UNE RECONNAISSANCE DU 9EME CUIRASSIERS - VIEME ARMEE, LE 14 SEPTEMBRE 1914

Le 9ème Cuirassiers fait partie de la 4ème Brigade de Cuirassiers, de la 3ème D.C. du Corps de Cavalerie (Bridoux, ex-Sordet), rattaché à la VIème Armée en septembre 1914. Le front commence à se stabiliser au nord de l'Aisne, à cette date.

 

Ce document est paru dans le bulletin de mars 2000 de l'Association pour l'Inventaire et la Préservation des Sites (A.I.P.S.) Ferme de Confrécourt, 02290 - Vic-sur-Aisne. Merci à cette association et à son Président.

 

Parti d'Ambleny, le 13 septembre 1914, avec, sept cavaliers, pour une mission de reconnaissance des forces ennemies en retraite, le sous-lieutenant du VIGIER du 9éme cuirassiers, ne rentrera dans ses propres lignes que cinq jours plus tard, accompagné de trois de ses hommes et d'un seul cheval du départ.

Venant de Moulin-sous-Touvent, encore sous contrôle français, ils passèrent le 14 à proximité de Nampcel.

 

L'arrivée sur les lignes

 

" Je remonte à cheval vers sept heures, au moment où un sous-officier distribue des lettres à un bataillon d'infanterie. Cette distribution fait rêver dans ce décor !

Est-il besoin de dire que l'appel de chaque nom est ponctué par un coup de canon, car depuis longtemps déjà la conversation a repris entre les artilleurs. Tout en marchant, je mets Lebas au courant de tout ce que je sais et je lui explique ce que je compte faire.

Nous dépassons, dans un sentier de plus en plus boueux et étroit, une compagnie d'infanterie en colonne par deux, puis un peu plus loin une section. Je devine que j'ai dépassé la dernière unité constituée d'infanterie et que je n'ai plus devant moi que des patrouilles. A un coude du sentier, au sortir d'un rideau d'arbres, nous admirons six magnifiques entonnoirs de terre fraîchement remuée. Malheureusement un peu plus loin, un petit caporal, qui baigne dans son sang derrière un buisson, prouve que les marmites allemandes ne sont pas toujours tirées en pure perte ...

Nous arrivons à la cote 111, en suivant toujours le ravin plus personne ne parle : les hommes, d'instinct, comprennent que la situation devient grave. Je continue à remonter le ravin. Enfin Je m'arrête, caché derrière une touffe d'arbustes tout contre le talus de la route Tracy-le-Mont-Nampcel. A voix basse, j'explique à mes hommes ce que j'attends d'eux : traverser au galop en ordre dispersé derrière moi un espace à découvert. Je les préviens qu'on tirera sans doute sur nous mais que si on reste bien dispersés, on a que peu à craindre de ses coups de feu , enfin je leur demande d'avoir toujours les yeux sur moi et de me suivre dans la direction que je prendrai.

 

La traversée des lignes

 

Un coup d'œil aux sangles, le sabre à la main, et derrière moi au trot. Nous grimpons le talus de la route et aussitôt je fais rapidement un tour d'horizon. Tout est calme, mais à 350 m sur ma gauche un peloton allemand est sur le point d'arriver au carrefour de la Bascule. Devant moi, la grande ferme des Loges me paraît un point d'appui trop indiqué pour ne pas abriter quelques fusils au moins. Enfin, à droite, sur la grand-route de Noyon, 5 ou 6 cyclistes sont arrêtés au carrefour de la cote 158.

Rien ne presse pour le moment. Je reste donc au trot et j'oblique vers le nord-est pour me tenir à une sage distance des Loges. Ma tranquillité relative ne dure pas longtemps, car je suis vite découvert par un cavalier qui aussitôt tire des coups de carabine. En un clin d'œil les cyclistes ouvrent sur nous un feu très ajusté mais heureusement un peu trop bas. Au bout de quelques instants, le peloton ennemi de la Bascule se décide à me donner la chasse, et en même temps des coups de feu commencent à partir des Loges,

Je prends le galop aussitôt après avoir sauté la grand-route et pique droit sur les bois de la Croisette. Je n'ai plus à ce moment qu'une pensée, qui à mesure que je m'approche, prend une intensité de plus en plus considérable : pourvu que la lisière ne soit pas occupée ! Plus que 200 m, on ne tire toujours pas. Vite un coup d'œil en arrière : le peloton allemand gagne du terrain. Enfin la lisière, Dieu soit loué ! il n'y a personne, mais un treillage de fil de fer en gêne l'accès. Ma bonne jument- Fastidieuse- le voit à temps et saute. Les autres passent comme ils peuvent, on se rassemble dans une petite clairière et on se compte rapidement.

 

Abandon de Couturier dont la jument est blessée.

 

Tout le monde y est, mais Iris la jument du brigadier Couturier a une balle dans le flanc. La pauvre bête a put galopé jusqu'ici, mais n'ira pas plus loin : que faire ? Je dis à Couturier d'abandonner sa monture et, en conservant ses armes et de quoi manger, de se dissimuler dans un fourré et d'attendre la nuit pour regagner les lignes françaises, si dans la journée il n'a pas été recueilli par nos troupes qui avancent. Je serre la main de ce pauvre garçon et je me mets en devoir de continuer ma route.

En arrivant à la lisière opposée, j'arrête mon monde et je sors prudemment tout seul pour inspecter les alentours, Je rentre aussitôt car j'ai aperçu tout près de moi, sur la chaussée Brunehaut, un fort détachement d'infanterie de la valeur de deux compagnies au moins, se repliant en très bon ordre vers le nord, suivit de plusieurs cyclistes. Je me renfonce dans le bois et attends dans un fourré très épais quelques minutes. Mes chevaux soufflent et je m'oriente sur la carte.

Je décide de me rapprocher le plus possible de la chaussée Brunehaut et de la sauter pour gagner le grand massif des bois de la Montagne. J'explique ce que je vais faire à mes hommes et je me rapproche de la lisière nord-ouest du bois. Un chemin en sous-bois la longe : j'y dispose mes cavaliers à quelques mètres d'intervalles et j'envoie Lebas reconnaître la route et, en particulier la disposition des fantassins aperçus tout à l'heure.

 

La charge contre une section de fantassins.

 

Il revient aussitôt en me disant qu'il n'a pas eu le temps de voir la colonne indiquée mais qu'à 250 m de nous approchent des fantassins déployés en tirailleurs. Il n'a pas eu le temps définir qu'ils apparaissent sur la crête à 150 m de la lisière. Il faut prendre une décision immédiate. Si je rentre sous-bois, je fais du bruit et ils tirent, et puis je perds l'avantage sur la surprise. Je reste donc immobile et les laisse avancer sans les inquiéter. Un officier marche quelques pas devant eux, le revolver au poing. Quand il n'est plus qu'à 75 m de moi, il s'arrête et regarde, puis repart. Peut être a-t-il vu un reflet sur une cuirasse ? Il ne faut pas laisser le temps de lui préciser ses soupçons. Je me précipite en avant, au galop, en criant, Chargez ! Mes hommes n'ont pas été long à me suivre et certes nous avons obtenu l'effet de surprise préconisé par les règlements, car nous sommes sur les fantassins avant qu'aucun d'eux, officier compris, n'ait eu l'idée de tirer sur nous ! Je n'ai pas le temps de pointer du sabre car il me faut m'orienter. Je laisse mes hommes détendre leur nerfs en sabrant au passage et je cherche un abri.

Il faut obliquer à gauche, Au moment de sauter la route, je me retourne et je vois les fantassins chargés qui nous tirent dessus; des cavaliers arrivent sur nous en arrière à droite et sur la route, des cyclistes qui nous tirent au passage.

Devant nous à 400 m, le salut est dans les bois. J'ai aperçu un de mes hommes qui roulait par terre avec son cheval. A mes cotés, Lebas me crie en galopant : " Mon lieutenant je suis touché !" Les autres m'entourent, et la même angoisse que tout à l'heure me reprend. Pourvu que la lisière ne soit pas occupée ! Pour la deuxième fois mes craintes sont vaines et c'est sans difficultés que je pénètre dans la forêt; salué par une dernière salve de balles Je n'ai plus à craindre que la poursuite des cavaliers. Je m'enfonce dans le bois et recoupe de plusieurs fois mes traces. Enfin je m 'arrête dans un fourré près d'un sentier et je fais mettre pied à terre.

 

Lebas blessé et Desprez disparu.

 

Mon pauvre Lebas, malgré tout son courage, est à bout de force et sa jument, Fontenette, qui perd tout son sang en abondance, ne tarde pas à se coucher pour ne plus se relever. Desprez le meilleur cavalier de mon peloton, manque à l'appel c'est lui que j'ai vu rouler avec son cheval, Ombelle. Deschamps a perdu le cimier de son casque, arraché par une balle à bout portant.

Je fais étendre Lebas sur une couverture et l'installe contre sa selle, puis je lui applique son paquet de pansement sur sa blessure : une balle dans le muscle de la cuisse.

Je lui laisse un peu d'alcool de menthe à boire et suis obligé de l'abandonner. C'est pour moi une minute très pénible de quitter ce brave garçon si dévoué et si courageux.

Plusieurs fois dans la suite, j'ai regretté, dans des moments difficiles, de ne plus l'avoir à mes côtés pour m'aider et me faciliter la besogne, et puis, en une heure de temps j'avais perdu mes deux gradés et mon meilleur cavalier.

 

Un moment de découragement

 

Ma mission ne faisait que commencer et je n'avais plus pour l'accomplir que quatre cavaliers. J'eus une seconde la tentation de renoncer à poursuivre ma route et de rentrer dans nos lignes en profitant des bois, mais je ne voulais pas que les pertes subies jusqu'ici l'aient été en pure perte et, quand je quittais Lebas, j'étais plus résolu que jamais à aller aussi loin que possible. Vers dix heures, j'abandonnais mon pauvre maréchal des logis, après avoir barré le petit sentier par deux arbustes et je me dirigeai sur une grosse ferme que j'avais aperçue à travers les arbres.

 

Lebas confié aux bons soins d'une fermière.

 

Comme tout paraissait calme et que je m'étais résolu à ne pas abandonner complètement Lebas, je me risquais à sortir du bois et je m'approchai de la ferme de la Belle Fontaine après l'avoir examinée à la lorgnette. Pendant que je faisais boire mes chevaux dans la mare, j'expliquai à la fermière où était Lebas et je la suppliais d'aller le faire relever. Elle me le promit et partit de suite à la recherche d'un jeune homme pour l'aider. De mon côté, je me renfouissais à nouveau sous bois car cette clairière n'était vraiment pas assez sûre pour moi.

 

Observation des mouvements d'une division allemande.

 

Je suivais à peine depuis deux cents mètres un petit chemin de lisière sous bois, que je voyais quelques cavaliers sur la route venant de Caisnes ? Je m'arrêtais pour observer et quelques minutes après, j'avais la stupéfaction de voir défiler devant moi, au pas, toute une division de cavalerie allemande, avec cyclistes et artillerie. Ce défilé dura vingt bonnes minutes et me frappa par son bon ordre et son silence. Pas de traînards. Je tremblais qu'une patrouille ne vienne fouiller ma retraite ou qu'un de mes chevaux ne se mette à hennir.

Heureusement rien de tel ne se produisit et, après avoir attendu quelques instants encore après les derniers cavaliers, je repris ma route sous bois.

 

La traversée de Caisnes.

 

La route me fût vite barrée par le village de Caisnes. Tout paraissait calme et silencieux. Après avoir laissé souffler mes chevaux et m'être bien orienté sur la carte, je sortis au trot et traversais tout le village à cette même allure sans rencontrer personne que quelques paysans ébahis de voir des cuirassiers français.

Mais je ne m'arrêtais pas dans un endroit aussi peu sûr et piquais droit sur la forêt de Carlepont.

 

Encore une route sautée sous les balles.

 

Pour cela, il me fallait sauter la grand-route Carlepont-Cuts. En arrivant au bord de la cuvette de Caisnes, à deux cent cinquante mètres de la route, j'aperçois une patrouille de cinq ou six cavaliers au trot sur la route. Rapidement, demi-tour et à l'abri derrière quelques arbres. Personne ne nous voit. Au bout de deux minutes, je repars, cette fois au galop à travers champ, car j'ai tout à l'heure, eu le temps de voir rapidement la disposition des lieux et nous sautons la route derrière deux cyclistes et devant une auto de la Croix-Rouge qui suivaient la route. Au bruit des sabots sur la chaussée, tout le monde s'arrête, mais le temps de se rendre compte de la situation et d'armer les armes, j'étais déjà presque à la lisière, et ce sont des balles bien mal ajustées qui saluent mon entrée sous les bois, près de la maison du Garde .

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