions.
Sur la ligne de la Meurthe, la mission de couverture sera confiée au 21e corps d'armée de Fraize à Manonviller, au 20e corps d'armée de Manonviller à la Moselle.
Dans la Woëvre méridionale, la couverture sera assurée par le 6e corps d'armée avec deux de ses 3 divisions.
Dans la Woëvre septentrionale la couverture doit assurer la protection des ateliers de débarquement échelonnés sur la Meuse entre Verdun et Sedan. D'autre part, il est nécessaire "d'avoir de bonne heure vers Givet des forces suffisantes en état d'occuper rapidement les passages de la Meuse de Givet à Namur, à la première nouvelle de la violation de la neutralité belge par la cavalerie et les détachements légers des Allemands ." C'est pourquoi il a été fait appel au concours du 2e corps d'armée qui assurera la couverture au moyen de la 4e division (La variante n°1 au plan XVI avait prévu l'emploi de la 4e D.I. en renforcement de couverture, cette division devant être transportée en chemin de fer dans la région de Stenay. Le remaniement de la 2e région a pour effet de mettre cette division à pied d'œuvre.).
Une réservé générale constituée par la 12e division (3e division du 6e corps d'armée) est à la disposition du général en chef, commandant supérieur de la couverture, dans la région Commercy, Saint-Mihiel.
Le total des forces employées en couverture comprend ainsi : 127 bataillons;
20 escadrons de cavalerie de corps, 114 batteries montées,
148 escadrons formant les divisions de cavalerie; 21 batteries à cheval.
Sur cet effectif, 92 bataillons, 56 escadrons, 75 batteries montées et 6 batteries à cheval se trouveront immédiatement à pied d'œuvre pour faire face à une attaque brusquée, si cette éventualité venait à se produire.
Abordant ensuite la question des systèmes fortifiés de la région du Nord-Est, les " Bases du plan ", tout en soulignant la valeur de ces barrières défensives, indiquent les nouvelles positions dont l'organisation en place du moment est prévue et préparée pour faciliter le débouché offensif du gros de nos forces.
" Les systèmes fortifiés organisés dans la zone frontière doivent servir d'appui aux troupes de couverture et les aider dans l'accomplissement de leur mission, qui consiste à protéger la concentration et à faciliter l'entrée en opérations des armées en leur assurant les débouchés nécessaires.
" Dans leur état actuel, nos systèmes fortifiés sont, d'une manière générale, en mesure de bien jouer leur rôle de protection. La ligne de la Moselle en amont d'Épinal, la ligne de la Meuse entre Verdun et Toul, jalonnées par nos grandes places, fournissent aux troupes de couverture une base de résistance solide, et constituent une barrière, à l'abri de laquelle nos armées pourront effectuer leurs débarquements en toute sécurité.
" Par contre, cet ensemble présente, en ce qui concerne les débouchés vers la frontière, des lacunes qui rendent nos places impuissantes à faciliter un mouvement général offensif du gros de nos forces. C'est à peine si les camps retranchés de Verdun et d'Épinal, et encore à la condition de pousser loin en avant leur défense extérieure échappent en partie à cette critique. La place de Toul, resserrée entre les forêts de Haye et de la Reine, ne nous assure aucun débouché important.
" Aucune de nos places n'est en état de jouer, dans le développement des opérations, un rôle analogue à celui que les Allemands attribuent à l'ensemble Metz-Thionville (position de la Moselle).
" La situation actuelle peut être améliorée soit par l'extension de notre système fortifié, soit par l'organisation d'ouvrages du moment sur lesquels nos troupes de couverture seront en état de tenir longtemps contre des forces supérieures.
" La première de ces deux solutions serait de beaucoup la meilleure. En attendant que son application puisse être envisagée, des études ont été faites en vue de la création, dès le début de la guerre, de positions défensives solides :
" Sur les Hauts-de-Meuse,
" Sur le Grand-Couronné de Nancy,
" Au débouché de la forêt de Charmes.
Sur les Hauts-de-Meuse : " La possession incontestée de ces positions sur le front général Damvillers, Haudiomont, Vigneulles, Apremont est nécessaire pour assurer la sécurité de nos débarquements, faciliter une offensive au nord de la ligne Verdun, Thionville et nous permettre enfin de déboucher du front de la Meuse et de gagner la Woëvre dans la région d'Étain, Fresnes-en-Woëvre. L'organisation des Hauts-de-Meuse, actuellement préparée en détail, répond à ces conditions importantes. La position sera organisée et pourra être tenue au début par les troupes de couverture. Vers le ~ t° jour ces troupes seront, autant que possible, relevées par des divisions de réserve.
La tête de pont de Nancy sera organisée dès la mise en place des troupes de couverture. Elle englobera : le plateau de Faux, le mont d'Amance, les hauteurs de Cercueil. Le 20e corps d'armée sera renforcé pour la défense de ces positions par 2 batteries et demie de 155 court à tir rapide et par 2 batteries de 120 long.
Enfin, la position à organiser à l'est de la forêt de Charmes est destinée à assurer le débouché au delà de a Moselle sur Gerbeviller et Rambervillers. Elle serait mise en état de défense et occupée, le cas échéant, par une division hâtive du 8e corps d'armée.
Pour terminer, les " Bases du plan " donnent à titre de renseignements l'ordre de bataille des armées sur le théâtre des opérations du Nord-Est, en le faisant précéder de la remarque suivante :
" La détermination de l'ordre de bataille de nos armées, de leur répartition sur la frontière et du dispositif général de concentration est étroitement liée à la conception du plan d'opérations établi par le général en chef sous sa responsabilité personnelle."
Cet ordre de bataille est celui qui a été adopté lors de l'établissement du plan et qui sera donné plus loin dans l'exposé du plan de concentration, avec cette seule différence que le 7e corps d'armée et la 8e division de cavalerie destinés à opérer en Alsace constituaient un détachement séparé dénommé " détachement d'Alsace", tandis que dans le plan définitif le 7e corps d'armée et la 8e division de cavalerie entrent dans la composition de la Ire armée.
Les " Bases du plan XVII " ont été soumises dans un rapport de présentation au conseil supérieur de la guerre dans la séance du 18 avril 1913. A l'unanimité , le conseil émit l'avis qu'il y avait lieu de procéder à l'élaboration d'un nouveau plan sur ces données.
Les " Bases du plan " ayant été approuvées par le ministre de la Guerre, M. Étienne, le 20 mai 1913, l'état-major de l'armée entreprit aussitôt la mise sur pied du nouveau plan, qui devait entrer en vigueur au printemps de l'année suivante.
On va en exposer les différentes parties, en suivant l'ordre logique des idées qui ont présidé à son établissement.
II. - LE PLAN DE MOBILISATION.
La mobilisation a pour but de mettre sur le pied de guerre les forces dont un pays dispose, ou, sous une forme plus concise, c'est le passage du pied de paix au pied de guerre.
Il s'agit alors non seulement de compléter à l'effectif de guerre les unités déjà existantes et de porter au plein de guerre leurs approvisionnements, mais aussi de créer de toutes pièces les formations nouvelles dont la constitution n'est prévue qu'au moment de la mobilisation. En outre, pour rassembler tous les moyens qui permettent de faire face aux innombrables besoins des armées en campagne, il est fait appel par voie de réquisition aux ressources de toutes sortes dont dispose le pays en chevaux, voitures, matériel, approvisionnements, etc., opération qui exige non seulement le concours de maintes autorités civiles, mais la coopération active d'un très grand nombre de citoyens. On conçoit que pour s'effectuer avec ordre, avec rapidité et d'une manière complète, la mobilisation devra être prévue d'avance dans tous ses détails, suivant un programme soigneusement établi.
Le plan de mobilisation a pour but de régler jour par jour, heure par heure, et par catégories distinctes le processus des opérations complexes qui devront se dérouler à partir de la date fixée par le décret de mobilisation.
L'effectif du pied de paix de l'armée française sur le territoire de la métropole se montait en 1913 à 520.000 hommes environ. L'application de la loi du 7 août 1913 , dite loi de 3 ans, votée sous l'influence des lois militaires allemandes de 1911 à 1913, eut pour effet d'augmenter cet effectif. Celui-ci, au 1er août 1914, s'élevait à 736.000 hommes, dont 49.000 du service auxiliaire.
Les troupes stationnées en France formaient (Y compris le corps colonial à 3 divisions.):
44 divisions d'infanterie, réparties en 21 corps d'armée;
10 divisions de cavalerie.
L'armée française; tant dans la métropole que dans l'Afrique du Nord, comprenait :
686 bataillons; 365 escadrons; 855 batteries;
189 unités du génie.
Sur le pied de guerre, ainsi qu'on l'a vu ci-dessus, les formations mobilisées comprenaient :
20 corps d'armée à 2 divisions; 1 corps d'armée à 3 divisions; 3 divisions isolées (Deux divisions d'Algérie et Tunisie, une du Sud-Est.);
25 divisions de réserve, dont 4 pour les grandes places du Nord-Est; 12 divisions territoriales; dont 8 de campagne et 4 de place;
1 brigade d'infanterie territoriale; 10 divisions de cavalerie;
Des éléments d'armée (artillerie lourde, troupes des chemins de fer, aviation, etc.);
Les garnisons des places fortes; Soit un total de :
1.643 bataillons; 596 escadrons; 1527 batteries;
528 unités du génie.
La mobilisation nécessitait ainsi la création de :
957 bataillons; 231 escadrons;
672 batteries;
339 unités du génie;
Et en outre les unités d'aéronautique suivantes; constituées en utilisant les ressources existantes ou en voie d'organisation :
21 escadrilles d'armée;
2 escadrilles de cavalerie; 5 dirigeables;
4 compagnies d'aérostiers.
Les effectifs mobilisés prévus étaient les suivants (Chiffres théoriques et arrondis. Ils ne concernent ni l'Afrique du Nord (sauf les éléments des 37e et 38e divisions d'infanterie), ni les états-majors, établissements et services divers de la métropole) :
20 corps d'armée à 2 divisions |
soit 44.000 hommes |
940.000 |
1 corps d'armée à 3 divisions |
soit 60.000 |
|
3 divisions actives isolées |
à 18.000 |
504.000 |
25 divisions de réserve |
||
8 divisions territoriales de campagne à l5.000 hommes |
184.600 |
|
4 divisions territoriales de place à 14.500 hommes |
||
1 brigade territoriale à 6.600 hommes |
||
10 divisions de cavalerie à 5.250 hommes |
52.500 |
|
Eléments d'armée |
187.500 |
|
Garnisons des places fortes |
821.400 |
|
Service de garde des voies de communication |
210.000 |
|
Dépôts |
680.000 |
|
Au total : |
3.580.000 hommes. |
Les garnisons de places fortes se composant comme suit pour l'ensemble du territoire :
Infanterie |
433.405 |
Secrétaires d'état-major |
1.130 |
Cavalerie |
9.825 |
Gendarmes |
1.750 |
Artillerie |
148.155 |
Gardes des voies de communications |
16.215 |
Génie |
33.150 |
Douaniers et forestiers |
9.230 |
Train des équipages militaires |
7.940 |
Auxiliaires de place fortes |
99.395 |
Commis et ouvriers d'administration |
31.220 |
Personnel de la Marine |
20.275 |
Infirmiers |
9.710 |
|
|
Total |
821.400 |
Les troupes de l'Afrique du Nord, selon les dispositions arrêtées dès le plan XVI, devaient en toute hypothèse fournir au théâtre d'opérations du Nord-Est des éléments provenant de l'Algérie et de la Tunisie. Elles constituaient les 37e et 38e divisions(Ces divisions comptaient au total sur le pied de guerre : 21 bataillons d'infanterie (5 bataillons de zouaves, 16 bataillons de Tirailleurs), 2 régiments de cavalerie, 12 batteries montées, 2 compagnies du génie.) et formaient en outre 2 régiments de cavalerie (L'un de ces régiments constituait la cavalerie de la 44e division; l'autre, celle du corps d'armée colonial.). Des mesures spéciales étaient envisagées pour assurer la défense de la colonie ainsi dégarnie d'une partie de ses forces.
Quant au Maroc, en raison de sa situation, le plan de mobilisation ne prélevait, en principe, aucune troupe sur les 82.000 hommes du corps d'occupation (63 bataillons, 24 escadrons, 23 batteries, 10 compagnies de génie renforcée des troupes de garnison et des troupes marocaines.). Le ministre de la Guerre se réservait de prendre à cet égard, le moment venu et suivant les circonstances, une décision dont l'étude faisait l'objet d'une mesure spéciale.
Les règles à suivre pour l'exécution de la mobilisation, quel que fût d'ailleurs le plan en vigueur, étaient fixées par l'Instruction du 15 février 1909.
Les opérations multiples et complexes de la mobilisation étaient étudiées par le 1er bureau de l'état-major de l'armée et toutes les dispositions à prévoir arrêtées conformément aux indications du plan.
Pour chaque corps, établissement ou service, l'ordre, la nature et le détail des opérations étaient réglés, jour par jour, dans un document constamment tenu à jour, qui portait le nom de journal de mobilisation. L'exécution de toutes les opérations prévues aux journaux de mobilisation s'échelonnait sur une période de durée variable suivant la nature de la formation et la destination à lui donner. En principe, les formations actives et leurs éléments combattants devaient terminer leurs opérations le 4e jour, les éléments d'armée, le 8e, et les formations de réserve, le 9e. En raison de l'importance particulière que présentait cette mise en mouvement, une Instruction spéciale du 4 avril 1905 fixait toutes les mesures relatives à la transmission du télégramme de mobilisation.
En dehors des opérations de la mobilisation, l'Instruction du 15 février 1909 prévoyait deux séries de mesures à prendre en cas de tension politique.
La première série, dont l'exécution incombait aux généraux commandant les corps d'armée, comprenait plusieurs groupes de mesures distinctes : mesures de précaution, de surveillance et de protection; mesures préparatoires, soit à la mobilisation, soit aux opérations militaires. Les principales de ces dispositions visaient le rappel des permissionnaires, la surveillance de la frontière, la garde des ouvrages d'art et de certains établissements, la convocation des territoriaux pour la garde des voies de communication, le chargement des dispositifs de mine, l'alerte à donner aux garnisons d'extrême frontière.
Une deuxième série envisageait différentes mesures à prendre par le ministre de la Guerre, soit de sa propre autorité, soit de concert avec le ministre de l'Intérieur, le ministre des Postes et Télégraphes et les compagnies de chemins de fer. Les plus importantes de ces mesures visaient la discrétion de la presse, l'avis préalable relatif aux transports de mobilisation, la surveillance des communications télégraphiques et téléphoniques et l'arrestation des individus suspects.
III. - LE PLAN DE TRANSPORT.
Le passage du pied de paix au pied de guerre et le rassemblement dans la zone de concentration des éléments constitutifs des armées mobilisées sur l'ensemble du territoire nécessitent l'organisation de plusieurs catégories de transports dont les principales visent la mobilisation, la couverture et la concentration.
Les transports de mobilisation concernent les mouvements par voie ferrée d'isolés ou de groupes d'hommes rejoignant leur centre de mobilisation : ils s'effectuent pendant les quatre premiers jours sur tout le territoire, tant par les convois ordinaires que par les trains spéciaux mis en marche à cet effet sur les différents réseaux.
Parallèlement s'exécutent, vers les régions frontières, les transports de couverture; ils commencent dès qu'est donné l'ordre de mise en place de la couverture, qui peut, soit précéder, soit accompagner l'ordre de mobilisation.
Enfin, à partir du 5e jour, les transports de concentration convergent vers la zone des armées du Nord-Est.
Les dispositions arrêtées en vue de l'ensemble de ces mouvements constituent le plan de transport.
D'après l'Instruction générale sur l'exécution de la concentration, les détails d'organisation et d'exécution des transports de concentration - les plus importants - sont réglés par le 4e bureau de l'état-major de l'armée (service des chemins de fer) sur les bases ci-après :
Les lignes ferrées suivant lesquelles les troupes sont amenées dans la zone de concentration sont dénommées lignes de transport. Toutes les unités d'un corps d'armée suivent en principe la même ligne, fractionnées en éléments de transport correspondant chacun à la capacité d'un train militaire.
Chaque ligne de transport comprend une partie fixe se terminant à la gare régulatrice (G.R.), siège d'une commission régulatrice. Le trajet de chaque élément jusqu'à la gare régulatrice est fixé par le plan de transport. A partir de cette gare, le mouvement est réglé par la commission régulatrice, qui dispose à cet effet d'un certain nombre de lignes ou sections de ligne constituant sa zone d'action.
Les transports de concentration s'exécutent en deux périodes :
Les éléments combattants d'armée, de corps d'armée et d'une partie des divisions de réserve et leurs trains de combat sont transportés pendant la première période, qui commence le 4e jour.
La deuxième période, qui s'étend du 12e au 17e jour, comprend les transports du reste des divisions de réserve et des parcs et convois.
Un ordre de transport, remis au commandant de l'élément avant son départ, contient tous les renseignements utiles concernant son embarquement et son trajet (itinéraire, haltes-repas, etc.)jusqu'à la gare régulatrice. Les indications relatives à la fin du transport sont données en ce dernier point. La commission régulatrice indique à chaque élément son point de débarquement, autant que possible celui prévu par le plan. Sauf impossibilité technique, les points de débarquement sont toujours choisis de manière à favoriser la prompte reconstitution des unités organiques.
Le plan XVII prévoyait l'exécution des mouvements par voie ferrée suivant 10 lignes de transport indépendantes, savoir :
A. (14e corps d'armée.) Rive gauche du Rhône, Lyon, Bourg, Besançon , Lure.
B. (8e et 13e corps d'armée.) Bourges, Clermont et Saint-Étienne, trois lignes convergeant sur Vesoul.
C. ( 15e et 16e corps d'armée.) Marseille et Montpellier, rive droite du Rhône, Mâcon, Dijon, Langres, Mirecourt.
D. ( 9e et 18e corps d'armée.) Bordeaux, Angoulème, Tours, Orléans, Troyes, Chaumont, Nancy.
E. ( 12e et 17e corps d'armée. ) Toulouse, Limoges, Bourges, Auxerre, Commercy.
F. (5e corps d'armée.) Orléans, Melun; Vitry-le-François.
G. ( 4e et 11e corps d'armée.) Nantes, Le Mans, Chartres, Reims, Verdun.
H. ( 3e et 10e corps d'armée.) Rennes et Rouen, Mantes, Pontoise, Compiègne, Soissons, Rethel, Vouziers.
I. ( 2e corps d'armée.) Amiens, Méziéres, Montmédy.
K. ( 1er corps d'armée.) Lille , Mézières.
Les principes régissant l'utilisation des voies ferrés sont exposées ainsi dans les " Bases du plan XVII ".
" Il importe que le commandant en chef puisse, en toute liberté, modifier les groupements de ses forces et régler les mouvements des armées, sans avoir de préoccupation en ce qui concerne les ravitaillements en vivres et munitions, les remplacements en hommes et en chevaux.
" Les progrès réalisés au cours de ces dernières années dans le développement de notre réseau ferré, et surtout dans son exploitation militaire, permettent aujourd'hui de modifier l'organisation des lignes de communication, de manière à assurer l'entière liberté d'action du commandant en chef."
" Les principes de cette nouvelle organisation, qui sera mise en vigueur dans le plan XVII, sont les suivants :
" Au lieu de tracer, en fin de concentration, des lignes spéciales de communication, on conservera toutes les lignes de transport organisées et outillées pour la concentration, mais en ne maintenant qu'un certain nombre de gares régulatrices dites " gares régulatrices de communication " (en principe une par armée, au début des opérations).
" En outre, les lignes de transport seront reliées entre elles par un système de transversales, permettant de les faire aboutir à une quelconque des gares régulatrices de communication.
" Chaque armée pourra ainsi être desservie par la gare régulatrice dans la zone d'action de laquelle les opérations la conduiront."
IV. - RENSEIGNEMENTS SUR LES ARMÉES ÉTRANGERES.
Après avoir examiné les effectifs et les moyens de transport mis à la disposition du général en chef, il importe de jeter un coup d'œil sur les renseignements que possédait le commandement sur les armées étrangères, celles que la France aurait à combattre et celles dont elle pouvait escompter le concours ou espérer la neutralité.
Sans développer ici les renseignements statistiques relatifs à la situation militaire du temps de paix des différentes puissances susceptibles d'intervenir dans un conflit européen, on indiquera très brièvement l'idée que l'état-major français se faisait de l'importance et de la répartition des forces mobilisées par chaque Etat et, le cas échéant, des projets et des tendances de ces armées.
L'ARMÉE ALLEMANDE.
Si l'on examine la courbe comparative des effectifs entretenus en France et en Allemagne après 1871, on constate que jusqu'en 1893 les effectifs du temps de paix restent dans les deux pays sensiblement égaux.
A partir de cette époque, la courbe s'élève brusquement pour l'Allemagne, l'effectif de paix passe de 467.000 à 549.000 hommes et en même temps l'adoption du service de deux ans permet d'augmenter considérablement le nombre des hommes instruits. Depuis lors, l'effectif de l'armée allemande n'a cessé de s'accroître par périodes correspondant aux quinquennats successifs. En 1910 il était de 607.000 hommes.
En mai 1911, le Reichstag votait une loi militaire augmentant encore l'effectif budgétaire de plus de 10.000 hommes et donnait un important développement aux moyens techniques mis à la disposition de l'armée. Mais cette loi, dont la mise en application devait s'échelonner sur cinq années, fut, dès sa promulgation, trouvée trop modérée par certains partis politiques et, quinze mois après, une nouvelle loi, dite du 14 juin 1912, accroissait de plus d'un dixième les forces militaires de l'Allemagne. L'effectif théorique de l'armée allemande s'élevait, dans ces conditions, à 657.000 hommes de troupe et l'effectif réalisé devait atteindre 715.000 officiers, sous-officiers et soldats. En outre, deux corps d'armée nouveaux étaient créés et on adoptait diverses mesures améliorant la mobilisation et la valeur guerrière des unités.
Dès l'année suivante, la loi du 5 juillet 1913 venait augmenter encore de 132.000 sous-officiers et soldats (Chiffre budgétaire visant seulement les sous-officiers non rengagés et les soldats. L'augmentation totale et réelle était de 168.000 comme il a été dit plus haut.) l'effectif budgétaire de l'armée allemande et, sans créer un seul régiment nouveau, permettait de mettre au point une puissante machine de guerre. On s'attachait à parfaire l'organisme, à combler les vides , à améliorer la qualité et l'outillage. Les troupes techniques (pionniers, artillerie à pied, mitrailleuses, troupes de communication) étaient considérablement augmentées. On multipliait les inspections d'armes et de subdivisions d'armes, les cadres complémentaires étaient renforcés; enfin un crédit de 300 millions était voté pour les fortifications. L'importance du programme militaire de 1913 l'a fait qualifier, en Allemagne même, de " mobilisation en pleine paix ".
La plupart des améliorations et renforcements prévus par la loi de 1913 furent effectués très rapidement et, au début de 1914, l'effectif total de l'armée allemande sur le pied de paix était de 870.000 officiers, sous-officiers et soldats. Ils constituaient 669 bataillons d'infanterie, 547 escadrons de cavalerie, 663 batteries de campagne, 48 bataillons d'artillerie à pied, 35 bataillons de pionniers, 29 bataillons de troupes de communication, 25 bataillons du train, plus des formations spéciales aux forteresses et des unités d'instruction.
Ces unités étaient réparties en 25 corps d'armée : le corps de la Garde, 21 corps d'armée numérotés de 1 à 21 et 3 corps d'armée bavarois.
Par suite du renforcement des effectifs du temps de paix, aucune unité de l'armée active ne comprendrait, à la mobilisation, plus d'un tiers de réservistes appartenant, pour la plupart, à la dernière classe libérée. En outre le grand nombre de réservistes instruits permettait de mettre sur
pied de nombreuses formations de réserve solidement encadrées à l'aide d'officiers du cadre complémentaire et réunies en grandes unités prévues dès le temps de paix, dont le commandement devait être assuré par les officiers généraux du cadre actif employés dans les inspections d'armes et de subdivisions d'armes.
Le renforcement des effectifs du temps de paix permettait également d'améliorer la situation des formations de couverture, facilitait leur mobilisation et rendait possible une attaque brusquée sur un point de la frontière adverse ; mais il ne devait pas en résulter une avance quant à la date d'entrée en opérations de l'ensemble des armées allemandes.
Cette déduction ressortait de l'étude du dernier plan de mobilisation allemand. Ce plan, daté du 9 octobre 1913 et postérieur à la loi dont il vient d'être parlé, entrait en application le 1er avril 1914. L'analyse de ce document, faite en mai 1914 par l'état-major de l'armée, confirmait, en outre, l'existence, à la mobilisation, de corps d'armée de réserve et le rôle qui leur était dévolu. On savait, depuis 1905, que les divisions ou brigades de réserve pouvaient être groupées en corps de réserve et le projet militaire de 1913 prévoyait même la constitution d'états-majors de corps de réserve; mais en ce qui concerne leur emploi le nouveau plan de mobilisation apportait des précisions. Il disait textuellement : " Les troupes de réserve sont employées comme les troupes actives."
Dans son analyse notre état-major ajoutait : " Le plan de mobilisation distingue " le corps de réserve " et les divisions de réserve ne faisant pas partie du corps de réserve. Les corps de réserve envoient du personnel dans les quatre premiers jours dans la zone de couverture, comme les corps actifs, tandis que pour les divisions de réserve qui ne font pas partie du corps de réserve, des instructions spéciales fixent la date à laquelle doit être prêt ce personnel. Il ne semble donc pas que les divisions de réserve non encadrées (Il faut entendre l'expression "non encadrées" dans le sens : ne faisant pas partie d'un corps de réserve.) doivent, au début, jouer exactement le même rôle que le corps de réserve. "
La conclusion de cette analyse était la suivante :
" En résumé, le corps d'armée de réserve, destiné à être employé à des opérations actives comme le corps actif, est devenu, d'après le nouveau plan de mobilisation, un outil plus homogène et mieux encadré que précédemment, tout en étant plus léger que le corps d'armée actif."
Une note de l'état-major de l'armée, du 13 juin 1914 , envisageait de la manière suivante la préparation et le transport des armées allemandes dirigées contre la France.
Couverture progressive et complète le 6e jour, mobilisation des divisions de cavalerie terminée le 2e jour, et pour les brigades hâtives de certains corps d'armée avant le 4e jour.
Succédant aux transports de première urgence, les transports de concentration normale doivent commencer les 5e et 6e jours, fonctionner à plein du 7e jour au 12e jour au soir et être à peu près terminés dans la journée du 15e jour. En particulier, on estime que les débarquements des éléments combattants des corps d'armée actifs sont terminés le 10e jour, ceux des éléments combattants des corps d'armée de réserve le 12e jour. La mobilisation des places de première ligne est terminée le 6e jour.
" A partir du 13e jour, les Allemands disposent donc, sur les bases de concentration, de tous leurs corps actifs et de celles de leurs divisions de réserve destinées à participer immédiatement aux opérations actives et réunies pour la plupart en corps de réserve. Dans ces conditions, il paraît vraisemblable que le mouvement offensif ne sera pas commencé, au moins pour le gros des armées allemandes, avant le 13e jour."
Le nombre de corps d'armée concentrés contre la France était estimé à 20 corps d'armée actifs, dont 6 en couverture, 10 corps d'armée de réserve, 8 divisions de cavalerie et 8 divisions de réserve.
Où se rassembleraient ces forces et quel serait leur emploi ?
Depuis longtemps, on envisageait à l'état-major de l'armée une manœuvre dirigée contre la gauche des armées françaises; le mouvement à large envergure à travers les pays neutres servait de thème classique aux " Kriegspiel ". exécutés par les états-majors allemands et les plans offensifs extraits des ouvrages des généraux von Falkenhausen et von Bernhardi orientaient le centre de gravité des forces allemandes par la vallée de la Meuse sur nos lignes de communication et sur Paris.
Sans doute les importants travaux exécutés sur les réseaux ferrés allemands depuis 1904 facilitaient de plus en plus le transport à travers la Belgique du gros des forces ennemies dirigées contre la gauche française, mais on ne possédait aucune certitude à cet égard et on ne pouvait faire que des hypothèses quant à l'amplitude du mouvement débordant des armées de l'aile droite allemande.
D'ailleurs, le nombre des quais et chantiers de débarquement existant dans la région au nord de Trèves ne semblait pas permettre la réunion simultanée de plus de 11 corps d'armée. Si les Allemands voulaient faire un plus grand effort par la Belgique, on pensait qu'il leur faudrait prélever des forces sur celles destinées à la défense de l'Alsace et reculer jusqu'au Rhin une partie de leurs débarquements. La combinaison était possible, mais alors la mise en œuvre des moyens se trouvait retardée de plusieurs jours et l'attaque perdait ce caractère de soudaineté tant préconisé par les écrivains militaires d'outre-Rhin.
En somme, malgré les possibilités d'attaque en force par la Belgique, on estimait qu'un rôle important serait dévolu au groupe d'armées qui se rassemblerait derrière la position Metz-Thionville et on croyait toujours, pour des raisons politiques et morales, à l'attraction exercée sur les Allemands par le plateau lorrain.
L'ARMÉE AUSTRO-HONGROISE.
L'annexion de la Bosnie-Herzégovine en octobre 1908 a marqué pour l'armée austro-hongroise l'ouverture d'une ère d'activité qui s'est poursuivie sans arrêt jusqu'en 1914.
La création d'un 16e corps d'armée, l'adoption d'un nouveau matériel d'artillerie de campagne, l'augmentation considérable de l'artillerie de montagne, les améliorations successives apportées à l'organisation des troupes de toutes armes, enfin le vote de la loi militaire de 1912 marquent les principales étapes de cette évolution, qui s'est manifestée à la fois dans le domaine des idées et dans celui des réalisations matérielles.
L'exécution des dispositions de la loi du 5 juillet 1912 devait porter l'effectif de paix de l'armée austro-hongroise à 590.000 hommes, officiers compris. Toutefois, l'augmentation était répartie sur cinq années et ne devait avoir son plein effet qu'en 1918.
Au début de 1914, on comptait environ 450.000 hommes sous les drapeaux, répartis en trois armées distinctes : l'armée commune, la landwehr pour l'Autriche et la honved pour la Hongrie.
A la même époque, on estimait que l'armée austro-hongroise mettrait sur pied, en cas de guerre, 16 corps d'armée, dont 14 à 3 divisions, et 2 à 2 divisions plus 11 divisions de cavalerie. Les corps à 3 divisions devaient comprendre 2 divisions de l'armée commune et une division de landwehr ou une division de honved. Comme troupes de réserve, on prévoyait la constitution de 14 brigades de marche et, comme troupes territoriales, de 21 brigades de landsturm.
L'ensemble des troupes mobilisées représentait un effectif de 1 million 400.000 hommes environ en y comprenant le personnel des services. La concentration austro-hongroise devait pouvoir faire face à des directions très différentes et répondre à diverses hypothèses qui ne sont pas à envisager ici. Dans certaines éventualités, on ne devait pas considérer comme impossible la participation de deux ou trois corps d'armée autrichiens aux opérations des armées allemandes sur le front français.
Aussi l'état-major français suivait-il attentivement les progrès de l'organisation et l'état des esprits dans l'armée austro-hongroise.
D'une part, la réorganisation rapide de l'armée russe inquiétait sérieusement l'Autriche-Hongrie, d'autre part celle-ci avait le vif désir de mettre à la raison la Serbie qui, forte de l'appui de la Russie, formait obstacle à l'expansion autrichienne dans la péninsule balkanique.
Cette situation avait créé, au début de 1914 deux courants d'opinion dans les milieux militaires de la double monarchie.
Alors que la presse officielle, consciente du manque de préparation de l'armée et des difficultés pouvant provenir des rivalités existantes entre les différentes nationalités de l'empire, cherchait à calmer les esprits, certaines publications militaires se montraient au contraire extrêmement violentes et poussaient délibérément à la guerre.
Ainsi le Danzer Armeezeitung, dans son numéro du 5 mars 1914
après avoir fait un tableau très sombre de la situation européenne, n'hésitait pas à écrire :
" Le moment est donc venu, pour la triple alliance, de choisir, soit une politique Offensive utilisant les avantages actuels et prévenant ainsi l'attaque certaine de l'adversaire, soit une politique d'attente pendant laquelle la prépondérance de l'ennemi ne fera que s'accroître. " Et l'auteur ajoutait :
" Le seul salut repose donc sur une offensive énergique; plus longues seront l'hésitation et la période défensive, plus certaine sera la débâcle. Ne se trouvera-t-il donc pas, pendant les quelques années de répit encore accordées, un homme, un Bismarck, qui, comprenant le seul remède pour arrêter la Russie dans sa réorganisation, remettra en honneur le principe : " L'attaque est la meilleure défense " ?
On ne s'étonnera donc pas que le prétexte fourni par l'assassinat de Sarajévo ait été saisi avec empressement par les milieux militaires de la double monarchie pour peser sur le gouvernement austro-hongrois et entraîner celui-ci dans la guerre.
L'ARMÉE ITALIENNE.
En mars 1914 , l'état-major français envisageait comme il suit l'organisation de l'armée italienne sur le pied de guerre.
Les ressources du recrutement étaient estimées à 1.500.000 hommes instruits, ainsi répartis: 750.000 dans l'armée active ou armée de première ligne, dont 250.000 sous les drapeaux et 500.000 en congé; 300.000 dans la milice mobile ou armée de deuxième ligne; 450.000 dans la milice territoriale ou armée de troisième ligne. A ces chiffres, il y avait lieu d'ajouter plus d'un million d'hommes non instruits et classés d'emblée dans la milice territoriale.
Ces ressources permettaient de former, pour l'infanterie, 389 bataillons de l'armée active, 173 bataillons de milice mobile et 197 bataillons de milice territoriale.
On prévoyait, pour la cavalerie, 150 escadrons de l'armée active et 36 escadrons formés par la milice mobile.
L'artillerie de l'armée active comprenait 232 batteries de campagne, dont 196 montées; la milice mobile devait en fournir 60. En outre, chaque corps d'armée devait recevoir une artillerie lourde comprenant deux batteries d'obusiers et une batterie de canons.
On estimait que les formations mobilisées devaient constituer 14 corps d'armée (12 du temps de paix et 2 formés à la mobilisation) répartis en 4 armées.
Les corps d'armée étaient prévus les uns à 2, les autres à 3 divisions, au total 37 divisions dont 25 actives et 12 de milice mobile; 10 de ces dernières entraient dans la composition des corps d'armée. La cavalerie constituait 4 divisions, dont 3 existant en temps de paix.
En raison du faible développement du réseau ferré, la mobilisation italienne était sensiblement moins rapide que celles de la France et de l'Allemagne. On comptait que les troupes ne seraient prêtes à être enlevées de leurs garnisons que vers le 7e jour; d'autre part, on envisageait que la concentration sur la frontière française exigerait une durée de transport 10 à 12 jours pour les éléments combattants, puis de 5 à 6 jours pour les parcs et convois. On estimait, en conséquence, que les armées italiennes pourraient être réunies sur leurs bases de concentration, face à la frontière française, entre le 17e et le 19e jour, pour les éléments combattants, et en moyenne le 23e jour, pour l'ensemble des troupes et des services.
La répartition des forces italiennes sur les divers théâtres d'opérations ne pouvait faire que l'objet d'hypothèses subordonnées aux circonstances, mars on savait néanmoins que l'envoi de corps italiens en Alsace avait été envisagé.
Cependant, des accords étaient intervenus, en 1902 , entre la France et l'Italie. Ils avaient trait à la neutralité de cette dernière puissance, dans le cas où la France serait attaquée ou provoquée directement par l'Allemagne. Indépendamment de ces accords demeurés secrets, tous les renseignements recueillis permettaient d'escompter, au moins au début des hostilités, la neutralité de l'Italie et d'envisager l'emploi éventuel sur la frontière du Nord-Est des troupes françaises constituant l'armée dite des Alpes.
L'ARMÉE BELGE.
La guerre allait trouver l'armée belge en pleine période de transformation.
Lors du vote de la loi du 21 mars 1902 , on avait estimé que les engagements volontaires devaient suffire à assurer à l'armée belge les effectifs envisagés comme nécessaires à la défense du pays. Ces effectifs avaient été fixés, par une commission militaire instituée en 1900, à 180.000 hommes, dont 100.000 hommes pour l'armée de campagne, et 80.000 hommes pour les forteresses, avec un effectif de paix de 42.000 hommes environ.
La loi de 1902 n'ayant pas donné ce qu'on en espérait, une nouvelle loi militaire du 14 décembre 1909, sans modifier les effectifs à atteindre, établit le service personnel à raison d'un fils par famille.
En 1912, à la suite de l'émotion causée par les incidents d'Agadir, l'opinion publique s'inquiéta de l'insuffisance des moyens de défense de la Belgique en cas de conflit, et le 12 novembre de cette même année, le chef du Gouvernement, M. de Broqueville montrait la nécessité de renforcer la puissance militaire du pays dans de notables proportions. Bientôt un projet de loi était déposé, où l'on envisageait l'augmentation de l'effectif de guerre et de paix de l'armée belge, justifié " par les préparatifs militaires faits à l'étranger et par le langage des écrivains militaires allemands, anglais et français qui parlent couramment du passage par la Belgique et envisagent l'hypothèse d'une invasion brusquée ".
Le gouvernement déclarait que la situation actuelle exigeait une armée de 340.000 hommes, comprenant : 150.000 hommes pour l'armée de campagne (au lieu de 100.000); 130.000 hommes pour l'armée de forteresse (au lieu de 80.000); 60.000 hommes pour la réserve d'alimentation et les troupes auxiliaires.
L'augmentation de 50.000 hommes pour l'armée de campagne était motivée par " l'accroissement des forces qu'elle pourrait avoir éventuellement à combattre " et que l'on évaluait à cinq corps d'armée. L'effectif de paix était fixé à 44.000 hommes.
Pour obtenir le résultat cherché sans modifier la durée de service actif, on augmenta le contingent annuel. Au système du service d'un fils par famille, on substitua le " service généralisé ". Tous les inscrits d'une classe de recrutement étaient susceptibles d'être appelés et le parlement devait fixer annuellement le contingent.
Cette loi du 30 août 1913 représentait pour la Belgique un sérieux effort et une orientation toute nouvelle. Elle fut votée même par les partis qui étaient jusque-là les plus hostiles à l'augmentation du contingent, tant la nécessité en apparaissait clairement à tous. Mais elle ne devait avoir son plein effet qu'au bout de dix ans.
Au printemps 1914, l'armée belge du pied de paix comportait 6 divisions d'armée, une division de cavalerie et des troupes de forteresse. Cette organisation fournissait l'ossature de l'armée mobilisée, d'une part l'armée de campagne qui comprenait six divisions d'armée et une division de cavalerie, d'autre part les troupes de forteresse destinées aux positions fortifiées.
L'organisation défensive de la Belgique était constituée par les places de Namur et de Liége destinées à interdire le franchissement de la Meuse, de quelque côté que vint l'attaque, et par le camp retranché d'Anvers, réduit de la défense, camp que, depuis 1906 on cherchait à compléter et à remettre au point, et auquel les places de la Meuse devaient servir d'avancées.
Quant au rassemblement de l'armée de campagne et à son emploi ils étaient basés sur la nécessité où se trouvait la Belgique de pouvoir faire face au début, soit à l'Allemagne, soit à la France soit même à l'Angleterre, de façon, avait dit M. de Broqueville lors de la discussion de la loi de 1913, " à faire pencher la balance en faveur de celle des puissances qui n'aurait pas la première violé la neutralité du territoire belge ".
L'ARMÉE SUISSE.
Si en 1914 , l'armée belge était en voie de transformation, l'armée suisse avait dès 1912 terminé sa réorganisation.
A cette époque, on estimait que les forces de première ligne, élite et landwehr, comptaient 212.000 hommes dont 142.000 pour l'élite seule.
L'armée de campagne était constituée au moyen de l'élite et de la landwehr, par 6 divisions à 3 brigades de 2 régiments; chacune d'elles avait une organisation très analogue à celle d'un véritable corps d'armée.
En somme, l'armée suisse sur le pied de guerre, comprenant un noyau solide d'hommes exercés et pourvus d'un matériel moderne, représentait une force susceptible de faire respecter le territoire de la Confédération helvétique.
L'ARMÉE RUSSE.
Sur un contingent annuel de 1.200.000 à 1.300.000 hommes, la Russie n'incorporait chaque année que 450.000 hommes environ; son armée du temps de paix atteignait l'effectif de 1.350.000 hommes et le nombre de ses réservistes instruits s'élevait à 4 millions d'hommes.
Suivant les clauses de l'alliance franco-russe, dont la France avait tout lieu d'escompter le jeu normal, la Russie devait en cas de conflit mettre en ligne sur sa frontière occidentale toutes les forces dont elle disposait en Europe. Celles-ci pouvaient avoir à faire face à l'Allemagne, à l'Autriche-Hongrie et éventuellement à la Roumanie.
En 1913 , le plan russe prévoyait la mobilisation en Europe de 28 corps d'armée actifs, constitués par 55 divisions d'infanterie à 16 bataillons et 48 canons, et par 9 brigades de chasseurs à 8 bataillons et 24 canons, au total: 952 bataillons, 361 batteries montées, 28 groupes d'obusiers à 2 batteries de 6 pièces et 15 groupes lourds à 3 batteries de 4 pièces. Il comportait en outre la mobilisation de 20 divisions de cavalerie : 560 escadrons et 42 batteries à cheval.
Les troupes de réserve mobilisées au début en Europe formaient 37 divisions d'infanterie et 20 divisions de cavalerie, soit : 592 bataillons, 198 batteries montées, 524 sotnias ou escadrons cosaques, 17 batteries à cheval et 36 batteries d'obusiers. 15 de ces divisions étaient affectées aux côtes ou aux places.
La puissance militaire russe présentait deux caractéristiques particulières. D'une part, elle disposait d'un réservoir d'hommes presque inépuisable. D'autre part, la mobilisation et la concentration russes, du fait de l'étendue du pays et du peu de densité de son réseau ferré, devaient s'effectuer sensiblement plus lentement que celles des autres nations européennes.
De ces deux considérations, il résultait que la force des armées russes résidait surtout dans leur masse et dans la durée de l'effort qu'elles étaient susceptibles de soutenir.
Par contre, la lenteur de leur entrée en action imposait à la France la nécessité de supporter au début du conflit le poids de la plus grande partie des armées allemandes. On estimait, en effet, que l'Allemagne ne laisserait initialement en ligne contre la Russie que la valeur de 3 à 5 corps d'armée actifs. Dans une note établie en juillet 1913 , l'état-major français escomptait que les premiers contacts entre Russes et Allemands s'établiraient le 15e jour de la mobilisation et que l'offensive générale russe pourrait se produire le 23e jour. Si tout se passait pour le mieux, on envisageait pour le groupe d'armées russes du Nord la possibilité d'atteindre la ligne Thorn, Allenstein, Kaenigsberg le 35e jour.
On pouvait déduire de ces données le temps pendant lequel l'Allemagne serait libre d'employer la presque totalité de ses moyens contre la France.
L'ARMÉE SERBE.
Bien que, dans l'établissement du plan, l'armée serbe n'intéressât pas immédiatement l'état-major français, on pensait cependant qu'elle pouvait, en cas de conflit, apporter aux armées russes un appoint précieux.
La Serbie avait, en effet, fourni un magnifique effort dans les guerres qu'elle venait de soutenir successivement contre la Turquie, puis contre la Bulgarie. La population, à la suite des traités qui suivirent, était passée de 3 millions à 4 millions 250.000 habitants.
Cependant, le contingent annuel ne s'élevait qu'à 17.000 hommes et l'effectif de paix en 1914 ne dépassait pas 60.000 hommes; mais l'armée était en voie de réorganisation et on prévoyait que, lorsque les dispositions prises auraient produit leur plein effet, les forces mobilisées pourraient fournir 12 divisions du premier ban et 12 divisions du deuxième ban.
En 1914, on envisageait seulement, comme première étape, le dédoublement des 6 divisions constituant l'armée serbe de 1912.
L'ARMÉE ANGLAISE
(L'armée anglaise est désignée dans le plan XVII sous l'appellation conventionnelle : armée W.).
Pour le recrutement de ses armées, l'Angleterre s'en tenait toujours au principe des enrôlements volontaires.
Les ressources en hommes militairement instruits dont disposait l'empire britannique étaient donc beaucoup plus restreintes que celles des grandes nations continentales.
Les effectifs auxquels cette puissance pouvait faire appel en cas de conflit s'élevaient en 1913 à 800.000 hommes environ, ainsi répartis :
Armée régulière : 167.000 hommes; Armée des Indes : 76.000 hommes; Réserve régulière : 145.000 hommes; Armée territoriale : 315.000 hommes; Réserve spéciale : 78.000 hommes.
Sur ces disponibilités le War Office avait prévu la formation d'un corps expéditionnaire susceptible d'intervenir sur le continent. Cette partie des forces militaires britanniques était la seule qui nous intéressât directement et l'étude des modalités de sa coopération éventuelle avait été poursuivie depuis plusieurs années, de concert entre les états-majors anglais et français.
On va en retracer succinctement l'historique.
L'accord franco-anglais de 1904 avait réglé, en ce qui concerne l'Angleterre et la France, les questions intéressant le Maroc et l'Égypte.
Deux ans plus tard, en 1906, au moment où la diplomatie allemande nous suscite au Maroc des difficultés qui aboutissent à la conférence d'Algésiras, l'état-major français et le War Office entrent en relations, dans le but d'étudier les bases d'une action militaire commune.
En janvier 1908 , des bases fermes sont arrêtées en ce qui concerne les principales dispositions à prévoir.
En mars 1911, le général Wilson, directeur des opérations militaires au War Office, fait connaître que l'état-major anglais vient d'adopter deux améliorations importantes : l'une vise l'envoi éventuel sur le continent d'un corps expéditionnaire qui sera porté à 6 divisions, l'autre tend à accélérer la mobilisation et le transport par mer de cette force. " Ces propositions ont été arrêtées d'accord avec le ministre de la Guerre et le chef d'état-major général, écrit le 24 mars, notre attaché militaire à Londres; mais tous deux désirent qu'il reste entendu comme par le passé que le nouveau plan n'engage aucunement le gouvernement anglais et ne préjuge en rien de la décision qu'il pourra être appelé à prendre au moment voulu. Il restera libre comme auparavant d'intervenir ou non et de fixer lui-même l'effectif des forces, qu'il estimera à propos d'envoyer sur le continent."
Le 1er juillet 1911, l'Allemagne envoie le navire de guerre Panther jeter l'ancre dans le petit port marocain d'Agadir. Cet événement soulève un grave incident diplomatique entre la France et l'Allemagne, et l'affaire semble un moment menacer la paix européenne. C'est dans ces circonstances que, le 20 juillet 1911, à la suite d'ouvertures faites par le War Office, une conférence se réunit au ministère de la Guerre à Paris, mettant en présence, d'une part, le général Wilson d'autre part, le général Dubail, chef d'état-major de l'armée, en vue de déterminer les nouvelles conditions de la participation d'une armée anglaise aux opérations des armées françaises du Nord-Est dans l'éventualité d'une guerre avec l'Allemagne. " Il a tout d'abord été déclaré relate le mémorandum de la conférence, que les pourparlers engagés, dépourvus de tout caractère officiel, ne pouvaient lier en rien les gouvernements anglais et français, que la conférence avait seulement pour but d'étudier certaines questions essentielles et de prévoir les mesures préparatoires indispensables. "
Dans les années qui suivent, les dispositions générales prises à la conférence de 1911 sont complétées et améliorées à la suite de communications fréquentes entre les états-majors respectifs et en tenant compte des modifications survenant dans l'armée anglaise, alors en voie de transformation. En particulier, le plan de transport mis sur pied par notre état-major est établi dans des conditions de souplesse telles qu'elles permettent de s'adapter à toutes les phases possibles de ces changements (Les tableaux dressés par l'état-major anglais en 1913 et révisés en 1914 fixaient l'achèvement du débarquement des grandes unités dans leur zone de concentration :
Au 12e jour : pour la division de cavalerie;
Au 14e jour : pour les 1re, 2e et 3e divisions d'infanterie; Au 15ejour : pour les 5e et 6e divisions;
Au 16' jour : pour la 4e division.
Ces délais étaient calculés d'après les jours de la mobilisation anglaise.
Dans le cas où celle-ci suivrait la nôtre avec un écart de n jours, les chiffres du tableau ci-dessus seraient augmentés de n. Un tableau de correspondance entre les jours de la mobilisation anglaise et ceux de la mobilisation française devait en conséquence être établi au moment de la mobilisation même.).
Quant à la zone de concentration, elle est choisie dans la région Busigny, Maubeuge, Hirson, au mieux des possibilités de transport et de manière à ne gêner en rien la concentration française.
Enfin, on admet que la concordance des opérations militaires de l'armée anglaise avec celles des armées françaises sera assurée par des directives émanant du commandant en chef français et adressées au commandant en chef britannique,
En résumé, les dispositions arrêtées au plan XVII permettent d'envisager le débarquement de l'armée anglaise et son transport sur le théâtre d'opérations dans des conditions de précision et de rapidité comparables à celles prévues pour la concentration de l'armée française elle-même. Toutefois il n'est permis au général en chef de considérer la coopération militaire anglaise que comme une éventualité et non comme une certitude (Voir à ce sujet les lettres échangées les 22 et 23 novembre 1912 entre sir Edward Grey et M. Paul Cambon. Livre jaune, 1914.).
Les principales dispositions arrêtées, dès le temps de paix, entre les états-majors, au sujet du corps expéditionnaire anglais, peuvent se résumer ainsi :
Les atterrissages sont prévus dans trois ports : le Havre, Rouen, Boulogne, bases où doivent s'installer pendant toute la durée des opérations les services de l'arrière de l'armée anglaise. Les éléments du corps expéditionnaire débarquant dans les ports y séjournent 36 heures; enlevés en chemin de fer dans les gares qui desservent ces ports, ils suivent une ligne de transport passant par Amiens et Busigny et débarquent en principe dans la zone Maubeuge, Busigny, Hirson.
D'après les prévisions, le corps expéditionnaire anglais doit comprendre : un grand quartier général, 2 quartiers généraux d'armée, 6 divisions d'infanterie, 1 division de cavalerie, 2 brigades montées, des troupes d'armées et un service de l'arrière. L'effectif total des troupes combattantes est de 121.000 hommes.
La zone de concentration a été déterminée de manière que chacune des grandes unités se trouve à proximité de ses chantiers de débarquement et puisse prendre un dispositif de rassemblement convenablement orienté dans la direction probable des opérations. C'est ainsi que le grand quartier général cantonne au Cateau, les divisions d'infanterie stationnent dans les régions de Fourmies, Sains, Avesnes, le Nouvion, Prisches, Wassigny, la division de cavalerie autour de Maubeuge. Ce rassemblement est couvert au nord par la place de Maubeuge, sur les flancs par la forêt de Mormal et la région boisée de Trelon.
Ainsi renseigné sur les armées étrangères susceptibles de jouer un rôle en cas de conflit européen, connaissant d'autre part les effectifs mis à la disposition du général en chef et les possibilités de leur transport, on va pouvoir aborder l'exposé du plan de concentration, base lui-même du plan d'opérations.
V. - LE PLAN DE CONCENTRATION.
Le plan de concentration renferme les dispositions arrêtées en vue du transport et du rassemblement vers la frontière du Nord-Est des éléments mobilisés qui constituent les armées d'opérations.
La région du territoire où s'effectuera la réunion des forces est elle-même englobée dans une zone plus vaste, dite " zone des armées ", déterminée en tenant compte du tracé de la frontière et des renseignements recueillis sur la concentration adverse. Dans la zone des armées, le général en chef exerce tous les pouvoirs définis par les lois et règlements en vigueur (Loi du 28 décembre 1888. Décret du 5 février 1889. Règlements du 24 mars 1899, 10 juin 1902 et 10 avril 1913. Art. 1er de la loi du 24 juillet 1900.) et il dispose des ressources de toute nature qui peuvent s'y trouver, notamment des réseaux ferrés, des voies navigables et des lignes télégraphiques.
La zone des armées prévue dans le plan XVII englobait en entier les départements suivants : Ardennes, Meurthe-et-Moselle, Meuse, Aube, Marne, Haute-Marne, Vosges, Haute-Saône et territoire de Belfort, en outre une partie des départements du Nord (arrondissements de Valenciennes Cambrai Avesnes Douai) de l'Aisne (arrondissements de Laon, Saint-Quentin, Vervins), du Doubs (arrondissements de Baume-les-Dames et Montbéliard). Tout le reste du territoire, en particulier la région de Lille et le littoral du Pas-de-Calais, demeurait initialement sous les ordres du ministre.
Les voies de communication, mises à la disposition du général en chef, comprenaient comme réseau ferré celui des chemins de fer de l'Est en entier, une partie des réseaux du Nord, de Paris-Lyon-Méditerranée et de la Grande-Ceinture; comme voies navigables, outre celles se trouvant dans la zone des armées, certaines parties du canal du Rhône au Rhin et du canal de la Marne à la Saône comprises dans le département de la Côte-d'Or.
C'est dans la zone des armées, telle qu'elle vient d'être définie, que s'effectuera la concentration.
La concentration a pour but de rassembler les forces mobilisées, suivant un dispositif dont le général en chef a, dès le temps de paix, arrêté les grandes lignes en vue de la mise en œuvre de son plan d'opérations initial. Le dispositif adopté doit être assez souple pour que le commandant en chef ait la liberté de modifier les débarquements au moyen de variantes, de déplacer le centre de gravité des armées ou d'opérer certains changements dans leur ordre de bataille. Ces modifications elles-mêmes sont fonction des renseignements obtenus dès que s'ouvre la période de tension politique, tant sur l'attitude des nations neutres ou éventuellement alliées que sur les mouvements et la concentration des forces ennemies.
Outre les données sur l'armée allemande fournies en temps de paix et constamment tenues à jour, le problème qui se pose au général en chef se complique, en effet, à l'époque où le plan est élaboré d'une inconnue : l'attitude de la Belgique en cas de conflit ; d'un aléa : la neutralité italienne et d'une simple probabilité : la coopération de l'armée anglaise.
Toutefois, étant donné l'énormité des effectifs mobilisés et l'importance des mouvements nécessaires à leur rassemblement, il y aurait un inconvénient grave à retarder la mise en place du dispositif jusqu'au moment où le général en chef aura obtenu sur l'ennemi des renseignements suffisants. C'est donc l'intention d'agir dans un sens déterminé, formulée dans le plan d'opérations initial, qui doit servir de base à la concentration, si bien qu'en définitive le dispositif adopté va contenir en germe celui de la première bataille.
Le plan de concentration détermine tout d'abord l'ordre de bataille des armées mises à la disposition du général en chef et leur zone de rassemblement initial.
Le groupe des armées du Nord-Est, dont le quartier général est à Vitry-le-François, comprend cinq armées, un corps de cavalerie formé de 3 divisions et des formations à la disposition du général en chef.
La Ire armée, ayant son quartier général à Epinal, comprend les 7e, 8e, 13e, 14e, 21e corps d'armée, les 6e et 8e divisions de cavalerie, un régiment d'artillerie lourde à 12 batteries. La couverture est assurée par les 7e et 21e corps d'armée, 6e et 8e divisions dé cavalerie et renforcée par la 15e division. Le gros de l'armée est rassemblé autour d'Epinal, dans la zone Charmes, Arches, Darney.
La IIe armée, ayant son quartier général à Neufchâteau, comprend les 9e, 15e 16e, 18e et 20e corps d'armée, les 2e et 10e divisions de cavalerie, une artillerie lourde forte de 17 batteries, le 2e groupe de divisions de réserve formé des 59e, 68e et 70e divisions. Le 20e corps, les 2e et 10e divisions de cavalerie sont chargés de la couverture. Le gros de l'armée se concentre entre Moselle et Meuse, dans la zone : Pont-Saint-Vincent, Mirécourt, Vittel, Neufchâteau, Pagny-la-Blanche-Côte, Vaucouleurs, Blénod-lès-Toul.
La IIIe armée a son quartier général à Verdun; elle comprend les 4e, 5e et 6e corps d'armée, la 7e division de cavalerie, une artillerie lourde forte de 18 batteries le 3e groupe de divisions de réserve formé des 54e, 55e et 56e divisions. Le 6e corps et la 7e division de cavalerie forment la couverture. Le gros de l'armée est rassemblé dans la zone : Saint-Mihiel, Consenvoye, Damvillers, côtes de Meuse au sud-ouest de Fresnes-en-Woëvre.
La IVe armée ayant son quartier général à Saint-Dizier, comprend les 12e et 17e corps d'armée et le corps colonial, la 9e division de cavalerie et une artillerie lourde comportant 3 batteries. L'armée se concentre dans la région de Vavincourt, Void, Gondrecourt, Bar-le-Duc. En raison de sa situation initiale en deuxième ligne, elle n'a pas à se préoccuper d'une couverture propre.
La Ve armée a son quartier général à Rethel; elle comprend les 1er, 2e, 3e, 10e et 11e corps d'armée, la 4e division de cavalerie, une artillerie lourde forte de 17 batteries et les 52e et 60e divisions de réserve. La couverture est assurée par la 4e division d'infanterie et la 4e division de cavalerie. Le gros de l'armée se concentre dans la zone Aubenton, Poix-Terron, Grandpré, Apremont-en-Argonne, Suippes, JuniviIle, Rethel, Chaumont-Porcien.
Le corps de cavalerie comprend les 1re, 3e et 5e divisions de cavalerie en couverture dans la région de Mézières.
Les formations à la disposition du général en chef sont composées :
De troupes actives les 37e et 38e divisions venant de l'Afrique du Nord et éventuellement la 44e division formée dans la région des Alpes, ces éléments pouvant être transportés soit vers Epinal, soit vers Mézières ;
De troupes de réserve, comprenant le 1er groupe de divisions de réserve, formé des 58e, 63e et 66e divisions rassemblées dans la région de Vesoul, et le 4e groupe de divisions de réserve, formé des 51e, 53e et 69e divisions rassemblées autour de Vervins, Sissonne, Neufchâtel-sur-Aisne.
Le ministre conserve initialement à sa disposition la 67e division de réserve qui se rassemble au camp de Mailly, ainsi que les 61e et 62e divisions de réserve, destinées tout d'abord à la défense du camp retranché de Paris mais qui peuvent éventuellement être mises à la disposition du général en chef.
Après avoir fixé l'ordre de bataille et déterminé la zone de rassemblement des armées le plan de concentration énonce les directives qui renferment en substance le plan d'opérations initial. Elles comprennent une directive générale qui en trace les grandes lignes et des directives particulières à chacun des grands groupements : armées, corps de cavalerie, groupes de divisions de réserve.
La directive générale expose d'abord, comme il suit, les intentions du commandant en chef, basées sur la situation telle qu'il l'envisage.
" Des renseignements recueillis et des études comparatives auxquelles il a été procédé, il résulte qu'une grande partie des forces allemandes seront vraisemblablement concentrées sur la frontière commune. Il est possible aussi qu'elles aient franchi cette frontière sur certains points avant que puisse se produire notre intervention générale.
" En tout état de cause, l'intention du général commandant en chef est de se porter toutes forces réunies à l'attaque des armées allemandes.
" L'intervention des armées françaises se manifestera sous la forme de deux actions principales, se développant l'une à droite dans les terrains entre les massifs forestiers des Vosges et la Moselle en aval de Toul, l'autre à gauche au nord de la ligne Verdun, Metz.
" Ces deux actions seront étroitement soudées par des forces agissant sur les Hauts-de-Meuse et en Woëvre.
" Les Ire et IIe armées opéreront initialement entre le Rhin et le cours de la Moselle en aval de Toul, prolongé à l'ouest de cette place par le canal de la Marne au Rhin et la ligne Vaucouleurs, Gondrecourt.
" La Ve armée et le corps de cavalerie agiront au nord de la ligne Verdun, Metz.
" La IIIe armée servira de liaison entre ces deux actions.
" La IVe armée sera provisoirement disposée en seconde ligne, en état de s'engager soit au sud, soit au nord de la IIIe (Une variante est prévue à cet effet dans les débarquements de certains corps d'armée de la IVe armée et éventuellement dans la concentration de le Ve armée.).
" Les deux groupes de divisions de réserve à la disposition du commandant en chef sont initialement placés derrière les ailes du dispositif général."
Les directives particulières précisent ensuite la mission de chacune des armées, des groupes de divisions de réserve et du corps de cavalerie.
" La Ire armée, qui se trouve à l'aile droite du dispositif de concentration, doit se tenir " prête à attaquer dans la direction générale Baccarat, Sarrebourg, Sarreguemines, la droite du gros de ses forces suivant la crête des Vosges, son extrême droite dans la plaine d'Alsace. pour appuyer au Rhin le dispositif général. Par son mouvement en avant, elle coopérera à l'offensive de la IIe armée, qui doit se porter en direction de Château-Salins. "
Pour préparer cette action, une fraction de la Ire armée comprenant les 7e corps d'armée et 8e division de cavalerie pénétrera aussitôt que possible dans la Haute-Alsace par la trouée de Belfort, le col de la Schluçht et les passages intermédiaires, en direction générale de Colmar. Sa mission est de retenir en Alsace, en les attaquant, les forces adverses qui tenteraient de déboucher sur le versant occidental des Vosges, au nord de la Schlucht, et de favoriser le soulèvement des populations alsaciennes restées fidèles à la cause française. Accessoirement, elle s'efforcera de détruire la gare allemande de Bâle, le pont de Neuenbourg et tous autres passages établis ou en voie d'établissement sur le Rhin. En outre elle masquera la tète de pont de Neuf Brisach.
" La IIe armée devra se tenir prête à attaquer en direction générale : Château-Salins, Sarrebruck. Elle se servira, à cet effet, de la tête de pont de Nancy, dont elle devra assurer la possession. " Le 2e groupe de divisions de réserve, qui lui est affecté, devra pouvoir être dirigé, au fur et à mesure de ses débarquements, vers la région au nord de Nancy, pour s'opposer à toute intervention des forces allemandes pouvant déboucher de Metz, et assurer la couverture de la IIe armée sur son flanc gauche:
" La IIIe armée, constituant la liaison entre les actions principales projetées sur la rive droite de la Moselle, d'une part, et au nord de la ligne Verdun, Metz, d'autre part, doit se tenir prête soit à rejeter sur Metz et Thionville les forces ennemies qui en auraient débouché, soit à préparer un premier investissement de la place de Metz sur son front ouest et nord-ouest. " Elle prendra appui sur les Hauts-de-Meuse, dont elle assurera la possession en utilisant à cet effet le groupe de divisions de réserve et l'artillerie de gros calibre qui lui sont affectés. Elle s'efforcera de garder constamment disponibles des forces importantes, pour prolonger, suivant les circonstances, l'action de la II° armée sur la rive droite de la Moselle ou celle de la Ve en Woëvre septentrionale.
Les Ire et IIe armées se tiendront prêtes à déboucher le 12 jour de la mobilisation, l'une de la Meurthe, l'autre de la tête de pont de Nancy. La IIIe armée se tiendra prête à cette même date à passer à l'offensive.
Le commandant en chef, conservant sous ses ordres directs la place de Toul, délègue aux commandants de la IIIe armée pour Verdun, et de la Ire armée pour Epinal et Belfort le soin de donner des ordres aux gouverneurs de ces places, en vue de la participation aux opérations actives d'une partie de la garnison, dans les conditions prévues à l'article 151 du décret sur le service des places.
" La IVe armée, initialement et temporairement en deuxième ligne, doit se tenir prête, à partir du 12e jour de la mobilisation, soit à déboucher en Woëvre méridionale entre les IIe et IIIe armées, pour coopérer ultérieurement à l'action de la IIe, soit à se porter vers le nord par la région à l'ouest de la Meuse, pour s'engager à la gauche de la IIIe armée, en direction d'Arlon."
La Ve armée constitue l'aile gauche du dispositif général." Sa mission est d'agir contre l'aile droite des forces ennemies, soit que le théâtre des opérations se limite au début au territoire des deux belligérants, soit qu'il déborde immédiatement en territoire neutre : Luxembourg et. particulièrement Belgique. "
Dans le premier cas, elle devra opérer immédiatement au nord de la IIIe armée ; débouchant des Hauts-de-Meuse et de la tête de pont de Montmédy, elle s'engagera en direction générale de Thionville et de Luxembourg, s'efforçant de rejeter vers le nord les forces adverses qu'elle aura devant elle. Elle devra réserver une partie de ses forces en arrière de son aile gauche, pour se couvrir contre toute action enveloppante que tenterait l'ennemi en violant le territoire belge. Elle devra également envisager l'attaque de vive force de Thionville avec ses corps actifs ou l'investissement ultérieur de cette place avec les divisions de réserve dont elle dispose. Le corps de cavalerie, rassemblé d'abord, au sud-est de Mézières, marchera sur Montmédy pour appuyer le 2e corps d'armée et coopérer ensuite à l'action de la gauche de la Ve armée.
Dans le second cas, la Ve armée s'élèvera vers le nord-est, pour déboucher en Luxembourg belge, dans la région de Florenville et Neufchâteau, également protégé par un échelon sur sa gauche. Dans cette deuxième hypothèse, il est à prévoir que la IVe armée, remontant vers le nord par la rive gauche de la Meuse, viendrait se disposer à la droite de la Ve et s'engagerait entre elle et la IIIe armée, en direction d'Arlon. Enfin, le corps de cavalerie couvrirait la gauche de cette masse de manœuvre.
En conséquence, la Ve armée devra être initialement articulée et disposée en profondeur, de manière à se trouver en mesure de marcher soit vers l'est, soit vers le nord-est et de franchir la ligne de la Meuse le 12e jour de la mobilisation.
En tout état de cause, elle assurera la possession des Hauts-de-Meuse au nord de Verdun et celle de la tète de pont de Montmédy.
Le 1er groupe de divisions de réserve peut être appelé, soit à s'engager face à l'est en cas de violation du territoire suisse, soit à se diriger vers le nord-est, comme appui ou complément éventuel de la Ire armée.
Le 4e groupe de divisions de réserve " peut être appelé à s'engager, soit vers l'est ou le sud-est; soit vers le nord-est. comme soutien des IIIe, IVe ou Ve armées, ou comme complément de la masse de manœuvre de l'aile gauche ".
L'un et l'autre groupes peuvent être transportés par voie ferrée sur un point quelconque de l'échiquier stratégique. A cet effet, chacun de ces groupes s'établira dans la zone de concentration en un dispositif largement articulé et à portée des ateliers d'embarquement.
Le corps de cavalerie, comprenant les 1re, 3e et 5e divisions, disposera en outre pendant la période de concentration de la 8° brigade d'infanterie (45e et 148e régiments d'infanterie). Celle-ci, dès la période de couverture, doit tout d'abord faire tenir les passages de la Meuse, de Sedan inclus à Joigny inclus par un régiment, de Vireux inclus à Givet par un régiment. La garde des passages entre Joigny et Vireux sera assurée par le corps de cavalerie.
Au début, le corps de cavalerie reste à la disposition du général en chef.
Dans le cas où le général commandant le corps de cavalerie apprendrait, soit le franchissement de la frontière franco-allemande par des détachements importants dans le secteur de la Woëvre septentrionale soit la violation par l'adversaire de la neutralité de la Belgique ou du grand-duché de Luxembourg, il réunirait aussitôt ses trois divisions à l'est de Mézières. Il les tiendrait prêtes, dans le premier cas, à marcher sur Montmédy pour appuyer le 2e corps, dans le second cas, à pénétrer en territoire belge.
Dans la deuxième éventualité, il aurait à prendra des dispositions lui permettant de se porter à la rencontre des colonnes ennemies, plus spécialement de celles qui s'avanceraient par le Luxembourg belge, au sud de la région difficile Houffalize, Saint-Hubert. Sa mission consisterait à reconnaître ces colonnes et à retarder leur mouvement. Il pourrait utiliser comme soutien tout ou partie du 45e régiment d'infanterie. Le 148e régiment, qui resterait également sous ses ordres aurait à se porter le plus rapidement possible sur Dinant, pour occuper les ponts de la Meuse entre la place de Namur et la frontière, dans le cas où le gouvernement belge n'aurait pas pris l'initiative de cette occupation.
Dans l'hypothèse correspondant au mouvement de la Ve armée par le Luxembourg belge, le corps de cavalerie après avoir reconnu et retardé les colonnes adverses, aurait à se replier sur le flanc gauche de la Ve armée. Il aurait mission de couvrir cette armée contre tout mouvement ultérieur de l'ennemi qui chercherait à s'étendre plus au nord pour l'envelopper.
L'Instruction pour le général commandant le corps de cavalerie lui prescrivant, en outre, de prévoir, dès le temps de paix, les dispositions à prendre dans l'éventualité de la violation de la Belgique par les forces adverses, le général Sordet soumet le 9 mars 1914 au général Joffre une Instruction pour l'exécution de sa mission.
Cette instruction peut se résumer ainsi:
Pour favoriser en toute hypothèse son débouché à l'est de la Meuse, le corps de cavalerie ira occuper le 4e jour des emplacements dont le centre de gravité sera Sedan.
Delà, le corps de cavalerie serait en mesure de se porter rapidement, soit sur Montmédy, soit en direction de Florenville, Neufchâteau.
Dans cette deuxième hypothèse, il se concentrerait, d'abord, au nord de la Semoy, vers Neufchâteau, puis se porterait probablement sur Bastogne, en recherchant les renseignements utiles, notamment sur le flanc droit des forces ennemies.
VI. - L'INSTRUCTION DE COUVERTURE
Indépendamment de la protection assurée par la fortification, par la rapidité de la mobilisation et les transports et par la distance, la sécurité de la concentration repose sur l'emploi des troupes de couverture.
La mission des troupes de couverture consiste " au début, à arrêter les reconnaissances ou détachements de l'ennemi qui chercheraient à pénétrer sur le territoire, ultérieurement, à retarder la marche des corps plus considérables qui pourraient troubler le débarquement et la concentration des armées ". Elles doivent également protéger la mobilisation des places fortes contre les entreprises de l'ennemi; dès que cette mobilisation est terminée, les places fortes, à leur tour, peuvent servir d'appui à la couverture.
Le dispositif général de couverture comporte cinq secteurs correspondant à chacun des corps d'armée frontières, échelonnés de la frontière suisse à la frontière belge :
Secteur des hautes Vosges, de Belfort à Gérardmer ( 7e corps d'armée );
Secteur de la haute Meurthe , de Fraize à Avricourt ( 21e corps d'armée ) ;
Secteur de la basse Meurthe, d'Avricourt à la Moselle, vers Dieulouard ( 20e corps d'armée ) ;
Secteur de la Woëvre méridionale, de Pont-à-Mousson à Conflans ( 6e corps d'armée) ;
Secteur de la Woëvre septentrionale, de Conflans à Givet ( 2e corps d'armée).
En dehors des corps d'armée et des divisions de cavalerie affectés à chaque secteur, les 1re, 3e et 5e divisions de cavalerie, débarquées dans la région de Mézières, forment un corps de cavalerie, à la disposition du général en chef, commandant l'ensemble de la couverture. Les secteurs de couverture sont commandés par les généraux commandant les corps d'armée de couverture. Au début, ils dépendent directement du général en chef. Le 5e jour, ils passent sous les ordres du commandant de l'armée à laquelle ils sont rattachés, savoir : les secteurs des hautes Vosges et de la haute Meurthe à la Ire armée, le secteur de la basse Meurthe à la IIe armée, le secteur de la Woëvre méridionale à la IIIe armée, le secteur de la Woëvre septentrionale à la Ve armée.
Enfin, à partir du 6e jour, les troupes de couverture en position sont renforcées par des divisions mobilisées hâtivement (Ce renforcement est effectué: au 21e C. A. par la 15e D.I., au 6e C. A., par la 9e D.I., pour la 4e D.I., par la 3e D.I.).
Dans chaque secteur, le dispositif comprend des groupes de couverture, formés en principe d'un bataillon au moins et d'un escadron. Ces groupes poussent sur la frontière même un réseau de surveillance, constitué par des éléments de cavalerie renforcés par les douaniers et les chasseurs forestiers.
En arrière des groupes, stationne un gros de couverture, comportant généralement une division d'infanterie, disponible pour la manœuvre.
" Le dispositif pouvant dans certains cas être pris avant la mobilisation, les troupes de couverture doivent s'abstenir d'une manière absolue de franchir la frontière et de se livrer à des actes d'hostilité sur le territoire ennemi avant d'en avoir reçu l'ordre exprès du ministre de la Guerre ou du général commandant en chef."
Outre son réseau de surveillance, chaque commandant de secteur organise un service de renseignements au moyen des douaniers et des chasseurs forestiers. Les renseignements émanant des bureaux situés à la frontière viennent converger dans des bureaux télégraphiques centraux installés dans des localités désignées dès le temps de paix.
En principe, les places fortes assurent dès le début leur protection avec leurs moyens propres. Toutefois, en cas d'irruption par l'ennemi mettant la place en péril, pendant les cinq premiers jours " les commandants des secteurs de couverture ne perdent pas de vue que leur devoir est d'intervenir énergiquement pour assurer à tout prix la conservation des places qui sont dans leur secteur (Place de Belfort, dans le secteur des hautes Vosges; place d'Epinal dans le secteur de la haute Meurthe; places de Toul et de Verdun dans le secteur de la Woëvre méridionale.) ".
L'Instruction de couverture précise ensuite la mission de chaque commandant de secteur et la répartition des troupes.
Le commandant du secteur des hautes Vosges dispose du 7e corps et de là 8e division de cavalerie. Il a pour mission de couvrir la mobilisation de la place de Belfort ainsi que la voie ferrée Montbéliard, Belfort, Lure. En outre il doit se mettre en mesure d'occuper, dès l'ouverture des hostilités, les cols des Vosges (la Schlucht et les passages au sud).
La 14e division et la 7e division de cavalerie couvrent directement la place de Belfort et les forts de Montbéliard. La 41e division a des groupes à Bussang, Cornimont, Gérardmer et son gros dans la région du Thillot.
Le commandant du secteur de la haute Meurthe dispose du 21e corps d'armée et de la 6e division de cavalerie. Il a pour mission de tenir la ligne de la Meurthe en amont de Saint-Clément. Des détachements poussés au delà de la rivière doivent assurer les débouchés sur la rive droite et se tenir prêts à occuper les passages des Vosges, du col du Bonhomme à la trouée de Saales. Ces dispositions permettent de couvrir la concentration prévue en arrière du front Charmes, Bruyères. Elles ménagent la possibilité d'une action de flanc contre un ennemi qui se porterait à l'attaque du secteur de la basse Meurthe.
Le gros du 21e corps d'armée est rassemblé dans la région de Rambervillers, Bruyères, avec des groupes de couverture à Fraize, Saint-Dié, Celles et Montigny. Dès que l'ordre en sera donné par le général en chef, des positions seront organisées à Ortoncourt et Borville (nord et est de la forêt de Charmes), en vue de favoriser le débouché ultérieur de l'aile gauche de la Ire armée sur la rive droite de la Moselle ( Les travaux de l'organisation préparée et arrêtée en détails dès le temps de paix seront exécutés par la 15e D.I.).
Le commandant du secteur de la basse Meurthe dispose du 20e corps d'armée et de la 2e division de cavalerie. Il a pour mission de couvrir Toul et les débarquements qui s'effectuent sur la Moselle et le Madon.
" Tout en remplissant cette mission essentielle, le 20e corps devra se maintenir sur la rive droite de la Meurthe, de manière à protéger Nancy et à conserver les débouchés à l'est de cette ville et de Saint-Nicolas-du-Port. S'il était obligé de reculer devant des forces supérieures, le commandant du 20e corps d'armée devrait défendre coûte que coûte le passage de la Meurthe et empêcher l'ennemi de prendre pied sur la rive gauche. "
Le 20e corps d'armée sera rassemblé au nord-est de Nancy, par divisions accolées, à cheval sur la route de Nancy, Château-Salins. Les organisations de la tête de pont de Nancy (bois de Faulx, mont d'Amance, Pulnoy, Varangeville) seront préparées dès le temps de paix ( Elles seront complétées à la mobilisation d'abord par les éléments disponibles du 20 C.A., puis par les troupes de la 70e D.R.) .
Le commandant du secteur de la Woëvre méridionale dispose du 6e corps d'armée et de la 7e division de cavalerie. Il a pour mission de couvrir les ateliers de débarquement de la vallée de la Meuse entre Verdun et Commercy, et de s'opposer à toute attaque brusquée contre Toul et Verdun. Il doit également envisager la possibilité de soutenir les troupes du secteur de la basse Meurthe sur la rive droite de la Moselle, dans le cas d'une attaque débouchant de Metz.
La répartition des forces sera la suivante : 42e division, dans la région de Fresnes-en-Woëvre et Thillot-sous-les-Côtes; 40e division, dans la région de Beaumont, Flirey, Domèvre-en-Haye ; 12e division, entre Vigneulles-lès-Hattonchâtel et Heudicourt. Les organisations préparées dès le temps de paix sur les Hauts-de-Meuse, de Creue à Haudiomont, seront effectuées d'abord sur les points les plus importants par les éléments du 6e corps d'armée ( Le général commandant la IIIe armée fera ultérieurement compléter l'ensemble des organisations prévues.).
Le commandant du secteur de la Woëvre septentrionale dispose d'abord de la 4e division d'infanterie et de la 4e division de cavalerie, puis de tout le 2e corps d'armée. Il a pour mission d'assurer la protection des ateliers de débarquement échelonnés sur la Meuse au nord de Verdun et de garantir le front de cette place contre un enveloppement par le nord. En outre, la 8e brigade d'infanterie occupe les passages de la Meuse, de Sedan à Givet. Le gros de la 4e division d'infanterie est rassemblé entre l'Othain et la Loison, à l'ouest de Longuyon. Un détachement de 6 compagnies assure, dans la région d'Azannes, la liaison avec la place de Verdun et occupe la côte de Romagne ( Jusqu'à l'arrivée du 4e C.A.). Les positions, dont l'organisation est étudiée dès le temps de paix, s'étendent sur les hauteurs au sud-est et au nord-ouest de Montmédy, constituant la tète de pont de Montmédy.
L'Instruction de couverture envisage ensuite des dispositions en cas de violation de la neutralité de la Belgique, et en cas d'une attaque brusquée sur notre frontière.
Dans la première éventualité, le corps de cavalerie rassemblé dans la région de Mézières est prêt à se porter au-devant des colonnes ennemies qui auraient violé le territoire belge. Le général commandant le corps de cavalerie exécuterait alors, sur l'ordre du général en chef, la mission indiquée dans ses Instructions spéciales ( Voir ci-dessus le plan de concentration, Instructions spéciales au corps de cavalerie.). La 8e brigade d'infanterie, chargée de tenir les passages de la Meuse à Sedan, Mézières et Givet, passerait sous les ordres du général commandant le corps de cavalerie.
L'attaque brusquée consiste dans " l'irruption sur le territoire national des troupes ennemies avant que les troupes de couverture aient pu rejoindre leurs emplacements prévus ". Les mesures envisagées dans cette hypothèse ont pour but d'assurer la mobilisation, le groupement tactique et la mise en place aussi rapide que possible des unités de couverture. Les commandants des secteurs dans lesquels une attaque brusquée viendrait à se produire pourraient, avant l'arrivée du télégramme de couverture, prescrire certaines mesures préparatoires: rappel des réservistes, réquisition des chevaux et mouvements par voie de terre. Enfin, dans les villes situées à moins de 30 kilomètres de la frontière, les commandants d'armes doivent prévoir certaines dispositions, telles que l'alerte de la garnison, et des mesures de sécurité immédiate.
Les conditions d'envoi des télégrammes relatifs à la couverture font l'objet de mesures prévues au journal de mobilisation de l'état-major de l'armée ( 3e bureau). Tandis que, sur le théâtre des opérations du Nord-Est, les troupes sont dirigées directement sur leur destination finale, sur le théâtre du Sud-Est, le télégramme de couverture a seulement pour effet l'acheminement des troupes sur les terminus des voies ferrées, en des points dits de destination initiale.
Deux cas distincts sont d'ailleurs envisagés : mise en route simultanée de la couverture sur la frontière du Nord-Est et du Sud-Est; mise en route de la couverture sur la frontière du Nord-Est seule.
VII. - LE PLAN DE RENSEIGNEMENTS.
Après avoir arrêté les mesures en vue de la mobilisation et de la concentration des forces dont il dispose, le commandant en chef doit encore envisager la manière dont il pourra se procurer les informations nécessaires pour mettre en œuvre, suivant les circonstances, son plan d'opérations initial. Les dispositions établies dès le temps de paix pour rechercher et obtenir ces informations constituent le " plan de renseignements ".
A cet effet, le commandement dispose, en dehors des données que peut procurer le combat lui-même, de trois organes distincts : le service spécial, l'exploration aérienne, la cavalerie.
Pour chacun de ces organes, le plan XVII prévoyait des dispositions particulières :
Un " plan de recherches " pour le service spécial ; Un " plan d'exploration stratégique aérienne ";
Des " missions d'exploration " à confier à la cavalerie.
Pendant la période de tension politique, les renseignements ne peuvent être demandés qu'au service spécial. A partir du début des hostilités on combinera l'action des trois organes, utilisés suivant le rendement propre à chacun d'eux. Sur le front, la cavalerie ne pourra donner que le contour apparent des forces adverses; vers l'aile droite française le double obstacle du Rhin et de la Forêt Noire limitera aussi son action ; par contre, à la gauche du dispositif, et particulièrement en cas de violation de la Belgique, la cavalerie trouvera le champ libre à l'exploration. C'est pourquoi on envisage la possibilité d'orienter de ce côté six divisions de cavalerie, et même sept, si l'on compte la cavalerie anglaise, de façon à obtenir la supériorité nécessaire pour voir clair dans le jeu de l'ennemi. La recherche des gros ennemis et le sens de leurs mouvements seront demandés particulièrement à l'exploration stratégique aérienne.
D'autre part, le plan de renseignements envisage le maximum d'informations qu'il faut s'efforcer d'obtenir. Pour préciser le but à atteindre et la méthode de recherche, il a été divisé en plusieurs chapitres correspondant aux différentes périodes. L'ensemble constitue un questionnaire très précis indiquant les informations qu'il y a lieu de rechercher.
Les principales questions posées sont les suivantes :
Pendant la période de tension politique, on doit rechercher les indices révélant les préparatifs de l'Allemagne contre la France et ses alliés et contre les pays neutres. En particulier, prépare-t-elle une offensive brusquée dans la direction de Liége ou de Bâle ? Quels sont les préparatifs faits par la Belgique et la Suisse pour résister à une invasion ?
Y a-t-il des indices d'attaque brusquée sur le front français et dans quelle direction ?
Pendant la période de couverture, qui s'étend jusqu'au 6e jour environ, il importe essentiellement de savoir si les Allemands violent ou s'apprêtent à violer la frontière du Luxembourg et surtout celle de la Belgique, en quels points et avec quelles forces. Dans cette éventualité, la recherche des débarquements serait à poursuivre dans la zone des quais où aboutissent les voies comprises entre la ligne de Coblentz à Trèves et la ligne de Crefeld à Aix-la-Chapelle, car il importe " essentiellement de savoir jusqu'où s'étendent au nord les rassemblements importants; s'ils comprennent des formations actives ou uniquement des formations de réserve ."
Dans l'éventualité d'une offensive brusquée, appuyée ou non par des formations hâtives, les recherches devraient surtout porter sur les rassemblements et les mouvements des corps de couverture. Les objectifs possibles de cette offensive peuvent être, par ordre d'importance, Nancy, Verdun, Hattonchâtel, Saint-Dié.
Il y a lieu aussi de vérifier si les Allemands préparent des organisations défensives, et en quels points : à la côte de Delme, autour de Château-Salins et Dieuze, vers Morhange, vers Sarrebourg, sur la ligne Mutzig, Molsheim, Strasbourg ?
L'attention est aussi attirée sur les difficultés auxquelles se heurterait une offensive française en Haute-Alsace et dans les Vosges; en particulier prépare-t-on des organisations défensives dans la région de Colmar ? prépare-t-on ou effectue-t-on des repliements à Mulhouse ? que se passe-t-il sur la rive gauche du Rhin, de Strasbourg à Bâle ?
La période de concentration , qui s'étend du 7e au 12e jour est caractérisée par la recherche des gros rassemblements adverses. On continue également à rechercher les renseignements déjà indiqués dans les périodes précédentes, mais la question essentielle demeure la détermination des ailes. Il importe que toute violation des frontières belge ou suisse soit immédiatement signalée.
A la fin de la période de concentration et au début de la période des grandes opérations, qui pourront commencer à partir du 12e jour, il y a lieu de rechercher le sens dans lequel se mettent en mouvement les gros rassemblements ennemis et l'emplacement des armées de seconde ligne. En particulier, il y a un intérêt spécial à connaître le sens et l'amplitude des mouvements allemands qui pourraient se faire par la Belgique, comment s'orientent les forces rassemblées en arrière de Thionville et surtout les " forces rassemblées en arrière de Metz qui constitueront, probablement, la masse principale allemande; se dirigent-elles franchement vers l'ouest ou s'infléchissent-elles vers le sud-ouest " ? Ce renseignement serait particulièrement intéressant en ce qui concerne les contre-attaques à prévoir contre les flancs de l'offensive française se développant entre Metz et les Vosges.
Le plan de renseignements envisage ensuite les données à recueillir pour connaître les éléments laissés par les Allemands face à la Russie et sur les côtes, et il prévoit la surveillance à exercer sur les voies ferrées pouvant être utilisées pour le transport vers l'Allemagne de troupes italiennes, de même que sur celles permettant de transporter des corps autrichiens sur la frontière française.
Enfin, le plan indique toute l'importance qu'il y a pour le commandement français à être tenu exactement au courant des mesures prises dans les pays neutres et en particulier de la répartition des troupes et des travaux de défense exécutés en Belgique et en Suisse.
Ce plan, examiné par le général Joffre et approuvé par lui le 28 mai 1914, a servi de base aux plans spéciaux établis par chacun des organes utilisés, ainsi qu'il a été dit plus haut.
Le plan XVII, dont on vient d'exposer la genèse et de retracer les grandes lignes, entra en vigueur à la date du 15 avril 1914.
Aussi, lorsque survinrent les événements du mois d'août, le commandement se trouvait prêt à appliquer dans l'ordre, la méthode et le calme les dispositions d'un plan tout récemment mis à jour.
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