LA MANOEUVRE EN RETRAITE

CHAPITRE I - LE HAUT COMMANDEMENT DANS LA BATAILLE DES FRONTIERES (20-23 AOÛT) ET L'INSTRUCTION GENERALE DU 25 AOÛT

Ce texte est tiré de l'ouvrage "LES ARMEES FRANCAISES DANS LA GRANDE GUERRE" TOME 1, VOLUME 2, CHAPITRE I, de la page 2 à la page 26, ce document est reproduit avec l'autorisation du Service Historique de l'Armée de Terre N° 24/03/2000*004130. Merci au SHAT.

LA MANOEUVRE EN RETRAITE

 

CHAPITRE I - LE HAUT COMMANDEMENT DANS LA BATAILLE DES FRONTIERES (20-23 AOÛT) ET L'INSTRUCTION GENERALE DU 25 AOÛT

 

En quatre jours de combat, du 20 au 23 août ainsi qu'on l'a vu, le sort de la bataille des Frontiéres s'était décidé. Elle aboutissait pour nos armes à un échec complet, qui ouvrait la porte à l'invasion du territoire.

Son plan initial ainsi bouleversé, le général Joffre va être amené, dans les conditions les plus difficiles, à concevoir et à monter sans délai une manœuvre entièrement nouvelle.

Pour replacer le lecteur en face de la situation, il est nécessaire de rappeler comment s'exerça l'action du généralissime du 20 au 23 août, au cours des opérations qui ont été exposées dans le premier volume.

On retracera ensuite son rôle dans les journées des 24 et 25 août, en anticipant sur les chapitres qui suivent.

C'est dans l'exposé de ces derniers événements que l'on trouvera la genèse de l'Instruction générale n°2, qui, le 25 août au soir, arrête les grandes lignes du nouveau plan.

Le 20 août au matin, le général Joffre fait part de la situation au ministre de la Guerre :

En Haute-Alsace, nous avons occupé Mulhouse. Dans la région d'Altkirch, nous ne progressons que très lentement. Par contre, nous occupons la région de Guebviller. Aucun changement notable entre le Donon et Münster.

Nous avons atteint la région de Sarrebourg, mais, de ce côté, nous nous trouvons en face d'une position fortifiée.

Dans la région des Etangs, nous n'avons pu déboucher du canal des Salines, mais nous avons occupé Dieuze et les hauteurs au nord. Nos avant-gardes ont atteint Morhange et Delme.

Rien de nouveau dans la partie nord, sauf une rencontre heureuse de cavalerie vers Florenville.

Toute notre gauche s'avance entre la Sambre et la Meuse.

En somme, la situation parait favorable au général en chef qui attend avec confiance le développement des opérations projetées.

A l'heure où cette communication est transmise à Paris, nos armées de droite se trouvent violemment engagées : la Ire dans la bataille de Sarrebourg, la IIe dans celle de Morhange. Dès lors, les mauvaises nouvelles vont se succéder sans trêve au grand quartier général de Vitry-le-François.

Ce 20 août à midi, le général de Castelnau fait savoir qu'il envisage le repli de ses troupes sur la ligne Donnelay, Marsal, la tête de pont de Château-Salins et le Grand Couronné. Cette retraite de la IIe armée est confirmée dans l'après-midi.

La Ire armée, attaquée elle-même sur tout son front, s'est reportée sur une première ligne de résistance de Kerprich-aux-Bois à Soldatenkopff, où le général Dubail a l'intention de se maintenir, tout en déclarant qu'il ne peut plus songer à reprendre l'offensive.

Le commandant en chef suspend aussitôt l'embarquement du 9e corps en cours d'exécution et maintient sa division de queue à Nancy à la disposition du général de Castelnau.

En même temps, il prescrit aux deux commandants des deux armées de droite d'arrêter la progression ennemie sur les positions de repli que leurs troupes auront à organiser. Le général Dubail prendra en outre ses dispositions pour assurer la sécurité de son flanc gauche.

Ainsi, dès le 20 août au soir, malgré un succès remporté dans la région de Mulhouse, l'action offensive de notre aile droite parait sérieusement compromise, sinon définitivement enrayée.

Le général en chef n'en poursuit pas moins l'exécution de son plan initial. Il donne donc à la IIIe armée l'ordre d'entamer, le 22 août, son mouvement en direction d'Arlon, tandis que la IVe armée se préparera à déboucher au nord de la Semoy au premier signal.

A l'aile gauche, préoccupé de coopérer avec les forces belges, il autorise le général Lanrezac à jeter une de ses divisions de réserve sous la place de Namur.

Le 21 août dans la matinée, le commandant en chef résume ainsi qu'il suit les événements de la veille.

Nous avons remporté hier un très brillant succès dans la région de Mulhouse. 24 canons ont été pris et les Allemands rejetés sur le Rhin. Dans les Vosges, l'ennemi, venant de Strasbourg, a attaqué en direction de Schirmeck. Nous avons repris l'offensive. Aucune nouvelle précise de la situation n'est parvenue.

Dans la région de Sarrebourg, la situation s'est maintenue stationnaire pendant toute la journée, bien que nous nous heurtions de ce côté à une organisation fortifiée et à des forces importantes.

Par contre, nos forces qui avaient débouché au nord de la Seille se sont, elles aussi, heurtées à des positions organisées et ont été très violemment contre-attaquées par des forces très supérieures.

Les événements amèneront nécessairement un nouveau recul des éléments poussés jusqu'à Sarrebourg. Il est possible que nous soyons momentanément réduits à la défensive de ce côté. Mais les troupes qui y ont été engagées ont rempli la partie essentielle de leur mission en accrochant et retenant devant elles des forces au moins égales et peut-être supérieures. L'intérêt principal pour l'ensemble des opérations n'est d'ailleurs plus de ce côté et le moment approche des actions décisives.

Cependant, la IIe armée a poursuivi son mouvement de repli jusque sur la Meurthe, et la situation apparaît si grave au général de Castelnau, dont les 15e, 16e et 20e corps ont été très éprouvés, qu'il envisage l'éventualité d'une nouvelle retraite dans la direction des Hauts de Meuse sous le couvert du canon de Toul.

Tout en lui prescrivant aussitôt de tenir au moins vingt-quatre heures, autour de Nancy le commandant en chef autorise le général de Castelnau à faire dérober le gros de ses forces derrière le Madon, en s'appuyant au camp retranché de Toul, qui est placé sous ses ordres. Dans la journée, heureusement, la situation s'améliore à la IIe armée qui se reconstitue derrière la Meurthe, de Nancy à Lunéville. L'ennemi a d'ailleurs peu progressé.

De son côté le général Dubail a dû reporter, non sans regret, sa ligne de repli sur la Vezouse.

Vers la gauche, les renseignements sur les mouvements de l'aile droite allemande en Belgique commencent à se préciser. Les forces ennemies paraissent comprendre cinq corps d'armée et trois divisions de cavalerie au nord de la Meuse, tandis que les passages de troupes se poursuivent au nord du camp retranché de Liège.

Le 21 août au matin, le général Joffre prescrit à la IVe armée d'orienter ses colonnes vers le nord, avec mission d'attaquer l'ennemi partout où on le rencontrera. Dans la soirée, il précise au général de Langle le but à atteindre : acculer à la Meuse, entre Dinant, Namur et l'Ourthe, toutes les forces adverses rencontrées dans cette région. La IIIe armée couvrira le flanc droit de la IVe contre les troupes allemandes qui se trouveraient dans le Luxembourg.

La Ve armée, de son côté, reçoit comme objectif le groupement ennemi du Nord. A la gauche du général Lanrezac, le maréchal French coopérera à l'action en portant le gros de ses forces dans la direction de Soignies.

Tout en se déclarant prêt à franchir la Sambre que bordent ses avant-gardes de Namur à Thuin, le général Lanrezac fait alors remarquer qu'en débouchant dés le 22 août sur la rive gauche la Ve armée s'expose à livrer bataille seule. Pour agir en liaison avec les Anglais, elle devrait attendre le 23 , peut-être même le 24. Le commandant en chef laisse, en conséquence, le général Lanrezac juge du moment où il lui conviendra de commencer son mouvement offensif.

Le 22 août au matin, la situation de l'ennemi connue du commandant en chef est la suivante :

D'après un renseignement fourni la veille au soir parle grand quartier général belge les corps d'armée allemands opérant dans la région de Bruxelles semblent avoir fait, dans la journée du 21 août, une conversion vers le sud après avoir dépassé Bruxelles. Le 4e corps qui a débouché par la chaussée de Ninove s'est rabattu sur Hal.

A sa droite, le 2e corps a marché de Vilvorde sur Alost, mais n'a pas encore atteint ce dernier point.

La cavalerie, forte d'une division au moins, qui couvre les mouvements de l'aile marchante, a atteint Alost, d'où elle éclaire vers Gand, deux autres divisions de cavalerie couvrent vers le sud-ouest. On est sans renseignements nouveaux sur les mouvements des 9e, 10e et 7e corps, et sur l'emplacement de la Garde.

Cependant, dans la matinée, le commandant en chef adresse au ministre de la Guerre le compte rendu suivant :

Nos forces, qui ont tenté de déboucher de la Seille le: 20 août, se sont heurtées à des positions fortifiées et ont été l'objet d'une contre-attaque violente de la part de l'ennemi. Celles qui débouchaient entre Mittersheim et Marsal n'ont jamais pu prendre complètement pied sur les hauteurs de la rive droite. Par contre, le corps qui débouchait par Château-Salins avait pu s'avancer en direction de Morhange, peut-être un peu vite et avant que les troupes destinées à couvrir son flanc gauche n'aient débouché. C'est ce corps qui, pris de front et de flanc, a le plus souffert. Les pertes sont sérieuses et il a laissé 21 canons entre les mains de l'ennemi.

Actuellement, ces forces se sont repliées pour se reposer et se réorganiser dans la région de Nancy. L'ennemi parait avoir de son côté beaucoup souffert.

Cet échec a amené un recul de nos éléments opérant vers Sarrebourg et dans la vallée de la Bruche, qui se fussent trouvés en pointe. Ces éléments ont été ramenés sur la ligne générale de la Vezouse et du col de Saales.

La situation reste très bonne en Alsace où nous sommes aux portes de Colmar.

Au nord, nous avançons en direction de Longwy et de Neufchâteau. L'ennemi cherche à investir et à attaquer Namur et il s'est présenté sur la Sambre.

"Je pense qu'il vous appartient, conclut le général en chef, de déterminer dans quelle mesure il y a lieu de communiquer à la presse notre échec de la Seille. Tout le monde y a fait son devoir."

De ce côté, d'ailleurs, le commandant en chef ne perd pas de vue l'éventualité d'une reprise de l'offensive. Toutefois, il juge nécessaire, en attendant, non seulement de durer sur ce théâtre d'opérations, mais d'y maintenir l'ennemi. En conséquence, tandis que le général de Castelnau reconstitue ses troupes sur le Grand Couronné de Nancy et sur les positions entre la Meurthe et la Moselle, la Ire armée s'établira dans la région des Vosges, de manière à prendre en flanc toute attaque ennemie qui menacerait la IIe. Quant à l'armée d'Alsace, elle tiendra les cols des Vosges, en maintenant une couverture dans la plaine.

Cependant, l'ennemi lance sur le front de la IIe armée une violente attaque contre les hauteurs au nord de Lunéville qu'il nous oblige à abandonner ainsi que la ville elle-même. Comme le général de Castelnau n'entend accepter la bataille que sur les positions qu'il a choisies, il replie ses deux corps de droite sur les hauteurs de Saffais, Belchamp où ils s'organisent.

Sur tout le front de nos armées de gauche, la bataille s'est engagée le 22 août, ainsi qu'on l'a vu, mais le commandant en chef ne peut y intervenir tant que la situation ne se sera pas précisée.

Il se borne donc à demander au ministre l'envoi, dans la région d'Arras d'une quatrième division territoriale à la disposition du général d'Amade et à orienter le corps de cavalerie Sordet contre les forces de cavalerie allemande qui opèrent au nord de Mons et inquiètent nos populations du nord.

Le 23 août au matin, le général Joffre expose au ministre la situation : Au sud, la question de l'Alsace serait actuellement facile à régler, mais son occupation n'offre aucun intérêt militaire tant que l'ennemi ne sera pas battu sur les autres points. Le commandant en chef est dont résolu à la dégarnir pour reporter dans les Vosges la majeure partie des forces qui ont remporté le succès de Mulhouse.

Dans les Vosges la situation, dans son ensemble ne paraît pas modifiée. Il est difficile vu la nature du terrain, d'obtenir des renseignements rapides. Probablement, l'ennemi doit avoir, comme nous, besoin de répit pour se refaire.

En Lorraine, nous sommes établis sur le Grand Couronné de Nancy et sur la Meurthe, où nous avons l'intention d'accepter la bataille.

Entre la région de Longwy et celle de Mézières, nous avons pris, depuis le 21 août l'offensive avec des forces considérables. Dans la partie droite, sur le front Longwy, Virton, l'action se poursuit, mais nous ne progressons que lentement malgré une supériorité numérique marquée et bien que notre artillerie ait presque partout fait taire l'artillerie adverse. Dans la partie gauche de Virton à la Meuse, se développe une action en terrain parfois très difficile. Là encore, nous devons avoir la supériorité numérique. Notre progression rencontre cependant de grosses difficultés. Toutefois, l'ennemi, dont nous attaquons les colonnes en marche vers l'ouest, doit être de son côté dans une situation difficile.

Au nord, nous tenons toujours la Meuse dans la région de Dinant. Par de violentes attaques, l'ennemi a pu déboucher de la Sambre entre Charleroi et Namur. Nous conservons de ce côté de fortes réserves qui ne sont pas encore engagées. Enfin, l'armée anglaise va entrer en action à notre gauche.

" Dans l'ensemble, la manœuvre stratégique est, par conséquent terminée ", conclut le général en chef . Elle a eu pour objet et pour résultat de mettre le gros de nos forces au point qui pouvait être pour l'ennemi le plus sensible et de nous assurer en ce point la supériorité numérique. La parole est maintenant aux exécutants, qui ont à tirer parti de cette supériorité. La question est donc une question de valeur, valeur de commandement et valeur des troupes, et surtout une question de persévérance dans l'exécution."

Toutes nos armées en effet se trouvent actuellement en ligne et chacune d'elles a reçu sa mission précise. L'armée britannique a été priée de coopérer à l'action. Le commandant en chef français a réparti toutes les divisions de réserve arrivées dans la zone de concentration et il ne dispose plus pour le moment de grandes unités qui lui permettraient d'intervenir immédiatement et directement dans la bataille. Il ne peut donc que s'attacher à coordonner les efforts des exécutants dans la manœuvre d'ensemble.

Ainsi, le 23 août au matin, il avise le général de Langle que la IIIe armée, à sa droite, se trouvait en bonne situation la veille à midi, puis les généraux Ruffey et Lanrezac que la IVe armée elle-même était engagée en même temps dans de bonnes conditions sur le front Paliseul, Bertrix, Meix-devant-Virton.

Malheureusement, le commandant de la IVe armée fait connaître son intention de reporter ses troupes sur le front Montmédy, Puilly, Villers-Cernay, Saint-Menges, et envisage même un repli sur la rive gauche de la Chiers et de la Meuse.

Le général Joffre réplique en prescrivant de reprendre l'offensive le plus tôt possible, la IVe armée n'ayant pas plus de trois corps d'armée ennemis. devant elle.

A l'aile gauche, il demande au général Lanrezac de faire connaître ses intentions ainsi que la situation de l'armée anglaise. Le commandant de la Ve armée compte tenir sur la ligne Thuin Nalinnes, Saint-Gérard. Le maréchal French de son côté a pris la décision de rester vingt-quatre heures sur la position qu'occupent ses forces le 23 août au matin : Haulchin, la Longueville, Jemmapes, Saint-Ghislain, en liaison vers le Rumont avec le groupe de divisions de réserve qui forme la gauche du général Lanrezac.

D'autre part, le général Joffre presse l'envoi de la 88e division territoriale pour couvrir la région Lille, Roubaix, Tourcoing, et, en vue de se reconstituer des réserves stratégiques, il demande au ministre de diriger vers le nord deux divisions de la défense mobile de Paris.

C'est cette même préoccupation qui l'amène à prescrire au commandant, de l'armée d'Alsace de disposer le 7e corps, prêt à être enlevé, le long de la voie ferrée Lure Belfort, Giromagny.

Enfin, il rappelle au général Maunoury, commandant de l'armée de Lorraine, que sa mission est d'interdire à l'ennemi le passage entre Toul et Verdun, tout en restant libre de n'accepter la bataille que sur les Hauts de Meuse organisés.

Mais, en fin de journée du 23 août, le général en chef rend compte au ministre que notre offensive entre Longwy et la Meuse se trouve momentanément arrêtée. Il en attribue la cause première à plusieurs défaillances individuelles qui ont nécessité des sanctions. Trois divisions mal engagées ont particulièrement souffert. " Je m'efforce de faire reprendre l'offensive ", conclut le général Joffre. Sur la Sambre, le combat n'a pas repris le matin.

La situation, telle quelle apparaît au commandant en chef, est à ce moment la suivante :

En Lorraine, le général de Castelnau s'attend à une attaque imminente sur le Couronné de Nancy. Toutefois, la IIe armée reconstituée sur des positions défensives réorganisées se tient prête non seulement à soutenir le choc, mais à contre-attaquer si l'occasion s'en présente.

La Ire armée, qui, le 20 août, parait avoir été moins éprouvée que la IIe, a poursuivi sa retraite sans être pressée par l'ennemi. Le 23 août; elle a repoussé une attaque dans la région de Badonviller, Montigny, et, en fin de journée, elle a établi ses corps de droite entre la forêt de Charmes et Rambervillers ses corps de gauche sur la ligne Baccarat, Montigny, col du Bonhomme. Le général Dubail s'est ainsi mis en mesure d'agir contre le flanc gauche de l'ennemi dans le cas où celui-ci attaquerait la droite de la IIe armée.

Le commandant en chef paraît donc délivré de toute inquiétude immédiate pour ses armées de droite.

Par contre, la IIIe armée, au centre, s'est repliée sur le front Nouillonpont, rive gauche de la Crusnes et de la Chiers, d'Arrancy à Velosnes et Montquintin. Elle se prépare toutefois à reprendre l'offensive avec l'aide de l'armée de Lorraine, celle-ci étalée dans la Woëvre, de Pont-à-Mousson à Spincourt, en avant des côtes de Meuse.

La IVe armée plus éprouvée a dû se reporter sur la ligne Somme-Thonne, Villers-devant-Orval, Matton, Messincourt, Escombes sur la rive droite de la Chiers, et Mogimont, Orchimont, Willerzie sur la basse Semoy.

La Ve armée a été attaquée dans l'après-midi du 23 août, tant sur sa droite où des forces allemandes ont franchi la Meuse que sur son front nord où l'ennemi a forcé les passages de la Sambre.

Dans la soirée, de sa propre initiative, le général Lanrezac a prescrit à ses corps de se retirer sur le front Merbes-le-Château, Philippeville, Givet. Vraisemblablement, les Anglais vont être entraînés par le recul de la 5e armée.

Cependant l'aile droite allemande a poursuivi et accentué son mouvement vers le sud. On estime au grand quartier général de Vitry-le-François que, dans la soirée du 23 août, les têtes de colonnes des 2e, 4e, 9e et 7e corps atteindront la ligne générale Ath, Enghien, Soignies, Seneffe et Pont-à-Celles sur le canal de Mons à Charleroi, tandis que le 10e corps et la Garde seraient devant la droite de notre Ve armée.

Ce mouvement est couvert sur la rive droite de la Dender par la 2e division de cavalerie, dans la région de Leuze par des fractions de la 9e division de cavalerie, appuyée par des troupes de toutes armes. Des éléments de découverte sont à Tournay, Anthoing, Condé-sur-Escaut.

Une voie ferrée serait en construction d'Aix-la-Chapelle à Visé, où il existe deux ponts de bateaux.

Des divisions de réserve seraient poussées vers le camp retranché d'Anvers.

Devant Namur, une attaque allemande a été exécutée la nuit dernière dans le secteur Cognelée, Marche-les-Dames; l'ennemi se serait emparé de la première ligne de défense.

Sur l'ensemble des renseignements recueillis jusqu'au 23 août, le 2e bureau du G. Q. G. détermine ainsi qu'il suit l'ordre de bataille des armées allemandes, du nord au sud :

Deux armées de la Meuse :

la IIe armée comprenant la moitié du 2e corps, les 4e, 9e, 7e corps et la Garde, les 2e, 9e divisions de cavalerie, et la division de cavalerie de la Garde;

la IIIe armée comprenant les 11e, 3e et 6e corps, vraisemblablement sur la rive droite, et la 5e division de cavalerie;

l'armée du Luxembourg belge : IVe armée, composée des 12e, 19e et 18e corps et de la 3e division de cavalerie;

l'armée du Luxembourg - Ve armée - comprenant le 8e corps et des éléments des 13e et 16e corps, la 6e et peut-être la 7e division de cavalerie ;

l'armée de Lorraine : VIe armée composée des 1re, 2e, 3e corps bavarois, 21e corps, des divisions de cavalerie saxonne et bavaroise;

enfin, l'armée d'Alsace - VIIe armée - dont le groupe du nord comprend des éléments du 13e corps, les 14e et 15e corps, et le groupe du , sud, des formations de réserve et de dépôt.

La 1re armée allemande n'est pas encore identifiée.

Bien qu'en définitive l'offensive générale prescrite par le commandant en chef ait échoué partout, celui-ci n'abandonne aucunement l'idée de la reprendre.

Il a d'ailleurs été avisé le 22 août que les forces russes formant 10 armées, dont 7 engagées contre l'Allemagne et l'Autriche ont elles-mêmes pris l'offensive sur toute la ligne. A cette date, nos alliés se sont avancés de 30 à 40 kilomètres en Prusse Orientale, tandis que leurs forces opérant sur la rive gauche de la Vistule se préparent à marcher directement sur Berlin.

Le 24 août, la nouvelle sera confirmée au grand quartier général français que l'offensive russe en Allemagne s'effectue par grandes masses " avec toute la célérité possible et la plus grande inflexibilité ".

Ce jour-là, dans la matinée, le commandant en chef résume ainsi qu'il suit la situation, et fait part au ministre de ses nouvelles intentions :

Les craintes que les journées précédentes avaient inspirées sur l'aptitude offensive de nos troupes en rase campagne ont été confirmées par la journée d'hier qui a définitivement enrayé en Belgique notre offensive générale.

Dans la région des Vosges, l'ennemi a essayé de poursuivre hier son mouvement à notre droite. Il nous a repris le col de Sainte-Marie. Il paraît progresser dans la région comprise entre la Vezouse et les hauteurs d'Hablainville. Nos troupes ne sont pas encore en état de reprendre de ce côté l'offensive.

Dans la région de Nancy, les Allemands ont tenté quelques attaques partielles contre le Grand Couronné, Saffais, Belchamp. Ces attaques ont été repoussées.

En Belgique, dans la région comprise entre Longwy et la Meuse, notre offensive générale est enrayée définitivement. Nous avons progressé sur certains points. Mais notre recul sur d'autres a entraîné le résultat d'ensemble.

Au nord, notre armée, opérant entre Sambre et Meuse et l'armée anglaise, a dû subir des échecs dont on ne connaît pas encore la portée, mais qui l'ont contrainte à reculer sur la ligne Givet, Maubeuge, Valenciennes.

Enfin, plus au nord, le mouvement enveloppant des Allemands a paru s'accentuer encore dans la journée d'hier.

" Force est donc de sa rendre à l'évidence, conclut le général Joffre. Nos corps d'armée, malgré la supériorité numérique qui leur avait été assurée, n'ont pas montré en rase campagne les qualités offensives que nous avaient fait espérer les succès partiels du début, succès obtenus surtout dans des opérations de montagne.

" Nous sommes donc condamnés à une défensive appuyée sur nos places fortes et sur les grands obstacles du terrain, en cédant le moins possible de territoire.

" Notre but doit être de durer le plus longtemps possible en nous efforçant d'user l'ennemi et de reprendre l'offensive le moment venu." Ainsi, le commandant en chef manifeste l'intention de faire appel d'une condamnation à la défensive, qu'il considère comme momentanée.

Dès le matin de ce 24 août, préoccupé de se reconstituer des disponibilités à notre aile gauche, il avise le commandant de l'armée d'Alsace que la plus grande partie du 7e corps sera transportée vers le Nord. Il établit ensuite les premières directives d'une manœuvre en retraite articulée, dont l'exécution lui donnera le temps et l'espace nécessaires pour mettre sur pied son nouveau plan et en régler les conditions d'application. Chacune des armées reçoit en conséquence une mission bien définie.

L'armée de Lorraine se bornera à la défense des Hauts de Meuse sur les positions organisées en solide barrage au nord et au sud de Verdun.

Les corps de la IIIe armée seront ramenés sur la ligne Montmédy, Damvillers, Azannes.

La IVe armée reportera ses forces sur la rive gauche de la Meuse, en aval de Stenay, et sur les hauteurs de la rive droite, entre Mouzon et Stenay, et s'organisera sur ces positions. Elle récupérera à gauche un ou deux corps d'armée pour se relier dans la région de Rimogne, le Châtelet avec la Ve armée. En attendant, la liaison sera assurée par la cavalerie. Le général de Langle restera juge du moment on ses corps de gauche pourraient se porter sur Rimogne.

La Ve armée manœuvrera en retraite, en prenant appui sur la place de Maubeuge et, par sa droite, au massif boisé des Ardennes. Elle recherchera la liaison avec la IVe armée vers Rocroi et Rimogne, tout en lia conservant d'autre part avec l'armée anglaise.

A titre de simple renseignement, pour permettre aux commandants d'armée d'établir leurs ordres, le cas échéant, le général en chef délimite les zones de repli éventuelles par les lignes suivantes : entre les Anglais et la Ve armée, Maubeuge, le Cateau, Bohain; entre les Ve et IVe armées, Rocroi, Signy-l'Abbaye, Château-Porcien; entre les IIIe et IVe armées, Stenay, Varennes, Sainte-Menehould, la limite droite de la IIIe armée, passant par Verdun, Souilly.

Le corps de cavalerie, remis aux ordres directs du général en chef, a toujours pour mission de se tenir à la gauche de l'armée anglaise. Il renseignera en outre sur la marche de l'aile droite ennemie et retardera la progression de ses colonnes. Il pourra s'appuyer sur le barrage organisé par les divisions du général d'Amade ".

Au maréchal French, le général en chef suggère la possibilité de retarder la marche des forces allemandes entre Valenciennes et Maubeuge. En présence de forces supérieures, l'armée anglaise pourrait se replier en direction générale de Cambrai, appuyant sa gauche à la ligne d'eau Denain, Bouchain, Arleux, sa droite vers le Cateau.

Dans cette journée du 24 août, le général Joffre est avisé par notre attaché militaire à Londres que l'envoi des 4e et 6e divisions britanniques sur le continent, bien que décidé en principe, ne saurait être envisagé comme immédiat. Sans doute, écrit le lieutenant-colonel de la Panouse, lord Kitchener prévoit l'enrôlement d'une armée de seconde ligne de 500.000 hommes, avec l'idée de pouvoir soutenir un effort prolongé; mais si nous écoutions le chef du War Office, ennemi déterminé de l'offensive, " nous resterions sur la défensive et attendrions trois attaques successives des forces allemandes." Dans tous les cas, lord Kitchener est décidé à conduire la lutte jusqu'au bout.

Quoi qu'il en soit, pour les opérations prochaines, le général Joffre ne peut compter que sur les quatre divisions anglaises débarquées en France.

Quant à l'armée belge sa situation le 24 août, est la suivante :

Ses 1re, 2e, 3e, 5e, 6e divisions d'armée et sa division de cavalerie occupent les secteurs sud de la place d'Anvers, réduit national où se sont réfugiés la famille royale et le gouvernement; 3 brigades mixtes de la 4e division d'armée, le 1er lanciers et les troupes de forteresse formaient la garnison de défense de Namur. Ces éléments ont commencé à évacuer la place le 23 août au soir. L'opération se poursuit le 24, toutes les troupes se repliant en direction de Mariembourg. Toutefois, dans les secteurs ouest et sud de la place, les derniers forts ne tomberont que le 25 août.

Pour parer à la menace que fait peser sur la région française du Nord l'avance de l'aile droite allemande, le commandant en chef prend la série des mesures de précaution suivantes :

En ce qui concerne Lille, que le ministre de la Guerre a déclaré ville ouverte, la place ne sera pas défendue. On évacuera la plus grande partie possible du matériel et on mettra le reste hors de service. Les inondations de Dunkerque pourront être tendues dès maintenant, tandis que tous les dépôts voisins de la frontière seront repliés.

Le général d'Amade reçoit l'ordre d'employer en réserve derrière le barrage Valenciennes, Arras, les deux divisions de réserve dont le débarquement lui est annoncé comme imminent.

Enfin, dans le but de retarder la progression ennemie, le général en chef prescrit toutes les mesures préparatoires relatives à la destruction des voies ferrées du nord et donne délégation aux commandants d'armée pour leur exécution.

Cependant, à l'extrême droite ennemie, des détachements ont occupé Tournai et Condé le 24 août.

Le 2e corps allemand a débouché de Ath à la droite de l'armée anglaise, qui sur son front a eu affaire à des unités des 4e et 9e corps. Notre Ve armée a eu devant elle les 17e et 10e corps et la Garde. Des éléments ennemis appartenant à un autre groupement ont franchi la Meuse à Hastière et des ponts de bateau: sont en construction à Anseremme et Dinant. A l'est de ce dernier point de passage, on signale des rassemblements importants.

Il semble enfin que les corps de la IIe armée allemande soient suivis de formations de réserve portant le même numéro.

A notre droite, la bataille a repris dans la journée du 24 août. Des forces ennemies, qui de la région de Lunéville marchaient vers le sud, ont été contre-attaquées vigoureusement par nos II° et Ire armées dans la région de Nancy, Charmes.

Le 25 août au matin entre 8h 30 et 9 heures, le général en chef adresse au ministre de la Guerre le compte rendu suivant :

La situation sur notre droite ne s'est pas modifiée nos troupes ont contre-attaqué dans la région de Nancy, Charmes et dans celle de Longuyon.

L'échec de notre offensive principale est dû aux causes suivantes : L'armée du général Ruffey (3 corps 1/2) qui devait se porter en direction de Longwy a vu son offensive arrêtée dès le début, en raison de surprises subies par deux divisions (7e et 9e) de ses corps de gauche. Par son énergie et son coup d'œil, le général Ruffey a rétabli les affaires. Le 6e corps a eu une conduite superbe. Hier soir encore il tentait de repasser à l'offensive. Bref cette armée n'a pas progressé, mais elle n'a pas cédé devant l'ennemi. Elle est étayée à droite par l'armée de Lorraine (général Maunoury).

L'armée du général de Langle de Cary (six corps), qui devait attaquer en direction de Neufchâteau, a eu dès ses débuts tout son effort enrayé par suite d'une surprise subie par la 33e division. Le 17e corps tout entier s'étant replié par suite de cet échec, toute la ligne s'en est trouvée disloquée. Peu après, le corps colonial puis le 12e corps étaient violemment attaqués. Le corps colonial, qui a beaucoup souffert, cédait du terrain. Malgré tous ses efforts le général de Langle n'a pu repasser à l'offensive. Il reconstitue derrière la Meuse et la Chiers son armée, dont la majeure partie n'est pas sérieusement entamée.

L'échec de notre offensive dans le Luxembourg belge a eu pour conséquence de permettre à l'ennemi de disposer d'une partie des forces opérant dans cette région pour leur faire passer la Meuse en aval de Givet et lui permettre ainsi de développer son mouvement sur notre gauche.

J'étudie les moyens d'arrêter ce mouvement en abandonnant le terrain nécessaire, en montant une manœuvre nouvelle qui s'opposera à la marche de l'ennemi sur la route de Paris."

Avant d'avoir été touché par ce compte rendu, le ministre de la Guerre se préoccupe pareillement de couvrir la capitale. C'est ainsi qu'à 7 heures M. Messimy adresse de sa main au commandant en chef une lettre dans laquelle, après quelques observations sur le rôle joué par le corps de cavalerie Sordet, il s'exprime ainsi :

"Il m'apparaît clairement que le théâtre d'opérations du Nord va prendre une réelle importance, importance stratégique dans l'ensemble, importance morale du fait de sa proximité de Paris. Il faut constituer une armée pour y combattre. C'est nécessaire à mon avis, étant donné le peu de résistance des territoriaux qui ne tiennent pas."

Après quelques considérations relatives au régime de l'avancement, le ministre termine ainsi :

" Ci joint un ordre dont l'importance capitale ne vous échappera pas : ordre de donner à Paris une garnison minima de 3 corps d'armée actifs en bon état, en cas d'échec.

Il va de soi que la ligne de retraite de l'armée devrait être toute autre, le centre et le sud de la France.

Nous sommes décidés à la lutte à outrance et sans merci." L'ordre annoncé est ainsi libellé :

" Si la victoire ne couronne pas le succès de nos armes et si les armées sont réduites à la retraite, une armée de 3 corps actifs au minimum devra être dirigée sur le camp retranché de Paris pour en assurer la garde.

Il sera rendu compte de la réception de cet ordre.

La résolution du général Joffre n'est pas moins ferme que celle du ministre, comme on va le voir.

Ses premières dispositions arrêtées, il les complète le 25 août par les mesures suivantes :

Deux divisions de l'armée de Lorraine seront rendues disponibles en vue de leur transport sur un autre théâtre d'opérations. Le commandant de l'armée d'Alsace est avisé qu'outre les éléments déjà prévus la 63e division de réserve sera transportée sur une autre partie du théâtre d'opérations.

Le général Sordet reçoit l'ordre de porter son corps de cavalerie à la gauche de l'armée anglaise, pour couvrir ce flanc contre toute tentative d'enveloppement.

Les deux divisions de réserve envoyées au général d'Amade concourront à cette mission. Elles éviteront de se laisser accrocher, et si leur repli était nécessaire il s'effectuerait en direction de Doullens.

D'autre part, la brigade marocaine, transportée vers Amiens, couvrira cette gare contre les entreprises de la cavalerie ennemie, en attendant l'arrivée du 7e corps dans cette région.

Enfin le général Lanrezac devra régler, dans la zone de mouvement qui a été attribuée à son armée, le repli sur Laon de troupes belges qui ont évacué la place de Namur.

Dans le compte rendu qu'il adressera au ministre le 26 août au matin, le commandant en chef résume ainsi qu'il suit la situation des armées alliées : Dans les Vosges, la bataille continue. Dans la région de Lunéville, nous avons refoulé les Allemands sur la Meurthe, en leur enlevant du matériel. L'action se poursuit devant Nancy. Les pertes, qu'on ne peut actuellement évaluer, sont signalées comme devant être considérables de part et d'autre. Le résultat obtenu est dû à une offensive concentrique de nos armées, partant de la région de Rambervillers et de celle de Nancy.

En Woëvre, nous avons rejeté dans la direction de Metz et de Thionville les forces ennemies qui en avaient débouché. Les pertes sont également très importantes. En raison du recul des éléments opérant plus au nord, le général en chef fait replier ces troupes sur les Hauts de Meuse et les avancées de Verdun pour les reconstituer.

Les forces opérant dans la région de Longuyon, fortement attaquées sur la gauche, et aussi en raison du recul de nos troupes opérant entre Montmédy et Mézières, se sont repliées sur les hauteurs au nord de Verdun. De part et d'autre les pertes sont élevées.

Le groupement opérant dans la région Montmédy, Mézières est établi sur la Meuse de Stenay à Mézières avec de fortes réserves sur sa gauche, à l'ouest de Mézières.

Au nord, l'armée du général Lanrezac se trouve entre la région d'Aubenton et celle de Landrecies, au contact avec des colonnes ennemies en marche vers le sud. Le 25 août au soir, les Anglais sont engagés dans la région de Cambrai et de Landrecies, par où ils se relient à la Ve armée. Le corps de cavalerie et le général d'Amade les appuieront sur leur flanc gauche.

" Les renseignements ci-dessus portant indication de nos intentions doivent être tenus absolument secrets ", conclut le général Joffre. En particulier, tout renseignement sur notre intention de céder éventuellement du terrain pour organiser une manœuvre plus en arrière serait de nature à amener l'ennemi à accélérer son mouvement et par conséquent à compromettre le nôtre. C'est pourquoi j'insiste sur la nécessité de conserver le secret le plus rigoureux ".

Le 25 août au soir, la situation des forces ennemies apparaît la suivante au général en chef :

En Belgique, l'armée belge a réoccupé Malines la nuit dernière et a refoulé, le 25 au matin, les forces ennemies qui lui étaient opposées sur une position organisée à Vilvorde.

Dans le Nord, sur le front Condé-sur-Escaut, Sars-la-Bruyère, Beaumont Givet, se trouvent les 2e, 4e, 9e, 7e et 10e corps allemands, le corps de la Garde, avec deux divisions de cavalerie à l'aile droite.

Entre la forêt des Ardennes et le camp retranché de Metz, on pense qu'il y a les corps suivants du nord au sud : 8e et 8e de réserve, 18e et 18e de réserve, des éléments des 6e, 5e, 13e, 16e corps, deux brigades de landwehr et la 33e division de réserve, la 6e division de cavalerie. Des reconnaissances aériennes exécutées dans cette région le 25 août, de 9 à 11 heures, ont signalé :

deux colonnes de toutes armes marchant vers l'ouest, les tètes à Hargnies et Vresse, les queues à Rienne et Baillamont. La région d'Houdremont paraît occupée; trois fortes colonnes respectivement orientées sur Cargnan, Margut, Virton, et dont les têtes débouchaient de la zone boisée au nord de la Chiers.

Aucun mouvement n'a été observé sur les routes nord-ouest d'Arlon, nord de Martelange nord de Witry, non plus que dans la région Neufchâteau, Bertrix, Bouillon.

En Lorraine, le 3e corps bavarois est dans la région de Delme.

Entre Lunéville et les Vosges, nos IIe et Ire armées sont aux prises avec les 21e corps, les 1er et 2e corps bavarois, le 15e corps, et une partie des 13e et 14e corps.

En Haute-Alsace, il y aurait encore à Léopoldshöhe 3 régiments du 14e corps.

Il résulte de certains renseignements que plusieurs corps allemands sont suivis d'un corps da réserve portant le même numéro. Mais le général en chef met les commandants d'armée en garde contre l'estimation erronée qui tendrait à généraliser cette disposition. Les ressources de l'Allemagne en hommes, en cadres et en artillerie ne lui permettent pas de mettre sur pied plus de 40 divisions de réserve. Il semble certain d'autre part, d'après les renseignements actuellement connus, que les forces opposées à la Russie se montent à 20 divisions au moins, dont probablement 8 actives seulement. Il ne peut donc rester que 28 divisions de réserve au plus disponibles contre la France. Si des corps de réserve groupant ces unités existent, ils sont en nombre restreint, 12 au maximum, et d'ailleurs composés d'éléments peu homogènes et faiblement dotés en artillerie.

C'est sur ces données que le commandant en chef établit le 25 août son Instruction générale n° 2, qui est adressée aux armées dans la nuit du 25 au 26.

Comme cette Instruction fixe les grandes lignes du nouveau plan, il est nécessaire de la citer tout entière, en raison de son importance capitale.

" 1° La manœuvre offensive projetée n'ayant pu être exécutée, les opérations ultérieures seront réglées de manière à reconstituer à notre gauche, par la jonction des IVe; Ve armées, de l'armée anglaise et de forces nouvelles prélevées sur la région de l'Est, une masse capable de reprendre l'offensive pendant que les autres armées contiendront, le temps nécessaire, les efforts de l'ennemi.

" 2° Dans son mouvement de repli, chacune des IIIe, IVe, Ve armées tiendra compte des mouvements des armées voisines avec lesquelles elle devra rester en liaison. Le mouvement sera couvert par des arrière-gardes, laissées sur les coupures favorables du terrain, de façon à utiliser tous les obstacles pour arrêter par des contre-attaques courtes et violentes, dont l'élément principal sera l'artillerie, la marche de l'ennemi ou tout au moins la retarder.

" 3° Limite des zones d'action entre les différentes armées :

" Armée W : au nord-ouest de la ligne : Le Cateau, Vermand et Nesle inclus.

" Ve armée : entre cette dernière ligne (exclue ) à l'ouest et la ligne : Rocroi, Liart Rozoy-sur-Serre, Craonne à l'est (incluse).

" IVe armée : entre cette dernière ligne exclue à l'ouest et la ligne : Stenay, Grandpré, Suippes, Condé-sur-Marne à l'est (incluse).

" IIIe armée : y compris l'armée de Lorraine : entre la ligne Sassey, Fléville, Ville-sur-Tourbe, Vitry-le-François (incluse) à l'ouest, et la ligne Vigneulles, Void, Gondrecourt incluse à l'est.

" 4° A l'extrême gauche entre Picquigny et la mer un barrage sera tenu sur la Somme par les divisions territoriales du Nord ayant comme réserve la 61e ou 62e division de réserve.

" 5° Le corps de cavalerie est sur l'Authie; prêt à suivre le mouvement en avant à l'extrême gauche.

" 6° En avant d'Amiens, entre Domart-en-Ponthieu et Corbie, ou en arrière de la Somme, entre Picquigny et Villers-Bretonneux, un nouveau groupement de forces, constitué par des éléments transportés en chemin de fer (7e corps, 4 divisions de réserve, et peut-être un autre corps d'armée actif) est groupé du 27 août au 2 septembre.

" Ce groupement sera prêt à passer à l'offensive en direction générale Saint-Pol, Arras, ou Arras, Bapaume.

" 7° L'armée W, en arrière de la Somme, de Bray-sur-Somme à Ham; prête à se porter soit vers le nord sur Bertincourt, soit vers l'est sur le Catelet.

" 8° La Ve armée aura le gros de ses forces dans la région Vermand, Saint-Quentin-Moy (front offensif) pour déboucher en direction générale de Bohain, sa droite tenant la ligne La Fère, Laon, Craonne, Saint-Erme (front défensif).

" 9° IVe armée : en arrière de l'Aisne sur le front Guignicourt, Vouziers, ou en cas d'impossibilité sur le Front Berry-au-Bac, Reims, Montagne de Reims, en se réservant toujours les moyens de prendre l'offensive face au nord.

" 10° IIIe armée : appuyant sa droite à la place de Verdun et sa gauche au défilé de Grand Pré ou à Varennes, Sainte-Menehould.

" 11° Toutes les positions indiquées devront être organisées avec le plus grand soin de manière à pouvoir y offrir le maximum de résistance à l'ennemi.

" On partira de cette situation pour le mouvement offensif

" 12° Les Ire et IIe armées continueront à maintenir les forces ennemies. qui leur sont opposées. En cas de repli forcé, elles auront pour zone d'action :

" IIe armée : entre la route Frouard, Toul, Vaucouleurs inclus et la route Bayon, Charmes , Mirecourt, Vittel, Clermont inclus.

" Ire armée : au sud de la route Châtel, Dompaire, Lamarche; Montigny-le-Boi inclus.

Ainsi, le commandant en chef n'envisage le repli articulé de ses armées de gauche, s'il lui est imposé par l'ennemi, que comme un moyen de gagner le temps nécessaire à monter une offensive qui sera prise par un nouveau groupement de forces constitué avec toute la rapidité possible.

C'est pour bien marquer cette intention que, le 26 août au matin, il signifie aux commandants des IIIe et IVe armées que l'Instruction générale nouvelle ne constitue pas un ordre de retraite. En particulier, elle n'implique pas l'abandon immédiat de la ligne de la Meuse, qui doit au contraire être utilisée pour arrêter l'ennemi et permettre aux troupes de se reconstituer.

Par ailleurs, le commandant en chef s'est préoccupé de mettre à profit les divers enseignements qui résultent des premiers engagements de la campagne.

Déjà le 13 août, à la suite de surprises qui se sont produites dans quelques cantonnements, il recommande de se garder avec le plus grand soin, tout en ménageant les forces des hommes. On ne doit donc employer aux avant-postes que l'effectif strictement nécessaire et il y a toujours lieu de multiplier les obstacles pour entraver la marche de l'ennemi.

Le 16 août, il adresse aux commandants d'armée la communication suivante :

" Les combats livrés jusqu'ici ont mis en lumière les admirables qualités offensives de notre infanterie. Mais sans vouloir en rien briser cet élan qui est le principal facteur du succès, il importe, surtout lorsqu'il s'agit d'enlever des positions fortifiées, de savoir attendre l'appui de l'artillerie et d'empêcher les troupes de s'exposer hâtivement au feu de l'adversaire.

" Il faut en outre qu'à aucun moment la direction du combat n'échappe aux officiers généraux. L'infanterie doit amorcer l'investissement des points d'appui, les tourner si elle le peut et ne pas se contenter d'aborder directement le front ennemi; l'artillerie doit être mise en batterie aussi nombreuse que possible dès le début de l'engagement. Les attaques seront d'autant plus foudroyantes, d'autant moins meurtrières qu'elles auront été préparées avec plus de soin.

" D'ailleurs chaque fois qu'il en a été ainsi et que le commandement a su opérer avec méthode et rapidité, en liant l'action des deux armes, l'incontestable maîtrise de notre artillerie, la force irrésistible de notre infanterie nous ont procuré immédiatement le succès.

" Le second point sur lequel doit encore être appelée l'attention des officiers généraux, des chefs de corps, ainsi que des commandants des unités de ravitaillement est relatif aux efforts exagérés qu'imposent à toutes les unités les inutiles périodes d'attente et les distributions trop tardives. Certaines formations montées ont dû momentanément interrompre leur service parce qu'elles sont restées sellées jour et nuit, alors que la situation tactique ne comportait en aucune façon les fatigues qui leur ont été imposées.

" Pour assurer le succès final, il ne suffit pas d'avoir de l'élan et du courage, il faut aussi savoir durer et par suite éviter l'usure prématurée de la troupe, aussi bien pendant les marches que pendant le combat: Telle doit être la constante préoccupation du commandement à tous les degrés de la hiérarchie."

Le 18 août, le général en chef fait connaître qu'au dire des prisonniers allemands, notre infanterie tire trop haut et que son tir a peu d'effet aux moyennes distances. Il attire sur ce point important l'attention de tous les corps de troupe.

Le même jour, comme il lui a été rendu compte que l'ordre et la tenue laissaient à désirer dans les trains, parcs et convois, et dans tous les éléments non-combattants, que d'autre part certaines formations de réserve ne donnaient ni en marche ni au stationnement, l'impression de troupes bien commandées, le général en chef invite les commandants d'armée à exiger une stricte discipline sous peine de sanctions très sévères.

En ce qui concerne l'approvisionnement en munitions d'artillerie, le général Joffre demande dès le 17 août au ministre de la Guerre de pousser la fabrication des projectiles de 75 uniquement en obus explosifs, dont les effets sont incomparablement plus puissants que ceux des obus à balles.

Mais il apprend le même jour que des approvisionnements en projectiles de 75 ainsi qu'un grand nombre d'effets d'équipement, ont été expédiés en Belgique. Il appelle aussitôt l'attention du ministre sur ce point que les approvisionnements de nos dépôts sont loin d'être au complet.

" La guerre sera longue et il ne faut pas que nous nous trouvions en défaut." Le général Joffre proteste en même temps contre l'ordre qui a été donné par le ministre d'armer la place de Dijon. Rien ne nous menace de ce côté et le commandant en chef ajoute : " Ma responsabilité devant le gouvernement et le pays est assez grande pour que je ne puisse accepter celle qui résulterait de décisions prises tout à fait hors de moi et sans qu'on m'ait prévenu."

Le 22 août, dans une note au sujet de l'artillerie, le commandant en chef recommande de ne pas engager imprudemment les batteries trop près des crêtes, et, en cas de rupture des communications téléphoniques, d'utiliser la signalisation avec deux signaleurs.

Le 24 août enfin, il adresse à toutes les armées la note suivante :

Il résulte des enseignements recueillis sur les combats livrés jusqu'à ce jour que les attaques ne sont pas exécutées par une combinaison intime de l'infanterie et de l'artillerie; toute opération d'ensemble comporte une série d'actions de détail visant à la conquête des points d'appui. Chaque fois que l'on veut conquérir un point d'appui, il faut préparer l'attaque avec l'artillerie, retenir l'infanterie et ne la lancer à l'assaut qu'à une distance où on est certain de pouvoir atteindre l'objectif. Toutes les fois que l'on a voulu lancer l'infanterie à l'attaque de trop loin, avant que l'artillerie ait fait sentir son action, l'infanterie est tombée sous le feu des mitrailleuses et a subi des pertes qu'elle aurait pu éviter.

Quand un point d'appui est conquis, il faut l'organiser immédiatement, se retrancher, y amener de l'artillerie pour empêcher tout retour offensif de l'ennemi.

L'infanterie semble ignorer la nécessité de s'organiser au combat, pour la durée.

Jetant de suite en ligne des unités nombreuses et denses, elle les expose immédiatement au feu de l'adversaire qui les décime, arrête ainsi net leur offensive, et les laisse souvent à la merci d'une contre-attaque.

C'est au moyen d'une ligne de tirailleurs suffisamment espacée et entretenue continuellement que l'infanterie, soutenue par l'artillerie, doit mener le combat, le faisant ainsi durer jusqu'au moment où l'assaut peut être judicieusement donné.

On voit que cette nécessité de durer se retrouve constamment dans les préoccupations du général Joffre : durée dans le temps, en ménageant nos forces dans toute la mesure du possible en vue d'un effort prolongé, durée dans l'espace, et c'est pourquoi, dans son Instruction générale du 25 août, le commandant en chef se résout à abandonner une partie du territoire, afin de gagner en arrière le champ nécessaire à une nouvelle manœuvre, mais sans perdre de vue la reprise prochaine de l'offensive.

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